Province du Canada, Assemblée Législative, Débats Parlementaires sur la Question de la Confédération des Provinces de l’Amerique Britannique du Nord (2 mars 1865)


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Date: 1865-03-02
Par: Province du Canada (Parlement)
Citation: Province du Canada, Parlement, Débats Parlementaires sur la Question de la Confédération des Provinces de l’Amerique Britannique du Nord, 8e parl, 3e sess, 1865 aux 549-590.
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ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

JEUDI, 2 mars 1865.

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M. Archambeault—M. l’Orateur:—Mon intention en me levant maintenant n’est pas d’entretenir cette hon. chambre pendant longtemps, ni de discuter les mérites de la question qui nous est soumise. Je ne veux qu’expliquer les motifs du vote que je me propose de donner sur cette question, et le faire en aussi peu de mots que possible. Je dois avouer de suite que lorsque je suis arrivé à Québec, au commencement de la session, j’étais opposé au plan de confédération, et que j’y étais tellement opposé que j’en étais venu à la détermination de voter contre. Mais après avoir sérieusement examiné la question, les explications que j’ai entendu donner sur le projet du gouvernement m’ont, sinon convaincu que j’avais tort., du moins que je ne devais pas le repousser uniquement parce qu’il ne rencontrait pas absolument toutes mes opinions. Après avoir entendu la discussion et les explications des membres du gouvernement, j’ai compris que ce projet était un compromis et qu’il ne pouvait par conséquent rencontrer les idées de chacun de nous, pas même celles des messieurs qui l’ont adopté. Je conçois que ceux qui sont opposés à toute confédération et qui préfèreraient la représentation basée sur la population, ou l’annexion du Canada aux Etats-Unis, peuvent s’opposer au projet du gouvernement et le repousser; mans quant à ceux qui, comme moi, n’y sont pas opposés quand même,—et qui en sentent la nécessité dans les circonstances actuelles, et qui comprennent en même temps les avantages qui peuvent en résulter pour le pays,—je crois qu’ils ne doivent pas, qu’ils ne peuvent pas le repousser seulement parce que certains détails ne sont pas parfaitement conformes à toutes leurs idées; car, avant tout, nous devons nous demander si des changements constitutionnels sont nécessaires, et je crois que chacun devra dire que oui. D’ailleurs, les chefs politiques des deux partis qui divisent cette chambre en ont parfaitement reconnu la nécessité. Il ne s’agit donc maintenant que de savoir quels changements il faut faire. Les membres de l’administration actuelle ont résolu cette question en proposant la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord. Ils se sont entendus avec nos sœurs-provinces, et viennent aujourd’hui avec leur plan de confédération. Il ne s’agit pas de savoir si les détails de ce plan s’accordent parfaitement et en tous points avec nos idées particulières, mais si le changement est nécessaire et si le plan reposé est bon et acceptable dans son ensemble; — car le plan étant un compromis entre diverses parties dont les intérêts sont différents, le gouvernement qui le propose doit se tenir responsable de ses détails et de tout ce qu’il contient. Un amendement fait à ce projet serait en réalité un vote de non-confiance dans le gouvernement, et par conséquent il nous faut adopter ce projet tel qu’il est ou voter non-confiance dans l’administration actuelle. Or, je ne suis pas prêt, pour ma part, à voter non-confiance dans les hommes du pouvoir. Pour me décider à le faire, il faudrait que je visse chez ceux qui les opposent plus de garanties qu’ils n’en offrent pour les intérêts du pays; il faudrait que j’en trouverais plus chez eux que chez ceux qu’ils opposent. Jusqu’ici je ne crois pas qu’ils aient offert, ni qu’ils offrent ces garanties. Au contraire, si l’on doit les juger par leurs actes antérieurs, si on doit les juger par leur passé, il faut convenir que nous ne pouvons pas leur accorder notre confiance, et qu’ils ont montré une grande incapacité à gouverner et à administrer les affaires du pays. Lorsqu’ils étaient au pouvoir, ils n’avaient pas de politique arrêtée, ils ne pouvaient résoudre aucune grande question, mais ils vivaient au jour le jour. Leurs actes administratifs étaient marqués au coin de ]. vengeance et de l’injustice envers leurs adversaires; ils faisaient des enquêtes, par […]

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[…] exemple, contre des employés publics afin d’avoir un prétexte pour les destituer et faire place à leurs créatures affamées. Et puis, d’ailleurs, ont-ils aujourd’hui à nous offrir un meilleur plan que celui proposé par le gouvernement? Non! Ils nous offriraient peut-être la représentation basée sur la population ou l’annexion aux Etats-Unis; mais je crois que ce ne sont pas là les remèdes qui nous conviennent. Sous ces circonstances, je n’hésite pas à déclarer que je voterai pour le plan de confédération qui nous est soumis par le gouvernement, bien qu’il ne rencontre pas toutes mes idées et qu’il n’offre pas toutes les garanties que j’aimerais à y trouver, et bien que je ne le croie pas propre, tel qu’il est, à protéger les intérêts des diverses provinces et assurer la stabilité dans le fonctionnement de l’union que l’on propose. Comme ma position ne me permet pas d’agir assez fortement sur l’opinion publique pour forcer le gouvernement à faire à ce plan les modifications que je croirais nécessaires, je me range avec les hommes en qui j’ai toujours en confiance et avec lesquels j’ai toujours marché, parce que je me fie à leur honnêteté et à leur patriotisme. J’aime à croire que sur cette grande question, qui embrasse d’aussi grands intérêts et qui affecte notre avenir national et social, ils ont agi avec le même patriotisme qui les a toujours guidés par le passé. (Applaudissements.)

M. Blanchet—M. l’Orateur:—Puisque personne ne veut parler maintenant— car on dirait que tous les orateurs qui veulent discuter cette question tiennent à avoir un nombreux auditoire dans les galeries—je me permettrai de dire quelques mots. Ceux qui ont proposé de faire imprimer les débats de cette chambre dans une publication officielle, n’ont certainement pas rendu service au pays, car maintenant c’est à qui fera le plus long discours, et je crois que ce n’est pas tout-à-fait juste pour la bourse publique. Chacun ne veut parler qu’à une certaine heure et devant un certain auditoire; mais l’histoire parlementaire de l’Angleterre est là pour montrer que les grands hommes d’état et les grands orateurs anglais n’y regardaient pas de si près. Les plus grands et les plus importants discours ont été prononcés, dans la chambre des communes, à une heure fort avancée de la nuit: ainsi, Fox a prononcé son grand discours sur l’East India Bill à deux heures du matin, et Pitt a prononcé le sien sur l’abolition de l’esclavage à quatre heures du matin. On n’y perdrait pas à parler avant sept heures et demie du soir. Mais puisque l’hon. député de Montmorenci (M. CAUCHON) doit parler à la séance de ce soir, et que je veux aussi exprimer ma façon de penser sur la question, je me lève pour le faire.—Cette question de confédération n’est pas nouvelle; elle a déjà agité le pays et fait le sujet de discussions depuis grand nombre d’années, et l’opinion publique est aujourd’hui parfaitement formée. Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails du projet qui nous est soumis, car ils ont été discutés d’une manière beaucoup plus savante et beaucoup plus complète que je ne pourrais le faire, par les membres du gouvernement et par les hon. membres de l’autre côté de la chambre. Je n’ai pas besoin de dire que le territoire que l’on veut confédérer est presque aussi grand que l’Europe entière; qu’il contiendra près de quatre millions d’âmes, et que, avec la confédération, nous deviendrons la quatrième puissance du monde sous le rapport de la marine marchande. Il suffit de comparer le chiffre de nos importations et de nos exportations actuelles avec celles des Etats-Unis il y a un certain nombre d’années, pour voir que nous sommes dans une aussi belle position sous ce rapport qu’ils l’étaient alors. J’ai à la main un ouvrage récent écrit par M. BIGELOW, aujourd’hui chargé d’affaires du gouvernement américain auprès de celui des Tuileries, qui contient d’excellentes statistiques sur le commerce, l’industrie et les ressources des Etats-Unis, de même que sur la question de la guerre actuelle en ce pays. Dans le chapitre consacré au commerce, voici ce qu’il dit:

« Après la réorganisation du gouvernement constitutionnel en 1798, le commerce eut bientôt atteint de vastes proportions. Le tonnage, qui en 1792 était de 564,437 tonneaux, était monté en 1801 au chiffre de 1,032,219; les importations, évaluées en 1792 à 31,500,000 piastres (157,600,000 francs) étaient de 111,363,511 piastres (556,817,555 francs) en 1801; et les exportations s’étaient élevées, durant la même période, de 20,753,098 piastres (103,765,490 francs), à 94,115,925 piastres (470,579,625 francs). En 1807, le tonnage était de 1,268,548; les importations, de 138,500,000 piastres (692,500,000 francs); et les exportations, de 108,348,150 piastres (541,716,750 francs). A cette époque, le commerce américain reçut un coup dont il fut plusieurs années sans pouvoir se remettre; les ordonnances du parlement anglais, suivies des décrets de NAPOLÉON, datés de Berlin et de Milan, et de l’acte d’embargo de 1807, produisirent dans les affaires commerciales de l’Union une stagnation profonde, et, quoique le tonnage n’éprouvât pas d’altération bien sensible pendant […]

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[…] les 15 années suivantes, les importations tombèrent en 1808 à la somme de 56,990,000 piastres (284,950,000 francs), et les exportations à celle de 22,430,960 piastres (112,154,800 francs). La guerre de 1812 à 1816 fournit de l’emploi à des navires qui autrement eussent pourri dans les bassins, et occasiona la construction de quelques corsaires fins voiliers; mais le commerce du pays continua de décliner au point qu’en 1814 les importations ne représentaient plus qu’une valeur de 12,965,000 piastres (64,825,000 francs), et les exportations 6,927,441 piastres (34,637,205 francs). La cessation de la guerre ranima l’industrie, et en 1815 les importations atteignirent la somme de 113,041,274 piastres (565,206,370 francs), et s’élevèrent à celle de 147,103,000 piastres (735,515,000 francs) en 1816: les exportations de ces deux mêmes années furent de 52,557,753 piastres (262,788,765 francs), et de 81,905,452 piastres (409,602,250 francs). Ce chiffre d’importations excessif, eu égard aux besoins du pays à cette époque, descendit l’année suivante à 99,250,000 piastres (496,250,000, francs); et à partir de cette date jusqu’en 1830, l’année 1818 exceptée, le chiffre moyen des importations ne dépassa pas 78 millions de piastres (390 millions de francs), et les exportations atteignirent à peu près la même valeur. »

Ainsi donc, l’on voit que la moyenne des importations ou des exportations ne dépassait pas $78,000,000 à cette époque. Nous ne sommes que de quelques années en arrière des Etats-Unis sous ce rapport.—Je disais, il y a un instant, que la question de la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord n’était pas nouvelle, et, en effet, l’on voit que l’on s’en est occupé à une époque assez reculée de l’histoire du pays. Dès 1821, le chef du parti radical du Haut-Canada. M. W. L. MACKENZIE, disait qu’il désirait de tous ces vœux la confédération des provinces britanniques. Depuis dix ans, surtout, ce projet a été discuté, et la discussion l’a mis au nombre des faits positifs, comme il sera bientôt au nombre des faits accomplis. (Ecoutez! écoutez!) Il n’y a pas que les membres de ce côté-ci de la chambre qui soient en faveur d’une union fédérale,—les uns sont en faveur d’une confédération de toutes les provinces, et les autres en faveur d’une confédération des deux Canadas seulement,—mais tous veulent une union fédérale quelconque. Lors de la crise de 1858, le gouvernement Brown-Dorion devait régler les difficultés de cette époque, et si j’ai bien compris l’un des membres de ce gouvernement, qui se présentait alors à ses électeurs pour faire ratifier par eux son acceptation d’un portefeuille dans ce ministère, le remède que ce gouvernement proposait était une union fédérale des deux Canada; mais il dit aussi que malgré que la politique du gouvernement, dont il faisait partie, ne fût pas encore parfaitement définie, il pensait qu’il devait s’occuper plus tard de la question de la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord. Cet honorable membre était l’hon. M. LEMIEUX, et le comté de Lévis l’élut unanimement alors, après ces déclarations de sa part.—A peu près dans le même temps, la presse s’est occupée de la question, et M. J. C. Taché, aujourd’hui secrétaire du bureau de l’agriculture, a écrit un ouvrage presque prophétique sur la question de la confédération des provinces de l’Amérique Britannique du Nord. Je n’ai pas besoin de dire que ce monsieur avait acquis beaucoup d’expérience par ses voyages et beaucoup de connaissances par ses études et son travail, et qu’il était par conséquent parfaitement capable de bien juger la question. Je dis donc que M. Taché a écrit un ouvrage assez long, dans lequel il trace à grands traits l’avenir de la confédération des provinces; et je demanderai à la chambre de me permettre de citer quelques lignes de cet ouvrage, et l’on verra que ce qu’il prédit va bientôt se réaliser:

« Quelles espérances ne peut-on pas fonder sur l’avenir matériel de cette immense contrée qui renferme les provinces des deux Canadas, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse, de Terreneuve, de l’Ile du Prince-Edouard, les territoires de la Baie d’Hudson et l’Ile Vancouver; quand on pense aux richesses d’un sol presque partout remarquablement fertile (nous exceptons l’extrême nord), aux ressources qu’offrent à la colonisation les matériaux que les siècles ont thésaurisés dans les forêts, aux immenses pêcheries du golfe, capables par elles-mêmes d’approvisionner le monde entier de poisson des meilleures espèces, quand on remarque que tout ce vaste continent offre, dans ses différentes conformations géologiques, les richesses minérales des dépôts les plus précieux, et que dans son sein la nature a disposé, comme à l’envie, des voies de communication d’une grandeur incroyable. Le sol fertile de ces provinces, que traversent dans toute leur étendue les fleuves St.-Laurent et St.-Jean, ou que baignent les eaux du golfe ou des grands lacs, les superbes forêts que parcourent les immenses rivières Outaouais, St. Maurice et Saguenay, les mines de cuivre des bords des lacs Supérieur et Huron, les mines de fer du Bas-Canada, les mines de charbon de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, les ports de mer de Québec, Halifax et St.-Jean, les dépôts de minerais de tous genres dans toutes ces provinces, tout cela constitue un ensemble de moyens qui, si on les suppose mis en œuvre par une population suffisante, gouvernée par un système politique fondé sur les véritables principes d’ordre et de liberté pour tous, rend […]

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[…] justifiables les calculs les plus vastes, les prédictions les plus extraordinaires, eu égard à l’état actuel des choses. »

C’est ce que disait M. Taché à cette époque. Non content de peindre à grands traits le fonctionnement général de ce grand gouvernement, il est entré, dans une autre partie de son ouvrage, dans des détails qui, chose étonnante, quoique je ne doute pas que les membres de la conférence aient lu son ouvrage,—coïncident avec le plan qui nous est soumis en ce moment. Ainsi, dans la distribution des pouvoirs entre les gouvernements locaux et le gouvernement général, le projet de la conférence est presque mot pour mot le travail de M. Taché.

L’Hon. A.A. Dorion—L’hon. membre se trompe, car M . Taché donne la souveraineté et les plus grands pouvoirs aux gouvernements locaux, tandis que le plan du gouvernement les donne au gouvernement central.

M. Blanchet—Voici ce que dit M. Taché:

« Ces pouvoirs du gouvernement fédéral ne devraient s’exercer dans nos idées que sur les objets suivants, savoir: Le commerce, comprenant les lois purement commerciales, comme des lois sur les banques et autres institutions financières d’un caractère général, les monnaies, poids et mesures; les douanes, comprenant l’établissement d’un tarif uniforme et la collection du revenu qu’il produit; les grands travaux publics et la navigation, comme canaux, chemins de fer, lignes télégraphiques, grands travaux des ports, éclairage des côtes; les postes, dans leur ensemble et leurs détails intérieurs et extérieurs; la milice, dans l’ensemble de son organisation. La justice criminelle, comprenant tous les délits qui ne ressortissent pas aux tribunaux de police et à la magistrature des juges de paix. Tout le reste ayant trait aux lois civiles, à l’éducation, à la charité publique, à l’établissement des terres publiques, à l’agriculture, et la police urbaine et rurale, à la voierie, enfin à tout ce qui a rapport à la vie de famille, si on peut s’exprimer ainsi, de chaque province, resterait sous le contrôle exclusif des gouvernements respectifs de chacune d’elle, comme de droit inhérent, les pouvoirs du gouvernement fédéral n’étant considérés que comme une cession de droits spécialement designés. »

Je considère que par le plan de confédération actuel, les législatures locales sont souveraines à l’égard des pouvoirs qui leur sont attribués, c’est-à-dire à l’égard des affaires locales. Il va même plus loin, sous ce rapport, que l’hon. membre pour Hochelaga ne voulait aller lui-même en 1859, car il voulait laisser au gouvernement fédéral le droit de législater sur les lois civiles françaises, etc., du Bas-Canada,—mais comme ce gouvernement n’a pas vécu bien longtemps, je sais que l’hon. membre pour Hochelaga peut aujourd’hui nier cela.—A peu près vers le même temps, un autre gouvernement adressait au gouvernement impérial un mémoire dans lequel il demandait la confédération des provinces de l’Amérique Britannique du Nord; mais le gouvernement impérial répondit qu’il n’était pas prêt à se prononcer, et, comme il n’y avait pas eu entente entre les provinces, la chose en resta là pour le moment. Rien ne fut fait ensuite sur la question jusqu’à l’année dernière,—jusqu’à la crise que chacun connait parfaitement. Différents gouvernements avaient été renversés, et le pays était déjà fatigué de cet état de choses, lorsque l’hon. député d’Hochelaga proposa sa motion de censure contre le gouvernement, à propos de l’affaire des $100,000, et le gouvernement d’alors se trouvant en minorité, il dut chercher un remède à cet état de choses, et le résultat fut la coalition, la conférence de Québec et enfin le plan de confédération, bien qu’il ne veuille pas reconnaître aujourd’hui son enfant—(écoutez! écoutez!)—ce qui le dispense de reconnaissance. (Ecoutez!) Je ne veux pas traiter la question de la confédération au point de vue commercial, ni au point de vue financier, ni au point de vue politique, car elle a été habilement traitée à ces différents égards par ceux qui m’ont précédé. Je me contenterai d’en dire quelques mots au point de vue de la défense. Tout le monde reconnait que pour bien défendre un pays, il tout qu’il y ait unité d’action, uniformité de plan, et combinaison de moyens de défense. Sans uniformité, sans unité, il est impossible de tenter une défense sérieuse en cas d’attaque, et le pays divisé devient une proie facile pour l’ennemi. Cela est tellement le cas, que l’histoire nous montre que les nations faibles se sont toujours unies entre elles, se sont toujours coalisées, lorsqu’elles étaient attaquées ou qu’elles craignaient d’être attaquées par un ennemi puissant. Les colonies de l’Amérique du Nord l’ont fait en 1775, lorsqu’elles ont voulu résister à la mère-patrie. Elles se sont organisées en confédération, et c’est de cette manière qu’elles ont pu résister à ce qu’elles considéraient comme étant une oppression de la part de l’Angleterre. Si ces colonies, au lieu de s’organiser comme elles l’ont fait, eussent eu chacune un système de défense différent, s’il n’y eût pas eu d’uniformité dans leur tactique, l’Angleterre […]

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[…] aurait en bon marché d’elles. Et croit- on que si elles ne s’étaient pas réunies entre elles de manière à avoir une certaine force, elles auraient obtenu l’alliance et les secours de la France?—Quand une puissance faible est attaquée par un ennemi puissant, elle doit chercher à s’allier à. d’autres états dont les intérêts sont communs avec les siens, afin qu’ils puissent faire une défense commune. Pour nous, si nous voulons aider la mère- patrie a résister avec efficacité aux envahissements du peuple américain, nous devons avoir l’unité du commandement, afin de pouvoir faire partir la milice du centre et la faire rayonner vers la circonférence. (Ecoutez!) Dans un cas de guerre avec nos voisins, il nous faudrait nécessairement, par la force même des choses, nous réunir aux autres provinces. Cela étant, pourquoi ne pas le faire maintenant, en temps de paix, pendant que nous avons le temps d’y apporter le calme et la réflexion nécessaires? La confédération est le seul moyen de résister aux tentatives d’envahissement de nos voisins. Le système fédéral est l’état normal des populations américaines—car il y a bien peu de nations américaines qui n’aient pas un système politique de cette nature;— le système fédéral est un état de transition qui permet aux différentes races qui habitent le même point du globe de se réunir pour arriver à l’unité et à l’homogénéité nationale. L’Espagne, la Belgique, la France, et plusieurs autres pays de l’Europe étaient autrefois peuplés de races différentes qui formaient autant de peuples divers; mais ils se sont réunis, ils se sont confédérés, et la suite des siècles a amalgamé tous ces peuples pour en faire ce qu’on les voit aujourd’hui,—pour en faire tout ce qu’il y a de beau, de noble et de grand dans le monde entier. Quand le système fédéral a été mis en pratique d’une manière éclairée, il a toujours suffi à ceux qui l’avaient adopté. Un membre de cette chambre a cité la Grèce pour faire voir que ce système était fatal aux nations qui l’adoptaient; mais il devait savoir que la décadence de la Grèce n’a commencé que du moment qu’elle a abandonné le système fédéral. L’hon. membre pour Lotbinière a cherché à prouver que les confédérations étaient la source de toutes sortes de désordres, et il nous a lu à l’appui de ce qu’il disait la table des matières de l’histoire des républiques de l’Amérique du Sud, dans laquelle il a trouvé une longue liste d’échautfourées, de mouvements, d’agitations, de soulèvements, de guerres civiles et de révolutions. Je ne veux pas contester les faits cités par cet hon. membre; mais je dois dire que ses conclusions ne sont pas correctes,—et que l’on ne doit pas tirer de conclusions contre un système de gouvernement d’après la simple lecture de la table des matières d’un ouvrage quelconque. L’histoire de tous les peuples nous offre des tables de matières qui, si elles étaient prises comme indiquant l’état normal et habituel d’un peuple, nous feraient commettre de singulières conclusions historiques. L’histoire actuelle de l’Angleterre même, l’histoire du règne de Sa Majesté la reine VICTORIA, pourrait offrir à celui qui voudrait en juger seulement par la table des matières, des faits propres à faire croire à la désorganisation complète de l’empire britannique,— car il y trouverait l’indication de la guerre de la Chine, les diverses insurrections de l’Irlande, la guerre de Russie, la rébellion des Cipayes, et un grand nombre d’autres;— mais tout cela ne prouverait rien contre la prospérité de l’empire sous le règne de Sa Majesté. (Ecoutez!) Mais sans m’arrêter à la réponse que l’on peut faire à ce mode de raisonnement, je dis qu’il ne s’en suit pas que le système fédéral soit impossible, parce qu’il n’a pas réussi chez certains peuples qui n’étaient pas mûrs pour ce système Une même constitution ne convient pas à tous les peuples également; et les constitutions sont faites pour les peuples et non pas les peuples pour les constitutions. Quand un peuple est suffisamment éclairé et suffisamment instruit et civilisé, on peut lui donner une constitution qui assure sa liberté; mais il faut attendre qu’il soit en état de l’apprécier et d’en jouir. Pour un peuple qui n’est pas éclairé, une constitution libre est entre ses mains comme une arme tranchante entre les mains d’un enfant: c’est un instrument dangereux avec lequel il ne peut que se blesser. De plus, certaines formes de gouvernement conviennent mieux que d’autres à certains peuples. Ainsi, essayer de donner la constitution anglaise au peuple français, serait commettre une grande erreur, car le peule français n’est pas fait pour le jeu des institutions politiques de l’Angleterre; de même essayez de donner au peuple anglais la constitution française, et le peuple anglais se révoltera. Avant de donner une constitution i un peuple, il faut lui enseigner les moyens de s’en servir. On ne peut pas dire qu une table des matières n’est pas de l’histoire, […]

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[…] mais ce n’est certainement pas la qu’il faut chercher la philosophie de l’histoire. Supposons que quelqu’un veuille lire l’histoire de l’Empire Céleste, et que, prenant un livre, il trouve dans la table des matières qu’à une certaine époque il y a eu une terrible bataille entre les bons et les mauvais anges, il se dira, d’après le raisonnement du député de Lotbinière: voici un pays qui ne doit pas avoir un bon gouvernement, et il ne fait pas ben d’y vivre. Quand l’on tire des conclusions historiques d’une table des matières, c’est que l’on ne tire pas beaucoup de fruit de ses études. (Ecoutez !) Ceux qui opposent aujourd’hui la confédération ne s’entendent pas entre eux sur leurs moyens d’attaque. pas plus que sur les remèdes à apporter aux difficultés dans lesquelles nous nous trouvons placés. L’hon. député d’Hochelaga (M. Dorion) est en faveur de la confédération des deux Canadas, et l’hon. député de Lotbinière (M. Joly) est contre toute confédération. Ils ne s’entendent pas même sur les raisons de leur opposition; les uns sont opposés au plan de confédération parce qu’il donne trop au Bas-Canada, les autres parce qu’il accorde trop au Haut-Canada. Cependant la confédération ne peut être mauvaise pour tout le monde, et, pour ma part, je pense que chacun peut y trouver quelque chose de bon, pourvu que l’on soit raisonnable. Si l’hon. député d’Hochelaga était appelé à régler les difficultés dans lesquelles le pays se trouve aujourd’hui placé, je suis convaincu qu’il n’offrirait pas d’autre moyen qu’un plan de confédération quelconque; et s’il ne réussissait pas avec un plan de confédération des deux Canadas, il essaierait le plan plus vaste de la grande confédération de toutes les provinces. Il y a bien, il est vrai, un autre remède qui conviendrait sans doute mieux à certains membres,—l’annexion aux États-Unis; mais, pour ma part, j’y suis absolument opposé, et je suis prêt à la combattre par tous les moyens, et à prendre les armes s’il le faut pour y résister. Si jamais nous sommes attaqués par les États-Unis, je serai toujours prêt a prendre les armes pour repousser l’invasion du pays. (Ecoutez! écoutez!) Un grand cri que l’on fait retentir contre la confédération, est celui de la taxe directe. On dit qu’elle devra nécessairement amener la taxe directe. Pour ma part, je pense que l’hon. ministre des finances (M. (Galt) a prouvé d’une manière évidente que nous n’aurions pas besoin d’y avoir recours. Mais même en supposant que cela serait, nous n’en serions pas plus mal qu’avec les messieurs de l’autre côté au pouvoir, car l’on sait parfaitement que le système de l’hon. député de Châteauguay est d’établir la taxe directe: nous n’aurions donc pas besoin, avec eux, d’attendre la confédération pour l’avoir. (Ecoutez! écoutez!) Les hon. députés de l’autre côté de la chambre ont aussi trouvé à redire de ce que le discours du trône mentionnait la paix et la prospérité générale du pays. « Voyez donc, disent- ils, le discours du trône dit que le commerce est prospère, que le peuple est heureux et satisfait, que les récoltes sont magnifiques, et qu’il existe une grande prospérité et un grand contentement partout; et, cependant, on propose des changements constitutionnels afin de calmer le mécontement du peuple et l’agitation du pays. » Eh bien! supposons que ces messieurs aient raison,—car il est vrai que l’année n’a pas été très bonne au point de vue des affaires, et cela est tout naturel dans l’état de crise où se trouve aujourd’hui l’Amérique, et l’on ne peut guère s’attendre à autre chose,—néanmoins, il n’en est pas moins vrai que nous sommes dans un temps de calme et de grande prospérité relative, et c’est justement à présent, pendant que nous sommes tranquilles et que nous pouvons le faire en toute liberté, que nous devons adopter les moyens de régler nos difficultés intérieures. Ce n’est pas dans un temps de trouble ou de guerre civile que nous pourrons le faire, et nous devons par conséquent profiter de l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui. Une constitution ne peut pas durer si elle n’est élaborée avec le soin, le calme et la délibération que l’on ne peut y apporter qu’en temps de paix. Aujourd’hui, nous sommes en paix avec nos voisins, nos amis ont une grande majorité, la question est connue du pays et étudiée depuis plusieurs mois, et notre devoir est de faire maintenant ce que nous ne pourrions pas faire en temps de trouble. Nous devons aussi travailler a éclairer l’opinion publique au sujet de ce plan de confédération, non pas par des appels à ses préjugés, mais par la discussion franche et honnête et par des conseils sages et basés sur la vérité, qui doit toujours nous guider. Je suis donc disposé à voter en faveur des résolutions qui nous sont soumises.—Quand j’ai vu que le gouvernement soumettait ce plan de confédération, je me suis dit que nous sortions des langes coloniaux et que nous allions devenir un peuple,—et je m’ attendais […]

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[…] que la chambre se mettrait à la hauteur de la question. Quelques-uns des hon. membres l’ont fait, sans doute; mais je regrette que beaucoup d’autres n’aient pas su se placer au-dessus des mesquines considérations de parti. La question a été traitée par des hommes d’Etat, au moins de ce côté-ci de la chambre; mais de l’autre côté, en en a fait une misérable question de parti et de taxes.—Avec ces quelques remarques, je termine en disant que je suis résolu à voter en faveur du projet qui nous est soumis. (Applaudissements.)

M. Beaubien—M. le PRÉSIDENT:— Je ne me lève pas pour faire un long discours, car j’avoue volontiers que j’en suis incapable; et, d’ailleurs, la question qui nous est soumise a été si bien discutée par ceux qui m’ont précédé, et qui sont plus en état que moi de juger de. la position et des besoins du pays, que le sujet est presque épuisé. Je ne veux seulement, en me levant en cette occasion, que faire acte de présence aux débats qui ont lieu sur cette question, et dire en peu de mots quelles raisons m’engagent à appuyer cette mesure. La position particulière des colonies de l’Amérique Britannique du Nord, leur voisinage des Etats-Unis, les invitent à s’unir entre elles afin de former une nation plus forte et capable de résister au choc d’un ennemi, si l’occasion s’en présentait, et d’accroître leur prospérité au point de vue matériel. Un fait dont il faut tenir compte et que je dois mentionner, c’est que lorsque la France a abandonné ce pays, la puissance anglaise s’en est emparé, et de ce moment l’immigration française a complètement cessé pour faire place à l’immigration d’une population d’origine étrangère,—d’origine britannique. Depuis cette époque, la population anglaise a augmenté de jour en jour en ce pays, et aujourd’hui les Canadiens- Français se trouvent en minorité dans le Canada-Uni. Sous ces circonstances, je crois qu’il serait imprudent en même temps que peu généreux de notre part de vouloir empêcher la majorité de la population du pays d’avoir des aspirations plus grandes pour la patrie commune, et désirer l’avancement du pays et sa marche plus rapide dans la voie du progrès, tout en cimentant les liens qui nous unissent à la mère-patrie. J’ai réfléchi sur ces choses, et quoique je ne sois pas disposé à accepter une injustice pour mon pays ou mes nationaux, je suis prêt à faire des compromis avec les autres races. Je considère de plus que puisque nous sommes satisfaits de notre position de sujets anglais et de la constitution dont nous avons le libre exercice, nous devons faire tout en notre pouvoir pour augmenter l’intérêt de l’Angleterre pour ses colonies; et, pour ma part, je crois que le moyen d’y parvenir est d’accepter la confédération que l’on nous propose. Il n’y a pas longtemps encore, un certain mécontentement s’est manifesté en Angleterre parmi une partie de la classe marchande, à cause de la liberté que nous avions prise d’imposer des droits élevés sur l’importation des marchandises anglaises; mais je suis heureux de dire que le gouvernement anglais n’a pas partagé ce mécontentement et n’a pas voulu intervenir. Cependant, ce fait était de nature à refroidir l’intérêt que l’on nous portait en Angleterre; mais quand on y a entendu parler de la confédération, cet intérêt s’est réveillé et n’a fait que s’accroître depuis. Si nous voulons intéresser l’Angleterre à notre sort, il faut resserrer les liens qui nous unissent à elle, et il faut le faire au moyen de la confédération qui nous est proposée, parce que nous sommes sûrs qu’alors elle emploierait toutes ses forces à nous défendre si nous étions attaqués. D’ailleurs, si nous considérons les événements récents qui se sont passés dans le Sud de l’Amérique, si l’on réfléchit que la politique de la France et de l’Angleterre paraît être l’établissement d’un système d’équilibre de pouvoirs comme celui qui existe en Europe, si l’on considère que c’est dans ce but que la France a établi un empire au Mexique,—il est évident que l’Angleterre ne peut voir qu’avec faveur le mouvement qui se fait ici pour la confédération de toutes ses provinces de l’Amérique du Nord. Ce n’est donc pas dans un moment comme celui-ci que l’Angleterre serait disposée à abandonner ses colonies, comme quelques-uns le prétendent. Je disais, il y a un instant, que nous ne devons pas résister aux justes aspirations de la population anglaise de ce pays, pourvu qu’elle ne demandent rien d’injuste pour les Canadiens-Français Si nous commettions une injustice à son égard, elle se plaindrait et proposerait un plan de constitution qui serait une cause d’humiliation pour les Canadiens-Français, et elle n’aurait plus d’égards ni de considérations pour nous. Ce n’est pas là un fait que je constate dans le but de décourager mes compatriotes, mais parce que je crois qu’ils doivent en tenir compte dans la position où nous nous trouvons actuellement. Aujourd’hui, notre position […]

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[…] est excellente, nous sommes forts comme parti, nous avons des hommes à la tête du pays qui sont dévoués à ses intérêts,—ils en ont donné la preuve,—ils sont unis d’intérêt et d’amitié, et surtout nous avons toujours en confiance en ceux qui ont préparé le projet de constitution qui nous est soumis. Il n’est donc pas possible d’avoir une occasion plus favorable pour opérer des changements constitutionnels que l’époque où nous nous trouvons Ces hommes, que l’on peut considérer comme des diplomates habiles vis-à-vis des autres provinces, veilleront, nous avons tout lieu de l’espérer, aux intérêts du Bas-Canada, et leur opinion, basée sur la justice, prévaudra dans les conseils chargés de rédiger notre nouvelle constitution. D’ailleurs, ce que je viens de dire est parfaitement compris par toutes les influences du pays, par tous les hommes qui forment l’opinion publique et qui guident le peuple, et qui ont jusqu’ici réussi à le conduire dans la bonne voie et à le faire arriver à bon port. Aujourd’hui, ces hommes, ces influences sont en faveur du plan actuel et en sentent la nécessité. Mais, d’un autre côté, quelles sont les influences qui opposent le plan de confédération dans le Bas-Canada? C’est un parti qui existe depuis une quinzaine d’années dans le Bas-Canada, et qui s’est toujours fait remarquer par son opposition à toutes les mesures demandées et appuyées par le parti qui représente ici la grande majorité du Bas-Canada. Cette persistance à s’opposer aux mesures du parti Bas-Canadien tenait réellement du révolutionnaire,—car c’est le propre du révolutionnaire de ne pas vouloir se soumettre à l’opinion de la majorité; c’est un parti qui, dans d’autres pays, forme les sociétés secrètes qui bouleversent la société, —et l’on sait que partout, en Europe comme en Amérique, ces sociétés secrètes sont composées d’hommes qui s’opposent toujours à tout ce qui peut assurer le bonheur et la paix du peuple.—N’est-il pas vrai que vers 1856 ou 57, il a été offert une place dans le gouvernement, par l’hon. procureur-général actuel, aux chefs de ce parti, et qu’à plusieurs reprises la porte leur a été ouverte parce que l’on croyait qu’ils étaient de bonne foi? Et, cependant, n’ont-ils pas toujours refusé l’alliance qu’on leur offrait? Et n’ont ils pas même refusé de donner un appui cordial à l’administration Macdonald-Sicotte, qui était composée d’hommes mi- démocrates et mi-conservateurs,—et ce, parce que cette administration n’était pas composée exclusivement de l’élément démocratique?

L’Hon. A.A. Dorion—Qui a voté contre cette administration et qui l’a renversée?

M. Beaubien—Il est vrai que le vote direct qui l’a fait tomber a été donné par nous, parce qu’il y avait dans cette administration une trop grande quantité de l’élément dont j’ai parlé, et pour d’autres causes; mais c’est ce parti-là qui a trahi et donné le coup de pied à ceux qui l’avaient fait réussir dans les élections. (Ecoutez! écoutez!) Cela n’est il pas vrai? Eh bien! cette persistance à toujours faire de l’opposition à tout, fait voir que les membres de ce parti étaient mus par des passions que l’on ne rencontre pas chez la généralité des hommes.—Le parti conservateur s’est toujours opposé à la représentation basée sur la population sous l’union actuelle, parce que sous cette union nous nous trouvons en face d’une population habitant un pays dont les produits sont différents des nôtres, et dont les intérêts ne sont pas les mêmes que les nôtres. Aussi, les a-t-on vu agiter cette question avec passion. Et l’on a vu aussi tout le Bas-Canada résister à cette demande et tout le parti conservateur bien déterminé à ne pas l’accorder, tandis que l’autre parti,—le parti de l’opposition,— donnait des espérances à ceux qui réclamaient cette mesure et s’alliaient avec eux. C’est là un fait que l’on ne peut pas nier, car il existe des documents qui ont été mis devant la chambre et devant le pays, et qui établissent parfaitement ce fait. Cette cause de dissension a toujours existé et existera toujours dans le Haut-Canada, non pas parce qu’il faut faire subsister tel ou tel parti, mais parce que la constitution le veut ainsi, et parce que les intérêts du Haut-Canada ne sont pas les mêmes que les nôtres. Et si nous ne réglons pas cette question maintenant, ces dissensions se renouvelleront bientôt et augmenteront les difficultés Voici une bonne occasion qui s’offre à nous de les faire disparaître en nous unissant avec les provinces inférieures, et je crois que le Bas-Canada ne doit pas la refuser. Avec la confédération, les partis politiques qui diviseront les provinces auront besoin d’alliances, et notre alliance sera recherchée par tous, en sorte que nous tiendrons en réalité la balance du pouvoir. D’ailleurs, je dois dire que je crois que nous n’avons rien à craindre de ce côté jusqu’à présent, j’ai remarqué que les intérêts matériels étaient pour beaucoup dans la formation des partis, et que la […]

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[…] conduite des Canadiens-Français à l’égard de leurs institutions religieuses n’ont jamais effarouché les habitants de ce pays ayant une autre origine que la nôtre, lorsqu’ils trouvaient de leur intérêt à s’allier avec nous; et je suis convaincu que nous rencontrerons, dans les mêmes circonstances, les mêmes dispositions chez les habitants des provinces d’en-bas. Le plan qui nous est proposé étant basé sur la justice et l’équité envers tout le monde, il doit être accepté et appuyé par tous les partis. Il offre un remède aux maux dont se plaint le Haut-Canada, tout en donnant des garanties pour la sauvegarde des intérêts des autres provinces; et puis- qu’il est fondé sur des bases justes, vous verrez surtout chez un peuple comme celui qui habite ce pays, qui est bien disposé et qui possède des propriétés et a beaucoup d’intérêts à ménager, vous verrez, dis-je, que le sentiment du juste prévaudra et que chacun cherchera a faire fonctionner la nouvelle constitution au grand contentement de tout le monde. Malgré ce qu’on a dit l’hon. député de Lotbinière, dans un discours qui a paru tant l’amuser lui-même, la raison et le bon sens du peuple du Bas-Canada lui feront comprendre qu’il trouvera des garanties, dans le projet qui nous est soumis, pour tous ses intérêts et tout ce qu’il a de plus cher, et qu’il répondra à tous ses besoins; et, d’un autre côté, la raison et le bon sens des populations des autres provinces les empêcheront de se porter à des excès et à des actes d’injustice contre le Bas-Canada s’il se trouvait dans la minorité et qu`il ne ferait pas l`alliance dont je viens de parler. D`ailleurs, minorité pour  minorité, j`aime mieux plus me trouver en présence d`une majorité plus grande, mais moins hostile au Bas-Canada. Aujourd’hui, sous l’union actuelle, nous nous trouverions à la merci de la majorité du Haut-Canada, si elle voulait commettre des injustices à notre égard; mais, avec la confédération, je crois que nous aurons d’autres garanties que celles que nous possédons aujourd’hui contre toute tentative d’injustice contre nous de la part du gouvernement fédéral, car la politique de Angleterre est de donner à ses colonies autant de contentement que possible. L’hon. député de Richelieu (M. Perrault) nous a déjà parlé des évènements survenus avant 1837, en nous disant que nous avions tout à craindre de la part de la race anglaise. L’hon. membre n’aurait pas dû aller si loin en arrière; mais il aurait dû se rappeler que la politique que les circonstances ont imposée à l’Angleterre n’est pas la même du tout aujourd’hui qu’elle était alors. Croit-on que l’Angleterre favoriserait aujourd’hui des entreprises injustes de la part de la population anglaise contre le Bas-Canada? L`on dira que la nationalité canadienne-française est trop vivace en ce pays pour qu’on puisse l’anéantir; mais, pour la sauver, il nous faut accepter le plan de confédération actuel, car il protége et garantit tous les intérêts religieux du Bas-Canada, ses institutions d’éducation, ses terres publiques, en un met tout ce qui forme la nationalité d’un peuple. Avec l’administration de nos terres publiques, nous pourrons attirer l’immigration, retenir notre population dans le pays, et prospérer autant que les autres provinces, —et cela nous est assuré par le plan de confédération. Tout homme impartial dira que l’on a pris un grand soin, en rédigeant ce projet de constitution, pour ménager tous nos intérêts. ll est permis de croire qu’il offre quelques inconvénients; mais personne ne peut nier que c’est le système le plus parfait et le plus propre à nous rassurer, qu’il était possible de nous offrir. Tous ceux qui ont parlé du côté de l’opposition disent que les dépenses seront extraordinaires, et que les revenus ne suffiront pas pour soutenir les gouvernements de la confédération. Mais ils font leurs calculs en prenant les revenus tels qu’ils sont aujourd’hui, et ils ne réfléchissent pas que la dette actuelle de la province a été contractée pour faire les grands travaux publics que nous possédons, et que ces travaux n’ont pas encore produit de revenus, mais qu’ils en produiront plus tard. Ces travaux publics étaient essentiellement nécessaires pour l’exploitation de nos ressources, et si aujourd’hui l’hon. ministre des finances est en état de nous présenter un budget qui offre un surplus de revenus sur nos dépenses. nous pouvons espérer que dans quelques années les revenus seront plus que suffisants pour faire face à toutes les dépenses des différents gouvernements et qu’ils nous permettront même d’éteindre notre dette. Pour ma part, je ne pense pas que la dépense soit plus considérable sous la confédération qu’elle ne l’est actuellement. Si le gouvernement fédéral fonctionne bien, nos dépenses seront moins grandes qu’à présent, car nous verrons disparaitre les factions, les jalousies de section et le système des équivalents, qui ont fait tant de mal à ce pays et qui ont tant gêné la marche du gouvernement par le passé. Il […]

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[…] est ridicule de croire que le gouvernement des Canadas pouvait continuer à se maintenir et à fonctionner avec une majorité de deux ou trois voix dans cette chambre, comme nous l’avons vu depuis plusieurs années; car un gouvernement placé dans ces circonstances est à la merci de tout membre qui a un intérêt de localité à servir ou une faveur particulière à obtenir, et il se trouve forcé d’accorder des avantages qu’il refuserait s’il était plus fort. C’est là ce qui a occasionné les dépenses inutiles; et presque tous les gouvernements ont été dans cette position. (Ecoutez! écoutez!) Mais, avec la confédération, nous avons lieu de croire que le gouvernement fédéral sera généralement appuyé par une grande majorité, et par conséquent il ne sera pas obligé de se plier à toutes les demandes de quelques membres. Dans les gouvernements locaux, les moyens que ces gouvernements auront à leur disposition étant limités, ils pratiqueront une économie qui servira d’exemple au gouvernement fédéral lui-même. Le Bas-Canada, laissé à lui-même, sera très-prospère dans quelques années,—et peut-être le Haut-Canada aussi, —s’il sait modérer ses dépenses; et je suis convaincu que son gouvernement local sera un modèle pour le gouvernement fédéral, car les hommes formés a l’école du gouvernement local, et qui seront habitués à pratiquer l’économie, exerceront une influence salutaire sur les membres de la législature fédérale, auxquels ils communiqueront et imposeront leurs idées d’économie et de bon gouvernement. (Ecoutez! écoutez!) Il est bon que les moyens des gouvernements locaux soient limités, tout en étant suffisants, car alors ils sauront qu’ils ne pourront pas faire de grandes dépenses; et, avec cette idée, ils adopteront un système économique parfait. (Ecoutez! écoutez!) Avant de terminer, je dois rendre justice à la population anglaise du Bas-Canada. Nous avons toujours marché ensemble comme de bons amis, chacun reconnaissant vis-à-vis de l’autre les droits qu’il pouvait réclamer, et chaque race s’étant toujours fait un devoir de se rendre aux justes demandes de l’autre. Ces bons procédés, je l’espère, se continueront sous la confédération, et maintiendront notre alliance politique. Pour ma part, je serais fâché de voir échouer le plan de confédération actuel, au moins par notre fait, parce que cela mécontenterait justement la population anglaise de ce pays, qui la désire et à qui nous ne devons pas la refuser. L’on sait que la race anglaise a toujours profité de toutes les occasions qui se sont offertes d’accroître la prospérité du pays, et, il est de notre devoir de la respecter et de ne pas lui refuser ses justes demandes. (Ecoutez! écoutez!) Avec ces quelques remarques, M. le PRÉSIDENT, je terminerai en disant que je supporterai le plan de confédération actuel, non pas parce que je me fie entièrement à mes lumières et à mon propre jugement, mais parce que je vois à la tête du mouvement les hommes les plus influents, et que ceux qui représentent la propriété dans le pays sont favorables à ce projet. (Ecoutez! écoutez!) Et je suis convaincu, malgré ce qu’on en dit, que le pays connaît suffisamment ce projet, et qu’il en sait maintenant autant qu’il en saura jamais Dans chaque paroisse, on sait qu’il existe des hommes qui forment l’opinion publique, et nous savons que ces hommes sont en faveur de ce plan,—nous avons ces influences avec nous, et, pour ma part, je ne m’occupe guère de l’opinion exprimée par certaines assemblées publiques qui ont été faites contre la confédération, ni des requêtes que l’on a présenté contre le projet—car il est toujours facile d’obtenir des signatures aux requêtes,—et, de plus, que l’on compare les noms apposés à ces requêtes avec les livres de poll tenus dans les élections, et l’on verra que ce sont ceux des hommes qui ont toujours été opposés à tout ce qui a été proposé par le grand parti national qui a toujours représenté les intérêts du Bas-Canada. (Applaudissements.)

M. Dufresne—(de Montcalm)—M. l’Orateur:—Je ne me lève pas pour parler sur la question qui est devant la chambre, mais seulement pour exprimer la surprise que j’éprouve de voir qu’après six semaines de discussion, l’opposition prétende que nous ne voulons pas lui donner le temps de discuter, et que cependant elle se refuse à le faire durant les séances de l’après-midi, et qu’elle ne veuille discuter que le soir. Pour ma part, je suis prêt à voter immédiatement sur la question, et je crois qu’elle est parfaitement connue et bien comprise de tous les membres. Pourquoi les membres de l’opposition ne veulent-ils pas parler durant les séances de l’après-midi? Ils parlent pour tuer le temps plutôt que de discuter sur le mérite de la question. Pourquoi? Est-ce parce qu’ils attendent quelques pétitions et quelques noms de plus pour protester contre la confédération? Mais on sait ce que valent ces pétitions;—on sait ce que sont les rouges, […]

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[…] et l’on sait qu’ils signeront des pétitions partout et toujours, pourvu que ce soit contre  le gouvernement ou sa politique. L’opposition est aujourd’hui comme ces enfants à qui l’on refuse un jouet et qui pleurent pour l’avoir, mais qui ensuite le refusent à leur tour si on veut le leur donner. La confédération est en réalité le plan de ces messieurs, et cependant aujourd’hui ils n’en veulent pas,— ils la repoussent comme quelque chose d’abominable. Le pays a les yeux sur eux, et je tiens l’opposition responsable de la perte de temps que nous subissons aujourd’hui. Si elle a quelque chose à dire, qu’elle le dise, mais votons! La conduite qu’elle tient en ce moment sera appréciée par le pays comme elle le mérite. (Ecoutez! écoutez!)

A la reprise de la séance—

L’Hon. M. Cauchon—M. le PRÉSIDENT: —Quand tant de voix éloquentes ont parlé sur la grande question qui nous occupe si sérieusement, qui domine la situation, qui préoccupe tous les esprits et qui remue jusque dans son sol toute l’Amérique Britannique du Nord, qui encercle, dans son cadre immense, deux océans et presque la moitié d’un continent, et qui porte dans ses flancs les destinées d’un grand peuple et d’un grand pays; quand l’ensemble des motifs qui peuvent être donnés pour et contre le projet ont été si lumineusement produits; quand moi-même j’ai ailleurs si longuement et si complètement développé, avec les faibles moyens que la Providence m’a donnés, les considérations qui militent pour ou contre l’ensemble et les détails de l’œuvre de la convention de Québec, j’aurais dû peut-être rester simple spectateur de ces solennels débats, en attendant l’heure où il m’aurait été permis de mettre d’accord mon vote avec mes convictions. Mais j’ai cru que, comme l’un des plus anciens représentants du peuple, après avoir parlé ailleurs, je devais encore parler dans l’enceinte législative, pour accomplir à la lettre mon mandat, et pour obéir à cette voix qui a droit de me commander. Je viens donc, ce soir, apporter mon faible tribut de réflexions dans l’épreuve décisive qui s’accomplit.

J’aurais voulu, pour ma part, moins de questions personnelles, moins d’incriminations et de récriminations, moins d’allusions au passé; j’aurais voulu, en un mot, que le débat se fût élevé, de prime abord, à la hauteur même de la question, pour nous permettre de la juger dans son mérite propre, sans prendre garde aux noms et aux antécédents des hommes qui la défendraient ou la combattraient; j’aurais voulu que la conscience des hommes politiques se fût mise au diapason de la conscience publique, et que, dans des circonstances si graves, on eût oublié qu’on était homme de parti, pour ne plus se souvenir que de son caractère national.

Mais quelques-uns des orateurs n’ont pas apprécié ainsi les choses; ils n’ont pas cru que la situation était importante au point d’exiger le développement des grandes vertus et des grands sacrifices. L’un s’est amusé à faire des jeux de mots d’une valeur douteuse sur la couleur de deux brochures, et l’autre a consacré plus d’un tiers de son discours à mettre d’accord sa position actuelle avec ses antécédents, et les deux autres tiers presqu’entiers à mettre ses adversaires en contradiction avec eux-mêmes, sans plus s’occuper de la question en débat, imitant le héros troyen chanté par VIRGILE dont ROUSSEAU nous dit:—

« Pouvait-elle mieux attèndre

De ce pieux voyageur,

Qui, fuyant sa ville en cendre,

Et le fer du Grec vengeur,

Quitta les murs de Pergame,

Tenant son fils par la main,

Sans prendre garde à sa femme,

Qui se perdit en chemin? »

(Rires et écoutez!)

Pour ma part, je dédaigne de défendre ici mes opinions passées comme mes opinions actuelles sur la confédération. J’écrivais avec conviction en 1858, comme j’ai écrit avec conviction en 1865. Mes deux livres sont là qui provoquent la discussion et qui offrent le gant à ceux qui voudront le ramasser. Il y a tantôt un tiers de siècle que j’écris, et quand je n’aurais, pour me recommander à l’attention des publicistes que le simple titre du plus ancien journaliste du pays, il me semble qu’on aurait dû, si on l’avait pu, ne pas me laisser passer sans me demander raison de mes opinions et de mes doctrines actuelles. Comment se fait-il donc que, du milieu de cette presse démocratique et oppositionniste, pas une voix ne s’est fait entendre contre le long commentaire du Journal sur le projet de la convention de Québec? (Ecoutez!)

Est-ce impuissance? Est-ce que le talent manque dans cette phalange qui se croit spécialement née pour éclairer et pour gouverner le pays?

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Quand je n’aurais pas écrit sous la forte pression du devoir, je resterais encore assez fort des hautes paroles d’approbation désintéressée, qui ont accueilli mon faible travail, pour pouvoir supporter sans inconvénient les picotements et les piqûres d’épingle de l’hon. député de Lotbinière, et, tout indigne qu’elle soit, je n’aurai pas honte de placer mon œuvre en regard, je ne dirai pas du hors- d’œuvre, mais du discours de l’hon. député qui, qu’il me permette de le dire, aurait dû choisir un autre sentier pour arriver à la position d’homme d’Etat à laquelle il paraît aspirer. (Ecoutez!)

Il est regrettable aussi que l’hon. député d’Hochelaga se soit presque constamment tenu, pendant trois heures et demie, dans les bas-fonds des récriminations personnelles. Etait-il incapable de s’élever plus haut, ou est-ce le niveau naturel de son talent et de ses habitudes?

Il me semble que l’occasion appelait des débats plus sérieux, des vues plus larges, des appréciations plus sages et plus profondément pensées, un sentiment plus vrai de la situation, plus de vérité dans les faits, plus d’exactitude, plus de suite et plus de logique dans les raisonnements. (Ecoutez!)

Mais, au lieu de cela, ce sont des idées qui se heurtent, des assertions qui s’entrechoquent, des dates qui se jettent réciproquement le démenti et une histoire tristement faite et tristement racontée.

Il m’a porté un défi: il faut bien que je l’accepte avant d’entrer dans l’examen de la question qui nous est soumise.

Voici ce qu’il disait, l’autre jour:

« Ce discours a été torturé et tourné en tous sens. Je l’ai vu citer pour prouver que j’étais en faveur de la représentation basée sur la population pure et simple; je l’ai vu citer pour prouver que j’étais en faveur de la confédération des provinces, et pour prouver beaucoup d’autres choses, suivant les besoins de l’occasion en de ceux qui le citaient. [Ecoutez! et rires.] La première fois que la question a été mise à une épreuve pratique, ça été en l858. Lors de la résignation du gouvernement Macdonald-Cartier, le gouvernement Brown-Dorion fut formé, et il fut convenu entre ses membres que la question constitutionnelle devait être abordée et réglée, soit au moyen d’une confédération des deux Canada, soit par la représentation basée sur la population avec des contrepoids et garanties qui assureraient la foi religieuse, les lois, la langue et les institutions particulières de chaque section du pays contre tout empiètement de la part de l’autre. De prétendus extraits de ce document comme de mon discours ont été donnés et falsifiés, dans la presse et ailleurs, pour prouver toute espèce de choses comme étant mes vues; mais je puis démontrer clairement que la proposition qu’il contient était exactement la même que celle qui avait été faite en 1858, savoir: la confédération des deux provinces, avec une autorité collective pour la régie des affaires générales de toutes deux.

« Mes discours ont été paradés dernièrement dans tous les journaux ministériels,—ils ont été tronqués, mal traduits et même falsifiés,—afin de faire croire au public qu’autrefois j’avais des opinions différentes de celles que j’ai maintenant. Un journal français a dit que  » j’appelais de tous mes vœux la confédération des provinces. » Mais je dis ici, comme je l’ai dit en 1856, et comme je l’ai dit en 1861, que j’ai toujours été et que je suis encore opposé à la confédération. Je vois dans le Mirror of Parliament, qui contient un rapport de mon discours,—bien que ce rapport soit très- mauvais,—que j’ai dit en 1861:— » il peut venir un temps où il sera nécessaire d’avoir une confédération de toutes les provinces . . . . . . mais le temps n’est pas encore arrivé pour un pareil projet. » C’est là le discours que l’on a représenté comme signifiant que j’appelais la confédération de tous mes vœux, que rien ne me ferait plus plaisir. Eh quoi! j’ai dit explicitement que bien qu’il pourrait arriver un temps où la confédération pourrait être nécessaire, elle n’était pas désirable dans les circonstances actuelles! »

Il admet déjà deux des choses dont il a été accusé: la représentation basée sur la population avec les contrôles—checks,—les garanties et les assurances; et la confédération des deux Canadas.

Nous allons voir maintenant si, en étendant le champ de mes investigations, je ne trouverai pas que l’hon. député d’Hochelaga, pour me servir d’une expression heureuse de l’hon. député de Lotbinière, a  » élargi, quelquefois, le cercle de ses opérations constitutionnelles. »

Voici ce qu’il disait le 6 juillet 1858; cet extrait est emprunté au Globe dont il n’a pas, à cette époque du moins, contesté la véracité:—

« L’hon. député de Brockville, le maître-général des postes, et d’autres députés représentant des comtés bas-canadiens dans le présent parlement, ont déjà voté pour la représentation basée sur la population. Avant longtemps il deviendra impossible de résister à la demande du Haut-Canada à cet égard. Si la représentation basée sur la population ne lui est pas accordée maintenant, il l’obtiendra infailliblement plus tard, mais alors sans aucunes garanties pour la protection des Canadiens-Français. Le rappel de l’union, l’union fédérale, la représentation basée sur la population, ou quelque autre grand changement doit, de toute nécessité, avoir lieu, et, pour ma part, je suis disposé à examiner la question de la représentation basée sur la population pour voir si elle ne pourrait pas être concédée avec des garanties pour la protection de la religion, de la langue et des lois des Bas-Canadiens. Je suis prêt, pareillement, à prendre en considération le projet d’une confédération des provinces, lequel laisserait à chaque […]

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[…] section l’administration de ses affaires locales, comme, par exemple, le pouvoir de décréter ses prepres lois civiles, municipales et d’éducation, et au gouvernement général, l’administration des travaux publics, des terres publiques, du département des postes et du commerce. »

Je cite le Mirror, du 3 mai 1860, dont l’orthodoxie et la véracité sont niées par l’hon. député d’Hochelaga et ses organes:—

« J’espère, cependant, que le jour viendra où il sera désirable pour le Canada de s’unir fédérativement avec les provinces inférieures; mais le temps n’est pas mûr pour un pareil projet. Et alors mème que le Canada y serait favorable, les Provinces maritimes n’aimeraient pas à y entrer à cause de notre grande dette.

« Quant à l’autorité conjointe (joint authority), elle devrait. suivant moi, avoir le moins de pouvoir possible. Mais ceux qui sont en faveur de l’union fédérale des provinces doivent voir que cette féderation proposée du Haut et du Bas-Canada, est le meilleur moyen de créer un noyau autour duquel pourrait venir plus tard se former la grande fédération de toutes les provinces. »

On trouve de tout dans ce discours de l’hon. député. C’est un véritable magasin de bric-à-brac. Aux uns il offre de la dentelle, aux autres de la coutellerie. (On rit.)

L’Hon. Proc-Gén Cartier— C’est un pot-pourri. (Rires prolongés.)

L’Hon. M. Cauchon—Mon bon ami le procureur-général l’appelle un pot-pourri. Mais, je crois que mon mot de bric-à-brac est plus juste et plus caractéristique.

Un Député— On y trouve de la musique. (Rires.)

L’Hon. M. Cauchon — Oui, car sur ces tablettes, chargées de toute espèce de marchandises, l’on trouve jusqu’à de la vieille musique. (Rires.)

Ici, il y a conflit entre les autorités comme il y en a, relativement aux questions dogmatiques, entre les écrivains protestants et les écrivains catholiques; et aussi le Payss’exprime-t-il ainsi à lendroit du Mirror of Parliament:—

« Mais voici le couronnement de l’édifice. Le rédacteur du Journal a trouvé d’étranges choses dans le Mirror of Parliament,—publication qui n’a jamais été contrôlée par aucun comité de la chambre, et dont l’autorité vaut moins que celle d’un journal solidement fondé, comme le Globe, le Herald, le Chronicle ou le Journal de Québec lui- même. Il est notoire que les rapporteurs de ce Mirror ne se piquaient pas d’une grande exactitude et qu’on attachait peu d’importance à leurs rapports, si bien que la feuille n’a eu qu’une existence éphémère. »

Sans admetre la justesse des prétentions de cet organe de l’hon. député d’Hochelaga, je n’ai pas hésité à le suivre sur le terrain qu’il a lui-même choisi, et j’ai trouvé ce qui suit dans le Morning Chronicle du 4 mai, 1860, auquel il me renvoyait pour plus d’exactitude et de véracité; c’est le même discours du 3 mai, que je viens de rapporter du Miror of Parliament:

« M. A. A. Dorion dit que, lorsque le Bas-Canada avait une population plus considérable que le Haut, l’on s’y plaignait que la représentation y était insuffisante. L’union de la Belgique et de la Hollande, qui était à peu près semblable à celle qui existe entre le Haut et le Bas-Canada, fut dissoute quand on trouva qu’elle n’était pas avantageuse aux deux pays. Il cita un nombre considérable de questions sur lesquelles il était impossible au Haut et au Bas-Canada de s’entendre, parce que des sujets qui sont populaires dans une de ces provinces, sont impopulaires dans l’autre. Il avertit les députés du Bas-Canada que, quand le temps viendrait, toute la représentation du Haut-Canada s’unirait sur la question et obtiendrait la représentation basée sur la population avec l’aide des députés des townships de l’Est. Je regarde, dit-il, l’union fédérale du Haut et du Bas-Canada comme le noyau de la grande confédération des provinces de l’Amérique du Nord que j’appelle de mes vœux, (to which he looked forward). En concluant, je dois dire que je voterai pour la résolution, parce que c’est le seul moyen qu’aient les deux provinces de sortir de leurs difficultés. Je crois que l’union de toutes les provinces viendra avec le temps. »

Et, pour qu’il n’y ait pas de doute sur l’exactitude de la traduction, à l’exception d’un mot que je vais expliquer après avoir lu, je citerai le texte même anglais du Chronicle:

« Mr. A. A. Dorion argued that when Lower Canada had the preponderance of population, complaints were made of the inequality of the representation in that section. The union of Belgium and Holland, which was somewhat similar to that at present existing between Upper and Lower Canada, was dissolved when it was found it did not work advantageously to both countries. He instanced a number of questions on which it was impossible for Upper and Lower Canada to agree; public feeling being quite dissimilar—subjects popular in one section, being the reverse in the other. He warned Lower Canada members that when the time came that the whole of the representatives from the Western portion of the Province would be banded together on the question, they would obtain representation by population, and secure the assistance of the Eastern Townships’ members in so doing. He regarded a federal union of Upper and Lower Canada as a nucleus of the great confederation of the North American Provinces to which all looked forward. He concluded by saying he would vote for the resolution as the only mode by which the two sections of the Province could get out of the difficulties in which they now are. He thought the Union ought to be dissolved, and a federal union of the Provinces would in due time follow. »

  •             (p. 562)

La traduction dit « que j’appelle de mes vœux » et le texte « to which all looked forward. »

Ainsi, au lieu de rendre le désir de la confédération des provinces personnel à lui, il l’avait universalisé. Au lieu de parler pour lui seul il parlait pour tous, et, comme le tout comprend la partie, en exprimant la pensée générale il avait tout naturellement exprimé sa propre pensée. (Ecoutez!)

Je prends cette occasion pour corriger cette erreur involontaire de traduction et pour dire qu’il affirmait alors que non pas lui seulement, mais tous tournaient les yeux, du haut de « La Montagne, » vers cette terre promise de la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord.

L’Hon. député d’Hochelaga n’a-t-il pas dit, dans son fameux manifeste du 7 novembre 1864:

« L’union que l’on propose me parait prématurée, et si elle n’est pas tout à fait incompatible avec l’état colonial, elle est du moins sans précédent dans l’histoire des colonies. »

Et l’autre jour ici:

« Nécessairement, je ne veux au dire que je serai toujours opposé à la confédération. La population peut s’étendre et couvrir les forêts vierges qui existent aujourd’hui entre les provinces maritimes et le Canada, et les relations commerciales peuvent s’accroître de manière à rendre la confédération désirable. »

Ce ne serait donc, dans tous les cas, entre la majorité de la chambre et l’hon. député d’Hochelaga, qu’une question de temps et d’opportunité.

Mais il n’a pas jugé à propos de nous dire pourquoi la confédération de toutes les provinces britanniques est aujourd’hui un crime, un acte anti-national, et serait plus tard bonne et acceptable pour le Bas-Canada! De même il a gardé le silence sur les caractères que devrait avoir la confédération pour mériter la sanction de sa parole et de son vote.

Toujours condamner, toujours détruire, jamais édifier voilà la devise de l’hon. député d’Hochelaga et de ceux qui agissent avec lui dans cette enceinte! (Ecoutez!)

Ils prennent pour eux la part la plus facile des sacrifices et du patriotisme; le blâme et la censure d’autrui. (Ecoutez!)

L’Hon. député trouve que l’union qu’on nous propose, c’est-à-dire la confédération, est sans précédent dans l’histoire nationale. Il n’a donc pas lu l’histoire fédérale, à peineaccomplie, des colonies de l’Australie.

Mais s’il est vrai que la confédération de six colonies est sans précédent dans l’histoire coloniale, voudra-t-il bien nous dire où il a trouvé son précédent pour la confédération de deux provinces. (Ecoutez! et rires.)

Pour se tirer d’embarras, cette fois, il ne niera pas sans doute ce qu’il affirmait si catégoriquement l’autre jour encore. Evidemment, la logique et la mémoire des faits ne sont pas les caractères saillants du talent de l’hon. député. (Rires.)

Puisqu’il tenait tant à constater qu’il a été, à toutes les époques, pour la confédération des deux Canadas comme alternative de la représentation basée sur la population, il me semble, il doit sembler à la chambre et au pays que nous représentons, qu’il aurait dû donner les motifs d’une conviction aussi profonde et aussi persistante. (Ecoutez!)

Pourquoi nous cacher le fruit de tant et de si sérieuses méditations? Pourquoi, laissant le rôle si facile et si commode de censeur, ne se révèle-t-il pas comme architecte d’un édifice politique capable d’abriter et de protéger, contre les tempêtes du dehors, la nationalité et les institutions qui la constituent? C’est que,  » si la critique est facile, l’art est difficile. » Cette vérité, énoncée par un poète, il y a tantôt deux mille ans, est évidemment de tous les lieux et de toutes les époques, et elle trouve aujourd’hui spécialement son application dans la personne de l’hon. député d’Hochelaga. (Ecoutez!)

« Tempora mutantur et nos mutamur in illis. »

Aussi voyez: il nous dit le 16 février 1865:

« La représentation basée sur la population a été l’une des moindres causes de ce projet. »

Et plus loin:

« Mais du moment que le gouvernement s’est vu, après sa défaite, dans l’obligation ou de résigner ou d’en appeler au peuple, les messieurs de l’autre côté de la chambre, sans qu’il y eût la moindre agitation sur cette question, se préparèrent à embrasser leur plus violent adversaire, et se dirent à eux-mêmes:  » Nous allons tout arranger; nous allons oublier nos différends passés, pourvu que nous conservions nos portefeuilles. »

Avait-il donc oublié ce qu’il disait lui- même avec tant d’emphase et, apparemment, avec tant de conviction, en 1858?

« L’hon. député de Brockville, le maître-général des postes, l’orateur et d’autres députés représentant des comtés Bas-Canadiens dans le présent parlement, ont déjà voté pour la représentation basée sur la population. Avant longtemps, il deviendra impossible de résister à la demande du […]

  •             (p. 563)

[…] Haut-Canada à cet égard. Si la représentation basée sur la population ne lui est pas accordée maintenant, il l’obtiendra infailliblement plus tard, mais alors sans aucunes garanties pour la protection des Canadiens-Français. »

Avait-il changé d’opinion, en 1859, lors- qu’il écrivait, concurremment avec MM. Drummond, Dessaulles et McGee?

« C’est avec la conviction bien arrêtée qu’une crise constitutionnelle inévitable imposait au parti libéral du Bas-Canada des devoirs proportionnés à la gravité des circonstances dans lesquelles se trouvent les affaires du pays, que votre comité s’est occupé de la tâche dont vous l’avez chargé.

« Il est devenu évident à tous ceux qui, depuis quelques années, ont donné leur attention aux événements journaliers, et surtout à ceux qui ont eu à se mêler activement d’affaires publiques, que nous arrivons rapidement à un état de choses qui nécessiterait des modifications dans les rapports existant entre le Bas et le Haut-Canada; et la recherche des moyens les plus propres à rencontrer la difficulté, lorsqu’elle se présenterait, n’a pas manqué d’être le sujet de la plus sérieuse considération et de fréquentes discussions dans le parlement et en dehors. . . . . . . . . . .

« La proposition de former une confédération des deux Canadas n’est pas nouvelle. Elle a été souvent agitée dans le parlement et dans la presse depuis quelques années. L’exemple des Etats voisins où l’application du système fédéral a démontré combien il était propre au gouvernement d’un immense territoire, habité par des peuples de différentes origines, croyances, lois et coutumes, en a sans doute suggéré l’idée; mais ce n’est qu’en l856 que cette proposition a été énoncée devant la législature, par l’opposition du Bas-Canada, comme offrant, dans son opinion, le seul remède efficace aux abus produits par le système actuel…

« Le Bas-Canada veut maintenir intacte l’union actuelles des provinces; s’il ne veut ni consentir à une dissolution, ni à une confédération, il est difficile de concevoir sur quelles raisons plausibles il pourrait se fonder pour refuser la représentation basée sur la population. Jusqu’à présent, il s’y est opposé, en alléguant le danger qui pourrait en résulter pour quelques-unes de ses institutions qui lui sont les plus chères; mais cette raison ne serait plus soutenable, s’il repoussait une proposition dont l’effet serait de laisser à ses habitants le contrôle absolu de ces mêmes institutions et de les entourer de la protection la plus efficace qu’il soit possible d’imaginer, celle qui leur procurerait les dispositions formelles d’une constitution écrite, qui ne pourrait être changée sans leur concours. …

« Il semble donc que la seule alternative qui s’offre maintenant aux habitants du Bas-Canada est un choix entre la dissolution pure et simple de l’Union, ou une confédération d’un côté, et la représentation basée sur la population de l’autre. Et, quelqu’opposé que soit le Bas-Canada à la représentation basée sur la population, n’y a-t-il pas un danger imminent qu’elle ne lui soit finalement imposée s’il repousse toutes mesures de réforme dont l’objet serait de laisser aux autorités locales de chaque section le contrôle des intérêts et des institutions qui lui sont propres

« Nous ne devons pas oublier que la même autorité qui nous a imposé l’acte d’Union, et qui l’a altéré sans notre consentement, en rappelant la clause qui exigeait le concours des deux tiers des membres des deux chambres pour changer la représentation relative des deux sections, peut encore intervenir pour nous imposer ce nouveau changement. . . . . . . . . .  . . . . .

« Les douanes, les postes, les lois pour régler le cours monétaire, les patentes et droit d’auteurs, les terres publiques, ceux d’entre les travaux publics qui sont d’un intérêt commun pour toutes les parties ou pays, devraient être les principaux, sinon les seuls objets, dont le gouvernement fédéral aurait le contrôle: tandis que tout ce qui aurait rapport aux améliorations purement locales, à l’éducation, à l’administration de la justice, si la milice, aux lois de la priorité et de police intérieure, serait déféré aux gouvernements locaux, dont les pouvoirs, en un mot, s’étendraient à tous les sujets qui ne seraient pas du ressort du gouvernement général…

« Votre comité croit qu’il est facile de prouver que les dépenses absolument nécessaires pour le soutien du gouvernement fédéral et des divers gouvernements locaux, ne devraient pas excéder celles du système actuel, tandis que les énormes dépenses indirectes que ce dernier système occasionne seraient évitées par le nouveau,—tant à raison des restrictions additionnelles que la constitution mettrait à toute dépense publique, qu’à cause de la responsabilité plus immédiate des divers officiers du gouvernement envers le peuple intéressé à les restreindre.

« La législature fédérale, n’ayant à s’occuper que d’un petit nombre d’affaires, pourrait, en peu de temps, chaque année accomplir toute la législature nécessaire; et, comme le nombre des membres ne seraient pas considérable, les dépenses du gouvernement fédéral ne seraient qu’une fraction du nos dépenses actuelles, qui, ajoutées au coût des gouvernements locaux, s’ils étaient à l’instar de ceux des Etats de l’Union qui sont le mieux et le plus économiquement administrés, ne pourraient excéder le chiffre du budget actuel.

« Le système que l’on propose ne pourrait aucunement diminuer l’importance de cette colonie, ni porter atteinte à son crédit, tandis qu’il offre l’avantage précieux de pouvoir se prêter à toute extension territoriale que les circonstances pourraient, par la suite, rendre désirables, sans troubler l’économie génèrale de la confédération.

« A. A. Dorion,

« LEWIS T. Drummond,

« L. A. DESSAULES,

« THOM. D’ARCY McGee. »

M. Perrault—Je me lève pour une question d’ordre. Nous avons écouté avec beaucoup de plaisir l’excellente brochure que l’hon. député nous lit depuis une demi-heure. Je comprends que l’hon. député ayant écrit en l858 une brochure contre la confédération, et une en faveur de la confédération en 1856, il sente la nécessité d’écrire […]

  •             (p. 564)

[…] une troisième brochure pour mettre les deux autres d’accord.

Mais l’hon. député de Montmorency ayant l’improvisation facile, la chambre, je le pense, ne devrait pas être plus indulgente pour lui que pour les autres députés qui sont obligés de parler ayant à rencontrer toutes les difficultés d’une improvisation toujours difficile. Je demanderai donc si l’hon. député de Montmorency est dans l’ordre en lisant de la première à la dernière ligne son magnifique discours?

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—L’hon. député n’y voit certainement pas plus cette fois qu’à l’ordinaire. Je vois bien devant mon hon. ami, le député de Montmorency, des notes auxquelles il réfère, mais je n’y vois pas un discours.

L’Hon. député de Richelieu, avec son génie hors ligne, n’a pas besoin même de notes pour faire les splendides discours qu’il nous débite de temps à autre. Je comprends que, pour de pareilles élucubrations, il n’ait pas besoin de longue préparation. (On rit.)

L’Hon. M. Cauchon—Tout le monde n’a pas le génie de l’hon. député de Richelieu. Je sais aussi qu’il est des gens qui peuvent parler longtemps, parce qu’ils n’ont pas toujours la conscience de ce qu’ils disent. (Rires.)

L’Hon. député pourra parler aussi longtemps qu’il le voudra sans craindre que je l’interrompe, car ses discours ne peuvent faire de mal qu’à celui qui les prononce. (On rit).

L’ Hon. M. L’Orateur—Il n’est pas exactement dans l’ordre qu’un député lise son discours d’un bout à l’autre; mais il peut certainement faire usage de notes quand il parle.

L’Hon. M. Cauchon—De tous ces extraits que je viens de lire, il faut conclure ou que l’hon. député d’Hochelaga était prêt à tout sacrifier pour arriver au pouvoir en 1858, ou bien qu’en 1858, comme en 1859, il était profondément convaincu que rien moins que la représentation basée sur la population ou l’union fédérale des deux Canadas n’était capable d’apaiser l’orage qui grondait à l’horizon.

Nous y trouvons:

l° Que nous arrivons rapidement à un état de chose qui nécessitera des modifications dans les rapports entre le Haut et le Bas-Canada. .

2° Que la proposition de former une fédération des deux Canadas n’est pas nouvelle.

3° Que l’exemple des Etats voisins, où l’application du système fédéral a démontré combien il était propre à un gouvernement d’un immense territoire, habité par des peuples de différentes origines, croyances, lois et coutumes, en a suggéré l’idée.

4° Que le Bas-Canada n’aurait aucun motif légitime de repousser la représentation basée sur la population s’il refusait une constitution écrite dans laquelle il trouverait la protection et le contrôle de ses propres institutions.

5° Qu’il y aurait un danger éminent à se voir imposer la représentation basée sur la population si l’on s’obstinait à refuser la confédération des deux Canadas, et que ceux qui nous ont imposé l’acte de l’Union, puisqu’il l’ont altéré à notre détriment, pourraient bien nous obliger forcément d’accepter la première.

6° Que les douanes, le cours monétaire, les brevets d’invention, les droits d’auteur, les terres publiques, les travaux publics, d’un intérêt commun, devraient se trouver au nombre des attributs du parlement fédéral.

7° Enfin, que les dépenses du gouvernement fédéral et des gouvernements locaux ne devraient pas ensemble excéder celles du système actuel.

Aux extraits que je viens de citer il faudrait ajouter le suivant, emprunté au même document:

« Votre comité s’est donc convaincu que soit que l’on considère les besoins présents vu l’avenir du pays, la substitution d’un gouvernement purement fédéral à l’union législative actuelle offre la véritable solution à nos difficultés, et que cette substitution nous ferait éviter les inconvénients tout en conservant les avantages que peut avoir l’Union actuelle. »

(Ecoutez! et rires.)

A la même époque, le journal le Pays déclarait, avec une conviction aussi profonde que celui dont il est l’organe, que si nous ne faisions pas de concessions constitutionnelles, nous ne pourrions pas résister aux flots en fureur de l’opinion du Haut-Canada, qui menaçaient de briser la faible digue que leur opposait l’acte de l’Union de 1840.

L’Hon. député d’Hochelaga continua, avec ses craintes et ses convictions, jusqu’à l’époque où, par un accident fâcheux pour le pays, il pût remonter au pouvoir.

Ce n’est donc pas une simple question de portefeuilles que la position qui nous est fait aujourd’hui!

  •             (p. 565)

Nous étions donc arrivés à l’époque des changements nécessaires dans la constitution. La question de la confédération, sous une forme quelconque, n’est donc pas nouvelle.

Pour prendre, avec le député d’Hochelaga, les Etats-Unis pour exemple, je dirai:  » Le système fédéral est propre à un gouvernement d’un immense territoire habité par des peuples de différentes origines, lois et coutumes, » et, conséquemment, plus propre à la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord qu’à celle, plus petite, du Haut et du Bas-Canada.

Le Bas-Canada,  » a moins de vouloir la représentation basée sur la population, ne doit pas repousser une constitution écrite dans laquelle il trouve la protection et le contrôle de ses propres institutions. » (Ecoutez! écoutez!)

Enfin  » les dépenses des législatures et des gouvernements locaux et fédéraux ne dépasseront pas celles du système actuel. »

Suivant le manifeste montréalais de 1859, le gouvernement et le parlement fédéraux, ayant peu de chose à faire, devaient coûter peu, pour laisser une plus large part aux gouvernements et aux législatures des provinces.

Dans le projet de la convention de Québec, les rôles sont changés et ce sont les législatures locales qui, n’ayant que des choses locales à accomplir, pratiqueront l’économie au profit du système général.

Il est donc visible que l’hon. député d’Hochelaga n’est pas plus sorcier que les autres.

Il est plus visible encore qu’il serait moins hostile au projet s’il procédait de lui, et s’il était assis à la droite au lieu de l’être à la gauche de la chambre; car ce n’est, après tout, qu’une question d’opportunité, du moins quant au principe.

L’Hon. député d’Hochelaga nous a dit encore:

« Je n’aurais jamais voulu essayer de faire un changement dans la constitution du pays sans m’assurer si la population de la section de la province, que je représentais, était en faveur d’un pareil changement. (Ecoutez! écoutez!)

Je ne voudrais pas mettre en doute sa sincérité; mais n’a-t-il pas dit aussi:  » Je sais que la possession du pouvoir engendre le despotisme! » (Ecoutez!)

Ne disait-il pas, avant les évènements de 1858, que jamais, au grand jamais, il ne consentirait, s’il était au pouvoir, à gouverner le Bas-Canada à l’aide d’une majorité haut-canadienne! Et, cependant, que faisait-il en 1862? (Que faisait-il, quand il remontait au pouvoir en 1863, après en avoir fait descendre si loyalement et si sympathiquement son illustre prédécesseur et chef, M. Sicotte? (Ecoutez!)

Ce n’était pas le despotisme, mais l’ambition du pouvoir qui, pour y arriver, lui faisait adopter des moyens que je me refuse à qualifier dans ce débat solennel!

Que faisait-il?… Oubliant ses déclarations de 1858, il gouvernait le Bas-Canada avec une infime minorité de ses représentants, et comme, suivant lui,  » le pouvoir engendre le despotisme, » il gouvernait avec une verge de fer dont le radicalisme seul sait user.

Mais, heureusement, ces jours de triste souvenance sont passés et le niveau du sol politique, qui s’était abaissé par une de ces causes dont la Providence seule connait le secret, s’est relevé soudainement pour échapper aux digues débordantes et rompues de la démagogie se ruant sur la société politique, frémissante et faisant d’incroyables efforts pour échapper à la submersion qui la menaçait. (Mouvement.)

Ce que l’opposition déteste le plus dans le projet de la convention de Québec, c’est son caractère monarchique; ce sont ces mots placés au frontispice de cette œuvre remarquable: (Ecoutez! écoutez!)

« 1. Une union fédérale, au sommet de laquelle serait placée la couronne de la Grande-Bretagne, serait la chose la plus propre à protéger les intérêts actuels et à activer, dans l’avenir, la prospérité de l’Amérique Britannique du Nord, à la condition, toutefois, que cette union puisse s’effectuer sur des principes équitables envers les diverses provinces.

« 2. Le meilleur système de fédération pour les provinces de l’Amérique Britannique du Nord, le mieux adapté, dans les circonstances, à la protection des intérêts des diverses provinces et les plus propres à produire l’efficacité, l’harmonie et la permanence dans le fonctionnement de l’union, serait un gouvernement et un parlement général, qui auraient le contrôle des choses communes à tout le pays, et des législatures et des gouvernements locaux pour chacun des Canadas, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et l’Ile du Prince-Edouard. Ces législatures et ces gouvernements locaux auraient respectivement le contrôle des choses locales. L’on devra pourvoir à l’admission dans l’union, sur des bases équitables, de la province de Terreneuve, du territoire du Nord-Ouest, de l’Ile Vancouver et de la Colombie Britannique. »

Nous tournons, elle et nous, dans deux cercles d’idées différente. Nous, nous voulons, en Amérique comme ailleurs, la monarchie […]

  •             (p. 566)

[…] tempérée par le système parlementaire et la responsabilité ministérielle, parce que, sans rien enlever à la liberté, elle donne aux institutions plus de sécurité et plus de stabilité.

Nous avons tous vu la démocratie britannique se mouvant à l’aise sous l’égide immuable de la majesté royale et y exerçant souverainement, sur l’administration de la chose publique et sur la direction de la fortune nationale, ce contrôle salutaire qui a fait de la Grande-Bretagne une nation si riche, si puissante et si libre.

Nous avons vu aussi, non loin de nous, cette même démocratie, affublée du manteau républicain, marchant, d’un pas rapide, vers la démagogie, et, de la démagogie, vers un intolérable despotisme. (Ecoutez! écoutez!)

Nous avons vu le régime militaire couvrir la surface entière de la grande république, naguères si glorieuse de ses institutions populaires.

Et nous avons vu ce peuple, si fier de sa liberté, courber humblement la tête sous le sabre du soldat, laisser muscler sa presse, après avoir flétri le régime de la censure légalisé en France, et conduire, sans pro tester, ses écrivains dans les cachets. (Ecoutez!)

M. DE TOCQUEVILLE a trop vécu, et son admirable livre sur la démocratie en Amérique ne nous fait plus aujourd’hui l’effet que d’un poème héroïque; c’est l’île de Calypso si splendidement chantée par FÉNÉLON, et que personne n’aperçoit plus on fermant TÉLÉMAQUE. (Rires.)

A la place de ces institutions si mathématiquement encadrées, de ce mécanisme si fini et si régulier dans sa marche, ce ne sont plus que des mouvements brusques et saccadés, des enraiements, des roues qui se heurtent et se brisent;—au lieu de la paix et de l’harmonie, la guerre civile sur une gigantesque échelle, la dévastation universelle, de formidables batailles et le sang des frères qui coule à flots sur le sol national.

Qu’est devenue cette race de géants qui, après sept années de luttes glorieuses, fondaient, en l783, la république des Etats-Unis?.. Incapable de descendre aux moyens employés par les médiocrités pour arriver au timon de l’Etat, elle a laissé les carrières publiques, afin de pouvoir vivre plus honorablement et plus dignement dans la vie privée; car le génie américain n’est pas mort et le sol, qui produit de grands magistrats et de grands jurisconsultes, pourrait encore, dans un autre ordre de chose et dans une autre condition morale, enfanter des Washington, des FRANKLIN, des HAMILTON, des ADAMS et des MADISSON.

Ils n’ont donc pas eu tort ces quarante hommes d’élite de l’Amérique Britannique du Nord qui venaient, naguères, fonder à Québec la nation nouvelle sur des bases monarchiques, autant que possible dans l’unité, et sur le principe du gouvernement parlementaire britannique. (Ecoutez!)

Il nous semble que cette autorité était assez imposante pour mériter le respect d’hommes beaucoup moins expérimentés et beaucoup moins versés qu’eux dans la science du gouvernement. (Ecoutez.) Et cependant, quand l’hon. député de Joliette demandait, avec un grand bon sens, à l’hon. député de Lotbinière, pourquoi il ne parlait pas des confédérations assises sur le principe monarchique, il lui répondait ironiquement qu’on ne pouvait pas parler de ce qui n’existait pas et de ce qui était absurde. Il ressemblait au savant français qui, en 1836, prouvait par des raisonnements irréfutables qu’il était impossible de jamais franchir l’océan avec la vapeur pour force motrice. Mais lorsqu’il se morfondait ainsi dans sa puissante et laborieuse argumentation, le Sirius traversait majestueusement l’Atlantique, comme pour se moquer de la sagesse de la science. ll n’y a rien de brutal et de positif comme les faits. (Ecoutez! écoutez!)

Nous ne sommes pas ici comme COLOMB, à la recherche d’un monde inconnu, et l’hon. député, qui allait chercher jusque dans les temps héroïques de la Grèce, des arguments contre toutes les confédérations possibles; qui nous déroulait pompeusement l’histoire romaine pour nous prouver que ce qui est fort et durable se forme pièce à pièce, et que même ce qui est fort doit périr, puisque l’empire romain avait fini par s’affaisser sous le poids de sa propre puissance; qui, à la recherche de confédérations en désarroi et au milieu de pronunciamentos, de movimentos et d’échauffourées, traversait, sans les voir, les républiques espagnoles unitaires si instables et si mouvementées de l’Amérique; qui, pour être fidèle à son système, attribuait les cinq cents années d’existence de la confédération Suisse à toute autre cause qu’à la stabilité de son principe et au caractère conservateur et national de ses habitants, et qui, dans l’enthousiasme pour ses doctrines, n’a pas vu que l’équilibre européen se fût tout aussi bien trouvé d’un ou de plusieurs États […]

  •             (p. 567)

[…] unitaires que d’une confédération dans les montagnes Helvétiques; l’hon. député n’a pas vu, non loin du pays de ces ancêtres, cette noble Helvétie qui a conquis et maintenu, pendant cinq siècles, son indépendance, au milieu des plus terribles conflits qui ébranlaient le sol européen, renversaient les trônes et transformaient les sociétés; il n’a pas vu, en chair et en os, une confédération reposant presqu’entièrement sur le principe monarchique, la confédération Germanique, dont la présidence appartient à l’Autriche, et pour laquelle cette dernière puissance et la Prusse seules peuvent décider les questions de paix et de guerre. (Ecoutez!)

Celle-ci avait été précédée de la confédération du Rhin qui avait trouvé, comme elle, ses éléments, avec leur mode d’être, dans l’ancien empire fondé par CHARLEMAGNE, « la plus forte main qui fut jamais  » suivant la belle expression d’OZANAM; l’empire Germanique, véritable confédération de princes, devenant réellement, dans la suite des siècles, indépendants et rois dans leurs Etats respectifs, sous la suzeraineté impériale. (Ecoutez!)

La bulle d’or promulguée par l’empereur Charles IV, en 1356, nous donne, sur cette matière, d’utiles renseignements, et je me permettrai d’y renvoyer l’honorable député de Lotbinière. Mais qu’est-il besoin de tant feuilleter l’histoire pour établir un fait aussi lumineux que le soleil. Ne suffit-il pas d’ouvrir le premier dictionnaire venu pour savoir que le mot  » confédération  » signifie simplement ligue, union d’états ou de souverains, de peuples ou d’armées mêmes, pour un objet commun.

L’Hon. député a donc mal choisi son temps pour être spirituel aux dépens d’un homme sensé. Il s’est prononcé tour à tour contre le principe fédéral et contre l’unité législative.

Faisant appel alternativement à tous les préjugés pour atteindre son but, il a dit aux Canadiens-Français catholiques:  » Repoussez la confédération parce qu’elle vous laisserait sans protection dans le parlement et le gouvernement fédéraux. »

Puis, se tournant vers les anglologues protestants, et leur lisant complaisamment un extrait du rapport du lord Durham, il leur crie:  » Ne votez pas pour la confédération; vous seriez à la merci d’une majorité française et catholique dans la législature et le parlement locaux.  »

Rien que l’antipode, en toute autre chose, de l’hon. député d’Hochelaga, sa conduite prouve qu’il croit au moins, comme son chef de file,  » que le pouvoir engendre le despotisme. »

Mais, à sa place, au début de ma carrière publique, plein de jeunesse et des généreux sentiments qu’elle inspire, au lieu de communiquer le feu à des éléments aussi combustibles que les préjugés religieux et nationaux, j’aurais imité l’exemple de l’honorable député de Montréal-Centre, et, pour calmer les inquiétudes réciproques, j’aurais rappelé, afin de faire un acte de justice et de remplir un devoir; j’aurais rappelé l’histoire canadienne si honorable, si chrétienne et si civilisatrice du dernier quart de siècle. (Ecoutez!)

Mais évidemment il n’en était pas capable. Il venait de sortir, tout ébouriffé, des pronunciamentos, des échauffourrées, et des movimentos des confédérations Espagnoles si civilisées de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud, et, plein d’une agitation fiévreuse, il allait à toutes ailes prendre place parmi les arcs-en-ciel et les aurores boréales. (On rit.)

L’on sait ce que c’est physiquement que l’arc-en-ciel. C’est un ensemble de gouttelettes d’eau qui, placées sous un certain angle, en regard du soleil, en réfractent et en réfléchissent la lumière. (Rires.)

Quant aux aurores boréales, il en est qui les attribuent à la réverbération de la lumière solaire sur les neiges du pôle nord, où l’honorable député est allé prendre le vaste territoire dont il veut que nous composions le domaine de la confédération. Mais l’opinion la plus accréditée c’est que ce n’est qu’une manière d’être de quelque chose d’impondérable et d’insubstantiel. (On rit.)

Notre peuple, en les voyant s’agiter dans tous les sens avec une prodigieuse rapidité, monter, descendre et se replier sur elles mêmes, leur a donné le nom si pittoresque et si vrai de marionnettes. (Ecoutez! et rires.)

Vous voyez donc que, s’il a horreur des préjugés qui font tant de mal, son esprit, du moins, n’est pas aussi torpide que le croit l’hon. député de Lotbinière, et qu’il n’a pas besoin qu’on le réveille de cette manière au moins. (Ecoutez!)

On sait ce qui arrive invariablement à tous ces lumineux météores, les natures boréales! Joyeux Pierrots et Polichinels saltimbanques, après s’être épanouis complaisamment quelque temps sur les confins de l’horizon infini, et y avoir gambadé tout à l’aise, ils se font sérieux et solennels, […]

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[…] et l’ambition les prend de monter au zénith. Mais comme ils n’ont,  » avec la taille d’un géant, que la force d’un enfant, » ils s’étiolent vite, meurent et disparaissent, pour n’être plus, suivant le magnifique langage de BOSSUET,  » qu’un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue! »

Mais en y regardant de près l’on s’apercevra que l’hon. député n’a pas été aussi sarcastique qu’on l’aurait cru d’abord, lors- qu’il a donné l’Iris pour emblême à la nouvelle confédération. L’arc-en-ciel, vu de son côté figuré, c’est le signe de l’alliance et, conséquemment, de la force et de la durée; c’est le symbole de la sérénité et du calme après de longs jours de tempête et d’orage; c’est le gage de la promesse qu’à l’avenir les cataractues de la démagogie ne seront plus ouvertes sur le pays pour y laisser cette semence morbide dont les fétides odeurs offusquent encore le sens moral du peuple après que leurs eaux malsaines se sont retirées!

C’est l’ensemble des rayons multicolores qui, dans l’unité, produisent la lumière, la chaleur et la fécondité. (Applaudissements.)

Je conseille donc à ceux si seront chargés plus tard de nos destinées d’adopter l’arc-enciel pour emblème national et d’en tenir compte à l’hon. député de Lotbinière, étonné, sans doute, de s’être trouvé si merveilleusement inspiré! (Ecoutez et rires.)

S’il ne devait jamais y avoir de confiance mutuelle entre les hommes; si nous devions être destinés à nous soupçonner et à nous craindre réciproquement toujours, il faudrait renoncer à toute idée de gouvernement comme à tous les rapports de la vie sociale. Les lois mêmes qui protègent les personnes et les biens seraient sans valeur et sans garantie, car elles sont expliquées par des hommes.

Heureusement qu’il n’en est pas ainsi, et notre propre histoire le prouve surabondamment.

Avant l’Union, la majorité parlementaire était catholique en Bas-Canada et, si elle fut longtemps en lutte avec le pouvoir, fit-elle jamais une injustice à la minorité protestante? Au contraire, ne l’émancipa-t-elle pas civilement et religieusement, et ne lui donna-t-elle pas de priviléges qu’elle ne possédait pas auparavant?

Si notre peuple est inflexiblement attaché à sa foi, il est, aussi, plein de tolérance et de bon vouloir pour ceux qui ne croient pas comme lui.

Depuis l’Union, les rôles sont changés. C’est le protestantisme ni domine dans le gouvernement et dans la législature, et, cependant, le catholicisme n y a-t-il pas été mieux traité et ne s’y est-il pas développé avec plus de liberté et de fécondité que sous le régime de la constitution de 1791? (Ecoutez!)

En vivant ensemble et en travaillant ensemble, nous avons appris à nous connaître, à nous respecter, à nous estimer et à nous faire des concessions réciproques pour le bien-être commun.

Nous n’avons aucune crainte, nous catholiques, à l’endroit du mauvais vouloir d’une majorité protestante dans le gouvernement et dans la législature fédérale, et nous sommes sûrs que les protestants du Bas-Canada ne craindront pas davantage pour eux dans le gouvernement et la législature locale.

L’Hon. député d’Hocheloga a dit qu’il était prêt à accorder aux protestants les garanties de protection qu’ils demandent pour l’enseignement de leurs enfants; mais il a été précédé, en cela, par la convention de Québec et par le sentiment universel de la population catholique du Bas-Canada.

Si la loi actuelle est insuffisante, qu’on la change. La justice demande que la minorité protestante soit protégée dans la même mesure que la minorité catholique du Haut-Canada, et que les droits acquis de l’une et de l’autre ne puissent être atteints ni par le parlement ni par les législatures locales. (Ecoutez!)

C’est tout ce que je sens le besoin de dire aujourd’hui sur une question qui se reproduira, sans doute, dans la suite des débats.

L’Hon. député de Lotbinière a accusé le projet d’être trop fédéral, et celui d’Hochelaga de ne l’être pas assez et de trop tendre vers l’unité.

Ni l’un ni l’autre ne sont strictement dans le vrai; ce n’est ni l’unité absolue, ni le principe fédéral dans le sens américain.

Dans la confédération américaine, l’autorité supérieure a procédé, au début, de la délégation des Etats, qui s’en sont, cependant, dévêti à perpétuité, suivant, au moins, la doctrine des jurisconsultes du Nord, qui soutiennent que nul état de l’union n’est plus libre de rompre le pacte de 1788.

Dans le projet de la convention de Québec, il n’y a pas de délégation, soit d’en haut sont d’en bas, parce que les provinces, n’étant pas des états indépendants, reçoivent, avec l’autorité supérieure, leurs organisations politiques du parlement de l’empire. Il n’y […]

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[…] a que des attributs distincts pour l’une et pour les autres. (Ecoutez!)

L’unité n’y préside pas absolument, parce que les institutions et les intérêts locaux ont demandé, dans des constitutions locales, des garanties et des protections qu’elles craignaient de ne pas trouver dans le parlement et le gouvernement unitaires.

Mais elle s’y trouve aussi complète que possible, parce que l’unité donne aux institutions des chances de durée et une force d’initiative que ne donnent pas, que ne peuvent donner, les confédérations où l’autorité est éparpillée et où elle est conséquemment sans valeur et sans existence réelles.

Tous les modes d’être constitutionnels ont leurs avantages et leurs désavantages; mais, assurément, le mode d’être qui donne permanence et stabilité aux institutions doit avoir sur les autres la préférence. (Ecoutez!)

N’oublions pas que la constitution des Etats-Unis n’a été qu’un compromis entre la souveraineté de l’Etat et le besoin d’une autorité supérieure pour le fonctionnement de la machine nationale, et qu’elle n’était pas même parfaite dans la pensée de ses auteurs.

Pour le prouver, je vais faire entendre une parole plus grave que la mienne, probablement la plus grande autorité constitutionnelle des Etats-Unis, JOSEPH STOREY:

« Tout aperçu, quelque superficiel qu’il puisse être, de la confédération, pénétrera l’esprit des difficultés intrinsèques qui ont dû présider à la rédaction de ses principaux aspects. Il est parfaitement connu que, sur trois points importants, concernant les intérêts et les droits communs des divers Etats, il y avait grande diversité d’opinions, et il s’éleva plusieurs discussions très vives. Le premier point avait trait au mode de votation dans le congrès, s’il aurait lieu par états, ou d’après la richesse en la population. Le second point avait trait à la régle qui serait suivie pour la répartition entre les Etats des dépenses de l’Union. Et le troisième point, on l’a déjà vu, concernait la disposition des terres vacantes et non appropriées du territoire de l’Ouest.

« Mais ce qui nous frappe avec le plus de force, c’est la jalousie et la surveillance constamment sur le qui-vive à propos des pouvoirs qui devaient être confiés au gouvernement général. Plusieurs causes peuvent être assignées à cela. Les colonies avaient été pendant longtemps engagées dans des luttes contre l’autorité supérieure de la couronne, et avaient pratiquement ressenti les inconvénients de la législation restrictive de la mère- patrie. Naturellement, ces luttes avaient conduit à un sentiment général de résistance contre toute autorité extérieure; et ces inconvénients à des doutes extrêmes, sinon à la crainte de toute législation, n’originaient pas exclusivement dans leurs assembles domestiques. Ils n’avaient pas, jusque là, ressenti l’importance ou la nécessité d’une union entre elles, ayant été jusqu’alors unies avec l’empire britannique dans toutes leurs relations étrangères. Quel serait leur sort comme sociétés séparées et indépendantes; jusqu’à quel point leurs intérêts varieraient-ils ou coïncideraient-ils entre eux si elles se trouvaient ainsi placées; quels seraient les effets de l’Union si leur tranquillité domestique, leurs intérêts territoriaux, leur commerce étranger, leur sécurité politique ou leur liberté civile, étaient, pour elles, autant de questions d’un caractère spéculatif, concernant lesquelles les opinions pouvaient être partagées, et à propos desquelles on pouvait former des conjectures diverses et même opposées qui pouvaient être soutenues avec une plausibilité d’une force égale en apparence?

« Nonobstant la déclaration des articles, que l’union des provinces devrait être perpétuelle, un examen des pouvoirs confiée au gouvernement nous fera aisément comprendre qu’ils avaient été ainsi conférés en vue de l’état de révolution dans lequel se trouvait alors la société. Les principaux pouvoirs avaient trait aux opérations militaires, et devaient être lettre morte en temps de paix. En un met, en temps de paix, le congrès ne se trouvait revêtu que d’une souveraineté éphémère et illusoire, quelque chose de plus enfin que le faux clinquant du pouvoir. Il était revêtu, à la vérité, du pouvoir d’envoyer et de recevoir des ambassadeurs; de faire des traités et des alliances; de créer des cours pour juger des actes de piraterie et de félonie sur la haute mer; de régler le cours de la monnaie; de fixer les poids et les mesures; de régler le trafic avec les Indiens; d’établir des bureaux de poste; d’emprunter de l’argent; de voir à l’octroi des sommes requises pour le service public et de disposer des territoires de l’Ouest. Et encore la plus grande partie de ces choses ne pouvaient être exercées qu’après avoir obtenu l’assentiment des neuf états. Mais il n’était point revêtu du pouvoir de prélever aucun revenu, ni aucune taxe, de mettre en force aucune loi, d’assumer aucun droit, de régler aucun commerce, et il n’avait même pas la mince prérogative de prendre de l’argent dans le trésor public pour payer ses propres ministres, dans les cours étrangères. Il pouvait contracter des dettes, mais il n’avait aucune moyens pour les payer. Il pouvait engager la foi publique; mais il était incapable de la engager. Il pouvait faire des traités, mais n’importe quel état de l’Union était libre de les désavouer avec impunité. Il pouvait contrecter des alliances; mais il ne pouvait pas avoir le contrôle des hommes ou des deniers pour les mettre-en force. Il pouvait créer des cours pour juger des actes de piraterie et de félonie sur la haute mer, mais il n’avait pas les moyens de payer les juges en les jurés. En un mot, tous les pouvoirs qui ne s’exécutaient pas d’eux-mêmes, se trouvaient à la merci des états, et pouvaient être, à volonté, foulés aux pieds avec impunité.

« L’un de nos plus grands écrivains adressa ce langage excessivement fort au peuple:  » Par ce pacte politique, les Etats-Unis en congrès ont le pouvoir exclusif sur les questions suivantes, sans être capables d’en exécuter une seufe. Ils peuvent faire et conclure des traités; mais ne peuvent seulement pas en recommander l’observance.

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Ils peuvent nommer des ambassadeurs, mais ne peuvent seulement pas défrayer la dépense de leurs tables. Ils peuvent, en leur propre nom et sur la foi des états, faire des emprunts, mais n’en peuvent payer un dollar. Ils peuvent frapper monnaie, mais ne peuvent acheter une once d’or. Ils peuvent faire la guerre, et déterminer quel nombre de troupes sera employé, mais ils ne peuvent lever un seul soldat. En un mot, ils peuvent faire toutes espèces de déclarations, mais ne peuvent en exécuter aucune. »

« Quelque fort que puisse paraître ce langage, il n’est pas plus chargé que ne le comportent les faits dans tout leur mérite. Washington lui- même, ce patriote sans tache et sans reproche, parle, en 1785, avec une force inaccoutumée sur le même sujet:  » En un mot, dit-il, pour moi la confédération est un peu plus qu’une ombre sans substance; et le congrès un corps sans force, ses ordonnances n’étant que peu obéis. » On retrouve les mêmes sentiments dans un grand nombre de documents publics. L’une des preuves les plus humiliantes de l’impuissance complète du congrès de mettre en force même les pouvoirs exclusifs dont-il est revêtu, ce trouve dans la circulaire raisonnée qu’il adressait aux divers états, en avril 1787, les engageant dans les termes les plus touchants de rappeler telles de leurs lois qui venaient en conflit avec les traités passés avec des nations étrangères.  » Si, en théorie, dit l’historien de Washington, les traités faits par le congrès sont obligatoires; d’un autre côté, il a été démontré qu’en pratique ce corps était absolument incapable de les mettre à exécution. »

« Dans cet état de choses, les embarras du pays sous le rapport financier, la dêtresse pécuniaire devenue générale chez le peuple, par suite des conséquences ruineuses de la guerre, de la prostration complète du commerce, et du médiocre rendement des récoltes, imprima une nouvelle impulsion aux divisions politiques déjà si profondes dans les conseils de la nation. Des efforts furent faits de notre côté pour diminuer les calamités qui pesaient sur le peuple; on eût recours à l’émission de papier-monnaie, à la législation concernant les offres réelles, aux versements et autres lois, ayant pour objet de permettre aux individus d’ajourner le paiement de leurs dettes privées, et décrétant aussi une diminution des taxes publiques. De l’autre côté, les créanciers, tant publics que privés, s’alarmèrent par suite des nouveaux dangers qu’elle créait au détriment de la propriété, et des plus grandes facilités qu’elle offrait à la fraude, à l’anéantissement de la foi individuelle et du crédit. Et ils insistèrent avec force pour qu’on établit un gouvernement et une législation qui sauvegarderaient la foi publique, rachèteraient le pays de la ruine qui suit toujours la violation des principes de justice, et des obligations morales des contrats. On nous dit qu’à la fin deux grands partis se formèrent dans chaque état, distincts l’un de l’autre, poursuivant aussi des objets distincts avec des organisations systématiques.

« Ce qui étonne le plus n’est pas que, sous de telles circonstances, la constitution ait rencontré la plus vigoureuse opposition, mais qu’elle ait été adoptée du tout par la majorité des états. Dans la convention même qui la rédigea, elle donna lieu à beaucoup de contestations, et, sur quelques- uns de ses points les plus essentiels, il se manifesta une divergence d’opinions de la nature la plus intense et la plus irréconciliable. Il paraît qu’à plusieurs reprises la convention fut presque sur le point d’être dissoute sans avoir rien accompli.

« Dans la convention elle-même qui l’a rédigée, il y avait une grande diversité de jugement, et, sur des points vitaux, il existait une hostilité intense et irréconciliable entre les opinions. Il paraît qu’à différentes époques, la convention fut sur le point de se dissoudre sans rien accomplir, etc.

« D’un autre côté, si les partisans du gouvernement national sont moins nombreux, ils sont susceptibles d’attirer dans leurs pays des hommes d’une ambition ardente, d’une intelligence étendue et d’un génie puissant. L’amour de l’union, le sens intime de son importance, plus que cela, de sa nécessité pour assurer la permanence et la sécurité de notre liberté politique; la conviction que les pouvoirs de la constitution nationale sont éminemment propres à maintenir la paix à l’intérieur et la dignité à l’extérieur, à donner de la valeur à la propriété, de la méthode et de l’honneur aux grands intérêts agricoles, commerciaux et manufacturiers; la conviction ainsi que les restrictions qu’elle inspire aux états, offrent le seul moyen efficace de préserver la justice publique et privée, et pour assurer la tranquillité mise en danger par les ambitions rivales des états; toutes ces choses, il n’y a pas de doute, amèneront un grand nombre d’esprits réfléchis et calmes à s’entendre pour la soutenir. Si, à ces derniers, nous ajoutons ceux que les plus grandes récompenses offertes par les honneurs, les places ou les influences attachées à une sphère d’actions plus étendue, peuvent attirer dans les conseils de la nation, il y a beaucoup a penser que l’Union ne se trouvera pas sans amis résolus. »

Les évènements qui se passent aujourd’hui aux Etats-Unis prouvent assez, je le pense, que les craintes des illustres fondateurs de l’Union n’étaient pas sans quelque motif.

Le projet de constitution qui nous est soumis est aussi un compromis, seulement un compromis, dans de meilleures conditions d’existence, et moins dangereux pour la stabilité et la force de la nation à laquelle il doit donner l’être.

L’unité s’y meut plus à l’aise et les contrôles, qui s’y trouvent au profit des localités, y sont placés de manière à ne pouvoir pas entraver l’action générale.

Ce n’est pas tant contre le principe fédéral que se dirigent la plupart des arguments de l’hon. député d’Hochelaga. Pour lui, c’est une question de parti qui se pose ainsi: Comment nous trouverons-nous, mes amis et moi, dans cette confédération? serons- nous forts, y serons-nous faibles? pouvons-nous […]

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[…] y espérer de remonter au pouvoir, ou y serons-nous perdus comme des gouttes d’eau dans l’océan?

Pour convaincre la chambre que j’ai justement apprécié le motif d’opposition de l’hon. député, je vais citer son discours du 16:

« L’Hon. A.A. Dorion —Mais, M. l’Orateur, l’on peut me demander, en admettant tout cela, en admettant que le projet qui nous est soumis n’est pas celui qui nous avait été promis, quelle différence peut faire l’admission immédiate des provinces dans la confédération? Je vais tâcher de l’expliquer. Lorsque les ministres ont consenti à laisser prendre dans la conférence les votes par provinces, ils ont donné un grand avantage aux provinces maritimes.—Ce mode de procédures en pour résultat la mesure la plus conservatrice qui ait jamais été soumise à la chambre. Les membres de la chambre haute ne doivent plus être élus, mais nommés, et nommés par qui? par un gouvernement tory ou conservateur pour le Canada, par un gouvernement conservateur dans la Nouvelle-Ecosse, par un gouvernement conservateur dans Terreneuve!—Ce seul gouvernement libéral intéressé dans la nomination des conseillers étant celui du Nouveau-Brunswick, où il y a une administration libérale, dont le sort dépend du résultat des élections qui se font maintenant dans cette province!

« Un pareil projet n’aurait jamais été adopté par la représentation du Haut-Canada! Les habitants du Haut-Canada, au nombre de l,400,000, avec ceux du Bas—eu tout 2,500,000—ont été contrôlés par les 900,000 habitants des provinces maritimes. Ne nous a-t-on pas dit, en propres termes, que c’étaient les provinces d’en-bas qui ne voulaient pas de conseil législatif électif? Si, au lieu d’inviter à une conférence les délégués des provinces d’en-bas, notre gouvernement eût fait ce qu’il s’était engagé de faire, c’est-à-dire, s’il eût lui-même préparé une constitution, il n’aurait jamais osé faire une proposition comme celle qui nous est soumise;—il n’y aurait jamais été proposé un conseil législatif nommé à vie, avec un nombre de membres limité, et qui serait nommé par quatre gouvernements tory.

« En portant à 15 ou 20 ans la moyenne du temps que chaque membre occupera son siége, il faudra un siècle avant que sa composition puisse être changée! L’on aura un conseil législatif qui sera à jamais—au moins en ce qui regarde cette génération et la suivante—contrôlé par l’influence qui domine aujourd’hui dans notre gouvernement et dans ceux des provinces maritimes. Et va-t-on croire que, comme on le promet dans le document qui nous est soumis, un gouvernement comme celui que nous avons s’occupera de faire représenter l’opposition dans le conseil? (Ecoutez! et rires.)

« Je remercie les délégués de leur sollicitude à l’endroit de l’opposition, mais je ne compte guéres sur leurs promesses; n’avons-nous pas entendu l’hon. procureur-général du Haut-Canada dire l’autre jour, en se tournant vers ses partisans: « Si j’avais à recommander des nominations, je conseillerais de choisir des hommes plus qualifiés,—mais, comme de raison, dans mon partit  » (Ecoutez!) Il en sera ainsi, monsieur; et si ce précieux projet est mis a exécution, nous aurons un conseil législatif divisé de la manière suivante: pour le Haut-Canada, nous aurons probablement des libéraux dans la proportion de 3 a 9, car je suppose que l’hon. membre pour South Oxford (M. Brown) a fait assez de sacrifices pour mériter au moins cette concession, et comme ses amis composent un quart du conseil exécutif, je suppose que nous aurons aussi un quart de libéraux parmi les conseillers législatifs du Haut-Canada.

« L’Hon. Proc.-Gén. Macdonald—Ecoutez! écoutez!

« L’Hon. M. Holton—Juste 25 pour cent.

« L’Hon. A.A. Dorion—Oui, exactement 25 pour cent. Ensuite, nous aurons pour la Nouvelle-Ecosse, 10 conservateurs, de l’île du Prince-Edouard, 4 de plus, et 4 de Terreneuve. Ainsi, nous aurons 18 conservateurs des provinces d’en-bas, lesquels, ajoutés à 36 du Canada, formeront 54 conservateurs contre 22 libéraux, en supposant que les 10 conseillers du Nouveau-Brunswick seront tous libéraux. Maintenant, en supposant que la moyenne des décès s’élève à trois pour cent par année, il faudra près de 30 ans pour amener un changement dans le caractère de la majorité du conseil, en supposant que toutes les additions qui y seront faites soient prises dans les rangs libéraux. Mais cela ne sera guères possible. Dans quelques unes des provinces d’en-bas, il y aura de temps à autre des gouvernements conservateurs, et il pourrait aussi y avoir parfois un gouvernement conservateur en Canada, (écoutez! et rires), en sorte que la génération actuelle passera certainement avant que les opinions du parti libéral puissent prévaloir dans les décisions du conseil législatif.

M. A. Mackenzie—Cela ne fait pas de différence!

« L’Hon. A.A. Dorion—L’hon. membre pour Lambton dit que cela ne fait pas de différence! L’hon. membre est prêt à tout accepter, mais pour ceux qui ne sont pas si bien disposés, voici quelle est la différence: c’est que nous allons être liés par cette constitution qui permettra au conseil législatif d’entraver toutes les mesures de réforme qui seront désirées par le parti libéral. Si l’hon. membre pour Lambton pense que cela ne fait pas de différence, je me permettrai de différer d’opinion avec lui, et je pense que le parti libéral en général différera aussi. Le gouvernement dit qu’il lui a fallut introduire dans le projet certaines dispositions qui ne lui plaisaient pas, afin de s’entendre avec les délégués des provinces d’en-bas, et qu’il s’est engagé envers elle à faire adopter le projet par la chambre sans amendement. L’hon. membre ne voit-il pas qu’il y a une différence maintenant? Si les deux Canadas étaient seuls intéressés, la majorité ferait ce qu’elle voudrait, examinerait minutieusement la constitution, en ferait disparaître toutes les dispositions qui ne lui conviendraient pas, et une proposition comme celle relative au conseil législatif n’aurait aucune chance d’être adoptée,—il y a trop peu de temps que cette chambre a voté, par une écrasante majorité, la substition d’un conseil électif à un conseil nommé par la couronne.

« De fait, la chambre nommée par la couronne était tellement tombée dans l’opinion publique,— […]

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[…] je ne dis pas que ce fut la faute des hommes qui la composaient,—mais toujours est-il qu’il en était ainsi et qu’elle n’exerçait pas assez d’influence. Il était même difficile d’y réunir un quorum. Un changement était devenu nécessaire, et à venir jusqu’à aujourd’hui, le système électif a bien fonctionné; les membres élus sont égaux sous tous les rapports aux membres qui étaient ci-devant nommés a vie. Eh bien! c’est juste au moment où l’intérêt commence à s’attacher aux procédés de la chambre haute, que l’on va changer sa constitution pour revenir à celle que l’on a condamnée il y a encore si peu de temps. J’ai dit revenir à l’ancienne constitution. Je me trompe, M. l’Orateur, on va substituer a la constitution actuelle une constitution pire que l’ancienne, et telle qu’il est impossible d’en trouver ailleurs une semblable. »

Voilà donc l’explication de l’énigme; voilà donc pourquoi l’union fédérale ne vaut rien.’ Sans nous, point de pays; ce n’est plus la doctrine du  » périsse la patrie plutôt qu’un principe, » mais celle du  » périsse la patrie plutôt qu’un parti. » C’est moins absurde, mais c’est moins noble, et si ce n’est pas cynique dans les mots, ce l’est indubitablement dans les idées. (Ecoutez!)

Quoi! il faudrait repousser tout progrès, toute force et toute grandeur nationale dans l’avenir, uniquement parce qu’un parti, qui s’est usé dans ses excès presqu’en naissant, ne croirait pas apercevoir, dans l’ordre de choses nouveau, un chemin certain pour monter au pouvoir!

Mais est-ce notre faute a noms si ses doctrines et ses actes ne sont pas en accord avec le sentiment du pays et si celui-ci s’obstine à le repousser. (Ecoutez!)

L’Hon. député d’Hochelaga espèrerait plus pour son parti dans la confédération des deux Canadas seulement.

Il sera dit, sans doute:  » Dans ce  dernier ordre de choses l’accroissement de la représentation haut-canadienne aurait augmenté la majorité radicale du Haut-Canada, et cette majorité unie à la petite minorité, à. laquelle je commande, m’aurait mis en position de gouverner le Bas-Canada, comme je l’ai déjà fait, contre sa volonté et malgré mes déclarations d’autrefois. » Ou il nous croit bien aveugles ou il doit s’attendre qu’en plaçant ainsi la question au point de vue des partis, il ne réunira autour de lui que ceux qui, en dehors de tout sentiment national, le suivent quand même. (Ecoutez!) Mais cet extrait que je viens de lire nous conduit tout naturellement à la question du conseil législatif électif, auquel l’hon. député d’Hochelaga donne une grande supériorité sur le principe de la nomination.

Tout à l’heure il nous disait que les conseillers nommés par la couronne étaient tombés en décrépitude et avaient perdu le respect public. Maintenant, pour nous prouver qu’il est logique, il nous dit:

« La chambre des lords, toute conservatrice qu’elle soit, se trouve tout à fait à l’abri de toute influence populaire, il est vrai. Mais le nombre de ses membres peut être augmenté sur la recommandation des aviseurs responsables de la couronne, s’il en est besoin, pour assurer le concours des deux chambres ou pour empêcher une collision entre elles. La position que ses membres y occupent établit une espèce de compromis entre l’élément populaire et la couronne. Mais la nouvelle chambre de la confédération formera un corps parfaitement indépendant—ses membres seront nommés à vie, et leur nombre ne pourra pas être augmenté! Combien de temps fonctionnera ce système sans amener une collision entre les deux branches de la législature? Supposons le cas où la chambre basse se composerait en grande partie de libéraux, combien de temps se soumettra-t-elle à la chambre haute, nommée par des gouvernements? « 

Veuillez bien remarquer, M. le PRÉSIDENT, que l’ancien conseil législatif possédait précisément le même mode d’existence que la chambre des lords, et que la couronne pouvait l’augmenter au besoin.

Elle l’augmenta, en 1849, ici, comme elle menaça d’augmenter la chambre des lords en 1832. (Ecoutez!)

Veuillez remarquer encore que c’est précisément ce contrôle de la couronne sur la chambre haute que l’hon. député trouvait si fatal à la législation avant 1856.

Mais il est une manière plus rationnelle d’apprécier le rôle que joue la chambre des lords dans la constitution britannique.

On ne nie pas au souverain le droit abstrait d’augmenter, à. volonté, la chambre des lords; mais il ne l’a jamais exercé que pour récompenser les hommes qui se distinguent par de grands services nationaux, dans la politique ou dans l’armée: et quand, en 1832, GUILLAUME IV conféra à Charles GRAY le terrible pouvoir de submerger le corps représentatif de la grande noblesse territoriale, c’est que le pays marchait sur la pente rapide de la révolution, et qu’il ne restait au souverain que deux alternatives: celle d’amoindrir la valeur morale de la chambre des lords, ou de voir son propre trône voler en éclats sous ses pieds. (Ecoutez!) Pour convaincre la chambre que je n’exagère pas, je vais lire un extrait de l’histoire d’Angleterre par LINGARD. (Tome VI, pages 686 et 687.)

  •             (p. 573)

« On sait combien la justice et le sens commun étaient blessés par le système électoral d’Angleterre, où tel rocher, telle mâsure, tel hameau appartenant à des familles nobles, envoyaient des députés au parlement, où des villes de cent mille habitants n’y étaient pas représentées, où des corporations de vingt ou de trente individus avaient le droit d’élire pour de grandes cités, etc. Tout cela était la conséquence d’un ordre social basé sur le privilége, et où la propriété était maîtresse de tous les pouvoirs. Réformer le système électoral c’était donc attenter, non-seulement à la constitution, mais à la société. Aussi, les torys firent- ils une résistance désespérée. Leur attitude était telle, que le ministère fit prononcer la dissolution du parlement (11 mai 1831),—mesure qui fut accueillie avec joie par la nation. Des élections nouvelles furent faites, et donnèrent une majorité ministérielle. Le bill de réforme fut adopté par les communes; mais les lords le rejetèrent à quarante-et-une voix de majorité. Ce résultat fut accueilli dans les trois royaumes par la plus vive agitation. Des pétitions furent adressées de toutes parts, qui demandaient la conservation du ministère et une création de pairs; des associations se formèrent pour la réforme; des désordres graves éclatèrent à Londres, à Bristol, à Nottingham, etc.

« Le parlement fut prorogé, et, à sa réouverture, (6 déc.) le bill de réforme fut de nouveau présenté avec quelques changements. Les communes l’acceptèrent: les deux premières lectures furent adoptées par les pairs; mais la troisième fut ajournée, encore Wellington et soixante-quatorze pairs firent-ils une protestation. L’agitation devint universelle; les associations, les rassemblements, les pétitions prirent un caractère menacant; tout se prépara à une insurrection armée; jamais l’Angleterre n’avait présenté un tel spectacle. Cependant, le ministère avait demandé au roi une création de pairs pour changer la majorité de la chambre haute, il éprouva un refus et donna sa démission (9 mai 1832). Wellington et ses amis furent chargés de former un ministère; ils l’essayèrent vainement pendant sept jours. Toute la nation était sur pied; des armées entières se formaient; des émeutes éclataient partout; la vie des principaux torys était menacée; et la chambre des communes semblait disposée à soutenir un mouvement qui aurait renversé et le gouvernement et l’aristocratie. Le roi appela le ministère GREY, et la troisième lecture du bill fut présentée à la chambre haute. Alors les torys sachant que le cabinet était décidé à faire une création illimitée de pairs pour avoir la majorité, s’abstinrent d’assister à la discussion, et le bill fut adoptée 116 voix contre 22 (4 juin). Aussitôt le parlement fut dissous; des élections nouvelles furent faites d’après la nouvelle loi électorale, et le 5 février 1833, s’ouvrit le premier parlement réformé. »

Ce devait donc être une véritable révolution que cette création annoncée de cent nouveaux pairs, révolution aussi réelle que celle qui menaçait le trône. Et croit-on que s’il prenait fantaisie, un jour, à notre conseil législatif fédéral de se placer obstinément et systématiquement en obstacle sur le chemin de la volonté nationale, affermie par l’épreuve et arrivée à sa maturité, il ne serait emporté par la tempête révolutionnaire comme menaçait de l’être la chambre des lords, en 1832?

Ce conseil, limité dans son nombre, parce que les provinces tiennent expressément à y maintenir l’équilibre, sans lequel elles n’eussent jamais consenti à l’union; ce conseil, sortant du peuple et vivant de sa vie, de ses besoins, de ses aspirations et de ses passions mêmes, dans une mesure tempérée, résistera moins, la raison nous le dit, parce qu’il sera moins puissant socialement et poitiquement; résistera moins à la volonté populaire, en Amérique, où elle est si forte, si prompte et si active, que ne peut le faire la chambre des lords en Angleterre, où la grande masse de la nation est inerte, parce qu’elle ne possède pas de droits politiques.

L’Hon. député d’Hochelaga nous a aussi parlé du sénat élu de la Belgique qui, dit-il, fonctionne admirablement.

Mais voyons un peu le mode constitutif de ce sénat et les motifs qui ont présidé à son organisation.

L’on trouve ce qui suit, en note, au-dessous de (l’article 53, de la Constitution Belge, section 2 du sénat) dans le  » Droit Public et Administratif » de M. HAVARD, tome 1er:

« 89. Elus par les citoyens. Trois opinions principales partageaient le congrès sur la question du sénat; la seconde voulait le sénat nommé, avec ou sans conditions, par le chef de l’Etat; la dernière voulait aussi le sénat, mais élu par la nation. Ces deux dernières opinions firent admettre l’existence de cette chambre, mais il fut difficile de fixer la majorité sur le mode de nomination des sénateurs. Parmi les membres qui voulaient le sénat, le plus grand nombre soutenaient la nomination par le roi, comme plus en harmonie avec la nature de l’institution; mais ceux qui ne voulaient qu’une seule chambre élue directement, s’étaient, en désespoir de cause et pour rendre plus populaire une institution qu’ils accusaient de l’être trop peu jointe aux partisans des sénateurs élus et nommés sans l’intervention du pouvoir royal, cette opinion prévalut. Le sénat et son mode d’existence ne furent ainsi le résultat, ni d’une opinion, ni d’une même majorité.

« La section centrale proposa, à la majorité de 16 voix contre 4, la nomination par le roi sans présentation et en nombre non limité. La question fut discutée aux séances des 15, 16 et 17 décembre. La nomination par le roi fut rejetée par 96 contre 77; deux opinions principales partageaient encore les partisans de l’élection: les uns voulaient la confier aux colléges électoraux ordinaires, les autres aux conseils ou états provinciaux. Nous voulons, disait M. BLARGNIES en proposant le dernier mode d’élection, un pouvoir neutre qui puisse prévenir les dangers qui pourraient résulter de la […]

  •              (p. 574)

[…] prépondérance du chef de l’état, ou de la chambre élective; il est donc nécessaire que ce pouvoir n’émane ni des mêmes éléments que la chambre élective, ni du chef de l’Etat. Confier l’élection à une classe particulière, disait-on d’autre part, c’est créer des électeurs privilégiés à double vote et introduire chez nous tous les inconvénients de cette division des électeurs qui vient d’être abolie en France. Les conseils provinciaux ne doivent, d’ailleurs, être que des corps administratifs. Le système de l’article LIII fut adopté par 136 voix contre 40. L’opinion qui ne voulait qu’une chambre, et par conséquent qu’un mode d’élection, détermina la majorité. »

Ainsi donc, la constitution de ce sénat a été un compromis comme celle du gouvernement fédéral des Etats-Unis.

Mais allons un peu plus loin:

Pour pouvoir être élu et rester sénateur il faut, entre autre chose:  » Payer en Belgique au moins 1000 florins d’impositions directes, patentes comprises. »

Ce dernier dispositif de la constitution Belge n’est-il pas cent fois plus conservateur que tout ce que condamne l’hon. député dans le projet de la convention?

Quoi! nul homme ne peut être sénateur, en Belgique, sans payer $500 d’impositions directes, en sus de tous les impôts indirects et les contributions municipales et locales de tous les noms! Et l’hon. député d’Hochelaga appelle cela une chambre populaire! N’y a-t-il pas que les puissants par la fortune, la propriété et les titres, qui peuvent y arriver? (Ecoutez! écoutez!)

L’Hon. A.A. Dorion—Quel est le cens électoral des électeurs de la chambre des représentants de la Belgique? N’est-il pas beaucoup plus élevé qu’ici?

L’Hon. M. Cauchon —Il est le même pour les deux chambres. C’est un argument contre l’hon. député, car, si dans un pays comme la Belgique, où il y a un mendiant sur quatre individus, on a trouvé qu’il était nécessaire d’élever autant le cens électoral, et, pour les sénateurs, le cens d’éligibilité, c’est une preuve qu’il a mal choisi ses exemples; c’est une preuve que les tendances de la Belgique étaient conservatrices. Pourquoi suivrions-nous un autre chemin en Canada, où il n’y a pas un mendiant sur 1,000 individus.

L’Hon. M. Evanturel—L’hon. député de Montmorency me permettra-t-il de l’interrompre dans son argumentation au sujet des attributions et de la nomination des conseillers législatifs qu’il discute on ce moment? Comme lui, je suis parfaitement d’opinion que l’élément conservateur doit nécessairement être la base de la constitution du conseil législatif, pour contrebalancer l’élément populaire. C’est la l’idée qui a présidé à la constitution de la chambre des lords en Angleterre et à celle du conseil législatif de la Belgique, comme à celle de tout gouvernement représentatif bien organisé. C’est cet élément conservateur que je veux voir introduire dans la constitution de la confédération que l’on nous propose, mais l’hon. député de Montmorency me permettra de lui faire remarquer que tout son argumention ne s’applique qu’à l’antagonisme qui peut survenir entre les deux chambres de la législature dans un gouvernement monarchique comme celui de la Belgique, qui n’est pas basé sur un système fédératif tel que celui que le gouvernement nous propose aujourd’hui;—mais nous n’avons pas seulement à éviter les conflits qui peuvent surgir entre l’élément conservateur et l’élément populaire, il faut encore sauvegarder les droits des différentes provinces qui doivent faire partie de la confédération projetée. C’est là pour nous la question vitale. Nous avons accordé le principe de la représentation basée sur la population dans la chambre des communes il gouvernement fédéral,—ce qui est certainement un grand sacrifice;— mais nous ne devons faire cette concession importante qu’à la condition que nous aurons l’égalité de représentation dans le conseil législatif, et le droit de nommer nous-mêmes nos 24 conseillers législatifs, afin qu’ils soient responsables à l’opinion publique de la province et indépendants du gouvernement fédéral. Sans cette garantie essentielle, je dis que les droits du Bas-Canada sont en danger. Pour ma part, je suis prêt à céder pour le Bas-Canada le droit d’élire directement ses 24 conseillers législatifs, quoique la conservation du principe électif serait peut-être le plus sûr moyen de sauvegarder ses institutions; mais je voudrais que la nouvelle constitution que l’on nous propose nous donnât des garanties suffisantes que les conseillers législatifs nommés à vie seront au moins choisis par le gouvernement local du Bas-Canada, lequel serait responsable au peuple. Ce sont là des craintes légitimes que je voudrais voir dissiper. J’attire l’attention spéciale de l’hon. député de Montmorency sur ce point, qui est de la plus haute importance pour nous, Bas-Canadiens, et j’espère qu’il me pardonnera de l’avoir interrompu, et qu’il pourra me faire une réponse de nature à dissiper les craintes que j’ai […]

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[…] entendu manifester à ce sujet.

L’Hon. M. Cauchon—L’hon. député ne m’a pas compris; mon but n’est pas d’attaquer le système représentatif de la Belgique, parce qu’il est conservateur; au contraire, je trouve qu’il est un argument en ma faveur, puisque le cens d’éligibilité y est tellement élevé qu’à peine s’en trouve-t-il un sur six mille qui puisse y aspirer au poste de sénateur.

Les partis n’ayant pu s’entendre lors de la révolution de 1830, et la pairie héréditaire ou celle à vie n’ayant pu prévaloir, on a adopté, en dehors de cela, le principe le plus conservateur possible: la grande propriété.

Tous les hommes qui ont écrit des constitutions, théoriques en pratiques, n’ont jamais oublié d’y placer des contre-poids pour arrêter, d’un côté, une législation trop précipitée et trop peu mûrie et, de l’autre, l’envahissement du pouvoir exécutif.

C’est le conseil législatif qui est appelé à jour le rôle conservateur dans notre constitution et qui devra tempérer la législation trop ardente et trop pleine de l’effervescence du dehors qui lui viendra de la chambre des Communes.

Mais, lorsque l’opinion publique se sera mûrie dans les obstacles et que les réformes demandées seront rationnelles et arriveront en leur temps, il n’y a pas de danger que la législation qui les représentera soit arrêtée dans sa marche, car le peuple, comme celui de l’Angleterre en 1832, se lèverait, dans sa majesté et dans sa justice, et les obstacles qu’il trouverait sur son chemin seraient emportés par la tempête. (Ecoutez! écoutez!)

L’Hon. A.A. Dorion—C’est là précisément qu’est le danger.

L’Hon. M. Cauchon—C’est le danger que rencontrait la chambre des lords, en 1832, mais personne n’a l’idée d’affronter jusqu’au bout un pareil danger. Mais l’hon. député du comté de Québec nous dit, si je le comprends bien, que nous n’avons pas assez de garanties pour le Bas-Canada, dans la nomination des conseillers législatifs.

Le choix du conseiller législatif n’a pas de rapport avec la question que nous examinons dans le moment, à savoir: si la nomination, par la Couronne, est ou n’est pas préférable au principe électif. Mais, pour lui répondre, je lui dirai que le projet qui nous est soumis me semble clair. Suivant ce projet, les candidats au conseil législatif seront recommandés par les gouvernements locaux et nommés par le gouverneur-général; et c’est dans cette distribution des attributs que les combinaisons seront bonnes et faites conformément au désir et au sentiment des provinces.

L’Hon. A.A. Dorion—Les premières nominations seulement seront faites de cette manière, mais non celles qui viendront après.

L’Hon. M. Cauchon—Les premières nominations seront faites par les gouvernements actuels et les conseillers fédéraux seront pris dans les conseils législatifs actuels jusqu’à l’accomplissement du nombre voulu, 24, tant qu’il s’en trouvera qui veuillent accepter et qui aient la propriété d’éligibilité.

La convention a promis, dans le projet même, de respecter les droits de l’opposition, et tout gouvernement qui manquerait à un engagement aussi solennel mériterait de perdre la confiance publique. (Ecoutez!) Je le répète, du reste: la manière de nommer les conseillers n’affecte en rien le principe conservateur de la nomination, sur lequel doit reposer la constitution du conseil législatif.

L’Hon. A.A. Dorion—Lorsque j’ai parlé, je n’ai pas envisagé la question au point de vue sous lequel l’hon. député du comté de Québec le fait maintenant. Cet hon. député, si je l’ai bien compris, dit qu’il n’y a pas, dans le projet de constitution du conseil législatif fédéral, de principe conservateur qui garantisse que les provinces seront représentées dans ce conseil. En effet, il a raison. Si l’hon. député de Montmorency veut y faire attention, il verra que les premières nominations doivent être faites par les gouvernements actuels. Ainsi, le gouvernement du Canada, celui du Nouveau-Brunswick, celui de la Nouvelle-Ecosse, nommeront les conseillers législatifs, mais ensuite ce sera le gouvernement fédéral qui fera les nominations.

L’HON. député du comté de Québec a donc raison d’en tirer la conclusion qu’il n’y a pas de garantie que les vues des provinces seront respectées. Mais moi, j’ai envisagé la question sous le point de vue du pouvoir même que l’on donne aux conseillers législatifs. Je disais qu’en les nommant à vie et en limitant leur nombre, c’était créer une autorité absolue qui se trouverait tout-à-fait hors du contrôle du peuple et de l’exécutif lui-même; que le pouvoir de ce corps serait tellement grand qu’il pourrait toujours empêcher toute reréforme, s’il le voulait, et qu’un conflit entre […]

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[…] les deux branches de la législature serait inévitable et sans remède.

Le danger de créer un pareil pouvoir est précisément celui d’être obligé de le briser s’il résiste trop longtemps aux vœux populaires. En Angleterre, il n’est pas besoin de briser l’obstacle offert parfois par la chambre des lords, parce que la couronne, pouvant nommer de nouveaux pairs, peut par là surmonter l’obstacle. Ici, il n’y aura pas moyen de le faire, quand le nombre de conseillers sera fixe. J’ai donc envisagé la question au point de vue des pouvoirs donnés aux conseillers législatifs, tandis que l’hon. député du comté de Québec, lui, craint que le gouvernement puisse choisir des hommes qui ne représenteraient pas l’opinion publique des provinces,—et que, par exemple, il pourrait choisir tous des membres d’origine française ou anglaise pour représenter le Bas-Canada, ou les prendre tous dans une classe d’hommes qui ne représenteraient pas la province pour laquelle ils seraient nommés, et qui n’offriraient aucune garantie pour la conservation de ses institutions.

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—Il est évident que l’hon. député d’Hochelaga n’a pas lu les résolutions, mais moi, je les ai lues. Le Bas-Canada se trouve placé dans une position particulière. Nous avons deux populations dont les intérêts sont distincts sous le rapport de la race, de la langue et de la religion. Il s’agissait, dans la préparation du travail de la confédération de Québec, de ménager ces deux intérêts et de doter le pays d’une constitution qui allierait l’élément conservateur à l’élément démocratique, —car le faible des institutions démocratiques pures est de laisser tout le pouvoir à l’élément populaire. L’histoire du passé prouve que c’est un mal. Pour que les institutions soient stables et fonctionnent harmonieusement, il faut avoir une force de résistance à opposer à l’élément démocratique. Aux Etats-Unis, la puissance de résistance n’existe pas dans le sénat, ni même chez le président. L’hon. député d’Hochelaga dit que l’objection de l’hon. député du comté de Québec est bien fondée parce que le gouvernement fédéral pourra nommer tous des Anglais ou tous des Canadiens—Français connue conseillers législatifs pour le Bas-Canada. Si l’hon. député avait lu les résolutions, il aurait vu que les nominations des conseillers législatifs devront être faites d’après les divisions électorales qui existent actuellement dans la province. Eh bien! je demande s’il est bien probable que l’exécutif du gouvernement fédéral,—qui aura un chef pour le Bas-Canada comme aujourd’hui,—je demande s’il est bien probable qu’il recommandera la nomination d’un Canadien-Français pour représenter des divisions comme Bedford ou Wellington, par exemple…

L’Hon. J.S. Macdonald — Vous serez dans la minorité dans le gouvernement fédéral.

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—Est-ce que je ne suis pas dans la minorité, aujourd’hui, pour la nomination des juges? Et, cependant, quand je propose la nomination d’un juge pour le Bas-Canada, est-ce qu’il n’est pas nommé? Est-ce que l’hon. député de Cornwall (M. J. S. Macdonald), quand il était dans le gouvernement, a jamais cherché à s’immiscer dans les nominations recommandées par l’hon. député d’Hochelaga? Aujourd’hui, quand il s’agit de nommer un juge-en-chef ou un juge puisné pour le Bas-Canada, je me trouve entouré de collègues dont la majorité est anglaise et protestante; mais est-ce que cette majorité ose intervenir dans mes recommandations? Non; pas plus que nous, Bas-Canadiens, n’intervenons dans les recommandations de mon hon. ami le procureur-général du Haut-Canada pour les nominations aux emplois dans le Haut-Canada. Il y aura, dans le gouvernement fédéral, un leader pour le Bas-Canada, et pensez-vous que les autres ministres oseront intervenir et s’immiscer dans ses recommandations? Mais on dit que je serai en minorité! Je le suis aujourd’hui, comme je le suis depuis huit ans…

M. Geoffrion — Vous avez l’égalité entre les deux provinces.

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier — Oui, nous avons l’égalité, mais pas comme race ni comme religion. Quand le chef du Bas-Canada aura 60 membres de sa section pour l’appuyer, et s’il commande la majorité des Canadiens-Français et des Bretons du Bas-Canada, ne pourra-t-il pas défaire le gouvernement si ses collègues interviennent dans ses recommandations? C’est là notre garantie. Aujourd’hui, si l’on me faisait une opposition déraisonnable, mon remède serait de briser le gouvernement en me retirant, et la même chose aura lieu dans le gouvernement fédéral.

L’Hon. A.A. Dorion—l’hon. membre aura le pouvoir de se retirer du gouvernement; mais, comme il y aura alors assez de […]

  •             (p. 577)

[…] membres anglais pour que l’on puisse se passer de lui, on le laissera sortir et on ne s’en occupera pas.

L’Hon. M. Cauchon— L’hon. député d’Hochelaga m’a fait une question à propos de la constitution du conseil législatif, et a dit qu’il n’avait pas envisagé la question, dans son discours de l’autre soir, au même point de vue que l’hon. deputé du comté de Québec; il a parlé, lui, des conservateurs comme parti, et sa crainte n’est pas que la chambre haute ne soit pas assez conservatrice, mais qu’elle le soit trop.

L’Hon. A.A. Dorion — Je l’ai considérée aux deux points de vue: celui de l’intérêt des partis et par rapport au pouvoir que cette chambre basse exercerait à raison de sa constitution.

L’Hon. M. Cauchon—Je n’ai pas vu ces deux points de vue, je n’en ai vu qu’un seul; c’est toujours la même idée sous des formes différentes.

Il a dit que, lors même que la chambre serait toute libérale, la chambre haute resterait composée de conservateurs; voilà sa crainte.

Il a longtemps qu’il cherche à faire prévaloir ses idées démocratiques, mais il est évident qu’il n’y réussira pas.

Mais je reviens au véritable point de vue de l’hon. député, qui est sa crainte de voir périr son parti. Aujourd’hui, les partis disparaissent et se fondent ensemble pour faire place à d’autres qui naissent des circonstances. Au Nouveau-Brunswick, des conservateurs s’unissent au gouvernement libéral pour faire triompher la confédération, et on n’y voit plus aujourd’hui que les partisans et les adversaires de l’union, comme en 1788, on ne voyait aux États-Unis que les artisans de la souveraineté de l’Etat et ceux de l’autorité fédérale.

La même chose se voit dans la Nouvelle-Ecosse. C’est là du véritable patriotisme et de la dignité chez les hommes publics; il est seulement malheureux qu’on ne suive pas cet exemple ici.

M. Geoffrion—Ecoutez!

L’Hon. M. Cauchon—L’hon. député de Verchères dit « écoutez! » N’est-il pas vrai que l’opposition vote comme parti dans cette circonstance? Si non, veut-il me nommer un seul membre de l’opposition qui ne vote pas contre la confédération?

L’Hon. J.S. Macdonald—Ecoutez!

L’Hon. M. Cauchon—L’hon. député de Cornwall dit « écoutez! écoutez! » Il peut bien parler ainsi, lui qui n’a jamais eu de parti.

Il est arrivé au pouvoir, personne ne s’y attendait; il en est parti, tout le monde s’y attendait: il n’y reviendra plus, tout le monde s’y attend! (Rires prolongés.)

Je lui dois le respect parce qu’il est mon aîné dans cette chambre, mon aîné de trois ans. Il est vrai qu’il n’y a pas toujours représenté le même comté, son frère l’ayant fraternellement chassé de Glengarry et l’ayant forcé à chercher refuge dans le bourg-pourri de Cornwall! (On rit.) Mais bien que nous ayons eu le malheur de nous trouver presque toujours dans des camps différents, nous n’en sommes pas moins restés bons amis. (On rit!)

Je ne veux pas aborder la question au point de vue des partis, parce que les partis meurent, et que dans trente ans nous ne savons pas si les partis actuels existeront. Nous ne devons considérer la question qu’en elle- même et dans son mérite propre; c’est-à- dire, nous devons placer dans la constitution un contrepoids qui empêche toute législation trop hâtive et arrête, dans sa marche, tout gouvernement qui voudrait aller trop vite et trop loin; c’est-à-dire, un corps législatif qui puisse protéger le peuple contre lui-même et le protéger contre le pouvoir. (Ecoutez!)

Jamais, en Angleterre, la Couronne n’a essayé d’amoindrir la chambre des lords par la submersion, parce qu’elle comprend que la noblesse est son boulevard contre les agressions de l’élément démocratique.

La chambre des lords, par sa puissance, par sa propriété foncière et son énorme richesse, est un plus grand obstacle à l’envahissement démocratique que tout ce que l’on pourrait jeter sur son chemin en Amérique.

En Canada, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, il n’existe point de castes comme en Europe, et le conseil législatif fédéral, bien qu’immuable dans son nombre, parce que tous les hommes qui en feront partie sortiront du peuple, sans en sortir comme les membres de la chambre des communes, ne sera pas choisi dans une classe privilégiée qui n’existe pas.

Ici, tous les hommes se ressemblent et sont égaux; et s’il existe une différence entre eux, elle se trouve uniquement dans l’industrie, l’intelligence et l’instruction de ceux qui ont le plus travaillé ou que la providence a le plus doués. (Ecoutez!)

  •             (p. 578)

Il y a longtemps, que les privilèges de caste ont disparu de ce pays. La plus grande partie de notre ancienne noblesse a laissé le Canada à la conquête et la plupart des nobles qui sont restés se sont éteints dans l’inertie: Aussi, qui voit-on arriver aux plus hautes positions de l’Etat? les enfants des pauvres, qui sentent le besoin d’étudier et qui montent en s’aidant de l’intelligence et du travail.

‘Tout ici est démocratique, parce que chacun peut arriver à tout avec une noble ambition. Les conseillers législatifs nommés par la Couronne ne seront donc pas socialement des êtres supérieurs aux membres de la chambre des communes, ils ne devront leur élévation qu’à leur mérite propre. Ils vivront du peuple et avec le peuple comme nous.

Comment se ferait-il donc que n’ayant sur nous que l’avantage de n’être pas élus, ils ne subiraient pas, dans une légitime mesure, l’influence de l’opinion extérieure?

Il y a des hommes qui ont assez de patriotisme pour désapprouver tout ce qui se fait dans leur pays

C’est un triste travers de l’esprit humain! S’il y avait eu autant de danger pour le parti libéral dans l’union que vous le dites, est-ce que M. Tilley, le chef du gouvernement libéral du Nouveau-Brunswick, homme si plein de prévoyance et de jugement? Est-ce que l’hon. député de South Oxford, votre ancien chef, dont vous ne nierez pas, sans doute, le talent et l’expérience, l’auraient acceptée? (Ecoutez! écoutez!)

Mais voyez plutôt ce qui se passe, en ce moment même, au Nouveau-Brunswick et à la Nouvelle-Ecosse: ce que l’on est convenu d’appeler le ticket électoral fédéral se compose de six candidats pour la ville et le comté de St. John, N. B., et, dans la Nouvelle-Ecosse, M. TUPPER, le chef d’un gouvernement conservateur, et MM. ARCHIBALD et McCULLY, deux des chefs du parti libéral, se tiennent résolument par la main pour combattre pour la confédération. (Ecoutez!)

Il faut être bien peu prévoyant pour ne pas voir que cet ordre de choses nouveau produira des combinaisons nouvelles comme en produisit la constitution américaine de l788, où les citoyens et les hommes publics se rangèrent en deux camps pour y rester: le camp des partisans de l’unité nationale, et celui de la souveraineté des États.

N’ayons donc pas d’inquiétude sur l’avenir des partis. Que fait au pays, du reste, la place que nous occuperons, l’hon. député d’Hochelaga et moi, dans la nouvelle constitution? Que lui fait que nous y soyons en haut ou en bas, les premiers ou les derniers, les vaincus ou les vainqueurs, pourvu qu’il y soit heureux et qu’il y trouve le bonheur, la grandeur, la puissance et la prospérité dans le libre développement de ses ressources et de ses institutions!

Les adversaires de la confédération ne veulent pas de l’union des provinces au point de vue de la défense militaire.

Deux et deux feront toujours quatre, disent-ils, et, en unissent les populations des diverses provinces, vous ne donnerez pas plus de force à chacune contre l’ennemi commun, à moins, nous réplique facétieusemeut l’hon. député de Lotbinière, que vous ne fassiez un traité avec lui par lequel il s’engagera à ne nous attaquer que sur un point à la fois pour nous permettre de l’y rencontrer avec toutes nos forces.

Oui, deux et deux font toujours quatre; oui, vous avez raison; la guerre des États- Unis avec l’Angleterre, dans notre condition coloniale, nous exposerait aux attaques de l’ennemi sur tous les points vulnérables des diverses provinces.

Mais, d’abord, l’union impose le chemin de fer intercolonial, et le chemin de fer, que n’affectionnent pas démesurément les deux chefs annexionnistes de l’opposition, permettra à l’Angleterre et aux provinces de transporter rapidement leurs troupes des parties les plus extrêmes du pays vers les points menacés du territoire national.

Sans le secours des chemins de fer, comment NAPOLÉON III eût-il pu jeter, en quinze jours, 200,000 hommes dans les plaines de l’Italie pour y battre les Autrichiens à Magenta et à Solferino et y remporter l’une des victoires les plus glorieuses et les plus sanglantes des temps modernes.

Mais, dans l’état avancé de notre civilisation, de notre commerce et de nos industries; mais, avec tant d’éléments de grandeur, avec des sources de prospérité et de fortune si prodigieuses, avec une population de près de quatre millions déjà, devons-nous être si peu ambitieux que de ne pas même aspirer aller un jour prendre place au banquet des nations?

Est-ce que nous serons éternellement colons et l’histoire du monde offre-t-elle des exemples d’une sujétion éternelle? (Ecoutez!)

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Ce n’est pas, pour ma part, que je ne me sente parfaitement heureux et fier sous ce glorieux drapeau qui abrite en sûreté cent cinquante millions d’âmes.

Ce n’est pas que je ne me sente pas libre, comme l’oiseau dans l’espace, sous l’égide puissante de l’empire britannique; plus libre mille fois que je ne le serais, tout en m’appelant citoyen, dans les serres de l’aigle américain. (Ecoutez!)

Mais, il ne faut pas se le cacher, nous sommes attirés par deux centres d’attraction; les idées opposées qui se produisent et qui se font la guerre jusque dans cette enceinte l’attestent suffisamment.

Tout nous dit que le jour  » l’émancipation nationale ou de l’annexion aux Etats-Unis approche, et, pendant que les hommes d’état de tous les partis, les plus autorisés de l’empire, nous avertissent affectueusement de nous préparer pour la première, quelques- uns de nos hommes publics nous poussent sans cesse vers la seconde, en propageant des idées républicaines, et en essayant, par tous les moyens possibles, d’assimiler nos institutions à celles de la république voisine

Si nous restons isolés, qu’arrivera-t-il au moment de la séparation d’avec la mère-patrie, car ce moment viendra, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas?

Chaque province formera un état indépendant, et, comme attaquer l’une ce ne sera plus attaquer les autres, parce que nous ne serons plus les sujets d’un même empire, les Etats-Unis s’ils les convoitent, les devoreront tour à tour dans leur isolement, suivant, en cela, la tactique si savante des Romains, en Asie, en Europe et en Afrique; des Anglais dans l’Inde, et, en Europe, du plus prodigieux guerrier des temps modernes, NAPOLÉON. (Ecoutez!)

Je comprends que les annexionnistes insistent pour le statu quo et pour l’isolement; mais les autres seraient aveugles s’ils les écoutaient, car la raison leur commande de s’organiser pour se trouver prêts quand le danger viendra (Ecoutez!)

Si nous sommes quatre millions aujourd’hui nous serons probablement huit millions et plus alors, avec des moyens proportionnels de défense et des alliances que nous trouverons, dans le besoin, chez les puissances européennes, qui voudront maintenir dans des bornes le développement trop considérable de la nation qui se débat aujourd’hui dans les horreurs de la guerre civile. (Ecoutez!)

On ne veut pas non plus de confédération, parce qu’il faudra dépenser pour la défendre. Mais ceux qui nous parlent ainsi sont-ils logiques? si deux et deux ne faisaient pas plus de quatre tout-à-l’heure, pourquoi feraient-ils cinq maintenant? Si chaque province, prise isolément, était obligée de dépenser pour organiser la défense de son territoire, pourquoi la réunion de toutes ces dépenses, dans la confédération, serait-elle plus considérable que la somme des mêmes dépenses autrement additionnées?

Serait-ce parce qu’une seule organisation devrait être nécessairement moins coûteuse que six organisations distinctes?

L’Hon. député d’Hochelaga a exagéré le chiffre de la dépense de la confédération comme il exagère toute chose; comme il exagérait et travestissait, l’autre jour, les paroles de l’hon. président du conseil. (Ecoutez! écoutez!)

M. Geoffrion—Et à part cela il faut payer les provinces maritimes pour qu’elles entrent dans la confédération.

L’Hon. M. Cauchon—Cette question viendra naturellement en son temps. Mais il n’en est pas moins vrai que toutes les provinces entrent dans l’union sur le pied de l’égalité, puisque leurs dettes se trouvent équilibrées et que, pour les fins de l’union, elles sont strictement assises sur les chiffres de la population de chacune d’elles. L’hon. député d’Hochelaga a dit, à une époque antérieure, je l’ai déjà cité, « que les provinces maritimes ne voudraient pas de notre alliance parce que nous étions trop endettés. » Maintenant, il ne veut pas de leur alliance parce qu’il craint ne nous ayons à payer pour elles.

Aujourd’hui que les dettes se trouvent parfaitement égales, eu égard au chiffre de la population, et que la convention les a ainsi égalisées pour asseoir la confédération sur la justice, les provinces du littoral atlantique consentent à l’union.

L’Hon. A.A. Dorion—Quelles sont ces provinces?

L’Hon. M. Cauchon—Je veux parler du Nouveau-Brunswick et de Terreneuve, et je suis convaincu que la décision de ces deux provinces influera suffisamment sur la Nouvelle-Ecosse pour la décider à entrer dans la confédération.

Les journaux de la Nouvelle-Ecosse, même les plus hostiles au projet, avouent que cette province ne peut rester dans l’isolement; aussi, attend-t-elle le résultat des élections du Nouveau-Brunswick pour prendre un parti.

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En attendant, ces feuilles font d’incroyables efforts pour engager le Nouveau-Brunswick à refuser la grande confédération parce qu’elles en veulent une autre plus petite, celle des provinces maritimes seulement.

Il est un autre motif qui déterminera la Nouvelle-Ecosse à accepter le projet de la convention de Québec, si le Nouveau-Brunswick s’y déclare favorable, c’est que le débarcadère du chemin de fer intercolonial serait placé à St. Jean au lieu de l’être à Halifax; or, que deviendrait la Nouvelle-Ecosse dans cet isolement? Elle ne le voudra donc pas; ses écrivains et ses hommes d’état le déclarent positivement.

Quant à nous, nous avons besoin d’un débouché sur l’Atlantique et nous ne pouvons l’avoir que par la confédération. (Ecoutez! écoutez!) Pour ceux qui tiennent à un autre ordre d’idées, je conçois que cette considération ne soit pas aussi importante; car eux veulent poser leur débarcadère sur un autre point du littoral Atlantique.

Je sens que j’ai déjà parlé longtemps et il me reste encore quelques points importants du projet à examiner; je n’entrerai donc pas dans des calculs de chiffres pour prouver l’extravagance et l’absurdité de ceux de l’hon. député d’Hochelaga, aimant mieux, du reste, les laisser aux mains plus habiles et plus puissantes de l’hon. ministre des finances. Je me contenterai de lui dire, et cela suffira pour moi comme pour la chambre et pour le pays, que j’aime mieux la confédération, avec ses perspectives de dépense, que l’annexion aux Etats-Unis, avec une dette réelle de bientôt trois milliards, et d’une taxe annuelle de cinq cents millions de piastres.

La section 34 du paragraphe 32 du projet, se lit ainsi:

« L’établissement d’une cour générale d’appel pour les provinces fédérées. »

Quel est le but, que sera le caractère de ce tribunal? Voilà deux questions que se posent naturellement ceux qui ont donné quelqu’attention à la partie du projet relative aux lois civiles et criminelles, et au mécanisme judiciaire.

L’ensemble des dispositifs, qui ont rapport à ce dernier, est aussi complet que peuvent le désirer les partisans les plus ardents de l’unité, tempérée par les quelques exceptions au moyen desquelles les provinces ont voulu abriter, contre toute atteinte, leurs institutions locales.

Pour en convaincre la chambre, il suffit de les lire:

« L’établissement d’une cour générale d’appel pour les provinces fédérées. » 29e paragraphe, section 34.

« 31. Le parlement fédéral pourra créer de nouveaux tribunaux judiciaires et le gouvernement général nommer de nouveaux juges, etc., etc.

« 32. Toutes les cours, les juges et les officiers des diverses provinces, devront aider le gouvernement général et lui obéir dans l’exercice de ses droits et de ses pouvoirs; pour ces objets, ils seront considérés comme cours, juges et officiers du gouvernement général.

« 33. Le gouvernement général nommera et paiera les juges des cours supérieures, dans les diverses provinces, et des cours de comtés, dans le Haut-Canada, et le parlement fédéra1 déterminera leurs salaires.

« 35. Les juges du Bas-Canada seront choisis parmi les membres du barreau du Bas-Canada.

« 37. Les juges des cours supérieures conserveront leurs charges durant bonne conduite, et ne

pourront être déplacés que sur une adresse des deux chambres au parlement fédéral.

« 45. Pour tout ce qui regarde les questions soumises concurremment au contrôle du parlement fédéral et à celui des législatures locales, les lois du parlement fédéral devront l’emporter sur celles des législatures locales. Les lois de ces dernières seront nulles partout où elles seront en conflit avec celles du parlement fédéral.

« 38. Chaque province aura un officier exécutif appelé lieutenant-gouverneur, lequel sera nommé par le gouverneur général en conseil, etc., etc.

« 39 Les lieutenants-gouverneurs des provinces seront payés par le gouvernement général.

« 50. Les bills des législatures locales pourront être réservés pour la considération du gouverneur général.

« 51. Les bills des législatures locales seront sujets au désaveu du gouverneur général durant les douze mois qui suivront leur passation. »

Le but évident de cette organisation c’est de rassurer la minorité protestante du Bas-Canada contre ses appréhensions sur l’avenir; c’est aussi, probablement, dans l’intérêt de l’unité nationale, d’empêcher les parlements et les gouvernements locaux d’entamer les attributs et la législation du parlement central.

La nomination des juges, le véto, la réserve et jusqu’à certaines directions qui s’y lisent dans le projet même, conduisent parallèlement au même but, et doivent nécessairement y atteindre.

A cela je ne vois rien de mal, pourvu que cet engin puissant, en sortant de sa voie, n’écrase pas dans sa marche les choses que l’on s’engage solennellement à respecter et à maintenir à toujours dans leur intégrité.

Je ne suis pas de l’opinion de l’hon. député de Brome, qui croit voir, dans ces dispositifs, que les juges auront deux maîtres à servir à la fois.

  •             (p. 581)

Si le commandement pouvait leur venir de quelque part, ce serait bien de l’autorité féérale, qui seule les nommera, les paiera et pourra les destituer dans certains cas.

Il n’y a pas d’anomalie ici, car tout s’y suit, tout s’y enchaîne et tout s’y harmonise parfaitement. S’il pouvait y avoir quelque chose, ce serait plutôt des dangers.

Cependant, jusque là, je n’en vois pas du côté de l’administration de la justice, la question du véto et de la réserve, au point de vue de la législation, étant chose parfaitement à part et provoquant des considérations d’un ordre différent.

Mais voici le point essentiel sur lequel je désire attirer l’attention de la chambre: parmi toutes les choses qui sont garanties au Bas-Canada dans la constitution, et, dans le fait, à toutes les provinces, sont leurs lois civiles.

Et le Bas-Canada a tellement tenu à son code civil que le projet dit expressément que le parlement fédéral ne pourra même pas suggérer de législation qui l’affecte, comme il lui sera permis de le faire pour les autres provinces.

La raison en est facile à saisir. Les lois civiles des autres provinces sont presque similaires, elles vivent du même esprit, des mêmes principes. Elles ont pris leur origine dans les mêmes mœurs et dans les mêmes idées.

Mais il n’en est pas de même de celles du Bas-Canada, dont les origines sont toutes latines, ou à peu-près, et auxquelles nous tenons comme à un héritage sacré.

Nous les aimons parce qu’elles sont dans nos mœurs, et que nous y trouvons protection pour la famille et pour la propriété.

La convention a compris et a respecté nos motifs à cet endroit.

Cependant, si une cour d’appel générale était ou pouvait, un jour, être placée au-dessus des tribunaux judiciaires de toutes les provinces, sans en excepter ceux du Bas-Canada lui-même, il arriverait que ces mêmes lois seraient expliquées par des hommes qui ne les comprendraient pas et qui grefferaient, involontairement peut-être, une jurisprudence anglaise sur un code de lois françaises.

C’était le spectacle qui nous était offert en Canada, après la conquête du pays, et personne, sans doute, ne serait tenté d’en vouloir la répétition.

Nous avons, il est vrai, le conseil privé de Sa Majesté, tribunal en dernier ressort; mais celui-ci, nous le devons à une force majeure, nous ne l’avons pas nous-mêmes demandé. Et, du reste, il se compose d’hommes d’élite, tous, ou presque tous, profondément versés dans la science du droit romain, et qui, quand ils ont des doutes à l’endroit de quelque point de loi, s’aident des conseils des jurisconsultes les plus éminents de la France.

Le projet de constitution ne parle pas non plus de faire disparaître ce dernier tribunal qui dominera de son caractère impérial, même la cour d’appel que pourra créer, s’il le veut, le parlement fédéral.

Ici, la convention avait des visées nationales; elle prévoyait évidemment pour les jours qui devront suivre celui de l’émancipation coloniale.

Quoiqu’il en soit des intentions des délégués, leur projet ne définit pas les attributs de cette cour fédérale, et, comme il a des appréhensions à cet endroit, je désirerais poser au gouvernement les questions suivantes:

Cette cour d’appel, si on l’établit, sera-t- elle un tribunal purement civil ou constitutionnel?

Ou sera-t-elle civile et constitutionnelle tout ensemble?

Si elle est civile, atteindra-t-elle le Bas-Canada?

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier— La question qui m’est posée par mon hon. ami le député de Montmorency, n’en est pas une à laquelle le gouvernement puisse facilement répondre, parce que le pouvoir donné par cet article, n’est que celui de la création d’un tribunal d’appel à une époque future, et la jurisdiction de cette cour dépendra de la cause pour laquelle elle aura été constituée. L’hon. député a remarqué avec beaucoup de justesse qu’il pourra devenir nécessaire plus tard qu’un pareil tribunal soit institué. Aujourd’hui, les différentes provinces qui doivent former partie de la confédération, ont le même tribunal d’appel en dernier ressort, et aussi longtemps que nous maintiendrons notre connexion avec la mère-patrie, nous trouverons toujours un tribunal d’appel en dernier ressort dans le conseil privé de Sa Majesté; mais, lorsque les provinces britanniques de ce continent seront unies par un lien fédéral, nous devrons avoir un système uniforme et commun concernant les douanes, les lettres de change, les billets promissoires, ainsi que pour les lois criminelles. Ainsi, lorsque nous aurons vécu plusieurs années sons le régime fédéral, l’urgence d’un pareil tribunal d’appel, ayant jurisdiction sur ces différentes […]

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[…] matières se fera sentir, et s’il est constitué, il devra s’étendre aux causes civiles qui pourront surgir dans les différentes provinces confédérées, parce que ce tribunal d’appel devra nécessairement être composé de juges les plus éminents des diverses colonies, des juristes les plus en réputation, d’hommes enfin qui seront profondément versés dans la connaissance des lois de chacune des provinces qu’ils représenteront respectivement. Eh bien! si ce tribunal est appelé, par exemple, à prononcer en dernier ressort sur un jugement rendu par une cour du Bas-Canada, il se trouvera, parmi les juges qui siégeront sur le banc, des hommes parfaitement versés dans la connaissance des lois de cette section de la confédération, et qui pourront faire part de leurs lumières aux autres juges composant le tribunal.

Je ferai observer à mon hon. ami le député de Montmorency, qu’il a amoindri dans ses appréciations les lois civiles du Bas-Canada, et qu’il n’a pas besoin d’avoir aucune appréhension de ce côté. Il ne doit point perdre de vue que si, aujourd’hui, dans le conseil privé de Sa Majesté, les lois du Bas-Canada sont si remarquablement comprises, c’est que le code d’équité, si profondément étudié et si familier aux membres de ce conseil, est basé sur le droit romain comme l’est aussi notre propre code. Tous les juges éminents, soit en Angleterre, dans les provinces maritimes ou dans le Haut-Canada, ont une connaissance approfondie de ces mêmes principes d’équité qui sont identiques à ceux de notre propre code civil. Maintenant, quant à mon opinion personnelle sur la création de ce tribunal, je crois qu’il serait important qu’il ne fût institué qu’un certain nombre d’années après l’établissement de la confédération et qu’il fût composé de juges des différentes provinces, car ce tribunal aurait à prononcer sur des causes jugées par les cours de ces mêmes sections. Je ne saurais dire, non plus, quelles attributions leur seront données par l’acte qui les constituera; le temps seul pourra nous le dire, mais je suis d’opinion, et l’esprit de la conférence de Québec est que l’appel au tribunal de Sa Majesté en conseil privé devra toujours exister, bien que ce tribunal soit institué.

L’Hon. M. Evanturel—Je rends témoignage à la franchise qu’a montré l’hon. procureur général du Bas-Canada en donnant à la chambre les explications qu’elle vient d’entendre, et j’espère que l’hon. ministre me permettra de lui poser une question. La clause 32 donne au gouvernement fédéral le droit de législater sur  » la loi criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle. » Si je ne me trompe, cette clause signifie que le gouvernement général aura le droit d’instituer des tribunaux judiciaires dans les différentes provinces confédérées; j’aimerais beaucoup à être éclairé sur ce point par l’hon. procureur-général du Bas-Canada.

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—Je suis bien aise que l’hon. député du comté de Québec m’ait posé cette question, et je vais lui répondre avec autant de franchise que j’en ai mise à répondre à l’hon. député de Montmorency. Mon hon. ami, en référant à la clause qu’il vient de citer, devra voir que le pouvoir qu’elle donne au gouvernement général est simplement celui de faire exécuter les lois du gouvernement fédéral, et non celles d’aucun des gouvernements locaux.

L’Hon. M. Cauchon—J’ai entendu les explications données par mon hon. ami le procureur-général du Bas-Canada, et je les trouve parfaitement satisfaisantes en ce qui regarde les lois criminelles; car ces lois sont les mêmes, ou à peu-près, dans toutes les provinces.

Pour ma part, je préfère infiniment les lois criminelles anglaises à celles des autres pays; on y trouve plus de protection pour l’individu que dans les lois criminelle de la France, par exemple, dont j’admire, du reste, les lois civiles, le génie administratif et la puissance civilisatrice. (Ecoutez!)

Si le code criminel anglais donne trop de chances au criminel d’échapper, du moins il expose moins la société à condamner l’innocent. On n’y juge que le fait pour lequel l’homme est accusé, et on ne va pas lui demander compte de tout son passé et de ses moindres paroles.

Les lois commerciales sont à peu-près les mêmes dans tous les pays, et l’on peut dire que le code commercial des deux mondes repose sur une ordonnance d’un roi de France. Il n’y a donc aucun inconvénient à ce que les questions commerciales soient, elles aussi, soumises au tribunal d’appel dont il est parlé dans le projet de la convention.

Je suis convaincu que ce tribunal, s’il doit exister jamais, sera composé des hommes les plus éminents des diverses provinces qui étudieront sérieusement les causes qui leur seront soumises; mais la majorité d’entre […]

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[…] eux aura étudié et pratiqué un code de lois civiles différent, bien que la législation du Haut-Canada, par exemple, tende à s’approcher constamment de notre code civil, BLACKSTONE, avec le droit commun national qu’il a voulu créer, n’étant plus aujourd’hui la grande autorité d’autre- fois, et l’Angleterre, comme l’Allemagne, puisant plus à la source du droit romain comme étant la raison écrite la plus parfaite qui existe. Cependant, nous n’en sommes pas arrivés jusque là dans nos provinces et, jusqu’ici encore, le droit anglais se compose plutôt de précédents, de décisions de juges éminents, tels que les lord MANSFIELD, les lord COKE et autres, et puisque le projet de constitution fait une exception en faveur de notre code civil, il serait plus prudent, suivant moi, de laisser les décisions de nos causes aux juges qui ont étudié et pratiqué notre code. Rien encore n’y est écrit dans la constitution et rien n’empêche d’y faire l »exception désirée. (Ecoutez!)

Je sais qu’il peut y avoir à cela des inconvénients et qu’il a fallu ici faire des concessions probablement pour en obtenir d’autres; mais je pense qu’en y réfléchissant l’on se convaincra qu’il y a moins d’inconvénients, pour toutes les parties intéressées, à faire juger les lois par ceux qui les connaissent que par ceux qui les ignorent.

J’arrive maintenant, M. le PRÉSIDENT, à la question du mariage et du divorce:

LE MARIAGE ET LE DIVORCE.

(Section 31 de la 29e clause.)

Le mot divorce a raisonné singulièrement aux oreilles catholiques dans toute l’étendue du Canada, car le catholique, qu’il réside à Rome, à Londres, à Paris, à New York, à Halifax ou à Québec; le catholique ne reconnaît, à aucun pouvoir au monde, le droit de consacrer et de légaliser le divorce. Voilà ce que croit le catholique, qu’il soit souverain pontife, commandant spirituellement à 200,000,000 d’âmes, ou le plus humble des fidèles à peine abrité, par un toit de chaume, contre la tempête et l’orage. Voila ce que je crois et ce que croient avec moi tous les catholiques du monde; mais ici, dans cette enceinte composée de catholiques et de protestants, je sens que j’ai besoin, pour être compris, de parler un autre langage, qui sera entendu de tous, parce qu’il repose sur des principes antérieurs même au christianisme et universellement acceptés. Qu’est-ce que le mariage considéré comme contrat naturel? C’est la formule sociale; c’est, comme j’ai eu occasion de l’écrire ailleurs, le moyen naturel de transmission de la propriété qui est la base de la société, et, disons-le, la société elle-même dans sa constitution. (Ecoutez!)

Si on ne peut pas supposer un corps sans forme, de même on ne peut pas plus imaginer la société sans sa formule, et, en brisant celle-ci, vous brisez la société.

Voilà pourquoi le lien matrimonial doit être indissoluble; c’est lui qui constitue la famille, et, en le détruisant, vous l’atteignez et vous la détruisez. En la brisant vous frappez, du même coup, mortellement, la société; car la famille, c’est son seul fondement, son seul élément composant.

C’est de là, c’est de ces vérités fondamentales que naissent les droits, les devoirs et les lois civiles qui les constatent, les attribuent et les protégent.

Oubliant la loi naturelle et le principe même qui préside à l’existence de la société, j’ai entendu, dans une autre enceinte que celle-ci, des hommes, attendris au récit des malheurs domestiques d’un de leurs semblables, invoquer même la parole du divin fondateur du christianisme, pour se justifier de légaliser le divorce pour cause d’adultère.

Voyons si le langage du Sauveur du monde, qui enseignait ici une doctrine toute sociale, en conservant à la famille son inviolabilité, et qui l’entourait de devoirs pour la rendre plus sainte; voyons si ce langage justifiait cette interprétation:

« Je vous dis que celui qui renverra sa femme, si ce n’est pour cause d’adultère, et en épousera une autre, deviendra adultère lui-même, et celui qui épousera celle qui aura été renvoyée sera adultère aussi. « 

Ces paroles ne sont-elles pas aussi claires que la lumière et ne défendent-elles pas expressément le divorce, puisqu’elles déclarent adultère l’homme qui épouse la femme renvoyée?

Elles permettent le renvoi, la séparation de corps, mais elles défendent expressément le divorce, c’est-à-dire la violation de la famille. (Approbation.)

J’ai dit que ces paroles divines avaient un but tout social; en effet, quel autre but pouvaient-elles avoir? quel autre but que celui de conserver intacte la formule sociale pour la transmission de la propriété? et si elles l’entourent d’une sanction surnaturelle, accompagnée de la perspective de […]

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[…] peines ou de récompenses, c’est pour la protéger davantage.

C’est pour cela que, dans le catholicisme, le mariage, contrat naturel, est élevé à la dignité de sacrement; mais il était inviolable et indissoluble avant cette sanction. (Ecoutez!)

Maintenant, si nous sortons de la considération de ces grandes idées philosophiques et chrétiennes, nous tombons dans le domaine des faits matériels, et nous sommes forcément conduits à distinguer, entre la force et le droit, le pouvoir et le devoir.

L’autorité législative souveraine, comme force majeure, partout, en dépit du droit ou du devoir, a exercé la haute main sur toutes les questions d’ordre social, parmi lesquelles se trouvent le divorce; partout dans l’ancienne Rome, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et en Canada, et force a été aux tribunaux judiciaires et à tous, d’exécuter ses commandements. (Ecoutez!)

Ce pouvoir est inhérent au parlement et s’exerce sans conteste. Notre parlement actuel le possède tout comme le possédaient celui de 74 et celui de 91, et plusieurs d’entre nous ont eu à voter plus d’une fois pour ou contre des bills de divorce.

Les catholiques votaient invariablement contre, ne pouvant nier le pouvoir, mais niant le droit et mettant ainsi leur conscience d’accord avec leurs principes. (Ecoutez!)

Aujourd’hui, ce n’est donc pas la proclamation d’un principe que nous demande le projet de la convention de Québec, mais un simple déplacement de l’exercice d’un pouvoir qui existe malgré nous. (Très-bien.)

Or, en pesant toute chose, les inconvénients et les avantages, je dis, pour ma part, et je crois exprimer en cela la pensée générale des catholiques: Puisque le mal est nécessaire et s’impose, j’aime mieux le voir là qu’ici, là où il aura des conséquences moins graves, parce qu’elles y seront plus gênées dans leur développement et, conséquemment, moins démoralisatrices et moins fatales. (Ecoutez!)

Le mariage se présente ici à nous sous un autre aspect, car c’est le mariage dans ses effets civils.

Le projet attribue les lois civiles et la législation sur la propriété aux législatures locales; or, le mariage, comme contrat civil, fait nécessairement partie de ces lois et j’oserais presque même dire qu’il atteint le code civil tout entier, comprenant, dans sa signification la plus large, tous les actes de mariage, toutes les qualités et les conditions requises pour permettre de contracter mariage, toutes les formalités relatives à sa célébration, toutes ses causes de nullité, toutes ses obligations, sa dissolution, la séparation de corps, ses causes et ses effets, en un mot, toutes ce conséquences possibles qui peuvent résulter du mariage par rapport aux conjoints, aux enfants et aux successions. (Ecoutez!)

Si telle avait été la pensée des délégués, il faudrait autant dire que les lois civiles ne seront pas un des attributs de notre législature locale, et que ces mots:  » La propriété et les droits civils  » ont été placés par ironie dans la 15ème section de la 43ème clause du projet.

Mais j’étais sûr d’avance qu’il ne pouvait pas en être ainsi, lorsque l’hon. solliciteur-général du Bas-Canada a déclaré, l’autre jour, au nom du gouvernement, que « le mot mariage, inséré dans le projet, y exprime l’intention de donner au parlement fédéral le pouvoir de déclarer que les mariages contractés dans l’une des provinces de la confédération, en vertu des lois de cette province, vaudront légalement dans toutes les autres. »

Alors, dois-je comprendre que la partie de la constitution, en rapport avec cette question, sera rédigée dans le sens de la déclaration de l’hon. solliciteur-général, et sera restreinte au cas nommé?

L’Hon. Sol-Gén. Langevin— J’ai fait, l’autre jour, M. le PRÉSIDENT, au nom du gouvernement, la déclaration que vient de mentionner l’hon. député de Montmorency; et qui avait trait à la question du mariage. L’interprétation donnée par moi en cette occasion est exactement celle qui lui a été donnée à la conférence de Québec. Il va sans dire que les résolutions soumises à cette hon. chambre ne renferment que les principes sur lesquels le bill ou la mesure de confédération sera basée; mais je puis assurer à l’hon. député que les explications que j’ai données l’autre soir, relativement à la question du mariage, sont parfaitement exactes, et que l’article de l’acte impérial qui y aura trait sera rédigé d’après l’interprétation que je lui ai donnée.

L’Hon. A.A. Dorion—J’ai cru comprendre, de quelqu’un que j’avais raison de croire bien informé, que cet article avait pour but de protéger les mariages mixtes.

L’Hon. Sol-Gén. Langevin— Pour être mieux compris de l’hon. membre, je vais lui lire la déclaration écrite que j’ai communiquée l’autre soir à cette hon. chambre. Cette déclaration se lit comme suit:

  •             (p. 585)

« Le mot mariage a été placé dans la rédaction du projet pour attribuer à la législature fédérale le droit de déclarer quels étaient les mariages qui seraient considérés commes valides dans toute l’étendue de la confédération, sans toucher pour cela, le moins du monde, aux dogmes ni aux rites des religions auxquelles appartiennent les parties contractantes. »

L’Hon. député d’Hochelaga voudra bien remarquer que j’ai en soin de lire cette déclaration, et, afin qu’il n’y eût pas de doute possible à cet égard, j’ai donné aux rapporteurs le texte même de la déclaration.

L’Hon. A.A. Dorion—J’ai pu me tromper, mais la question sur laquelle j’aimerais à être éclairé par l’hon. solliciteur- général, c’est celle-ci: une législature locale aura-t-elle le droit de déclarer qu’un mariage entre parties ne professant pas la même croyance ne sera pas valable?

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—Est-ce que la législature du Canada n’a pas aujourd’hui le pouvoir de législater sur la matière, et, cependant, a-t-elle jamais pensé à faire une législation comme celle-là. (Ecoutez! écoutez!)

L’Hon. M. Cauchon—Si j’ai bien compris l’explication de l’hon. solliciteur- général du Bas-Canada, ce serait seulement entre les provinces l’application du droit public de nation à nation, c’est-à-dire qu’un mariage contracté légalement dans une province vaudrait aussi légalement dans toutes les autres. (Écoutez!)

L’Hon. A.A. Dorion—Dans ce cas vous n’avez pas besoin de cette clause.

L’Hon. M. Cauchon—Si c’est un principe juste je ne vois pas le mal qu’il peut y avoir à l’écrire dans la constitution, d’autant plus que c’est là le désir des provinces et que nous sommes intéressés, pour notre part, à ce que les mariages contractés en Bas-Canada soient valides dans toutes les parties de la confédération.

Cette déclaration est satisfaisante et rassurante.

Quelques-uns des orateurs, tout imbus des doctrines démocratiques républicaines, ont été jusqu’à nier l’un des principes les plus essentiels et les plus fondamentaux de la constitution britannique, à savoir: que le parlement peut changer la constitution sans des appels spécifiques au corps électoral et sans le recours aux conventions populaires.

Il est évident qu’ils veulent nous mener à la république sociale et au gouvernement et à la législation en plein champ.

Les armées romaines, aux temps de la décadence de l’empire, faisaient et défaisaient les empereurs; mais il ne leur est jamais venu à l’idée de faire des lois et d’administrer l’état. Cela devait être réservé à nos républicains qui sont contre la confédération, parce qu’ils veulent l’annexion aux Etats-Unis, et qu’ils y suscitent tous les genres d’obstacle pour parvenir à leur but. (Ecoutez!)

Ce sont ici des débats inutiles qu’ils provoquent pour gagner du temps; là des pétitions qu’ils couvrent de fausses signatures ou de noms obtenus sous de faux prétextes, et les enfants perdus de la démocratie qui, dans la rue, menacent de l’émente et du gibet tous ceux qui veulent l’union des provinces, et, par elle, en son temps, la monarchie constitutionnelle et le gouvernement parlementaire. (Ecoutez!)

Mais pour ceux qui, comme moi, se meuvent dans un autre cercle d’idées, qui ont d’autres aspirations et ne veulent accepter, pour aucun prix, leur part du fardeau d’une dette de trois milliards et d’un impôt annuel de cinq cents millions de piastres; pour ceux-là, la théorie et la pratique du droit constitutionnel anglais ont seuls de l’attraction. (Ecoutez!)

Ces convictions, chez moi, ne datent pas d’hier. Quand, en 1849, à la suite d’une crise commerciale, qui avait jeté partout le découragement, des marchands ruinés, soupirant après l’annexion, dans laquelle ils croyaient trouver un remède à leurs maux et la fortune qu’ils avaient perdue, adressèrent à la Grande-Bretagne une supplique pour leur permettre de passer, armes et bagages, au gouvernement de Washington, à eux se joignirent les républicains de goût et de principes, parmi lesquels l’on pouvait remarquer les hons. députés de Chateauguay et d’Hochelaga. (Ecoutez!)

La prospérité qui suivit, ramena les marchands à l’affection de la règle britannique; mais les autres restèrent républicains et annexionnistes. Leurs chefs sont là devant nous. Leurs actes les trahissent et, s’il nous était permis de les entendre dans leurs causeries intimes, je suis sûr que leurs paroles les trahiraient aussi.

A peine le mouvement annexionniste venait-il de se faire à Montréal, que les deux mêmes classes d’hommes s’agitaient à Québec et convoquaient une assemblée annexionniste dans l’hôtel Saint-George, où siége aujourd’hui le gouvernement exécutif.

Cette assemblée s’annonça sous de mauvais […]

  •             (p. 586)

[…] auspices; elle fut présidée par un marchand en faillite. C’était le soir, et à la lumière du gaz qu’elle avait lieu.

Un orateur exhalait, à pleins poumons, le républicanisme et l’annexion qui devaient nous donner bonheur et prospérité.

Des citoyens respectables et haut placés, indignés de ce qu’ils voyaient, me conjurèrent de parler et, par un mouvement spontané, me portèrent sur l’estrade.

L’orateur annexionniste, perdant son équilibre, par le choc, pour se tenir debout, saisit le bec de gaz, qui était au-dessus de sa tête, et le rompit. La flamme montant menaçante vers le plafond, l’hôtelier effrayé courut vite à la cave détourner les sources de la lumière, et l’annexion s’éteignit ainsi dans la nuit profonde! (Rires prolongés.)

Les républicains-annexionnistes, la rage dans le cœur, pour se venger, allèrent briser mes vitres.

Il y a de cela tantôt seize ans, et le temps n’a fait que grandir en moi le sentiment qui me faisait agir alors.

Ce n’est ni la haine ni le préjugé qui m’inspirent depuis que j’ai pu lire et réfléchir. Mon opinion est le fruit d’une conviction raisonnée.

Aussi, c’est dans l’histoire parlementaire de la Grande-Bretagne, et non dans celle des institutions américaines, que j’irai chercher la règle de conduite qui devra me guider dans la circonstance.

En 1717, le sol britannique était envahi par le prétendant. Les tories, qui n’étaient pas au pouvoir, mais qui voulaient y monter, précisément comme les hon. députés que je vois devant moi, criaient, comme eux, que l’église et la religion étaient en danger. Et remarquez bien la similitude, ils voulaient faire monter un prince catholique sur le trône. (On rit.)

Les whigs, qui gouvernaient et qui voyaient, dans l’élection prochaine, la certitude de la chute de la dynastie régnante, prirent la détermination de prolonger, sans appel au peuple, de quatre ans la durée du parlement.

Leurs adversaires crièrent, comme les nôtres aujourd’hui, à la violation de la constitution et les accusèrent d’éviter, par un moyen violent, l’appel au peuple, pour se maintenir au pouvoir.

M. Geoffrion—Proportion gardée, il y a plus de protestants que de catholiques en faveur de la confédération.

L’Hon. M. Cauchon—D’abord, il y a beaucoup plus de protestants dans la chambre que de catholiques. Le Haut-Canada étant tout protestant, à l’exception de deux voix, et l’opposition du Bas-Canada se prononçant comme parti contre la confédération, il n’est pas étonnant qu’il y ait proportionnellement plus de protestants que de catholiques pour la confédération. (Ecoutez! écoutez! des bancs de l’opposition.)

Cela me conduit à dire que les institutions catholiques ont été mieux servies par des voix protestantes que par certaines voix catholiques dans la législature. Si le catholicisme a été insulté, c’est principalement par les journaux de l’opposition. (Ecoutez!)

M. Geoffrion—Le Globe, l’organe de l’hon. président du conseil!

L’Hon. M. Cauchon—Oui, le Globe a attaqué les institutions et le clergé catholique; il avait tort, sans doute, et son propriétaire aussi. Mais dans ces moments, et notammant dans une occasion solennelle où l’hon. président du conseil accusait le catholicisme de démoralisse la société, qui est-ce qui lui a répondu longuement, et j’oserais dire victorieusement dans cette enceinte? (Sensation!) J’ai donc le droit de dire: l’hon. président du conseil avait tort de parler et d’écrire ainsi. Il était injuste, mais au moins il était protestant et il était dans ses principes. Cependant, qu’a-t-il écrit comparativement à ce qu’ont fait certaines feuilles de l’opposition catholique, parmi lesquelles l’Avenir brillait au premier rang? Celles-ci ont ressassé l’histoire du monde tout entier, depuis le commencement de l’ère chrétienne, pour en extraire les calomnies de tous les siècles, afin d’en écraser, s’il était passible, les évêques et les prêtres. Elles ont été même jusqu’à jeter de la boue à la figure de l’auguste Pontife qui préside aujourd’hui a l’église universelle; et l’Institut Canadien de Montréal, patrôné par les chefs de l’opposition, que n’a-t-il pas fait? (Applaudissements et mouvement prolongé.)

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier—Et l’Avenir, qui disait que le Pape devait être fait maître d’école.

L’Hon. M. Cauchon—Ah! nous les connaissons ceux qui se font aujourd’hui les défenseurs du catholicisme, ces anciens collaborateurs de l’Avenir; nous savons ce qu’a fait l’Avenir et le Pays aussi en certaines circonstances. (Ecoutez!)

Mais voici ce que l’on trouve dans une grande autorité constitutionnolle, dont les hons. députés ne contesteront probablement pas la valeur.

  •             (p. 587)

Hallam’s History of England, page 589:—

« C’est sur cette désaffection universelle et les dangers généraux du gouvernement établi, quefut fondée cette mesure si fréquemment attaquée dans le passé, la substitution des parlements triennaux aux parlements septennaux. Le ministère jugea qu’ily avait trop de péril pour son maitre pour se permettre une élection générale en 1717. Mais les arguments en faveur du changement, qu’on voulait rendre permanent, furent tirés de sa convenance permanente. Il ne saurait y avoir rien de plus extravagant que cette prétention émise avec confiance quelquefois par les ignorants, que la législature a outrepassé ses droits en décrétant cette loi, ou, si cela ne peut pas être prétendu légalement, qu’il a au moins trahi la confiance du peuple, et retourné à l’ancienne constitution. La loi des parlements triennaux dura un peu plus que vingt ans. C’était une expérience qui, comme on le prétendait, n’avait pas eu de succès; comme toute autre loi, elle pouvait être rappelée en entier ou modifiée a discrétion. Gomme question d’expédient constitutionel, le bill septennal était alors sujet à une sérieuse objection. Tout le monde admettait qu’un parlement subsistent indéfiniment pendant la vie entière d’un roi, mais continuellement exposé à être dissous selon son bon plaisir, deviendrait beaucoup trop indépendant du peuple, et en revanche, beaucoup trop dépendant de la couronne. Mais si sa durée était ainsi changée de trois à sept ans, le cours naturel des entraves suscitées par les hommes au pouvoir, ou quelques circonstances aussi importantes que la présente, pourrait amener de nouvelles prolongations, et, graduellement au rappel entier de ce qu’on avait regardé comme une sauvegarde si importante de sa pureté. Le temps a heureusement mis fin à ces appréhensions, qui ne doivent pas être, pour tout cela, considérées comme déraisonnables. »

Contre ceux qui prétendaient que le parlement d’Angleterre ne pouvait effectuer, sans un appel au peuple, l’union législative avec l’Irlande. WILLIAM Pitt, cette autre grande autorité constitutionnelle, soutint que le parlement avait le droit de changer même la succession au trône, de s’incorporer une autre législature, d’enlever les franchises à ceux qui l’élisent et de se créer d’autres électeurs.

Pour plus de précision, je vais citer un discours prononcé par l’illustre PEEL, le 27 mars 1846, sur la question des céréales. On y trouvera l’opinion de Pitt, de FOX et de° Sir Robert PEEL lui-même, l’autorité constitutionnelle la plus imposante de ce siècle.

Il se trouve dans Hansard’s Parliamentary Debates, 3rd series, vol. 85, pages 224-25 et 26:

« Mais mon honorable ami dit qu’il ne s’y objectait pas parce qu’elle entravait la formation d’un gouvernement de protection, mais parce qu’elle empêchait une dissolution; et mon honorable ami ainsi que quelques autres honorables membres m’ont blâmé parce que je n’avisais pas une dissolution du parlement. Dans mon opinion, aviser une dissolution du parlement dans les circonstances particuliers: où cette question de la loi des céréales se trouvait placée, aurait été forfaire complètement au devoir d’un ministre. Pourquoi serait-il impossible à ce parlement de considérer la proposition actuelle? Après son élection en 1841, ce parlement a passé la loi actuelle des céréales qui a diminué la protection; ce parlement a passé le tarif, détruisant ainsi complètement le système de prohibition concernant les denrées; le parlement a passé le bill des céréales du Canada; pourquoi serait-ce dépasser les fonctions de ce parlement que de considérer la proposition qui leur est maintenant soumise? Mais, pour des considérations beaucoup plus élevées, je ne voudrais pas consentir à une dissolution. En vérité, je suis d’opinion que ç’aurait été créer un  » précédent dangereux » que de déclarer, en qualité de ministre, que la législature actuelle n’était pas compétente pour prendre en considération une question quelconque; c’est là un précédent que je ne voudrais pas établir. Quelque soient les circonstances qui aient pu se produire à une élection, je ne voudrais jamais sanctionner une proposition qui irait à dire qu’une chambre des communes n’est pas compétente pour prendre en considération une mesure nécessaire au bien-être d’une population. Si vous étiez prêts à admettre cette doctrine, vous mettriez en danger les bases sur lesquelles reposent quelques- unes de nos meilleures lois. Mais cette doctrine fut invoquée lors de l’union de l’Angleterre et de l’Irlande, comme elle l’avait été précédemment au temps de l’union entre l’Angleterre et l’Écosse; elle fut chaleureusement maintenue en Irlande, mais elle ne le fut pas dans ce pays-ci par M. Fox. M. SHERIDAN y fut quelque allusion lorsque le message concernant l’union fut promulgué! L’élection du parlement avait eu lieu sans qu’on eut la moindre raison de croire qu’il déciderait que ses fonctions devaient être fusionnées et mêlées avec celles d’une autre législature, savoir: le parlement irlandais; et M. SHERIDAN lui donna cela en passant comme une objection à la compétence du parlement, mais M. Pitt refuta de suite cette objection dans les termes suivants:

« La première objection consiste dans l’allusion que j’ai entendu faire par l’honorable monsieur qui siège vis-à-vis de moi; lorsque le message de Sa Majesté nous a été soumis,—savoir: que le parlement d’Irlande n’est pas compétent pour considérer et discuter la mesure proposée, sans avoir au préalable obtenu le consentement du peuple irlandais ou de ses commettants. Cette question, monsieur, est d’une si haute importance, que je ne dois pas laisser échapper l’opportunité qui m’est offerte sans définir plus explicitement ma pensée à ce sujet. Si ce principe de l’incompétence du parlement de décider de cette mesure est admis, en si l’on maintient que le parlement n’a pas l’autorité légitime de la discuter et de se prononcer, vous serez mis forcément dans la nécessité de reconnaitre le principe le plus dangereux qui ait jamais été reconnu par un pays civilisé. Je parle du principe qu’un parlement ne […]

  •              (p. 588)

[…] peut adopter aucune mesure d’un caractère nouveau, et d’une grande importance, sans en appeler à l’autorité constituante et délégatoire pour des instructions. Si cette doctrine est bonne, voyez jusqu’à quel degré elle pourra être poussée. Si un pareil argument pouvait être avancé et contenu, vous avez agi sans aucune autorité légitime, lors- que vous créâtes la représentation de la principauté de Galles, ou celle des comtés du palatinat d’Angleterre. Chacune des lois passées par le parlement anglais, sans cet appel, soit à sa propre constitution, soit à la qualification des électeurs ou des candidats, soit au point fondamental et important de la succession au trône, a été une violation du traité ou un acte d’usurpation.

« Quoiqu’on ait pu penser de là-propos de la mesure, je n’ai jamais entendu formuler de doute quant à la compétence du parlement de la considérer et de la discuter. Cependant, je défie qui que ce soit de soutenir le principe de ces plans, sans soutenir en même temps que, comme membre du parlement, il a le droit de concourir à défranchiser ceux qui l’ont envoyé en parlement, et d’en choisir d’autres qui ne l’ont pas élu, à leur place. Je suis certain, qu’en principe, il est impossible de soutenir avantageusement, un seul instant, une distinction suffisante; et je ne crois pas non plus qu’il serait nécessaire de m’étendre sur ce point comme je le fais, si je n’étais pas convaincu que jusqu’à un certain degré il se rattache à toutes ces notions fausses et dangereuses sur la question du gouvernement, qui depuis quelque temps se sont trop universellement infiltrées dans tous les pays du monde.

« Pitt maintenait donc que le parlement avait le droit de changer la succession au trône, de s’incorporer avec une autre législature, de défranchiser ses commettants, ou de leur en associer d’autres. Comment est-il possible aujourd’hui à un ministre d’aviser la couronne de dissoudre le parlement, sous prétexte qu’il est imcompétent pour décider ce que ce pays fera de la loi des céréales? Il ne saurait y avoir d’exemple plus dangereux, de précédent plus essentiellement démocratique, si je puis m’exprimer ainsi, que celui de dissoudre ce parlement sous prétexte qu’il n’est pas compétent pour décider sur aucune question de cette nature. On peut donc mettre à ma charge, s’il en est ainsi, que j’ai avisé Sa Majesté de permettre que cette mesure fût soumise au présent parlement. »

Le principe que je soutiens est tellement admis que, lors de la fuite de JACQUES II, en 1688, le parlement anglais, c’est-à-dire les seules deux chambres, déclara la succession vacante et la donnèrent à une dynastie nouvelle.

L’Hon. A.A. Dorion—Ecoutez!

L’Hon. M. Cauchon—Que l’on me comprenne bien, je ne cite pas cet exemple comme une autorité, puisque le parlement, sans sa troisième branche législative, n’était pas complet, mais uniquement pour faire voir jusqu’à quel point le parlement de la Grande- Bretagne a poussé l’exercice de sa grande prérogative. Lors de la maladie de GeorgeS III, comme l’on n’avait pu prévoir le malheur qui arrivait et que, sans l’action du souverain, ni l’administration, qui se fait au nom du roi, ni la législation, qui ne vaut que par le consentement des trois branches de la législature, n’étaient possibles; dans cette position imprévue les deux chambres, à la suggestion des ministres, créèrent un mécanisme qui pût agir durant la maladie du roi, et tout ce qui se fit sous son opération fut loi et regardé comme telle par toute la nation anglaise et tous ceux qui étaient chargés de l’exécution des lois du parlement.

Mais, en sortant de ces circonstances extraordinaires, qui demandaient des remèdes extraordinaires, nous pouvons dire que le parlement au complet a le pouvoir de changer la constitution et même la succession au trône.

Quant à nous, nous n’allons pas si loin, nous demandons simplement au parlement impérial de nous donner une nouvelle constitution; et même ce pouvoir, qu’il a droit d’exercer sans notre consentement, il ne veut en faire usage qu’avec notre assentiment. (Ecoutez!)

Que l’on remarque bien, M. le PRÉSIDENT, que je ne considère ici que la question de pouvoir et de droit: la question de convenance et d’opportunité, c’est autre chose. Nous pouvons bien faire on nous pouvons mal faire d’en agir ainsi; mais, comme nous agissons sous la responsabilité d’un mandat, c’est à nous de décider s’il est utile ou avantageux d’en appeler au peuple dans la circonstance.

Quant aux sentiments de la Grande- Bretagne à notre égard, les événements qui se sont succédés depuis l’Union prouvent qu’ils sont bien changés. En 1840, on nous imposait une constitution contre notre gré et on y consacrait l’injustice à notre égard; aujourd’hui, on attend notre décision pour agir.

Autrefois, l’Angleterre regardait les colonies comme ses marchés à elle et les armait de droits prohibitifs contre le commerce étranger. Aujourd’hui, ils sont ouverts à toutes les nations. Autrefois, c’était le régime despotique et oligarchique que nous possédions, et, depuis 1841, c’est le gouverment parlementaire britannique que le grand économiste TURGOT, plus de soixante ans auparavant dans son admirable livre, conseillait à l’Angleterre de donner à ses colonies. (Ecoutez! […]

  •             (p. 589)

[…] Ainsi, le parlement de la Grande-Bretagne, qui venait de proclamer l’union avec l’Irlande, s’incorpora sa représentation et se constitua, de sa propre autorité, le premier parlement du royaume-uni de la Grande- Bretagne, sans préalablement recourir à une dissolution et à de nouvelles élections.

A la réunion des chambres, l’on procéda à l’élection d’un nouveau président pour les communes, précisément comme à la suite d’une élection générale, et l’on observa toutes les autres formalités qui ont coutume d’accompagner l’inauguration des nouveaux parlements.

Vous trouverez ces détails dans le Parliamentary History, vol. 35, page 857.

Voici une autre autorité que ne voudront pas, celle-là, mettre en doute les adversaires républicains-annexionnistes de la confédération. Elle se trouve aux pages 164, 165 et 166 de Sedgwick on Statutary and Constitutional Law:

« Ce ne sont pas là des questions purement abstraites ou spéculatives. Nous les verrous représenter dans un grand nombre de cas que je suis à la veille d’examiner. En général, la difficulté paraît avoir eu pour cause un défaut de perception lucide quant à la véritable nature de la loi; ou, en d’autres termes, à l’absence de notions décrites quant à la ligne de division qui divise les pouvoirs législatif et judiciaire, sous notre système. J’en viens maintenant à la considération plus détaillée des cas qui se sont produits dans ce pays, où ces questions ont été considérées, et qui, en autant qu’ils y ont trait, tendent à donner une définition pratique au mot loi, et à définir la ligne de démarcation qui sépare le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire. Et, en premier lieu, je parlerai des cas où la législature a cherché à se dépouiller de ses pouvoirs réels. Des efforts ont été faits dans plusieurs cas, par les législatures d’état, pour se débarrasser de la responsabilité de leurs fonctions, en soumettant des statuts au vœu populaire, dans leur capacité primitive. Mais on a déclaré et avec raison que ces procédés étaient essentiellement inconstitutionnels et sans aucune validité. Les devoirs de la législation ne doivent pas être exercés par la masse du peuple.

« La majorité gouverne, mais d’après la forme prescrite seulement; l’introduction de pratiques de ce genre enlèverait tout moyen d’empêcher une législation précipitée et imprudente, et diminuerait considérablement les avantages du gouvernement représentatif. Ainsi, un acte pour établir des écoles libres et dont les termes exigeaient qu’il fût soumis aux électeurs de l’état et ne devînt loi qu’au cas où il serait adopté par une majorité des électeurs, fut considéré à New-York comme un procédé entièrement nul. La législature, a dit la cour d’appel, n’a pas le pouvoir de faire une pareille soumission, et le peuple n’a pas non plus le droit de se lier en votant sur ce bill. Il a volontairement abandonné ce pouvoir lorsqu’il a adopté la constitution.

« Le gouvernement de cet état est démocratique; mais c’est une démocratie représentative, et, en passant des lois d’une nature générale, le peuple n’agit simplement que par l’entremise de ses représentants dans la législature. Et dans la Pennsylvanie, à propos du statut concernant l’accise, la même doctrine sévère et salutaire a été appliquée. Dans quelques-unes des constitutions d’état plus récentes où cette règle fait partie de la loi fondamentale. Ainsi, dans l’Indianna, ce principe est incorporé dans une disposition de la constitution, qui investit de l’autorité législative le sénat et la chambre des représentants, et déclare  » qu’aucune loi ne sera passée dont l’effet dépendra d’une autorité autre que celle pourvue dans la constitution. » Et, en vertu de ces dispositions, on a maintenu que toute partie d’acte qui a trait à sa soumission au vote populaire est nul et de nul effet. »

L’Hon. A.A. Dorion—En Angleterre, il y a ou sept ou huit actes du parlement qui ont été soumis au vote populaire avant de devenir loi.

L’Hon. M. Cauchon—En Angleterre, on admet que le parlement peut tout faire et même changer les sexes au besoin, suivant la doctrine de l’hon. député de Brome. (On rit.) L’hon. député d’Hochelaga est admirateur des constitutions écrites; je lui cite des autorités qui lui conviennent et qu’il ne devrait pas repousser. (Ecoutez!)

Toutes ces autorités établissent à l’évidence l’incontestable pouvoir du parlement à l’égard de toute question qui peut venir devant lui.

Il ne reste donc plus que la question de convenance et d’à-propos, et cette question là, c’est le parlement seul qui peut la trancher.

En 1717, 1800 et 1846, le parlement britannique la décida sans l’appel au peuple. En 1832, il la décida après l’appel au peuple, agissant, dans toutes ces circonstances, sous la responsabilité constitutionelle de son mandat. Voilà ce ne nous ferons dans cette circonstance difficile, attendant, dans les élections prochaines, l’approbation ou la condamnation de notre initiative. Mais que les adversaires du projet soient bien convaincus que nous comprenons, tout autant qu’eux, toute l’importance du vote que nous allons donner.

En terminant, M. le PRÉSIDENT, je me permettrai de m’adresser à cette chambre pour lui dire: dans un débat aussi imposant et lorsque des destinées si grandes pour l’avenir de toute l’Amérique Britannique du Nord, s’agitent dans cette enceinte, ayons donc le courage de nous élever […]

  •             (p. 590)

[…] au-dessus des passions, des haines, des rancunes personnelles et d’un mesquin esprit de parti, pour permettre à nos esprits de planer plus librement dans la sphère plus large des sentiments généreux, des grandes et nobles inspirations nationales. Nous avons tout ce qu’il faut, tous les éléments nécessaires de grandeur et de prospérité pour fonder un empire en Amérique; mettons-nous donc résolument à l’œuvre, abrités par le drapeau et protégés par l’égide puissante de l’empire qui nous y convie.

(L’Hon. député s’assit au milieu d’applaudissements prolongés et des félicitations de ses amis.)

L’Hon. A.A. Dorion—M. le PRÉSIDENT, considérant que d’après l’hon. député de Montmorency qui vient de s’asseoir, tous ceux qui s’opposent à la confédération sont annexionnistes et des impies, je dois le féliciter d’avoir enfin ouvert les yeux et d’avoir échappé au danger d’être entraîné dans ce gouffre de l’union américaine et peut-être à. quelque chose de pis, (rires), car il n’y a que très peu de temps il se trouvait dans cette mauvaise compagnie de ceux qui sont opposés a la confédération. Il a même écrit tout un livre pour combattre l’union des provinces britanniques de l’Amérique du Nord. (Écoutez! écoutez!) Je suppose qu’alors il ne se considérait pas comme annexioniste et encore moins comme un inspiré, pour la seule raison qu’il repoussait de toutes ses forces, non- seulement la confédération mais encore toute union avec les provinces britanniques de l’Amérique du Nord, sous quelque forme que ce fût. (Ecoutez! Dans ce livre; dont je viens de parler et qu’il a écrit à la fin de 1858, l’hon. député, après avoir décrit les différents systèmes sous lesquels cette union, soit législative ou fédérale, pourrait être proposée, disait:

« Pour nous, nous n’en voulons pas parce que nous ne voulons de l’union sous aucune forme, parce qu’elle atteindra toujours le même but, quelque soit la forme que vous lui donniez. »

Ce but, suivant l’hon. député, était celui « de faire perdre en Bas-Canada le peu d’influence qu’il exerce sur la législation de l’union actuelle. » Il est vrai que l’hon. député a écrit un autre livre depuis. Dans ce livre, il ne voit plus pour le Bas-Canada d’autres dangers que ceux de l’annexion, et il invite tout le monde a faire volte-face, comme il l’a fait, et à le suivre afin d’éviter ses dangers. (Ecoutez! et rires.) Encore une fois, je le félicite de ce qu’il est maintenant hors de danger, et je tâcherai de le suivre avec ces deux livres en main. Comme il est trop tard ce soir, je le ferai à la prochaine séance et, dans ce but, je demande que la discussion soit maintenant ajournée.

L’Hon. M. Cauchon-L’hon. député d’Hochelaga fait allusion aux brochures que j’ai écrites, en 1858 et en 1865, sur la confédération des provinces.

La différence qui existe entre l’hon. député et moi c’est que moi je ne nie pas ce que j’ai écrit, tandis que lui, pour se trouver plus a l’aise dans la discussion, juge a propos de renier tout son passé. (Ecoutez!)

Il est une autre contradiction qu’il est important de signaler. Après avoir dit, jusqu’en 1861, qu’il y avait danger pour le Bas-Canada à ne pas accorder un Haut-Canada soit la représentation basée sur la population ou son substitut, la confédération des deux Canadas, et que la tempête était si menaçante qu’il était plus sage de lui céder que de se laisser emporter par elle, il vient nous soutenir aujourd’hui que tout est calme à l’horizon et que nous n’avons pas besoin de changements constitutionnels! Est-ce qu’il est donc si oublieux des jours de 1858-59—60 et 61?

Pour ma part, M. le PRÉSIDENT, je crois que nous agirions avec plus de dignité et rendrions plus service au pays si nous nous occupions exclusivement de la question en mettant de côté les accusations de contradictions dont personne n’est exempt. (Ecoutez! écoutez!

L’Hon. A.A. Dorion propose l’ajournement des débats a demain soir, à la séance de 7 1/2 heures.

L’Hon. Proc.-Gén. Cartier propose, en amendement, qu’ils soient ajournés a 3 1/2 heures demain, pour être le premier ordre du jour après les affaires de routine.

Après quelque discussion, l’amendement est adopté, et la chambre s’ajourne.

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