Joseph Cauchon, Étude sur l’Union Projetée des Provinces Britanniques de l’Amerique du Nord (1858)
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Date: 1858
Par: Joseph Cauchon
Citation: Joseph Cauchon, Étude sur l’Union Projetée des Provinces Britanniques de l’Amerique du Nord (Québec: Typographie d’Augustin Coté et Cie, 1858).
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ÉTUDE
SUR
L’UNION PROJETÉE
DES
PROVINCES BRITANNIQUES
DE L’AMERIQUE DU NORD.
(Reproduite du «Journal de Québec.»)
QUÉBEC:
TYPOGRAPHIE D’AUGUSTIN COTÉ ET Cie
1858.
AVANT-PROPOS.
L’on parle beaucoup de la confédération des provinces britanniques nord-américaines, et l’on affirme même qu’un projet de confédération sera soumis aux chambres canadiennes cet hiver. La rumeur ne dit pas si ce sera un projet mûri ou une proposition purement déclaratoire, ou, bien encore, une simple invitation au peuple de méditer la question si grave d’un changement de constitution.
En supposant, toutefois, que cette rumeur soit fondée, le pays a droit de s’attendre qu’on ne le prendra pas par surprise, et que nul changement n’aura lieu sans sa volonté libre et calme. Il ne faudrait rien nous imposer comme on nous a imposé l’acte de l’Union; il faudrait aussi, en demandant un changement, être bien sûr que ce que nous aurons sera meilleur que ce que nous avons, et aussi qu’on donnera ce que nous aurons demandé. Pour notre part, nous craignons les suggestions et les machinations odieuses.
Les vieux lecteurs du Journal de Québec se rappelleront sans peine ce qu’il disait à ceux qui demandaient un changement dans
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la constitution du conseil législatif: «Prenez-garde, leur criat-il, en d’autres termes, qu’en demandant au parlement impérial de mettre la main sur votre acte constitutionnel pour une chose, il ne la mette pour une autre, et n’en fasse disparaître les clauses de justice et de protection pour vous?» Hélas! nous n’avions que trop bien prévu! et aujourd’hui avec une simple majorité des chambres, à l’aide de la seule voix d’un traître, l’on peut changer la condition relative du Haut et du Bas-Canada et détruire cet équilibre constitutionnel sans lequel une province serait la vassale et l’esclave de l’autre. Dieu veuille, cependant, qu’il n’en soit pas ainsi! Dieu veuille qu’il n’y ait pas des traîtres parmi les bas-canadiens, et que les projets des méchants, qui ont porté une main impie sur l’arche sainte de nos droits, soient frustrés par notre union dans le danger?
Il y a déjà plusieurs années que nous annonçâmes l’intention d’examiner la question de l’Union fédérale ou législative des provinces; mais nous nous arrêtâmes court à cette réflexion si sage d’un homme d’état éminent, distingué surtout par son extrême prévoyance: «Prenez garde; vous savez ce que vous avez, mais vous ne savez pas ce qu’on vous donnera.»
Mais, si la rumeur était fondée, cette discussion s’imposerait à nous, bon gré, mal gré, et alors nous l’accepterions comme on accepte une nécessité en tâchant d’en tirer le meuilleur parti possible pour le Bas-Canada.
Dans tous les cas quelques réflexions sur cette union éventuelle ne peuvent pas faire de mal.
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L’UNION DES PROVINCES BRITANNIQUES DE L’AMÉRIQUE DU NORD.
I.
Pourquoi l’Union, et d’où est parti ce cri jeté en pâture à toutes les méditations? Il est parti du fond des provinces atlantiques, parce que celles-ci n’ont rien, ne peuvent rien par elles-mêmes, et qu’elles voudraient tailler leurs budgets dans le revenu du Canada. Mais nulle part il n’a été entendu sur les bords du Saint-Laurent, si ce n’est à Québec, peut-être dans les murs duquel, cependant, il cesserait de retenir du moment où l’on y comprendrait que c’est le Québec matériel qui serait dans la lice cntre le Québec national, contre le pays tout entier. Et, du reste, ce serait manquer d’intelligence, de dignité et de conscience que de se placer à un pareil point de vue pour examiner une question aussi grave et aussi capitale.
Non, le Canada ne demande pas l’union des provinces; mais comme elle pourrait bien nous venir toute fabriquée sous le prétexte que nous la voulons, ou simplement à l’état de projet impérial ou provincial, ou nous être présentée comme thème politique dans l’élection qui ne peut longtemps se faire attendre, il est sage de se mettre sur ses gardes par un examen consciencieux et complet de son but et de ses effets possibles sur nos destinées comme pays.
Suivant nous, toute la question se trouve résumée dans les vingt-sept interrogatoires qui suivent, et dans la solution de ces vingt-sept questions se trouve celle du problème tout entier:
1º L’union sera-t-elle une ou fédérale? Aurons-nous une législature unique pour toutes les provinces ou six législatures sectionnaires, plus une législature fédérale?
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2º Si l’union est dans sa législature, comment y sera répartie la représentation, et le Bas-Canada y sera-t-il mieux protégé que par l’union actuelle?
3º Une législature unique sauvegarderait-elle les intérêts sectionnaires qui ne veulent pas périr?
4º Si l’union est fédérale, les provinces, qui devront en faire partie, conserveront-elles l’intégrité de leurs territoires actuels, ou seront-elles morcelées en des provinces infimes ou découpées pour changer l’équilibre actuel et pour déplacer le centre de gravité politique?
5º Si l’union est fédérale, comment aussi, dans ce cas, sera distribuée la représentation populaire, et quel sera le mode d’être législatif de cette union? Sera-ce celui des Etats-Unis? et si c’est celui des Etats-Unis, quelles garanties donnera-t-il au Bas-Canada?
6º Dans l’état actuel de sujétion législative au parlement impérial, quel serait le but d’un parlement fédéral provincial?
7º Quelles seraient les fonctions de la législature fédérale?
8º Quelles seraient celles des législatures sectionnaires?
9º Comme les provinces unies n’auraient pas, commes les Etats-Unis, d’initiative nationale, de relations avec les puissances étrangères, de marine militaire et d’armée, la législature fédérale y aurait-elle la direction des douanes, le contrôle des finances, du domaine public, de la navigation, de la canalisation et des chemins de fer?
10º Et si c’était une législature fédérale, serait-il possible de donner assez de besogne à celle-ci sans annuler presque entièrement les législatures locales?
11º Avec quoi satisfaire au budjet des gouvernements sec-
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tionnaires? serait-ce avec les taxes prélevées directement sur leurs populations respectives?
12º Les taxes directes sont-elles une nécessité du système fédéral?
13º Le peuple du Bas-Canada voudra-t-il les taxes directes?
14º Quel serait le coût du gouvernement et du parlement fédéraux? Et ceux-ci seraient-ils utiles en proportion de ce qu’ils coûteraient?
15º Quel serait le coût additionnel des législatures sectionnaires?
16º Quels seraient ces avantages au point de vue du budjet par la consolidation des revenus collectifs des provinces unies?
17º Quels seraient, pour le Canada, les avantages commerciaux de cette union législative de toutes les provinces britanniques?
18º Peut-il y avoir pour le Canada dans l’union d’autres avantages commerciaux que la liberté des échanges; et cette liberté des échanges peut-elle s’obtenir sans l’union politique des provinces et sans la consolidation des budjets?
19º Quelles seraient géographiquement les avantages de l’union?
20º Que l’union soit une ou fédérale, quel rôle jouerait l’élément religieux dans le fonctionnement de la constitution nouvelle?
21º Quelles seraient les forces numériques respectives du catholicisme et du protestantisme dans l’union?
22º Dans les conditions actuelles du mélange des catholiques et des protestants sur les divers points des provinces, le catholicisme exercerait-il dans la législature de l’union une influence proportionnelle à sa force numérique?
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23º Quel rôle jouerait dans l’union l’élément national?
24º Quelles y seraient les forces numériques respectives des nationalités?
25º Quelle protection la nationalité française trouverait-t-elle dans l’union?
26º En supposant qu’il n’existe pas dans l’union de contre-poids en faveur des intérêts sectionnaires, le caractère des po- pulations de toutes ces provinces est-il assez identique pour rassurer ces intérêts sur leur avenir et sur le travail du mécanisme général?
27º En supposant que l’union ne fût pas désirable autrement, si nous avions à choisir entre celle-ci et l’annexion aux Etats-Unis, à laquelle de ces deux alternatives faudrait-il donner la préférence?
II.
Comme nous n’avons sous les yeux aucun fait saisissable, aucun projet digéré qui puisse servir de base à la discussion, nous sommes forcément obligé d’asseoir celle-ci sur deux alternatives hypothétiques formulées par l’interrogation : « L’union sera-t-elle une ou fédérale (1°)? »
L’union, avec l’unité législative, vue de certains côtés, serait bien la plus logique. Elle le serait au point de vue : 1º du budget ; 2º du système colonial ; 3º des contre-poids et de l’équilibre américains ; et 4º des résultats immédiats de l’union sous toutes ses formes.
Elle le serait au point de vue du budget, car c’est à peine si ce gouvernement et cette législature pour toutes les provinces coûteraient plus cher que le seul gouvernement et la seule législature actuels du Canada, tandis que la confédération obligerait
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à l’entretien de sept gouvernements et de sept législatures distinctes.
Elle le serait au point de vue du système colonial, parce que, dans ce système, il n’y a rien que pourrait faire la législature fédérale et que ne puisse pas faire chacune des législatures actuelles ; rien non plus qui puisse donner à ce congrès de provinces les attributs imprescriptibles de la législature impériale.
Elle le serait au point de vue des contre-poids et de l’équilibre américains, parce que dans l’unité résident la centralisation et l’indissolubilité ; parce que la centralisation et l’indissolubilité sont deux grandes forces, deux grands principes de vie nationale, l’un d’initiative, l’autre de résistance, l’un d’action, l’autre de cohésion. C’est l’unité seule, l’initiative et la résistance seules dans l’unité, qui nous sauveraient dans l’avenir des griffes de l’aigle. C’est dans son administration centralisatrice, c’est dans l’unité et l’indissolubilité nationales que la France puisait cette prodigieuse faculté de se retremper dans les désastres et de sortir, chaque fois plus formidable, de ces combats de géants que lui livrait l’Europe pour la faire périr. Tout état constitué comme les Etats-Unis d’Amérique périrait en Europe plus facilement qu’a péri la Pologne, où serait comme les états de la confédération germanique, à la remorque tantôt de l’une tantôt de l’autre des grandes puissances qui ont l’unité pour principe d’être. La constitution de la Pologne renfermait un principe de faiblesse, un principe dissolvant; aussi la Pologne a péri. Les États-Unis contiennent aussi un principe de faiblesse, un germe puissant de dissolution; ils ne périront pas à la condition toutefois de rester les plus puissants et les plus fortement constitués de tous les peuples du Nouveau-Monde.
Elle le serait au point de vue des résultats immédiats de l’union. En effet, s’il faut que nous ayons une union quelconque
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de toutes les provinces, et, si le Bas-Canada est destiné à perdre le peu d’influence qu’il exerce encore sur la législation de l’union actuelle, il vaut mieux arriver là par un mécanisme plus simple, moins savant et moins coûteux.
Cette unité législative, l’Angleterre l’établirait de préférence si on lui donnait ses coudées franches, ou s’il lui venait la fantaisie de les prendre. Elle simplifierait considérablement ses rapports administratifs avec ses colonies américaines. Mais celles-ci, nous croyons, la repousseraient parce qu’elles voudraient exister de la vie locale, du moins ostensiblement. Tout en perdant la puissance, elles tiendraient à en conserver les insignes comme ces monarques indiens dont les trônes sont écroulés et les majestés flétries, mais auxquels l’Angleterre pour les consoler donne dérisoirement le titre de roi ; comme ces grecs vaincus qui firent tomber les oiseaux du Ciel par leurs cris formidables de joie et de reconnaissance, en apprenant de la bouche du vainqueur que le peuple romain leur laissait la liberté.
Pour nous, nous n’en voulons pas parce que nous ne voulons de l’union sous aucune forme; parce qu’elle atteindra toujours le même but, quelque soit la forme que vous lui donniez.
III
« Si l’Union est une dans sa législature (2º) » on ne doit pas s’attendre d’y trouver le principe fédéral qui préside à l’union actuelle des deux Canadas, parce que l’Angleterre avait besoin de ce système en 1840, pour nous tenir, nous les plus nombreux, dans la sujétion, et qu’aujourd’hui les majorités sont déplacées et que l’Union de toutes les provinces tendrait encore à les déplacer davantage.
Aujourd’hui elle ne sentirait plus le besoin de donner l’éga-
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lité législative à l’inégalité numérique; elle nous donnerait donc «la représentation basée sur la population.»
Avec le principe fédéral, les petites et les grandes provinces pèseraient d’un poids égal dans la législature unique, la petite isle du Prince-Edouard autant que les douze cent cinquante mille habitants du Bas-Canada. Ce serait donc, sans ses contrepoids, une confédération où nous serions un sur six, tandis qu’aujourd’hui nous sommes un sur deux.
La représentation basée sur la population serait encore préférable, puisqu’elle nous donnerait plus d’un tiers de toutes les voix dans la législature unie, et, dans l’alternative, nous la regarderions comme un bienfait.
Mais « une législature unique,» quelque soit son principe d’être, ne «sauvegarderait» pas «les intérêts sectionnaires qui ne veulent pas périr (3°)» et qui y seraient livrés sans contrôle au caprice ou au mauvais vouloir des majorités étrangères. Le Bas-Canada, existant d’une vie tout exceptionnelle, n’y «serait» évidemment pas aussi «protégé que par l’union actuelle.»
IV
Jusqu’ici il n’a été question que d’une législature unique, une dans la forme, absolue, universelle dans ses effets, assise sur le recensement ou fédérale dans son principe et dans ses résultats ; maintenant il va s’agir de l’union fédérale dans la forme comme dans son essence, d’une confédération qui, tout en constituant une législature générale pour toutes les provinces-unies, conserverait, à chacune d’elles son existence sectionnaire et, dans une certaine mesure, son indépendance et son initiative législatives.
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C’est de cette union dont nous voulons pader quand nous disons : «Les provinces qui devront en faire partie conserveront-elles rintégnté de leurs territoires actuels ou seront-elles morcelées en des provinces infimes ou découpées pour changer l’équilibre actuel et pour déplacer le centre de gravité politique?» (4º)
Si elles corservent leur intégrité territoriale, nous ne serons qu’un contre cinq dans la législature fédérale ; si elles la perdent, ou les petites seront fusionnées entre elles pour en former de plus grandes, ou les grandes seront subdivisées en de plus petites ou refaites pour changer l’équilibre actuel même dans les sociétés divisionnaires.
Si elles conservaient l’intégrité de leurs territoires, la position du Bas-Canada ue serait assurément pas enviable, mais il espérerait au moins trouver son salut dans sa législature divisionnaire, si toutefois on laissait à celle-ci quelque ombre d’initiative et de vie.
Si les petites provinces la perdaient pour être fusionnées et que les grandes demeurassent intactes il n’est pas nécessaire de dire que le Bas-Canada se trouverait mieux représenté dans la législature fédérale que si toutes les circonscriptions territoriales restaient ce qu’elles sont aujourd’hui. Alors au lieu de nous y trouver un contre cinq, nous pourrions bien y être un contre deux.
Si, au contraire, les grondes provinces étaient fractionnées pour en former de plus petites, notre condition serait pire que si tous les territoires actuels étaient respectés, car, au lieu d’un contre cinq, nous serions peut-être un contre huit ou contre dix, selon le vouloir du fabricant impérial.
Si les grandes provinces sont morcelées, elles peuvent l’être pour amoindrir le Bas-Canada, soit au profit d’une province
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qui serait prise, partie dans le Haut et partie dans la Bas-Canada, soit à celui d’une autre province formée d’une portion du Nouveau-Brunswick et d’une portion du Bas-Canada, ou même à l’avantage des deux à la fois, et toujours au détriment de l’élément français.
Si nous posons toutes ces alternatives, c’est qu’elles sont toutes possibles, et que les pires sont les plus possibles de toutes.
Maîtres de la position, nous tâcherions de la fortifier pour l’avenir en construisant une charpente constitutionnelle qui abritât contre le mauvais vouloir les institutions que nous ne voulons pas laisser périr. Cependant un sentiment de justice nous arrêterait court au milieu du travail, nous aurions peur de rétrécir la part d’autrui en fesant la nôtre trop large. Et, du reste, nous jetterions bas l’outil d’impuissance puisqu’on ne peut créer un ordre de choses et lui ôter en même temps son principe de vie.
Eh! puis, on aura beau dire: «Hâtons-nous de prendre nous-même l’initiative pour ne pas la laisser venir d’ailleurs, mûrissons un projet de constitution que nous soumettrons au gouvernement de la mère-patrie, » cela ne déplacera pas les rôles. Nous pouvons prendre l’initiative des suggestions, mais nous n’avons pas celle de la législation. L’Angleterre nous l’a prouvé plus d’une fois; elle nous le prouva d’une manière cruelle quand à notre projet de constitution du conseil législatif elle répondit par le sien, en effaçant de l’acte constitutionnel le seul dispositif favorable au Bas-Canada.
Demander à l’Angleterre de changer la constitution, c’est lui donner raison de la changer dans son sens ou dans celui de nos ennemis.
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De plus, demander l’initiative pour nous, c’est la réclamer pour toutes les provinces ; c’est appeler celles-ci à dire, elles aussi, dans quelles conditions elles veulent l’Union fédérale.
Mais, dans le conflit de toutes ces voix, une seule ne serait pas entendue du haut du trône impérial, parce qu’elle parlerait la langue française. Ce n’est pas un préjugé, c’est l’histoire, l’histoire de nos cinquante ans de souffrances et de mécomptes.
V.
Si l’Union est fédérale, (5°) tout en conservant son essence, elle peut varier beaucoup dans son mode d’existence.
La législature peut y consister en une chambre unique.
Elle peut s’y composer de deux chambres.
La chambre unique peut, comme le sénat fédéral des États-Unis, avoir l’état pour base.
Elle peut, aussi comme la chambre des représentants du même pays, s’appuyer sur le recensement.
Si la législature fédérale se compose de deux chambres, l’une d’elles peut être élective et l’autre nommée par la Couronne.
Elles peuvent être toutes les deux électives.
Si l’une est élective et l’autre nommée par la couronne, quelle sera la formule de la chambre nommée?
Quel principe prévaudra dans la chambre élue?
Sera-ce celui du nombre ou celui de l’état?
Si les deux chambres sont électives, l’une d’elles peut avoir l’état pour base et l’autre le nombre.
Elles peuvent encore être toutes les deux assises sur le recensement.
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Il n’est pas probable que la législature fédérale ne consiste qu’en une seule chambre ; mais si cela était, mieux vaudrait pour nous qu’elle eût le nombre que l’état pour base, parce qu’avec le nombre nous y serions un sur trois, tandis qu’avec l’état nous n’y serions qu’un sur six.
Si la législature se compose de deux chambres dont l’une soit nommée par la couronne, celle-ci peut avoir l’état pour base.
Si elle avait l’état pour base, nous y serions un contre cinq ; si elle n’avait, au contraire, pour mode d’être que le caprice du Souverain, nous devrions craindre un pire sort encore.
Si l’une des deux chambres était nommée par le Souverain, il est plus que probabb que la chambre élective aurait la représentation pour base.
La meilleure des conditions possibles, dans la confédération, serait celle où les deux chambres seraient élues et auraient toutes deux le nombre pour base, car nulle autre, si ce n’est celle d’une chambre unique ayant aussi la population pour base, nous donnerait absolument une voix sur trois dans la législature fédérale.
La constitution des États-Unis, sur laquelle on façonnerait peut-être la nôtre, ne nous donnerait pas, à nous Bas-Canadiens, la même protection et la même garantie de salut, puisque nous n’y serions réellement un peu protégés que dans la chambre des représentants où nous serions un sur trois.
On sait dans quelles circonstances fut adoptée la constitution actuelle des États-Unis et ce que firent Washington, Jefferson, Hamilton et bien d’autres hommes illustres pour amener les colonies devenues indépendantes à l’unité nationale.
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Tous leurs efforts n’aboutirent, cependant, qu’à un compromis entre lie principe fédéral et l’unité : ce ne fut donc pas une constitution parfaite dans la pensée même de ses auteurs.
Ce que ceux-ci avaient prévu, en le déplorant, est arrivé. Dans cette constitution mixte, mi-partie une et mi-partie fédérale, l’indépendance de l’État n’a pas cessé depuis d’être en lutté contre l’unité nationale.
La cour suprême des États-Unis, interprête sans appel de la constitution fédérale, en efface, une à une, les libertés des États au profit de l’unité et de la force nationales.
L’état n’est pas véritablement protégé dans le sénat du Congrès, car, si le plus petit état y est aussi fort que le plus grand, l’état, comme unité, y est toujours à la merci dés majorités étrangères. C’est la condition indispensable de l’état fédéral.
C’est l’état et le nombre qui sont ostensiblement représentés dans le congrès des États-Unis, mais, en réalité, c’est le nord et le sud, divisés en deux camps distincts ; l’esclavage et l’abolitionisme.
C’est dire assez ce qui aurait lieu, advenant la confédération des provinces; celles-ci se rangeraient vite en deux camps distincts. Et, si l’on doit juger du passé par le présent, il n’est pas nécessaire de dire à quels dangers y serait livré le Bas-Canada.
Il est donc clair que la constitution des États-Unis, impuissante à protéger l’état chez eux, le serait également à le protéger chez nous, et que si nulle union, nulle constitution fédérale ne pourrait protéger complètement le Bas-Canada, il est des formes fédérales qui le protégeraient davantage.
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VI.
Dans l’état actuel de sujétion législative et politique au parlement impérial, quel serait le but d’un parlement fédéral provincial (6º)?
Si les provinces étaient des états libres, et qu’elles voulussent rester indépendantes les unes des autres, nous comprendrions alors la confédération.
La confédération a pour but la protection extérieure ; elle peut se protéger contre les ennemis du dehors, elle ne saurait se protéger contre elle-même.
Ce n’est pas dans un but d’amélioration sociale, ni pour arriver à une organisation politique intérieure plus parfaite et plus féconde, que les colonies de l’Amérique et les petits états de l’Allemagne, qui voulaient rester indépendants, ont eu recours à la confédération, c’est pour se protéger mutuellement contre l’ennemi du dehors, c’est pour cela seulement.
Or, nous avons l’Angleterre pour nous protéger ; la confédération politique des provinces est donc absurde.
Mais, si elle est absurde et fatale en même temps, pourquoi s’obstiner à la demander?
VII.
Dans notre état de sujétion coloniale au parlement de l’empire, quelles seraient donc les fonctions du gouvernement et de la législature de la confédération (7°)? Quelles seraient celles dos gouvernements et des législatures sectionnaires (8°)? Où s’arrêterait de fait et logiquement l’action fédérale?
Nous croyons l’avoir déjà démontré, la confédération est toute extérieure dans son action. Pour se convaincre de cette
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vérité si élémentaire, il suffit de jeter la vue sur la constitution des États-Unis dont le mécanisme politique et même judiciaire, est essentiellement fait pour agir au dehors.
Les fonctions du Congrès consistant à lever des taxes directes et indirectes pour le paiement des dettes et la défense commune des États-Unis ; à emprunter de l’argent pour des fins fédérales; à régler le commerce avec les nations étrangères; à punir les pirates et les infractions aux lois des nations ; à déclarer la guerre et à donner des lettres de marque et de répressailles ; à lever et à maintenir des armées et une marine ; à repousser les invasions ; à organiser, armer et discipliner la milice.
Le pouvoir de la Cour suprême, qui domine le congrès et la constitution elle-même, s’étend sur les actes de la législature générale, sur les traités internationaux, les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, sur l’amirauté et la marine, sur les controverses entre les États-Unis et les autres nations.
Le Congrès et la Cour Suprême ont encore d’autres attributions ; mais celles-là sont inhérentes au caractère de l’autorité suprême ainsi qu’à la nature mixte de la constitution des États-Unis.
Mais, dans notre condition coloniale, nous n’avons pas, nous ne pouvons pas avoir d’initiative nationale, de relations avec les puissances étrangères, de traités, de marine militaire, d’armées et de guerres à déclarer ou à soutenir : dans notre état de sujétion, nous ne pourrions pas non plus donner à notre législature fédérale l’autorité suprême qui appartient à l’empire.
La constitution des États-Unis est mixte de sa nature, nous demandons pardon de le redire ; elle est le produit d’un com-
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promis entre les partisans de l’unité nationale et ceux de l’indépendance des États. Aussi Story, cette grande autorité constitutionnelle, qui admet le «compromis,» fait, à plusieurs reprises, comme pour nous donner raison, une distinction essentielle entre la première et la dernière constitutions des États-Unis, appelant la première (celle de 1781) confédération et la dernière (celle de 1788) simplement constitution.
Or, ces compromis ne peuvent se faire qu’entre des états libres et une autorité suprême qu’ils veulent et peuvent créer pour la protection commune ; ils ne peuvent exister pour les colonies qui n’ont pas le pouvoir de déléguer. Et pourquoi ces compromis, du reste, entre les provinces? Pour obtenir une protection qu’elles ont déjà dans l’autorité impériale?
Et si la législature fédérale ne pourrait rien de toutes les choses que nous venons d’énumérer, qu’aurait-elle donc à faire? Sans doute elle contrôlerait la législation coloniale la plus importante ; elle aurait la main sur les douanes, sur l’accise, sur le domaine public, sur les postes, sur le commerce, sur la navigation, sur les chemins de fer, sur la canalisation, sur l’émigration (9°) !
Mais alors ce serait annuler à peu près les législatures locales (10°) dont la raison d’être n’existerait plus ou presque plus, et ne serait-il pas plus simple de les faire toutes disparaître pour les remplacer par une législature unique?
Ce serait du moins lo chemin le plus court pour arriver à un résultat plus logique et meilleur.
VIII.
Où se prendraient les budjets des gouvernements et les contingents des législatures sectionnaires (11°), car le gouvernement
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et la législature de la confédération leur prendraient leurs moyens actuels d’être et de faire?
La législature fédérale, comme le congrès des États-Unis, aurait le contrôle des taxes indirectes et, peut-être aussi, comme lui, pourrait taxer directement; nos législatures actuelles ont, du reste, cette double faculté. On ne pourrait pas donner moins de pouvoir à la législature générale.
Mais les législatures locales, n’ayant pas la main sur les douanes, n’auraient, pour subsister et pour agir, que le secours des taxes directes comme les divers États de l’Union américaine.
Les taxes directes par les législatures sectionnaires sont une nécessité du système fédéral actuel (12°) des États-Unis et seraient une nécessité absolue du fédéralisme dans la condition coloniale.
Nous avons déjà démontré pourquoi, dans le gouvernement mixte des États-Unis, les taxes directes, pour le soutien et l’action des gouvernements et des législatures sectionnaires, étaient une nécessité du système fédéral.
Dans une confédération pure d’États indépendants, comme celle de l’Allemagne, il n’y a qu’une simple délégation dans l’autorité, la diète, créée pour protéger, à l’exterieur, l’intégrité et l’indépendance des États confédérés, pour y maintenir la paix intérieure et rétablir la tranquilité et l’harmonie entre les peuples de leur souverains dans l’intérêt de cette intégrité et de cette indépendance.
Dans un parcil système, il est évident que les taxes directes, par les pouvoirs législatifs des États confédérés, ne sont pas, comme dans le systeme américain, une nécessité de l’être fédéral.
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Dans l’état colonial, il ne peut pas y avoir de confédération pour la défense extérieure, pour le maintien de la paix entre et dans les diverses provinces ; et on n’y créerait une législature générale que pour lui donner à faire la législation la plus importante, sans quoi elle n’aurait pas de raison d’être. Les taxes directes pour le soutien et l’action des législatures sectionnaires y sont donc une nécessité du système fédéral.
Mais le peuple du Bas-Canada voudrait-il les taxes directes (13°)?
La question est facile à résoudre ; il ne les voudrait pas. Pourquoi donc alors l’engager à demander la confédération, puisque, sans les taxes directes et, conséquemment, sans argent, son gouvernement et sa législature ne fonctionneraient pas? Serait-ce pour lui enlever ces améliorations dont il puise le moyen dans nos revenus indirects ; ces améliorations que l’on est convenu d’appeler locales et qui sont cependant la source et comme les premiers éléments de la prospérité nationale?
Il n’aurait des améliorations dites générales que la part que voudrait bien lui donner la majorité du congrès.
Et si le Bas-Canada allait refuser de se taxer pour payer les frais de son gouvernement et de sa législature, on lui forcerait la main ; ayant devant les yeux le souvenir du refus systématique de son ancienne chambre d’assemblée de voter les subsides, on lui ferait comme on lui fit en 1840.
Quand une fois on a admis un principe, non-seulement il faut en admettre les conséquences, mais encore on les subit fatalement ; les conséquences de la confédération seraient la ruine du Bas-Canada.
IX.
Le gouvernement et le parlement fédéraux (14°) exigeraient
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plus de pompe, et coûteraient, à coup sûr, plus cher que le gouvernement et le parlement du Canada, pour faire précisément ce que font actuellement ceux-ci, puisque, dans notre condition coloniale, ils ne pourraient pas avoir d’action extérieure.
Ils ne seraient donc pas utiles en proportion de ce qu’ils coûteraient (14°) ; mais ils n’auraient aucun but, aucune raison d’être quelconque, et cependant leurs rouages, seulement pour fonctionner, absorberaient un million de piastres du revenu consolidé.
Mais s’ils n’avaient point de but, ils auraient du moins un résultat, celui de créer, avec des gouvernements et des législatures pour les deux Canadas respectivement, deux budjets et deux contingents sectionnaires considérables que n’appellent, dans le système colonial, ni la raison ni l’économie (15°).
X.
Quel avantage le Canada peut-il trouver dans la consolidation des revenus de toutes les provinces (16)? Son revenu, qui déjà s’élève annuellement à six millions de piastres, qui s’est quintuplé depuis l’Union, promet de prendre bientôt des proportions autrement colossales. Dans dix ans, si sa progression ascendante continue comme le veut le développement inouï de notre commerce, de notre agriculture et de toutes nos autres sources de richesses, il atteindra sans peine le chiffre de seize à dix-huit millions de piastres.
Tandis que les revenus réunis des quatre provinces atlantiques atteignent à peine celui de quatre cent mille louis ; et nulle de ces provinces n’a beaucoup d’avenir, si ce n’est le Nouveau-Brunswick. Terreneuve, avec son climat froid et son sol aride, comme les côtes nord de notre Saint-Laurent infé-
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rieur, ne sera jamais qu’une station de pêche, à laquelle d’ailleurs nous avons accès déjà avec toutes les nations du globe. La Nouvelle-Ecosse est une autre station de pèche à laquelle aussi nous avons accès comme tout le monde ; elle manque de sol pour la culture. Son revenu reste stationnaire ou diminue comme la population de sa capitale, Halifax, (pourtant situé au fond de l’un des plus magnifiques ports du monde,) qui en 1840 logeait vingt-cinq mille habitants dans ses maisons de bois, et qui n’y abrite aujourd’hui que quinze mille êtres humains.
L’union, qu’elle soit une ou fédérale, n’aurait donc lieu, comme nous l’avons déjà dit, que pour permettre à ces provinces sans ressources actuelles, la plupart sans avenir, de tailler largenront dans les grands revenus du Canada pour tous les objets possibles.
Et elles ne peuvent avoir que ce but désirable pour elles et si désiré, car elles sont encore plus près que nous de l’oeil vigilant et du bras protecteur de la mère-patrie.
Elles sont pauvres, elles veulent l’alliance des riches. Elles ont raison ; à leur place, nous ferions comme elles.
XI.
Quels seraient pour le Canada les avantages commerciaux de l’Union Législative (une ou fédérale) de toutes les provinces britanniques (17°)?
Il est autant de l’intérêt des provinces atlantiques de rechercher notre commerce qu’il est de notre intérêt de rechercher le leur. L’union politique, on le sent, ne changerait en cela rien à la condition des choses. Et, dans tous les cas, ces provinces ne peuvent pas nous traiter plus mal que les nations étrangères, plus mal que les Etats-Unis, nos seuls concurrents sur leurs marchés étroits.
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Lorsque les communications de terre et de mer entre elles et nous seront complétées, nous serons dans une position particulièrement favorable pour y lutter avec nos produits contre toute concurrence possible.
Si le but de ces provinces, en demandant l’Union, est uniquement commercial,—et il ne peut pas être autre dans notre condition coloniale,—pourquoi n’avoir pas plutôt recours à la liberté des échanges (18°) qui peut s’effectuer en dehors de l’union politique, sans secousse, sans changement constitutionnel organique, sans l’intervention du parlement impérial, si pleine de dangers, et par le seul fait des législatures actuelles?
La liberté des échanges, au point de vue commercial, est égale à la fusion politique absolue ; elle produit précisément les mêmes effets sans avoir les mêmes inconvénients et les mêmes dangers, et sans demander les mêmes sacrifices.
Si la liberté des échanges ne produit pas le résultat qu’elles veulent, en supposant que nos six millions de revenu ne soient pas ce qu’elles convoitent ; si par nos voies de communications, nous ne sommes pas dans la meilleure condition possible pour accaparer leur commerce à notre avantage réciproque, l’union législative ne ferait pas davantage, mais elle enlèverait au Canada, au profit de ces provinces pauvres, une large part de son revenu et de son action politique sur lui-même.
XII.
C’est M. Joseph Howe qui le premier, on s’en souvient, jeta le cri d’union dans son journal d’Halifax. Il voulait l’union des provinces entre elles et leur représentation dans le parlement impérial. C’est la même utopie qui nous revient aujourd’hui sous une forme modifiée.
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Il n’est pas nécessaire de dire que demander a être représentés dans le parlement impérial, c’était demander à l’être comme partie intégrante de l’empire, comme l’Ecosse, comme l’Irlande ; c’était admettre le droit au parlement britannique de nous taxer ; c’était même l’inviter à le faire pour des objets impériaux, pour payer les frais de la guerre, pour l’entretien de la flotte et de l’armée.
Les colonies réunies devaient avoir dix voix dans la chambre des communes : pour tant de sacrifices c’était tout que cette goutte d’eau coloniale jetée inaperçue dans l’océan de l’empire.
C’était donc une idée malheureuse, une pensée de vanité trop fatale : elle fut repoussée sans autre examen.
Mais si la voix mal sonnante de M. Howe semble être silencieuse pour toujours, il en est comme resté un écho indéfinissable qui teinte à toutes les oreilles avec une note plus douce et conséquement plus dangereuse.
Ne cessons donc pas de veiller et d’avertir.
XIII.
Quels peuvent être géographiquement les avantages de l’union (19)? Nous parlons plus pour l’avenir que pour le présent.
Si les provinces que l’on veut unir se groupaient en masse compacte, comme la plupart des états de l’Union, que leur position géographique fût telle qu’elles eussent besoin les unes des autres pour prospérer, pour avoir une sortie sur l’océan, nous dirions: voilà, au moins, un motif pour les sacrifices qu’on nous demande. Biais non, elles sont éparpillées sur la surface du Golfe. La plus rapprochée du Canada, le Nouveau-
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Brunswick ne s’y rattache que par une longue lisière de terrain à peine de quelques lieues de largeur, et sur les flancs de laquelle se déploie menaçante la frontière de l’Union américaine.
Et encore, à l’heure qu’il est, en attendantes améliorations, dont nous venons de parler, le plus court chemin, pour venir de ces provinces à nous, est celui des États-Unis.
Si l’Union des Canadas a été odieuse dans sa formule, du moins elle pouvait se justifier, vue du côté géographique : le Haut-Canada avait besoin du Saint-Laurent pour arriver à la mer, et les deux provinces forment ensemble une masse compacte qui dit assez que l’acte constitutionnel de 1791 avait eu tort de les séparer.
XIV.
Quel rôle jouerait l’élément religieux dans l’union (une ou fédérale) de toutes les provinces (20)?
Si nous posons ainsi la question, ce n’est pas seulement parce qu’on la posée ainsi ailleurs, mais parce que nous croyons qu’il est nécessaire de la regarder aussi de ce côté, le moins approchable et le plus périlleux de tous.
L’élément religieux est le plus volcanique de tous les éléments sociaux ; il fait éruption au moment où vous vous y attendez le moins et sa lave brûlante ne se refroidit souvent que dans le sang des victimes qu’elle fait.
Le rôle que jouera l’élément religieux dans l’Union pourra donc être très-considérable ou presque nul, suivant les circonstances, suivant les causes qui peuvent agir sur lui. On est paisibles, on est amis, on est frères, on est chrétiens, on est inertes même ; mais au moment le moins prévu, une étincelle
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jetée, par mégarde peut-être, sur l’édifice social, toujours si combustible, y allume un incendie qui ne s’éteint plus. Alors on a besoin de regarder autour de soi, non pour démolir, à Dieu ne plaise ! mais pour ne pas se laisser envelopper par l’élément destructeur.
Il est donc évident que, dans l’intérêt de la société, l’élément religieux, à cause de ses dangers, ne devrait point jouer de rôle politique : ici nous voulons parler des passions, des haines religieuses, travaillant en sens opposés la constitution pour y trouver le triomphe et la domination, et non de la foi, sans laquelle le peuple serait bien malheureux, puisque privé de l’espoir, ce seul fortifiant pour l’être qui pense, il n’apercevrait au terme de ses misères que le néant et la nuit.
Mais, à côté de ce qui est désirable, à côté de la raison qui semble conseiller à l’élément religieux de ne point jouer de rôle dans la constitution, il y a les sociétés telles qu’elles sont, avec leurs ingrédients constitutifs indestructibles, avec leurs passions, avec leurs croyances, avec leurs préjugés, avec leurs opinions aussi multipliées que les étoiles du ciel.
La raison dit une chose, la pratique en dit une autre, l’expérience dont les lugubres enseignements n’ont manqué à aucun pays. Voilà pourquoi, on le comprend, maintenant, il est nécessaire de regarder l’union des provinces du côté de ses influences religieuses.
L’élément religieux ne sera pas dans la lettre, mais il sera dans l’esprit de la constitution ; il se déteindra, bon gré, malgré, sur la législation et sur l’administration et, comme dans les combinaisons chimiques, l’ingrédient le plus fort dominera, quoiqu’on fasse pour en paralyser l’effet.
La constitution des États-Unis dit bien qu’on n’exigera pas
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de test religieux comme condition d’éligibilité aux emplois publics ; et cependant ses rouages sont tout huilés de protestantisme.
Peu de temps après la conauôte du Canada, les colonies anglaises de l’Amérique, aujourd’hui les États-Unis, invitaient, dans une pétition, la mère-patrie h priver les Canadiens-Français de la religion de leurs pères. Franklin lui-même avait signé ce document si imbibé de fanatisme et d’intolérance ; mais quand ces colonies se révoltèrent en invitant le Canada à faire comme elles, pour l’entraîner, elles offrirent la liberté religieuse !
Elles la consignèrent ensuite dans leur constitution comme elles y consignèrent le droit au Canada de faire partie de leur confédération : ces deux pensées furent corollaires l’une de l’autre ; mais l’expérience a prouvé que cette formule si large et si généreuse n’a pas effacé, dans la pratique, le sentiment qui avait d’abord fait parler Franklin.
Ainsi, quoi qu’on fasse, l’élément religieux jouera son rôle dans la constitution, et on ne doit pas s’étonner si, nous rappelant l’achaniement avec lequel nos institutions religieuses et catho-lîques sont systématiquement attaquées dans notre législature actuelle, nous nous demandons, dans le sentiment de la crainte : quelles seront, dans l’Union de toutes les provinces, les forces numériques respectives du catholicisme et du protestantisme (21)?
Dans l’Union actuelle, les protestants sont les plus nombreux de peu de chose, du moins par le recensement de mil huit cent cinquante. L’Union proposée augmenterait les forces du protestantisme, car la très-grande majorité de la population de Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick est pro-
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testante, et Terreneuve, où domine le catholicisme, est trop pauvre du présent et trop pauvre de l’avenir, avec son sol infécond, pour donner au catholicisme de la force où même de l’espérance.
Le protestantisme serait donc plus puissant dans l’union de toutes les provinces qu’il ne l’est aujourd’hui dans l’union des Canadas.
Dans les conditions actuelles du mélange des cathoHques et des protestants sur les divers points des provinces, le catholicisme, loin d’y être le plus fort, n’exercerait pas même dans la législature de l’union, une influence proportionnelle à sa force numérique (22). Nous en avons la preuve dans l’état de choses actuel ; les Catholiques et les Protestants sont à peu près égaux en nombre en Canada, et, cependant, le protestantisme est représenté par 79 voix dans la législature, tandis que le catholicisme n’y est représenté que par 53 voix.
Le Haut-Canada, qui renferme probablement, à l’heure qu’il est 200,000, cathohques, n’élit cependant que deux députés catholiques. Il en est de même des deux plus grandes provinces atlantiques ; les partis, qui s’y disputent le pouvoir presque à forces égales, font, au moment de la lutte électorale, des promesses de libéralisme religieux aux catholiques trop peu nombreux pour se protéger par eux-mêmes ; mais, le combat fini, le protestantisme, oubliant ses promesses, se rallie pour recommencer son oeuvre.
Considérée au point de vue religieux, l’union de toutes les provinces ne serait donc pas désirable, et mieux vaut donc encore notre état actuel avec toutes ses défectuosités et ses dangers.
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Quel rôle jouerait l’élément national dans l’union de toutes les provinces (23)?
Pour se convaincre que l’élément national jouerait un rôle dans l’union de toutes les provinces, il suffit de se rappeler celui qu’il a joué à toutes les époques de notre histoire, depuis la conquête ; il suffit de lire les clauses de l’acte constitutionnel de 1840. Méconnaître son action ce serait ignorer l’histoire du genre humain.
C’est donc une véritable question sociale que celle-ci, aussi importante à résoudre pour le moins que toutes celles que nous venons d’examiner ; mais, pour la résoudre, on le conçoit, la condition essentielle est de connaître les forces respectives des nalionaUtés (24) qui doivent se partager l’Union.
Et la résoudre, aussi c’est dire la mesure de protection que trouverait dans cet ordre de choses la nationalité française.
Qu’un ne se méprenne pas autre part sur nos sentiments ; nous ne demandons ni l’exclusion des autres races ni de priviléges pour la nôtre ; ce que nous voulons uniquement, c’est que celle-ci ne périsse pas. C’est demander peu, ce nous semble, pour une race qui a légué tant de sang, tant de gloire, tant de liberté, tant de souvenirs et tant d’institutions au Nouveau-Monde ; c’est trop peu du moins pour qu’ailleurs on ait droit de s’en aigrir ou de s’en inquiéter.
Par le recensement de 1850, la population du Canada s’élevait à un peu plus de 1,800,000 âmes, dont environ 700,000 Canadiens-Français. Ceux-ci étaient donc, à toute la population, seulement comme 7 sont à 11. La disproportion, comme on le voit, était assez grande déjà. Mais, comme l’acte
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constitutionnel de 1840 est fédéral dans sa formule, et que la race française, dominante par le nombre, est compacte dans le Bas-Canada, celle-ci trouve une protection suffisante dans l’Union actuelle, pourvu qu’elle ne se fractionne pas quand elle aura besoin de ses forces.
Cette mesure de protection ne peut faire qu’augmenter pour elle, puisque les races anglologues disparaissent rapidement du Bas-Canada et que celui-ci, à l’exception des villes, ne parlera bientôt plus que la langue de Racine et de Bossuet, qui envahit aussi, avec son principe inexplicable d’expansion, les comtés inférieurs du Haut-Canada.
Ainsi donc, au lieu de n’être que 7 contre 11, comme le veut le recensement, par notre compacité, par notre expansibilité et par le fait même de la constitution, nous serons réellement un contre un au moment du danger.
Mais, si vous changez cette condition des choses, si, par une combinaison nouvelle, vous grossissez la force numérique des races anglologues par l’adjonction des provinces atlantiques, si vous augmentez le nombre des unités dans la confédération, non-seulement vous perdez le présent, mais vous perdez encore l’avenir sans espoir de le resaisir jamais ; vous faites jouer un rôle à l’élément national, mais ce rôle, il le jouera, au détriment de la nationalité française.
Après cela, est-il besoin de demander quelle protection la nationalité française trouverait dans l’Union de toutes les provinces (25)?
XVI.
Maintenant, il n’est pas nécessaire de démontrer davantage, non-seulement qu’il n’existe pas dans l’Union proposée de
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contre-poids en faveur des intérêts sectionnaires, mais encore que le caractère des populations que l’on, veut unir n’est pas assez identique pour remplacer les contre-poids qui manquent, et pour rassurer ces intérêts sur leur avenir et sur le travail du mécanisme général (26).
En effet, qu’est-ce qui constitue l’identité du caractère national, si ce n’est l’identité de race, de langue, d’institutions, do lois, de religion, de mœurs, de sentiments, d’idées, de préjugés mêmes? Or, est-il besoin de le dire, cette identité n’existe pas, et, au moment donné, l’élément le plus faible ou le moins protégé subirait la pression du plus fort?
XVII.
Si nous avions à choisir entre l’Union des Provinces et l’annexion aux États-Unis, à laquelle de ces deux alternatives faudrait-il donner la préférence (27)?
Notre intention n’est pas de répéter ici les arguments que le Journal formulait contre l’annexion, en 1849 ; ce serait, du reste, un travail sans but, puisque l’annexion n’a de parti nulle part aujourd’hui parmi nous. Nous sommes dans le domaine des hypothèses, comparant deux choses possibles, pour donner la préférence à la plus acceptable : tristes alternatives, cependant, puisque la meilleure serait encore le mal.
Presque toutes les raisons qui militent contre l’union des provinces militent également, mais plus fortement contre l’annexion.
Dans l’Union, nous pourrions trouver des combinaisons moins dangereuses, moins fatales les unes que les autres ; tandis que nul choix ne nous serait laissé dans l’annexion qu’il
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faudrait accepter avec ses conditions d’être, sans pouvoir les modifier.
Dans la meilleure condition que pourrait nous faire l’Union, nous serions au moins un sur trois ; nous serions à peine un sur trente dans l’annexion.
Dans l’Union coloniale, nous pourrions avoir peut-être une part du revenu actuel, sous la forme d’améliorations générales ; dans l’annexion américaine, le revenu tomberait, jusqu’au dernier sou, dans le trésor fédéral, d’où il ne sortirait que pour payer les dépenses de la marine et de l’armée.
Dans l’Union coloniale, comme français ou comme catholiques, quoiqu’affaiblis, nous pourrions encore, au besoin, présenter un front redoutable; dans l’annexion, nous serions envahis de toutes parts par cet océan formidable, et nous disparaîtrions comme nos frères de la Louisiane qui bientôt, parlant une langue étrangère, iront, humiliés, demander à l’histoire leur origine et les noms oubliés de leurs pères !
Pourtant ils sont, comme nous, les descendants de ces quelques héros qui luttèrent si glorieusement, durant un siècle et demi, contre une race puissante, dans les déserts du Nouveau-Monde.
Si l’identité nationale ne pourrait être dans l’Union coloniale, comment la trouveriez-vous dans l’annexion? Les mêmes sentiments, les mêmes préjugés, les mêmes lois, les mêmes institutions, les mêmes langues, les mêmes ingrédients religieux et sociaux, s’y trouveraient dans des rapports bien autrement disproportionnés et bien autrement dangereux pour nous. L’Union coloniale serait donc préférable, s’il nous fallait choisir, si nous
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avions un jour, par une cause quelconque, à prendre place parmi les nations.
Il n’a tenu qu’à la France que nous fussions aujourd’hui huit millions de Français sur les bords du Saint-Laurent; pour cela il n’eût fallu, à la conquête, que le recensement de 1850. Mais elle ne l’a pas voulu, et, lorsque nous sentirons tomber autour de nous la dépouille coloniale, trop faible pour fonder seuls un empire, dans la crainte d’être envahis et de périr, nous rechercherons des alliances.
Nulle alliance, il est vrai, ne pourrait nous donner de garanties complètes ; mais il ne faut pas oublier que, placés dans une position toute exceptionnelle en Amérique, dominés par la force et circonscrits dans le cercle étroit de la fatalité, nous ne pourrions choisir qu’entre des alliances plus ou moins périlleuses.
Nulle alliance ne serait parfaitement sans dangers ; mais la moins à craindre serait l’alliance des provinces, parce qu’assez forte pour la protection extérieure, elle le serait moins au dedans pour l’oppression.
L’annexion aux États-Unis, ce serait un contre trente, ce serait l’alliance du pot de terre et du pot de fer ; et il ne faut pas demander lequel des deux serait brisé dans le choc.
XVIII.
Nous avons répondu aux 27 questions posées par le Journal du 29 octobre, et nous espérons l’avoir fait d’une manière satisfaisante. Nous n’y reviendrons donc pas, à moins que des
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objections sérieuses venant d’ailleurs nous incitent à de nouvelles considérations et demandent des développements inutilei jusque-là) puisque, dans ces pages si succinctes, nous avons produit, nous le croyons du moins, les motifs d’objections les plus saillants et les plus élémentaires.
Tout le monde n’a pas le temps d’étudier ces questions si complexes et à facettes si multiples; le lecteur nous saura donc gré d’avoir placé celles-ci dans un cadre assez étroit pour lui permettre d’en saisir l’ensemble sans effort et pour ainsi dire d’un seul coup d’oeil.
Nous l’avons déjà dit, dès 1851, nous voulions examiner comme nous venons de le faire, la question de l’union des provinces ; et l’on sait le motif qui nous arrêta court.
Alors nous aurions été pour l’Union coloniale. Les esprits jeunes et pleins de sève n’aiment pas à demeurer dans les routes tracées et monotones ; ils rêvent, tout comme Colomb, un continent nouveau, et l’inconnu est un talisman qui les domine et qui les entraine. Mais, comme dans la nuit noire des théories, ils sont exposés à faire fausse route et à se heurter contres le écueils, il est bon qu’on leur jette comme à nous en passant un conseil ami.
Depuis 1851, nous avons réfléchi beaucoup, sérieusement, sincèrement et sans nous occuper de ce que pensaient les autres, autrement que pour en apprendre quelque chose d’utile qui pût, peut-être, modifier ou même changer nos idées. Mais Jusqu’ici rien n’a pu nous faire dévier des conclusions que nous venons de livrer au public avec le désir qu’elles servent, si elles sont logiques et si nos enseignements sont bons et salu-
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taires, et qu’elles restent sans écho si elles doivent jeter let esprits dans une route mauvaise et fatale. Pour avoir uns autre pensée, nous savons trop par expérience que l’infaillibilité n’est le partage de personne sur la terre, et qu’il est encore plus diftieilu à l’écrivain de rester dans la vérité que dans la question.