Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 32e parl, 1re sess, nº 39 (16 janvier 1981).
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Date: 1981-01-16
Par: Canada (Parlement)
Citation: Canada, Parlement, Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 32e parl, 1re sess, nº 39 (16 janvier 1981).
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SÉNAT
CHAMBRE DES COMMUNES
Fascicule n° 39
Le vendredi 16 janvier 1981
Coprésidents:
Sénateur Harry Hays, c.p.
Serge Joyal, député
Procès-verbaux et témoignages
du Comité mixte spécial
du Sénat et de
la Chambre des communes sur la
Constitution
du Canada
CONCERNANT:
Le document intitulé «Projet de résolution portant
adresse commune à Sa Majesté la Reine
concernant la Constitution du Canada», publié par
le gouvernement 1e 2 octobre 1980
COMPARAÎT:
L’honorable Jean Chrétien,
Ministre de la Justice et Procureur
général du Canada
TÉMOINS:
(Voir à l’endos)
Première session de la
trente-deuxième législature, 1980-1981
COMITÉ MIXTE SPÉCIAL DU SÉNAT
ET DE LA CHAMBRE DES COMMUNES
SUR LA CONSTITUTION DU CANADA
Coprésidents:
Sénateur Harry Hays. c.p.
Serge Joyal, député
Représentant le Sénat:
Les sénateurs:
Austin
Bélisle
Connolly
Lapointe
Lucier
Murray
Petten
Rousseau
Tremblay—10
Représentant la Chambre des communes:
Messieurs
Allmand
Beatty
Bockstael
Corbin
Epp
Fraser
Gendron
Hawkes
Irwin
Mackasey
McGrath
Nystrom
Robinson (Burnaby)
Tobin—(15)
(Quorum 12)
Les cogreffiers du Comité
Richard Prégent
Paul Bélisle
Conformément à l’article 65(4)b) du Règlement de la Cham-
bre des communes
Le vendredi 16 janvier 1981:
M. Gendron rempiace M.Gimaïel;
M.Allmand remplace M, Peterson;
M. Robinson (Burnaby) remplace M. Manly.
Conformément à un ordre du Sénat adopté le 5 novembre
1980
Le vendredi 16 janvier 1981:
Le sénateur Rousseau remplace le sénateur Lamontagne.
PROCÈS-VERBAL
LE VENDREDI 16 JANVIER 1981
(70)
[Traduction]
Le Comité mixte spécial sur la Constitution du Canada se
réunit aujourd’hui à 9h42 sous la présidence du sénateur
Hays (coprésident).
Membres du Comité présents:
Représentant le Sénat: Les honorables sénateurs Austin,
Bélisle, Connolly, Hays, Lapointe, Lucier, Murray, Petten,
Rousseau et Tremblay.
Représentant la Chambre des communes: MM. Allmand,
Beatty, Bockstael, Corbin, Epp, Gendron, Hawkes, lrwin,
Joyal, Mackasey, McGrath. Nystrom, Robinson (Burnaby) et
Tobin.
Autres députés présents: MM, Munro (Esquimalt-Saa-
nich) et Rose.
Aussi présents: Du Service de recherches de la Bibliothèque
du Parlement: MM. Paul Martin et John McDonough,
recherchistes.
Comparaît: L’honorable Jean Chrétien, ministre de la Jus-
tice et procureur général du Canada.
Témoins: Du ministère de la Justice: M. Roger Tassé, c.r.,
sous-ministre et M. B. L. Strayer, c.r., sous-ministre adjoint,
Droit public.
Le Comité reprend l’étude de son Ordre de renvoi du Sénat
du 3 novembre 1980 et de son ordre de renvoi de la Chambre
des communes du 23 octobre 1980, tous deux portant sur le
document intitulé «Projet de résolution portant adresse com-
mune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du
Canada», publié par le gouvernement le 2 octobre 1980. (Voir
procès-verbal du jeudi 6 novembre 1980, Fascicule n° 1.)
Le Comité reprend l’étude de l’article 1 du projet de loi sur
la Constitution.
A 11 h 01. le Comité suspend ses travaux jusqu’à nouvelle
convocation du président.
Les cogreffiers du Comité
Richard Prégent
Paul Bélisle
TÉMOIGNAGES
(Enregistrement électronique)
Le vendredi le 16 janvier 1981
[Traduction]
Le coprésident (sénateur Hays): Au nom du coprésident,
monsieur Joyal, et des membres du Comité, j’aimerais d’abord
vous signaler que nous allons commencer notre 70e réunion. Je
ne sais pas si cela signifie quelque chose, mais en tout cas, c’est
la 70e.
Article 1—Droits et libertés au Canada.
Le coprésident (sénateur Hays): M. Munro était en train
d’interroger le témoin lorsque nous avons levé la séance hier
soir.
Monsieur Munro.
M. Munro: Merci, monsieur le président. J’aimerais repren-
dre la question supplémentaire qui était posée au sujet des
arrangements politiques conclus entre le parti libéral et le parti
néo-démocrate, dans des lettres publiées le 21 octobre dernier.
Il semble donc, monsieur le ministre, et j’espère ne pas faire
preuve de sectarisme politique en abordant ce sujet, qu’un
arrangement a été conclu entre les deux partis.
Prenons les documents qui font maintenant partie de notre
Constitution, notamment l’article 109 de l’Acte de l’Amérique
du Nord britannique. qui traite de ce sujet en général. Il y est
question notamment de la Colombie-Britannique, d’où je viens,
et des accords qui ont été signés au moment de l’entrée de
cette province dans la Confédération, en 1871. Il y avait eu
alors un transfert de terrains, suivi d’un accord en 1930, en
vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Dans le
préambule, il est indiqué très clairement que les nouvelles
provinces ont le même statut que les provinces d’origine, pour
ainsi dire. en ce qui concerne les ressources naturelles.
Le ministre pourrait-il me dire dans quelle mesure l’accord
conclu entre le Premier ministre et le parti néo-démocrate
diffère des modalités des documents qui sont réputés faire
partie de la Constitution du Canada? Dans quelle mesure la
suggestion qui a été faite modilie-t-elle la situation actuelle?
M. Jean Chrétien (ministre de la Justice et Procureur
général du Canada): Selon mon gouvernement, la question de
la propriété des ressources n’a jamais été contestée.
Ce qui a été par contre contesté au cours des quinze
dernières années, c’est le niveau de taxation de ces ressources;
leur transfert aux provinces de l’Ouest en 1930 était destiné à
donner à ces dernières les mêmes pouvoirs que les provinces de
l’Est ou du Centre dans ce domaine.
Ce texte a été préparé à la demande des provinces de
l’Ouest.
En effet, elles estimaient qu’il y avait encore des incertitudes
en ce qui concerne la question de la propriété. Il s’agit donc, à
mon avis, de clarifier davantage ce qui existait déjà.
Ce n’est pas nous qui avons demandé cette clarification mais
les provinces, et cela s’applique à toutes les provinces.
A mon avis, les conditions de la propriété des ressources sont
les mêmes dans tout le Canada.
En 1979, le texte commençait ainsi: «confirmer la compé-
tence des provinces.» Ce texte apporte donc une confirmation
et, par là. une clarification. Il ne change rien à ce qui se faisait
dans le passé. c’est simplement une clarification et une
confirmation.
Lorsque le député parle d’une transaction secrète. cela me
surprend étant donné qu’elle a été publiée en français et en
anglais et distribuée à tout le monde.
Certes, cet accord a été précédé de discussions, mais cela
s’applique a n’importe quel accord. En effet, pour d’autres
projets de lois. il arrive qu’on discute avec des porte-parole de
l’Opposition sur certains aspects de ce projet de loi. Il n’y a
donc rien de dramatique, Quand l’un ou l’autre parti n’est pas
satisfait d’un projet de loi. leurs représentants viennent me
trouver et, par exemple, M. Robinson vient me parler de
certains aspects de mon administration, tandis que M. Hnatys-
hyn me parlera lui d’autres aspects du projet de loi. Il n’y a
donc rien de dramatique.
Nous voulons en venir à un accord pour rendre le travail de
la Chambre des communes plus facile.
Il s’agit donc d’une chose tout à fait publique. une confirma-
tion de la propriété des ressources des provinces.
Les provinces de l’Ouest l’ont demandé, nous avons répondu
à leur demande.
Je suis surpris de voir un parti invoquer la procédure pour
empêcher le Comité d’apporter des précisions pour le bien ou
dans l’intérêt de ceux qui en demandent, et il ne s’agit pas des
provinces de l’Est, mais de l’Ouest.
M. Munro: Le ministre prétend-il que le leader du Nouveau
parti démocratique parle au nom des provinces de l’Ouest et
qu’au contraire, le premier ministre parlerait lui au nom du
Canada en négociant un accord avec le porte-parole des pro-
vinces de l’Ouest en la personne de M. Broadbent?
Je me demande si c’est ce que le ministre a en tête. Peut-il
nous donner les grandes lignes de l’accord intervenu entre le
ministre et le leader du Nouveau parti démocratique, soit le 2
octobre, je crois que la déclaration a été faite à ce moment-là,
ou le 6 octobre, lorsqu’il y a eu des entrevues et que les leaders
des deux partis ont rencontré le premier ministre qui leur a
révélé les modalités de la proposition présentée.
Est-ce à ce momenblà que le premier ministre a mis au
point avec le leader du Nouveau parti démocratique les gran-
des lignes de cette confirmation. comme le ministre se plaît à
l’appeler et qui, je le répète, en toute déférence, est un accord
avec un parti?
Le ministre pourrait-il nous dire pourquoi il ne l’a pas
présenté lui-même. lorsqu’il a proposé ses propres amende-
ments plus tôt cette semaine, pourquoi il n’a pas présenté les
propositions visant à modifier ses propositions, les attribuant.
s’il le désire, au leader du Nouveau parti démocratique?
Pourquoi n’a-t-il pas dit que le libellé a été mis au point par les
avocats de la Couronne à la demande du ministre de la Justice
qui est le porte-parole en la matière?
M. Chrétien: Monsieur le président, cette proposition n’est
pas nouvelle. Elle ne comporte aucun élément nouveau. Elle a
fait l’objet de discussions tout l’été, il s’agit d’une position que
j’ai moi-même présentée en juillet aux provinces.
Le texte ou le contenu de l’amendement concernant les
ressources a clairement été rédigé devant les provinces au
cours de l’été. Après cela évidemment, M. Broadbent, tout
comme M. Clark, a été convoqué au bureau de M. Trudeau
qui leur a expliqué ce qu’il avait dans l’idée. Au cours de cette
discussion, c’est une supposition, je n’étais pas présent, ils ont
revu toute la question. Nous avons décidé de l’insérer. car elle
modifie l’équilibre des forces, puisque nous transférons dans
cet amendement certains pouvoirs aux provinces.
Nous donnons aux provinces un pouvoir qu’elles n’avaient
pas précédemment, le pouvoir de la taxation indirecte et nous
donnons aux provinces un autre pouvoir par cet amendement,
celui du commerce interprovincial, le gouvernement fédéral
ayant la primauté. Par conséquent, il s’agit d’une dévolution de
pouvoirs du gouvernement fédéral aux provinces dans deux
domaines importants concernant les ressources.
Vous me demandez si M. Trudeau et M. Broadbent ont
changé d’opinion à ce sujet et si en fin de compte M. Broad-
bent aurait dit: «C’est très bien d’avoir une Charte, mais nous
voulons faire quelque chose au sujet des ressources» et si M.
Trudeau a répondu: «Si vous présentez un amendement, nous
l’accepterons».
Telle est la nature de l’accord.
Vous me demandez maintenant pourquoi nous n’avons pas
présenté cet amendement. C’est précisément à cause de l’ac-
cord que nous avons conclu, qui est connu de tous, qui existe
par écrit en vertu d’un document en date du 21 octobre. Il a
été convenu que si le Nouveau parti démocratique présentait
cet amendement, nous l’appuyerions.
C’est pourquoi nous ne l’avons pas présenté car nous avons
dit au Nouveau parti démocratique: «Si vous présentez cet
amendement. nous l’accepterons». Il s’agit d’un accord entre
les deux parties précisées dans les deux lettres. C’est aussi
simple que cela.
M. Munro: Il s’agit donc d’un échange de bons procédés
entre le Parti libéral et le Nouveau parti démocratique pour
obtenir son appui, n’est-ce pas?
M. Chrétien: Nous avons acquicscé à une demande, à une
requête plutôt. de M. Broadbent.
Dans une situation comme celle-là, des membres de mon
parti, des membres du Nouveau parti démocratique font pres-
sion sur nous; hier, par exemple, le sénateur Tremblay a
soulevé la question de l’article sur l’éducation car il trouve que
le libellé choisi n’est pas tout à fait satisfaisant, qu’il crée une
certaine confusion, et que nous devrions peut-être le remanier.
Je lui ai répondu qu’il avait peut-être raison et qu’il s’agirait
de trouver un nouveau libellé.
Les membres du Comité nous font des suggestions. Au
départ, je n’avais nullement l’intention d’inclure dans la
Charte le droit à un procès devant jury. Ce n’était pas inclus
dans le projet de résolution. On en a parlé ici en comité et cette
suggestion est désormais incluse.
Monsieur Warren Allmand et d’autres ont soulevé plusieurs
questions concernant la portée trop limitée de la reconnais-
sance des droits des autochtones dans le projet de résolution.
Je me suis donc penché là-dessus et le libellé a été beaucoup
amélioré. C’est donc la une nouvelle proposition. Prétendrez-
vous maintenant que c’est là un échange de bons procédés avec
M. Warren Allmand ou quelqu’un d’autre? Pas du tout. Il
s’agit simplement d’améliorer le projet de résolution. Vous en
avez là un bon exemple car nous devrons plaider notre cause
en Angleterre. Il y aura là-bas un vote acceptant ou rejetant
l’ensemble des propositions car il n’est pas question de débattre
de la signification du libellé en comité là-bas. On s’en tiendra à
ce que les Canadiens enverront par l’intermédiaire de la
Chambre des communes et du Sénat.
M. Munro: Merci, monsieur le président. Je voudrais abor-
der un autre sujet mais cela exigerait plus d’une question. Je
m’abstiendrai donc de le faire.
Le coprésident (sénateur Hays): Très bien.
Je donne la parole à M. Nystrom et ensuite ce sera au
sénateur Connolly.
Monsieur Nystrom.
M. Nystrom: Merci, monsieur le président. Je voudrais
poser au ministre quelques questions concernant les ressources
dont nous avons déjà parlé.
Auparavant, je tiens à dire qu’il n’est pas opportun qu’ici en
comité nous nous demandions qui est le porte-parole du
Québec, de l’Ontario ou de l’Ouest. Nous essayons ici de
parler au nom de tous les Canadiens. Si un député de l’Ouest
se fait le porte-parole de l’Ouest, ce n’est que secondaire car en
premier lieu, il parle au nom du Canada. MM. Robinson et
Monsieur Rose sont les porte-parole à la fois du Canada et de
l’Ouest. C’est la même chose pour moi.
Personne ici ne devrait alléguer qu’un député agit
autrement.
Le ministre peut-il nous confirmer de façon catégorique
qu’il est prêt à accepter un amendement qui présenterait notre
parti, un nouvel amendement très important qui donnerait aux
provinces un nouveau pouvoir, à savoir le pouvoir de percevoir
un impôt indirect sur les ressources des provinces?
Je pose cette question parce que cela n’existe pas à l’heure
actuelle aux termes de la Constitution en vigueur au Canada et
il se trouve que la Cour suprême de la Saskatchewan a rejeté
certaines lois provinciales à propos de l’affaire CIGOL parce
qu’elles outrepassaient les pouvoirs de la province en matière
de fiscalité indirecte.
Êtes-vous prêt à accepter un amendement en matière de
fiscalité indirecte qui donnerait aux provinces de nouveaux
pouvoirs très importants?
M. Chrétien: Oui, nous accepterons un amendement don-
nant aux provinces le pouvoir de lever des intpôts indirects sur
les ressources, comme cela a été mentionné dans l’échange de
lettres, c’est la une offre que nous avons faite aux provinces à
l’été et ce sera une nouvelle disposition de la Constitution
donnant aux provinces des pouvoirs dont elles ne disposent pas
encore à l’heure actuelle.
M. Nystrom: Des pouvoirs donnés aux provinces, mais pour
ce qui est des droits communs et des échanges interprovin-
ciaux, c’est le fédéral qui a primauté sur tout ce qui dépasse les
frontières provinciales.
M. Chrétien: Oui, nous accepterons un amendement don-
nant aux provinces un nouveau pouvoir, le pouvoir d’adopter
des mesures législatives en matière de commerce interprovin-
cial et, bien sûr, le gouvernement fédéral gardera la primauté
pour les questions d’intérêt national. Cela veut donc dire que
les provinces auront le droit d’adopter des mesures législatives
en matière de commerce interprovincial, cela sera absolument
légal. A l’heure actuelle, de telles mesures seraient illégales,
c’est ce que la Cour suprême a déclaré à propos de laffaire
ClGOL et ainsi de suite.
Le gouvernement fédéral gardera la primauté en la matière
parce que si certaines mesures prises par les provinces dans le
domaine du commerce interprovincial vont à l’encomre de
l’intérêt national, le Parlement de la nation aura la possibilité
d’adopter une loi abrogeant les lois provinciales en matière
déchanges interprovineiaux de ressources naturelles.
M. Nystrom: Merci beaucoup.
Cette question de la compétence commune et le partage des
pouvoirs constituent un domaine important qui permet aux
provinces de se développer en fonction de leurs objectifs,
l’intérêt national restant primordial du fait de la primauté du
fédéral.
Merci.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Nystrom.
Monsieur Rose, vous voulez poser une question supplémen-
taire?
M. Rose: En tant que représentant de l’Ouest canadien,
j’aimerais profiter de cette occasion pour dire que je suis
heureux de participer au débat constitutionnel qui se déroule
dans notre pays. Il m’est très difficile d’accepter le fait que les
seuls porte-parole de l’Ouest canadien sont les membres de la
loyale Opposition ou les premiers ministres provinciaux et,
pour ma part, j’estime que les parlementaires fédéraux ont été
tenus à l’écart de ces discussions pendant beaucoup trop
longtemps et, de ce point de vue, je suis heureux de pouvoir
maintenant prendre la parole.
Taimerais souligner que je ne vois pas comment ceux qui
prétendent parler pour les provinces, quand bien même ils
parlent pour le Canada, ne parviennent pas à reconnaître que
des pouvoirs sont dévolus aux provinces en matière de ressour-
ces naturellcs; je ne vois pas comment on peut être contre cela.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Rose.
M. Chrétien: J’estime ce texte très important. Compte tenu
des difficultés auxquelles nous avons fait face ces 15 dernières
années dans le domaine des ressources naturelles, j’estime que
cette prétendue ambiguïté politique quant à la propriété et à la
gestion des ressources se situait essentiellement au sein même
des provinces.
Il est certain que la chose était satisfaisante dans la Consti-
tution précédente, mais cette clarification contribuera à mieux
comprendre la position du gouvernement national et du gou-
vernement provincial.
Le progrès est intéressant et important. Je suis heureux que
nous ayons accepté que votre parti en fasse la proposition, ce
qui ne m’ennuie pas le moins du monde, parce que tout l’été
dernier, je l’ai moi-même proposé aux gouvernements
provinciaux.
Bien entendu, c’est toujours la même chose qui se produit,
quand on cherche à tout avoir. On risque de tout perdre. C’est
exactement ce qui s’est produit.
En voilà un bon exemple. L’été dernier, pendant de nom-
breuses semaines, j’ai eu l’impression que nous allions nous
entendre sur une douzaine de questions.
Au bout du compte, à la Conférence des premeirs ministres,
c’était tout ou rien. Il fallait que nous acceptions l’ensemble
des propositions avant d’abtenir leur accord pour le rapatrie-
ment. Qu’en a-t-il résulté? Rien du tout! Ce fut extrêmement
frustrant pour tous mes collègues qui avaient passé l’été à
travailler à ce projet et qui avaient cru faire beaucoup de
progrès. Nous avons finalement dû nous entendre sur cette
nouvelle formule en donnant un petit quelque chose au Mani»
toba, un autre petit quelque chose à la Colombie-Britannique,
et ainsi de suite. Il était impossible de s’entendre là-dessus, et
bien des sujets n’ont pas pu être vidés. La plupart des gouver-
nements provinciaux n’arrivaient pas a s’entendre à tous points
de vue.
On a donc abouti à un gros zéro. Si nous avions accepté de
faire tout ce que les gouvernements provinciaux avaient
demandé, nous nous serions entendus, mais nous aurions fait
disparaître le gouvernement fédéral.
C’est facile de dire oui, sans doute beaucoup plus facile que
de dire non. Parfois, nous nous sentons soulagés d’avoir dit
non, comme c’est le cas au Québec, Nous avons dit non et nous
en sommes fort heureux,
Le coprésident (sénateur Hays): Vous voulez poser une
question supplémentaire, monsieur Hawkes?
M. Hawkes: Oui, monsieur le président.
Très rapidement, monsieur le ministre, vous nous laissez
entendre que vous allez accepter l’amendement que proposera
le Nouveau parti démocratique, sans modifier son libellé.
Hier, on s’est demandé comment une telle chose serait
possible, étant donné le mandat du Comité. Je veux toutefois
passer à autre chose. Cet amendement touchera à la fois les
pouvoirs des gouvernements provinciaux, et ceux du gouverne-
ment fédéral. Pourriez-vous donc nous dire quel mécanisme. . .
me permettez-vous d’attendre d’avoir l’attention du ministre?
Pourriez-vous donc nous donner une idée des mécanismes de
consultation auxquels vous songez, afin que vous puissiez vous
entendre avec les gouvernements provinciaux, sur le libellé de
l’amendement? En effet, celui-ci a une importance vitale pour
la nature même de la fédération canadienne, Avez-vous tout
simplement l’intention de vous contenter d’un accord entre le
Premier ministre et le chef du Nouveau parti démocratique,
sans tenir compte du reste du pays?
M. Chrétien: Le libellé sera présenté ici et adopté ici. Nous
avons tenu avec les gouvernements provinciaux des mois et des
mois de discussions sur la signification de ces mots. En effet,
entre le projet de février 1979, jugé le meilleur, et ce texte-là,
il n’y a pas de différence, à l’exception de ce qui concerne le
commerce international.
On discute donc de ces mots depuis deux ans et il y a eu déjà
des tas de consultations à ce propos. Nous savons exactement
ce qu’ils signifient; les gouvernements provinciaux, le Parti
libéral et les Néo-démocrates aussi. M. Nystrom l’a rédigé
dans un style très clair, qui sera facile à comprendre, contrai-
rement au libellé rédigé habituellement par les avocats.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Hawkes.
Sénateur Connolly.
Le sénateur Connolly: Merci, monsieur le président. J’aime-
rais obtenir un éclaircissement au sujet de l’article 46(4) du
projet de résolution portant sur la constitution de la commis-
sion référendaire.
On a posé des questions, hier, à ce sujet; on a demandé
notamment si ces règles auraient force de loi.
L’article 46(4) prévoit, entre autres, que le Parlement légifé-
rera en vue du référendum aux termes de l’article 42. J’aime-
rais obtenir quelques éclaircissements sur la façon dont la
réglementation du référendum sera adoptée.
Si je comprends bien, la commission aura pour mandat de
recommander les règles du référendum au Parlement. Si le
Parlement ne donne pas suite aux recommandations de la
commission dans les 60 jours, les règles seront mises en
vigueur par proclamation du gouverneur général. Cependant,
le Parlement peut également changer ces règles. Je me
demande si cela pourrait faire intervenir une résolution adop-
tée par les deux Chambres et confirmant ou amendant les
règles en question, ou si le Parlement pourrait tout simplement
légiférer en la matière en annexant les règles au texte de loi.
En d’autres termes, procéderait-on aux trois lectures? Ou
agirait-on par résolution? Il s’agit là d’un détail technique.
M. Chrétien: Si, un an après la décision du Parlement, les
provinces refusent d’accepter l’amendement et que le gouver-
nement décide de la tenue d’un référendum, celui-ci doit, par
décret ministériel, nommer les trois membres de la
commission.
Cette commission a 60 jours pour recommander des règles
au Parlement, s’occuper de la question du financement, du
vote, de la publicité, etc. Le gouvernement déposera alors sans
doute ces règles devant le Parlement.
Le parlement disposera alors de 60 jours pour modifier ces
règles, et le projet de loi, étant un projet de loi normal, fera
l’objet de trois lectures . . .
Le sénateur Connolly: Ainsi donc, tout serait fait par légis-
lation, et non par résolution?
M. Chrétien: C’est bien cela. Il s’agit là d’une règle stricte,
étant donné que nous ne disposons que de 60 jours pour
adopter les règles en question.
La raison de cette recommandation est qu’elle peut servir de
garantie. En effet, il serait très dangereux de donner toute
latitude à un organisme nommé: ce ne serait pas une façon
démocratique de procéder. Le Parlement, à mon avis, est
l’autorité suprême en la matière. Cependant, le Parlement
n’interviendrait que dans les cas d’erreurs flagrantes. Si nous
n’adoptons pas de projet de loi dans les 60 jours, les règles
deviennent celles du référendum.
Le sénateur Connolly: Même si le biIl a été déposé au
Parlement. . .
M. Chrétien: Et même si on n’a pas encore fini de l’étudier.
Le sénateur Connolly: Même si on n’a pas encore fini de
l’étudier, si le biIl ne va pas plus loin que le Feuilleton, à
l’expiration de la période de 60 jours, les règles établies au
départ, proposées pur la commission, entreront en vigueur.
Mais la demande serait, si j’ai bien compris, acceptée sous
réserve de l’émission d’un décret du conseil à cette étape,
n’est-ce pas?
M. Chrétien: Oui, mais l’article dit que les règles xsont mises
immédiatement en vigueur par proclamation du gouverneur
général sous le grand sceau du Canada», Le gouvernement n’a
pas le choix.
Le sénateur Connolly: C’est exact.
M. Chrétien: Nous devons toujours, quelles que soient les
lois à l’étude, les proclamer; nous n’avons aucun choix. Il faut
se conformer au libellé de la loi, qui précise «par proclamation
du gouverneur général sous le grand sceau du Canada».
Le sénateur Connolly: S’agit-il de l’alinéa 5?
M. Chrétien: Oui.
Le sénateur Connolly: Oui, merci.
Le coprésident (sénateur Hays): Monsieur Robinson, vous
vouliez poser une question supplémentaire.
M. Robinson: Monsieur le président, j’aimerais poser une
question supplémentaire qui fera suite à la question posée par
le sénateur Connolly. Il semble qu’à la fin de la période des 60
jours, s’il n’y a pas encore eu accord sur la règle, les règles
recommandées par la commission entreront envigueur, mais
j’ai l’impression que l’on pourrait faire appel au règlement
relatif au temps alloué, que le gouvernement a déjà invoqué a
maintes reprises, pour que la loi puisse s’appliquer, n’est-ce
pas?
M. Chrétien: Il s’agit là d’une loi parlementaire. Le Règle-
ment du Parlement restera le Règlement du Parlement.
Le sénateur Connolly: Cela ne s’applique pas au Sénat.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci beaucoup, monsieur
Robinson. Sénateur Lucier, vous aviez une quetion a poser.
Le sénateur Lucier: Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je pense qu’il y a un domaine qui
intéresse la population du Yukon, dont vous n’avez pas parlé
dans les modifications que vous proposez: il s’agit de l’article
qui traite de la liberté de circulation et d’établissement. Je sais
que vous aviez un certain nombre de problèmes relatifs à cet
article, mais j’aimerais savoir pourquoi nous ne pourrions pas
nous conformer à la recommandation faite par M. Pearson, du
gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, lorsqu’il a pro-
posé que la liberté de circulation et d’établissement au Yukon
fasse l’objet d’un accord entre le gouvernement du Yukon et le
gouvernement du Canada, accord qui aurait pour objet de
protéger cette liberté.
Il me semble que ce n’est pas satisfaisant de dire qu’il ne
faut pas modifier tout cet article qui traite de la liberté de
circulation et d’établissement parce que cela détruirait tout
l’ensemble,
Je trouve pour ma part très intéressante la proposition faite
par le gouvernement du Yukon, et j’aimerais savoir pourquoi
on ne l’a pas acceptée.
M. Chrétien: Tout simplement parce qu’on ne peut pas
prévoir une liberté de circulation et d’établissement pour une
partie du Canada, et aucune liberté de circulation et d’établis-
sement dans d’autres régions du pays. Ce que nous disons, c’est
que s’il existe certains problèmes particuliers, nous pourrons
invoquer des dispositions spéciales, dans le cadre de la charte.
Nous pourrions appliquer des pratiques d’embauche qui
seraient toujours légales, malgré l’article qui traite de la liberté
de circulation et d’établissement, mais toute décision de ce
genre serait prise en fonction d’autre chose que la simple
origine ou l’endroit où vit une personne, en tant que citoyen
d’une province.
Je sais, par exemple, que l’emploi des autochtones constitue
une vive préoccupation dans le Nord du Canada, de sorte qu’il
s’agit la d’une action sociale possible, mais qui n’aurait pas un
caractère régional; il existe des problèmes sociaux qu’il faut
parfois résoudre par une action de cette nature, ce qui est
prévu ici.
Toutefois, en ce qui concerne la mobilité, il serait très
difficile de faire globalement exception pour le Yukon sans
étendre cette exception aux autres provinces; à une interven-
tion faite hier par M. Gimaiel, du Lac Saint-Jean, qui souli-
gnait avec juste raison que le Canada s’était construit à la
mobilité de sa population, on a répondu que le but de cette
charte était précisément de faciliter cette mobilité pour l’ave-
nir, dans la mesure surtout où le francophone sortant du
Québec recevrait son instruction en français et ou, inverse-
ment, l’anglophone qui déciderait d’aller travailler au Québec
aurait le droit de recevoir son instruction en anglais. J’estime
qu’il est souhaitable de faciliter la mobilité.
Selon moi, la plupart des programmes que prévoit la loi pour
la construction du pipe-line dans les Territoires du Nord-Ouest
et au Yukon, c’est-à-dire le pipe-line reliant l’Alaska au
Canada, demeureront plus ou moins applicables, grâce a la
possibilité d’une action sociale stipulée dans la charte.
Le coprésident (sénateur Hays): J’ai inscrit votre nom pour
plus tard, et je crois que le sénateur Connolly parlait de
l’article 23; M. Hawkes voudrait poser une question
supplémentaire.
M. Hawkes: Oui.
Je voudrais être sûr d’avoir bien compris, mais en réponse au
sénateur Connolly, le ministre n’a-t-il pas dit que le fait de
confier à un organisme dont les membres sont nommés le
pouvoir absolu d’édicter les règles est une chose très dange-
reuse? Vous parliez de la commission. Ne me suis-je pas
mépris sur vos propos?
M. Chrétien: J’ai dit que le Parlement devait rester souvev
rain et qu’il s’agit de déléguer à un organisme autonome le
pouvoir de légiférer et, dans la mesure où le pouvoir de
légiférer est ainsi délégué, nous voulions être sûrs d’avoir cette
protection, en ce sens que si les conditions étaient tout à fait
inacceptables pour les députés, le Parlement pourrait les
modifier.
Ce n’est qu’une possibilité, car, selon moi, le Parlement du
Canada doit rester souverain dans ce domaine, mais j’ai fait en
sorte que cette procédure incite la commission à fixer des
conditions qui soient acceptables; auquel cas, le Parlement
n’aura pas à légiférer ultérieurement. J’estime qu’on est donc
bien loin d’un pouvoir absolu. Je maintiens que le Parlement
est souverain.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Hawkes.
Je suis terriblement navré, monsieur Hawkes, mais vous êtes
intervenu assez longtemps ce matin et, certes, j’admets que
c’est important.
M. Chrétien: J’aimerais aussi faire une, déclaration. Cette
commission comprendra trois personnes: le directeur général
des élections, un délégué du gouvernement fédéral et un
délégué du gouvernement provincial. Comme il se peut qu’un
gouvernement provincialwnon pas le Parlement fédéral, ou le
gouvernement fédéral-ne soit pas satisfait des règles établies
par cette commission, il y aura possibilité de corriger la
situation, car, en effet, on peut concevoir que le directeur
général des élections prenne le même parti que le délégué du
gouvernement fédéral et que les gouvernements provinciaux se
plaignent alors qu’on n’a pas tenu compte de leur point de vue
ou qu’on n’a pas écouté ce qu’ils avaient à dire. Dans ce
dernier eus, ce sera un problème politique et le gouvernement
national devra assumer ses responsabilités et s’adresser à la
Chambre des communes pour rectifier la situation.
Le fait même que nous ayons là ce mécanisme constituera
une mesure préventive, en ce sens que les membres de la
commission ne voudront pas prendre de risques et {assureront
que les règles établies sont justes et équitables, afin qu’on ne
puisse les critiquer, et que ces règles soient adoptées sans qu’on
ait besoin d’avoir recours à une loi.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci.
Monsieur Robinson, vous avez la parole.
M. Robinson: Merci, monsieur le président.
J’aurais d’autres questions à poser au sujet de cette charte
des droits proposée, monsieur le ministre.
Un certain nombre de témoins, et moi-même aussi, nous
avons indiqué combien nous nous inquiétions sérieusement du
fait que cette charte, cette charte des droits proposée, pourrait
être modifiée par référendum. On a fait remarquer. . .
M. Rose: Me permettez-vous d’invoquer le Règlement?
Peut-être que le président et M. Robinson ne l’ont pas remar-
qué, mais je crois qu’on a posé une question supplémentaire au
sujet de la liberté de circulation et d’établissement; aussi,
avant de continuer, j’aimerais savoir si nous allons continuer à
discuter de ce sujet, monsieur le président.
Le coprésident (sénateur Hays): Non, M. Robinson a le
droit de discuter d’une autre question s’il lc-désire.
Lorsque nous traitions des questions supplémentaires, j’ai
donné la parole à M. Nystrom, qui désirait poser une question
et n’a pas utilisé ses dix minutes; puis, j’ai remarqué que le
prochain sur ma liste était le sénateur Connolly; aussi, l’affaire
est devenue confuse pour moi et j’ai essayé de rectifier la
situation en donnant la parole à M. Robinson, qui sera suivi du
sénateur Tremblay.
M. Robinson: Monsieur le président, je suis prêt à poser plus
tard mes questions, si vous le permettez, afin que mon collègue
puisse poser sa question supplémentaire au sujet de la question
posée parle sénateur Lucier.
Le coprésident (sénateur Hays): Non, continuez votre inter-
vention, car nous en avons terminé avec les questions
supplémentaires.
M. Robinson: Alors, monsieur le président, je vais recom-
menccr. Je disais donc, avec tout le respect que je vous dois,
monsieur le ministre, que je mïnquiétais du fait qu’on puisse
modifier cette charte des droits par référendum.
L’un des principaux objectifs de cette charte des droits,
comme l’a déclaré le premier ministre en un certain nombre
d’occasions, ct vous-même en plusieurs occusions—ce crois que
c’est ainsi qu’on l’entend, de toute évidence—c’est de protéger
les droits des minorités, pour empêcher qu’à un moment
donné, une simple majorité supprime ces droits.
Or, si, dans le cas de cette charte des droits, on permet par
référendum de supprimer ces droits—ou on pourrait prétendre
ajouter des droits par référendum, mais, historiquement, cela
ne s’est pas produit—est-ce qu’en procédant ainsi on ne viole
pas le principe même qu’on veut défendre? En effet, nous nous
efforçons de protéger les droits des minorités, et dans ce cas, je
crois que M. Mackasey aussi a laissé entendre qu’il s’inquiétait
de la possibilité, et il peut nous le confirmer, qu’une majorité
puisse, par référendum, n’importe quand, supprimer les droits
des minorités.
Je reconnais que les majorités régionales sont une nécessité,
mais il ne s’agit pas ici d’intérêts régionaux, il s’agit de droits
individuels qui transcendent les frontières régionales.
Voici la question que je vous pose, monsieur le ministre:
êtes-vous prêt à envisager encore une fois cette question du
droit du gouvernement fédéral de tenir un référendum qui, par
une majorité simple de 51 p. 100, pourrait abroger les droits
d’une minorité?
J’ai deux suggestions a vous faire: éliminez cette possibilité
en conservant dans la charte des droits l’amendement visant le
processus normal d’amendement, qui demande, comme vous le
savez, le consensus des diverses régions; ou, d’autre part,
augmentez au moins la majorité requise dans le cas d’un
amendement à la charte des droits; que cette majorité soit
augmentée aux deux tiers, de sorte que s’il y a au pays un
consensus général visant à modifier les droits fondamentaux,
d’accord, mais permettre à une majorité simple de 5l p. 100
d’abroger ces droits, ce serait renier le principe même de la
charte des droits.
M. Chrétien: Votre suggestion pose un problème, car si l’on
reconnaît qu’on peut modifier la constitution, ce principe doit
s’appliquer généralement à tous les aspects de la constitution,
autrement, d’après l’expérience de nos discussions sur la for-
mule d’amendement, lorsque vous commencez à exclure du
processus d’amendement certains aspects de la constitution,
chaque province ou chaque groupe demande une exclusion, et
en fin de compte, vous vous retrouvez dans l’impossibilité
d’amender la constitution, non seulement pour la charte des
droits, mais pour tout le reste.
En y regardant de plus près, même s’il est souple, le
processus d’amendement de la constitution ne sera pas un
processus très facile. Supposons que quelqu’un veuille abroger
un droit d’une minorité; prenons par exemple les droits linguis-
tiques. En théorie, c’est possible, mais il faudrait que ce soit
approuvé par 5l p. 100 des habitants du Québec.
M. Robinson: Nous ne parlons pas de questions régiona-
les . . .
M. Chrétien: Non, mais j’ai simplement choisi cet exemple
parce qu’il me touche de près et parce que j’y ai réfléchi. Donc,
il serait nécessaire que cet amendement soit approuvé, et nous
pourrons tenir un référendum seulement après que les gouver-
nements provinciaux l’auront rejeté, car nous pourrions
l’amender, mais nous pourrons tenir un référendum unique-
ment s’il y a désaccord entre le gouvernement fédéral et les
provinces.
Nous ne pourrions pas passer par-dessus la tété des gouver-
nements provinciaux et tenir un référendum. Les gouverne-
ments provinciaux doivent se prononcer d’abord sur l’amende-
ment. Si l’amendement est rejeté, alors, nous pouvons tenir un
référendum, après que l’amendement a été refusé par les
provinces. Nous ne voulons pas enlever aux minorités aucun
droit que la charte leur reconnaît. D’abord, les provinces
devront refuser, le Parlement fédéral dire oui, et après cela,
nous nous adresserons au peuple, et il faudra qu’il y ait une
majorité dans les quatre régions du pays.
Donc, si vous voulez exclure la charte du régime d’amende-
ment, ou si vous voulez un régime d’amendement différent de
celui-ci, il faudra tenir compte de toutes les demandes de
même nature pour les autres aspects de la constitution, et je
pense que ce sera encore plus confus que cela ne l’est aujour-
d’hui, et ce ne sera pas plus efficace.
M. Robinson: Monsieur le ministre, que faites-vous alors de
ce qui me préoccupe, soit que cela permettrait à une majorité
de 51 p. 100 de Canadiens de retirer les droits en question?
Je reconnais que pour ce qui est des droits entraînant des
répercussions sur le plan régional, ce n’est pas très probable,
mais s’il s’agit de droits juridiques, par exemple, comment
permettre, grâce à un référendum, à une majorité simple de
rctirer leurs droits aux minorités? Cela ne va-t-il pas à l’encon-
tre de l’essence même de la charte des droits, dans un certain
sens?
M. Chrétien: Monsieur Robinson, le référendum intervien-
dra après l’opposition de la province: mais pour ce qui est de la
première étape du processus, et pour répondre à vos préoccu-
pations, le Parlement fédéral et les sept assemblées législatives
provinciales seraient en mesure de retirer les droits en ques-
tion, et en théorie c’est possible; mais pour ce qui est de
l’éventualité selon laquelle sept assemblées législatives et le
Parlement voteraient en faveur du retrait des droits en ques-
tion, il me semble que les promoteurs du projet auront du mal
a défendre leur cause, car dans toute société, les droits acquis
sont la dernière chose qu’on voudrait retirer.
M. Robinson: Monsieur le ministre, il suffirait au gouverne-
ment fêdéral de se décider à éliminer certains de ces droits et
dans le cas de l’opposition des provinces, après un an, il
pourrait alors proposer un référendum en vue de rctirer les
droits en question.
M. Chrétien: Il lui faudrait alors surmonter l’opposition des
provinces et au Parlement, et au cours des négociations.
M. Robinson: Monsieur le ministre, avec une majorité au
Parlement, cela n’a jamais été bien compliqué.
J’aimerais que vous étudiiez un peu plus attentivement cette
question, et on y reviendra assurément au cours de l’examen
des amendements. J’aimerais a présent revenir à l’article l5 du
projet de charte des droits et traiter d’un argument présenté
ainsi que du sujet que vous avez abordé dans votre déclaration
lundi soir, au Comité.
Vous nous avez dit que vous aviez satisfait à certaines des
préoccupations émanant de différents groupes et que vous
préfériez laisser à leur discrétion, plutôt que de les restreindre,
les motifs proposés de discrimination par rapport à ceux
énoncés, à l’origine, dans la charte des droits, laissant ainsi,
aux tribunaux, la possibilité d’interpréter cette clause comme
comportant des motifs additionnels de discrimination.
Ai-je bien paraphrasé votre déclaration, monsieur le
ministre?
M. Chrétien: Parfaitement, c’est la copie conforme de mon
texte.
M. Robinson: Non, je ne lis pas votre texte. Si c’est le cas,
alors, selon vous, immédiatement après l’adoption de la charte,
sitôt qu’elle entrera en vigueur au Canada, pensez-vous qu’un
tribunal pourrait l’interpréter de manière à inclure une inter-
diction de toute discrimination fondée sur l’invalidité.
M. Chrétien: Si c’est un cas patent, oui.
M. Robinson: Vous pensez donc qu’il s’agit d’une possibilité,
immédiatement après son adoption?
M. Chrétien: Non, monsieur Robinson, car il faudra atten-
dre un délai de trois ans pour cet article. En effet, nous avons
convenu que pour ce qui est d’une clause de non-discrimina-
tion, il y aurait un délai de trois ans entre son adoption ici et sa
proclamation à Londres. Ce sera fait au bout de trois ans.
M. Robinson: Vous avez cependant l’intention, en faisant
une proposition, de donner aux tribunaux la possibilité de
l’interpréter de façon plus large afin d’inclure la discrimination
fondée sur un handicap?
M. Chrétien: Oui, je trouve que c’est déjà bien étendu. Il y a
d’autres sortes de discrimination. Les tribunaux pourront
étudier . . .
M. Robinson: En ce qui concerne les handicaps, vous dites
que c’est inclus?
M. Chrétien: Oui.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Robinson.
M. Robinson: Monsieur le président, je voudrais terminer
ma question, je n’avais pas encore fini. Il me reste une brève
question à poser.
Il s’agit exactement de la même question mais qui porte sur
deux autres domaines. Lorsque la charte aura été adoptée,
croyez-vous que les tribunaux vont l’interpréter de façon â
exclure la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle?
M. Chrétien: C’est possible. Ce sera aux tribunaux d’en
décider; ce n’est pas encore réglé.
M. Robinson: Vous n’excluez pas cette possibilité, cepen-
dant, au moment d’adopter la charte?
M. Chrétien: Nous parlons d’autres types de discrimination
sans les définir. Ce sera aux tribunaux de les définir.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur Robinson.
M. Mackascy veut poser une question supplémentaire, suivi
de M. McGrath et du sénateur Tremblay.
M. Mackasey: Monsieur le président, ma question supplé-
mentaire fait tout naturellement suite à celle de M. Robinson,
ct je ne la pose pas dans un esprit de confrontation.
J’ai déjà exprimé ma position face au référendum et à la
possibilité qu’il soit utilisé pour supprimer les droits indivi-
duels. Je me souviens avoir discuté avec M. Robinson plus tôt
au cours de la séance et lui avoir dit qu’il était beaucoup plus
probable que le référendum soit utilisé pour ajouter des droits
plutôt qu’en supprimer.
Il faut parfois que vous alliez aux extrêmes, monsieur le
ministre, et je peux m’imaginer comme vous qu’on tienne un
référendum national et qu’on obtienne des majorités dans les
assemblées législatives et 51 p. 100 du vote populaire pour
compenser quelque chose qui se trouverait dans la charte des
droits.
Je peux également envisager un scénario tout a fait diffé-
rent, si une province faisait preuve de discrimination flagrante
envers ses citoyens, par exemple les Autochtones, les Franco-
Manitobains, les Anglo-Québécois, etc., et ce malgré notre
constitution et la charte des droits.
J’ai du mal à croire que la chose puisse se produire, mais il
me semble que si le référendum doit être utilisé de quelque
façon dans le contexte de cet article, il doit servir à renforcer
la déclaration des droits et non pas à l’affaiblir. Ai-je raison ou
tort?
Enfin, monsieur le ministre, il y a de la possibilité d’ajouter
le motif d’invalidité. Existe-t-elle, êtes-vous prêt à la réexami-
ncr, vu le travail que fait un certain comité de la Chambre des
communes et vu l’attention internationale qui est accordée à ce
problème? Vous avez parlé de certains groupes en particulier,
laissant la porte ouverte à d’autres. Etes-vous prêts, vos colla-
borateurs et vous-même, à revoir toutes les conséquences d’une
admission à l’article 15 des problèmes particuliers auxquels
fait face cette catégorie de Canadiens et dont le public, d’une
façon générale, ne fait que commencer à prendre conscience?
On pourrait presque parler ici de liberté fondamentale.
M. Chrétien: Je suis prêt a envisager cette possibilité? Je ne
suis cependant pas en mesure de vous donner une réponse
maintenant.
M. Mackasey: La possibilité existe tout de même? Vous
n’avez pas fermé la porte?
M. Chrétien: Vous savez, monsieur Mackasey, que je suis
très ouvert.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci beaucoup, monsieur
Mackasey.
C’est a M. McGrath.
M. McGrath: Merci, monsieur le président, je désire poser
au Ministre une question supplémentaire concernant les droits
collectifs dans le contexte de l’article 15(1).
Les commis ires d’écoles catholiques, les évêques de l’On-
tario, les comités d’écoles confessionnelles de Terre-Neuve, se
sont tous dit préoccupés par cette question des droits collectifs.
Un groupe en particulier a même été jusqu’à réclamer le droit
de faire des «distinctions» dans le sens propre et non pas dans le
sens de «discrimination raciste» comme il est venu à être
utilisé.
Je me demande si le Ministre est en mesure dîndiquer au
Comité quel pourrait être l’impact de l’article 15 sur le droit
des écoles séparées, par exemple, d’engager leurs enseignants,
en particulier dans le contexte des dispositions de l’article 52
de la Charte.
L’article 15, par exemple, pourrait-il être utilisé pour empê-
cher les écoles séparées ou les écoles privées d’engager des
enseignants qui se conforment à la doctrine ou à la norme
morale qu’elles, ou leurs confessions religieuses, préconisent?
M. Chrétien: Monsieur McGrath, vous deviez être absent
hier au moment où nous avons eu une longue discussion à ce
sujet. J’ai donné cette garantie. M. Tassé a expliqué le proces-
sus en réponse aux questions de M. lrwin.
M. McGrath: Si vous en avez déjà parlé hier, je n’abuserai
pas davantage du temps du Comité.
M. Chrétien: Nous avons dit qu’ils n’avaient pas de problè-
me à ce sujet. Les commissions d’écoles catholiques ou autres
au Canada pourraient continuer d’engager des gens de la
même croyance.
M. MeGrath: Mais est-ce qu’il sera possible de le contester?
M. Chrétien: Il ne sera pas possible de le contester.
M. McGrath: Merci.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, monsieur McGrath.
Je cède la parole au sénateur Tremblay.
[Texte]
Le sénateur Tremblay: Merci, monsieur le président.
Monsieur le ministre, notre bref échange de vues hier a
permis de constater qu’un dialogue était possible mais j’ai
aussi constaté que ce dialogue est possible lorsque cela porte
sur des détails, sur des questions plutôt marginales. C’est déjà
quelque chose mais je constate aussi que sur la substance des
choses le dialogue est beaucoup plus difficile, mais ce n’est pas
le sens de ma question pour aujourd’hui. Ma question est d’un
ordre assez général. Quant à moi, elle correspond à une
profonde interrogation et j’ai l’impression que cette interroga-
tion, elle est partagée par un grand nombre au Québec.
Vous faites souvent état du référendum, du non du Québec à
l’occasion du référendum. Effectivement, le Québec a dit mon»
au référendum à la souveraineté-association.
Je constate cependant qu’à quelques mois de distance seule-
ment le Québec dit «non» aujourd’hui à votre projet. Le
Québec dit «non» par la voie de son gouvernement légitime. Le
Québec dit «non» par la voie du chef de l’Opposition officielle à
l’Assemblée nationale. Le Québec dit «non» par la voie du chef
duit autre parti de Yopposition à l’Assemblée nationale. Le
Quebec dit même «non» par la voie de quelques membres de
votre propre formation politique ici aux Communes. Le
Quebec dit «non» dans les sondages qui ont été faits récemment
et il le dit dans une proportion encore plus forte qe le non qu’il
a donné au référendum. Le Québec dit «non» par la voie d’un
grand nombre d’éditorialistes ou de commentateurs.
Ma question est la suivante, monsieur le ministre, et cette
question-là rejoint, je pense, l’intérieur de nos consciences
comme membres de ce Parlement.
Comment réconciliez-vous, en toute conscience, ces deux
nons?
M. Chrétien: Eh bien, voici. Si les objections étaient sur le
fond et non pas sur la forme, je serais beaucoup plus
préoccupé.
Lorsque nous en avons discuté aussi bien à l’intérieur de
notre parti qu’un peu partout, nous avons constaté qu’il y a peu
d’objections sur le fond.
il n’y a pas beaucoup de gens au Canada qui s’objectent au
rapatriement de la Constitution. Il n’y a pas beaucoup de gens
qui s’objectent à l’enchâssement d’une charte des droits dans ia
Constitution pour les Canadiens. Il n’y a pas beaucoup de gens
qui s’objectent à l’enchâssement dans la Constitution des deux
langues officielles au Canada, ce qui va s’appliquer au niveau
fédéral non plus seulement en vertu d’une législation mais en
vertu d’une protection constitutionnelle.
Il n’y a pas beaucoup de gens qui s’objectent à la protection
que nous donnons à ce moment-ci, sur le fond, au droit
constitutionnel à l’éducation en langue minoritaire au Canada
pour les Français hors Québec et les Anglais au Québec.
Alors, on pose des questions. Je ne suis pas impressionné par
la question posée par le sondage Gallup qui demande, voulez-
vous que les Anglais amendent la Constitution canadienne?
Évidemment, ils aiment mieux que ce soit amendé ici mais tout
cela c’est comme si le projet que nous faisons à l’heure actuelle
était fait en Angleterre. Pourquoi avons-nous un Comité ici?
Pourquoi débattons-nous chaque article, chaque virgule,
chaque mot? C’est parce que nous voulons soumettre au
Parlement un projet qui vient du Parlement du Canada.
L’objection majeure que je constate c’est que l’on dit que ça
ne devrait pas se faire, quant à la forme, sans l’accord des
Provinces.
Or, l’accord des Provinces n’est pas juridiquement
nécessaire.
On a essayé, au cours des cinquante-trois dernières années,
d’obtenir les résultats avec l’accord de tout le monde. Mal-
heureusement, on a failli pendant cinquante-trois ans, ce sera
bientôt cinquante-quatre ans.
Alors, nous regardons la Constitution canadienne, nous
regardons la situation juridique au Canada et nous prétendons
que juridiquement le Parlement canadien a tout à fait le droit
de soumettre devant le Parlement anglais des amendements à
la Constitution canadienne. Les amendements que nous avons
sur le fond, encore une fois, rencontrent l’approbation de la
population. L’objection vient de la forme. La tyrannie de
l’unanimité nous a empêchés pendant cinquante-trois ans d’ob-
tenir les résultats que nous recherchons aujourd’hui.
Alors, ayant légalement le pouvoir de faire ce que nous
faisons, nous le faisons. Je ne suis pas surpris que les gens
disent, on aurait aimé mieux que tout le monde soit d’accord.
Moi, le premier, non seulement je l’ai souhaité, je l’ai cherché
pendant tout l’été dans la plus longue négociation qu’on a
jamais eue sur un projet constitutionnel.
C’est évident, il n’y avait aucun doute lorsque devant les
caméras les premiers ministres se sont réunis, que nous étions
pris devant cette tyrannie double, pour employer l’expression
de monsieur Trudeau, que non seulement il y avait unanimité
pour faire quelque chose mais qu’il y avait unanimité de toutes
les Provinces pour dire, on va vous donner notre accord si vous
donnez à notre Province telle affaire.
Ce n’était pas seulement dé les avoir toutes sur un item,
mais c’était en plus la tyrannie de donner à chacun un item
qu’elle voulait avoir.
Dans les circonstances, comme gouvernement responsable,
nous avons décidé de prendre nos responsabilités et d’en subir
les conséquences politiques.
Si juridiquement nous avons tort, eh bien, lés tribunaux
décideront, et c’est l’aspect juridique de notre démarché qui est
d’ailleurs devant les tribunaux à l’heure actuelle. Nous avons
fait valoir notre position juridique et les avocats des Provinces
ont fait valoir leur position juridique, et les tribunaux
décideront.
Le sénateur Tremblay: Monsieur le président, vous nous
dites en sommé que vous substituez par votre projet à la
tyrannie de l’unanimité la tyrannie de i’unilatéralisme et votre
hypothèse de travail a été que les Québécois préféreraient la
tyrannie de l’unilatéralismé à la tyrannie de l’unanimité.
Mais il vous disent «non», là-dessus, ils préfèrent les ennuis,
les inconvénients dé l’unanimité à la tyrannie de l’unilatéra-
lisme, c’est le sens des choses, et il y a une raison peut-être plus
profonde.
A mon avis, s’ils disent «non» aujourd’hui comme ils ont dit
«non» au référendum, c’est parce que le type de fédéralisme qui
est inscrit dans votre projet est un type dé fédéralisme qui ne
correspond pas à leurs vues à cet égard. La réconciliation dés
deux nons c’est qu’ils ont dit «non» à la souveraineté-associa-
tion au référendum mais ils disent «non» aujourd’hui à votre
conception du fédéralisme.
Là-déssus, avec cette manière d’interpréter les choses, je
pense que les deux nons sont parfaitement cohérents.
M. Chrétien: J’ai expliqué notre position. Vous avez le
privilège d’être en désaccord. Moi, je dis que je suis élu au
Québec, j’ai ‘passé la période des vacances de Noël dans ma
circonscription électorale, j’ai parlé avec beaucoup de monde.
Evidemment, mes électeurs sachant que je suis impliqué dans
ce dossier-là m’ont parié de cela; il y a d’autres députés qui
disent qu’ils n’en ont pas entendu parler du tout.
Vous savez, les affirmations que les Québécois disent «non»,
ch bien, ils disent «non» sur certaines choses mais ils sont
d’accord sur bien des choses que nous faisons. Cé n’est pas
blanc et noir dans le sens que, comme je l’expiiquais tantôt,
lorsque nous avons fait des sondages l’été dernier sur le
sentiment des Canadiens concernant l’enchâssement dans la
charte des droits de la protection des droits linguistiques et de
la mobilité de la main-d’oeuvre, tout le monde était d’accord.
Vous avez beau dire qu’un n’a pas de légitimité mais, tout de
même, nous en avons eu des débats à l’intérieur de notre parti
considérablement là-dessus et nous n’avons eu, en somme, que
67 pour cent des votes aux dernières élections!
Alors, est-ce qu’on agit suivant notre juridiction et les
pouvoirs que nous avons juridiquement? Si oui, on a tout à fait
le droit de le faire. Que le fédéralisme que je préconise soit
différent de celui que vous préconisez, c’est évident. On a eu
des débats considérables lâ-dessus.
Il y a eu le projet de la communauté des communautés et,
nous, on a toujours été les tenants d’un gouvernement central
fort et de gouvernements provinciaux forts et cela alors qu’on
avait un gouvernement très nationaliste—pas nationaliste-
séparatiste au Québec. On s’est toujours fait élire nous, les
députés fédéraux, en parlant pour un gouvernement central
fort et, d’ailleurs, je ne prétends pas parler pour tous les
Québecois mais je peux certainement parler comme un Québe-
cois élu au Québec dans un parti qui a toujours été celui qui a
reçu le plus grand support de toutes les formations politiques
au Québec, en quelque circonstance que ce soit. Il doit y avoir
une certaine crédibilité à cela.
Sur 74 députés, il y en a un qui n’est pas d’accord, c’est
correct, il n’est pas d’accord sur un aspect parce qu’on n’im-
pose pas quelque chose à l’Ontario mais, si on l’imposait à
l’Ontario, il serait d’accord. Alors, cela ne m’impressionne pas
beaucoup parce que toute la démarche est beaucoup plus large
que ce qui est contenu dans l’article 133.
Il y en a qui disent qu’ils parlent pour le Québec. Moi, je
parle autant pour le Québec que les gens du Québec et c’est
aux élections que les gens se choisissent des représentants. Si
nous avons fait une erreur fondamentale, eh bien, mes élec-
teurs me le diront mais je dois vous dire—et j’ai consulté
beaucoup de députés depuis notre retour-que les députés qui
se sont trouvés en difficulté en allant faire leur magasinage au
Québec durant la période des Fêtes parce qu’on faisait une
action unilatérale, il n’y en avait pas beaucoup qui se sont
préoccupés de cela. Moi, ils m’ont dit, écoute, Jean, on est
‘tanné’, règle nous ça, ça fait assez longtemps qu’on en parle.
Et, en général, mon impression est la suivante, c’est que les
gens pensent qu’on ne fait pas cela, nous, les Libéraux, parti-
culièrement les Libéraux du Québec, pour essayer de détruire
les Francophones au Canada. lls ont la conviction que notre
attachement au Canada français est très grand, est très fort et
je pense qu’ils nous font confiance comme ils nous l’ont fait
aux élections.
Je lis les éditorialistes aussi et j’en tiens compte. Seulement,
on a un mandat de faire face à nos responsabilités et on ne le
fait pas cn catimini. C’est sur la place publique depuis le 9 juin
quand monsieur Trudeau a dit, on se donne trois mois pour en
venir à une entente et, s’il n’y a pas d’entente, on procédera de
la façon dont on procède aujourd’hui. Lisez la conférence de
presse du 9 juin a la suite de la rencontre qu’il y a eue à 24
Sussex.
Alors, qu’il y ait des gens qui soient en désaccord, cela ne
me surprend pas. Que je sois un peu dans l’eau chaude, eh
bien, que voulez-vous! Comme je l’ai dit il y a quelque temps,
c’est naturel en politique et, de toute façon, Chatterton disait,
j’aime être dans l’eau chaude, cela me tient net!
Le sénateur Tremblay: Une dernière remarque, si vous me
permettez. Je pense que ce que le ministre vient de dire ne
répond pas à l’interrogation fondamentale quej’ai formulée. ll
ne s’agit pas de savoir en ce moment comment se répartiraient
des votes dans une élection, il s’agit d’une question bien précise,
qui rejoint des choses fondamentales dans la façon dont les
Québécois en particulier peuvent concevoir leur développement
à l’intérieur de la fédération.
Sur ce point particulier, monsieur le ministre, et je conclus
là-dessus, je pense que ce n’est pas véritablement une question
mais c’est simplement un appel, comme vous en avez fait à
l’endroit d’autres groupes ou d’autres milieux.
Là-dessus je pense, monsieur le ministre, qu’il faut être plus
sensible à l’ensemble d’indices que j’ai énumérés et qui révè-
lent très clairement que la conscience québécoise sur votre
projet est profondément touchée et divisée, et je fais appel à
votre responsabilité. Analysez cela, J’ai l’impression que vous
devez en tenir compte de façon beaucoup plus fondamentale
que vous ne l’avez fait dans vos amendements.
Aussi longtemps que les dispositions de votre projet affec-
teront substantiellement le régime fédéral comme tel, le
régime fédératif canadien, interrogez-vous sérieusement si
vous n’allez pas à l’encontre d’une conception profonde et très
ancienne des Québécois à l’égard de notre fédéralisme.
C’est le seul appel que je fais à votre égard. Quant a moi,
j’ai terminé, monsieur le président.
M. Chrétien: Je vous remercie et je voudrais répondre ceci.
C’est que nous ne changeons pas la balance des pouvoirs dans
la démarche que nous faisons, du moins c’est notre point de
vue, sauf dans le domaine des ressources, comme je l’ai
expliqué plus tôt, une dévolution de pouvoirs du fédéral vers les
Provinces en matière de ressources—taxation indirecte et pou-
voirs de faire de la législation en matière commerciale inter-
provinciale avec la prépondérance fédérale.
Nous enchâssons une charte des droits qui ne change pas la
balance des pouvoirs, qui va imposer des restrictions à tous les
niveaux de parlement, le Parlement du Canada et les assem-
blées législatives, en faveur de droits qui sont transmis à tous
les Canadiens d’un océan à l’autre. Cela ne nous donne aucun
pouvoir à nous, au fédéral, et aucun pouvoir de plus aux
Provinces mais ça donne des pouvoirs aux citoyens en matière
de droits.
La critique nous vient du fait qu’il est vrai que par l’article
concernant l’éducation, la Loi lOl sera quelque peu modifié
mais nous avons voulu,’ dans les circonstances, nous en tenir le
plus très possible.
Comme nous l’avons toujours exprimé, du moins monsieur
Trudeau, moi-même et plusieurs autres, nous avons toujours
été en faveur du libre choix complet. Cela fait partie des
droits, à mon sens. Je suis un peu déçu que l’on n’ait pas donné
ce droit-là aux Canadiens en donnant une charte des droits.
Pour respecter le plus possible la législation québécoise, nous
avons modelé notre amendement en matière d’éducation le
plus près possible de la Loi l0l et, par contre, nous avons
imposé a tous les gouvernements provinciaux des autres prov-
inces fobligation de donner dorénavant l’éducation en langue
française aux citoyens francophones.
Nous n’avons pas changé la forme de fédéralisme. Absolu-
ment pas. Nous rapatrions la Constitution et nous donnons, en
rapatriant la Constitution, la possibilité—parce que si c’est la
formule de Victoria qui prévaut—nous donnons aux Québécois
quelque chose qu’ils n’ont pas à l’heure actuelle et qu’ils ont
toujours prétendu avoir mais qu’ils n’ont pas juridiquement à
ce moment-ci, un droit de veto en matière constitutionnelle
pour des changements constitutionnels.
lls auront un droit de veto et s’il y a un référendum un jour
pour régler un bloquage constitutionnel, les citoyens du
Québec auront un droit de veto, chose qu’ils n’ont pas à l’heure
actuelle.
Alors, pour moi, comme citoyen du Québec, en garantissant
l’éducation en langue française aux Francophones à travers
tout le Canada et en donnant au Québec, si le gouvernement
du Québec le veut bien, le droit de veto comme à l’Ontario en
matière d’amendement constitutionnel, eh bien, je ne pense pas
trahir les aspirations des Québécois. Que la forme que nous
prenions pour y arriver soit déplaisante, je le concède, J’aurais
aimé beaucoup mieux aller a Londres avec les onze gouverne-
ments ensemble et poser ce geste-là dans l’unanimité. Seule-
ment, il est évident que cela n’a pas été possible. On a cru à un
moment donné qu’on y parviendrait mais, malheureusement, la
dynamique de la conférence de septembre a été désastreuse.
Que voulez-vous! Le résultat était là et on fait ce que doit, et le
peuple nous jugera.
[Traduction]
Le coprésident (sénateur Hays): Merci, sénateur Tremblay.
Avez-vous une question complémentaire, monsieur lrwin?
M. lrwin: Oui, merci, monsieur le président.
Le sénateur Tremblay n’a présenté que la moitié de l’argu-
ment à propos de l’article 24 quand il a parlé de la tyrannie de
la majorité. Je préférerais qu’on l’envisage plutôt comme la
volonté de la majorité. «La tyrannie de la majorité» est en
général un terme de perdant.
Ce que nous imposons maintenant à l’article 15, ce sont des
droits à l’égalité que nous appelons des droits à la non-dis-
crimination, interdisant la discrimination fondée sur la race,
l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe
ou l’âge, discrimination que pourrait exercer la tyrannie ou la
volonté de la majorité dont parle le sénateur Tremblay.
Certains groupes se sont inquiétés de savoir comment cet
article serait mis en vigueur: l’Association des libertés civiles
de la Colombie-Britannique, l’Association canadienne des
libertés civiles, l’Association du Barreau canadien et plusieurs
autres groupes distingués qui ont comparu devant nous, au
moins une douzaine en tout.
Vous avez maintenant modifié cela à l’article 24. Je ne
voudrais pas revenir sur l’âge, le sexe ou ce genre de choses. Je
préférerais parler d’un incident bien précis, celui de Penetang
où un conseil scolaire local a empêché un groupe de Canadi-
ens-français de l’Ontario d’avoir leur propre école à Penetang,
Aucune loi ne les protégeait et ce n’est que grâce à la bonne
volonté de la province qu’ils ont finalement réussi à avoir une
école: il a fallu en donner l’ordre!
Si je comprends bien les modifications, en vertu de l’article
24. tout parent peut maintenant se présenter devant les tribu-
naux compétents en Ontario qui statueront sur ce qui serait
approprié dans les circonstances.
Cela s’appliquerait également au Québec: tout parent anglo-
phone, donc minoritaire, peut se présenter devant les tribunaux
compétents qui décideront si le nombre justifie la scolarité en
anglais.
M. Chrétien: Voilà donc ce qui a été décidé. Auparavant,
pour Penetang ou pour les anglophones à Shawinigan, la
population devait s’en remettre à la décision du gouvernement
du conseil scolaire.
Or, dorénavant si certains estiment qu’ils sont victimes de
discrimination, ils pourront se présenter devant les tribunaux
qui décideront si le gouvernement a pris une décision raisonna-
ble ou non. Dans la négative, ils pourront imposer une action
réparatrice au conseil scolaire.
Je crois que cela aurait beaucoup simplifié les problèmes
dans les crises passées. La population locale s’émeut beaucoup,
lors de ce genre de crises, et je ne puis blâmer les responsables
politiques d’avoir agi avec quelques hésitations dans ces
domaines.
Maintenant, ils seront au contraire en mesure de déclarer
que la constitution canadienne exige ceci ou cela. Ce sera donc
beaucoup plus simple et cela ne suscitera pas ce genre d’émo-
tions puisque le débat se déroulera dans une atmosphère
complètement différente et non politique. Cela se fera devant
les tribunaux où des avocats compétents pourront invoquer des
précédents, citer des exemples de ce que l’on fait par exemple
pour les francophones en Ontario ou au Nouveau-Brunswick
ou pour les anglophones au Québec, etc. On pourra alors
comparer la façon dont on traite les minorités dans tout le pays
et les juges pourront alors décider de ce qui est raisonnable.
M. Irwin: Monsieur le ministre, cela s’applique-t-il égale-
ment à toute femme victime de discrimination quand elle
recherche un emploi et à tout autre individu dont on rejetterait
la candidature parce qu’il est Noir ou parce qu’il vient d’un
autre pays? Est-ce la même chose?
M. Chrétien: Oui, s’il s’agit de discrimination par l’Etat; par
contre, si vous ne voulez pas embaucher une personne de telle
ou telle origine ethnique, couleur ou religion, c’est autre chose;
ce recours aux tribunaux ne peut s’appliquer qu’en cas de
discrimination attribuable à l’Etat et non à des particuliers.
M. Irwin: Merci, monsieur le ministre.
Le coprésident (sénateur Hays): Merci beaucoup.
Honorables membres du Comité, au nom de M. Joyal et de
vous tous, je remercie le ministre d’avoir été avec nous toute la
semaine et je remercie également beaucoup ses fonctionnaires.
La séance est levée jusqu’à lundi 20 h 00.
TÉMOINS
Du ministère de la Justice:
M. Roger Tassé, c.r., sous-ministre;
M. B.L. Strayer, c.r., sous-ministre adjoint, Droit public.