Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Déclaration d’Ouverture de M. Rene Lévesque(15-16 mars 1983)
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Date: 1983-03-15
Par: René Lévesque
Citation: Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Déclaration d’Ouverture de M. Rene Lévesque, Premier Ministre du Québec, Doc 800-17/033 (Ottawa: 15-16 mars 1983).
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DOCUMENT: 800-17/033
CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES
SUR LES QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES
INTÉRESSANT LES AUTOCHTONES
DÉCLARATION D‘OUVERTURE
DE M. RÉNÉ LEVESQUE
PREMIER MINISTRE DU QUÉBEC
Ottawa
Les 15 et 16 mars 1983
LE PRÉSIDENT: Thank you, Premier Davis. Je donne
maintenant la parole au Premier ministre Lévesque, de la province de
Québec.
Hon. RENÉ LÉVESQUE (Premier ministre de la province
de Québec): Monsieur le président, sauf tout votre respect, je suis
sûr que vous comprenez, ce n’est pas parce que vous nous avez convo-
qués que nous sommes ici aujourd’hui. La seule et unique raison de
notre présence, c’est le respect que nous avons pour les peuples
autochtones d’abord et, avant tout évidemment, pour ceux du Québec et
la solidarité que nous avons décidé, un peu ä nos risques et périls,
de leur manifester après que leurs représentants élus aient demandé
avec insistance que nous soyons présents.
C’est également parce qu’a l’intérieur de certaines
limites que j‘expliquerai dans quelques instants, il nous a paru indiqué
de faire notre part pour que les autochtones, pour que les nations
autochtones ne soient pas traitées de la même manière que l’a été
récemment une nation francaise, dont le Québec est le foyer et la seule
patrie.
Depuis les tout débuts, les Québécois de race blanche
ont entretenu, dans l’ensemble, de meilleures relations que quiconque
sur ce continent avec les autochtones. Ce sont mémeles liens entre
les autochtones et les francophones en provenance du Québec qui ont
contribué le plus à donner naissance à ce peuple distinct, celui des
Métis qui sont représentés aujourd’hui à cette table. Il en fut ainsi
en tout cas jusqu’au siècle dernier, après quoi il y a eu cet éloigne-
ment, cette coupure qui a été créée par l’instauration officielle et
exclusive de la tutelle fédérale avec toutes ces retombées d’isolement,
d’aliénation qu’elle a traînées dans son sillage et que, entre autres,
le chef Ahenakew évoquait tout à l’heure avec une brutale éloquence.
ll y a quelques jours le grand chef des Cris du Québec,
M. Diamond, faisait une déclaration à la dernière conférence prépara-
toire, une déclaration qui, hélas, résume bien ce qui résultait de
tout cela dans l’esprit et dans le coeur de nos concitoyens autochtones.
«For too long, secrecy, duplicity and bad faith have characterized your
governments‘ relations with our governments and peoples.»
Ce jugement lapidaire et largement justifié, le Québec
doit comme les autres en accepter sa part, mais j’ajouterai que sauf
erreur nous avons également été de ceux qui ont tâché plus vite que
d’autres gauchement parfois, mais qui ont tâché d’améliorer et de
corriger un tant soi peu cette situation. Je me permettrai même à ce
propos de rappeler que des les années ’60, dans un autre gouvernement,
celui qui vous parle a été parmi les premiers a s’efforcer avec des
moyens purement provinciaux à aider nos concitoyens autochtones à
s’émanciper quelque peu de cette véritable chape de plomb que leur
imposait cette tutelle d’un autre âge. C’est alors que nous mettions
sur pied, au ministère des Richesses naturelles du Québec, comme on
l’appelait a l’époque, une direction générale du Grand Nord qui était
essentiellement au service des Inuit.
Et ainsi, le Québec, d’une étape à l’autre, est—il
devenu une des premières provinces à vouloir dispenser aux autochtones
des services d’éducation, de santé, de maintien de l’ordre et souvent,
je dirais très souvent, il l’a même fait à ses propres frais; et c’est
pour maintenir le dialogue permanent avec les autochtones tout en coor-
donnant le mieux possible cette action de plus en plus diversifiée que
le Gouvernement actuel a mis sur pied en 1978, un secrétariat aux Affaires
amérindiennes et inuit dont j’ai tenu ä assumer personnellement la respon-
sabilité ministérielle.
J’aimerais citer brièvement quelques autres exemples
de ce que le Québec a fait dernièrement. À la demande des autochtones
eux—mémes, pour étendre dans toute la mesure du possible certains béné-
fices à tous et à chacun d’entre eux, ainsi le Québec a—t—il tenté de
réparer l’injustice qu’on fait subir aux femmes indiennes qui, par l’effet
d’une loi tout bonnement inique, perdent leur statut des qu’elles ont la
malencontreuse idée d’épouser un Blanc, alors que l’inverse n’est pas vrai
c’est—à—dire que ça n’arrive pas à un Indien qui se marie avec une Blanche.
Depuis 1980, le Québec a donc redonné aux femmes qui
sont dans cette situation, pour ce qui concerne en tout cas l’ensemble
de nos propres lois, le statut d’Indienne qu’elles avaient ainsi perdu.
Tous les Amérindiens du Québec d’autre part sont récemment devenus béné-
ficiaires d’exemption sde taxes dans le domaine des communications et de
l’électricité, ce qui constitue, sans que nous ayons été contraints par
quelque engagement, une extension des exemptions qui avaient déjà été
accordées dans le cadre des conventions de la Baie dames et du Nord—Est
québécois.
Ces conventions que je viens d’évoquer, qui étaient
une grande première et qui demeurent le seul événement de cette ampleur
au Canada, c’est sous le gouvernement qui nous a précédés qu’elles furent
d’abord amorcées. En 1975, en effet, était conclue avec les Cris et les
Inuit la convention de la Baie James que, pour notre part, nous avons par
la suite étendue aux Naskapis. La mise en oeuvre de ces conventions
a nécessité depuis lors l‘adoption de plus de vingt lois distinctes et
a impliqué l’octroi de sommes importantes pour le développement des
minorités concernées. Pour nous, ces conventions ont valeur de traités
et, à ce titre, elles ne sauraient être modifiées sans l’accord de nos
partenaires autochtones.
Je souligne aussi que ces ententes couvrent déjà envi-
ron le quart de tous les autochtones qui vivent au Québec. J’ajoute —
et je sais que certains ne seront pas d’accord, peut-être qu’un jour on
y arrivera — j’ajoute que nous sommes convaincus quant à nous, qu’on
aura une meilleure chance d’assurer ensemble, de concert avec elles, le
développement auquel aspirent toutes les communautés autochtones si on
peut prendrela voie de telles ententes comme une formule permanente.
Cela dit, je ne peux pas prendre la parole devant cette
assemblée sans évoquer les événements qui se sont produits lors de la
dernière conférence constitutionnelle, celle de novembre 1981. Je vais
être bref,ce n’est pas le plus agréable des souvenirs. Mais il faut bien
en dire un mot, puisque ce sont ces événements«là qui imposent, par simple
respect de nous—mêmes et de notre propre nation, parce qu’elle existe elle
aussi, qui imposent donc de sérieuses limites à notre participation à
cette conférence. C est cela qui nous fait aujourd’hui une position que
d’aucuns ont qualifiée â juste titre sans doute d’ambigué. Très simple-
ment, le Québec ne reconnaît pas la légitimité du Canada Bill qui sert
maintenant de Constitution au Canada. C’est le résultat d’un coup de
force qui a été consommé en notre absence et dans notre dos. En ce qui
nous concerne, ce Canada Bill ne crée qu’une situation de fait et absolu-
ment pas une situation de droit. Et tant que le Québec n’aura pas été
pleinement rétabli dans ses droits, il refusera de reconnaître cette
nouvelle Constitution.
Les conditions auxquelles nous pourrions la reconnaître
éventuellement, elles ont été clairement énoncées par notre Assemblée
nationale et, si nous n‘avonspas voulu en faire un préalable à cette con-
férence, c’est uniquement, je répète, par souci d’équité et de solidarité
l égard des autochtones du Québec. Ces conditions, il est de mon devoir
es rappeler brièvement.
Premièrement, en lieu et place d’un veto que, paraît—il,
nous n’avons jamais eu et dont très évidemment on ne veut plus entendre
parler, sauf avis contraire qu’on attend toujours, eh bien, alors qu’on
nous accorde cette formule de retrait que d’aucuns autour de cette table
se rappellent sans doute et qui garantirait dans tous les cas pleine et
entière compensation.
Deuxièmement, le rétablissement de droits et de pou-
voirs en matière linguistique. Je comprends nos amis inuit et amérin-
diens quand ils parlent du maintien de leur culture, du maintien de leur
identifié, eh bien nous aussi. Donc, le rétablissement des droits et
pouvoirs en matière linguistique qu’on nous a enlevés et sans lesquels,
je le souligne, le Québec ne serait jamais entré dans la Fédération
canadienne.
Troisiemement, c’est un peu la suprême ironie, au
moment où l’on envisage la reconnaissance constitutionnalisée des droits,
non seulement individuels, mais des droits collectifs, de droits natio-
naux en quelque sorte, des peuples autochtones, et Dieu sait s’ils l ont
longuement et douloureusement méritée cette reconnaissance, bien, de la
même façon, il aurait fallu et il faut qu’on admette également, spécifi-
quement l’existence, l’identité d’une autre nation tout aussi distincte
que n’importe quelle autre et qui est concentrée au Québec et qui y
trouve sa patrie et que le Canada Bill sest permis d’ignorer ?nalement
comme s’il s’agissait d’une simple collection d’individus (et on sait
a quel point l’individu c’est fondamental mais il appartient aussi ä une
commuanuté). On a fait comme s’il s’agissait d’une collection d‘indï
qui n’ont aucun caractère distinct alors qu’en réalité, ils ont un carac—
tèe spécifiquement et complètement national.
Maintenant, je sais que nos amis autochtones peuvent
être déçus, ils nous l’ont dit, du fait que notre présence ici, à leur
demande, ne doive laisser aucun malentendu sur notre attitude à l’égard
du Canada Bill. Quels que soient les résultats de cette conférence, le
Québec n’acceptera de poser aucun geste qui impliquerait une reconnais-
sance méme implicite de ce document constitutionnel, comme j’ai eu l’occa—
sion de l’expliquer aux dirigeants autochtones que j’ai rencontrés, qui
ont forcément trouvé ca insuffisant. Mais nous non plus, on ne se lais-
sera pas abolir. Comme j’ai pu leur expliquer, le Québec, d’autre part,
ne s’objectera à aucune modification constitutionnelle qui n’affecterait
pas encore une fois les droits et les pouvoirs de l’Assemblée nationale
du Québec, aucune modification constitutionnelle qui pourrait être mise
en oeuvre sans la pleine participation du Québec. Et il en est un bon
nombre. Et c’est uniquement si on tient compte de cette position du
Québec qu’on fera vraiment des progrès; si l’on n’en tenait pas compte,
ce serait en réalité comme si l’on jouait un autre jeu que celui de vou-
loir obtenir du progrès. Ces progrès, donc, nous ne pouvons malheureuse-
ment pas y concourir pleinement, parce que nous ne pouvons pas en conscience
accepter de cautionner ainsi un vol de nos propres droits.
Encore une fois, on me l’a dit chez nos interlocuteurs
autochtones, cela a été répété ce matin, on est «tanné» parait—il, on en
a jusque—lä de ces conflits entre Blancs, en particulier entre le Québec
français et l’État fédéral et le reste du Canada anglais. Mais ça aussi,
ca fait partie de ces réalités qui ont été évoquées ä l’ouverture de la
séance, de ces réalités qu’on ne peut pas escamoter. D’ailleurs, en
terminant, je me permettrais de dire aux représentants autochtones qu’ils
feraient bien de se méfier un peu de ce processus de discussion constitu-
tionnelle qui, croyez—en ou ne croyez pas notre vieille expérience québé-
coise, peut recéler une foule de traquenards. Nous avons appris, nous, ä
nos dépens aussi, a quel point la reconnaissance ou même le simple main-
tien de nos droits peuvent être aléatoires des qu’on s’embarque sur cette
voie étroite et semée d’embûches.
Comme je l’ai dit, nous croyons quant a nous, que la
voie des ententes avec les gouvernements provinciaux de bonne foi est et
serait infiniment plus rapide et bien plus prometteuse aussi, parce qu’il
y a la une évolution possible que le processus constitutionnel en général
tend plutôt a bloquer. En tout cas, on me permettra de dire que ça nous
parait évident en ce qui concerne le Québec, puisque tout récemment, notre
gouvernement acceptait formellement de négocier une telle entente avec la”
coalition qui regroupe la plupart des autochtones québécois, quel que soit
leur statut. Nous avons même accepté que ces négociations se fassent à la
lumière d’énoncés qui ont été définis en réponse ä quinze demandes précises
que nous avait formulées la coalition autochtone. il me fera plaisir de
déposer aujourd’hui le texte de ces quinze réponses. Sauf erreur, le
Québec est seul autour de cette table à avoir pris le risque de commencer
ainsi a afficher ses couleurs. Je dis bien risque, parce que même si c’est
un point de départ qui nous semble valable, nous sommes bien conscients
que c’est encore loin d’être parfait, mais c’est mieux, me semble—t—il,
que certaines autres attitudes qui ne visent qu’a, on dit en anglais
«to embroil», c’est—à—dire qu’a méler les cartes.
Quoi qu’il en soit, cette démarche que nous avons entre-
prise pourrait conduire prochainement à la conclusion d’un protocole en
bonne et due forme entre notre Gouvernement et les peuples autochtones du
Québec, de manière à définir de façon précise et définitive et tout aussi
irrévocable que n’importe quel autre enchâssement, les droits fondamentaux,
les conditions de développement et toute la mesure possible de «self—govern—
ment» de ces communautés nationales qui vivent à nos côtés. Merci, monsieur
le président.
LE PRÉSIDENT: Merci, monsieur Lévesque. I now give
the floor… Nova Scotia…