Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Enoncé de principes constitutionnels de la tribu des Gens du sang (15-16 mars 1983)
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Date: 1983-03-15
Par: Gens du Sang
Citation: Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Enoncé de principes constitutionnels de la tribu des Gens du sang, Doc 800-17/035 (Ottawa: 15-16 mars 1983).
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Traduction du Secrétariat
DOCUMENT: 800—17/ 035
CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES
SUR LES QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES
INTÉRESSANT LES AUTOCHTONES
Enoncé de principes constitutionnels
de la tribu des Gens du sang
Assemblée des Premières nations
Ottawa
Les 15 et 16 mars 1983
ENONCE DE PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DE LA TRIBU DES GENS DU SANG
INTRODUCTION
QUESTIONS LITIGIEUSES DANS LES RELATIONS ENTRE LA TRIBU DES
GENS DU SANG ET LE CANADA
PARAGRAPHE 91 (24) DE L’A.A.N.B.: LES INDIENS ET LES TERRES
RÉSERVÉES AUX INDIENS
LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1981, ARTICLE 37
DROITS DES AUTOCHTONES
TRAITÉS
APPLICATION DES TRAITÉS
RÉSERVES
SOMMES PAYABLES EN VERTU D’UN TRAITÉ
ÉDUCATION ET SANTÉ
INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE 35
FEDERALISME COOPÉRATIF
CADRE CONSTITUTIONNEL DU DÉVELOPPEMENT DU DROIT CANADIEN
PRÉSENTE PAR LE CHEF ROY FOX
TRIBU DES GENS DU SANG
STANDOFF (ALBERTA)
15 MARS 1983
ÉNONCÉ DE PRINCIPES CONSTITUTIONNELS DE LA TRIBU DES GENS DU SANG
INTRODUCTION
La tribu des Gens du Sang a toujours existé en tant que
nation. De temps immémorial, nous possédons nos terres, qui s’éten
dent sur des milliers de milles carrés. Nous sommes maîtres de
notre destin religieux, politique, économique et culturel.
Nous sommes les gardiens de cette terre, non pour nousemêmes,
mais pour nos enfants et pour toutes les générations à venir. Il
s’agit là d’une mission sacrée que le Créateur nous a confiée. Nous
avons le devoir de protéger cette mission contre les desseins immé-
diats et peut-être à courte vue de factions et de groupes politis
ques, et contre les gouvernements fédéral et provinciaux. Il ne
nous appartient pas d’exploiter la terre, ni de négocier pour limi-
ter nos droits. Ces derniers appartiennent aux générations futures
et doivent leur être transmis intégralement. Nos ancêtres ont signé
le Traité n° 7 sur la base de l’échange suivant: nous partagerions
le territoire en échange de certains droits supplémentaires. Il ne—
s’agissait aucunement, pour la nation des Gens du Sang, d’aliéner
sa terre. Le gouvernement de la nation du Canada, y compris les
gouvernements provinciaux, ne peut modifier les droits appartenant
à la nation des Gens du Sang.
Nous assistons à cette conférence pour présenter notre point
de vue au gouvernement du Canada. Nous ne reconnaissons à la pré—
sente conférence, ou à ceux qui y participent, aucun pouvoir de
négocier, définir ou limiter nos droits sans notre partipation et
notre consentement exprès. Nous ne reconnaissons pas la compétence
des représentants des gouvernements provinciaux à participer à
toute conférence relative à nos droits. Même les rédacteurs de
l’A.A.N.B. avaient intentionnellement exclus les gouvernements
provinciaux de tout domaine nous touchant. On reconnaissait alors
qu’ils défendaient des intérêts qui pouvaient être contraires à nos
droits et à nos propres intérêts. C’est toujours le cas aujour-
d’hui.
Toute discussion avec le gouvernement central sur la question
de la détermination et de la définition de nos droits ne peut se
limiter À deux jours seulement. Des questions aussi importantes
exigent que les deux parties, la nation des Gens du Sang et le
gouvernement central, s’engagent sérieusement. Il faut établir un
processus permanent, sous la supervision de l’ONU, au cours duquel
le gouvernement central doit apprendre à connaître notre histoire
et notre mentalité. Il ne pourra y avoir de communication signifi-
cative que lorsque vous nous comprendrez vraiment comme peuple. La
différence entre votre interprétation du Traité n° 7 et la nôtre
est un exemple du type de malentendu regrettable que nous avons
connu jusqu’à maintenant.
Toute détermination de nos droits suppose au préalable une
participation entière et significative de notre part. Notre consen-
tement doit précéder toute détermination législative ou constitus
tionnelle de nos droits. Toute action unilatérale de la part du
gouvernement du Canada serait jugée invalide par la nation des Gens
du Sang.
Le gouvernement du Canada a échoué lamentablement dans l’éta
blissement de rapports de bonne foi avec les peuples autochtones.
Nous sommes conscients de l’échec des travaux du Comité conjoint et
de la Fraternité des Indiens du Canada. Nous nous souvenons de la
tentative d’assimilation législative énoncée dans le Livre blanc de
1969. Des fuites récentes faisant état de la stratégie qui consiste
à « embrouiller » les peuples autochtones et les premiers ministres
provinciaux au cours de la présente conférence ne rehaussent en
rien notre confiance en votre bonne foi. Les exemples sont trop
nombreux pour qu’on puisse les mentionner ici. Il faut mettre un
terme à ces tactiques, car dans le cas contraire, nos relations ne
pourront être mutuellement satisfaisantes. Vous êtes les héritiers
des conséquences de l’attitude trompeuse des gouvernements anté-
rieurs à l’égard des peuples autochtones. Voulez—vous perpétuer
cette situation pour vos propres successeurs?
Tout projet de loi en cours touchant directement le statut
futur de nos droits doit être suspendu jusqu’à ce que ces droits
soient définis dans la Constitution. Les politiques gouvernementa—
les, les plans opérationnels, les avis juridiques, les conditions
auxquelles sont assujetties les ententes d’entraide et toutes les
mesures administratives semblables doivent être suspendus jusqu’à
ce que le processus permanent qui doit être établi conduise à une
entente satisfaisante sur l’inclusion de nos droits. La nation des
Gens du Sang doit continuer de recevoir tous les services et les
programmes au cours de ce processus. Fournir moins de services
équivaudrait à du chantage économique.
La nation des Gens du Sang a une histoire unique. Notre réa-
lité actuelle découle de ces circonstances. Nous avons des projets
pour notre avenir. Nous évoluerons à notre propre manière, à notre
propre rythme et conformément aux besoins que nous déterminerons.
Nous rejetons toute tentative de nous étiqueter avec d’autres grou-
pes autochtones. Ces derniers ont aussi leur propre histoire qui
est unique et leur propre avenir, et il serait inopportun de nous
considérer tous comme une seule et même réalité. C’est peut—être la
confusion sémantique provenant de l’étiquette « Indien » qui a induit
le gouvernement canadien en erreur. Soyez assurés que nous ne cons
tituons pas tous le même peuple.
Nous sommes ici pour exposer notre point de vue, et pour éta-
blir avec vous le mécanisme et le calendrier des réunions qui
seront nécessaires pour établir un processus permanent. Les non
Indiens du Canada sont de fait responsables des actions de leurs
ancêtres, puisque leur genre de vie à l’époque actuelle est le
résultat des mesures prises par les gouvernements antérieurs. La
nation des Gens du Sang vit aussi les circonstances présentes en
raison des mesures de ces gouvernements antérieurs. La présente
occasion historique de résoudre équitablement nos différends cons-
titutionnels vous offre la possibilité de remédier aux torts
passés, et d’établir les bases de relations futures pacifiques et
amicales entre nos deux peuples.
Le monde surveille les gestes du Canada en ce domaine. Long-
temps reconnu comme protecteur des droits sur la scène internatio-
nale, le Canada a encore fort à faire pour mettre de l’ordre dans
sa propre maison. Une telle situation porte les autres nations à
mettre en doute votre sincérité.
Ne pas faire preuve de bonne foi dans vos échanges avec nous
n’entraînerait qu’injustice, ressentiment racial et problèmes sans
fin pour les générations à venir.
QUESTIONS LITIGIEUSES DANS LES RELATIONS ENTRE LA TRIBU DES GENS DU
SANG ET LE CANADA
La tribu des Gens du Sang proclame par les présentes la
Déclaration des premières nations.
La tribu des Gens du Sang est depuis toujours un peuple
distinct et, par Les présentes, elle proclame son droit et son
devoir de demeurer un peuple distinct. À titre de peuple distinct,
la tribu des Gens du Sang a des pouvoirs et des devoirs inhérents
qu’elle continue à promouvoir.
La tribu des Gens du Sang entretient avec le Canada une rela*
tion spéciale depuis cent six (106) années. Au cours de ces années,
un certain nombre de problèmes ont surgi À l’égard de cette rela
tion spéciale. En ce moment, le Canada procède à une réforme cons
titutionnelle et la tribu des Gens du Sang juge qu’il s’agit là
d’une excellente occasion pour elle—même et le Canada de régler à
leur bénéfice mutuel les difficultés qui nuisent aux relations qui
sont bonnes à maints autres égards. Par conséquent, la tribu des
Gens du Sang expose par les présentes son point de vue sur un cer—
tain nombre de questions litigieuses qui affectent sa relation avec
le Canada:
1. A.A.N.B., paragraphe 91 (24) Les Indiens et les terres réser-
vées aux Indiens.
La tribu des Gens du Sang soutient que le paragraphe 91 (24)
n’accorde pas au Canada des pouvoirs dictatoriaux à l’égard des
Indiens et des terres réservées aux Indiens. Le fait que les
Indiens et les terres réservées aux Indiens se trouvent sous la
juridiction fédérale signifie tout simplement que seul le gouverne-
ment fédéral, à l’exclusion des gouvernements provinciaux, peut
entrer en relation avec les indiens, au même titre que les affaires
extérieures relèvent de la seule juridiction fédérale et non de
celle des provinces.
La tribu des Gens du Sang juge difficile de concilier le
principe du paragraphe 91 (24) avec la présence des provinces dans
les discussions constitutionnelles entre les peuples Indiens et le
Canada. La tribu des Gens du Sang interprète le rôle des provinces
comme purement consultatif pour le gouvernement fédéral, et non
comme représentatif de gouvernements agissant en leur nom propre.
2. Loi constitutionnelle de 1981, article 37
La tribu des Gens du Sang soutient que l’article 37 traite de
deux (2) questions distinctes: a) la détermination des droits et
b) la définition des droits déterminés. La tribu des Gens du Sang
soutient que deux (2) des droits des peuples indiens ont déjà eté
déterminés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1981,
soit les droits existants – ancestraux et issus de traités. L’ap-
plication de l’article 37 à l’article 35 n’exige que la définition
des droits existants – ancestraux et issus de traités – des peuples
autochtones. Par conséquent, d’autres droits peuvent faire l’objet
de discussions.
3. Droits ancestraux
La tribu des Gens du Sang soutient que par « droits ances-
traux » on entend la reconnaissance et le respect mutuels entre deux
peuples à l’égard de leur terre, de leur culture et de la relation
entre leur terre et leur culture. La terre inclut l’environnement
global, tout ce qui se trouve au-dessus et au-dessous du sol, la
vie animale et végétale, l’air et l’eau. La culture inclut la
langue, la philosophie, la religion, les systèmes économiques,
sociaux, politiques et gouvernementaux de même que les valeurs
sociales.
La tribu des Gens du Sang soutient que ses droits ancestraux
ont toujours existé, qu’ils n’ont jamais été abandonnés, ni alié-
nés, même s’ils peuvent avoir été modifiés de façon très limitée
par des traités. Les termes « les droits existants — ancestraux » de
l’article 35 confirment que telle est également la position du
Canada.
4. Traités
La tribu des Gens du Sang soutient que les traités sont des
ententes solennelles entre deux peuples distincts. Les traités
entre le Canada et les Indiens sont des ententes entre le peuple du
Canada et les peuples indiens. Les traités entre le Canada et les
Indiens sont des ententes portant sur la terre seulement, et non
sur la culture, ni sur le lien entre la terre et la culture. Les
traités ne constituent pas un abandon des droits ancestraux. Les
traités sont des modifications du droit exclusif des Indiens sur
leur territoire autochtone, mais seulement dans la mesure de l’en-
gagement des Indiens à partager leur terre. Les traités ne sont pas
des contrats de vente immobilière. La contrepartie de l’engagement
des Indiens à partager leur terre avec le peuple canadien est
l’engagement pris par le Canada de permettre aux indiens de se
réserver des zones de territoire à leur usage exclusif (des réser-
ves) et de leur fournir une aide économique (sommes payables en
vertu d’un traité), de même que des services gratuits d’éducation
et de santé. De plus, le Canada consentait à ce que les Indiens
puissent continuer à chasser, pêcher, chasser à la trappe et récol-
ter les plantes selon leurs besoins. La liste susmentionnée ne
constitue pas un énoncé exhaustif de toutes les promesses faites
par le Canada dans les traités, mais elle contient les promesses
les plus importantes.
5. Application des traités
La tribu des Gens du Sang soutient qu’elle a rempli sa part
des engagements en vertu des traités conclus avec le Canada, soit
de partager sa terre en se gardant des zones de réserve. Cependant,
le Canada fait piètre figure pour ce qui est du respect de sa par-
tie de l’entente. Le Canada interprète de façon très limitée et
restrictive son engagement en vertu des traités, ce qui est l’une
des causes des relations difficiles entre les peuples indiens et le
Canada. La tribu des Gens du Sang soutient que les traités, qu’ils
soient décrits comme juridiques ou non, lient néanmoins les deux
parties.
À l’égard des principales promesses faites par le Canada, la
tribu des Gens du Sang adopte la position suivante:
a. Les réserves
Les réserves sont la propriété de la tribu en cause. Ce sont
les Indiens qui ont ‘réserve un territoire, et non le Canada.
L’établissement d’une réserve n’est pas la contrepartie absolue du
partage de droits sur les terres situées hors de la réserve et
visées par le traité. Les Indiens continuent à posséder un droit
sur les terres en dehors de leur réserve particulière.
b. Sommes payables en.yertu d’un traité
La tribu des Gens du Sang soutient que les sommes payables en
vertu d’un traité ne sont qu’un symbole de l’engagement du Canada à
aider économiquement les tribus indiennes. Le montant et la valeur
de l’aide doivent être interprétés de façon relative, eu égard aux
circonstances et aux besoins.
c. Éducation et santé
La tribu des Gens du Sang soutient que l’éducation et les
soins de santé gratuits étaient des promesses faites sans condi
tion.
d. Chasse, pêche, trappe et cueillette
Les limitations imposées au traité susmentionné par la juris-
prudence, les lois et les règlements ne respectent pas l’esprit des
traités et devraient être supprimées.
6. lnterprétation de l’article 35
Puisque l’article 35 n’énonce pas que « les droits existants
—- ancestraux ou issus de traités en des peuples autochtones du
Canada sont reconnus et confirmés sous réserve de la jurisprudence,
des lois et des règlements actuelsV, la tribu des Gens du Sang sous
tient que tout le corpus juridique qui, dans le passé, a restreint
les droits existants, ancestraux ou issus de traités, des peuples
autochtones n’est plus applicable et qu’un nouveau corpus juridique
doit être établi par consentement mutuel.
7. Définition du terme « Indien »
La tribu des Gens du Sang maintient son pouvoir inhérent de
décider qui deviendra membre de la tribu. La tribu des Gens du Sang
ne peut continuer À tolérer l’ingérence du Canada dans ce domaine
qui est du ressort des autorités de la tribu des Gens du Sang.
Seules les nations indiennes peuvent déterminer la question de leur
citoyenneté.
8. Fédéralisme coopératif
La tribu des Gens du Sang reconnaît que le Canada aborde le
fédéralisme sur une base coopérative, c’est-À-dire que, même si le
gouvernement fédéral a des pouvoirs et des devoirs particuliers
distincts et différents de ceux des gouvernements provinciaux, les
deux niveaux de gouvernements combinent néanmoins leurs pouvoirs et
leurs devoirs. En théorie, le fédéralisme coopératif apparaît comme
un principe souhaitable et réalisable. En fait, cependant, il sou-
lève bon nombre de problèmes de partage de compétence. Les Indiens
du Canada font les frais de cette confusion juridictionnelle
entraînée par le fédéralisme coopératif. À maintes occasions, les
Indiens et les terres réservées aux Indiens ont fait l’objet de
troc entre les gouvernements fédéral et provinciaux. La tribu des
Gens du Sang soutient que le fédéralisme coopératif supprime i’ob«
jectif et l’esprit de l’A.A.N.B., et du paragraphe 91 (24) en par-
ticulier, et que cette suppression ne peut se poursuivre sans notre
consentement.
9. Cadre constitutionnel du développement du droit canadien
La tribu des Gens du Sang soutient qu’il est difficile de
concilier la notion de constitution avec la notion traditionnelle
de la suprématie du Parlemento En fait, le Canada trompe son peuple
en lui faisant croire qu’il a une forme constitutionnelle de
gouvernement, alors qu’en fait, on ne peut parler de constitution
tant que la suprématie du Parlement demeure une notion opération-
nelle de gouvernement. À défaut de cadre constitutionnel, tous par—
ticipent à la création du droit. Dans un tel système, il n’y a
aucune distinction réelle entre ce qui est constitutionnel, ce qui
est législatif et ce qui est’réglementaire: les trois (3) types de
droit sont considérés sur le même pied et ont le même effet. il
peut arriver, par exemple,-que des règlements dérogent à des droits
constitutionnels. La tribu des Gens du Sang aimerait conseiller au
gouvernement du Canada soit d’adopter une forme constitutionnelle
de gouvernement, soit de maintenir la suprématie du Parlement. Si
la première nypothèse est adoptée par le Canada, il est absolument
nécessaire d’établir un cadre constitutionnel à l’intérieur duquel
le droit canadien pourra s’élaborer. Si cependant, le Canada veut
maintenir la suprématie du Parlement dans sa façon de gouverner,
alors les discussions et les activités constitutionnelles n’ont
aucun sens.