Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Documentation de base sur les traités présentée à la Conférence constitutionnelle des Premiers ministres sur les droits ancestraux et issues de traités (15-16 mars 1983)


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Date: 1983-03-15
Par: Assemblée des premières nations
Citation: Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Documentation de base sur les traités présentée à la Conférence constitutionnelle des Premiers ministres sur les droits ancestraux et issues de traités, Doc 800-17/006 (Ottawa: 15-16 mars 1983).
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DOCUMENT: 800-17/006

CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES
SUR LES QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES
INTÉRESSANT LES AUTOCHTONES

Documentation de base sur les traités
présentée à la Conférence constitutionnelle des Premiers ministres
sur les droits ancestraux et issues de traités

Assemblée des premières nations

Ottawa
Les 15 et 16 mars 1983

DOCUMENTATION DE BASE SUR LES TRAITES
PRESENTEE A LA CONFERENCE CONSTITUTIONNELLE DES PREMIERS MINISTRES
SUR LES DROITS ANCESTRAUX ET ISSUS DE TRAITES

LES 15 et 16 MARS 1983

OBJET: Résumé de la jurisprudence américaine qui établit,
clairement que (i) les traités conclus avec les
Indiens sont des traités au sens international du
terme et ii) qu’on doit donner une interprétation
large à ces traités

I. Objet: Jurisprudence prouvant que les traités conclus avec
les Indiens sont des traités internationaux. La Cour
suprême des Etats-Unis a confirmé que les traités
conclus avec les tribus indiennes ont la même Valeur
que ceux conclus avec des nations étrangères. Dans
l’affaire Worcester v. Georgia 31 U.S. 515, (1832),
la Cour suprême a réfuté dans ces termes l’hypothèse
voulant que les tribus indiennes ne soient pas des
« nations » au sens européen du terme:

(traduction)

Les mots « traité » et « nation » sont des vocables
que nous avons nous-mêmes choisis à des fins
diplomatiques et législatives et qui ont chacun
une signification précise que nous comprenons
bien. Nous nous en sommes servi avec les
Indiens comme avec d’autres nations. Ils ont
le même sens dans tous les cas. (p. 559)

Dans la cause Worcester v. Georgia dont il a déjà
été question, un non—indien a été arrêté parce qu’il
vivait sur le territoire cherokee sans la permission
des autorités de l’Etat. Il a été reconnu coupable
d’avoir enfreint une loi de la Georgie qui exigeait
un permis de séjour et a été condamné à quatre ans de
travaux forcés par un tribunal de Georgie. En appel,
la Cour suprême a infirmé la décision condamnant
Worcester et a déclaré la loi de l’Etat inconstitu-
tionnelle. La Cour suprême a rendu sa décision en se

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fondant sur la doctrine constitutionnelle selon
laquelle il incombe au gouvernement fédéral plutôt
qu’aux Etats de réglementer les affaires indiennes:
(traduction) « (les lois de Georgie) constituent une
intervention sans équivoque dans les rapports entre
les Etats—Unis et la nation cherokee, rapports dont
la réglementation relève exclusivement, en vertu de
principes établis par notre Constitution, du gou-
vernement de l’Union. » à la p. 561.

Le tribunal reconnaissait que les nations indiennes
sont (traduction) « des collectivités politiques dis-
tinctes qui possèdent leurs propres frontières terri-
toriales à l’intérieur desquelles elles ont une com-
pétence exclusive et des droits sur toutes les terres
ainsi délimitées… » p. 557. Le tribunal précisait
en outre à la page 556 que le gouvernement fédéral a
reconnu la souveraineté des tribus indiennes dans
les traités conclus avec ces nations. Ainsi, l’Etat
de Georgie ne pouvait imposer ses lois â la nation
cherokee puisque cette nation avait conservé sa
souveraineté inhérente. De plus, les rapports avec
la nation cherokee et les citoyens des Etats—Unis sont
une affaire qui ne peut être réglée que par les Cherokees
et le gouvernement fédéral.

L’affaire Turner v. American Baptist Missionary Union
24 Fed. Case No. 14251 (c.c. Mich. 1852) donne une
définition révélatrice du statut juridique des traités
indiens:

(traduction)

Certain prétendent qu’un traité avec les tribus
indiennes n’a ni la même valeur ni les mêmes
effets qu’un traité avec une nation étrangère
autonome. La Constitution n’a pas prévu une
pareille distinction. Depuis que le gouvernement
existe, des traités ont été conclus avec les
Indiens, en vertu du pouvoir de conclure de
pareils traités. Ce sont des traités conformes
à la Constitution et, en cette qualité, ils
sont les lois suprêmes du territoire. (p. 346)

En 1828, le procureur général William Wirt rédigeait
une opinion ( 2 op. A.G. 110) pour le Président
Andrew Jackson dans laquelle il analysait la question
de la valeur des traités indiens. Dans son opinion
se rapportant au « Treaty of Indian Spring », le

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procureur général a jugé nécessaire de répondre â
l’allégation que les traités conclus avec les
Indiens n’ont aucune valeur parce que ces Indiens
ne constituaient pas des nations indépendantes et
que, même dans le cas contraire, il n’en demeure pas
moins que ces Indiens n’étaient pas civilisés. Le
procureur général a analysé la première objection en
déclarant notamment:

(traduction)

Si l’on veut dire que, malgré leur aptitude à
signer des traités, leurs traités ne peuvent
être considérés de la même façon que les traités
de nations absolument indépendantes,on ne voit
aucune raison de justifier cette distinction
par le fait que leur indépendance était res-
treinte. Si les Indiens sont suffisamment
indépendants pour conclure des traités, leur
indépendance est suffisante pour prouver leur
bon droit… Ainsi donc, lorsqu’on reconnaît
que les Indiens ont l’indépendance requise pour
signer des traités, cette indépendance doit
être considérée aussi complète que celle de
n’importe quelle autre nation.

On ne peut non plus dire que leur indépendance
comme nation est une indépendance restreinte.
Comme toutes les autres nations indépendantes,
ces nations sont régies uniquement par leurs
propres lois et comme elles)ces nations ont le
pouvoir absolu de faire la guerre et la paix.
Comme toutes les autres nations indépendantes,
elles possèdent un territoire sur lequel aucune
puissance n’a le droit d’empiéter. La valeur
de leurs droits sur ce territoire a soulevé
des questions. La conclusion qui s’est toutefois
dégagée de ces discussions est que, qu’il
s’agisse de souveraineté juridique ou territo-
riale ou d’un droit d’occupation seulement, ce
droit est tel qu’aucune autre nation ne peut
le modifier ou l’accaparer ou même l’acquérir
légitimement, sauf de la même façon que peut être
acquis le territoire de toute autre nation, quel
que soit son degré d’indépendance, c’est—à—dire
par la cession ou par la conquête…

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Ces nations sont toujours libres et indépen-
dantes. Elles sont entièrement autonomes.
Elles acceptent ou refusent de traiter selon
leur bon vouloir et aucune puissance humaine
ne peut légitimement contrôler leur liberté
à ce chapitre. Elles sont aussi libres,
souveraines et indépendantes que n’importe
quelle autre nation à l’égard des traités ou
des contrats touchant leur propriété. Or,
comme elles sont entièrement liées par les
contrats qu’elles signent, elles ont sûrement
droit, en vertu de tous les principes de raison,
de justice et d’équité, de s’attendre à ce
que l’autre partie soit également liée par ces
traités et ces contrats. Je ne vois d’ailleurs
pas le moindre fondement pour justifier des
règles d’interprétation de leurs contrats
différentes de celles qui régissent l’interpré-
tation de tout autre contrat simplement parce
que ces nations résident sur le territoire de
la Georgie. (pages 132 à 135)

Comme le signale Felix Cohen, un américain passé
maître dans l’interprétation du droit indien
(traduction) « le fait que le Congrès ait abrogé,
modifié ou ignoré divers traités indiens porte
certains à croire que les traités indiens ont une
valeur juridique inférieure. Il faut toutefois
savoir qu’il est établi depuis longtemps qu’en
matière d’affaires extérieures, le Congrès a le
pouvoir d’adopter des lois contraires aux traités. »
Cohen, Handbook of Federal Indian Law, pages 34 et 35.

Que les Etats—Unis n’aient pas respecté les traités
porte atteinte à l’intégrité des Etats—Unis et non
à la valeur des traités indiens. Ces traités sont
tout aussi valides que les traités signés avec
n’importe quelle autre nation. La Cour suprême a
une fois de plus repris ce principe dans l’affaire
récente Washington v. State Passenger Fishing Vessel
Association 443. U.S. 658 (1979).

Le litige portait surrl’interprétation des divers
traités signés en 1854 et 1855 par les Etats-Unis
et un certain nombre de nations indiennes habitant

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les régions côtières de l’Etat de Washington. Par
ces traités, les tribus cédaient de vastes terres
en échange d’une compensation financière, de terres
d’une superficie relativement réduite et d’autres
garanties telles que la protection de leur (traduc-
tion) « droit de pêche aux endroits habituels… en
commun avec tous les habitants du territoire. »

Le principal problème résidait dans l’interprétation
de cette phrase. La Cour suprême a décidé que
l’expression « en commun avec » signifiait que
les Indiens avaient le droit de pêcher une certaine
quantité de poissons (45 à 50 pour 100) plutôt que
la simple possibilité d’essayer d’attraper du poisson.

La conclusion du tribunal est que les traités ont
été signés par des nations souveraines qui se
réservaient un pourcentage relativement équivalent
d’une ressource naturelle exploitable. Le tribunal
a donc déclaré:

(traduction)

… les traités, y compris ceux qui ont été
signés par les Etats—Unis et les tribus
indiennes, sont essentiellement des contrats
entre deux nations souveraines. Lorsque les
nations signataires ne se sont pas battues
et qu’aucune n’a été vaincue, il est logique
de supposer qu’elles ont négocié sur un pied
d’égalité et tout à fait librement. Rien
ne nous permet de croire que cette hypothèse
ne soit pas valable dans le cas du traité
en cause. Par conséquent, toute tentative
d’interprétation des traités doit se fonder
sur l’intention des deux parties et non seule-
ment sur celle de la plus importante. page
676 (C’est nous qui soulignons.)

* Veuillez consulter les copies ci-jointes de toutes les
affaires dont il a été question. Vous remarquerez également
que même si vous n’avez demandé qu’un résumé de la jurispru-
dence pertinente, nous vous avons également transmis une
partie du Handbook of Federal Indian Law de Felix Cohen se
rapportant aux éléments des dispositions des traités avec
les tribus indiennes qui attestent le statut international
accordé à celles-ci.

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II. Interprétation large des traités avec les Indiens

En raison des différences culturelles et des handicaps
des Indiens au cours des négociations de traités, les tri-
bunaux américains ont établi plusieurs règles pour l’inter-
prétation des traités indiens. Dans la décision, qui a
fait jurisprudence, rendue dans l’affaire Worcester v. Georgia
31 U.S. 350, 393 (1832), la Cour suprême a déclaré que
(traduction) « la formulation des traités conclus avec les
Indiens ne sera jamais interprétée au détriment de ces
derniers ». Depuis, la Cour suprême a défini une série de
règles pour l’interprétation des traités indiens qui, en
général, sont justes pour le peuple indien. Les tribunaux
ont reconnu que le libellé de ces traités ne correspond
pas toujours à ce qui a été dit aux Indiens à la cérémonie
de signature. Les tribunaux américains ont toujours admis
que la tradition chez les nations indiennes était de conclure
des traités verbaux et non écrits et ils se sont efforcés
de tenir compte de cette différence.

Par conséquent, les tribunaux ont consacré les doctrines
d’interprétation suivantes:

l. Lorsqu’on interprète les traités indiens, les
ambiguïtés seront tranchées à l’avantage des Indiens.

Dans l’affaire McClanahan v. State Tax Commission
of Arizona 411 U.S. 164, 174 (1973), la Cour
suprême a décidé que l’Arizona ne pouvait assu-
jettir à son impôt une Indienne d’une réserve
qui a gagné tout son salaire sur la réserve.
Cependant, le traité entre les Navajos et les
Etats-Unis sur lequel les tribunaux devaient
se prononcer ne précise nulle part que les
Navajo ne sont pas assujettis à la loi de
l’Etat et qu’ils sont exempts de l’impôt établi
par l’Etat. Quoi qu’il en soit, le tribunal a
donné l’interprétation suivante du traité:

Les dispositions pertinentes de l’accord
prévoyaient que la réserve requise serait
établie et (traduction) « qu’elle serait exploi-
tée et occupée par les Indiens de la tribu
navajo » et « qu’aucune personne, sauf celles
qui sont expressément autorisées par les
présentes ainsi que les fonctionnaires,
soldats, agents et employés du gouvernement
ou les Indiens autorisés à entrer sur ces

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réserves indiennes pour remplir les fonctions
imposées par la loi ou exécuter les ordres du
Président, ne sera autorisée à traverser le
territoire décrit par cet article ou encore
à s’y établir ou à y résider.

Aucune position du traité ne précise que les
Navajos ne sont pas assujettis à la loi de
l’Etat ou qu’ils sont exemptés des impôts de cet
Etat Toutefois, on ne peut considérer le
document comme un contrat ordinaire entre des
parties tout à fait indépendantes les unes des
autres et négociant sur un pied d’égalité.
Nous avons déjà eu l’occasion de décrire les
circonstances dans lesquelles les accords
étaient conclus. (traduction) « Au moment
de la signature du présent document, les
Navajos étaient un peuple en exil forcé par
les Etats—Unis à vivre entassés sur un petit
territoire le lonq de la rivière Pecos dans
l’est du Nouveau-Mexique, à quelque 300 milles
à l’est de la région qu ils occupaient
avant l’arrivée de l’homme blanc. En échange
de leur promesse de respecter la paix, le
présent traité leur réservait comme « territoire »
permanent « une partie de leur territoire ances-
tral ». Williams v. Lee, 358 U.S., page 221,
79 S. Ct., page 271.

Ce sont de semblables circonstances qui ont
incité le tribunal à adopter comme règle géné-
rale d’interprétation des traités indiens que
(traduction) « les expressions ambiguËË seront
inteprétées à l’avantage des faibles et
sans défense qui sont â la charge de la nation
et comptent sur sa protection et sa bonne foi ».
Carpenter v. Shaw, 280 u.s. 363, 367, 50 S. Ct.
121, 122, 74 L Ed. 478 (1930) (C’est nous qui
soulignons)

Dans l’affaire Winters v. United States 207 U.S. 564 (1908),
même si les bandes ou les tribus Gros Ventre et assiniboine n’ont
pas inclus de façon explicite la conservation des droits rela-
tifs à l’eau dans l’entente de mai 1888, par laquelle ils
cédaient leurs terres en échange de la création de la réserve
indienne de Fort Belknap, ces droits n’en ont pas moins été
considérés comme implicites par l’application de la règle
d’interprétation susmentionnée.

En concluant que les droits relatifs à l’eau devaient être
interprétés comme étant implicites dans l’entente car ils étaient
nécessaires aux fins pour lesquelles la réserve avait été créée,
le tribunal a tenu le raisonnement suivant:

(traduction)

L’affaire, dans notre optique, découle de l’entente
de mai 1888 qui a conduit à la création de la réserve
de Fort Belknap. Dans l’élaboration de cette entente,
il importe de retenir certains éléments qui revêtent S
une importance particulière. La réserve faisait
partie d’un territoire beaucoup plus vaste, que les
Indiens avaient le droit d’occuper et d’utiliser et
qui convenait aux habitudes et aux besoins d’un peuple
nomade et non civilisé. Les Indiens avaient le
désir, et c’était là la politique du gouvernement,
de modifier ces habitudes afin de devenir un peuple
civilisé se consacrant à l’élevage. Si cette trans-
formation devait se produire, le territoire d’origine
était alors trop vaste; en revanche, un territoire
plus petit ne convenait pas si les conditions
restaient les mêmes. Les terres étaient arides et,
sans irrigation, n’avaient pratiquement aucune
valeur. Et pourtant, il est soutenu que les moyens
d’irrigation ont été délibérément abandonnés par les
Indiens et délibérément acceptés par le gouvernement.
Il est vrai que les terres cédées étaient également
arides et certains soutiennent que cette cession
impliquait la cession des eaux, sans lesquelles les

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terres n’auraient plus de valeur et deviendraient
inhabitables. Cela, soutiennent en outre certains,
les Indiens le savaient et ils n’ont pourtant pas
réclamé le maintien de leurs droits sur les eaux.
Nous sommes conscients qu’il y a ici conflit
d’interprétation, mais celle qui favorise le maintien
des droits sur les eaux a plus de poids que celle qui
favorise leur abolition. Les Indiens contrôlaient
les terres et les eaux et pouvaient décider de tous
leurs usages bénéfiques, qu’il s’agisse de les
consacrer à la chasse, « au pâturage de troupeaux de
bétail nomades » ou encore de les convertir à l’agri-
culture et aux arts de la civilisation. Ont-ils
renoncé à tout cela? Ont-ils réduit la superficie
de leur habitat et abandonné les eaux qui le rendaient
valable ou adéquat? Et même en ce qui a trait à
l’allégation selon laquelle il convient de répondre
par l’affirmative, du fait qu’il y a sur la réserve
des ruisseaux et des cours d’eau représentant environ
2 900 pouces d’eau, on peut se poser des questions.
Nous pourrions tout aussi bien croire que les Indiens
ont été intimidés par la puissance du gouvernement
ou trompés par ses négociateurs. Aucune de ces
positions n’est possible. Le gouvernement confirme
les droits des Indiens. Mais point n’est besoin de
tenir compte des extrêmes. De par une règle d’inter-
prétation des ententes et des traités conclus avec
les Indiens, les ambiguïtés relevées seront résolues
en fonction du point de vue des Indiens. Et la
règle doit certainement être suivie afin de choisir
entre deux conclusions, dont l’une soutiendrait
l’objet de l’entente et l’autre y porterait atteinte
ou le nierait. Compte tenu de leurs relations avec
le gouvernement, on ne peut supposer que les Indiens

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ont veillé à exclure par des déclarations offi-
cielles chaque déduction susceptible d’aller à
l’encontre des dispositions des traités, même s’il
peut être supposé qu’ils ont eu l’intelligence de
prévoir le « double sens » susceptible d’être un
jour invoqué contre eux. (C’est nous qui souli-
gnons.) p. 211

Dans l’affaire Carpenter v. Shaw 280 U.S. 363 (1930),
la Cour suprême a refusé à l’État de l’Oklahoma le
droit d’imposer une taxe sur les intérêts des redevances
provenant de l’exploitation des gisements de gaz naturel
et de pétrole situés sur des terres allouées aux Indiens.
L’État soutenait que, même si en vertu de l’entente
d’Atoka conclue avec les tribus choctaw et chickasaw,
les terres qui avaient été allouées à celles-ci ne
pouvaient être imposables, la taxe sur les redevances
représentait une taxe imposée uniquement sur le pétrole
et le gaz retirés du territoire et qu’il s’agissait par
conséquent d’une taxe sur les biens meubles non visés
par l’exemption fiscale prévue dans l’entente d’Atoka.

En soutenant que la disposition de l’entente d’Atoka
selon laquelle « les terres allouées ne sont pas impo-
sables tant que le titre de propriété pertinent appartient
aux personnes à qui les terres ont été allouées » ne
pouvait être limitée à des impôts fonciers ou immobiliers,
le tribunal a tenu le raisonnement suivant:

(traduction)

Même si, en général, les exemptions fiscales ne
peuvent être présumées et qu’il importe d’inter-
préter strictement les lois en vertu desquelles
elles sont accordées, Heiner v. Colonial Tr. Co.
275 U.S. 232, 48 S. Ct. 65, 72 L. Ed. 256, la
règle contraire s’applique dans le cas d’exemptions
fiscales garanties aux Indiens par une entente

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établie entre eux et le gouvernement national.

Des dispositions de ce genre doivent faire l’objet
d’une interprétation large; Les expressions
ambiguës doivent être interprétées à l’avantage
des personnes faibles et sans défense qui sont à
la charge de la nation et dépendent de sa protec-
tion et de sa bonne foi.

Eu égard, d’une part, à l’objet évident de l’entente
d’Atoka qui visait à protéger les Indiens du fardeau
de l’imposition en ce qui a trait aux terres qui leur
étaient allouées et, d’autre part)au principe d’éla-
boration applicable, nous croyons que la disposition
selon laquelle « les terres allouées ne sont pas impo-
sables tant que le titre de propriété appartient aux
personnes à qui les terres ont été allouées » ne peut
être considérée comme se limitant uniquement aux
impôts fonciers ou immobiliers, mais doit être
étendue aux impôts prélevés sur les bénéfices
engendrés par l’exploitation d’une partie de leurs
terres, en vertu de leur droit de propriété.

2. Un autre principe fondamental pour l’interprétation des
traités avec les Indiens consiste à interpréter les conditions
d’un traité non pas en fonction du sens technique des mots
mais de la façon dont ils étaient naturellement compris par
les Indiens au moment de la signature.

La Cour suprême, dans Jones v. Meehan 1975 U.S. l, l0-ll
(1899), énumère les raisons pour lesquelles elle adopte ce
principe.

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(traduction)

Dans l’interprétation de tout traité conclu entre les
États-Unis et les tribus indiennes, on doit toujours…
garder à l’esprit que les négociations en vue du
traité sont menées, de la part des États-Unis, nation
puissante et évoluée, par des représentants rompus
à la diplomatie, maîtres d’une langue écrite, qui
comprennent les modes et les formes de la création des
diverses subtilités techniques conformes à leur droit
et qui sont assistés d’un interprète à leur service;
que le traité est rédigé par eux et dans leur propre
langue; que les Indiens, par ailleurs, sont un peuple
faible et dépendant, qu’ils n’ont pas de langue
écrite et ignorent le jargon juridique, et que la seule
connaissance dont ils disposent pour comprendre les
termes dans lesquels le traité est rédigé est celle
qui leur est communiquée par l’interprète, qui est
au service des États-Unis; et que le traité doit par
conséquent être interprété, non pas en fonction du sens
technique que revêt son libellé aux yeux d’avocats
érudits, mais dans le sens dans lequel il serait
normalement compris par les Indiens.

Dans l’affaire Choctaw Nation v. Oklahoma 397 U.S. 620 (1970),
la Cour suprême s’est prévalue de la règle d’interprétation
susmentionnée pour soutenir qu’en vertu de divers traités
(notamment le traité de Dancing Rabbit Creek en 1830 et le
traité de New Echola en 1835 entre les États-Unis et les
Cherokees) et des lettres patentes établies en vertu de ces
traités, les nations cherokee, choctaw et chickasaw ont reçu
le tire de propriété des terres situées sous la rivière Arkansas
en Oklahoma. Ainsi la Cour en a—t-elle décidé et ce, à l’encontre
de l’allégation des États selon laquelle le lit de la rivière
Arkansas n’était pas compris dans les terres accordées aux .
nations indiennes.

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L’Etat prétendait que (traduction) « la rivière Arkansas
ne faisait pas partie des biens accordés aux requérants,
même selon les normes habituelles de la transmission ordinaire
de biens immobiliers puisque, pour un rédacteur expérimenté…
les descriptions des terres, dans les traités, ont pour
effet d’exclure le lit des rivières. » (p. 628).

La Cour a rejeté ainsi la prétention de l’Etat:(traduction)
« On a accordé à l’ensemble des requérants (les tribus indiennes)
un titre inconditionnel à une vaste étendue de terres â
l’intérieur desquelles l’Arkansas trace son cours. On peut
en déduire naturellement que toutes les terres se trouvant
dans cette étendue ont été transmises, y compris les rives
et le lit des rivières » (p. 634). Dans sa conclusion, la
Cour a fait la déclaration suivante:

(traduction)

« Tout ce que l’on peut dire des traités, du point de
vue d’un rédacteur expérimenté, est qu’ils n’ont pas
été bien rédigés. Et, ce qui est encore plus impor-
tant, ces traités ne doivent pas être considérés
comme des actes ordinaires de transmission. Les
nations indiennes ne sont pas allées au-devant—des
Etats-Unis pour conclure avec le gouvernement, en
toute liberté, un échange de terres. Au contraire,
on leur a imposé des traités auxquels ils n’ont
pas eu d’autre choix que de consentir. Par consé-
quent, la Cour a souvent soutenu qu’il fallait
interpréter les traités signés avec les Indiens
comme ces derniers les auraient compris, voir par
exemple, Jones v. Meehan, 175 U.S.0,ll(l899), et
accepter pour toute expression douteuse le sens
qu’ils lui donnent (pp. 630 et 631). » (C’est nous
qui soulignons).

Dans l’affaire United States, v. Shoshone Tribe, 304 U.S. lll
(1938), la Cour suprême a fait droit à la prétention des
Shoshones selon laquelle le libellé du traité du 2 juillet 1863
en vertu duquel une réserve était créée (traduction) « (pour
être) mise de côté en vue d’une occupation absolue et sans
entraves par les Indiens shoshones », incluait un droit de
propriété sur le bois et les minéraux de la réserve.

Dans sa conclusion, la Cour faisait la déclaration suivante:
(traduction)

« L’expression « l’usage et l’occupation absolus et
sans entraves”doit se lire, comme d’autres parties

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du document, en fonction de l’objectif visé par
l’entente, des relations entre les parties et de
la volonté bien connue des Etats-Unis de traiter
équitablement les tribus indiennes. Dans les
traités conclus avec ces dernières, les Etats-Unis
n’ont pas recherché d’avantages pour eux-mêmes,
et les Indiens amis et dépendants ont eu tendance
à accepter sans examen minutieux les modalités
proposées. Les traités ne doivent donc pas être
interprétés rigidement, comme c’est parfois le
cas pour des textes rédigés selon la terminologie
utilisée dans les actes translatifs de propriété,
mais plutôt selon le sens que leur accorderaient
naturellement les Indiens. Worcester v. Georgia,
6 Pet. 515, à la p. 582. Jones v. Meehan, 175 U.S. 1
11. Starr v. Long Jim. 227 U.S. 613, aux pp. 622 et 623.

Le principal objectif du traité était que les
Shoshones possèdent un district donné du pays et
l’habitent de façon permanente. A cette fin, les
Etats-Unis ont accordé et garanti à la tribu, à
perpétuitié, la possession paisible et incondi-
tionnelle du territoire. Les minéraux et le bois
sur pied sont des éléments constitutifs de la terre
même…. Tout comme les transactions entre un
gardien et ses pupilles doivent être interprétées
en faveur de ces derniers, les doutes qui peuvent
surgir concernant la propriété des terres, des
minéraux ou du bois doivent être dissipés en
faveur de la tribu. » (C’est nous qui soulignons).

Dans l’affaire Washington v. Washington State Commercial
Passenger Fishing Vessel Association 443, U.S. 658 (1979),
dont il est fait mention à la page 5, la Cour suprême a
encore une fois appliqué la règle d’interprétation susmen-
tionnée. Dans son interprétation des divers traités qui
accordaient aux tribus indiennes le « droit de pêche aux endroits
habituels… en commun avec tous les habitants du territoire »,
la Cour suprême a soutenu que « en commun avec » signifiait que
les Indiens avaient le droit de prendre de 45 à 50 p. 100 du
poisson plutôt que seulement la possibilité d’en attraper
quelques-uns. En soulignant que « le traité doit être interprété
non pas selon la signification technique que son libellé
peut avoir pour de savants avocats, mais selon ce qu’en com-
prendraient naturellement les Indiens », la Cour suprême a
également déclaré ce qui suit à la page 676:

15

(traduction)

« Il est absolument clair, comme l’a dit le gouverneur
Stevens lui-même, que ni lui ni les Indiens n’avaient
l’intention que ces derniers « soient exclus de leurs
anciens territoires de pêche » et, par conséquent, on
peut concevoir qu’aucune des parties n’a délibérément
convenu d’autoriser les futurs colons, par leur seul
nombre, â retirer aux Indiens tout usage valable de
leurs territoires habituels de pêche. Il est tout à
fait contraire à l’esprit des négociations que chaque
Indien puisse partager une « chance égale » avec des
milliers de colons nouvellement arrivés. Un tel droit,
ajouté aux 207 500 $ versés aux Indiens, n’aurait guère
suffi à compenser les millions d’acres qu’ils ont
cédés au territoire.

Parce que les Indiens avaient toujours exercé le droit
de subvenir à leurs besoins personnels et commerciaux
en pêchant dans les eaux des secteurs régis par les
traités, il est peu probable qu’ils conçoivent la
« préservation » de ce droit comme simplement la chance,
partagée avec des millions d’autres citoyens, de plonger
occasionnellement leurs filets dans les eaux territoriales
(pp. 676 et 677). »

L’interprétation des traités conclus avec les Indiens vise
â satisfaire les attentes raisonnables de la partie la plus
faible et à corriger la position inégale dans laquelle se
trouvaient les tribus au moment des négociations. Dans l’affaire
Tulee X. Washington 315 U.S. 681, aux pp. 684 et 685 (1942), la Cour
suprême a reconnu aux Etats—Unis le devoir d’appliquer les con-
ditions d’un traité telles que les comprenaient les Indiens
lorsqu’elle a déclaré ce qui suit:

(traduction)

« Il nous incombe de faire en sorte que les conditions du
traité soient respectées, dans la mesure du possible,
conformément à la signification que leur accordaient les
représentants des tribus au conseil et dans un esprit qui
reconnaît généreusement l’obligation de la nation à
protéger les intérêts d’un peuple en état de dépendance. »

Enfin, les traités signés avec les Indiens doivent être
interprétés largement en faveur des Indiens. Ce principe a
incité la Cour suprême à étendre à l’ensemble du traité la
règle initiale selon laquelle les termes techniques doivent être
interprétés dans le sens que leur accorderaient naturellement les
Indiens. Dans l’affaire Choctaw Nation and Cherokee Nation v.
State of Oklahoma, 397 U.S. 620 aux pp. 630 et 631 (1970), dont il a été
fait mention ci—dessus, la Cour suprême a dit ce qui suit:

16

(traduction)

« Les nations indiennes ne sont pas allées au-devant
des Etats-Unis pour conclure avec le gouvernement,
en toute liberté, un échange de terres. Au con-
traire, on leur a imposé des traités auxquels ils
n’ont pas eu d’autre choix que de consentir. Par
conséquent, la Cour a souvent soutenu qu’il fallait
interpréter les traités signés avec les Indiens
comme ces derniers les auraient compris… et
accepter pour toute expression douteuse le sens
qu’ils lui donnent. »

On a soutenu que le même principe s’appliquait aux ententes
non fondées sur un traité, comme les ordonnances par lesquelles
le gouvernement a créé des réserves. Dans l’affaire United
States v. Walker River Irrigation District, 104 F. 2d. 334
(l939), qui porte sur des terres mises de côté « aux fins
des Indiens » en vertu d’une ordonnance du gouvernement qui ne
contenait aucune mention expresse des droits relatifs aux
eaux se trouvant sur ces terres, la Cour a souscrit à la
doctrine de Winters pour déterminer que ces droits étaient
préservés. Voici le raisonnement de la Cour à ce sujet:

(traduction)

“Nous ne voyons aucune raison de penser que l’intention
d’établir une réserve doit être prouvée au moyen d’un traité
ou d’une entente. L’adoption d’une loi ou d’un décret mettant
de côté une réserve suffit à indiquer cette intention. Dans
l’affaire Winters, la Cour a insisté sur le traité, mais on
ne retrouvait dans ce document aucune mention expresse de la
préservation des droits relatifs aux eaux. Pour conclure
à l’existence de cette intention, il a fallu tenir compte des
circonstances, de la situation et des besoins des Indiens,
ainsi que du but pour lequel les terres avaient été réservées
(p. 336)… On a toujours interprété en faveur des pupilles
indiens les traités conclus avec eux et les lois en vertu
desquelles des biens étaient aliénés en leur nom. Choate v.
Trapp. 224 U.S. 665, 32 S. Ct. 565, 56 L. Ed. 941; Alaska
Pacific Fisheries v. United States, supra; United States v.
Nez Perce Country, 9 Cir. F. 2d 232. La règle est fondée sur.
l’obligation que le gouvernement a assumée envers un peuple
en état de dépendance. Nous ne voyons aucune raison de ne
pas appliquer la même règle à l’interprétation des décrets
du gouvernement (p. 377). » Voir également Jones v. Meehan,
175 U.S. 1, 11 (1899), dont on a fait mention ci-dessus, et

17

Tulee v. Washington, 315 U.S. 681, aux pp. 684 et 685, dont il
a également été question.

Voir ci-joint copie de toutes les causes dont il est fait
mention plus haut.

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