Joseph Cauchon, l’Union des Provinces de l’Amérique Britannique du Nord (1865)
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Date: 1865
Par: Joseph Cauchon
Citation: Joseph Cauchon, l’Union des Provinces de l’Amérique Britannique du Nord (Québec: l’Imprimerie de Coté et Cie, 1865).
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L’UNION DES PROVINCES
DE
L’AMÉRIQUE BRITANNIQUE
DU NORD
PAR L’HON. JOSEPH CAUCHON
MEMBRE DU PARLEMENT CANADIEN ET RÉDACTEUR-EN-CHEF DU
«JOURNAL DE QUÉBEC»
(Extrait du ajournai de Québec»
QUÉBEC
DE L’IMPRIMERIE DE A. COTÉ ET C ie
1865.
L’UNION
DES
PROVIXCES DE L’AMERIQUE BRITANNIQUE DU NORD,
i.
Aujourd’hui, après avoir étudié sérieusement, à tous ses
points de vue et. dans tous ses résultats probables, autant que
nous avons pu les apercevoir, le projet de confédération, que
nous avons eu la bonne fortune de placer, le premier, devant
le pays, et avoir écouté attentivement les délégués intercolo-
niaux les plus éminents expliquer les motifs qui les ont fait
agir et la signification des divers articles du projet, ce n’est en-
core qu’en tremblant que nous approchons cette question de la
confédération, la plus importante qui ait jamais occupé les
hommes d’Etat et les publicistes canadiens. Et qui ne se sen-
tirait pas inquiet devant tant de responsabilité !
Ce qui se passe, en ce moment, sous nos yeux, ce n’est ni
plus ni moins qu’une révolution, révolution non-sanglante si
vous voulez, mais révolution aussi complète, dans les idées
et dans les choses, que si nous y étions arrivés par le sang et par
le carnage ; c’est la transformation et presque la transubstan-
tiation de nos institutions politiques et sociales. Les éléments
sont bien les mêmes ou à peu près, si vous le voulez, mais ils
sont combinés dans d’autres rapports et dans d’autres condi-
tions d’équilibre. C’est une société nouvelle, assise sur des
bases nouvelles et ayant un principe de vie différent ; société
plus large formée de petites sociétés, isolées jusque là les unes
des autres par le langage, la religion, les mœurs et la nature
même des institutions, et que, pour des causes diverses, l’on
essaie de grouper ensemble afin d’en former une nation. C’est
donc une question grave, s’il en fût jamais, et qui commande
impérieusement le patriotisme, l’étude et la méditation.
En 1840, après la suspension temporaire de l’acte de 1791,
l’Angleterre nous donnait une constitution nouvelle. L’on se
rappelle les angoisses et les appréhensions douloureuses de
notre population, à cette époque mémorable, Mais, alors, nous
n’eûmes pas, nous Canadiens, voix consultative dans les conseils
du souverain ; nous ne fûmes donc ni solidaires ni responsables
de cet acte conçu dans l’injustice. Nous ne pouvions l’être,
tout au plus, dans une certaine mesure, que des antécédents
historiques qui nous avaient conduits jusque là.
Maintenant les rôles sont changés. Non-seulement nous
avons voix consultative, mais encore l’Angleterre nous laisse,
à nous, les intéressés, liberté de faire, de défaire et de recons-
tituer à volonté nos destinées. Ce pouvoir, sans limite à peu
près, a créé pour nous des devoirs en proportion et une res-
ponsabilité correspondante^ qui nous imposent l’obligation de
parler et d’agir avec prudence, avec sagesse et avec mesure.
Au milieu de nos débats et de nos luttes intérieures pour la
prépondérance, n’oublions pas qu’il y a la responsabilité de
repousser comme il y a celle d’accepter, et que l’homme qui,
pour combattre le projet, se placerait au point de vue des in-
térêts des personnes ou des partis, serait aussi coupable que
celui qui se mettrait au même point de vue pour l’approuver.
La voix du publiciste doit s’épurer dans le devoir, dans la
responsabilité et dans la gravité des choses ; elle doit domi-
ner la voix des partis et planer librement au-dessus de toutes
les affections et de toutes les antipathies personnelles, parce
que si les hommes et les partis peuvent mourir, la nation
restera avec les destinées que nous lui aurons faites, et nos
noms, suivant que ces destinées seront bonnes ou mauvaises,
arriveront à la postérité dans la bénédiction ou dans la haine.
N’oublions pas que, si c’est nous qui faisons l’histoire, ce
n’est pas nous qui l’écrivons, et qu’ainsi nous aurions bien
tort de mettre de côté la sagesse, la justice, la vérité et le
bonheur de la nation, pour servir une affection, assouvir une
.haine, ou assurer un triomphe passager.
— 5 —
Arrêtons-nous, un instant, pour mesurer la distance énorme
parcourue entre l’époque de 1840 et les jours de 18G4. Quel
pas immense nous avons fait vers la liberté politique ; quelle
conquête éclatante sur le despotisme et P oligarchie, à la suite
des événements lugubres et sanglants qni semblaient devoir
nous conduire à de tout autres destinées !… Comment donc
avons-nous ainsi transformé, en un principe de vie, nos
instruments de supplice et de servitude ? Comment ? Par
notre sagesse, notre modération, notre justice et la générosité
de nos principes !
Il y a donc lieu de remercier la providence pour le passé et
de ne pas désespérer pour l’avenir, car, s’il y eût une époque
capable de nous décourager, ce dût être assurément celle où
les passions irritées et débordantes dressaient des échafauds
et immolaient des victimes, et où le despotisme, dans un but
d’oppression, constituait l’égalité représentative dans l’inéga-
lité numérique.
Nous parlions, il y a un instant, de nos craintes ; elles ne
sont pas nouvelles. Dès le 2 juillet, nous disions, sous l’im-
pression d’un sentiment facile à comprendre: a Depuis le
commencement de la dernière crise ministérielle, la foudre
est tombée deux fois sur notre planète politique et les éclats
en retentissent encore au fond des consciences! Celles-ci
craignent, doutent, hésitent et demandent la lumière dans la
nuit profonde. Elles ignorent si le sentier obscur et âpre,
qu’elles suivent, en ce moment, les conduit à l’abîme ou au
salut. Ces violentes secousses sont-elles les précurseurs de
commotions plus terribles encore ou auront-elles l’effet
d’éclaircir et de rasséréner l’atmosphère? Yoilà la question
qui s’échappe de toutes les bouches.
« L’on peut souvent rompre sans danger les alliances ;
mais on ne brise pas aussi facilement et aussi impunément les
constitutions, et Dieu sait ce que peuvent porter dans leur sein
de bonheur et de ruines celles qui nous sont réservées.»
Avant d’aller plus loin, non pour récriminer, mais pour
— 6 —
écrire l’histoire el nous préparer à ce qui va suivre, passons
rapidement en revue les événements qui ont amené la conven-
tion de Québec. Nous ne ferons, pour ainsi dire, que répéter
ce que nous écrivions il y a plusieurs mois.
En 1848, quand le cabinet McDonald-Cartier résigna sur la
question du siège du gouvernement, M. Brown fut chargé de
former un cabinet, qui ne dura, on le sait, que deux jours,
mais qui vécut assez pour jeter sa semence de malheur dans
le sol politique. 3VL Dorion lui concéda le principe de la
représentation appuyée sur le nombre !
Ne nous demandons pas, pour le moment, s’il eût un objet
personnel dans cette concession funeste et contentons -nous
de constater ses motifs parlés. Il disait, en chambre, le 6
juillet 1858:
j L’honorable député de Brockville, le maître-général des postes, le Prési-
dent de la chambre et d’autres députés qui représentent des comtés bas-ca-
nadiens dans le parlement actuel, ont déjà voté pour la représentation basée
sur la population. Avant longtemps, il deviendra impossible de résister à la
demande du Haut-Canada à cet égard. Si la représentation basée sur la po-
pulation ne lui est pas accordée maintenant, il l’obtiendra infailliblement
plus tard, mais alors sans aucune garantie pour les Canadiens-Français.
» L’abrogation de l’Union, l’Union Fédérale, la représentation basée sur la
population ou quelque autre grand changement constitutionnel doit, de toute
nécessité, avoir lieu, et, pour ma part, je suis disposé à examiner la question
de la représentation basée sur la population pour voir si elle ne pourrait pas
être concédée avec des garanties pour la protection de la religion, de la
langue et des lois des Bas-Canadiens. Je suis prêt pareillement à prendre
en considération le projet d’une confédération, lequel laisserait à chaque
province l’administration de ses affaires locales, comme, par exemple, le
pouvoir de décréter ses propres lois civiles, municipales et d’éducation, et,
au gouvernement général, l’administration des trdvaux publics, des terres
publiques, du département des postes et du commerce
« Quand le pays était gouverné par un parti puissant, ces maux n’exis-
taient pas. Que les partis se forment donc sur des principes distincts, sur
la protection d’un côté, sur le commerce libre de l’autre ; qu’ils soient en
faveur de la réciprocité, d’un côté, et, contre la réciprocité, de l’autre; et
qu’un gouvernement fort prenne alors les rênes et accorde au Bas-Canada
ce qui est juste et au Haut-Canada ce qui est juste. Si l’on fait cela le
pays sera mieux gouverné qu’il ne l’est aujourd’hui. Et, avec un gouver-
nement fort, ainsi formé, on ne verra plus la même opposition du Bas-
— 7 —
Canada à un principe juste en lui-même, celui de la représentation basée sur
la population.!
Il disait encore, le 3 mai 1860 :
« J’avertis les députés du Bas-Canada que, lorsque le temps viendra, toute
la représentation du Haut-Canada s’unira et obtiendra la représentation
basée sur la population avec l’aide des députés des townships de l’Est.
Je regarde l’union fédérale du Haut et du Bas-Canada comme le noyau de
la grande confédération dos provinces de l’Amérique du nord que j’appelle
de mes vœux. En concluant, je dois dire que je voterai pour la résolution,
parce que c’est le seul moyen qu’aient les deux provinces de sortir de leurs
difficultés actuelles. Je crois que l’union de toutes les provinces viendra
avec le temps. »
La chute du cabinet Brown-Dorion fit arriver au pouvoir,
comme ministre des finances, M. Galt, qui avait fait un dis-
cours en faveur de la confédération des Provinces, en 1857.
Pour obtenir les services de ce grand financier, l’on crut
devoir lui faire des concessions qui sauvassent ses antécédents
et sa dignité personnelle.
C’est à cela qu’il faut attribuer la dépêche de 1858, qui a
servi de base au comité constitutionnel de M. Brown et quasi
de fondement au dernier cabinet.
Le gouvernement impérial ne répondit pas à cette dépêche ;
mais le germe de la confédération, jeté dans le sol par la
même main, à côté de celui de la représentation basée sur la
population, continuèrent de s’y développer ensemble, avec
des chances diverses de succès, jusqu’à ce que le premier,
favorisé par des causes qu’il serait trop long d’expliquer ici,
ait fini par étouffer l’autre dans l’étreinte de ses tiges plus
vigoureuses.
M. Dorion fut donc le père français de la confédération des
Provinces, dans la chambre, comme il l’avait été de la repré-
sentation basée sur la population ; c’est ce qu’écrira, c’est
ce qu’a déjà écrit l’histoire.
Si vous mesurez la distance parcourue depuis 1851, vous
verrez que la majorité du Bas-Canada a fait noblement son
devoir. Jamais lutte ne fut plus acharnée entre les partisans
et les adversaires d’une cause. Pour nous faire fléchir, on
— 8 —
employa la menace et la terreur ; on nous menaça de la
guerre civile, de l’invasion étrangère et de l’intervention de
l’Empire. Nous étions divisés entre nous, nous entre-dé-
chirant comme des ennemis, et le peu de force qui nous restait
n’était homogène ni d’origine, ni de langue, ni de mœurs, ni
de religion, ni de sentiment, ni d’intérêt. Et, pourtant, avec
tous ces désavantages, tous ces formidables obstacles, jus-
qu’ici nous avons tenu bon contre l’orage et heureusement
conjuré la tempête.
Quelle responsabilité pèse donc sur la tête de ceux qui, pour
un motif quelconque, nous ne voulons pas accuser, dans l’exa-
men d’une question aussi sérieuse et aussi pleine d’incerti-
tudes ; quelle responsabilité pèse donc sur la tête de ceux qui,
en entamant la phalange nationale, nous ont conduits où nous
sommes aujourd’hui ! Le danger pour nous, — qui ne le sait
pas ? — n’est pas dans l’hostilité du Haut-Canada ; il est tout
entier dans nos tristes divisions et dans ce malheureux esprit
de parti qui nous fait oublier les choses les plus graves et les
plus saintes pour ne nous occuper que des personnes.
IL
Nous sommes arrivés à l’époque décisive. Le cabinet
Taché-Macdonald, qui ne comptait guères qu’un mois et demi
d’existence, succombait, le 14 juin, dans des circonstances
connues de tous, et, le jour suivant, demandait, au Gouverneur-
Général, le pouvoir de dissoudre le Parlement et d’en appeler
au peuple. Yoici comment M. J. A. Macdonald racontait à la
Chambre, le 17 juin, la situation faite au cabinet par le vote
du 14, et le résultat du conseil donné à lord Monck par ses
ministres :
« En considérant l’état des partis dans cette chambre, l’égalité qui existe
entre les forces du gouvernement et celles de l’opposition et la très grande
grande probabilité qu’on ne pourrait former, avec la Chambre, telle qu’elle est
actuellement constituée, un cabinet capable d’y commander à une majorité,
nous avons cru qu’il était de notre devoir de conseiller au gouverneur gé-
néral de faire un appel au peuple après l’adoption des mesures d’urgence.
— 9 —
Son Excellence nous a fait connaître, ce matin, qu’elle acceptait notre avis
et nous a permis de dissoudre le Parlement, en nous donnant, à cet égard,
carie blanche.
i Depuis le vote de mardi jusqu’à ce moment, le gouvernement a sérieuse-
ment médité sur les questions très graves qui divisent les partis, en Canada,
et la convenance d’éviter, si la chose est possible, la mesure extrême d’une
dissolution. (Ecoutez, écoutez). Dans cette vue, et alin de voir s’il n’y
aurait pas quelque moyen de résoudre les difficultés qui ont été soulevées
dans ce pays, surtout entre le Haut et le Bas-Canada, nous avons cru qu’il
était de notre devoir de conférer aujourd’hui avec les principaux membres
de l’opposition, pour s’assurer s’il n’était pas possible de s’entendre sur un
plan par lequel nous poumons obtenu une majorité capable de commander
aux deux Provinces. Nous n’avons pas été en position de le faire avant aujour-
d’hui ; mais nous avons eu une conférence avec les honorables messieurs
de la gauche, et le progrès que nous avons fait est tel que je crois qu’il y
aura moyen de résoudre les difficultés sans le recours à la dissolution.
(Ecoutez ! écoutez ! et applaudissements). Cette démarche est très-grave,
je le sais. La considération en est très-grave elle-même et requiert un mûr
examen. La Chambre ne sera donc pas surprise si je lui demande de
s’ajourner jusqu’à lundi, afin qu’il puisse y avoir conférence minutieuse
entre les principaux chefs des deux partis. Je dois dire que le monsieur
avec qui j’ai conféré est l’honorable député de South-Oxford. (Ecoutez,
écoutez ! ) »
Depuis la chute du gouvernement Cartier-Macdonald, arrivée
au printemps de 1862, nous avions vu trois cabinets se succé-
der sans promettre, à ceux qui devaient les suivre, un sort plus
heureux : le cabinet Macdonald-Sicotte, le cabinet Macdonald-
Dorion et le cabinet Taché-Macdonald, et, après une élection
générale, les forces des deux partis étaient restées à peu près
égales. La majorité, (majorité d’une ou deux voix) allant
alternativement de droite à gauche et de gauche à droite, pa-
ralysait complètement l’administration et la législation. Ele-
vant, aujourd’hui, les hommes publics sur le pavois pour les
en faire descendre demain, à l’instar des armées romaines
aux jours de la décadence de l’empire, elle précipitait néces-
sairement l’époque fatale de l’enraiement de tout le système
gouvernemental.
Les efforts faits par sir Etienne-Paschal Taché pour recru-
ter son cabinet, dans la majorité haut-canadienne avaient été
vains, et nul autre moyen qu’une seconde dissolution, à dix
— 10 —
mois de la première, ne pouvait briser cet équilibre déplorable
entre les forces des deux partis.
Mais cette mesure extrême aurait-elle réussi % Nous l’igno-
rons ? S’il est certain qu’elle eût augmenté la force numérique
du parti libéral-conservateur, en Bas-Canada, il n’est pas sûr
qu’elle ne l’eût pas diminuée proportionnellement, en Haut-
Canada, etqu’on n’eût pas vu, après l’élection, le triste spectacle
des deux provinces rangées en bataille l’une contre l’autre !
Dans tous les cas, les chefs des deux partis craignaieut éga-
lement ce résultat, et, à la suite de fréquents ajournements et
de longs pourparlers, ils arrivèrent à la conclusion que nous
connaissons tous.
Nous disions, le 18 juin 1864 : « Cette coalition (car il n’était
encore question que de coalition) vaut mieux qu’une élection,
si la moralité des hommes publics n’en souffre pas, si elle n’é-
branle pas la foi du peuple en ses hommes d’Etat ; si, en un
mot, la crise politique, entre les deux provinces, était arrivée
à ce point de gravité qu’elle imposait, aux mandataires du
peuple, le devoir, pour la conjurer, de faire taire les opinions
et les antipathies personnelles, pourvu que l’honneur fût sauf:
salus populi suprema lex ! C’est au moins l’opinion de M.
Brown, ce constant ennemi du Bas-Canada, que nous avons
combattu avoc non moins de constance, on le sait, à cause de
ses haines, de ses antipathies, de ses préjugés et, surtout, de
ses projets de domination sur le Bas-Canada
» Quoiqu’il en soit des motifs et des causes de ce singulier
rapprochement d’hommes, et, bien que nous eussions eu peur
de la tenter nous-mêmes, nous attendons cordialement nos
amis à l’épreuve, avant de dire qu’ils ont eu tort, et nos sym-
pathies sont avec eux, parce que leur patriotisme nous est
connu et que leur tâche est difficile.
» Attendons, au reste, le développement des négociations
pour pouvoir les apprécier plus sûrement. »
Et nous terminions notre article en disant: & Nous pouvons
— 11 —
ici parler avec d’autant plus de liberté que rien ne nous affecte
individuellement dans ce culbutis étrange des événements et
des positions personnelles. S’il tourne à bien, nous nous ré-
jouirons sérieusement et cordialement avec nos amis ; s’il
tourne à mal, nous leur donnerons notre faible secours pour
leur aider à conjurer le danger. »
Nous avons depuis consciencieusement tenu parole, malgré
toutes les provocations, ne condamnant pas, mais aussi n’ap-
prouvant pas sans connaître. Mais l’heure de l’attente est
passée.
Nous avons, à l’égard de la confédération, nos antécédents
et nos convictions de 1858. Qu’on ne s’imagine pas que nous
désirions faire oublier des opinions consciencieusement émises
et consciencieusement méditées ! Non, nous voulons, au con-
traire, qu’on s’en souvienne et, qu’en comparant les raisonne-
ments et les circonstances, l’on sache pourquoi nous les chan-
geons, si nous les changeons, et pourquoi nous les maintenons,
si nous les maintenons.
Nous tenons à notre dignité personnelle contre laquelle, du
reste, ne milite aucun intérêt ; mais, comme l’erreur est pos-
sible et fréquente en tout état de cause, ce sentiment de la di-
gnité. personnelle serait absurde s’il se posait en obstacle sur
le chemin de la vérité. Les meilleurs esprits ont souvent payé
tribut à la défaillance, et, comme l’infaillibilité est loin d’être
un caractère essentiel de l’entendement humain, c’est même
manquer de dignité et de probité que de persister à rester dans
l’erreur pour ne pas se contredire et ne pas s’avouer faillible.
Si nous parlons ainsi, ce n’est pas que nous désirions aban-
donner, sans examen, des convictions profondes et sincères ; %
nous voulons, au contraire, y tenir jusqu’à preuve d’erreur.
Mais, si on nous demande de reconsidérer une question aussi
capitale que celle de la confédération, avons-nous le droit de
répondre comme l’Indien : « J’ai dit. »
Oui, nous disions, il y a six ans, notre opinion sur des hy-
pothèses, et, aujourd’hui, nous avons à la dire sur une réalité,
et dans des circonstances bien autrement solennelles. Alors
— 12 —
nous pouvions nous taire ; aujourd’hui, le devoir nous com-
mande de parler.
En 1858, ainsi que nous le disions alors, « nous n’avions
sous les yeux aucun fait saisissable, aucun projet digéré qui
pût servir de base à la discussion, et nous fûmes forcément
obligé d’asseoir celle-ci sur des hypothèses. » Ces hypothèses,
nous les multipliâmes au nombre de vingt-sept, couvrant l’U-
nion une et l’Union fédérale. Nous pensions que ce toute la
question se trouvait résumée dans ces vingt-sept hypothèses,
et que dans elles résidait la solution du problême tout entier.»
Mais les travaux du comité constitutionnel de M. Brown, l’é-
tude, l’expérience, la méditation et, enfin, la lecture du projet
de la convention de Québec, nous ont convaincu surabondam-
ment que ces vingt-sept hypothèses ne renfermaient pas toutes
les formes constitutionnelles et fédérales possibles. Faudrait-
il donc, pour ne pas nous contredire et par un sentiment d’or-
gueil mal entendu, tenir à une erreur aussi capitale ?
Aujourd’hui, nous avons, pour nous guider dans notre exa-
men, un projet tangible, saisissable, et si nous nous égarons
ce ne pourra être que dans la manière de l’apprécier, car les
faits sont jalonnés sur notre route pour nous guider jusqu’au
bout.
N’avions-nous pas raison de répéter à ceux qui voulaient
condamner sans entendre et sans connaître : Attendez pour
juger?
Parmi les principes émis alors comme absolus, il y en a qui
tombent aujourd’hui d’eux-mêmes, parce qu’ils sont en dé T .
saccord avec les faits et que nous posions des règles trop in-
flexibles et trop étroites à l’initiative des hommes d’Etat. Il
en est d’autres qui fléchissent devant des circonstances impé-
rieuses et que l’on doit considérer non pas absolument, mais
au point de vue de ces circonstances. La doctrine du périsse
la pairie ‘plutôt qu’un principe des Girondins, qui allaient mon-
ter sur l’échafaud, est absurde et en contradiction directe avec
ce principe fondamental du droit public : Le salut du peuple
— 13 —
est la loi suprême! On ne comprend pas ci on ne pratique pas,
dans le gouvernement des peuples, les principes qui tuent.
Il est d’autres principes enfin, qui ne datent pas et qui,
quoiqu’il arrive, restent dans leur inflexibilité et dans leur
éternité, parce qu’ils s’attachent à des faits et qu’ils ont pour
essence la vérité.
Expliquons-nous. Nous disions, par exemple, en 1858,
« que les provinces maritimes avaient poussé elles-mêmes le
cri de confédération, parce qu’elles n’avaient rien, ne pou-
vaient rien par elles-mêmes et voulaient tailler leurs budgets
dans le revenu du Canada. » Or, les bases mêmes de la
coalition du mois de juin donnent un démenti direct à notre
assertion de 1858, et personne n’ignore aujourd’hui que le
« cri de confédération » a été poussé par nous et non par les
provinces atlantiques, et que les ressources financières de
celles-ci sont, proportionnellement à leurs populations res-
pectives, pour le moins aussi florissantes que les nôtres.
Nous disions encore, en 1858 : « Avec le principe fédéral,
les petites et les grandes provinces pèseront d’un poids égal
dans la législature unique (générale), la petite île du Prince
Edouard autant que les douze cent cinquante mille habitants
du Bas-Canada. » Or, on a groupé, dans le projet, trois pro-
vinces ensemble pour leur donner, dans la haute chambre,
collectivement, le même poids que le Bas-Canada, et la petite
île du Prince Edouard ne compte, dans ce groupe, que pour
quatre voix sur vingt-quatre.
Nous disions enfin : « Que les taxes directes, par les légis-
latures sectionnaires, seraient une nécessité absolue du fédé-
ralisme dans la condition coloniale. » Or, le projet prouve
contre cette nécessité absolue, puisqu’on y a laissé aux gou-
vernements locaux, non-seulement le revenu nécessaire à
leur fonctionnement, sans le recours aux taxes directes, mais
encore un surcroît qui leur permettra de payer leurs dettes
locales, peu considérables, dans un temps donné, et d’effectuer
encore ces améliorations qui, bien qu’on les appelle locales,
— 14 —
n’en sont pas moins la source et le principe de la prospérité
nationale.
Maintenant, si, malgré notre antipathie, pour une confédé-
ration quelconque, celle-ci nous était imposée par l’empire des
circonstances ; si nous avions, par exemple, forcément à
choisir entre l’annexion aux Etats-Unis et la confédération des
provinces ou, même entre celle-ci et la représentation basée
sur la population, dans une union purement législative, avec le
Haut-Canada ; si, enfin, cette confédération était absolument
devenue nécessaire pour la protection commune et que, le
voulussions-nous, nous ne pussions rester isolés dans notre con-
dition toute d’exception, pense-t-on que nous dussions tenir
inflexiblement à une opinion, ou appuyée sur des hypothèses
ou produite dans des conditions d’existence toute différente ?
Quant à la troisième catégorie, celle des principes absolus,
nous n’avons pas besoin de l’établir par des exemples, elle
s’explique assez d’elle-même. Nous aurons, du reste, plus
d’une fois occasion d’en rencontrer dans le cours de cet
examen.
m.
Suivant nous, la question se pose dans les termes sui-
vants :
1° En acceptant, dans l’alliance avec M. Brown, la confé-
dération soit des deux Canadas, soit de toutes les provinces
de l’Amérique^ Britannique du Nord, nos ministres étaient-ils
mus par le sentiment du devoir ou par le seul désir de se
maintenir au pouvoir?
2° Etait-il possible de maintenir toujours l’Union dans ses
conditions actuelles?
3° L’époque favorable pour retoucher la constitution et la
replacer sur d’autres bases était-elle arrivée ?
4° En supposant qu’il nous fût possible de maintenir intacte
l’Union actuelle, devrions-nous y persister ou rechercher, dans
un ordre de chose différent, des destinées plus grandes ?
-15-
5° Pourquoi l’Union, une ou fédérale, de toutes les provinces-
de l’Amérique Britannique du Nord ?
6° Laquelle doit-on préférer ? L’Union une ou fédérale ?
7° Où se trouverait le plus de protection pour le catholi-
cisme, la nationalité française et généralement les institutions
et les intérêts matériels du Bas-Canada ? Dans le projet de
constitution de la convention de Québec ? Dans l’Union fédé-
rale des deux Canadas? Ou dans l’Union actuelle?
8° Si l’époque favorable, pour retoucher la constitution était
arrivée, ceux qui se sont chargés de ce travail ont-ils donné
à la question la meilleure solution possible, dans les circons-
tances ?
i 1° En acceptant, dans l’alliance avec M. Brown, la confédération soit
des deux Canadas, soit de toutes les provinces de l’Amérique Britannique
du Nord, nos ministres étaient-ils mus par un sentiment du devoir ou par le
seul désir de se maintenir au pouvoir ? »
Lorsque le gouvernement venait annoncer qu’il était en
communication avec M. Brown et, plus tard, qu’il avait con-
tracté, avec lui, une alliance sur la base de la confédération,
nous eûmes, on le sait, nos craintes et nos hésitations, et nous
fîmes nos réserves. Après avoir raconté toutes les circons-
tances difficiles où se trouvait le cabinet et tous les motifs qui
pouvaient le rapprocher d’un ancien ennemi, dans les condi-
tions proposées, nous ajoutions : « Et pourtant, à la place de
nos amis, nous eussions hésité devant l’épreuve. »
Mais ce n’était pas manque de foi dans les hommes, c’était
doute sur le résultat de l’épreuve ; car nous disions, dans
notre article du 2 juillet, écrit tout au long, sous l’impression
pénible du même sentiment :
« Le Cabinet, à la suite de plusieurs conférences avec M.
Brown, s’est engagé à soumettre, aux Chambres, un projet de
constitution qui, dans la Législature fédérale, aura pour fon-
dement Y Etat et le nombre, l’état en haut, le nombre en bas.
» Ce système complexe de constitutions, qu’il ne connaît
pas encore plus que nous-même, dans ses grandes lignes et
— 16 —
ses détails essentiels, ses rapports entre les diverses législa-
tures, les attributs divers de ces législatures, et, en un mot,
dans tout ce qui peut affecter, en quelque chose, notre
situation politique et sociale ; ce projet, il l’élaborera soi-
gneusement, prudemment et patriotiquement, pour le bien de
tous, et puis, il le soumettra aux épreuves les plus rigoureu-
ses de la discussion dans la presse et dans les chambres. »
Si nous n’avions pas cru au patriotisme et au désintéresse-
ment des hommes, nous eussions tenu un tout autre langage,
car, à côté de nos craintes, se trouvait, pour nous, tout un
passé qui les fortifiait et qui se dressait debout contre l’idée
nouvelle surgie spontanément d’une crise politique. Cepen-
dant, ainsi que nous l’avons répété aussi souvent que l’occa-
sion s’en est présentée, cette foi dans les hommes ne devait
aller pour nous que jusqu’à permettre l’épreuve, car, celle-ci,
nous nous réservions de la juger dans la plus parfaite indé-
pendance, sans regarder ni à droite, ni à gauche, ni en haut,
ni en bas,
IV.
« 2° Etait-il possible de maintenir toujours l’Union dans ses conditions
actuelles? >
Si nous acceptions l’opinion de M. Dorion, la réponse serait
facile ; nous dirions : non. Mais, comme, à toutes les épo-
ques, nous avons énergiquement protesté contre tout change-
ment et que, par un sentiment presque superstitieux de
crainte, nous en avons systématiquement chassé jusqu’à l’idée
de notre esprit, aujourd’hui, qu’il nous faut regarder la chose
en face, nous avons besoin de méditer et d’examiner soigneu-
sement autour de nous pour arriver à la solution que nous
cherchons.
Nous repoussions les changements constitutionnels quand
ils nous étaient offerts par des Bas-Canadiens, dans la repré-
sentation basée sur la population, en 1848 ; nous les repous-
sions, dans l’annexion offerte par les républicains et les mar-
— 17 —
chands banqueroutiers, en 1849 ; nous les repoussions, en
1851 et en 1854, quand c’étaient les radicaux du Haut-Cana-
da qui nous les offraient; nous les refusions en 1857, des
mains de M. Galt, le ministre des finances d’aujourd’hui ;
nous les rejetions avec indignation, en 1858, quand MM.
Brown et Dorion voulaient nous imposer la représentation ba-
sée sur la population ; nous les refusions, avec le même dé-
dain, de la main des mêmes hommes, en 1859, 60, 61, 62 et
63. « To be or not to be, » c’est là la question, disions-nous
alors aux Haut-Canadiens, dans le langage puissant de Shakes-
peare. C’est pour nous la question de vie et de mort ! Vous
dites : « Yous ne serez pas, » et nous répondons : « Nous
serons ! » Nous serons inoffensifs, justes, tolérants, généreux,
mais nous serons !
« Ne nous demandez pas la représentation basée sur la po-
pulation, car, nous la demander, c’est nous demander la vie,,
et nous ne voulons pas mourir ! »
Quand nous parlions ainsi, nous étions une phalange serrée-
et profonde. Adossés à la représentation britannique du Bas-
Canada, nous avions, pour nous protéger, sur le devant et sur
les côtés, des auxiliaires puissants, en Haut-Canada. Pour le
Bas-Canada, c’était un combat pour la vie, et pour le Haut –
Canada, une lutte de partis. Pendant que la phalange bas-
canadienne restait intacte, nos amis haut-canadiens s’amoin-
drissaient, chaque jour, en combattant pour nous, parce qu’on
les accusait de sacrifier les intérêts des leurs au profit de ceux-
des nôtres.
Durant tout ce temps, la population du Haut-Canada, favo-
risée par la double immigration Européenne et Américaine,,
augmentait dans des proportions propres à y faire grandir le
désir d’une représentation proportionnelle. Ce désir, se chan-
geant en hostilité et presqu’en haine contre nous, avait fini
par nous enlever la plupart des Haut-Canadiens, qui nous
avaient toujours été fidèles, et par constituer le Haut-Canada
en un camp ennemi.
B
— 18 —
D’un autre côté, les représentants bas-canadiens d’origine
Britannique, qui ne pouvaient pas avoir le môme attachement
que nous pour nos institutions, notre langue et notre nationalité,
et qui avaient des idées différentes sur la question de la représen-
tation, se fatiguaient de cette lutte incessante et systématique
entre les deux provinces et menaçaient de lâcher prise. Dans
ces derniers temps, ils ne cachaient leur sentiment à cet
égard, ni dans les causeries intimes ni même dans les discours
publics. Ces hommes tenaient dans leurs mains la balance
entre le Haut-Canada et nous, et ils pouvaient, au moment
donné, changer l’équilibre représentatif, si non par un acte
législatif, du moins par un appel au Parlement de l’Empire.
Tout cela se sentait, se voyait, à tous les moments du jour,
dans l’impuissance de l’administration et dans la paralysie
presque complète de la législation. L’équilibre entre les haines
et les antipathies opposées était tel qu’il suffisait, le plus sou-
vent, du déplacement d’une voix pour opérer le jeu de bascule,
jeter le pouvoir à terre et arrêter court, au détriment de la
chose publique, le fonctionnement du système parlementaire.
Cet état de choses déplorable mettait en jeu toutes les pas-
sions, toutes les ambitions, petites et grandes, et faisait naître,
en bas et en haut, des exigences injustes, souvent absurdes.
Comme elles étaient nombreuses et qu’elles ne pouvaient toute
être satisfaites, elles réagissaient sur le pouvoir, presque tou-
jours trop faible pour leur résister, et l’écrasaient sous leur
poids. Aussi voyez : il y eût deux crises ministérielles en
1854, une en 1856, une en 1857, deux en 1858, une en 1862,
une en 1863, et deux en 1864 !
C’était sous la forte impression de toutes ces choses et sous
le coup même de la dernière crise ministérielle et des expli-
cations, qui laissaient entrevoir la coalition et ses conséquences,
que nous disions, ému, le 18 juin : « Il y a tant et de si hauts
enseignements dans ces quelques explications, tant et de si
sévères leçons données à l’ambition sans entrailles et sans
patriotisme, tant et de si grandes espérances soudainement et
— 19 —
à jamais brisées, tant de calculs déçus, tant d’intrigues et de
manœuvres sans profil, des revers de fortune si subits et si
inattendus et des transformations si étranges, que députés et
public en furent comme étourdis I
» Mais on aurait dit que c’était la solution désirée ou néces-
saire, car elle fut accueillie avec enthousiasme par la grande
majorité de la chambre, qui applaudit avec frénésie, et par les
galeries, qui étaient littéralement encombrées et qui exprimè-
rent leur approbation le plus bruyamment qu’elles le purent.»
Pouvions-nous donc persister à vouloir perpétuer un état de
choses qui durait, déjà depuis dix ans, dans des conditions pro-
gressivement aggravantes, et auquel nous ne pouvions prévoir
d’autre terme qu’une funeste collision où, avec des forces de
résistance inégales, nous pouvions difficilement compter sur la
victoire ?
Devant ces faits, devant cette perspective évidente, devant
cette nécessité absolue et dominante, devions-nous toujours
dire : « Non! Jamais ! » comme par le passé? Et, si nous
sentions le besoin comme le devoir de résister toujours aux
changements constitutionnels, qui nous étaient présentés par
MM. Brown et Dorion, pouvions-nous, consciencieusement,
devions-nous refuser de rechercher, puisque nous ne pouvions
garder le nôtre, un autre mode de constitution qui put abriter
en sûreté nos institutions, notre langue et nos lois ?
Nous concluons donc en disant: il n’était pas possible de
maintenir toujours l’union dans ses conditions actuelles.
Y.
i 3° L’époque favorable pour retoucher la constitution et la replacer sur
d’autres bases était-elle arrivée ? i
S’il est vrai, ainsi que nous pensons l’avoir prouvé dans
notre dernier article, que le moment approchait où tout gou-
vernement et toute législation allaient être impossibles, nous
pourrions répondre de suite : Si ce n’était pas l’époque favo-
rable c’était au moins l’époque nécessaire.
— 20 —
Mais il y a d’autres considérations qui devaient nous porter
à décider que le temps favorable était venu et que, retarder la
solution d’une chose aussi importante, c’était courir un risque
sérieux et accepter une grave responsabilité.
Les hommes publics des deux partis étaient épuisés par la
lutte et découragés par la triste perspective de nos tiraillements
éternels. Dans la lassitude, ils soupiraient après une solution
quelconque. Ils n’aimaient pas à s’avouer tout-à-fait épuisés
et vaincus et à admettre qu’ils avaient fait fausse route ; mais
ils offraient de se rencontrer à mi-chemin, pour sauver leur
dignité personnelle et échapper à l’humiliation des aveux. Ils
étaient donc mûrs pour les compromis et disposés à entrer lar-
gement dans la voie des concessions, qu’en d’autres temps ils
eussent repoussées avec dédain et même avec indignation.
Pour s’en convaincre, que l’on se rappelleles circonstances
dans lesquelles avait lieu la coalition Taché-Macdonald-
Brown. Après le vote du 14 juin, la crise ministérielle se
prolongeait sans issue apparente. Le cabinet avait demandé,
le matin du 15, le pouvoir de dissoudre les chambres ; mais
la réponse du gouverneur-général, qui se faisait attendre, in-
quiétait les esprits et donnait lieu à toutes les conjectures.
Les espérances des chefs ou de eeux qui ambitionnaient de
l’être montaient et baissaient, d’heure en heure, comme les
cottes à la Bourse. Les aspirations, surgissant sur tous les
points, se gourmaient et se cabraient comme des coursiers im-
patients du frein et prestes à la course, et les exigences de
tous poussaient fatalement vers une dissolution dont le ré-
sultat, incertain pour tous, n’était désiré par personne. Au
moment, où l’on venait de sortir d’une épreuve électorale coû-
teuse, qui n’avait rien décidé, l’on craignait que la seconde
épreuve, plus difficile et plus coûteuse peut-être, ne fût pas
plus décisive que la première.
Ge fut dans ces circonstances que M.Brown, s r adressant sans
détour à deux des amis du Cabinet r leur dit qu’il était prêt à
— bi-
donner main-forte à ce dernier, dans la crise actuelle, pourvu
qu’on lui promît quelques changements constitutionnels :
« Je n’insisterai pas. disait-il, sur la représentation basée sur la popu-
lation, je me contenterai de la promesse que l’on s’occupera sincèrement de
la confédération des deux Canadas ou de celle de toutes les provinces de
l’Amérique du Nord. »
Les ministres, qui ne pouvaient prévoir l’issue du conseil
donné au chef de l’Etat, deux jours auparavant, ni celle de
l’élection générale, qui pouvait en sortir, et qui n’apercevaient,
dans l’avenir, aucune solution aux difficultés existantes, ac-
cueillirent volontiers ces offres de conciliation et d’entente, et
se mirent de suite à l’œuvre.
Nous avons déjà cité les paroles de M. le procureur-général
Macdonald, où il nous expliquait la situation et le motif de la
dernière initiative ministérielle. Nous allons maintenant faire
parler M. Brown, comme au jour où il acceptait l’alliance
qu’il avait lui-même provoquée, c’est-à-dire, le 17 juin dernier.
« Je suis persuadé que tous les membres de cette chambre comprendront
que les honorables ministres, que j’ai combattus si énergiquement, pendant
tant d’années, ne sont venus me demander mon concours, dans la formation
d’un nouveau cabinet, que parce qu’ils y étaient amenés par la force de cir-
constances extraordinaires, et que ces circonstances seules ont pu m’ engager,
pour ma part, à les écouter.
i Rien n’eût pu m’engager à entrer en communication avec eux, si ce
n’est la position où se trouve la chambre, la connaissance des efforts tentés
infructueusement pour former un gouvernement durable, celle de l’état du
sentiment public, en Haut et en Bas-Canada, et la certitude à peu près qu’une
dissolution ne saurait y porter remède.
c Je dois dire que les honorables ministres s’occupent de cette question
avec une franchise et une sincérité dignes de tout éloge. (Ecoutez 1 écoutez !
et vives approbations.)
c J’espère qu’on n’aura pas recours aux récriminations à cause du passé,
et, qu’au contraire, nous sentirons le besoin d’approcher les questions poli-
tiques dans le sérieux et dans la sincérité ; que nous prendrons en considé-
ration les intérêts des deux parties de la province et que nous nous efforce-
rons de trouver la solution la plus acceptable aux difficultés actuelles.
J’espère qu’ainsi nous rendrons impossibles ces scènes de discorde si fré-
quentes en ces derniers temps. (Ecoutez? écoutez.) »
Devant ces dispositions universelles des esprits, qui donc
— 22 —
osera prétendre que l’époque favorable pour retoucher la cons-
titution n’était pas encore venue?
On a dit, dans le temps, qu’il y avait,.entre les députés de
l’opposition, course aux portefeuilles et que M. Brown, se
voyant refouler au dernier plan par ceux qu’il avait fait naître
à la vie politique, avait voulu, par cette démarche extraordi-
naire et inattendue, reconquérir sa position perdue et punir
des ingrats dédaigneux.
Supposons tout cela et que l’ambition d’un seul ait précipité
la crise constitutionnelle; en est-il moins vrai, n’en est-il pas,
au contraire, plus vrai que le moment de régler la question
était arrivé, puisque cette ambition, pour en frustrer d’autres,
sentirait la nécessité des accommodements et le besoin de la
conciliation?
Après avoir admis l’impossibilité du statu quo perpétuel et
l’obligation de refondre, quelque jour, le pacte constitutionnel,
eût-il été sage de reculer l’heure de l’entente, d’irriter davan-
tage les passions par une résistance obstinée, et de livrer
l’avenir au hasard des éventualités ?
M. Dorion nous a dit, dans un discours que nous avons
déjà reproduit dans le cours de cette discussion, que « le
Haut-Canada finirait par obtenir la représentation basée sur
la population avec le concours des représentants des townships
de l’Est,» et nous avons déjà vu que ces derniers, harassés
et ahuris, commençaient à murmurer, menaçaient de céder
et demandaient, dans une solution quelconque, une fin à cette
lutte continuelle et sans profit pour le pays. Si nous étions
déjà si faibles pour résister ; si déjà nous n’étions plus maîtres
de la position, que par des alliances qui menaçaient de nous
échapper, d’un moment à l’autre, et si, par l’abandon des uns
et l’augmentation progressive des autres, l’isolement devait
naturellemeiit se faire de plus en plus autour de nous, est-ce
que la raison, la sagesse et le patriotisme ne nous comman-
daient pas d’agir énergiquement, spontanément et de ne pas
livrer un si grand intérêt aux chances de l’avenir?
— 23 —
VI.
« 4° En supposant qu’il nous fût possible de maintenir intacte l’union ac-
tuelle, devrions-nous y persister ou rechercher, dans un ordre de choses
durèrent, des destinées plus grandes ? »
Tous les peuples aspirent naturellement à de grandes des-
tinées et à une grande place dans la famille des nations,
parce que, en dehors du légitime sentiment d’orgueil qui les
porte à occuper le premier rang, ils savent qu’on est plus
respecté, plus favorisé et plus capable d’être prospère à pro-
portion qu’on est plus fort.
Tous sont d’accord sur ce point, tous comprennent, tous
savent, presque d’intuition, que l’état colonial n’est qu’une
transition, un passage de l’enfance à la virilité des peuples.
Pour se convaincre de l’existence de cette loi sociale, à toutes
les époques du monde, il suffit de lire l’histoire des colonies
anciennes de la Phénicie, de la Grèce et de l’Asie, et des
colonies modernes fondées par l’Europe sur le continent
d’Amérique : notamment celles des Etats-Unis, du Mexique,
du Brésil et de toutes les républiques Espagnoles et Portu-
gaises de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud. Nulle
part, il n’existe d’exception à cette loi universelle, à laquelle
résista en vain, pendant sept ans, l’Angleterre avec toute la
puissance de ses flottes et de ses armées.
Aujourd’hui, elle est devenue un axiome d’économie poli-
tique et la profession de foi de tous les hommes d’Etat de la
Grande-Bretagne, qui nous avertissent incessamment de nous
préparer, par une forte organisation politique et militaire, à
l’émancipation qui approche.
Nous sommes incontestablement d’heureux colons, libres,
à l’ombre du pavillon britannique, comme le poisson dans
l’océan et l’oiseau dans l’espace ; et, cependant, vous, An-
glais, vous, Français, vous, Ecossais, vous, Irlandais, c’est-à-
dire vous, Canadiens, ne voulez-vous pas, tous tant que vous
êtes, devenir, si vous le pouvez, un grand peuple ? Ce qui
nous arrête seulement dans nos aspirations, ce sont nos
— 24 —
difficultés locales ; c’est la crainte de perdre, dans l’élargis-
sement de nos destinées, des choses qui nous sont chères et
que nous ne sacrifierions ni à la grandeur, ni à la puissance,
ni à la gloire, ni au titre de nation.
En est-il un parmi nous qui voulût rester ce qu’il est, s’il
était sûr que rien de cela ne serait en danger de périr dans
l’ordre de choses nouveau ? Et si les colonies de l’Amérique
Britannique du Nord étaient semblables par leurs lois, leurs
•institutions, leurs mœurs, le langage et la religion, est-ce
que nous ne dirions pas tous, d’une voix, à l’époque de
maturité de notro existence coloniale : Soyons nation ? »
Le titre de colon n’a rien en soi de criminel ou de déshono-
rant, et, cependant, nous sentons en nous-mêmes qu’il nous
humilie, parce qu’il signifie enfance, assujettissement, tutelle.
Le citoyen de la mère-patrie nous appelle : « Nos colons, nos
colonies, nos dépendances, » tout comme il dirait : « Nos
flottes, nos arsenaux, nos machines de guerre ; » tandis que,
comme citoyens d’un peuple indépendant, nous serions nous-
mêmes et à nous-mêmes !
Le colon n’a pas d’histoire et, eût-il autant de génie que
Shakespeare, Bossuet, Leibnitz ou Pascal ; fût-il aussi grand
homme d’Etat que les Richelieu, les Pitt, les Fox, les Colbert,
les Carnot, les Thiers et les Guizot, qu’il serait comme s’il
n’existait pas pour le monde des intelligences. Ce n’est pas
un sentiment individuel que nous exprimons ici ; c’est quelque
chose déplus large et de plus noble, c’est une aspiration na-
tionale, un quelque chose qui agit sur tous les esprits et qui
a sa place dans tous les cœurs.
Maintenant, si nous sortons de cet ordre d’idées, n’oublions
pas que si nous avons notre autonomie de mœurs, de religion,
de lois, de langue, nous ne possédons plus, au même degré,
dans le sens vrai du mot, notre autonomie politique. Dans
l’ordre de choses actuel, nous ne comptons déjà que pour
guère plus d’un tiers, et, en Bas-Canada même, près d’un
quart de la population constitue une nationalité différente et
— 25—
distincte de la nôtre par son langage, ses affections et ses
préjugés.
Quand donc nous disons que nous voulons rester ce que nous
sommes, nous ne pouvons parler que comme Bas-Canadiens,
et, si nous parlons comme Bas-Canadiens la voix de près
d’un quart de million d’âmes nous criera : ce Rappelez-vous
que nous aussi nous sommes habitants du Bas-Canada et que
nous aspirons, nous, à d’autres et de plus grandes destinées ;
nous y aspirons avec le Haut-Canada et tous les hommes de
notre origine qui nous environnent de toutes parts ! Nous
offrons, avec eux, protection à votre religion, à vos institu-
tions, ainsi qu’à vos lois civiles, que nous avons même
adoptées, parce que, malgré nos préjugés d’éducation, que
nous avons apportés avec nous de la mère-patrie, nous y trou-
vons la plénitude de la protection pour nos biens ; et, si tout
ce que vous aimez ne doit courir aucun danger, dans cette
marche vers l’avenir, pourquoi vous arrêteriez-vous et nous
arrêteriez-nous avec vous, lorsque tout nous commande d’a-
vancer pour aller prendre place au banquet des nations ? »
Un autre motif encore doit nous déterminer. Il est évident,
pour tout homme qui réfléchit, que s’il nous faut marcher en
avant, bon gré mal gré, il n’y a, dans notre position excep-
tionnelle, que deux routes par où nous pouvons passer : la
confédération ou l’annexion. Si nous avons pu dormir en paix,
jusqu’à ces derniers temps, sur notre sort, les combats de
géant que se livrent, depuis trois ans et demi, le Nord et le
Sud des Etats, ont dû nous réveiller au sentiment de la réalité,
et, aujourd’hui, nous devons comprendre que, à moins de nous
hâter de voguer à toutes voiles vers la Confédération, le courant
nous entraînera rapidement vers l’annexion. Or, l’annexion
ne nous sourit pas plus qu’en 1849 et aux jours de 1858,
lorsque nous disions :
» Dans l’Union des provinces, nous pourrions trouver des
combinaisons, moins fatales les unes que les autres ; tandis
que nul choix ne nous serait laissé dans l’annexion, qu’il nous
— 26 —
faudrait accepter avec ses conditions d’être sans pouvoir les
modifier.
» Dans la meilleure condition que pourrait nous faire l’Union,
nous serions au moins un sur trois ; nous serions à peine un
sur trente dans l’annexion.
» Dans l’Union coloniale, nous pourrions avoir peut-être
une part du revenu actuel, sous la forme d’améliorations géné-
rales ; dans l’annexion américaine, le revenu tomberait, jus-
qu’au dernier sou, dans le trésor fédéral, d’où il ne sortirait
que pour payer les dépenses de la marine et de l’armée.
» Dans l’Union coloniale, comme Français ou comme Catho-
liques, quoiqu’affaiblis, nous pourrions encore, au besoin,
présenter un front redoutable ; dans l’annexion, nous se-
rions envahis de toutes parts par cet océan formidable, et
nous disparaîtrions, comme nos frères de la Louisiane qui,
bientôt, parlant une langue étrangère, iront, humiliés, de-
mander à l’histoire leur origine et les noms oubliés de leurs
pères.
» Pourtant ils sont, comme nous, les descendants de ces
quelques héros qui luttèrent, durant un siècle et demi, contre
une race puissante, dans les déserts du Nouveau-Monde.
» Si l’identité nationale ne pouvait être dans l’Union colo-
niale, comment la trouveriez-vous dans l’annexion ? Les
mêmes sentiments, les mêmes préjugés, les mêmes lois, les
mêmes institutions, les mêmes langues, les mêmes ingrédients
religieux et sociaux s’y trouveraient, dans des rapports bien
autrement disproportionnés et bien autrement dangereux pour
nous. L’Union coloniale serait donc préférable, s’il nous
fallait choisir, si nous avions, un jour, pour une cause quel-
conque, à prendre place parmi les nations.
» 11 n’a tenu qu’à la France que nous fussions aujourd’hui
huit millions de Français sur les bords du Saint-Laurent; pour
cela il n’eût fallu, à la conquête, que le recensement de 1850.
Mais elle ne l’a pas voulu, et, lorsque nous sentirons tomber
autour de nous la dépouille coloniale, trop faibles pour fonder
— 27 —
seuls un empire, dans la crainte d’être envahis et de périr,
nous rechercherons des alliances.
» Nulle alliance, il est vrai, ne pourrait nous donner de ga-
ranties complètes ; mais il ne faut pas oublier que, placés
dans une position tout exceptionnelle en Amérique, dominés
par la force et circonscrits dans le cercle étroit de la fatalité,
nous ne pourrions choisir qu’entre des alliances plus ou moins
périlleuses.
» Nulle alliance ne serait parfaitement sans danger ; mais
la moins à craindre serait l’alliance des Provinces, parce
qu’assez forte pour la protection extérieure, elle le serait
moins, au dedans, pour l’oppression. »
Ces réflexions semblent avoir acquis, par le temps et par les
événements, un caractère presque prophétique. L’annexion,
à l’heure qu’il est, ce serait l’enrôlement de nos agriculteurs,
de nos artisans, pour une guerre de sang qui les ferait périr
dans les marais fétides du Sud ; ce serait des taxes écra-
santes sur la propriété foncière, le commerce et les industries ;
ce serait un impôt de plus de cinq cents millions de piastres
dont nous aurions à payer annuellement plus d’un vingtième ;
ce serait une dette de trois milliards de piastres, dont il nous
faudrait trouver, chaque année, l’intérêt, et la perspective
d’une dette plus énorme et d’impôts plus écrasantes encore.
Mais, en supposant que nous n’eussions pas peur de cette
effrayante perspective, comment nous trouverious-nous, nous,
Canadiens-Français, dans cette alliance avec une nation de
trente millions de républicains, si différents de nous, non-
seulement par la langue, mais encore par les mœurs et le
sentiment ; nous, si conservateurs et si monarchiques, dans
nos instincts et nos aspirations?
Loin de nous la pensée de mettre en doute la fidélité de la
population britannique des Canadas au gouvernement de
l’Empire; mais, si, comme nous, elle peut et doit, un jour,
aspirer à devenir nation, nous pouvons dire, en prenant
notre opinion dans la raison des choses, qu’ils seraient plus
— 28 —
prêts que nous pour l’annexion, parce qu’ils parlent la même
langue, professent la même religion et possèdent essentielle-
ment les mêmes institutious sociales que les habitants de
rUnion Américaine. Il ne resterait plus, pour eux, à considé-
rer, dans le choix à faire, que la question matérielle des pro-
fits et pertes: le plus ouïe moins de commerce et le plus ou le
moins d’impôts. Cette vérité vient de recevoir son application,
d’abord dans le projet de constitution lui-même, ou vous
voyez que les exceptions n’affectent que le Bas-Canada, et,
dans les discours prononcés par M. Tilley, dans le Nouveau-
Brunswick, où il dit, franchement, et sans détour, que, pour
eux, il n’y a, dans l’examen du projet de confédération,
qu’une seule question, la question pécuniaire : le Nou-
veau-Brunswick, dans l’Union, paiera-t-il plus, paiera-t-il
moins, recevra-t-il plus, recevra-t-il moins, sera-t-il plus,
sera-t-il moins imposé qu’aujourd’hui? Et c’est de cette ma-
nière aussi que sa presse et ses hommes publics l’ont acceptée
de ses mains pour la discuter, l’accepter ou la repousser.
Mais, pour nous, quelle différence ! Si déjà nous nous
sentons mal à l’aise dans une alliance où nous comptons
encore pour plus d’un tiers, comment nous trouverions-nous
au milieu d’un peuple de trente millions? Quel rôle y joue-
rions-nous, nous parlons toujours au point de l’autonomie
nationale et de tout ce qui la constitue ? Les annexionnistes
de 1849 ne nous l’ont jamais dit, bien qu’ils le sussent ; mais
la réponse est facile.
Pour eux, composés pour la plupart de marchands banque-
routiers et de républicains, le mot d’autonomie n’avait pas de
signification. Les premiers demandaient à l’annexion la
prospérité commerciale, qu’ils avaient perdue, et, les autres,
les institutions démocratiques, dans la forme républicaine.
Les premiers en perdirent l’idée et presque le souvenir dans
la prospérité des années qui suivirent, et, les autres, sans
cesser d’être ce qu’ils étaient, en 1849, et sans s’occuper da-
vantage de la pensée de conservation qui préoccupe un mil-
— 29 —
1km de leurs compatriotes, cherchent, cependant, par tactique,
à nous effrayer sur le sort qui nous attend, nous Canadiens-
Français, dans la confédération des provinces de l’Amérique
Britannique du Nord.
Ils savaient bien, comme nous, la position de la Louisiane
dans l’Union Américaine, de cette Louisiane fondée par nos
ancêtres ; ils savaient que le premier mouvement des maîtres
fut de chasser la langue française du Parlement, des tribu-
naux judiciaires et des documents publics ! Il n’y a pas long-
temps de cela ; il n’y a pas longtemps que cette colonie
française constitue l’un des Etats de l’Union Américaine, et,
cependant, la langue française en disparaît rapidement, et bien
des familles qui portent des noms français, nous en avons
vues, ne savent même plus parler la langue de leurs ancêtres !
Or, la transubstantiation, l’envahissement et l’absorption
étaient beaucoup plus difficiles là qu’ils ne le seraient ici, là où
le climat effraie et éloigne l’immigration ; qu’ici, dans le Nord
vers lequel se porte, comme en caravanes continuelles, le
flot de population qui se dirige vers l’Amérique de toutes les
rives européennes. Dans cet ordre de chose, combien de
temps serions-nous Français ? Combien de temps garderions-
nous cette autonomie, qui nous est chère r et continuerions-
nous à dire, nous Français : « Nos institutions, notre langue
et nos lois, » inscrites en pages tantôt glorieuses, tantôt san-
glantes et lugubres, mais toujours visibles, au frontispice de
notre histoire ?
Non, nous ne pouvons pas rester toujours dans l’état colo-
nial l Oui, nous voulons être, un jour, nation, et, puisque
c’est là notre destinée nécessaire et le but de nos aspirations,
nous aimons mieux la condition politique dont nous serons un
élément vital et toujours existant, que d’être jetés, comme
une goutte d’eau perdue dans l’océan, au milieu d’un peuple
immense où nous perdrions, en quelques années, notre langue^
nos lois et jusqu’au souvenir de nos glorieuses origines*
— 30
VIT.
» t 5° Pourquoi l’Union (une ou fédérale) de toutes les Provinces de l’Amé-
rique Britannique du Nord ? i
Nous avons déjà établi que nos difficultés locales arrêtaient
complètement la machine politique et nous imposaient des chan-
gements constitutionnels ; qu’une force majeure nous pous-
sait vers l’annexion ou l’union des provinces ; que notre in-
térêt, nos goûts, nos mœurs, le caractère de nos institutions
et l’instinct de conservation nous faisaient pencher pour la
dernière, et que bientôt, pour suivre la loi universelle qui,
depuis le commencement du monde, avait présidé aux desti-
nées des colonies, il nous fallait nous préparer à prendre place,
bon gré, mal gré, au banquet des nations. Mais nous n’avions
pas encore dit pourquoi, colonie d’un grand empire, nous
avions besoin de tant nous hâter de secouer le joug maternel
et de prendre si tôt l’essor vers l’inconnu, et si l’union des
Provinces Britanniques Nord-Américaines était la combinaison
la plus propre à nous conduire au but indiqué, en un mot, s’il
y a, dans cette union, les éléments géographiques, maritimes
et commerciaux d’un grand peuple et d’un grand pays. Voilà
la question complexe que nous avons à traiter dans cet article.
En 1858, nous nous prononcions contre toute union pos-
sible, contre l’Union fédérale, comme contre l’union unitaire,
parce qu’alors, forts dans le Parlement, où nous avions écrasé
toutes les oppositions et fait taire, pour un temps au moins, le
cri du Haut-Canada, en faveur de la représentation basée sur la
population, nous pensions pouvoir rester, à perpétuité, dans nos
conditions actuelles d’existence politique ; parce que nous es-
périons que l’immigration, se portant de notre côté, rétablirait
l’équilibre, ou à peu près, entre les populations des deux Ca-
nadas ; parce que nous croyions que les provinces atlantiques,
pauvres et sans ressources, rechercheraient l’Union pour se
refaire à l’aide de notre revenu ; parce que nous ne pensions
— 3-i —
pas que la protection de l’Empire nous manquerait si lot ou
même jamais ; parce que nous n’avions pas compris, avant la
guerre américaine, tout le danger que nous courrions à rester
isolés ; parce que nous ne songions pas, qu’un jour, l’Angle-
terre, sentant elle-même approcher pour nous l’heure de l’é-
mancipation et commençant à trouver trop lourd le fardeau de
la tutelle, nous dirait de nous préparer pour la solennelle tran-
sition ; parce que nous ne voyions pas dans l’Union d’avantages
commerciaux que nous ne possédions déjà, et, enfin, parce
que nous la craignions pour nos intérêts religieux et nationaux
et le salut de nos institutions. Seulement, ainsi que nous l’a-
vons vu dans notre dernier article, dans le choix nécessaire
entre l’annexion et l’Union des Provinces, nous nous pronon-
cions, sans hésiter alors, comme aujourd’hui, pour la dernière.
Nous avons besoin de nous hâter pour n’être pas pris par
surprise et parce qu’il est sage de nous organiser et de nous
constituer complètement et solidement en corps de nation
pour le jour où la mère-patrie nous dira de marcher squls. Il
serait trop tard d’y penser dans la crise.
Nous sommes loin de souhaiter cette séparation et nous dé-
sirons en éloigner l’époque le plus possible, parce qu£ le joug
maternel a été doux, depuis longues années, et que nous avons
besoin de beaucoup de temps, de réflexion et de travail pour
nous y préparer ; mais, puisqu’elle est providentiellement
écrite, quelle force pour nous, quand elle viendra, si nous
sommes un peuple de six ou huit millions et que nous puis-
sions montrer au monde étonné, comme titre d’admission dans
la famille des nations, un mouvement commercial de deux cent
cinquante à trois cent millions de piastres !
Nous jouerons, au Nord, le rôle du Mexique au Sud, et,
comme contrepoids, comme appoint sérieux d’équilibre dans
la balance où se pèseront les destinées de l’Amérique du Nord,
nous aurons le bon vouloir, la protection et même, au besoin,
l’appui matériel des grandes puissances européennes.
Ne l’oublions pas, c’est presque toujours du Nord que sont
— 32 —
sortis les conquérants du monde ; ce sont les peuples du Nord
qui ont conquis la Chine, l’Inde et l’Asie tout entière ; ce sont
les peuples robustes du nord de l’Europe, qui ont envahi, de
proche en proche, et écrasé l’empire romain î Mais tout cela
n’est possible, et l’existence même nationale ne l’est que
pour un peuple fortement constitué par l’union compacte
de tous ses éléments de grandeur et d’avenir. Séparés, nous
serions sûr d’être envahis et écrasés les uns après les autres.
On ne donne pas la main à ceux qui sont trop faibles pour
s’aider eux-mêmes, parce qu’on ne veut pas périr avec eux;
c’est également l’histoire des individus et des peuples.
Nous sommes convaincus, aujourd’hui, que nos difficultés
intérieures nous poussaient, malgré nous, vers un nouvel
ordre de choses ; qu’au bout d’une résistance prolongée, nous
eussions trouvé un sort moins propice ; que nous avions à
opter entre l’annexion aux Etats-Unis et l’union des provinces ;
que celle-ci est préférable à la première ; que les provinces
atlantiques prospèrent autant que nous et que leur alliance ne
serait pas un fardeau pour nos budgets et un ver rongeur dans
notre revenu ; que la main maternelle de l’Empire nous man-
quera certainement, un jour, et qu’ainsi nous avons besoin de
nous préparer pour l’émancipation nationale.. Mais nous n’a-
vons pas encore regardé la question de l’un de ses côtés les
plus importants, le commerce, cette grande, quelques-uns
diraient, cette unique source de la fortune et de la prospérité
publiques, puisqu’il embrasse tout dans ses flancs immenses :
l’agriculture, les industries et les arts.
Nous écrivions en 1858 : « Quels seraient, pour le Canada,
les avantages commerciaux de l’union législative (une ou fédé-
rale) de toutes -les provinces britanniques ?
» Il est autant de l’intérêt des provinces atlantiques de
rechercher notre commerce qu’il est de notre intérêt de
rechercher le leur. L’union politique, on le sait, ne change-
rait, en cela, rien à la condition des choses. Et, dans tous les
cas, ces provinces ne peuvent pas nous traiter plus mal que les
— 33 —
nations étrangères, plus mal que les Etats-Unis, nos seuls
concurrents sur leurs marchés étroits.
» Lorsque les communications de terre et de mer, entre
elles et nous, serontcomplétées, nous serons dans une position,
particulièrement favorable, pour y lutter avec nos produits
contre toute concurrence possible.
» Si le but de ces provinces, en demandant l’union, (elles ne
la demandent pas) est uniquement commercial, — et il ne peut
pas être autre dans notre condition coloniale, — pourquoi, n’a-
voir pas plutôt recours à la liberté des échanges qui peut s’ef-
fectuer sans changements constitutionnels organiques, sans
l’intervention du parlement impérial, si pleine de danger, et
par le seul fait des législatures actuelles ?
» La liberté des échanges, au point de vue commercial, est
égale à la fusion politique absolue ; elle produit précisément
les mêmes effets sans avoir les mêmes inconvénients et les
mêmes dangers, et sans demander les mêmes sacrifices. »
Nous sommes encore du même avis, en ce qui regarde l’ef-
fet de l’union sur notre commerce intercolonial. « La liberté
des échanges, » serait encore pour nous, « au point de vue du
commerce intérieur, égale à la fusion politique absolue ; »
mais, celle-ci, des chiffres irrécusables nous le démontrent, ne
demanderait pas les sacrifices que nous appréhendions alors.
Six ans de méditation et d’une rude expérience, au milieu des
luttes sociales, des passions, des haines et des entraves de tous
les noms, nous ont appris bien des choses que nous ne pou-
vions pas savoir alors. Six ans, c’est beaucoup dans la vie des
peuples du Nouveau-Monde ; six ans pour eux, c’est plus
qu’un siècle pour ceux de l’ Ancien-Monde.
Si nous marchons vers des destinées manifestes, impé-
rieuses, ayant, pour ainsi dire, le mors aux dents, et se lan-
çant impétueusement dans l’arène, la sagesse ne nous com-
mande-t-elle pas de les diriger au moins dans la route qui les
conduit au salut? Et si, avec cela, l’union politique ne coûte
pas plus cher que la simple union commerciale et la liberté des
c
— 34 —
échanges, pourquoi reculer, pourquoi tenir à une opinion dont
les causes et les motifs ont disparu ?
Les budgets réunis de ces Provinces ne s’aideront peut-être
pas, mais aussi ils ne se nuiront pas. L’union politique ne fera
pas plus que la liberté des échanges, pour notre commerce in-
térieur, mais elle est nécessaire à la protection et au dévelop-
pement de notre commerce extérieur ; nous devons donc la
vouloir si nous tenons à occuper une place respectable parmi
les nations.
Quels sont, en effet, les éléments d’un grand peuple? C’est
un grand territoire, propre à la culture et riche autrement, par
ses minerais et la diversité de ses sources de ricliesse ; c’est
une vaste navigation intérieure, qui vous facilite le moyen de
porter à l’étranger vos produits et d’en rapporter les siens à
bon marché ; c’est un immense littoral océanique et des havres
nombreux et profonds que vous puissiez approcher, tous les
jours de l’année, et qui permettent un grand commerce et
un grand développement de ces armées de mer et de ces bat-
teries flottantes, sans lesquelles vous ne pouvez exercer, au
loin, aucune influence morale ou matérielle, ni y porter, en
sûreté, vos produits.
Or, le Haut et le Bas-Canada, réunis, possèdent-ils, à eux-
seuls, tous ces éléments réunis ? Ils ont un sol fertile, vaste et
capable de nourrir un grand peuple ; ils ont déjà une popula-
tion de près de trois millions d’âmes et qui se double en vingt-
cinq ans ; ils ont une immense navigation intérieure, des ca-
naux et des chemins de fer sur une vaste échelle ; ils ont
déjà un commerce qui produit l’étonnement et l’admiration de
l’étranger. Mais leurs mers intérieures, leurs canaux et leurs
havres sont fermés, à la navigation et au commerce, durant cinq
mois de Tannée. Ils ne sauraient donc, en restant seuls, être
jamais un peuple maritime et commercial. 11 faut- donc qu’ils
agrandissent encore leur territoire et qu’ils possèdent des
havres sur l’océan, afin que, pour les flottes comme pour le
commerce, ils aient des marins. Il faut donc qu’ils s’allient
— 35 —
les provinces atlantiques et qu’ils fassent, avec elles, un tout
compact, dans une union ayant pour base l’équité, la protec-
tion et la force communes.
Nous avons nos mines de cuivre et de fer ; mais nous n’a-
vons pas de charbon. Or, le bassin houillier du Nouveau-
Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse est dix fois grand comme
celui de l’Angleterre ; et, sans charbon, comment mettre nos
usines en mouvement et alimenter nos flottes, lorsque nous
en aurons ?
La Nouvelle-Ecosse et l’Ile de Terreneuve possèdent des
havres assez profonds et assez vastes pour abriter, à l’aise
et en tout temps, les flottes de toutes les nations. Ter-
reneuve, la plus vaste station de pêche du monde, est le point
de l’Amérique le plus rapproché de l’Europe ; ce serait donc,
aux confins de l’océan, avec ses ports ouverts, tous les jours
de l’année, notre premier boulevard, notre station militaire la
plus avancée et notre premier arsenal maritime. C’était à ce
point de vue surtout qu’il était important de la faire entrer
dans l’Union, même au prix d’un sacrifice pécuniaire.
Avec Terreneuve, le Cap-Breton, Halifax et les petites îles
situées dans le Canal Saint-Paul et à l’embouchure du détroit
de Belle-Isle, et les havres qui s’y trouvent, nous commande-
rons l’entrée du golfe Saint-Laurent, dans toutes les saisons de
l’année, et nous pourrons le fermer au besoin à toutes les na-
tions.
La nature semble avoir combiné, exprès pour la nation qui
doit naître à l’existence, tous ces moyens de défense, de pros-
périté et de grandeur.
Si on allait nous dire que notre esprit vogue, loin de la réa-
lité, dans le pays de l’imagination, des théories et des espé-
rances, nous leur répondrions : N’avons-nous pas déjà un peu-
ple de quatre millions, un commerce extérieur de $137,500,-
000, une navigation océanique, représentée par près de cinq
millions, et un cabotage de près de six millions de tonneaux ?
Quelles sont donc les nations qui ont commencé ainsi, et, à
— 36 —
part deux ou trois, quelles sont celles, aujourd’hui, qui peu-
vent montrer un pareil bilan de prospérité et donner, pour
l’avenir, de pareilles garanties de force et de viabilité ?
VIII.
t 6° Laquelle doit-on préférer ? L’Union une ou fédérale ? >
Voilà une question difficile à résoudre. Elle ne le serait
pas, si l’on pouvait faire une constitution comme l’on fait un
livre ; si la pratique était aussi facile que la théorie ; si, quand
l’on veut former un grand peuple, l’on n’avait pas à opérer sur
des éléments déjà existants, sur des mœurs, des affections et
des institutions sociales et politiques pleines de sève et de vie
et qui tiennent à se perpétuer ; si, à cause de cela, toutes les
constitutions écrites n’étaient pas des compromis, c’est-à-dire
des concessions réciproques, faites par les parties intéressées,
et que la première question, qui se présenterait, n’était pas si
l’on pourra faire un tout parfait, mais un tout quelconque, ou
les éléments composants puissent se trouver juxta-posés, sans
se nuire, sans se heurter, sans se détruire, et où ils peuvent
vivre ensemble avec leurs différences ou même leurs opposi-
tions; si nous n’avions pas sans cesse devant les yeux l’his-
toire de l’Autriche, de la Hongrie et de l’Italie Aulique, de la
Russie, de la Pologne et de la Circassie, de la Hollande et de
la Belgique, des Etats-Unis et du Sud, de l’Angleterre et de
l’Irlande, notre histoire enfin.
La Pologne, à qui l’on nie son être, est une plaie hideuse et
frémissante dans le flanc du géant moscovite ; elle pourrait
bien lui être fatale, un jour, quand auront été comptés, dans la
balance de Dieu, les jours de l’oppression. L’Autriche com-
prend, maintenant, quoiqu’un peu tard, qu’on n’efface pas, avec
des édits, la langue, les institutions et les instincts d’un peuple,
et qu’il est plus sage, au contraire, de leur tendre une main
protectrice et paternelle. Elle sauvera probablement la Hon-
— 37 —
grie par sa politique nouvelle, si large et si intelligente ; mais
que deviendra la Vénitie, toute ccumante de haine, sous le
souffle et l’étfeinte révolutionnaires ?
La Hollande, pour n’avoir pas compris les leçons de la
sagesse et méconnu la tolérance, perdit, en un jour, avec la
Belgique, les quatre-septièmes de sa population et de son ter-
ritoire : et l’avenir n’a pas encore dit le sort réservé à la cons-
titution des Etats de l’Amérique du Nord, créée au milieu de
grandes difficultés et avec des éléments qui devaient s’harmo-
niser difficilement ensemble pour constituer un tout durable.
Si l’Union une avait été possible, c’est-à-dire si nous y eus-
sions trouvé toute la protection que nous demandons pour nos
institutions, et si toutes les autres provinces, qui doivent
entrer dans l’alliance, y avaient consenti, nous avouons, sans
hésiter, que nous eussions penché de préférence vers cette
forme constitutionnelle, car plus un peuple a de cohésion, plus
ses éléments s’harmonisent et s’unifient, plus il est sûr de
vivre, de prospérer et de grandir.
A cet égard, nous n’avons jamais changé d’opinion et nous
disions, en 1858 :
» L’union, avec l’unité législative, vue de certains côtés,
serait bien la plus logique. Elle le serait au point de vue :
1° du budget ; 2° du système colonial; 3 e des contrepoids et
de l’équilibre américains ; et 4° des résultats immédiats de
l’union sous toutes ses formes.
» Elle le serait au point de vue du budget, car c’est à peine
si ce gouvernement et cette législature, pour toutes les pro-
vinces, coûteraient plus cher que le seul gouvernement et la
seule législature actuels du Canada, tandis que la confédéra-
tion obligerait à l’entretien de sept gouvernements et de sept
législatures distinctes.
» Elle le serait au point de vue du système colonial, parce
que, dans ce système, il n’y a rien que pourrait faire la légis-
lature fédérale et que ne puisse pas faire chacune des législa-
tures actuelles ; rien non plus qui puisse donner à ce Congrès
— 38 —
de provinces les attributs imprescriptibles de la législature im-
périale.
» Elle le serait au point de vue des contrepoids et de l’é-
quilibre américains, parce que, dans l’unité, résident la centra-
lisation et l’indissolubilité ; parce que la centralisation et l’in-
dissolubilité sont deux grandes forces, deux grands principes
de vie nationale, l’un d’initiative, l’autre de résistance, l’un
d’action, l’autre de cohésion. C’est l’unité seule, l’initiative
etla résistance seules, dans l’unité, qui nous sauveraient, dans
l’avenir, des griffes de l’aigle. C’est dans son administration
centralisatrice, c’est dans l’unité et l’indissolubilité nationales
que la France puisait cette prodigieuse faculté de se retremper
dans les désastreset de sortir, chaque fois, plus formidable, de
ces combats de géants que lui livrait l’Europe pour la faire
périr. Tout état constitué comme les Etats-Unis d’Amérique
périrait en Europe plus facilement qu’a péri la Pologne, ou se-
rait, comme les états de la confédération germanique, à la re-
morque tantôt de l’une tantôt de l’autre des grandes puis-
sances qui ont l’unité pour principe d’être. La constitution
de la Pologne renfermait un principe de faiblesse, un principe
dissolvant ; aussi la Pologne a péri. Les Etats-Unis contien-
nent aussi un principe de faiblesse, un germe puissant de dis-
solution ; ils ne périront pas, à la condition, toutefois, de
rester les plus puissants et les plus fortement constitués de tous
les peuples du Nouveau-Monde. »
Mais quelques-unes des provinces, et le Bas-Canada n’est
pas la seule, « la repousseraient, parce qu’elles voudraient exis-
ter de la vie locale et qu’une législature unique, quelque fût
son principe d’être, ne sauvegarderait pas les intérêts section-
nâmes qui ne veulent pas périr et q«ii seraient livrés, sans con-
trôle, au caprice et au mauvais vouloir des majorités étran-
gères. »
Que nous reste- t-ii donc à faire? c’est de tirer de la situa-
tion le meilleur parti possible; c’est d’édifier la constitution la
plus parfaite possible avec les éléments que nous possédons, en
— 39 —
les faisant harmoniser ensemble, au lieu d’essayer de les
anéantir et de les metlre, pour ainsi dire, à la refonte; c’est,
en les respectant, d’approcher le plus possible de l’unité, de la
centralisation et de l’indissolubilité; c’est, en un mot, d’éviter
les erreurs fa laies qui ont fini par amener la crise actuelle
dans l’Union américaine.
Quand nous écrivions ainsi sur les Etats-Unis, en 1858,
quand nous disions « qu’ils contenaient un principe de faiblesse
un germe puissant de dissolution, » nous ne nous attendions
guère qu’il s’écoulerait à peine deux ans et demi avant d’être
témoin des terribles et sanglantes conséquences de ce prin-
cipe fatal de dissolution dont nous venons de parler.
Déjà, ils sont scindés en deux et se font, depuis trois ans et
demi, une guerre d’extermination. En supposant que, à la
suite de celte guerre acharnée, où auront péri deux millions
d’hommes et qui aura promené la dévastation et la ruine sur
un territoire si vaste et naguère si heureux, on réussisse à
écraser le Sud, est-ce que l’on peut espérer le conserver? On
le conservera, peut-être, mais plus difficilement que la Russie
ne conserve la Pologne, qu’elle tient à la gorge dans les serres
de ses deux aigles sanguinaires. Déjà, en d’autres lieux de
l’Union, l’on voitpoindre l’esprit d’indépendance qui, soyez-en
sûrs, produira ses fruits, quand les armées, qui couvrent la
surface de l’immense république, seront rentrées dans leurs
foyers.
La constitution des Etats-Unis, comme on le sait, est mixte
de sa nature ; elle est le produit d’un compromis des partisans
de l’unité nationale et de ceux de l’indépendance des états.
Les auteurs de cette constitution firent tout ce qu’ils purent
pour la constituer sur d’autres bases, mais le principe de la
souveraineté des états se dressait devant eux comme un obs-
tacle insurmontable, et l’organisation nationale dût, en consé-
quence, procéder de la délégation qui lui posa des bornes et
l’innoculadu poison dont les effets désastreux aujourd’hui
étonnent et affligent le monde.
— 40 —
Si donc, nous le pouvons, n’imitons pas cet exemple, et,
bien que nous soyons obligés, nous aussi, de renoncer à l’idée
d’une constitution parfaitement unitaire, faisons-la, au moins
aussi une que possible, pourvu que, à l’abri de cette unité,
nous trouvions protection pour les choses que nous voulons
conserver.
La délégation des pouvoirs législatifs et administratifs ne
doit venir ni d’en bas, ni d’en haut, dans la constitution nou-
velle. Mais les attributs des diverses législatures et des divers
gouvernements doivent être parfaitement distincts les uns des
autres et donnés concurremment par le même pouvoir, le
parlement impérial, afin qu’arrivant le jour où nous prendrons
place parmi les nations, nous nous trouvions tels que nous
voudrons être alors.
Nous acceptons la confédération, au lieu de l’Union une,
non par choix, mais par nécessité, mais parce que nous ne
pouvons pas faire autrement que de la vouloir nous-mêmes,
dans notre intérêt. Ceci résout cette autre question que nous
nous posions en 1858 : « Quel est le but d’un gouvernement
fédéral dans l’état de colonie et de sujétion législative au Par-
lement impérial ? »
Cette question, nous la posions ainsi, d’abord, parce que
nous ne sentions pas alors la force irrésistible qui nous pous-
sait vers des changements constitutionnels, et, ensuite, parce
que nous ne réfléchissions pas qu’un jour viendrait, jour de
notre émancipation coloniale, où ce gouvernement général,
qui n’est pas nécessaire aujourd’hui, dans notre état de dépen-
dance, remplacerait pour nous celui de la mère-patrie.
En supposant même que nous fussions maîtres de nous ar-
rêter en chemin, durant quelque temps encore, ce n’est pas
pour aujourd’hui que nous édifions, c’est pour l’avenir, et peut-
être pour un avenir très- prochain, et, à ce point de vue, le
gouvernement et le parlement fédéraux ont pleinement leur
raison d’être. Ils ne l’auraient pas, en dehors de cette consi-
dération, à moins d’être une nécessité matérielle et présente.
— 41 —
Et, cette force majeure, qui pourrait nier, dans le fait, qu’elle
existe si, par elle, l’on comprend cette nécessité qui nous
oblige, dans un temps très-court, à accepter un changement
quelconque, à choisir, aujourd’hui, entre deux ou trois modes
d’existence coloniale, et, demain, entre deux principes de vie
nationale.
IX
i 7° Où se trouverait le plus de protection pour le catholicisme, la nationa-
lité française et Lrénéralcmcnt les institutions et les intérêts matériels du Bas-
Canada ? Dans le projet de constitution de la convention de Québec? dans
l’Union fédérale des deux Canadas? ou dans l’Union actuelle?»
En 1858, nous disions:
« Quel rôle jouerait l’élément religieux dans l’union (une ou
fédérale) de toutes les provinces?
« Si nous posons ainsi la question, ce n’est pas seulement
parce qu’on l’a posée ainsi ailleurs, mais parce que nous cro-
yons qu’il est nécessaire de la regarder aussi de ce côté, le
moins approchable et le plus périlleux de tous.
« L’élément religieux est le plus volcanique de tous les
éléments sociaux ; il fait éruption au moment où vous vous y
attendez le moins et sa lave brûlante ne se refroidit souvent
que dans le sang des victimes qu’elle fait.
« Le rôle que jouera l’élément religieux dans l’Union pourra
donc être très-considérable ou presque nul, suivant les cir-
constances, suivant les causes qui peuvent agir sur lui. On
est paisibles, on est amis, on est frères, on est chrétiens, on
est inertes même ; mais, au moment le moins prévu, une
étincelle jetée, par mégarde peut-être, sur l’édifice social,
toujours si combustible, y allume un incendie qui ne s’éteint
plus. Alors on a besoin de regarder autour de soi, non pour
démolir, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas se laisser enve-
lopper par l’élément destructeur.
« Il est donc évident que, dans l’intérêt de la société, l’élé-
— 42 —
ment religieux, à cause de ses dangers, ne devrait point jouer
de rôle politique : ici nous voulons parler des passions, des
haines religieuses, travaillant en sens opposés la constitution
pour y trouver le triomphe et la domination, et non de la foi,
sans laquelle le peuple serait bien malheureux, puisque, privé
de l’espoir, ce seul fortifiant pour l’être qui pense, il n’aper-
cevrait, au terme de ses misères, que le néant et la nuit.
« Mais, à côté de ce qui est désirable, à côté de la raison,
qui semble conseiller à l’élément religieux de ne point jouer de
rôle dans la constitution, il y a les sociétés telles qu’elles sont,
avec leurs ingrédients constitutifs indestructibles, avec leurs
passions, avec leurs croyances, avec leurs préjugés, avec
leurs opinions aussi multipliées que les étoiles du ciel.
» La raison dit une chose, la pratique en dit une autre ;
l’expérience, dont les lugubres enseignements n’ont manqué à
aucun pays I Yoilà pourquoi, on le comprend maintenant, il
est nécessaire de regarder l’union des provinces du côté de
ses influences religieuses.
» L’élément religieux ne sera pas dans la lettre, mais il sera
dans l’esprit de la constitution ; il se déteindra, bon gré, mal
gré, sur la législation et sur l’administration, et, comme dans
les combinaisons chimiques, l’ingrédient le plus fort dominera,
quoiqu’on fasse pour en paralyser l’effet.
» La constitution des Etats-Unis dit bien qu’on n’exigera
pas de test religieux comme condition d’éligibilité aux emplois
publics ; et cependant ses rouages sont tout huilés de protes-
tantisme.
» Peu de temps après la conquête du Canada, les colonies
anglaises de l’Amérique, aujourd’hui les Etats-Unis, invitaient,
dans une pétition, la mère-patrie à priver les Canadiens-
Français de la religion de leurs pères. Franklin lui-même
ava t signé ce document, si imbibé de fanatisme et d’intolé-
rance; mais, quand ces colonies se révoltèrent, en invitant le
Canada à faire comme elles, celles-ci, pour l’entraîner, lui
offrirent la liberté religieuse !
— 43 —
» Elles la consignèrent ensuite dans leur constitution comme
elles y consignèrent le droit au Canada de faire partie de leur
confédération : ces deux pensées furent corollaires l’une de
L’autre ; mais l’expérience a prouvé que cette formule, si large
et si généreuse, n’a pas effacé, dans la pratique, le senti-
ment qui avait d’abord fait parler Franklin.
« Ainsi, quoi qu’on fasse, l’élément religieux jouera son
rôle dans la constitution, et on ne doit pas s’étonner si, nous
rappelant l’acharnement avec lequel nos institutions religieuses
et catholiques sont systématiquement attaquées dans notre lé-
gislalure actuelle, nous nous demandons, dans le sentiment
de la crainte : quelles seront, dans l’Union de toutes les pro-
vinces, les forces numériques respectives du catholicisme et
du protestantisme ? »
Ce sont encore là nos sentiments, tels que nous les écririons
aujourd’hui, car ils ont pour point d’appui l’expérience de tous
les siècles et de tous les pays.
Qui donc ignore le rôle qu’a joué, surtout l’élément religieux,
dans l’histoire sainte, à partir de la période égyptienne ; dans
Rome où le paganisme et le christianisme se livrèrent des com-
bats acharnés qui durèrent près de trois siècles et demi , au
septième siècle, dans les mains du terrible et rusé Mahomet ;
au huitième, dans le vasie empire de Charlemagne ; au dou-
zième et au treizième, en France, dans les guerres contre les
Albigeois, et dans les croisades européennes contre l’islamisme ;
au seizième, dans la Réformation qui, parlant de l’Allemagne,
envahit laScandinav’e, une partie de la Suisse, l’Angleterre et
l’Ecosse, et le rôle qu’il joue encore de nos jours, en Chine,
aux Indes, dans une partie de la Turquie, en Russie, en Po-
logne, en Angleterre et en Irlande?
C’est donc l’histoire du genre humain tout entier, et, mettre
de côlé, par un sentiment de délicatesse mal inspiré, cet aspect
si important de la question, ce serait singulièrement mécon-
naître les obligaiions et la responsabilité du publiciste et de
l’homme d’étal.
— 44 —
Du reste, la pensée qui nous préoccupe en ce moment, comme
catholiques, remplit au même degré, les esprits protestants.
Tous comprennent le rôle important que l’élément religieux
peut jouer dans la constitution, et chacun demande à celle-ci,
pour sa foi, la plus grande somme de protection possible. Ce
n’est donc pas l’égoïsme et l’intolérance qui font parler une re-
ligion en particulier, mais l’instinct de conservation qui les
pousse toutes à rechercher un abri sûr, contre le hasard des
tempêtes, sous le toit constitutionnel.
Le même instinct fait parler et agir les nationalités, qui se
demandent, dans l’inquiétude, si elles pourront se trouver à
l’aise, vivre et se développer librement dans le nouvel ordre
de choses.
La question que nous avons posée, en tête de cet article,
s’offre à nous sous deux aspects, en ce qui regarde deux des
modes d’être constitutionnels nommés ; l’aspect de l’organi-
sation générale et celui des constitutions locales. Il faut donc
se demander quelle protection auront, dans la constitution gé-
nérale, la religion et la nalionalité des Canadiens-Français,
quelle protection elles auront dans les organisations locales,
et quelle serait la formule législative et gouvernementale qui
les protégerait davantage.
Avons-nous, pour le catholicisme et la nationalité française,
plus de protection dans la constitution actuelle que nous n’en
aurions dans la confédération de toutes les Provinces ou dans
celle des deux Canadas seulement ? Yoilà une question très-
complexe et qui demande un sérieux examen.
Dans les conditions actuelles du mélange des catholiques et
des protestants, sur les divers points des Provinces, le catho-
licisme, loin d’y être le plus fort, n’exerce même pas, dans
notre législature, une influence proportionnelle à sa force nu-
mérique. Ainsi, le catholicisme, qui compte 1,200,865 âmes
dans l’Union, n’est représenté, dans la chambre basse, que par
52 voix, tandis que le protestantisme, qui en compte 1 ,305,890,
y est représenté par 78 voix. Si les représentations des deux
— 45 —
religions y étaient proportionnelles à leurs nombres respectifs,
elles devraient être comme suit : députés catholiques, 62| ;
protestants, 67|.
Le Haut-Canada qui, suivant le recensement de 1861, ren-
ferme 258,051 catholiques, n’élit, cependant, que 2 députés
catholiques.
Les nombres des races, étant encore plus disproportionnés
que ceux des religions, puisqu’ils sont : Français, 883,568 ;
Anglologues et autres, 1,623,187, on sent que la race fran-
çaise ne trouve pas une protection considérable dans l’acte
constitutionnel de 1840, et qu’elle n’a pas tort de rechercher
un autre ordre de choses qui l’abrite davantage contre les
chances des conflits possibles.
La confédération des deux Canadas ou de toutes les Pro-
vinces, en nous donnant une constitution locale qui sauverait,
cependant, les privilèges, les droits acquis et les institutions
des minorités, nous offrirait certainement une mesure de pro-
tection, comme catholiques et comme Français, autrement
grande que l’Union actuelle, puisque, de minorité nous devien-
drions et resterions, à toujours, la majorité nationale et la
majorité religieuse. Mais nous ne voudrions pas d’un ordre de
choses qui ne protégerait pas, au même degré, les minorités et
les majorités dans tout ce qui les constitue ; rien n’est durable
que ce qui est fondé sur la justice.
Nous avons dit, au commencement de cet article, qu’il y
ivait deux aspects, sous lesquels l’on pouvait envisager la ques-
tion : l’aspect de l’organisation générale et celui des organi-
sations locales. Nous venons d’examiner l’aspect local ; il ne
nous reste plus qu’à dire comment ces deux choses, la religion
Bt la nationalité, se trouveraient protégées dans la constitution
générale.
Il est évident, tout d’abord, que là constitution locale, étant
donnée au Bas-Canada, précisément pour les abriter, avec le
reste de nos institutions, et la constitution générale, ne devant
aucune action sur elles, la confédé-
— 46 —
ration ne saurait les mettre en danger d’une manière quelcon-
que. 11 y a plus, c’est que la langue française, la seule chose
qui pouvait être en péril, en dehors de l’organisation locale, a
trouvé, par le projet, dans la constitution générale, la même
protection, les mêmes droits et la même égalité que dans
l’Union actuelle.
Au point de vue de ces protections, la confédération des
deux Canadas eût pu être aussi bonne que la confédération de
toutes les Provinces de l’Amérique Britannique du Nord, mais
pas meilleure ; tandis qu’elle n’aurait pas offert les mêmes
avantages, sous tous les autres rapports, et, qu’avec elle nous
ne nous fussions pas trouvés placés dans des circonstances
aussi favorables pour le moment où nous aurons à aller
prendre notre place parmi les nations.
Si nous parlons a\ec autant d’insistance de ces questions si
pleines de délicatesse, c’est parce qu’il y a des doutes et des
craintes dans le sentiment public à leur endroit, et qu’elles
s’imposent impérieusement à l’examen, si nous tenons au succès
de l’unité de l’Amérique Anglaise. Qu’on ne se méprenne donc
pas sur nos intentions : nous ne demandons ni l’exclusion des
autres races et des autres religions, ni des privilèges pour les
nôtres. Ce que nous voulons uniquement, c’est que celles-ci
ne périssent pas.
C’est demander peu, ce nous semble, pour une race qui a
légué tant de sang, tant de gloire, tant de liberté au Nouveau-
Monde : c’est trop peu du moins pour qu’ailleurs on ait droit
de s’en aigrir ou de s’en inquiéter ! Aussi, disons -le, la con-
vention de Québec, pratique dans son but, juste et libérale
dans ses intentions, a tout d’abord compris ce qu’elle devait
faire et l’a fait sans hésiter, sans tirailler, sans murmurer et
sans se laisser prier.
Maintenant, si nous abordons la question des intérêts ma-
tériels et si, ainsi que nous croyons l’avoir démontré, plus
d’une fois dans le cours de ces écrits, nous n’avions que le
choix entre deux alternatives, en dehors de l’annexion aux
— 47 —
Etats-Unis : la confédération des deux Canadas et celle de
toutes les colonies de l’Amérique du Nord, il ne nous reste
plus qu’à nous demander dans quelle de ces deux conditions
d’être politique se trouve le plus de protection pour ces in-
térêts qui sont l’objet unique du débat, à l’heure qu’il est, en
Haut-Canada, au Nouveau-Bru nswick, dans la Nouvelle-
Ecosse, à Terreneuve et dans l’Ile du Prince-Edouard. Ici,
nous sommes plus à l’aise, car la question matérielle regarde
indistinctement, et au môme degré, toutes les races du Bas-
Canada.
Jusqu’à naguère, nous l’avouons, nous étions plus favorable
à la confédération des deux Canadas qu’à l’autre plus grande,
parce qu’alors nous n’avions pas de visées nationales et que
nous croyions y trouver plus de protection pour les intérêts
du Bas-Canada. Nous agissions comme si nous avions eu
affaire à des ennemis actuels ou probables, et, en bonne tac-
tique, nous voulions avoir à combattre le moins dennemis
possible; mais, depuis, nos rapports constants, durant les
jours de la convention, avec les hommes d’Etat éminents des
provinces atlantiques, ont fait disparaître de notre esprit bien
des appréhensions et bien des motifs de résistance.
Un sentiment d’équité présidait à toutes les paroles comme
il a présidé à toutes les délibérations de la convention. Les
sympathies paraissaient y être pour le Bas-Canada, bien que
la justice y fût pour tous. Est-ce parce que nous sommes les
moins forts numériquement et que l’instinct de conservation
portait les plus faibles à se tenir serrés les uns contre les
autres, dans un but de protection, contre la force envahis-
sante du plus fort?
Qu’on le comprenne bien, il ne peut y avoir ici que ia ques-
tion des intérêts matériels dans l’Union, puisque les autres
sont abrités par les constitutions locales. Or, dans le projet
de confédération, quant à ces intérêts, nous tenons la balance
entre les parties contractantes. Un journal du Haut-Canada
l’a si bien compris, qu’il a fait un calcul pour établir que, dans
— 48 —
trente ans, cette dernière province serait plus populeuse que
tout le reste de la confédération réunie et dominerait ainsi la
position.
Il oubliait une chose bien importante, c’est que, en supposant,
ce qui est faux historiquement, que la population du Haut-
Canada pût continuer à se doubler en vingt ans et que sa
représentation fût, en 1894, dans la chambre basse de l’Union,
plus considérable que celle de toutes les autres provinces
réunies, il n’en est pas moins vrai que la Chambre haute,
l’égale en pouvoirs et le contre-poids de l’autre, aura voix dé-
libérative et votera comme elle, au congrès national. Or, dans
cette Chambre, le Haut-Canada n’aura jamais plus de 24 voix,
tandis que nous en aurons 24 comme lui et que toutes les
provinces réunies, moins le Haut-Canada, y compteront 52
voix.
Ainsi donc, si le Haut-Canada doit avoir, un jour, la pré-
pondérance numérique, en bas, il ne pourra jamais l’avoir en
haut, où les rapports des nombres demeureront, à toujours,
ce qu’ils sont, actuellement, dans la constitution.
Il est donc de toute évidence que nous serions mieux au
point de vue des intérêts matériels dans la confédération de
toutes les provinces que nous ne le serions dans celle des deux
Canadas seulement, puisque, dans cette dernière, nous serions
24 contre 24 et qu’une seule voix, en se transposant, pourrait
placer la majorité du Conseil du côté de la majorité de la
Chambre basse et donner ainsi la prépondérance au Haut-
Canada. Dans la confédération de toutes les provinces, il
faudrait en déplacer 28, pour lui donner cette prépondérance.
Ainsi il n’existe aucun danger pour nous de ce côté.
Du reste, nulle circonstance, nulle cause ne pourrait réunir,
en une seule masse compacte, toutes les unités représentatives
du Haut-Canada, soit dans l’une soit dans l’autre Chambre,
car, l’expérience nous l’enseigne à toutes les pages de notre
histoire, il existera toujours des partis politiques et ces partis
agiront toujours à peu près en dehors des distinctions territo-
— 49 —
riales. De plus, les intérêts matériels ne reconnaissent pas
toujours les divisions territoriales, et les circonscriptions com-
merciales se confondent rarement avec les bornes géogra-
phiques ; c’est ce que nous voyons pour le Canada central et le
district de l’Outaouais, dont les intérêts commerciaux et indus-
triels sont presque identiquement les mêmes que ceux du Bas-
Canada. Qui contestera aussi, la carte de l’Amérique du
Nord à la main, que les intérêts matériels des provinces atlan-
tiques ne se rapprochent pas plus des nôtres que de ceux du
Haut-Canada ?
Nous pouvons donc dire, sans hésiter, que la confédération
de toutes les provinces vaut mieux, pour nous, que celle des
deux Canadas seulement.
Que faut-il conclure de toutes ces considérations, que
l’harmonie naîtra de la nécessité, pour les faibles comme pour
les forts, et le sentiment de la situation produira le sentiment
de la justice entre tous les éléments de la société politique
nouvelle ?
Nous terminons, par cet article, nos observations générales,
et dans le suivant nous entamerons la question des détails.
X.
LE PROJET DE CONSTITUTION DE LA CONVENTION
DE QUÉBEC.
c 8° Si l’époque favorable pour retoucher la constitution était arrivée, ceux
qui se sont chargés de ce travail ont-ils donné à la question la meilleure so-
lution possible dans les circonstances? »
Cette question couvre tout le projet de la convention de
Québec ; elle exige donc autant de subdivisions qu’il y a de
points importants à traiter dans ce projet.
Les délégués posent en principe :
« 1° Qu’une union fédérale, au sommet de laquelle se trou-
D
— 50 —
verait la Couronne Britannique, avancerait les intérêts et la
prospérité présente et future de l’Amérique Britannique du
Nord, pourvu qu’on put l’établir sur des bases équitables
pour toutes les provinces.
» 2° Que le meilleur système de fédération, pour ces pro-
vinces, le mieux adapté, dans les circonstances, à la protec-
tion de leurs intérêts variés et le plus capable de produire
l’efficacité, l’harmonie et la stabilité dans le fonctionnement
de l’Union, serait un gouvernement et un parlement généraux,
qui auraient le contrôle des choses communes à toutes, et des
législatures et des gouvernements locaux, qui auraient respec-
tivement le contrôle des choses locales.
» 3° Que le gouvernement et le parlement fédéraux devront
avoir pour mode d’être, autant que le permettront les cir-
constances, celui de la constitution britannique, la conven-
tion voulant, par là, exprimer son désir de perpétuer les liens
qui nous unissent à la mère-patrie et servir plus efficacement
les intérêts des populations des diverses provinces. »
Nous avons déjà établi, après avoir discuté tous les modes
d’être d’union, que le système de la fédération était celui qui
nous convenait le mieux, dans notre position, et qui pouvait le
mieux nous protéger et nous faire prospérer ; nous avons
établi que l’Union, une ou fédérale, de toutes les provinces
de l’Amérique Britannique du Nord, était une nécessité poli-
tique commandée par les circonstances et une sage prépara-
tion au passage de la sujétion coloniale à l’émancipation na-
tionale. Il ne reste plus maintenant qu’à examiner la ques-
tion de savoir si cette union est possible, dans la justice, avec
tant d’éléments divers et tant d’intérêts distincts.
Mais il semble que ces mots : Au sommet de laquelle se
trouverait la Couronne Britannique, doivent nous arrêter court
dans nos aspirations nationales, puisqu’ils constatent et con-
sacrent la perpétuité de l’état colonial !
Qu’on le comprenne bien, ce ne sont pas des aspirations
que nous avons exprimées, puisque rien ne nous serait plus
— 51 —
agréable que do voir perpétuer un état de choses qui nous a.
procuré jusqu’ici tant de bonheur, tant de protection et tant
de liberté, et que le plus longtemps nous jouirons de la tu-
telle maternelle, le mieux nous serons préparés pour les jours
qui doivent nécessairement venir, que nous le voulions ou que
nous ne le voulions pas ; encore une fois, ce ne sont pas des
aspirations que nous manifestons, c’est l’histoire que nous
écrivons, par anticipation, après les hommes d’Etat les plus
éminentset les plus autorisés de la mère-patrie.
Si le principe fédéral est le mieux adapté à nos circonstances
et à nos besoins, le mode de confédération proposé par la con-
vention a-t-il été sagement choisi et sagement médité ? La pré-
pondérance du principe unitaire, qui s’y trouve, est-elle bonne ?
convient-elle mieux à nos intérêts, devant l’expérience, que
la souveraineté des Etats, la délégation de bas en haut, la
division et réparpillement des forces nationales ? Y met-elle
en danger les choses locales ? Le système du gouvernement
parlementaire britannique, en autant qu’il est possible, «dans
notre état social et les circonstances que nous a faites la confé-
dération, est-il préférable aux formes républicaines qui se pro-
duisent ailleurs et dont les épreuves, qui durent depuis soixante-
quinze ans, nous sont connues?
Nous répondons : oui ! le projet de constitution de la con-
vention de Québec, dans son ensemble, a été sagement conçu !
Oui, la prépondérance de l’unité dans la constitution, avec les
conditions qui l’accompagnent, est préférable, à tous les points
de vue, à la souveraineté des Etals et à la délégation ! Oui, le
système du gouvernement parlementaire britannique vaut
mieux que les formes radicalement républicaines du gouver-
nement des Etats-Unis !
Que trouve-t-on dans ce projet de la convention de Québec,
que nous allons décrire à grands traits, et dont nous allons
donner un aperçu général, avant d’entrer dans les détails ? On.
y trouve un gouvernement et un parlement qui ne relèvent que
d’eux-mêmes et qui, sans avoir le pouvoir de déléguer, possè-
— 52 —
dent, sans entrave et sans contrôle étranger, la souveraineté
absolue, dans le cercle spacieux de leurs attributions ; qui
commandent, sans partage, à l’ordre public, à la dette natio-
nale, aux budgets, au commerce, aux tarifs, aux impôts inté-
rieurs et extérieurs, aux emprunts nationaux, aux postes, au
recensement, à la force et à la défense publiques, aux pêche-
ries, à la navigation, au monnayage, aux cours et aux institu-
tions monétaires, aux prix de l’argent, au code criminel et,
presque partout, au code civil ! On y trouve, en un mot, pres-
que l’unité nationale, mais on y trouve aussi des organisations
indépendantes de l’organisation générale et tenant, aussi abso-
lument, leurs attributs, du même pouvoir que le gouvernement
et le parlement généraux ; des organisations locales parfaite-
ment capables de protéger les choses locales, et une attribution
de deniers publics, entre les provinces, pour les objets locaux,
suffisante et équitable, si l’économie et la sagesse président à
l’administration des gouvernements sectionnaires.
Que faut-il à nos besoins et à nos circonstances ? Ce qu’il
nous faut ? c’est une organisation générale dont la force de
cohésion nous assure le salut, dans l’avenir, contre l’agression
étrangère ou la dissolution intérieure des forces nationales qui
se manifeste si tristement aux Etats-Unis ; ce qu’il nous faut
encore, c’est protection et sécurité parfaites pour les institu-
tions locales que nous avons, jusqu’ici, portées comme une
arche sainte, au milieu de tous les périls, et auxquelles nous
avons fait traverser intactes les époques les plus orageuses de
notre histoire, sans permettre au temps de les entamer ou à la
haine de les flétrir.
Or, nous l’avons, au sommet de la constitution qu’on nous
offre, cette forte organisation constituée dans l’unité et dans
la plénitude des attributs nationaux ; or, nous les avons, cette
sécurité et cette protection, dans les législatures et gouverne-
ments locaux qu’on nous donne ; nous les y avons beaucoup
plus que dans l’Union actuelle.
Admettre comme base de la constitution générale la souve-
— 53 —
raineté de l’Etat et le droit de délégation, c’est proclamer, du
même coup, le droit de séparation ; c’est placer nécessaire-
ment, dans le système, un germe de dissolution qui devra, tôt
ou lard, produire ses fatales conséquences.
Ou, avec le principe de la souveraineté de l’Etat, dans un
péril imminent, on sauvera l’unité nationale, par le despotisme
militaire, dont l’Union américaine nous présente aujourd’hui
le lamentable spectable ; ou bien, comme en 1812, le gouver-
nement national se trouvera paralysé par le mauvais vouloir
des Etats.
Pour empêcher les différents pouvoirs de s’absorber, aux
Etats-Unis, on a placé, au-dessus de la constitution, une cour
suprême qui la garde et qui a la mission d’y ramener les pou-
voirs qui s’en écartent ; mais, fonctionnaires généraux eux-
mêmes et sentant, par leur position, le besoin de fortifier le
gouvernement général, les juges de la cour suprême des Etats-
Unis effacent, une à une, delà constitution, au profit de l’unité
et de la force nationales, les attributs que croyaient s’être ré-
servés les Etats en déléguant certains pouvoirs définis au gou-
vernement central.
Avant la guerre, ils n’avaient pas osé soutenir que le Prési-
dent ou le Congrès des Etats-Unis pouvaient mettre la main sur
les constitutions des Etats, et changer fondamentalement leurs
institutions locales. Aujourd’hui, au moins, ils laissent faire.
Est-ce parce qu’on ne réclame pas ou parce qu’ils pensent que
l’intérêt fédéral doit dominer la constitution, faite pour le
régler et librement consentie dans un Congrès d’Etats ?
Nous n’irons pas jusqu’à affirmer, contre les enseignements
de l’histoire, que la guerre civile n’est pas possible, dans un
pays constitué dans l’unité administrative et législative, car
les déchirements nationaux peuvent avoir plus d’une raison
d’être et rien de ce qui est humain n’est sûr de durer toujours;
mais, au moins, l’on doit éviter, quand on le peut, de consti-
tuer un ordre politique sur des principes dissolvants, si l’on
tient à ce qu’ils vivent et se perpétuent. Or, le principe dis-
— 54 —
solvant pour la constitution américaine, c’est la souveraineté
de l’Etat, qui permet aux anciennes colonies du Sud de main-
tenir, chez elles, intact, l’esclavage, et qui défend au Congrès
d’y toucher.
L’esclavage était une question sociale et conséquemment
d’ordre public ; il devait donc, logiquement, être soumis au
contrôle du gouvernement et du parlement fédéraux.
On nous répondra, sans doute, comme nous l’avons plus
d’une fois dit nous-même, que la constitution américaine de
1789 fut un compromis ; que, pour obtenir l’Union, entre les
divers Etats qui venaient de conquérir leur indépendance et qui
obéissaient à des instincts et à des institutions si différents et
même si opposés, il fallut faire bien des concessions et même
taire jusqu’au nom de l’esclavage, et que les Etats, dont plu-
sieurs se sont laissé prier assez longtemps pour entrer dans
l’Union, ne consentaient à accepter celle-ci qu’à la condition
qu’on leur laisserait intacte leur souveraineté.
Tout cela est vrai ; mais précisément parce que cela est
vrai, que nous sommes situés dans des conditions différentes
et que nous avons le moyen d’éviter les dangers qui sont en
germe dans la constitution américaine, nous devons avoir la
volonté ferme de les parer et de constituer notre nationalité
future sur des bases plus fermes, des éléments plus homo-
gènes et des principes plus indissolubles.
Si nous n’avions pas notre propre expérience du fonction-
nement de la chose publique, expérience qui dure depuis
vingt-trois ans, dans les épreuves les plus difficiles et les plus
variées, nous dirions encore, l’histoire sous nos yeux : La mo-
narchie, tempérée parle principe démocratique, c’est-à-dire le
gouvernement parlementaire, est préférable, sous tous les rap-
ports, aux formes républicaines de la constitution des Etats-
Unis. Il donne des garanties plus grandes, contre le despo-
tisme du pouvoir, avec une somme de protection et de liberté
plus considérable pour les individus, et au peuple un contrôle
plus immédiat, plus spontané et plus sûr sur l’administration
et sur la législation.
— do —
Mais pour que ce système ait toute son efficacité, pour qu’il
puisse résister aux épreuves, souvent les plus formidables,
celles qui ont fait tomber tant de trônes et brisé tant de cons-
titutions, il faut qu’il soit essentiellement britannique dans son
but, dans son esprit et dans son fonctionnement ; il faut que
les pouvoirs constitutifs de l’Etat, tout en étant parfaitement
distincts, possèdent une mesure d’élasticité qui les sauve dans
les grands périls et qui leur permette de se tendre au besoin,
même fortement, sans se rompre ; il faut que l’exécutif, en-
touré du respect et de la vénération du peuple, soit en haut,
et que les contrôles et le droit de conseil, avec ses respon-
sabilités, soient en bas ; il faut encore qu’il n’y ait pas, en
haut ou en bas, des obstacles permanents qui s’opposent à
l’expansion de la pensée nationale, arrivée à sa maturité dans
les épreuves, et que le pouvoir soit, en haut, capable de briser
F obstacle d’en bas, et, en bas, celui de briser l’obstacle d’en
haut, s’il en est besoin, c’est-à-dire que le pouvoir de dissou-
dre le parlement soit en haut et, en bas, celui de dissoudre
les cabinets et de les remplacer par d’autres plus en har-
monie avec le sentiment public ; il faut, en un mot, que le
gouvernement pour le peuple soit essentiellement et véritable-
ment le gouvernement par le peuple.
Qui oserait dire que l’on trouve cette liberté dans l’ordre,,
cette élasticité, si nécessaire, ce contrôle, si constant et si
spontané du peuple sur l’administration de la chose publique,
dans le système américain ? Le chef de l’exécutif y est élu par
le peuple, c’est vrai ; mais, pendant toute la durée de son
mandat, il est le maître absolu de ses actes et il peut exercer
ses pouvoirs avec un despotisme absolu ; il peut défier, pen-
dant quatre ans, la volonté populaire, manifestée par les voix
électoraux pour les fins de la représentation dans la législature locale, et
distribuer, de la manière qu’elles le jugeront convenable, les représentants
auxquels elles auront respectivement droit. *
— (23 e et 24 e paragraphes du Projet de Constitution.)
Ces deux clauses s’expliquent assez d’elles-mêmes. La
23e nous dit que ce sera, dans chaque province, la législa-
ture locale, et non le parlement fédéral, qui fixera les limite»
des comtés pour la représentation du parlement fédéral.
Il est bien entendu qu’il s’agit des limites, et non du nombre
des comtés, lequel sera réglé de la manière que nous l’avons
expliqué dans les deux précédents articles. Ainsi donc, il
faudra, dans l’acte constitutionnel, un mécanisme pour mettre
— 87 —
les provinces en demeure de répartir chez elles la représen-
tation d’après le recensement. Ce sera, sans doute, le gou-
vernement général qui aura le rôle de leur communiquer, par
l’entremise de leurs propres gouvernements, le résultat du
recensement et la part de représentation afférente à chacune
d’elles.
Quant à la représentation locale, elle sera réglée comme
bon l’entendra la législature de chaque province, qui fixera les
limites de ses comtés locaux et statuera sur le nombre de ses
représentants.
XÏX.
«Le parlement fédéral pourra, quand il le jugera convenable, augmenter
le nombre des représentants, mais il devra conserver les proportions alors
existantes. »
— (25 e paragraphe du Projet de Constitution.)
Cette clause est en contradiction directe avec la 20° qui dit
que « le Bas-Canada n’aura jamais ni plus, ni moins de 65 re-
présentants, » et nous ne comprenons pas pourquoi, après
avoir entouré cette question de la représentation d’autant de
précautions et d’autant de tempéraments qui en arrêtent ou en
amoindrissent les conséquences ; pourquoi, après avoir pro-
noncé le mot jamais, l’on écrit quelques lignes plus bas :
pourra quand il le voudra ?
Ecoutons M. Galt :
tTout naturellement, pour pourvoir à l’établissement des portions éloi-
gnées du pays qui peuvent être ouvertes à la culture, de temps à autre, on a
réservé le pouvoir d’augmenter le nombre des représentants ; mais, dans
les augmentations, il faudra que les proportions relatives soient mainte-
nues.»
Si M. Galt entend dire par « seulement of theremote portions
of the country. which might be brought in from timeto time* les
portions du pays qui sont encore en forets et qui pourront plus
tard être livrées à la culture, il nous semble que, pour rester
fidèles au mot jamais de la 20° clause, il serait facile, sans
— 88 —
augmenter la représentation, de redistribuer le sol représenta-
tif de manière à satisfaire à tous les droits, à tous les besoins
et à toutes les aspirations.
S’il s’agissait de l’entrée d’autres provinces, tels que les ter-
ritoires du Nord-Ouest, de la Colombie etdel’iledeYancouver,
dans la confédération, ce serait autre chose, car il faudrait
bien donner à ces provinces une représentation dans les deux
chambres du parlement fédéral ; une, permanente dans le
Conseil Législatif, et une autre, subissant les mouvements de
hausse et de baisse, dans la Chambre des Communes, comme
celles de toutes les autres provinces fédérées. Le projet de
la convention prévoit ce dernier cas.
Quoique l’on fasse, si l’on augmente la représentation, l’on
pourra bien adhérer strictement aux mêmes proportions, mais
l’on n’arrivera jamais aux mêmes résultats numériques rela-
tifs.
Donnons-en de suite la preuve par des chiffres : Supposons
que la représentation du Bas-Canada, — car celui-ci doit toujours
être la base de nos calculs, — soit de 100 députés, au lieu de
l’être, comme aujourd’hui, de 65, la population moyenne, pour
chaque député, sera de 11,106, et, en divisant, par ces 11,106,
la population du Haut-Canada, 1,396,091, l’on aura, pour
cette dernière province, une représentation de 126 députés.
L’on aura conservé, si vous le voulez, strictement les pro-
portions ; mais cela n’empêche pas que le Haut-Canada aura
gagné 9 voix sur nous, puisqu’en conservant, pour base des
calculs représentatifs, la représentation actuelle du Bas-Canada,
à 65, le Haut-Canada n’aurait eu que 17 voix de plus que nous,
tandis qu’en substituant 100 à 65, pour la représentation du
Bas-Canada, le Haut-Canada en aura 26 de plus que le premier.
Voici comme les chiffres se posent actuellement dans le pro-
jet: B. C— 65, H. C— 82, différence en faveur du Haut-
Canada, 17; et voici comme il se poseraient dans l’hypothèse
que nous venons de soumettre: B. C. — 100. H. C. — 126,
différence en faveur du Haut-Canada, — 26.
Ou donc il faut faire disparaître le mot jamais dans la 20 e
— 89-
clause, ou bien il faudra effacer la clause 25° qui contredit, si
diamétralement, l’autre.
Après avoir donné des limites si positives à la représenta-
tion et avoir posé des freins si forts, à son expansion, pour-
quoi donc, presqu’immédiatement après, déclarer que tout
cola pont disparaître sous le souffle d’une simple majorité
parlementaire? Nous avons, dans le Conseil Législatif, 76
représentants ; c’est plus que n’en renferme le Sénat des
Etats-Unis avec une population de 30,000,000. Nous en
avons 194 dans la Chambre des Communes, pour une
population, disons, de 4,000,000. tandis que, dans la chambre
des représentants du Congrès, Tonne compte que 300 députés
ou à pou près, pour une population de 30,000,000.
Notre représentation, du reste, peut augmenter dans les
conditions d’être qui lui sont faites, par la 20 e clause du projet ;
il suffira, pour cela, que la population de plusieurs provinces,
ou d’une seule, augmente plus rapidement que celle du Bas-
Canada. Si, par exemple, la population du Haut-Canada
suivait indéfiniment sa progression d’augmentation des 25
dernières années, il n’y aurait pas de limites à l’augmentation
de la représentation.
Cependant, l’on pourrait établir un moyen terme, pour
mettre d’accord la clause 20° et la clause 25° ; ce serait de
modifier ainsi la 25 e : « Le parlement fédéral pourra aug-
menter la représentation, quand il le jugera convenable ; mais,
pour cela, il faudra le consentement des deux tiers des
membres, présents et absents, des deux chambres, c’est-à-
dire 130 voix, dans la chambre des communes, et 51 voix,
dans le Conseil législatif. »
De celte manière, il n’y aurait qu’une nécessité absolue
qui engagerait le parlement à porter atteinte à la clause 20 e ,
et la clause 25 e serait à celle-ci une garantie suffisante de
stabilité.
L’on devrait d’autant plus consentir à cette restriction, ou
à quelqu’autre semblable, qu’en écrivant le mot jamais, dans la
20 e clause, on a dû vouloir par celle-ci stabilité et durée.
— 90
XX.
i Jusqu’à ce que le parlement fédéral en décide autrement, les lois re-
latives à l’éligibilité des conseillers législatifs et des représentants du
peuple, à la capacité des électeurs, aux élections et aux contestations d’élec-
tions, continueront d’être en force, dans les diverses provinces, et d’y être
applicables aux conseillers législatifs, aux représentants, aux électeurs et
aux élections de ces provinces respectivement.
« La durée de chaque Chambre des communes sera de cinq ans, à
compter du jour des rapports des brefs d’élections, à moins que le parlement
ne soit dissous plus tôt par le gouverneur général.»
— (26 e et 27 e paragraphes du Projet de ConslUution.)
La clause 26 ne demande pas d’explications ; mais la clause
27 suscitera probablement des débats. Les partisans des
parlements annuels, qui sont bien peu nombreux, aujourd’hui,
parmi nous, crieront que l’on veut restreindre le contrôle du
peuple sur ses représentants. Mais, si l’on considère que,
bien que le maximum de durée, pour nos parlements, soit de
quatre ans, nous avons eu 9 élections générales, en 24 ans,
échelonnées comme suit: 1841,44,48,51,54,57,59,61 et 63,
et que, conséquemment, la moyenne de chaque parlement n’a
été que de deux ans et deux tiers, l’on ne trouvera pas exagéré
le chiffre de 5 années, pour maximum du parlement fédéral,
lequel nous donnera 3 ans et demi pour durée moyenne des
parlements. C’est assez peu.
On nous dit qu’un effort a été fait pour établir, à 7 années,
comme en Angleterre, le maximum de la durée, mais que la
très-grande majorité des délégués s’est prononcée pour 5 ans,
comme étant le chiffre le plus acceptable aux populations.
Toujours, ce dispositif n’a provoqué aucune objection, dans
les diverses provinces. Comment l’aurait-il pu faire aussi,
puisque les populations de nos provinces sont littéralement
agacées par les élections qui se succèdent, pour ainsi dire,
sans interruption, du 1 janvier au dernierdécembre de chaque
année ? Elections du Conseil Législatif, élections de l’Assemblée
Législative, élections des conseillers municipaux, élections
— 91 —
des commissaires d’écoles (en Bas-Canada), élections des mar-
guilliers, et quelles autres encore.
Bientôt, si la confédération s’établit, nous perdrons les
élections des conseillers législatifs, qui se reproduisent tous les
8 ans ; mais nous aurons, à leur place, les élections fédérales,
qui se feront, à peu près, tous les 3 ans et demi, les élections
des assemblées législatives locales, qui se feront probablement
à des époques plus rapprochées, et, peut-être, celles des con-
seillers législatifs locaux.
Ceux qui ont vu passer bien des élections sous leurs yeux
savent leur effet démoralisateur sur les populations, et on ne
doitjConséquemment, en user que dans la mesure nécessaire à
la liberté et au contrôle salutaire du peuple sur ses représen-
tants.
Pour notre part, nous eussions préféré 6 ans pour maxi-
mum, ce qui nous eût donné des parlements, en moyenne, à
peu -près tous les 4 ans. Cependant, nous acceptons volontiers
le chiffre 5 qui est une amélioration sur celui de 4, parce
qu’il tend à éloigner un peu plus les époques électorales et
qu’il s’accorde davantage avec le sentiment presqu’universel
de toutes les provinces.
XXI.
Nous sommes arrivé aux attributions du parlement général,
lesquelles comprennent toutes les questions d’ordre public,
moins celles qui sont spécifiquement réservées aux législa-
tures locales : la dette et la propriété publiques, le commerce,
les impôts directs et indirects, l’accise, les emprunts sur le
crédit public, le service postal, la navigation, les chemins de
fer, les canaux et les autres travaux interprovinciaux, la télé-
graphie, le recensement, la milice de terre el de mer, la qua-
rantaine, les pêcheries, le cours monétaire et le monnayage,
les institutions monétaires de tous les noms, les poids et me-
sures, les lettres de change et les billets promissoires, la ban-
— 92 —
qucroute et l’insolvabilité, les brevets d’invention et de décou-
verte, le droit d’auteur, les Indiens et ce qui les touche, la
naturalisation et les aubains, les lois criminelles, les lois ci\i-
les, avec de certaines restrictions, partout, excepté en Bas-
Canada, l’établissement d’une cour générale d’appel pour les
provinces confédérées, l’immigration et l’agriculture.
Partout où des causes exceptionnelles ne mettent pas obsta-
cle à la règle générale, les attributs, que nous venons d’énu-
mérer, doivent appartenir au parlement fédéral, si Ton tient à
l’unité dans l’action, à la rapidité dans l’exécution, à l’unifor-
mité et à l’efficacité dans le résultat. Aussi ne parlerons -nous
que de ceux qni peuvent fournir matière à discussion, à cause
de la position exceptionnelle où se trouve le Bas-Canada.
La première de ces questions exceptionnelles qui se pré-
sente est la 31 e de la 29 e clause du projet :
« LE MARIAGE ET LE DIVORCE.. »
Sans le Bas-Canada, il est plus que probable que Ton eût
universalisé le code civil et qu’il eut été l’un des attributs ab-
solus du parlement général. Ce qui donne à le penser, c’est
que le code criminel en est un par la 32 e section de la même
clause; c’est que, dans la 33 e section,aussi de la même clause,
l’on prévoit le moment où les lois civiles seront les mêmes
pour toutes les autres provinces que le Bas-Canada.
Mais celui-ci a son code civil, à lui en propre, et qu’il n’aban-
donnerait pour rien au monde, car il est appuyé, prcsqu’en to-
talité, sur la raison écrite, sur le droit romain, cette gigantes-
que manifestation de la sagesse humaine ; parce qu’il est dans
nos mœurs, dans nos affections, et que nous croyons y trouver,
plus que partout ailleurs, protection pour nos propriétés et
pour nos familles. Or, le mariage et le divorce font essentiel-
lement partie du code civil.
Le mariage et le divorce ! Yoilà deux grandes questions
sociales du premier ordre, ou plutôt c’est la société elle-même,
exprimée dans sa condition normale ou dans son état de
dissolution.
— 93 —
La raison nous dit, à nous, que le mariage ne saurait être*
rompu pour une cause quelconque, et le parlement français,
après avoir replacé l’indissolubilité du lien conjugal dans le
code civil, eu 1810, sous l’inspiration civilisatrice de Chateau-
briand., l’y a constamment maintenue depuis, malgré les efforts,
trois fois répétés, de la chambre représentative pour l’en faire
disparaître, et même avec le concours de l’immense majorité
de cette même chambre populaire, après la révolution de
Juillet. Ce n’était pas la pensée catholique qui dirigeait ces
hommes, c’était la simple raison ; c’était le désir, chez eux,
de conserver la famille intacte pour que la société, en elle, ne
fût ni atteinte ni brisée.
Qu’est-ce donc, en effet, que la société, considérée même en
dehors de sa sanction, le christianisme, qui l’élève et en pro-
tège l’inviolabilité ? N’est-ce qu’un pêle-mêled’êtres humains,
sans rapports nécessaires entre eux, sans but, sans lois et sans
devoirs ? Si c’est cela, pourquoi alors ces lois civiles qui obli-
gent, qui attribuent, qui constatent les devoirs, les droits et
les obligations réciproques ? pourquoi encore ces lois crimi-
nelles qui viennent derrière les premières pour leur donner
main-forte et protéger avec elles les personnes et les pro-
priétés contre les violateurs des droits créés pour les premiers
et des devoirs créés pour les seconds ? En un mot, autour de
quoi circulent toutes ces lois civiles si sagement conçues, si
compliquées et si savamment élaborées ? Autour de la pro-
priété !
C’est donc uniquement par rapport à la propriété qu’exis-
tent des droits et des devoirs, dans l’ordre social ; l’ordre reli-
gieux est la société marchant à son but, et l’autre la société
dans son mécanisme et dans son fonctionnement.
Mais si l’on environne la propriété de tant de sauvegardes,
de tant de respects et, disons, de tant de religieuse vénération,
il faut donc qu’elle soit plus qu’un fait ; il faut que le moi et
le toi, qui sont tout le code civil, aient leur raison d’être
ailleurs que dans la brutalité des faits matériels ; il faut, en
un mot, qu’elle soit divine dans son essence, car, autrement,
— 94 —
ce moi et ce toi ne signifieraient rien et n’obligeraient à rien,
et les lois qui les constateraient seraient des absurdités et des
atteintes criminelles à la liberté individuelle.
Qu’est-ce donc, encore une fois, que la propriété? La pro-
priété, c’est le fondement de la société ou plutôt c’est la société
elle-même, puisque, sans elle, le mot société n’a plus de signi-
fication. Et le mariage, qu’a-t-il à faire ici? qu’est-ce pour
occuper une si large part dans l’histoire de l’humanité tout
entière et dans le code civil ? C’est la formule sociale ; il est
à la propriété ce que les formes sont aux corps ; l’une ne peut
pas exister sans l’autre, et, si la propriété est elle-même sacrée
et divine dans son origine, sa formule, qui lui est inhérente,
doit l’être nécessairement comme elle.
Le mariage, c’est le moyen naturel de transmission de la
propriété ; voilà pourquoi on l’a retrouvé, dans des conditions
diverses, mais toujours partout, à toutes les époques du
monde et jusque chez les peuplades les plus barbares, au-
près desquelles la civilisation n’avait pu pénétrer qu’à travers
une nuit profonde.
Que sont donc les lois par rapport à la propriété? rétablis-
sent-elles ? Non, elles ne font que la constater, la régler et en
déterminer le mode de transmission. Que sont-elles par
rapport au mariage ? l’établissent-elles ? Non, il est avant
elles, il vient immédiatement après la propriété, qui ne peut
se passer de lui et sans laquelle la société n’existerait pas.
Elles ne font que le régler, lui aussi, dans ses effets pour la
transmission de la propriété !
Pourquoi l’Ecriture Sainte est-elle si pleine de malédictions
et de terribles vengeances contre l’adultère, si ce n’est parce
que celui-ci introduit l’étranger dans la famille et dérobe
ainsi la propriété à l’héritier légitime ? Donc le mariage
doit être sacré et inviolable, puisque la propriété l’est et
qu’elle ne pourrait pas l’être, s’il ne l’était pas ; et les écarts
des individus ne sauraient pas plus y porter atteinte qu’ils ne
sauraient porter atteinte au principe de la propriété.
Les nations protestantes ont, nous le savons, d’autres no-
— 95 —
tions que nous sur le mariage ; elles admettent des causes de
divorce. Mais, du moment qu’elles les admettent, elles attei-
gnent fatalement le mariage, elles ouvrent une large barrière
à la dissolution des liens sociaux, puisque la famille n’est plus
inviolable.
Comment peuvent-elles dire : « Yous irez jusque-là et vous
n’irez pas plus loin,» car, si elles admettent que le mariage
est une question d’ordre politique, la loi qui le concernera
sera ce que la feront les mœurs, solide aujourd’hui et fragile
demain. C’est l’histoire de tous les peuples, c’est, malheu-
reusement, celle de l’Angleterre aujourd’hui.
Le protestantisme se fonde, pour admettre le divorce pour
cause d’adultère, sur ces paroles du Sauveur : « Je vous dis
que celui qui renverra sa femme, si ce n’est pour cause d’a-
dultère, et en épousera une autre, deviendra adultère lui-
même, et celui qui épousera celle qui a été renvoyée sera
adultère aussi.»
Il était pourtant difficile de se méprendre sur le sens de ces
paroles divines, puisqu’en ne défendant au mari le renvoi de
sa femme que pour cause d’adultère, le fondateur du chris-
tianisme refusait de permettre même la simple séparation
pour incompatibilité d’humeur, et qu’il ne la permettait que
pour la seule cause d’adultère.
Sa pensée devient encore plus nette quand il appelle adul-
tère celui qui épouse la femme renvoyée. Si le lien matrimo-
nial avait pu être rompu pour cause d’adultère, celui qui aurait
épousé la femme, après le divorce,n’aurait pu être adultère lui-
même, car la raison nous dit qu’on ne peut pas détacher et
lier tout ensemble.
Tout en maintenant l’inviolabilité du lien conjugal, et, con-
séquemment, de la formule sociale, le Sauveur du monde pou-
vait bien permettre le renvoi de la femme adultère, et
l’expulsion du lit conjugal de l’être qui l’avait souillé : et c’est
ce principe que les législateurs chrétiens ont consigné dans 1er
code civil, sous le nom de séparation de corps.
Cependant, quoiqu’il en soit des principes et des devoirs, les
— 96 —
parlements ont le pouvoir (nous voulons parler de force ma-
jeure) de régler les questions de mariage et de divorce, aussi
bien que les rapports entre les personnes et les biens et la
transmission de la propriété. Notre législature a plus d’une
fois exercé ce pouvoir, parce que les protestants y sont en
majorité, et la simple question que nous avons à examiner au-
jourd’hui, est celle-ci : h mariage et le divorce doivent-ils être
des attributs du parlement fédéral ou des législatures locales ?
Nous allons répondre à la dernière question d’abord, celle
qui regarde le divorce.
XXII.
LE DIVORCE.
Pour notre part, nous sommes d’opinion que le divorce,
puisqu’il doit être soumis nécessairement à un contrôle quel-
conque, le soit à celui du parlement fédéral au lieu d’être un
attribut des législatures locales.
C’est le sentiment catholique qui a présidé, chez plusieurs,
à l’opinion que l’on devait laisser à celles-ci cette question
sociale si importante ; mais que l’on n’oublie pas, d’abord,
qu’en la laissant en ce qui regarde le Bas -Canada, à
une majorité protestante, nous ne ferons que maintenir
l’état actuel. Ensuite, nous évitons bien des causes de
contention et bien des réclamations ardentes qui finiraient
par être écoutées par la mère-patrie chez qui le divorce est
légalisé et fonctionne comme institution sociale.
Qui nous dit aussi que les protestants, qui sont en très-forte
majorité, dans notre propre parlement, et qui devront com-
poser les deux tiers de la confédération, eussent consenti à
localiser la législation sur le divorce? Mais supposons qu’ils
l’eussent fait, eût-il été bien sage d’établir une règle qui, tout
en paraissant bonne pour une Province, en eût atteint fatale-
ment cinq autres où les protestants sont en forte majorité ?
En soumettant le divorce au contrôle des législatures locales,
on l’eût rendu beaucoup plus facile et aussi fréquent que dans
certains Etats de l’Union Américaine.
— 97 —
Plus le tribunal, devant lequel les justiciables iront de-
mander la dissolution du lien conjugal, sera élevé et moins les
cas de divorce seront fréquents. Nous ne nous rappelons
que quatre cas, depuis 1841. Il en coûte si cher pour divorcer
et la constatation du déshonneur est entourée de tant de
hideuse publicité et d’une solennité si lugubre que presque
tous reculent devant la terrible épreuve.
Mais si la législation, sur le divorce, était laissée à chaque
Province, il pourrait en être bien autrement, carie bon marché
de la procédure et sa solennité, comparativement moins
grande, finiraient par multiplier les cas à l’infini comme dans
certaines parties des Etats-Unis, où elle est aujourd’hui une
institution qui domine celle du mariage, et qui y a des racines
plus profondes que lui, puisqu’il a les mœurs pour sol. Si,
plus tard, la législature fédérale, ce que nous ne souhaitons
ni n’anticipons, adoptait une législation générale sur le divorce,
tâchons d’obtenir au moins qu’elle ne puisse atteindre que
les protestants.
Mais, si, jusqu’ici, la majorité protestante n’a pas même eu
la pensée de cette législation générale ; si elle a tenu unifor-
mément à décider chaque cas en lui-même et sur son mérite
propre, pour rendre le divorce plus impossible et ne l’admet-
tre que dans des circonstances d’une nature extraordinaire, en
l’entourant de toute espèce de difficultés et en le faisant très-
coûteux à obtenir, nous devons croire, qu’à moins d’un abais-
sement du niveau des mœurs, dont nous ne voyons encore
aucun indice, le même sentiment prévaudra dans le parlement
fédéral.
Les législatures locales, dont quelques-unes d’elles repré-
senteront de très-petites Provinces, ne sauraient nous donner
les mêmes garanties de conservation et d’élévation, dans les
idées et dans les sentiments, que le parlement fédéral, où
siégeront la plupart des hommes éminents de toutes les pro-
vinces. Ceux-ci, par dignité personnelle, en dehors de toute
autre considération, tiendront à maintenir la société dans des
conditions de respectabilité.
— 98 —
Cette proposition, du reste, ne paraît pas avoir soulevé
d’opposition de la part de ceux qui ont autorité pour parler et
pour juger ; seulement, on a cru qu’il était blessant, pour les
oreilles catholiques, d’entendre prononcer, aussi souvent et
aussi crûment, le mot divorce. On a été chagrin de le voir
écrit en lettres aussi distinctes dans la constitution nouvelle.
Si l’acte constitutionnel de 1840, a-t-on dit, donne, implici-
tement, au parlement canadien, le pouvoir de statuer sur le
divorce, du moins on ne l’y voit nulle part écrit ! Pourquoi
donc n’avoir pas dit, d’une manière générale, « que les pouvoirs,
non attribués spécifiquement et nommément aux législatures
locales, appartiendraient au parlement fédéral ? »
Nous serions parfaitement de cet avis si la chose pouvait se
faire sans produire précisément le contraire de ce que nous
voulons. En vertu de l’une des clauses du projet de la con-
vention,, la législation civile est laissée à la législature du Bas-
Canada et, comme le divorce n’est, légalement parlant, que la
dissolution d’un contrat civil, il s’ensuit qu’il tombe, comme
le mariage, dans la catégorie des lois civiles et se trouvera
être ainsi spécifiquement un des attributs de notre législature
locale.
Donc, si Ton veut que le divorce soit une question fédérale,
il faut le dire distinctement et nommément ; c’est une crudité,
si l’on veut, mais c’est une crudité nécessaire,
XXIII.
LE MARIAGE.
Mais il n’en est pas de même du mariage, qui ne peut con-
duire aux mêmes inconvénients et entraîner les mêmes con-
séquences. Le mariage, étant un contrat civil, appartient au code
civil, où il occupe, d’abord, spécifiquement, une très-large
place, et où, dans ses conséquences, sous un nom ou sous un
autre, il occupe presque tout l’espace. Si donc, comme le dit
— 99 —
le projet do la convention, le Bas-Canada doit avoir le con-
trôle de sa législation civile, pourquoi venir lui enlever, par ce
moyen détourné, ce qu’on dit lui donner autre part ? Ou le
code civil doit être sous le contrôle de la législature locale, ou
il n’y sera pas ; si Ton dit qu’il doit y être, qu’il y soit réelle-
ment et substantiellement.
Si, d’un autre côté, on nous répond, et nous le croyons,
« qu’on n’a pas intention de toucher au code et de détourner
les conséquences qui peuvent y résulter du contrat de ma-
riage, » il est mieux de définir de suite ce que l’on entend,
dans le projet, par le mot mariage.
Si, par mariage, que l’on y accouple avec le mot divorce,
Ton veut parler de la liberté donnée au divorcé de se remarier,
nous comprenons. S’il s’agit encore des degrés de parenté et
des causes dirimantes, nous comprenons encore. Mais il est
essentiel que l’on s’explique et que l’on définisse avec préci-
sion, car, autrement, il y aurait conflit inévitable, entre les deux
autorités législatives, ou anéantissement presque complet du
contrôle de notre législature locale sur notre code civil.
L’une des législatures dirait : « Nous avons le contrôle de
la législation sur le mariage. » Et l’autre : « Le mariage est
un contrat civil, il est dans notre code ; vous n’avez donc pas
le droit d’y toucher. Allez -vous, maintenant, déclarer qu’il n’y
sera plus à l’avenir ? Alors, pourquoi la constitution dit-elle
que nous avons le contrôle des lois civiles ? La 15 me section
de la 43 me clause du projet de la convention est donc une dé-
ception et un mensonge. »
Ces conflits seront portés devant les tribunaux judiciaires
et, à moins d’une définition exacte et distincte, les juges seront
partagés. Les uns diront « que le mariage, ici, n’a rapport
qu’au divorce et à la liberté, au divorcé, de se remarier ou non,
suivant les cas ; » d’autres : « que ce mot mariage comprend,
dans sa signification la plus large, tous les actes de mariage,
toutes les qualités et les conditions requises pour permettre
de contracter mariage, toutes les formalités relatives à sa célé-
bration, toutes ses causes de nullité, toutes ses obligations,
— 100 —
sa dissolution la séparation de corps, ses causes et ses effets,
en un mot, toutes les conséquences possibles qui peuvent
résulter du mariage, par rapport aux conjoints, aux enfants et
aux successions. Toutes ces choses donc appartiennent au
parlement fédéral, et toute législation sur le mariage est inter-
dite à la législature locale.
D’autres diront encore : Non, il y a juridiction concurrente,
et, partout où les deux législations sont en conflit, la législation
fédérale doit l’emporter, et la législation locale ne vaudra, en
ce qui regarde le mariage et ses conséquences, que là où le
parlement fédéral n’aura pas parlé.
Une quatrième catégorie répondra : Si le divorce appartient
exclusivement au gouvernement fédéral, parce qu’il se trouve
nommé parmi ses attributs, le mariage, qui y est nommé,
comme lui et de la même manière que lui, qui s’y trouve
même avec lui en juxtaposition, subira la même loi, car le
divorce, de sa nature, fait aussi essentiellement partie du
code civil, et si l’on peut soutenir la thèse de la double juridic-
tion, par rapport au mariage, on peut également la soutenir par
rapport au divorce.
Oui, ce mot, ainsi posé, fait une trouée immense dans notre
code civil. N’oublions pas encore que le même projet de cons-
titution dit que, partout où les législations des deux parlements
se trouveront en conflit, là où il y aura juridiction concurrente,
les juges devront donner la préférence aux lois du parlement
fédéral. Il est donc essentiel que l’on s’explique clairement,
afin qu’il n’y ait ni ambiguité ni mécomptes et que, s’il y a
certaines choses, en rapport avec le mariage ou le divorce,
que l’on préfère confier au parlement fédéral, on les définisse
si distinctement qu’il ne puisse pas y avoir méprise.
Nous savons que les délégués ont agi avec une sincérité et
une loyauté irréprochables, et, qu’en nous donnant, d’une
main, le contrôle de notre code civil, il était loin de leur
pensée de nous l’enlever, de l’autre, ou de l’estropier à l’aide
de la législation fédérale. Mais ils avaient tant de matières
d’un ordre politique supérieur à discuter ; ils avaient si peu
— 101 —
(le temps à donner à chacune d’elles, qu’il leur était impossible
de les définir toutes avec précision et de prévoir, dans ce
premier jet, tous les conflits et toutes les difficultés possibles.
Du reste, ils n’ont prétendu ni être infaillibles, ni placer, du
premier coup, chaque chose dans sa forme rigoureuse et per-
manente. Ils n’ont pu vouloir qu’indiquer, à grands traits,
les sujets et faire ressortir, d’une manière générale, les attri-
butions réciproques des deux autorités législatives.
Le projet devait être livré aux chambres et à la presse aux-
quelles la convention laissait la mission, comme le devoir, de
faire ressortir les choses oubliées à côté des grandes qualités
de son œuvre. Ce ne pouvait être qu’après cette rigoureuse
épreuve que les gouvernements, représentés par les délégués,
devaient corriger et définir, s’il y avait lieu ; autrement la pu-
blicité du projet que nous discutons perdrait son but.
XXIV.
« Les lois criminelles et la procédure en matière criminelle, mais non la
constitution des cours de juridiction criminelle. »
— ( 29 e paragraphe, section 32 e ,)
Rien n’est plus rationnel que ce dispositif, puisque le but
que l’on se propose est l’unité et que l’on doit y tendre, cha-
que fois que des considérations locales n’y mettent pas obs-
tacle.
Qu’est-ce que notre droit criminel, si ce n’est le droit crimi-
nel anglais, quelque peu modifié par nos statuts ? Et, encore,
les modifications ne sont, pour la plupart, que des calques des
changements, graduellement opérés, dans les lois criminelles,
par le parlement de la Grande-Bretagne.
Quel est le droit criminel du Haut-Canada et des provinces
atlantiques ? le même droit anglais aussi, légèrement modifié
par les statuts locaux. Et quels sont les livres qui font autorité
dans les cours d’assises de toutes les provinces ? Les livres
anglais ? Les livres anglais.
Disons que, si nous tenons, pour toutes les raisons que nous
— 102 —
avons données ailleurs, à notre code civil, nous tenons, pour
des motifs aussi forts, aux lois criminelles anglaises, qui sont
les nôtres, depuis la conquête et sont, aujourd’hui, passées
dans nos mœurs.
Si le code civil anglais est, le plus souvent, nébuleux et
obscur ; s’il repose plutôt sur les précédents que sur les
principes ; si les formes l’emportent, bien des fois, sur les
choses, si la fiction y domine presque toujours la réalité et si
la procédure y est un labyrinthe tortueux, où l’esprit se perd,
et où la science s’égare et se désole, il n’en est pas de même
de la loi criminelle, où l’arbitraire est, lui-même, un crime pu-
nissable par elle, où l’accusé peut trouver protection et ga-
rantie contre les surprises, comme contre la tyrannie des per-
sonnes, où, loin d’être condamné sans être entendu, on lui
fournit tous les moyens possibles de défense et on le met en
garde contre ses propres imprudences et ses propres indis-
crétions.
Si la loi criminelle anglaise peut avoir un défaut, c’est bien
celui de l’exagération dans le sens de la protection indivi-
duelle. Elle semble avoir un faible pour les individus et peut-
être ne protége-t-elle pas assez la société contre leurs agres-
sions.
En France, les antécédents d’un homme sont des achemi-
nements vers sa condamnation. On l’y prend pour ainsi dire
au berceau et, au moyen de jalons, que la police a plantés
derrière lui, a son passage, on lui trace, de mémoire, la route
qu’il a parcourue ; on lui nomme ses points et ses motifs
d’arrêt ; on lui raconte les actes de toute sa vie ; on lui rap-
pelle même jusqu’aux paroles qu’il a prononcées, peut-être
sans intention, et les compagnies qu’il a fréquentées. On lui
demande le motif de tous ses mouvements, pour prendre acte
de ses réponses ; on le pousse aux aveux pour les inscrire
contre lui. Ici, c’est la société contre l’individu et, dans la
lutte inégale, dont nous venons d’énumérer les péripéties ha-
bituelles, le dernier succombe presque toujours.
Le droit criminel anglais, au contraire, ne tient pas compte
— 103 —
du passé et, de crainte que l’accusé ne soit pas sur ses gardes,
le tribunal l’avertit solennellement qu’il n’est pas obligé de s’in-
criminer. Tous les doutes sont pour lui et, souvent même,
jusqu’aux sympathies du jury.
Si l’accusation est obligée de présenter des preuves directes
contre l’inculpé, si son caractère ne peut pas peser d’un poids
moral contre lui, lors même qu’il est accusé d’un crime atroce,
il peut, lui, au contraire, produire des preuves de bonne con-
duite générale et adoucir ainsi, s’il est possible, l’âpreté et la
force des preuves matérielles.
Il a le droit de récuser un nombre considérable de jurés et
il a, pour ainsi dire, le choix de ses juges, au nombre desquels
il place, souvent, des amis et des hommes disposés à le sauver
quand môme. On a tant de respect pour l’individu que le
moindre défaut de forme fait tomber toute la procédure, et
même échapper, quelquefois, au gibet des criminels déjà con-
damnés.
Le jury, malgré ses défauts et ses inconvénients, puisque
par lui tant de véritables coupables échappent à la justice,
n’en est pas moins, avec Yhabeas corpus, l’une des plus grandes
sauvegardes de la liberté individuelle. Ces deux grandes
choses sont, à juste titre, l’orgueil du peuple anglais.
C’est, comme nous le disions tout à l’heure, notre loi, mais
c’est aussi la loi des autres provinces qui tiennent, peut-être
encore plus que nous, aux immunités du code criminel anglais.
Il n’y a donc pas de danger, il y a sagesse, au contraire, à
livrer cette question au parlement fédéral.
XXV.
< L'établissement d'une cour générale d'appel pour les provinces fédérées.»
— ( 29 e paragraphe, section 34 e .)
» Le parlement fédéral pourra créer de nouveaux tribunaux judiciaires
et le gouvernement général nommer de nouveaux juges, etc., etc.
> Toutes les cours, les juges et les officiers des diverses provinces de-
vront aider le gouvernement général et lui obéir dans l’exercice de ses droits
— 104 —
et de ses pouvoirs ; pour ces objets, ils seront considérés comme cours, juges
et officiers du gouvernement général.
i Le gouvernement général nommera et paiera les juges des cours su-
périeures, dans les diverses provinces, et des cours de comtés, dans le Haut-
Canada, et le parlement fédéral déterminera leurs salaires.
« Les juges du Bas-Canada seront choisis parmi les membres du barreau
du Bas-Canada.
» Les juges des cours supérieures conserveront leurs charges durant bonne
conduite et ne pourront être déplacés que sur une adresse des deux cham-
bres au parlement fédéral.
> Pour tout ce qui regarde les questions soumises concurremment au
contrôle du parlement fédéral et à celui des législatures locales, les lois du
parlement fédéral devront l’emporter sur celles des législatures locales. Les
lois de ces dernières seront nulles partout où elles seront en conflit avec
celles du parlement fédéral.
i Chaque province aura un officier exécutif appelé lieutenant-gouver-
neur, lequel sera nommé par le gouverneur général en conseil, etc., etc.
» Les lieutenants-gouverneurs des provinces seront payés par le gou-
vernement général.
» Les bills des législatures locales pourront être réservés pour la consi-
dération du gouverneur général.
> Les bills des législatures locales seront sujets au désaveu du gouver-
neur général durant les douze mois qui suivront leur passation.»
—(31 e 32 e 33 e 35« 37 e 45 e 38 e 39 e 50 e et SI* paragraphes
du Projet de Constitution.)
Yoici un ensemble de dispositifs, qui tous concourent à
concentrer la puissance et législative et judiciaire dans les
mains du parlement et du gouvernement fédéraux. Tout
cela est parfait, tout cela tend bien au but et doit pré-
valoir, s’il ne s’y trouve rien qui soit en désaccord avec les
concessions faites aux législatures locales, et qui envahissent
ou absorbent leur attributs spécifiques.
Nous n’y verrions pas d’inconvénients ni de danger si nos
lois et nos institutions ressemblaient à celles de toutes les
autres provinces ; mais, malheureusement, il n’en est pas
ainsi. Nous avons des institutions et des lois à part qui de-
mandent une protection et des sauvegardes spéciales.
Nous admettons volontiers qu’il y avait de grandes diffi-
cultés à vaincre en Bas-Canada; que si, d’un côté, les Cana-
diens-français et les catholiques demandaient protection pour
leurs institutions, les protestants, qui devaient pourtant mieux
— 105 —
savoir, craignaient pour les leurs, dans une législature com-
posée, en majorité, de Français et de catholiques. Puisqu’ils
ne pouvaient obtenir un gouvernementetun parlement uniques,
dont nous ne pouvions pas vouloir et dont ne voulaient pas les
Provinces atlantiques, ils désiraient, au moins, arriver, par un
moyen plus détourné, à ce gouvernement et à ce parlement
central, où ils pensaient trouver plus de protection pour leurs
biens et, au besoin, pour leurs préjugés et leurs antipathies.
Laissons parler M. Galt :
« On a trouvé convenable de donner au gouvernement général le droit
d’établir une cour d’appel pour les provinces fédérées. Je pense que, tandis
que nous n’avons pas expressément pourvu à l’établissement de cette cour,
il est désirable, et c’est là l’opinion de plusieurs de ceux qui ont étudié la
question, que le parlement fédéral ait le pouvoir de créer un pareil tribunal,
s’il le juge à propos.
i A présent, les appels de nos cours sont renvoyés, en dernier ressort, au
conseil privé de Sa Majesté, et on n’a pas eu intention de faire disparaître ce
dernier tribunal ; mais, en même temps, il était bien, lorsque nous assimilions
le présent système de lois pour l’avantage de toutes les provinces, que l’on
pût réunir la sagesse collective de tous les juges réunis dans une cour géné-
rale d’appel qui devra décider en dernier ressort. Ce tribunal ferait indubita-
blement avant longtemps disparaître les appels en Angleterre qui se font à
des frais énormes.
• L’on a proposé aussi de demander au gouvernement impérial de conférer
au gouvernement fédéral le pouvoir d’établir une pareille cour, non, cepen-
dant, dans le but d’abolir le droit actuel d’appel en Angleterre.»
Après avoir parlé de l’importance de faire nommer les juges
par le gouvernement général et de les choisir indistinctement
dans toutes les Provinces, il ajoute :
« Mais, quant à ce qui regarde le Bas-Canada, où il existe un système de
lois tout à fait différent, il est clair qu’on ne peut choisir les juges que parmi
les hommes qui connaissent cette loi, et c’est pourquoi l’on a pourvu à ce
que les juges soient choisis dans les barreaux des provinces respectives où
ils auront à juger ; mais si la consolidation des lois des diverses provinces
maritimes et du Haut-Canada a lieu, alors les choix pourront être pris dans
tous les barreaux de ces diverses provinces indistinctement. »
Si nous avons réuni tant de textes ensemble, c’était pour en
faire connaître la tendance générale et pour voir, qu’en
ce qui regarde la question judiciaire, ils sont comme les
corollaires d’un même théorème. Il est quelques-uns de ces
— 106 —
dispositifs que nous envisagerons plus tard sous d’autres as-
pects et que nous apprécierons à d’autres points de vue.
Avec l’unité pour but, ces textes ont encore celui de ras-
surer la minorité du Bas-Canada sur les conséquences, pour
elles, de la confédération. A cela, nous n’objectons certai-
nement pas, pourvu que ce qui sera protection pour les uns ne
soit pas injustice pour les autres, et que les choses en appa-
rence données de bon cœur ne se trouvent pas être, au terme,
d’amères dérisions.
Regardez comme tout marche au même but :
1° Ce sont les cours, les juges et les officiers publics des
Provinces qui devront aider le gouvernement général et lui
obéir dans l’exercice de ses droits et de ses pouvoirs et qui
seront, pour cela, ses cours, ses juges et ses propres officiers.
2° C’est le gouvernement fédéral qui les nommera et qui les
paiera ;
3° C’est lui seul qui pourra les destituer ;
4° Quand celui-ci ne sera pas satisfait d’eux, bien qu’ils
soient à lui par la loi et qu’ils le soient réellement, puisqu’il
les paie, les nomme et peut les déplacer, il pourra, à sa
volonté, créer de nouveaux tribunaux judiciaires et nommer
de nouveaux juges et de nouveaux officiers qui seront, ceux-ci,
uniquement à lui et qu’il placera au-dessus des tribunaux
provinciaux, dans l’indépendance parfaite de ceux-ci et dans
la possession exclusive des objets que nous avons nommés
plus haut. Autrement, ils n’auraient pas de raison d’être.
Et comme, pour tout ce qui regarde les questions soumises
concurremment au contrôle du parlement fédéral et à celui des
législatures locales, les lois du premier devront l’emporter sur
celles des secondes, quand il y aura conflit, l’on doit prévoir
quelle chance auront celles-ci quand elles seront jugées par
des hommes qui ne les connaîtront pas et qui seront nommés
exprès pour faire prévaloir les lois du parlement central.
5° Pour couronner tout cet édifice judiciaire, le parlement fé-
déral se réserve la droit de créer, au besoin, une cour générale
— 107 —
d’appel qui prendra sa place au sommet de toute la hiérarchie
judiciaire et qui pourra en annuler toutes les décisions.
Comment, nous direz-vous sans doute, accorder cela avec
la clause 35 e , qui déclare « que les juges du Bas-Canada seront
pris dans le barreau du Bas-Canada, » parce que, d’après le
sens des paroles de M. Galt, il n’y a que des jurisconsultes
bas-canadiens qui puissent bien comprendre les lois du Bas-
Canada.
Comment cette cour d’appel, composée, aux trois quarts
ou aux deux tiers, d’hommes qui ne connaîtront pas nos lois,
pourra-t-elle les appliquer? Sera-ce en consultant les juges
bas-canadiens qui en feront partie, imitant en cela la chambre
des Lords, qui laisse aux law-lords la décision des questions
ie droit ? Mais alors il eût été plus rationnel de laisser ces
questions à la cour d’appel du Bas-Canada, plus compétente
pour les juger.
Ou notre code civil est laissé à notre législature locale ou il
ae l’est pas ; s’il l’est, on ne doit pas le livrer ainsi au juge-
ment d’hommes qui ne le comprendront pas et qui nous juge-
raient, sans doute, d’après les principes d’un droit que nous
ivons obstinément repoussé depuis la conquête.
Mais ce qui est étrange, suivant nous, c’est qu’en créant
3ette cour fédérale suprême et en la plaçant au-dessus des
ribunaux judiciaires des six Provinces, on ne fasse pas dispa-
raître le conseil privé de Sa Majesté, lequel restera toujours le
ribunal en dernier ressort. On ne l’établirait donc que pour
placer, à des frais énormes, un degré de plus dans l’échelle
udiciaire, car les plaideurs ne seraient pas satisfaits d’une
iécision donnée par un tribunal que la constitution elle-même
léclare implicitement être incompétent, et ils iraient invaria-
)lement demander une dernière décision au conseil privé de
Sa Majesté. Si on leur accordait le privilège de passer outre
it d’aller droit à Londres, vous pouvez être sûrs qu’ils n’hési-
eraient pas un moment, car, en y allant, ils s’épargneraient
jn surcroît de dépense considérable avec la presque certitude
l’obtenir une meilleure décision.
— 108 —
Les jurisconsultes, qui siègent au conseil privé de Sa Majesté,
sont profondément versés dans la science du droit romain,
qui est la base de notre code civil et, de plus, ils se trouvent
à proximité des jurisconsultes français qu’ils consultent, on
lésait, dans les cas difficiles. Il peuvent se tromper quelque-
fois, c’est vrai ; mais du moins ils donnent autant de garanties
d’intelligence qu’il est possible à des hommes d’en offrir, et,
dans tous les cas, que nous le voulions ou non, ils sont notre
suprême tribunal.
Il est bien vrai, comme l’a dit M. Galt, que l’on ne cons-
titue pas, mais que l’on se donne seulement le pouvoir de
constituer cette cour d’appel fédérale. Oui, mais il ne faut
pas oublier non plus ce proverbe populaire, devenu trivial à
force d’être vrai : « Comme on fait son lit on se couche. »
Si ce tribunal ne doit pas exister, pourquoi se réserver le
pouvoir de le créer? Si on se le réserve, c’est que l’on pense
devoir en user, quelque jour, sous une influence qu’on ne
peut pas prévoir aujourd’hui et qu’on ne pourra pas contrôler
demain.
Nous pouvons comprendre la pensée de la convention et
nous croyons à la sincérité de M. Galt quand il dit « qu’il y a
loin du pouvoir à l’exercice du pouvoir. » Cette cour d’appel
fédérale n’aura pas sa raison d’être dans la confédération
coloniale, elle y sera même un contre-sens, en ce qui regarde
le Bas-Canada ; mais elle l’aura dans la confédération de-
venue une nation indépendante. Elle ne l’aura pas, il est
vrai, au point de vue de notre co de civil, mais elle l’aura à
celui de toutes les questions constitutionnelles qui pourront
surgir des conflits entre les législations locales et celle du par-
lement fédéral.
Dans ce cas, il serait mieux de dire nettement et distincte-
ment ce que l’on veut, et définir, par avance, les attributs de
ce grand tribunal constitutionnel, au lieu de le livrer ainsi au
vague de toutes les significations et d’ouvrir, par là, la porte à
toutes les appréhensions et à tous les dangers.
Mais ce n’est pas encore tout que cette série de dispositifs
— 109 —
udiciaires échelonnés sur la voie des plaideurs et barrant le
•honrin à notre code civil; en voici d’autres qui tendent au
néme but :
1° Les lieutenants-gouverneurs seront nommés par le gou-
rme m eut général ;
2° Ils seront payés par lui ;
3° Ils pourront être déplacés par lui ;
4° Ces lieutenants-gouverneurs, créatures du gouvernement
général, auront le droit de veto sur toutes les lois qui seront
cassées par les législatures locales ;
5° Ils pourront conserver ces mêmes lois pour le jugement
lu gouvernement général ;
0° Officiers de ce même gouvernement général, ils devront
igir, en ce qui regarde le veto et les réserves, sur les instruc-
ions qu’ils recevront de lui.
Prises dans toutes ces entraves, comment les législatures
ocales pourront-elles se mouvoir, s’il prend fantaisie au gou-
vernement général de les enrayer ? Nous continuons à parler
tinsi au point de vue du code civil.
Toutes ces difficultés, que vous craignez tant, nous ré-
)ondra-t-on peut-être, ne se produiront jamais, parce qu’elles
ie seront pas plus dans la volonté du gouvernement général
m’elles n’ont été dans la pensée de la convention. Mais,
)uisque les hommes les plus éminents de toute l’Amérique
lu Nord ont cru devoir se réunir pour écrire une constitution
ït que, dans cette constitution, ils ont stipulé certains droits
it certaines protections pour l’avenir, c’est bien, sans doute,
qu’ils les ont trouvés nécessaires ; autrement, ils auraient
passé par-dessus pour arriver plus sûrement et plus complè-
tement à l’unité que nous voudrions autant qu’eux, si elle était
possible.
Disons, en terminant ce long article, que si nous ne pou-
vons pas vouloir une cour d’appel, ainsi constituée, qui con-
trôlerait notre code civil, nous n’y objecterions pas si on se
réservait le droit de l’établir, pour l’avenir, comme tri-
bunal suprême, et dans les circonstances que nous avons plus
— 410 —
haut indiquées. Nous ne pourrions pas y objecter non plus
si on l’établissait, comme cour d’appel, pour les cinq autres
provinces de la confédération dont les lois civiles sont iden-
tiques.
XXYI.
«Toute mesure tendant à rendre uniformes les lois relatives à la propriété
et aux droits civils, dans le Haut-Canada, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-
Brunswick, l’Ile du Prince-Edouard et l’Ile de Terreneuve, ainsi que la pro-
cédure de toutes les cours de justice dans ces provinces. Mais nul statut, à
cet effet, n’aura force ou autorité, dans aucune de ces provinces, avant d’avoir
reçu la sanction de sa législature locale.
— {1& paragraphe, section 33 e .)
C’est là un dispositif important pour toutes les provinces,
moins le Bas-Canada. Ici, voyez quelle mesure de protection
le projet donne à ces provinces par rapport à leurs lois
civiles. Toutes leurs lois sont presque similaires et, cependant,
il ne sera pas permis au parlement fédéral de compléter cette
similarité sans l’assentiment des législatures locales !
Le veto ici, au lieu de venir d’en haut, viendra donc d’en
bas, et ce ne sera pas le parlement central qui dominera la
législation locale, ce seront les législatures locales qui con-
trôleront la législation fédérale.
Dans ce dispositif apparaît visiblement l’œil vigilant des
représentants des provinces anglologues ; mais aussi ces der-
nières ne doivent pas trouver étrange que le Bas-Canada
recherche pour lui, dans le projet, une mesure égale de pro-
tection, sous des formes différentes, et elles ne le trouveront
pas étrange non plus, nous en trouvons l’assurance dans l’esprit
de libéralité qui a présidé aux déterminations de leurs repré-
sentants dans la convention.
XXVII.
« L’Immigration. » — ( 29 e paragraphe, section 35 e .)
« L’Agriculture. » — ( 29 e paragraphe, section 36 e .)
L’immigration et l’agriculture sont deux questions d’une
extrême importance pour le pays ; la convention Ta tellement
■
— 1 1 1 —
compris, qu’elle a établi, à leur égard, concurrence de légis-
lation entre le parlement central et les législatures locales.
Ainsi les sections 4 et 5 de la clause 43 attribuent aussi l’agri-
culture et l’immigration aux législatures locales.
Les conflits seraient à craindre ici si la clause 45 ne disait
que, « pour tout ce qui regarde les questions soumises con-
curremment au contrôle du parlement fédéral et des législa-
tures locales, les lois du parlement fédéral devront l’emporter
sur celles des législatures locales. Les lois de ces dernières
seront nulles, en pareils cas, partout où elles seront en conflit
avec celles du parlement général. »
Pour comprendre le motif de ces attributions concurrentes,
il est bon de lire cette partie du discours de M. Galt, qui porte
pour en tète : Immigration et Terres. Le mot terres représente,
sans doute ici, le mot agriculture dans la 36e section de la 29e
clause et dans la 4e sect. de la 43e clause du projet. Ecoutons
maintenant le ministre des finances :
c En ce qui regarde la position que l’immigration et les terres devront oc-
cuper dans les législatures locales, il existe deux ou trois questions qui
doivent être pour vous d’un grand intérêt, et au sujet desquels vous pouvez
peut-être craindre que les Canadiens-Français agiront hostilement à votre
égard, si l’on pouvait les supposer capables de manquer de sagesse à ce point.
Je parlerai d’abord de l’immigration et des terres. Bon nombre de personnes,
dans les townships de l’Est, ont indubitablement compris qu’il était pos-
sible que, si on laissait les terres dans les mains des gouvernements locaux,
ceux-ci établiraient des règles qui auraient pour but de restreindre l’occupa-
tion de ces terres uniquement à l’usage de la population canadienne fran-
çaise. Si je m’en rapporte à mon expérience, je puis dire que nous avons tou-
jours été heureux de voir les Canadiens-Français s’établir sur les terres pu-
bliques. Ils ont suivi la marche des autres et ont acheté les terres qu’ils occu-
pent.
i Pour tout ce qui a rapport au domaine public, cela est évident, les légis-
latures locales ne pourraient pas faire de distinction entre les uns et les
autres. Il est possible que les législatures locales adoptent la politique impré-
voyante d’élever le prix des terres au point d’en empêcher l’établissement ;
mais, si celles-ci sont ouvertes à la compétition, l’avantage est égal pour les
deux races. A quelques égards j’aurais préféré, non dans l’intérêt du Bas
Canada, mais dans celui de tout le pays, qu’on eût placé les terres sous le
contrôle du gouvernement général. Mais des circonstances s’y sont oppo-
sées ; ce n’est pas la position du Bas-Canada, mais l’importance que le
Haut-Canada, la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick attachent au
— 112 —
domaine public qui en a été la cause. Ces provinces étaient décidées à gar-
der le contrôle de leurs propres terres.
» Bien que, suivant moi, on eût pu avancer l’intérêt général en allant en
Europe et en y mettant devant le public un projet large de colonisation et
d’immigration, cela est maintenant impossible, et tout ce que nous pouvons
espérer c’est que les législatures locales adoptent des mesures sages qui
aient les mêmes résultats.
» Bien qu’il soit nécessaire de laisser aux parlements et aux gouverne-
ments locaux le pouvoir de régler les prix et les conditions de vente des
terres demandées par les immigrants quand ils nous arrivent, ou par nos
propres gens, obligés, par l’accroissement naturel de la population, d’aller
s’établir dans les districts reculés, je ne crois pas que l’on doive craindre que
les gouvernements locaux adoptent une politique qui ait pour but d’arrêter
ce qui est manifestement dans l’intérêt de notre société tout entière.
> Quelque soit la politique que l’on adopte, qu’elle soit sage ou insensée,
elle atteindra également tout le monde. On ne pourra pas faire de distinction
de nationalité ou de croyance chez ceux qui font partie du domaine public.
J’espère et je crois que le Bas-Canada donnera l’exemple de la libéralité par
rapport à la vente de ses terres ; c’est aussi son intérêt, suivant moi, et spé-
cialement par rapport à ses terres minérales qui excitent aujourd’hui, à un
aussi haut degré, l’attention. J’espère que le Bas-Canada, en cherchant à
vendre ses terres, songera plutôt à l’avantage d’y établir une population
industrieuse qu’à celui du profit pécuniaire qu’elles peuvent lui donner. »
Ce ne sont pas ses propres craintes, nous en sommes sur,
mais celles de la population à laquelle il parlait, que M. Galt
exprimait, dans cette occasion solennelle, car, dans ses rap-
ports avec nous, cet homme éminent doit avoir appris à mieux
nous connaître. Il sait que, dans toutes les circonstances, nous
avons porté, à leurs dernières limites, la tolérance et la géné-
rosité ; il sait que le fanatisme et les préjugés n’ont jamais eu
chez nous droit de citoyenneté. Si on les trouve au pays et si
elles poussent dans le sol national, nous pouvons assurer
qu’elles n’y sont pas indigènes.
Que les Canadiens-français soient en majorité, demain, dans
les législatures locales, vous ne les verrez pas adopter une
politique d’exclusion dont ils ont vu de trop tristes et de trop
nombreux exemples ailleurs.
En demandant à se développer eux-mêmes sur le sol, dans
la mesure de leur force naturelle d’expansion, ils ne gêneront
pas la liberté des autres, et, comme l’intérêt suprême de tous
— 113 —
est rétablissement du pays, ils n’élèveront pas follement le
prix des terres publiques au point de forcer les leurs à aller
chercher fortune et existence à l’étranger.
Il n’y a donc pas de danger, ainsi que l’a si sagement
observé M. Galt, qu’ils éloignent, par une politique aussi sui-
cide, les hommes des autres croyances et des autres ori-
gines, car, les éloigner, ce serait éloigner ceux de leur propre
croyance et de leur propre origine.
Mais, M. Galt n’a pas dit un mot de la législation concurrente
dont parle le projet par rapport à l’immigration et à l’agricul-
ture. Il nous dit seulement qu’il eût été désirable qu’on eût
organisé, en Europe, l’immigration aux provinces britanniques
sur une vaste échelle. Est-ce dans ce but que le parlement
fédéral se réserve le droit de statuer sur l’immigration et
l’agriculture, et, dans ce pouvoir concurrent, se réserve-t-il
aussi le droit de toucher aux prix et aux conditions de la vente
des terres ? C’est un point important à éclaircir, car ici les
conflits seraient regrettables, et, dans tous les cas, pour les
éviter, il serait sage de bien définir la nature des attributs des
deux législatures par rapport aux mêmes questions.
XXVIII.
i Le gouvernement général nommera et paiera les juges des Cours Supé-
rieures, dans les diverses provinces, et des cours de comté, dans le Haut-
Canada, et le parlement fédéral déterminera leurs salaires. »
— (33 e paragraphe du Projet de ConslUulion.)
I Si la législation locale est autrement protégée et si l’on fait
au projet les quelques amendements que nous avons indiqués
dans nos derniers articles, nous ne voyons aucun inconvénient,
pour le Bas-Canada, à ce que les juges soient nommés et
payés par le gouvernement fédéral, car il faut, suivant le texte
même du projet, qu’il y ait, de la part d’un juge, déréliction
flagrante de devoir pour qu’il puisse être sujet à être déplacé ;
déréliction telle qu’on n’en a pas encore vu de pareille depuis
H
— 114 —
l’Union, bien qu’il nous ait été donné d’être témoin de bien
d’étranges choses durant ces vingt-cinq ans d’existence so-
ciale et politique ; et rien, conséquemment, ne pourrait induire
les juges à donner indûment préférence à la législation fédérale
sur la législation locale.
L’une des garanties, pour le Bas-Canada, c’est l’obligation,
chez le gouvernement central, de prendre les juges en Bas-
Canada. C’est une espèce de compromis entre les deux au-
torités ; l’une les paie et l’autre les fournit. Si le gouver-
nement local avait fourni et payé les juges, le gouvernement
fédéral aurait pu, peut-être, avoir des appréhensions par
rapport à la législation du parlement central ; de même, si
le gouvernement fédéral avait fourni et payé les juges, la légis-
lature locale aurait peut-être pu craindre pour ses propres
lois.
En dehors de ces considérations, ‘que la convention semble
avoir voulu équilibrer entre les deux autorités législatives et
gouvernementales, il y en avait une autre pour elle, d’un in-
térêt majeur, c’était celle de la valeur sociale et scientifique
des tribunaux judiciaires. L’on craignait, qu’en laissant le
choix des hauts fonctionnaires de la justice à la disposition des
gouvernements locaux, le niveau intellectuel et moral de nos
tribunaux n’eût fini par descendre, sous l’influence de l’in-
trigue, et l’on a cru, avec raison, que le gouvernement gé-
néral choisirait généralement mieux, et parmi le s hommes les
plus éminents de notre barreau, sans éprouver l’influence des
coteries et sans s’en occuper.
XXIX.
« Chaque province aura un officier exécutif appelé lieutenant-gouver-
neur, lequel sera nommé par le gouverneur-général en Conseil, etc. »
— (38 e paragraphe du Projet de Conslilulion.)
^Ce dispositif sera probablement l’un des plus discutés dans
le débat qui doit s’ouvrir, sous peu de jours. Quelques-uns
— 115 —
feulent que les lieutenants-gouverneurs soient ehoisis par les
législatures locales ; d’autres, qu’ils le soient par le Souverain,
comme les gouverneurs actuels des provinces ; d’autres, enfin,
qu’ils soient élus directement par le peuple.
Disons, d’abord, que l’élection des lieutenants-gouverneurs,
par les chambres, est un non-sens, car s’ils procèdent d’elles,
ils dépendent d’elles ; ils leur sont assujettis ; ils n’ont pas
cette indépendance qui leur permet de résister, au besoin,
à leurs aggressions. Le gouverneur est un des trois corps légis-
latifs. Il est aussi essentiel que les deux autres et, sans son
concours, nulle loi n’est, comme nulle loi n’est possible. Il
faut donc qu’il soit indépendant d’elles, au même degré
qu’elles le sont de lui; il faut donc qu’il puisse aussi libre-
ment refuser et accepter qu’elles ; il faut nécessairement qu’il
possède le droit de veto, qui est inhérent à la nature même
de son être législatif ! Mais, s’il est leur créature, il cesse
d’être leur égal et l’utilité, comme la raison de son rôle,
n’existe plus.
« Ainsi les trois seuls modes rationnels qui se partagent l’opi-
nion sont le choix par le gouvernement général, comme le
veut la convention, celui par le Souverain et l’élection par le
peuple.
Il est facile de comprendre le motif de la nomination des
gouverneurs par le Souverain, dans la condition coloniale de
l’Amérique Britannique du Nord. Ces hommes y sont les re-
présentants immédiats et les gardiens de la souveraineté im-
périale. Mais cela peut cesser rationnellement du moment,
que, par une autre organisation politique, la nécessité de la
représentation locale de la Couronue cesse, et que l’on peut
concentrer, dans une seule personne, le caractère et les at-
tributs de la souveraineté impériale ; du moment que, par un
seul représentant, le bras du Souverain peut atteindre et tou-
cher tous les points du domaine de l’empire.
Le seul argument que l’on pourrait donner contre cet ordre
de chose, c’est que celui-ci tend à diminuer le nombre des
chances d’avancement de certains hommes de l’empire ; mais
— 116 —
il ne vaut que rour ceux-ci et ne saurait nous arrêter, un
instant, l’intérêt personnel de quelques individus devant peser
bien légèrement dans la balance des destinées d’un peuple.
Le but de cette concentration de la puissance administrative
est assez évident. La convention a voulu, par son moyen,
simplifier les rapports du souverain avec tous ses domaines de
l’Amérique du Nord ; elle a voulu aussi, par cette concen-
tration, rendre plus spontanée et plus efficace faction exe-
cutive, dans les grandes occasions et dans les besoins d’action
décisive ; elle a voulu encore, pour les temps à venir, subs-
tituer la souveraineté du gouvernement fédéral à la souve-
raineté impériale, afin de maintenir, dans l’empire nouveau,
cette action directe, mais tempérée par les constitutions lo-
cales, au moyen de laquelle le gouvernement de la mère-patrie
a pu maintenir sa souveraineté sur toute l’étendue de ses pos-
sessions coloniales.
On a parlé aussi de l’honneur qu’il y aurait pour les colonies
à être représentées par des hommes nés chez elles. Mais cette
considération serait personnelle aux heureux qui seraient
choisis et ne devrait pas plus valoir dans la considération de
la grande question qui nous occupe que celle dont nous par-
lions tout à l’heure par rapport aux gouverneurs nommés par
le gouvernement de l’empire.
Ceux qui veulent les gouverneurs élus par le peuple obéis-
sent à un tout autre ordre d’idées ; ils repoussent même jus-
qu’à celle des institutions monarchiques. Républicains plutôt
que démocrates, ils préfèrent l’élection, même poussée à ses
limites les plus extrêmes et les plus exagérées, à la consti-
tution si démocratique de la Grande-Bretagne, qui donne au
peuple un contrôle plus immédiat, plus constant et plus effi-
cace, sur le gouvernement. Ils veulent les gouverneurs électifs,
parce que les gouverneurs électifs sont un pas immense et
direct vers la république,
Mais, pour ceux qui aspirent à un autre état de choses, qui
veulent échapper à la trombe démagogique au milieu de
laquelle se débattent convulsivement les républiques de l’Ame-
— 117 —
rique du Nord, de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du
Sud ; pour ceux qui veulent se soustraire à la sphère d’in-
fluence de la grandi’ République déjà décrépite et Vermoulue
après seulement quatre-vingts ans d’épreuve ; pour ceux
qui ne sont pas annexionnistes ; pour ceux qui ont la noble
pensée de fonder un nouvel empire, sur des bases plus stables
et des principes plus en harmonie avec les institutions, les
mœurs et les sentiments du Bas-Canada ; pour ceux qui ne
veulent pas voir engouffrer leurs institutions et leur langue,
dont ils sont si fiers, dans cet abîme immense où tout dispa-
raît et à la surface duquel on ne voit remonter que l’écume
fétide des intérêts matériels et de la corruption morale ; pour
ceux qui ne veulent pas se taxer jusqu’à l’épuisement pour
payer leur part des 500,000,000 de piastres de la taxe an-
nuelle et des trois milliards de la dette accumulée des Etats-
Unis ; pour ceux, enfin, qui ne désirent pas voir leurs enfants
aller périr, par centaines de milliers, dans les marais fétides de
la Virginie et des autres Etats confédérés, ou verser leur sang à
flots dans les combats fratricides que se livrent, depuis tantôt
quatre ans, les peuples du Nord et les peuples du Sud ; pour
ceux-là les gouverneurs élus n’ont rien qui devront les tenter.
Ce qu’ils doivent vouloir, c’est que, dans les institutions con-
stitutionnelles nouvelles, on fasse entrer largement la liberté
personnelle, la liberté nationale et le contrôle permanent et
actif du peuple qui paie, sur l’administration de la chose
publique.
Or, cette action directe, prompte, permanente du peuple,
nous l’aurons dans les représentants locaux et dans les repré-
sentants fédéraux, sans la volonté desquels les gouvernements
soit central, soit locaux ne pourront dépenser un seul sou de
l’argent public. Nous l’aurons encore, dans le contrôle que
ces mêmes représentants du peuple exerceront sur le choix
du personnel des conseillers de la Couronne.
Les partis sont nécessaires dans les institutions représen-
tatives ; ils ne font du mal que lorsqu’on les exagère. Eh bien !
quelles sont les institutions politiques, nommez toutes celles
— 118 —
qui ont passé sur le monde, depuis les républiques les plus
anciennes de la Grèce jusqu’à nos jours ; quelles sont les insti-
tutions politiques où les partis et les idées de tous les noms
peuvent se mouvoir plus à l’aise que dans la constitution de la
Grande-Bretagne et celle que nous lui avons empruntée?
Aprèa cela est-il besoin de dire que nous ne sommes pas
pour les gouverneurs élus ?
XXX.
«Les gouvernements et les parlements des diverses provinces seront
constitués en la manière que leurs législatures actuelles jugeront respective-
ment à propos de les établir.
» Les législatures locales auront le pouvoir d’amender ou de changer,
de temps à autre, leurs constitutions. »
— (41° et kl* paragraphes du Projet de Constitution.)
Les diverses provinces établiront donc leurs gouvernements
et leurs législatures respectivement sur les bases qu’elles au-
ront elles-mêmes choisies. Il y a plus, elles pourront, quand
elles le voudront, amender ou changer les constitutions qu’elles
auront ainsi librement établies. Il n’y aura de conditions à
leur initiative que celles qui leur sont posées par les 48 me ,
49 me , 50 me et 51 me clauses du projet, lesquelles nous commen-
terons plus tard.
Ces deux dispositifs provoquent des questions de deux ordres
différents : celles qui ont rapport aux organisations législatives
et administratives locales, et celles de la dépense que tout le
système peut entraîner.
Quant au mécanisme des institutions, administratives et
législatives, nous pouvons en indiquer de suite le principe
fondamental, qui est le contrôle des deniers publics par
les représentants élus du peuple, l’initiative des mesures
d’argent par la Couronne et la double responsabilité minis-
térielle au souverain et au peuple. Après cela, tout entre
dans le domaine des hypothèses. Les provinces s’enlen-
dront-elles toutes pour établir un même système de gou-
— 119 —
vernement et de législature, et, pour ne parler que pour
nous, aurons-nous une ou deux Chambres? Aurons-nous
deux, trois,- quatre, cinq ou six départements administratifs?
quels seront -ils ? De combien de voix se composera notre
représentation locale ? Quel sera le nombre des conseillers
législatifs, si nous avons un conseil législatif? Ceux-ci seront-
ils nommés par la Couronne ou élus par le peuple? S’ils sont
élus, pour combien de temps ? Devront-ils posséder une pro-
priété d’éligibilité ? quelle sera-t-elle ? Pour combien de
temps seront élus les membres de la Chambre basse ? La
durée des sessions et l’époque de leur ouverture seront-elles
déterminées? Y aura-t-il aussi une propriété d’éligibilité pour
les représentants du peuple dans les législatures locales ?
Voilà toutes des questions que l’on peut se poser sans ce-
pendant pouvoir arriver à une solution, parce que nous igno-
rons encore comment les poseront pratiquement les provinces
elles-mêmes.
Si elles visent à l’économie, comme elles auront des revenus
fixes et qu’elles ne seront nullement portées à se taxer directe-
ment, pour soutenir une législature et un gouvernement dis-
pendieux, il est probable qu’elles ne voudront qu’une seule
Chambre ; que cette Chambre sera peu nombreuse ; que la
durée de ses sessions sera fixe et très-courte, et que l’indem-
nité de ses membres sera peu considérable.
Une session de trente à quarante jours au plus, dans de
pareilles conditions d’existence, serait très-peu coûteuse. Or,
rien n’empêche cette délimitation de la durée législative, car
peu des mesures, qui seront soumises au contrôle des législa-
tures locales, devront exiger de longs débats, et il serait facile
de réglementer la procédure législative de manière à précipiter
la passation des mesures, pourvu que le service public et les
intérêts des individus n’en souffrissent pas.
Toute législation non-terminée pourrait aussi se continuer
dans la session suivante.
11 serait peut-être difficile de réduire le nombre des repré-
sentants locaux au-dessous de celui que possède aujourd’hui
— 120 —
. »
le Bas-Canada, dans l’Union ; mais rien n’oblige de l’élever
non plus, puisqu’il peut satisfaire à tous les besoins.
Si nous sommes bien renseigné, des hommes compétents
auraient évalué à $400,000 le surcroît de dépense qu’occa-
sionnera le système compliqué du gouvernement et du parle-
ment fédéraux et des législatures et des gouvernements locaux.
C’est un chiffre assez considérable ; mais, si le sacrifice,
comme nous le croyons, peut donner, à l’Amérique Britan-
nique du Nord, paix, bonheur, harmonie, prospérité et gran-
deur nationale, nous sommes sûr qu’elle le fera volontiers ; il
ne fera murmurer que ceux qui veulent l’union législative
absolue pour des motifs qui nous la font repousser nous-mêmes.
XXXI.
«L’éducation, sauf les droits et les privilèges que les minorités catholiques
ou protestantes, dans les deux Canadas, posséderont, par rapport à leurs
écoles séparées, au moment de l’Union.
— (43* paragraphe, 6 e section.)
Le contrôle de l’enseignement, sauf certains droits acquis,
est donc laissé aux législatures locales. C’est une concession
d’une importance extrême et sans laquelle la confédération ne
serait pas possible, car l’enseignement c’est la société tout
entière en travail d’enfantement ; c’est les mœurs, les senti-
ments, les tendances et les œuvres des générations qui se
pressent sur le seuil de l’avenir. Dans la lutte engagée entre
les parents qui réclament le droit d’instruire et de former la
famille, et le radicalisme qui vient arracher l’enfant à son
père et à sa mère pour le livrer à la règle d’un enseignement
sans Dieu et sans symbole, la victoire, au milieu de la con-
vention, est restée aux parents.
Cette question de l’enseignement a été jugée si importante
par les délégués que M. Galt a cru devoir y revenir, à deux
reprises, dans son mémorable discours de Sherbrooke.
«Je vais essayer,» dit-il, « de parler un peu longuement de l’une des ques-
tions les plus importantes, peut-être la plus importante, qui puissent être con-
— 121 —
Bées à une Législature : la question de l’éducation, (l’est une question pour la-
quelle, en Bas-Canada, L’on ressent le plus grand intérêt et à l’égard de la-
quelle l’on doit suppose* qu’il existe le plus de crainte, dans l’eSfffît de la po-
pulation protestante, qu’à l’égard de toutes les autres choses de la confé-
dération.
» 11 est évident qu’une mesure, qui placerait l’enseignement des enfants de
la minorité du Bas-Canada et lesoutien dé leurs écoles entièrement dans
les mains d’une majorité professant une autre croyance, ne pourrait être fa-
vorablement accueillie par elle. Il est évident, qu’en confiant la question gé-
nérale de renseignement aux législatures locales, il était nécessaire démettre
à ce pouvoir des restrictions qui pussent soustraire les minorités à toute in-
justice. Ceci s’applique au Bas-Canada, mais il affecte également, et au même
degré, le Haut-Canada et les autres provinces, car, si les protestants sont en
minorité en Bas-Canada, les catholiques sont en minorité dans les autres
provinces. Les mêmes privilèges appartiennent de droite l’une, ici, comme ils
appartiennent aussi de droit aux autres, ailleurs.
» Il ne peut pas exister une plus ; grande injustice que cellede forcer une
population à instruire ses enfants d’une manière qui soit contraire à sa
t’.iee religieuse. De grandes difficultés ont entouré la question des écoles
séparées en Haut-Canada, mais elles sont toutes réglées maintenant, et, par
1-apport au système des écoles séparées, en Bas-Canada, je suis autorisé, par
mes collègues, à dire que le gouvernement a l’intention de soumettre un
amendement à la loi des écoles avant la mise en force de la confédération…
» Il est évident qu’on ne pourrait faire d’injustice à une classe importante
de la population du pays, comme le soht les protestants du Bas-Canada ou
les catholiques du Haut-Canada, sans jeter dans la société des semences de
discorde qui produiraient des fruits malheureux en très-peu d’années.
> La question de l’enseignement ne porte que sa dénomination générique
dans le projet ; mais le mot enseignement y couvre également les institutions
supérieures et les écoles communes. »
Et ailleurs :
«Je prendrai cette occasion pour vous dire que je dois à mes collègues
franco-canadiens, dans le gouvernement, de déclarer publiquement que tous :
sir Etienne P. Taché et MM. Cartier, Chapais et Langevin, dans toute la du-
rée des négociations, n’ont pas montré, un seul instant, le désir de refuser
aux anglologues du Bas-Canada ce qu’ils réclamaient pour les hommes de
leur origine. Cette conduite a été pleine de sagesse, car elle m’a encouragé,
ainsi que d’autres, à prendre la défense des droits de nos amis d’origine
française.
» Les ennemis de la mesure ont essayé d’exciter des appréhensions dans
l’esprit de la population britannique du Bas-Canada, d’un côté, et dans celui
des franco-Canadiens, de l’autre, en représentant à l’une et aux autres qu’ils
allaient être sacrifiés. C’est là la preuve la plus évidente que la mesure a été
sagement conçue et qu’elle n’établit la domination en faveur ni do L’une ni.
de l’autre partie de la population. >
— 122 —
La promulgation du projet de la convention a mis en mou-
vement une partie de la population protestante du Bas-Canada.
Les uns ont demandé des amendements à la loi qui les pla-
cent, par rapport à la majorité catholique, sur le même pied
que la minorité catholique du Haut-Canada, vis-à-vis de la
majorité protestante : d’autres, allant plus loin, demandent
un surintendant de l’instruction publique pour la population
protestante ; d’autres enfin réclament des dotations pour leurs
institutions supérieures d’enseignement.
Si la loi actuelle des écoles ne protège pas suffisamment la
minorité protestante du Bas-Canada, le gouvernement a fait
son devoir, en promettant des amendements qui la protègent
davantage ; mais l’établissement de deux bureaux d’instruc-
tion publique serait une insulte au sens commun et une impos-
sibilité matérielle, à moins que l’on voulût dépenser, en sa-
laires et en contingents de bureau, les sommes qui pourront
être plus utilement appropriées à l’enseignement public.
Que l’on n’oublie pas, non plus, que la concession du prin-
cipe de la double surintendance, en Bas-Canada, pousserait
nécessairement ses conséquences jusqu’au sol du Haut-
Canada, où les catholiques sont plus nombreux que ne le sont
les protestants en Bas-Canada, puisqu’ils y sont 258,141,
tandis que les protestants ne sont, en Bas-Canada, que
167,940.
M. le professeur Dawson a admis publiquement que le surin-
tendant de l’instruction publique, l’hon. M. Chauveau, s’était
conduit toujours, envers les protestants, avec la plus parfaite
justice et une impartialité inattaquable. Mais, pour soutenir
sa thèse, il a dit qu’il était possible que, dans l’avenir, les
successeurs de M. Chauveau ne se guideraient pas sur le même
principe de justice et d’impartialité.
ïl se trompe étrangement ; la libéralité n’est pas person-
nelle à M. Chauveau, elle est inhérente au caractère de sa
race ; et, pour s’en convaincre, il suffit de lire l’histoire de
notre législation, sous la constitution de 1791. Est-ce que la
Chambre d’Assemblée du Bas-Canada, longtemps avant l’U-
— 123 —
nion, n’avait pas accordé aux protestants dissidents les droits
civils qui n’avaient appartenu jusque là qu’aux catholiques et
aux anglicans ? Est-ce qu’elle ne les avait pas également ac-
cordés aux juifs, vingt ans même avant que l’on eût agité,
pour la première fois, la question de leur émancipation dans
le parlement de la Grande-Bretagne ?
Devant de pareils faits, qui plaident avec tant d’éloquence
notre cause, le soupçon des protestants, à l’endroit de notre
libéralité, est-il possible ? leurs appréhensions sont-elles justi-
fiables ?
Ah ! qu’ils n’aient pas de crainte, les enseignements du
passé guideront l’avenir, et, ce qu’ont fait nos devanciers, nous
le ferons dans une mesure plus large. Mais nous voudrions
l’injustice, qu’elle ne serait pas possible, puisqu’une loi, que ne
pourront atteindre ni la législature locale, ni le parlement
fédéral, protégera partout les minorités, et que les actes du
surintendant de l’instruction publique, s’ils étaient injustes
dans leur but, seraient certains de se heurter perpétuellement
à une pierre d’achoppement qui les briserait : les tribunaux
judiciaires.
Du reste, la population du Bas-Canada est ainsi distribuée,
dans certains districts, que, si les protestants sont en minorité
dans quelques localités, dans d’autres ce sont les catholiques
qui le sont et, conséquemment, un intérêt commun oblige tout
le monde à la justice commune. L’expérience et la loi vous
diront que les fonctionnaires scolaires locaux sont plus puis-
sants pour le mal et l’injustice que le chef même de l’instruc-
tion publique, car ils exercent une influence constante et
immédiate sur l’enseignement, sur les instituteurs et sur l’en-
tretien et la régie des écoles.
Les dotations aux institutions protestantes supérieures d’en-
seignement sont aussi impossibles que les deux surintendants
de l’instruction publique. Elles obligeraient l’Etat à des dota-
tions pareilles pour les institutions catholiques, de même na-
ture, et le domaine de l’Etat finirait par y passer tout entier.
Prétendre aujourd’hui à des dotations par l’Etat, parce que
— 124 —
MM. les Sulpiciens de Montréal, qui bâtissent des églises,
entretiennent, à leurs frais, le culte catholique et donnent
aujourd’hui gratuitement l’instruction à plus de 10,000
enfants, et le séminaire de Québec qui donne l’enseignement
classique à plus de 500 élèves et soutient, sur des bases
spîendides, par des sacrifices considérables, le grand monu-
ment universitaire qu’il élevait, il y a tantôt douze ans, sur le
promontoire de Québec, possédaient, longtemps avant la con-
quête, des biens qu’ils ne tiennent pas de la Couronne, c’est
tenter l’absurde, c’est créer des prétentions qui se multi-
plieront, à mesure que les institutions nouvelles naîtront ;
c’est faire dire, avec plus de raison, aux catholiques du Haut-
Canada : La dotation, comparativement récente, de l’Univer-
sité de Toronto donne à celle-ci un revenu annuel qui dépasse
aujourd’hui vingt mille louis ; il nous en faut une pareille pour
nous, pour qu’il y ait équilibre et justice.
Non, les protestants du Bas-Canada n’ont pas raison de se
plaindre du partage des derniers publics, car ils ont toujours
eu la part du lion, et M. Chauveau leur prouvait, il y a à peine
quelques jours, dans le Journal de V Instruction publique, par
des chiffres irrécusables, qu’ils reçoivent beaucoup plus, pour
leurs institutions supérieures, par rapport au nombre des
élèves, que leurs concitoyens de la religion catholique. Et
pourtant ceux-ci, cela prouve leur libéralité, n’ont jamais
murmuré contre ce partage inégal.
XXXII.
« Le pouvoir de pardonner aux criminels, de commuer ou de remettre,
en tout ou en partie, leurs sentences et de surseoir à leur exécution. Ce pou-
voir, qui appartient de droit à la Couronne, résidera en la personne des lieu-
tenants-gouverneurs « en conseil, lesquels, cependant, devront se conformer
aux instructions qui pourront leur être adressées, à cet égard, par le gouver-
nement général. »
— (44 e paragraphe du Projet de Constitution.)
Ce dispositif change la condition d’être de la prérogative du
pardon et de ses conséquences dans la commutation des peines
et des sursis aux exécutions.
— 125 —
Cette prérogative do miséricorde, lorsque les tribunaux judi-
ciaires et les jurés ont prononcé, réside, par sa nature même,
dans la personne du souverain qui la délègue spécialement à
ses représentants, sur les points éloignés de son empire où,
en allongeant le bras, il ne peut toucher, de son épée miséri-
cordieuse, les hommes que la justice va frapper.
Ici, c’est différent. La convention, tout en reconnaissant
la source et le principe de ce pouvoir, fait disparaître la délé-
gation et met, de par la loi, les lieutenants-gouverneurs préci-
sément à le place du souverain lui-même qui, si nous pouvons
ainsi parler, perd alors sa prérogative la plus souveraine et sa
qualificative, dans toute l’étendue de son empire colonial de
l’Amérique du Nord.
Le chef exécutif du gouvernement général, qu’on l’appelle
gouverneur-général ou vice-roi, entouré de son conseil, sera, à
la place du souverain, investi du pouvoir de réglementer la
prérogative du pardon, mais ne pourra pas la déléguer elle-
même, parce qu’il ne la possédera pas plus que le souverain
qu’il représentera et qui y aura renoncé dans l’acte constitu-
tionnel.
Il y a plus, le parlement fédéral aura le pouvoir de faire des
lois qui affecteront l’exercice de cette prérogative. Ce pouvoir
n’a existé ni dans l’acte constitutionnel de 1791, ni dans celui
de 1841, et, en Canada, comme dans toutes les autres colo-
nies de la Grande-Bretagne, les représentants du souverain
n’ont jamais, jusqu’ici, exercé* la prérogative du pardon que
par une délégation spécialement nommée, avec ses conditions
d’être, dans les instructions invariables que leur adresse, au
nom de Sa Majesté, le ministre des colonies.
Il est vrai que le souverain peut donner ses instructions à
son représentant dans le gouvernement fédéral, et que les mi-
nistres de celui-ci seront obligés ou de s’y conformer ou de
remettre leurs portefeuilles ; mais les conflits, à l’égard de
cette question, sont peu probables, car si le gouvernement de
l’empire, après y avoir mûrement réfléchi, cède la prérogative
du pardon aux lieutenants-gouverneurs, qui cesseront, du
— 126 —
même coup, d’être nommés par lui, et le pouvoir de la régle-
menter au gouvernement général de la confédération, c’est la
preuve la plus concluante qu’il ne veut pas intervenir et qu’il
ne prétend rechercher la sauve-garde du principe de la pré-
rogative impériale que dans le veto, qui est laissé au souverain
pour toute la législation du gouvernement général.
Le gouvernement de l’empire, par la bouche du secrétaire
des Colonies, dit, à l’endroit de la prérogative du pardon :
c II semble au gouvernement de Sa Majesté que ce devoir appartient au
représentant du souverain et ne pourrait pas être convenablement dévolu
aux lieutenants-gouverneurs qui, suivant le projet actuel, ne seront pas nom-
més par la Couronne, mais le seront directement par le gouvernement des
provinces unies. »
Pour nous, au point de vue des principes, cette question de
savoir d’où émanera la prérogative du pardon est d’une im-
portance mineure, et si le gouvernement de l’empire décidait
que cette prérogative doit continuer à résider exclusivement,
par délégation, dans la personne du représentant direct du sou-
verain, l’intégrité et l’efficacité du système proposé n’en serait
pas sensiblement atteint. Mais il est bon d’indiquer, comme
nous la comprenons, la pensée qui a présidé à ce dispositif
dans l’esprit des délégués. Ceux-ci, évidemment, voulaient,
d’abord, unité et promptitude dans l’exercice de la préro-
gative du pardon, et, ensuite, l’établissement d’un ordre de
choses pour tous les temps à venir, et d’un principe que l’on pût
retrouver après, comme avant, l’existence de la condition co-
loniale.
D’après ce principe, le gouvernement fédéral, appelez-le
colonial ou national, ne déléguerait pas la prérogative du
pardon ; mais, ce qui reviendrait au même, ou à peu près, il
nommerait les lieutenants-gouverneurs, et, ce qui est prati-
quement égal à la délégation, il leur dicterait dans quelles
conditions ils peuvent exercer la prérogative du pardon, ab-
solue ou limitée, et du sursis.
— 127 —
XXXIII.
i Pi ur tout ce qui regarde les questions soumises concurremment au con-
trôle du parlement fédéral et à celui des législatures locales, les lois du parle-
ment fédéral devront l’emporter sur celles des législatures locales. Les lois
de c «s dernières seront nulles partout où elles seront en conflit avec celles
du parlement général. >
— (45 e paragraphe du Projet de Constitution.)
Ce principe est logique dans son application, s’il doit y
avoir législation concurrente.
Nous avons déjà indiqué comment il opérerait dans certains
cas. Le gouvernement impérial semble avoir prévu, dans les
paroles suivantes du ministre des colonies, les inconvénients
qui pourraient résulter de la concurrence des attributs et du
conflit des deux législations :
i Le point de majeure importance pour la bonne opération du projet, est la
détermination exacte des limites entre l’autorité centrale et celle des légis-
latures locales, dans leurs rapports entre elles. Il n’a pas été possible d’ex-
clure des résolutions des dispositifs, qui paraissent moins compatibles qu’on
pourrait le désirer, peut-être, avec la simplicité et l’unité du système. Mais, à
tout prendre, il semble au gouvernement de Sa Majesté que l’on a pris des
précautions dans le but évident d’assurer au gouvernement central les
moyens d’exercer une action efficace dans toutes les provinces et d’empê-
cher les maux qui doivent inévitablement surgir, s’il pouvait exister des
doutes quant aux limites respectives entre l’autorité centrale et l’autorité lo-
cale.
i II est heureux de pouvoir dire que bien que l’on ait intention de conférer
des pouvoirs considérables de législation aux législatures locales, l’on n’a,
cependant, pas perdu de vue, un seul instant, le principe du contrôle central.
On ne peut pas trop évaluer l’importance de ce principe. Le maintien en est
essentiel à l’efficacité pratique du système et à son opération harmonieuse
dans l’administration du gouvernement général, comme dans celle des gou-
vernements locaux, i
En lisant ces quelques lignes de la dépêche de M. Cardwell,
Ton se convaincra facilement que le gouvernement de l’empire
eût préféré l’union législative à la confédération, parce qu’elle
eut donné plus de compacité, plus d’unité, plus de force à
notre système politique et plus de spontanéité et de simulta-
néité dans l’action. Mais les hommes d’Etat de la mère-
— 128 —
patrie ont compris, comme nous, la difficulté de notre po-
sition la nécessité absolue de faire des concessions impor-
tantes à de nombreux intérêts distincts les uns des autres, de
reconnaître, dans une large mesure d’équité et de libéralité,
les éléments sociaux existants avec leurs différences, et de
faire une part également large aux aspirations locales et jus-
ques aux préjugés de race et de religion. A leur honneur, ils
ont reconnu toute l’étendue de la tâche gigantesque à ac-
complir et toute la valeur du succès obtenu.
Mais il n’en reste pas moins établi que la législation con-
currente est pleine de dangers pour l’avenir ; cela est cons-
taté même dans le dispositif que nous discutons, puisque,
pour y obvier, on fait prédominer invariablement la législa-
tion centrale sur la législation locale. Est-ce qu’il ne serait pas
possible d’éviter davantage lespointsde contact, les causes de
législation concurrente, et de définir avec une précision telle
que les conflits soient impossibles ou presqu’impossibles? car,
que l’on veuille bien y réfléchir, l’harmonie du système, sans
laquelle celui-ci ne vaudrait rien et s’affaisserait bientôt sur
lui-même; l’harmonie du système ne peut se trouver exclusi-
vement dans le pouvoir prédominant du gouvernement et du
parlement fédéraux. 11 faut que cette harmonie existe encore
dans les rouages inférieurs et se fasse sentir dans le méca-
nisme tout entier.
En contemplant avec admiration ces vastes roues qui
donnent le mouvement à ces vapeurs gigantesques qui se pro-
mènent avec tant d’orgueil sur les océans et qui dominent
avec tant d’audace leurs vagues formidables, qui donc oublie
que le moindre dérangement dans la pièce la plus infime et en
apparence la moins importante du mécanisme intérieur, peut
les arrêter tout court et mettre en péril équipage et bâtiment ?
En effet, est-ce que les éléments, sur lesquels seront assises
les institutions locales, ne se reproduiront pas, intacts et
vivaces, dans le gouvernement et dans le parlement fédéraux,
et cette force locale, que l’on aura voulu comprimer n’y réagi-
ra-t-elle pas dangereusement pour tout le système ? Aujour-
— 129 —
d’hui, ce sera lo Bas-Canada qui punira ses ministres et ses
députés fédéraux d’avoir heurté ses sentiments et porté atteinte
à sa législation ; demain, ee sera le tour du Haut-Canada, et,
les jours suivants, celui des provinces atlantiques.
Non, cela ne doit pas être, et il faut, pour l’empêcher, que
nos hommes d’Etat éminents mettent leurs têtes ensemble
pour trouver au problême une meilleure solution.
XXXIV.
t Les langues anglaise et française pourront être simultanément em-
ployées dans les délibérations du parlement fédéral, ainsi que dans la légis-
lature du Bas-Canada, et aussi dans les cours fédérales et les cours du Bas-
Canada. »
— (46 e paragraphe du Projet de Constitution.)
Personne n’ignore que l’acte constitutionnel de 1840
avait banni la langue française de la législature et que ce
n’est qu’en 1845 qu’elle nous fut rendue par un acte spécial
de la législature impériale, à la demande d’un gouvernement
qui, repoussé par le Bas-Canada, espérait, au moyen de cette
initiative, y conquérir lafaveur publique. Depuis cette époque,
les deux langues, comme elles le devaient, ont été placées
précisément sur le même pied, et le texte français de nos lois
a été légal, aujnême degré, que le texte anglais.
Le projet de la convention maintientcette politique de justice
jusque dans le parlement fédéral, où les franco-Canadiens ne
seront pas comparativement aussi nombreux, et, à cet égard,
nous sommes infiniment mieux traités que ne le sont les
hommes de notre origine dans l’Union américaine, dont la
double lé c islation fédérale et locale est exclusivement anglaise.
Il est vrai que nous avions droit à ce privilège, mais, entre
le droit et le fait, il existe souvent une énorme distance, et
quand le premier vous est cordialement et spontanément con-
cédé, sans discussion, sans entrave et sans réticence, vous
sentez que vous transigez avec des amis et des alliés loyaux.
— 130 —
XXXV.
« Tout MU qui aura pour but d’approprier une portion quelconque du reve-
nu public, de créer de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts, devra, sui-
vant le cas, prendre origine dans la chambre des communes fédérales ou
dans l’assemblée législative locale.
» Tout vote, résolution, adresse ou MU des communes fédérales, ou des as-
semblées législatives locales, qui aura pour but l’appropriation d’une partie
quelconque du revenu ou de créer des taxes ou des impôts devra, suivant le
cas, être précédé d’un message du chef de l’exécutif fédéral ou du lieute-
nant-gouverneur ; il faudra que ce message soit mis devant ces chambres
pendant la session même où seront passés ces vote, résolution, adresse ou
MU.
> Tout MU de la législature générale pourra être réservé, en la manière or-
dinaire, pour la sanction de Sa Majesté ; et les Mils de la législature locale
pourront, de la même manière, être réservés pour la considération du gouver-
neur général.
» Les Mils de la législature générale seront sujets au désaveu de Sa Majes-
té, durant les deux ans qui suivront leur passation, et ceux des législatures
locales seront sujets au désaveu du chef de l’exécutif fédéral, durant les douze
mois qui suivront leur passation. >
— (48 e 49 e 50 e et 5\* paragraphes du Projet de Constitution.)
Nous disions, précédemment, que les provinces choisiraient
elles-mêmes leur mode d’existence législative et administra-
tive locale, et, qu’à leur liberté d’action, à cet égard, il n’exis-
tait que certaines conditions que nous ferions connaître plus
tard.
La première de ces conditions est que les projets de lois sur
les impôts et l’appropriation du revenu public devront prendre
origine dans l’assemblée législative, qu’il y ait une ou deux
chambres.
Personne, sans doute, ne se plaindra d’une pareille condi-
tion, qui est dans l’essence même de la constitution britan-
nique, qui repose sur ce principe fondamental que le peuple
ne peut être taxé et qu’on ne peut dépenser son argent sans
.son libre consentement, et qui veut que, pour établir davan-
tage sa prérogative à cet égard, il ait lui-même, par ses re-
présentants, l’initiative des mesures d’argent et des impôts
vqui doivent peser sur lui.
— 131 —
Le même principe prévaudra nécessairement dans le parle-
ment fédéra] où les communes y auront exclusivement l’ini-
liah\e des mesures d’argent et des impôts d’une nature quel-
conque.
La seconde condition c’est que, soit dans les communes
fédérales, soit dans les assemblées législatives locales, on ne
pourra voter de résolutions, d’adresses, ou passer de bills
sans que ceux-ci soient précédés d’un message émanant, sui-
vant le cas, du chef de l’exécutif fédéral ou des lieutenants-
gouverneurs etc., etc.
‘ là un autre principe essentiellement britannique et
qui a sa raison d’être dans celui de la responsabilité ministé-
rielle et dans la logique des choses. En effet, les ministres
sont, on vertu de la loi, les gardiens de la fortune publique ;
ils en sont les seuls administrateurs, et leur titre de ministres
ne signifie rien autre chose. Eux seuls donc peuvent dire si
l’Etat peut ou doit se taxer davantage, ou faire la dépense
qu’on lui demande. C’est un principe de protection pour le
peuple lui-môme et qu’il se garderait bien d’abandonner pour
un autre qui le laisserait dépendant du caprice des individus
et de lignorance, par ceux-ci. de sa situation.
La convention a oublié de parler du droit ùeveto. Peut-être
se trouve-t-il implicitement dans le projet ; cependant, il est
mieux qu’il y soit explicitement et nommément, car c’est par
ce seul point que le chef de l’exécutif, qu’il soit fédéral ou
provincial, peut faire sentir son existence législative.
Pour que sa sanction vaille quelque chose, il faut bien qu’il
ait le droit de refuser ou d’accepter, à son gré. Le veto n’est,
pour ainsi dire, point pratiqué, de nos jours, par le souverain,
parce que c’est une mesure extrême dont l’exercice demande
une grande prudence et des motifs exceptionnels. Mais c’est
justement pour les circonstances exceptionnelles qu’il existe,
sous la responsabilité ministérielle, et, parce qu’il peut devenir
nécessaire, qu’il s’est trouvé dès l’origine et qu’il a été main-
tenu dans la constitution britannique.
Quant à ce qui regarde la législation générale, celle dont le
— 132 —
gouvernement a l’initiative, on le comprendrait peu dans ïa
pratique, parce que cette législation, venant des hommes qui
entourent le chef de l’Etat, qu’ils conseillent, constitutionnelle-
ment, celle-là ou procède de la volonté de celui-ci, ou est
produite avec son consentement.
Le temps n’est plus où le monarque intriguait auprès des
législateurs contre les mesures de ses ministres, et l’anomalie
constitutionnelle du règne de Georges III ne serait plus possible
aujourd’hui.
L’on peut dire que le mouvement législatif est circulaire et
que la législation générale tourne autour de la circonférence
du cercle constitutionnel, pour arriver précisément à son point
de départ ; si elle n’y arrive pas c’est que le peuple ne le veut
pas ou qu’elle n’a pas assez de maturité pour sortir victorieuse
de toutes les épreuves qu’elle doit subir sur la route.
Les clauses 50 me et 51 roe du projet maintiennent, pour les
lills fédéraux, le pouvoir de réserve et de veto à Sa Majesté.
Ici, il n’y a rien à dire, car c’est un principe qui a existé à
toutes les époques de notre histoire constitutionnelle et de
celle de toutes les colonies anglaises. C’est l’un des points de
contact par lesquels le chef de l’Etat britannique peut faire
sentir et exercer sa souveraineté impériale. Aussi personne
n 7 a réclamé contre. Mais ce qui a soulevé des objections,
c’est le même droit de réserve et de veto donné au chef exé-
cutif du gouvernement fédéral pour les projets de lois des lé-
gislations locales. .
Nous comprenons facilement le motif qui a engagé la con-
vention à transférer ce pouvoir des mains de Sa Majesté à
celles de son représentant direct. Ce motif, c’est encore l’u-
nité ; c’est encore ce besoin de centralisation sans laquelle l’on
semble convaincu qu’il est impossible de fonder un empire
durable à côté de la grande république qui nous avoisine.
Mais, d’un autre côté, si, par ce dispositif, au lieu de servir
l’unité nationale, on courait risque de la mettre en danger, ne
serait-il pas mieux de laisser les choses dans l’état où elles
sont aujourd’hui?
— 133 —
Nous savons que dos raisons directes, h part celles que nous
venons de donner, ont déterminé en cela la convention; elle
s’esl dit : Gomment se détermine, d’habitude, l’action du veto
à l’endroit des lois coloniales, à Londres ? C’est un simple
employé de bureau qui examine les projets de loi et qui décide
de leur sort ; c’est sur son opinion que le souverain les ac-
cepte ou les rejette. Tandis que, quand une loi sera réservée
à la sanction et assujettie au désaveu du gouverneur général,
comme l’exercice de cette sanction et de ce désaveu ne se fera
que sur l’avis des ministres, ceux-ci ne courront, que dans
les cas extrêmes, le danger de conseiller l’exercice du veto,
parce que l’opinion, qui aura présidé à la passation de la loi,
dans la législature locale se trouvera représentée, dans le par-
lement fédéral par une phalange capable, si elle le veut, de
rendre tout gouvernement impossible.
Cela est vrai, mais précisément parce que cela est vrai, cela
est dangereux et propre à produire des enraiements dans
tout le mécanisme. Jusqu’ici personne ne s’est plaint de cette
prérogative du désaveu, chez le souverain, et de l’exercice qui
en a été fait, probablement parce que cet exercice a eu lieu
dans l’équité et dans la modération, peut-être, aussi, parce
qu’il eût été inutile de se heurter à l’impossible ; mais,
dès le moment que les partis comprendraient que ce pouvoir
est virtuellement et pratiquement dans les mains de nos
hommes d’Etat fédéraux, on les verrait, dans un but de
succès, exciter, dans l’occasion, le sentiment local contre
eux, pour les atteindre dans leurs positions et tâcher de les en
faire tomber. C’est là la conséquence inévitable du système.
C’est là une conséquence, mais ce n’est pas la cause des
appréhensions dans le sentiment public.
On ne craint pas pour les conflits, mais l’on craint pour
l’indépendance de l’action législative des provinces dans la
mesure des attributions qui leur sont spécifiquement dévolues
par le projet. Il est donc de toute urgence que nos ministres
élucident parfaitement cette question si grave ; nous les at-
tendons à l’œuvre.
— 134 —
XXXVI.
t Toutes les terres, mines, minéraux, et réserves royales qui appartiennent
à Sa Majesté dans les diverses provinces pour l’usage de ces provinces ;
i Toutes les sommes d’argent dues par les acquéreurs ou les locataires de
ces terres, mines et minéraux, à l’époque de l’Union ;
t Toute valeur ou propriété se rattachant aux parties des dettes publiques
des provinces dont celles-ci seront chargées, et toutes les autres propriétés
publiques situées dans leurs limites, moins celles dont la confédération aura
besoin pour les fortifications ou la défense du pays, leur appartiendront res-
pectivement. »
— (56 e 57 e et 58 e paragraphes du Projel de Constitution.
Pour comprendre toute la signification de ces dispositifs, il
est important d’avoir, devant les yeux, avec cet avoir, les obli-
gations qui en sont le débit,
La séparation de l’administration provinciale de l’adminis-
tration fédérale a naturellement créé deux classes distinctes
de revenus et aussi deux classes distinctes de dépenses. Ce
que nous avons à constater, pour le moment, ce sont, d’abord,
les chiffres du revenu et de la dépense de l’administration du
Bas-Canada, tels que nous les fait la confédération, et à s’as-
surer, ensuite, qu’en pratiquant l’économie, sans nuire au
développement, de nos ressources, de nos améliorations locales,
de nos institutions et, généralement, de notre prospérité, nous
sommes amplement pourvus pour l’avenir et -que nous n’au-
rons pas besoin d’avoir recours au moyen extrême de la taxe
directe. Commençons par le chiffre de la dépense.
D’après des calculs, basés sur des données puisées, presque
toutes, à des sources officielles et, quelques-unes seulement,
(celles relatives à la législature et au gouvernement) sur des
probabilités appuyées sur l’expérience et sur la connaissance
des choses et des besoins ; d’après ces calculs, nous arrivons
au résultat suivant ;
Dépense.
Administration gouvernementale et législation $150,000
Judieîaire (administration) 100,000
Pénitentiaires 70,000
— 135 —
160,000
Asiles d’aliénés 90,000
Institutions littéraires 5,900
Hôpitaux et autres institutions de charité 27,390
Arts 3,500
Agriculture 4,000
Réparations d’édifices publics, etc 15,000
Colonisation, (chemins) 50,000
Autres chemins 15,000
Bureau des mesureurs de bois 35,000
Travaux publics 30,000
Contingents de bureau . » 30,000
Autres contingents 32,000
Glissoires 15,000
Arpentage 30,000
Terres (administration) 57,000
Autres dépenses non énumérées 180,000
Total $1,099,780
Revenu.
Bois, etc $105,000
Terres 146,000
Autres revenus locaux 300,000
Notre part du revenu fédéral pour les intérêts locaux (80 centins
par tête) 888,531
Total, $1,439,531
Dépense, 1,099,790
Surplus du revenu sur la dépense $339,741
Mais les chiffres des dettes publiques, que les provinces
doivent remettre à la confédération, étant déterminés, et ces
chiffres ne couvrant pas toute la dette publique du Canada, il
faudra établir le montant de la portion de cette dette qui sera
attribuée au Bas-Canada, et rechercher aussi le moyen d’en
payer annuellement l’intérêt.
Ici, pour le débit et le crédit, nous n’avons encore que des
probabilités, car, malgré tous nos efforts, nous n’avons pu
obtenir des chiffres d’une exactitude rigoureuse, qui ne seront
connus que lors de la discussion des constitutions provinciales
et de la répartition, entre les deux Canadas, des dettes et des
revenus locaux.
Cependant, nous avons exactement, dans le remarquable
— 136 —
discours de M. Galt, les chiffres de la dette et du revenu col-
lectifs locaux des deux Canadas, et de ces chiffres nous pou-
vons déduire, approximativement, notre part de cette dette et
de ce revenu. Le ministre des Finances, ayant établi, sur
des données officielles, à $67,263,994 le chiffre net de la
dette du Canada, et à $62,500,000 la portion de cette dette
qui doit être transférée à la confédération, la dette locale des
deux Canadas se trouve être par là de $4,763,994.
Il nous donne, pour la dépense locale des deux Canadas
réunis, $2,021,979, et $2,260,149, en comprenant l’intérêt
de $4,763,994; pour le revenu local, §1,297,043, auquel
chiffre il faut ajouter la portion du revenu fédéral attribuée aux
deux Canadas, §2,005,403: en tout, $3,302,446.
Nous avons donc un surplus de revenu sur la dépense de
§1,042, 297.
Nous sommes sûr d’exagérer considérablement en plus, en
prenant, pour le Bas-Canada, la moitié de cette dette de
§4,763,994, c’est-à-dire §2,381,997.
Nous aurions, par ce partage, à payer annuellement, en
intérêts, sur cette dette, §119,035. Ce qui établirait notre
dépense totale à §1,218,825.
Nous aurions donc encore un surplus de §221,006. Mais
nous avons évalué, plus haut, le revenu du Bas-Canada à
§551,000, en ne prenant pas en ligne de compte les §888,531,
notre part du revenu général. Or, puisque nous prenons, à
rencontre de toute probabilité, la moitié de la dette, nous ne
serons pas loin de la vérité en prenant aussi la moitié du
revenu local, c’est à dire §648,521.
La différence, entre ces deux montants, étant de §97,521, si
nous ajoutons celui-ci à §1,439,531, nous aurons, pour le re-
venu du Bas-Canada, §1,537,052 ; pour la dépense, §1,-
099,790, chiffre établi plus haut, et §119,035, notre part de
l’intérêt de la dette : en tout, §1,218,825.
Le revenu excédera donc la dépense de §318,227.
Ce résultat est satisfaisant et suffit pour nous rassurer contre
les craintes sur Tavenir.
— 137 —
Si on allait nous objecter que nous avons exagéré le revenu,
nous répondrions que nous avons aussi exagéré de beaucoup
le chiffre de la dette, et eonséquemment de la dépense.
N’oublions pas que, si nous acceptons certaines dettes
spéeiales. nous recevons, en même temps, comme compensa-
tion, par la 58 e clause du projet, tout ce que peuvent produire
les choses pour lesquelles ces dettes ont été contractées. Parmi
ces choses est le fonds d’emprunt municipal du Bas-Canada.
Nous aurons donc ce que celui-ci rapporte.
D’après ces calculs, le Haut-Canada aurait, pour le revenu
local, la moitié du revenu local actuel, c’est-à-dire $048,521,
et S 1.1 16, 872, sa part du revenu général ; en tout §1,765,393.
Nous n’avons pas de données pour établir, en détail, le
chiffre de sa dépense ; mais M. Galt ayant trouvé que la dé-
pense collective locale, pour les deux Canadas, s’élevait à
$2,260,149, la part du Haut-Canada ne peutpasêtre moindre,
dans tous les cas, que la moitié de cette somme, ou $1,130.-
074. Ce qui lui laisserait un excédant, pour travaux publics
et autres objets, de §635,319.
Mais, comme les haut-canadiens ont d’autres idées que
nous sur bien des choses, il est impossible de dire au juste le
chiffre de leur dépense locale. Il est certaines choses,
comme les chemins de colonisation, par exemple, les hôpitaux
et autres institutions de charité, peut-être même les péniten-
ciers et les asiles des aliénés, qu’ils soutiendront au moyen
de taxes locales ou à l’aide de souscriptions volontaires.
Il suffit seulement de savoir que les calculs delà convention
couvrent amplement les besoins locaux de toutes les provinces,
si celles-ci sont guidées, comme elles le seront, sans doute, par
un esprit de sage économie.
Comme, en dépassant leurs revenus locaux, les provinces
auront à se taxer directement et que la taxe directe est im-
populaire, partout, mais surtout en Bas-Canada, l’on peut,
comme l’a si bien dit M. Galt, laisser, à cet égard, la surveil-
lance de la dépense publique à l’œil attentif et jaloux du peuple.
Le ministre des finances a établi ainsi les revenus locaux et
— 138 —
les octrois fédéraux, pour les objets locaux, des diverses pro-
vinces qui doivent entrer dans la confédération :
Revenus locaux.
Canada $1,297,043
Nouvelle-Ecosse 107,000
Nouveau-Brimswick 89,000
Ile du Prince Edouard 32,000
Terreneuve 5,000
Total,…. $1,530,043
Octrois fédéraux pour les objets locaux.
Canada, $2,006,121
Nouvelle-Ecosse 264,000
Nouveau-Brunswick 246,000
Ile du Prince-Edouard 153,728
Terreneuve 367,000
Total, $3,056,849
Et les chiffres de la dépense locale à :
Canada $2,200,149
Nouvelle-Ecosse 667,000
Nouveau-Brunswick 424,047
Ile du Prince-Edouard 124,016
Terreneuve 479,000
Total, $3,954,212
En additionnant les revenus locaux avec les octrois fédéraux,
pour les objets locaux, on aura §4, 586, 892 ; dont il faut dis-
traire, pour les dépenses, $3,954,212 : ce qui laisse un sur-
plus, pour les objets locaux, de $632,680.
En divisant les deux Canadas pour les objets de la dépense
et du revenu locaux, nous aurons les résultats suivants :
Revenu.
Haut-Canada $1,765,393
Bas-Canada 1,537,052
Nouvelle-Ecosse 371,000
Nouveau-Brun swiqk , 353,000
Ile du Prince-Edouard 185^728
Terreneuve jSlï3HjOOO
Total, $4,586,173
Ce dernier résultat diffère de $719 de celui de M. Galt,
parce qu’il évalue à §2,006,121 le montant de l’octroi fédéral
— 139 —
les deux Canadas réunis, pour les objets locaux, et, qu’en
prenant les chiffres de la population pour base, nous rétablis-
sons à §2,005,403.
Cette différence est peu importante dans les résultats géné-
raux.
Dépense.
Haut-Canada, approximativement $1,130,074
Bas-Canada 1,218,825
N’oiivelle-Ecosse 667,000
Nouveau-Brunswick 424,047
De du Prince-Edouard 124,816
Terreneuve 479,212
Total, $4,042,962
Au commencement de cet article, nous avons établi le
:hiffre de la dépense du Bas-Canada, non sur celui de la
dépense actuelle pour les objets locaux, telle que donnée par
M. Galt, mais sur nos besoins futurs ; ce qui fait qu’il y a ici
jne différence de $88,750.
N’ayant pas de données pour le Haut-Canada, ainsi que nous
avons déjà dit, nous avons dû prendre, pour nous guider, la
moitié du chiffre de la dépense collective actuelle des deux
Canadas pour les mêmes objets locaux.
Ces chiffres prouveront assez que les provinces se mouvront
à Taise dans leurs revenus locaux, et qu’elles n’ont pas besoin
d’avoir d’inquiétude à cet endroit.
XXXVII.
i La confédération devra se charger de toutes les dettes et de toutes les
obligations des diverses provinces.
» La dette du Canada, moins la portion qui sera laissée â la charge du
Haut <'l du Bas-Canada, c'est-à-dire $4,763,994, ne devra pas, au temps de
l'Uni'- $62,500,000
■■ nvelle-Ecosse 8,000,000
du Nouveau-Brunswick 7,000,000
i Si les dettes de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick ne se
^.000,000 et $7,000,000, à l'époque de l'Union, ces pro-
vinces auront dri il à 5 p. 100 sur la différence qui existera entre les chiffres
de leurs dettes, $8,000,000 et $7,000,000.
— 140 —
» Gomme Terrencuve et l'Ile du Prince-Edouard n'ont pas contracté de
dettes égales à celles des autres provinces, elles auront droit de recevoir, à
l'avance, delà confédération, en paiements semi-annuels, l'intérêt de 5 p. 100.
sur la différence qui existera, à l'époque de l'Union, entre le montant de
leurs dettes respectives et la moyenne du chiffre de la dette par tête du Ca-
nada, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, à la même date.
» En considération de l'abandon du pouvoir de taxer fait au parlement fé-
déral, les provinces auront droit respectivement à un octroi annuel de 80 cen-
tins par tête de leur population, telle qu'elle est établie par le recensement de
1861. La population de Terreneuve est évaluée, pour cet objet, à 130,000
âmes. Les chiffres de ces octrois, pour les objets locaux, resteront les mêmes
pour tous les temps à venir ; ils leur seront payés, annuellement, à l'avance.
» Comme la position du Nouveau-Brunswick est telle qu'il devra faire pe-
ser immédiatement des dépenses considérables sur son revenu local, cette
province recevra, annuellement, durant dix ans, une somme additionnelle de
$63,000. Mais, tant que ses obligations resteront au-dessous de $7,000,000,
l'on déduira, sur cette somme de $63,000, un montant égal à l'intérêt, à
5 p. 100, sur la différence entre le chiffre réel de sa dette provinciale et
$7,000,000.
» Terreneuve, pour l'abandon de ses droits sur les mines, les minéraux et
les terres de la Couronne, qui ne sont encore ni vendues, ni occupées, rece-
vra, annuellement, $150,000, en paiements semi-annuels, etc.»
— (63 e 64 e 65 e et 66 e paragraphes du Projet de Constitution.)
Le disposif 61 e repose sur un principe de parfaite équité ;
pour s'en convaincre, il suffit d'en connaître les motifs déter-
minants.
Commençons par poser des chiffres. Les dettes des di-
verses provinces étaient comme suit, le 1 er janvier 1864 :
Canada $67,263,994
Nouvelle-Ecosse 4,858,547
Nouveau-Brunswick 5,702,991
Terreneuve 946,000
Ile du Prince-Edouard 240,673
Total, $79,012,205
Et les populations:
Haut-Canada ' 1,396,091
Bas-Canada 1,110,664
Nouvelle-Ecosse 330,857
Nouveau-Brunswick 252,047
Terreneuve 130,000
Ile du Prince-Edouard 80,757
Total, 3,300,416
— 141 —
Ces provinces étaient donc endettées dans les proportions
suivantes, par tète de leurs populations:
Par tète,
Canada $26.38
Nouvelle-Ecosse " I Iv38
Nouveau-Bruns^ick « < • 23.02
Terrenteuve 7.27
Ue du Prince-Edouard 2.97
Ce qui donnerait, en moyenne, pour la Confération, 23,04.
Ainsi, en unissant purement et simplement les dettes de
toutes les provinces ensemble, il y eût eu injustice flagrante
envers les provinces les moins endettées : il n'y a que le Ca-
nada qui y eût gagné $2.89 cts. par tête. La Nouvelle-
Ecosse y eût perdu $9.56 cts ; le Nouveau-Brunswick,
$0.92 cts ; Terreneuve, $16.67 cts. etl'Ile du Prince-Edouard,
$20.97 cts.
Pour engager toutes les provinces maritimes à abandonner
leurs revenus à la confédération et à accepter une proportion
de charges par tête, en ce qui regarde la plupart d'entre
elles, beaucoup plus considérable que celle qui pesait sur
elles, au moment où l'on parlait d'union, il fallait donc néces-
sairement établir un système de compensations. Mais quel
devait en être le principe, quel devait être le pivot sur lequel
devait tourner tout le mécanisme ? M. Galt se charge de vous
le dire beaucoup mieux que nous pourrions le faire nous-
mème :
i On proposa, dans la convention, d'établir un certain taux déterminé sur
lequel serait réglé le montant de la dette que chaque province pourrait impu-
ter à la confédération, et, dans ce but, la dette du Canada fut établie à
$02,500,000, ou à 5,000,000 environ de moins que le chiffre net de la dette
réelle. Pour arriver à cette réduction, l'on s'y prit ainsi : certaines obligations
du Canada avaient été contractées pour des objets locaux, et il existait des
actifs en rapport avec ces obligations. Je veux plus particulièrement parler
du fonds d'emprunt municipal et de quelques autres sujets d'une nature plus
locale que générale. On ne crut pas qu'il fût désirable de transporter ces
obligations à la confédération. Il était mieux que chaque province se char-
geât de sa dette, particulièrement locale, et s'appropriât les garanties au
moyen desquelles elle put la racheter.
» De cette manière, l'on établit, pour la dette du Canada, un montant égal
par tête à ceux que contribuaient ou devaient contribuer les deux province»
de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick.
— 142 —
> Si quelqu’une de ces provinces avait eu une dette dont le chiffre eût con-
sidérablement excédé ceux des dettes des autres par tête, les choses se
fussent trouvées dans une position bien différente. Mais, en réfléchissant, l’on
trouva que, tandis que l’on pouvait faire descendre, par le procédé que je
viens d’indiquer, la dette du Canada, à $62,500,000 ou, autant que possible,
à $25 par tête, la Nouvelle-Ecosse avait, à côté de sa dette ($4,858,547), con-
tracté des obligations dans le but de compléter son système de chemins de
fer, pour un montant de $3,000,000, lequel devait élever sa dette à $8,000,000,
ou aussi à $25 par tête. D’autre part, le Nouveau-Brunswick, pour la con-
struction de ses propres chemins de fer, avait pris des engagements, qui
marchaient vers leur maturité, pour $1,300,000, faisant ainsi monter sa dette
à $7,000,000, c’est-à-dire à quelque chose de plus que $25 par tête de sa po-
pulation.
> Ainsi, en acceptant les obligations et les actifs, nous avons pu établir la
dette du Canada au même taux par tête que celles de la Nouvelle-Ecosse et
du Nouveau-Brunswick, et, conséquemment, l’acceptation des dettes de ces
trois provinces par la confédération ne souffrait aucune difficulté quelconque.
Ce fut tout autre chose pour Terreneuve et l’Ile du Prince-Edouard. Ces pro-
vinces, par leur position insulaire, n’ont pas été obligées de contracter des
dettes aussi considérables pour des travaux publics. Elles possèdent, heureu-
sement pour elles, un accès facile, par eau, à leurs établissements, ou y ar-
rivent, par de très-courts chemins, au moyen du voiturage de terre, et con-
séquemment n’ont eu à construire ni canaux ni chemins de fer. C’est pour-
quoi les dettes de Terreneuve et de l’Ile du Prince-Edouard sont beaucoup
moins considérables que celles des autres provinces.
» Pour les placer sur le même niveau que le Canada, la Nouvelle-Ecosse et
le Nouveau-Brunswick, il fallut donc les indemniser pour le montant de la
dette qu’elles n’avaient pas contractée ; car, en nous emparant de leurs reve-
nus, nous les obligions encore à contribuer au paiement de l’intérêt de notre
propre dette. Or, nous ne pouvions l’exiger sans les en indemniser dans une
certaine mesure.
» De cette manière nous pûmes vaincre une difficulté qui nous avait ac-
cueillis au seuil même des délibérations, laquelle était que ces provinces ne
possèdent pas de revenus locaux et, qu’en les chargeant de l’administration
de leurs gouvernements locaux, et en leur enlevant, en même temps, le
revenu des douanes et de l’accise, nous les laissions sans moyen aucun de
faire honneur à leurs obligations.
» Je ferai remarquer, en ce qui regarde Terreneuve, que le peuple de cette
colonie, étant, à l’égard des produits agricoles, entièrement consommateur et
nullement producteur, parce qu’il se compose de pêcheurs et de marins, paie
le double de nous par tête sur les produits imposés qu’il consomme. Il contri-
buera donc, sous forme de droits de douane, au revenu de la confédération,
plus que sa part, et, en conséquence, l’on régla que, pour le montant de sa
dette non contracté, jusqu’à la concurrence de $25 par tète, on lui paierait
intérêt, pour lui permettre de faire ses paiements et de pourvoir à ses be-
soins locaux. »
— 1 43 —
Ces paroles si lucides et si convaincantes du minisire des
finances expliquent les paragraphes 61, 02 et 63 du projet.
Elles nous disent pourquoi la délie du Canada est établie à
$02,500,000, la dette de la Nouvelle-Ecosse à $8,000,000, et
celle du Nouveau-Brunswick à ^7, 000,000; pourquoi il faudra
que la confédération paie, à ces deux dernières provinces, un
intérêt de 5 p. 100 sur la différence entre leurs dettes réelles
et 8,000,000 et $7,000,000 respectivement. Elles nous disent
encore pourquoi nous aurons à payer à Terreneuve et à l’Ile
du Prince-Edouard, aussi un inlélèt de 5 p. 100 sur les mon-
tants respectifs nécessaires pour élever leurs dettes à $25 par
tète de leurs populations.
Il est évident, d’après les explications données par M. Galt,
que les dettes de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick
seront respectivement arrivées aux chiffres de 8,000,000 et de
§700,000, lorsque se consommera la confédération, et, qu’ainsi,
cette dernière n’aura rien à leur payer pour cet objet.
La population de Terreneuve, étant de 130,000 âmes, $25 par
tête établirait sa dette à $3,250,000, montant qui la placerait
au niveau de celles du Canada, de la Nouvelle-Ecosse et du
Nouveau-Brunswick, dans le rapport de leurs populations res-
pectives. Mais, comme cette province doit $946,000, il faut
déduire ce montant de §3,250,000 ; ce qui nous donnera pour
résultat $2,304,000. sur lesquelles la confédération aura à
payer à Terreneuve, annuellement, 5 p. 100 d’intérêt ou
$115,200.
De même, comme la population de File du Prince-Edouard
est de 80,748, en multipliant ce chiffre par 25, le montant de
la dette des trois grandes Provinces par tête, on aura 2,018,-
675 et 1,778,002, en déduisant 240,673, le chiffre de la dette
actuelle de cette Province. La confédération aura donc à
payer annuellement, un intérêt de 5 p. 100, sur ce dernier
montant, ou $88,900.
Le paragraphe 64 est beaucoup plus facile à comprendre,
puisqu’il statue que chaque province, prenant, à perpétuité,
le recensement de 1861 pour base de calcul, recevra, pour
tous les temps à venir, 80 centins par tète de sa population.
– 144 —
Les montants auxquels auront droit ces provinces, en vertu
de ce dispositif, seront donc répartis comme suit :
Haut-Canada $1,116,872
Bas-Canada 888,531
Nouvelle-Ecosse 264,685
Nouveau-Brunswick 201,637
Terreneuve 104,000
Ile du Prince-Edouard 64,505
Mais, comme Terreneuve cède à la confédération, en pleine
propriété, le fonds et le tréfonds de tout son sol qui n’est ni
vendu ni occupé par les colons, cette dernière lui donnera
annuellement $1 50,000, et cette province recevra ainsi, an-
nuellement, du gouvernement général, §369,200: $104,000
en intérêts sur la différence entre sa dette réelle et le chiffre
qui élèverait celle-ci à $25 par tête de sa population ; $1 15,200,
son octroi annuel de 80 contins par chaque tête de sa popula-
tion, et $150,000 comme représentation de la valeur annuelle
de son territoire cédé à la confédération.
L’Ile du Prince-Edouard recevra, annuellement, de deux
sources fédérales, $153,405, c’est-à-dire $88,900, en inté-
rêts sur la différence entre sa dette réelle et le chiffre qu’il
faudrait donner à celui-ci pour l’élever à $25 par tête de la
population, et $64,505, représentant les 80 centins par tête
de l’octroi fédéral.
Il est donc évident que les deux provinces les plus favorisées
sont le Nouveau-Brunswick et Terreneuve, car le Nouveau-
Brunswick (clause 65) prendra sur le revenu fédéral $63,000
annuellement pendant dix ans, en tout $630,000, et Terre-
neuve (clause 66) $150,000 annuellement, à perpétuité, comme
compensation de son domaine cédé.
Sans cette concession, le Nouveau-Brunswick, qui a entre-
pris de grands travaux, n’aurait pu céder son revenu général
et entrer dans la confédération. Cela explique le motif de la
concession faite.
Terreneuve, de son côté, n’ayant qu’un revenu local de
$5,000, n’aurait pu non plus, sans ses $5,000, subvenir
aux besoins de la législature et du gouvernement locaux.
— 145 —
Mais qu’est-ce que ces légers sacrifices en compensation de
l’immense avantage, celui de l’union, d’abord, de l’Amérique
du Nord, et de l’indispensable possession du point américain
le plus rapproché de l’Europe, de la clef du golfe Saint-
Laurent et du boulevard le plus avancé de la nation future ?
Du reste, il ne faut pas perdre de vue, 1° que les provinces,
auxquelles nous nous allions, céderont, au revenu général,
pour les objets locaux, plus qu’elles n’en recevront, et 2° que
leurs revenus respectifs actuels suffisent, au-delà, et aux be-
soins locaux et aux besoins généraux, et qu’ainsi nous ne fe-
rons pas, en entrant dans l’union, un sacrifice pécuniaire «nu
profit des autres parties contractantes. Voici des chiffres pour
le prouver:
Rev. 1863 Dép. 1863 Différence.
Nouvelle-Ecosse $1,185,629 $1,072,274 $113,355
Nouveau-Bnmswick 899,991 884,613 15,378
Tenreneove (1862) 480,000 479,420 1,420
lie du Prince-Edouard 197,386 171,718 25,066
Provinces maritimes $2,763,004 $2,608,025 $155,819
Ces chiffres couvrent et la dépense pour les objets locaux et
celle pour les objets généraux qui devront être attribués à la
confédération
Le Bas-Canada, en 1863, n’était pas dans une position aussi
bonne, puisqu’il avait, a cette époque, un déficit considé-
rable ; mais son revenu a augmenté de $1,500,000 dans les
douze mois de 1864. Ceux de la Nouvelle-Ecosse et du Nou-
veau-Brunswick ont, chacun, augmenté de $100,000 : en tout
$1,700,000, dont il faudra retrancher le déficit de 1863, c’est-
à-dire $827,512, laissant un surplus de $872,488, ainsi que.
l’établissent les chiffres suivants donnés par M. Galt :
1864.
Revenu total de toutes les colonies $14,223,320′
Dépenses 13,350,832
Surplus évalué $872,488
Nous croyons avoir assez prouvé, maintenant, que la confé–
K
— 14G —
délation n’est un sacrifice pour aucune province, au point de
vue des intérêts pécuniaires, et qu’elle est d’une immense
valeur à toutes, pour l’avenir, à tous les points de vue.
XXXVIII.
LE TARIF.
La question du tarif est l’une des plus difficiles à résoudre ;
c’est, dans tous les cas, une de celles sur lesquelles les adver-
saires de la confédération ont le plus glosé, dans la Nouvelle-
Ecosse et dans le Nouveau-Brunswick. Yoici les moyennes
des tarifs des diverses provinces :
Moyenne.
Canada 20 p. 100.
Nouvelle-Ecosse 10 »
Nouveau-Brunswick 15^ »
Terreneuve 11 *’
Ile du Prince-Edouard 10 »
M. Galt en parle ainsi :
« Je suis arrivé à un point très-important, à savoir, si, comme on le craint,
la confédération doit augmenter les taxes. Les revenus actuels do toutes les
provinces dépassent d’un million les besoins ; mais il est vrai, en même
temps, que la confédération aura à contracter certaines obligations pour le
chemin de fer intercolonial, par exemple, et l’achèvement de certains travaux
qui se poursuivent actuellement dans les provinces atlantiques.
« Puisque le produit des tarifs actuels des diverses colonies est plus que
suffisant pour les besoins, il est évident que, si nous élevions les tarifs de
toutes ces provinces au niveau de celui du Canada, nous aurions plus de
revenu qu’il nous en faut.
« La moyenne du tarif des provinces maritimes, prises collectivement, est
d’environ 12è p. 100, et, tandis que le revenu, qu’il produit maintenant, est
d’environ $2,500,000, le tarif du Canada leur donnerait au moins $3,000,000.
C’est pourquoi, pour pourvoir à tous les besoins de la confédération, ces
provinces n’ont pas besoin d’élever leurs tarifs ; mais nous pouvons baisser
le nôtre, et, en élevant les droits, l’on pourrait trouver un terme moyen
d’impôts, entre 10 et 20 p. 100, lequel serait suffisant pour couvrir tous les
besoins de la confédération. »
— 147 —
La question est d’autant plus facile à régler, quoique dif-
ficile à préciser dans ses résultats probables, qu’il y a un sur-
plus de revenus sur toute l’étendue de la confédération, et
qu’en conséquence il sera possible aux tarifs les plus élevés de
tendre vers le niveau des tarifs les plus bas. Si les tarifs des
diverses provinces étaient assis sur le même principe préci-
sément, si les articles imposés Tétaient tous de la même ma-
nière, partout, et qu’il y eût même rapports, si non même degrés
d’impôts, entre les articles de même nature, dans tous les
tarifs provinciaux, la tache serait comparativement facile.
Mais il n’en est rien ; tel article d’importation, qui est imposé
dans l’une des provinces, ne Test pas dans l’autre ; tel autre,
sur lequel pèse un impôt mixte ici, est soumis là, seulement à
un droit fixe ou à un droit ad valorem.
Il y a encore les droits prélevés de province à province et
qui cesseront d’exister sous la confédération. Ceux-ci ne peu-
vent être de quelqu’importance qu’en ce qui regarde les pro-
vinces maritimes entre-elles, puisque nos rapports avec celles-
ci ont eu jusqu’ici peu d’importance.
Cet appoint, pour le revenu général, est probablement peu de
chose, mais il faudra, cependant, ne pas l’oublier dans l’ajus-
tement du tarif de la confédération.
Nous sommes menacés de perdre le traité de réciprocité ;
comment et jusqu’à quel point l’acte du Congrès Américain
affectera notre tarif ? Il est impossible de le dire avec quelque
précision, parce que, nonobstant l’annulation du traité de réci-
procité, il est certains produits que, pour notre intérêt, nous
continuerons d’admettre en franchise, tels que les produits
agricoles de l’Ouest et la matière brute qui peut servir à nos
manufactures. Cependant, il n’en est pas moins vrai que l’a-
brogation de ce traité, qui nous obligerait à imposer un très-
grand nombre de produits, aurait l’effet d’augmenter considé-
rablement notre revenu, et nous mettrait ainsi en position de
laire descendre la moyenne de notre tarif.
Le tableau suivant, qui nous donne la valeur des articles,
— 148 —
imposables et non imposables, importés des Etats-Unis,
prouve à l’évidence ce que nous avançons :
Marchandises
Numéraire
Autres mar-
imposables.
et métaux
chandises non
précieux.
imposables.
1861
$8,346,633
$ 863,308
$11,859,447
1862
6,128,783
2,530,297
16,514,077
1SG3
3,974,396
4,651,679
14,483,287
$18,449,812
$8,045,284
$42,856,811
C’est donc, en trois ans, une importation de $69,351,907,
dont seulement $18,449,812 d’articles imposables, et $50,-
902,095 de marchandises admises en franchise.
Si Ton retranche de ce dernier montant $8,045,284, pour
l’argent importé (monnayé et non monnayé), qu’on n’impo-
serait sous aucune circonstance, il resterait encore, pour une
valeur de $42,856,811, ou, en moyenne, par année, de
$14,285,637 de marchandises qui pourraient être imposées
et qui aujourd’hui entrent en franchise.
Cependant, outre que, comme nous venons de le dire, nous
sentirions la nécessité d’admettre en franchise une certaine
portion de ces articles, représentés par le chiffre $14,285,637,
il est certain que l’imposition de droits sur ces articles aurait
pour effet d’en diminuer, dans une certaine mesure, l’impor-
tation et, conséquemment, il nous est impossible, à l’avance,
de calculer, au juste, ce que produiraient, sous l’action d’un
tarif, l’importation américaine et d’établir l’abaissement que
Ton pourrait, en conséquence, faire subir au tarif général
pour arriver au niveau de la moyenne des tarifs des provinces
maritimes, sans diminuer l’équilibre qui existe actuellement
entre la recette et la dépense totales de la confédération.
Ce que nous savons, et ce qu’il nous suffit de savoir, pour
le moment, c’est qu’il y aura accroissement de revenu par
l’abrogation du traité de réciprocité, à un degré considérable,
conséquemment, possibilité de faire descendre notre tarif au
niveau de la moyenne des tarifs des provinces atlantiques, et
de combler les vides, peu considérables, faits par l’abolition
des tarifs intercoloniaux dans la confédération.
— 149 —
Après cela, si l’on devait exécuter des travaux considé-
rables, dans les provinces inférieures, et que» pour les payer,
il fut nécessaire do faire un peu monter la moyenne do leurs
tarifs, elles n’auraient pas raison de s’en plaindre; car, même
avec cette augmentation, ces travaux eussent été impossibles
par elles, sans la confédération, et, en les leur donnant, nous
leur donnons la vie commerciale et la prospérité qui leur
permettra de se mouvoir, plus à Taise, dans un tarif un peu
appesanti, qu’auparavant dans un tarif plus léger.
Mais supposons même que le traité de réciprocité soit
maintenu, soit dans son état actuel ou avec des modifi-
cations, la marge laissée, dans le budget, par le revenu gé-
néral, après toutes les dépenses locales et fédérales payées,
ainsi que l’a établie M. Galt par des chiffres- irrécusables, est
suffisante, avec ou sans ces promesses d’accroissement, pour
permettre au parlement général de faire descendre considé-
rablement la moyenne du tarif collectif.
XXXTX.
i La confédération devra faire compléter, sans délai, le chemin de fer
intercolonial do la Rivière du Loup à Truro, dans la Nouvelle-Ecosse, en le
faisant passer par le Nouveau-Brunswick. »
— (G8 e paragraphe du Projet de Constitution.)
Si, dans l’examen que nous avons fait du projet de la con-
vention et dans la considération des motifs qui ont déterminé
le programme du gouvernement actuel, dans la session de
18G4, nous avons trouvé la conviction que l’union de toutes
les provinces de l’Amérique du Nord était devenue une néces-
sité, nous n’avons pas besoin de prouver l’utilité du chemin
de fer intercolonial ; car les provinces atlantiques ont posé,
pour condition indispensable, inflexible de l’union, au seuil
même de la convention, la construction, et la construction
immédiate de cette grande voie de communication.
Elles ont eu raison, car, sans ce chemin de fer. l’union
— 150 —
ne serait que dans les mots, elle ne serait pas dans les choses.
Elle n’y serait dans les choses ni politiquement, ni commer-
cialement, ni militairement ; et à quoi servirait une alliance
entre des peuples qui n’auraient pas d’intérêts communs
entre eux ? Cette voie ferrée, c’est donc non-seulement le lien
le plus fort de l’union future, c’est mais encore le seul assez
fort pour tenir ensemble les parties du grand tout national que
nous travaillons à édifier.
Mais il est d’autres considérations plus immédiates qui mili-
tent en faveur de cette grande entreprise appelée par la voix
de lord Durham, qui disait, en 1839 : « L’établissement d’une
bonne voie de communication, entre Halifax et Québec, pro-
duirait entre les diverses provinces des rapports dont l’effet
serait de rendre une union générale absolument nécessaire.
Plusieurs explorations ont établi la praticabilité d’une voie
ferrée sur tout le parcours. »
Lord Durham voulait un chemin de fer pour rendre l’Union
nécessaire, et la convention l’a voulu pour la rendre possible,
parce que les événements, qui ont marché si vite et qui se
sont développés dans des conditions, si imprévues, à l’époque
où cet homme d’Etat présidait aux destinées de l’Amérique
Britannique du Nord, ont déterminé la nécessité de l’Union
sans le stimulant du chemin de fer, au point qu’aujourd’hui
c’est l’Union elle-même qui détermine la nécessité de ce même
chemin.
Avant l’époque de la nouvelle alliance, c’est à dire avant
que tous les partis, en Canada, eussent acquis la conviction
que l’Union politique de toutes les provinces était devenue
indispensable, à tous les points de vue, on ne trouvait de véri-
tablement dévoués au projet du chemin de fer de Québec et
d’Halifax que le district de Québec et les provinces de la Nou-
velle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick.
Cela se comprend facilement, car, alors, nous étions dans
des rapports d’union commerciale intime avec les Etats-Unis.
Leurs chemins de fer étaient nos chemins de fer, leurs ports
de mer étaient nos ports de mer ; les produits naturels des
— loi —
deux peuples se croisaient, dans leur mouvement de va-et-
vient, sans se heiirter aux douaniers, et l’entente commerciale
et l’harmonie entre les esprits, des deux côlés de la frontière,
étaient si parfaites que les marchandises étrangères traver-
saient leur vaste territoire, pour nous arriver sans plus d’obs-
tacle que s’il se fut agi de leurs propres exportations.
Mais les combats sanglants et meurtriers que se livrent,
depuis bientôt quatre ans, le Nord et le Sud, ont développé,
chez nos voisins, d’autres idées et d’autres sentiments, et, au
lieu d’ouvrir plus largement les voies aux relations commer-
ciales entre eux et nous, ils en rétrécissent, chaque jour, l’espace
el se préparent mémo à y placer des barrières infranchis-
sables. Ainsi donc, dans peu, le traité de réciprocité n’exis-
tera probablement plus, leurs chemins de fer et leurs ports
de mer ne seront plus nos chemins de fer et nos ports de mer,
et, peut-être, ! Mais non, espérons-le du moins, la Pro-
vidence nous réserve un autre et meilleur sort !
Il est donc important, indispensable même, pour nous, si
nous voulons vendre nos produits et recevoir, en échange,
ceux de l’étranger, dont nous avons besoin, que nous puissions
communiquer avec l’océan et que nous ayons des ports de
mer ouverts, tous les jours de l’année ! Nous avons bien
le fleuve Saint-Laurent et nos grands lacs, nous avons bien nos
canaux, qui complètent le plus magnifique système de navi-
gation intérieure qui soit au monde; mais la nature les enchaîne
inexorablement, durant cinq mois de l’année, et si. pour une
cause quelconque, on nous ferme les issues américaines par
où s’échappent nos produits et nous arrivent ceux des autres
peuples, quel est-donc celui qui peut dire, sensément, aujour-
d’hui, qu’il habite les rivages delà Baie-Georgienne, les bords
de l’Outaouais, les rives du Richelieu ou les forets du district
de Québec ; qui peut dire qu’il n’a pas besoin du chemin de fer
d’Halifax, que cette voie ferrée n’est pas la sienne et qu’il ne
doit pas y contribuer pour quelque chose ?
Il est vrai qu’elle profitera plus immédiatement au district
de Québec et aux provinces maritimes; c’est la conséquence
— 152 —
inévitable de leur position géographique. Mais, si c’était
là un motif pour la faire repousser par les autres parties du
Canada, nulle autre entreprise publique ne serait possible ; car
les localités, ou sont situées les débarcadères et les points d’ar-
rêt des chemins de fer, tirent déplus grands avantages de ceux-
ci que toutes celles qui en sont à distance, et cela pourtant
n’empêche pas ces dernières de concourir à leur construction,
parce que, sans eux, elles ne seraient rien, et que leurs produits
ne pourraient arriver au marché.
Ce sont là des notions économiques élémentaires, qui ont
acquis même le caractère d’axiome, et qu’il serait absurde
d’établir par des chiffres. Il n’a pas été nécessaire, par
exemple, de dire au manufacturier de bois qu’il ne lui servirait
de rien d’abattre toutes les forêts du Canada s’il ne pouvait
faire arriver ses magnifiques produits jusqu’à l’Océan. Yoilà
pourquoi la convention a décrété, si unanimement et si sponta-
nément, la construction du chemin de fer de Québec et d’Ha-
lifax.
Nous terminons, par cet article, notre examen du projet
de la convention de Québec. Heureux si ce travail, qui nous a
coûté bien des veilles, peut être utile à quelque chose dans
le débat important déjà ouvert, dans les deux chambres du
parlement. Dans tous les cas, le lecteur pourra se convaincre
que nous avons tenu à l’engagement contracté, au point de
départ, de rester en dehors des partis pris et de discuter la
question de nos destinées futures sans passion et dans la plus
parfaite indépendance des hommes, à quelque couleur qu’ils
appartiennent
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