Lettre de Premier ministre Trudeau à René Lévesque (4 décembre 1981)


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Date: 1981-12-04
Par: Pierre Trudeau
Citation: Lettre de Premier ministre Trudeau à René Lévesque (4 décembre 1981).
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PRIME MINISTER – PREMIER MINISTRE

Le 4 décembre 1981

Monsieur le Premier ministre,

En guise de réponse à votre télex du 2 décembre 1981, permettez-moi de vous rappeler que c’est vous qui avez signé l’accord des premiers ministres du 16 avril 1981 et que, ce faisant, vous avez abandonné le droit de veto du Québec dans la formule constitutionnelle d’amendement.

En effet, dans le communiqué de presse émis à cette occasion et qui décrivait le sens et l’importance de l’entente, vous avez déclaré avec vos collègues que « cette formule consacre l’égalité juridique de toutes les provinces », et qu’au surplus « cette formule d’amendement est manifestement préférable, pour tous les Canadiens, à celle que propose le gouvernement fédéral, parce qu’elle reconnait l’égalité des provinces au sein du Canada ».

Monsieur René Lévesque
Premier ministre du Québec
Hôtel du gouvernement
Québec (Québec)

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Qu’un premier ministre québécois ait souscrit à pareille affirmation paraîtra aberrant, voire irresponsable, surtout si l’on se rappelle que la formule fédérale que je vous proposais contenait un droit de veto pour le Québec.

Soyons donc clairs. Le 16 avril 1981, votre gouvernement a souscrit au.principe de l’égalité des provinces, et il ne fut pas question à ce moment-là de dualité canadienne, ni même de statut particulier pour le Québec! Si, donc, le Québec devait jouir d’un veto, il faudrait également tenir que chacune des provinces jouit aussi d’un veto. Et la formule d’amendement requerrait alors l’unanimité pour respecter l’égalité des provinces. Mais la Cour suprême, dans sa décision sur le projet de résolution constitutionnelle, a déclaré que l’unanimité n’est pas requise pour procéder à des amendements constitutionnels. Ên conséquence, si les provinces sont égales et que l’unanimité n’est pas requise, il n’existe pas plus de veto pour le Québec que pour les autres provinces. Voilà la position précise que vous avez endossée le 16 avril.

Dans votre télex, vous affirmez que la Cour suprême a réservé expressément son opinion sur le degré de consentement provincial requis en vertu de la convention. Il me semble que ce n’est pas le cas. La Cour a indiqué explicitement qu’il n’était pas de son ressort de déterminer ce qui

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constituait ce degré de consentement. Elle dit en toutes lettres: « Les conventions, de par leur nature, s’élaborent dans l’arène politique et il revient aux acteurs politiques, et non à cette Cour, de fixer l’étendue du consentement provincial nécessaire ».

Compte tenu de ce qui précède, je ne vois pas en quoi est fondée votre demande de suspendre le processus d’adoption de la résolution constitutionnelle jusqu’à ce que les tribunaux se soient prononcés. Car ces mêmes tribunaux nous ont déjà dit de régler cela « dans l’arène politique », et c’est précisément ce que nous avons fait lors de la conférence fédérale-provinciale et lors du débat parlementaire, entre autres.

Je note enfin que, dans votre télex du 2 décembre 1981, vous refusez de répondre aux divers points soulevés dans ma lettre du 1er décembre, tout en affirmant qu’elle contiendrait, à votre avis, de nombreuses « inexactitudes ». Avouez que c’est un peu court comme procès! Jusqu’à ce que vous vous soyez expliqué sur ces « inexactitudes », je continuerai de croire que ma lettre trace un portrait exact des péripéties politiques et juridiques qui ont marqué l’histoire des treize dernières années.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’assurance de mes sentiments distingués.

P.E. Trudeau

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