Conférence sur la Constitution, Déclaration de principe et exposé de la politique du Gouvernement du Canada (5-7 février 1968)
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Date: 1968-02-05
Par: Canada
Citation: Conférence sur la Constitution, Déclaration de principe et exposé de la politique du Gouvernement du Canada (Ottawa: 5-7 février 1968).
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LE FÉDÉRALISME ET L’AVENIR
Déclaration de principe et exposé de la politique
du Gouvernement du Canada
CONFÉRENCE SUR LA CONSTITUTION, 1968
Ottawa les 5, 6 et 7 février
Il est tout indiqué, au seuil du deuxième siècle de la Fédération cana-
dienne, que le premier ministre du Canada et les dix premiers ministres des
provinces se réunissent, pour étudier les mesures a prendre afin que les
réussites de ce deuxième siècle soient encore plus belles et plus fécondes que
celles du premier.
Il convient en effet de dire «encore plus belles», car nous ne devons
pas ignorer les progrès immenses que le Canada a réalisés depuis les ré-
unions de 1864 et 1866, alors que des hommes chargés de responsabilités
semblables a celles des participants à la conférence actuelle ont cherché
les moyens d’assurer une existence meilleure et plus fertile à la popula-
tion qu’ils représentaient. Avec ingéniosité, détermination et courage—avec
foi en l’aptitude des gens de provenances et d’origines diverses a collaborer
aux objectifs plus vastes du bien commun—ils ont pris des dispositions qui,
selon eux, permettraient d’atteindre ces buts. Ils se sont bien acquittés
de leur tâche. Nous reconnaissons les imperfections de l’Acte de l’Amérique
du Nord britannique, mais dans le contexte de l’époque, son adoption cons-
tituait une mesure de haute politique. Personne ne saurait dire quel au-
rait été le sort des colonies sans la Fédération. Mais ce dont nous pouvons
être sûrs c’est que divisées, petites, vulnérables et faibles, elles n’auraient
jamais réalisé ce dont nous jouissons aujourd’hui.
Les dispositions en vertu desquelles une nouvelle entité politique a
été établie, incorporées dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique,
n’étaient sans doute pas parfaites, même pour l’époque. Au cours des ans
et à mesure que ces dispositions se traduisaient en actes et étaient mises
en pratique, des lacunes devaient forcément se faire jour et de nouvelles
difficultés surgir. Le problème qui a pris le plus d’ampleur est le mé-
contentement des Canadiens de langue et de culture françaises quant a la
situation respective des deux groupes linguistiques au sein de notre Con-
fédération.
Il ne sert pas a grand-chose d’argumenter quant à savoir ce que
l’on entendait réaliser ou non en 1867, jusqu’où certaines dispositions étaient
censées aller, ou sur chaque autre aspect d’un différend qui tend à devenir
académique. Comme nos prédécesseurs, nous devrions d’abord nous fonder
sur les réalités de la vie canadienne, telles que nous les constatons, au lieu
de récriminer au sujet de ce qui était envisagé au départ ou de ce qui au-
rait dû être. Il y a deux faits que ne saurait nier quiconque considère la
situation impartialement. L’un est que les Canadiens de langue et de culture
françaises n’ont pas les mêmes possibilités que ceux de langue anglaise de
vivre leur vie, d’élever leurs enfants ou de donner, eux et leurs enfants, leur
pleine mesure partout au ‘Canada dans leur propre langue. L’autre fait,
qui semble tout aussi clair, est que nous n’avons pas, au Canada, depuis
un siècle, songé assez sérieusement a ce que nous pourrions faire-au moyen
de lois et de politiques adéquates ainsi que par l’initiative personnelle-
pour offrir des occasions égales, sur le plan économique et culturel, qui
seraient aussi vraies pour les Canadiens d’origine française que pour les
Canadiens anglophones. Les conséquences pourraient être sérieuses.
Il existe d’autres problèmes au sein de notre Fédération. En dépit
d’un développement dont tous ont profité, les inégalités d’une région à
l’autre demeurent considérables. Les perspectives économiques des Canadiens
de certaines régions demeurent plus limitées que celles des habitants d’autres
régions. Si, durant le deuxième siècle de son existence, le Canada doit aider
ses citoyens à réaliser leurs buts et aspirations légitimes, nous devons.
avoir pour objectif de donner un sens réel et profond a l’égalité des oc-
casions. C’est seulement en créant ce sentiment d’égalité—égalité des oc-
casions offertes à tous les Canadiens, quels que soient leur langue ou leur
héritage culturel et où qu’ils décident de s’établir—que nous saurons donner
au Canada un but qui réponde à l’attente légitime de ses citoyens. C’est
seulement si nous adoptons des mesures inspirées par cette conviction—
savoir que nous comptons faire de l’égalité des occasions une réalisation
aussi bien qu’un objectif—que nous pourrons préserver l’unité du pays.
Constitutions et réalités
Le gouvernement du Canada se propose de faire en sorte que la Con-
férence de février 1968 marque le début d’un processus de revision de la
Constitution, revision a la fois vaste et profonde, et il espère que les gou-
vcrnements provinciaux seront d’accord avec lui. Si nous voulons être-
sûrs que les meilleures dispositions possibles ordonnent et régissent les
rapports entre Canadiens, dans le Canada de l’avenir, nous devons avoir
a cœur d’examiner tous les aspects de nos lois fondamentales. Le gouverne-
ment du Canada est disposé à entreprendre cette revue complète.
En nous engageant dans une réévaluation de la Constitution, gardons-
nous néanmoins de l’erreur de prétendre qu’une nouvelle Constitution est.
une sorte de formule magique pouvant se substituer aux actes et à la
manière de penser. Ne prenons pas non plus pour acquis qu’il nous faudra
attendre les modifications a la Constitution pour entreprendre certains
des redressements essentiels qui s’imposent actuellement.
Ce ne sont pas les modifications à la Constitution qui nous dispenseront
de la nécessité de changer notre comportement et notre attitude vis-à-vis
des autres Canadiens, dans la vie quotidienne. «La lettre tue mais l’esprit
vivifie.» De même le texte de la Constitution ne peut que refléter la nou-
velle qualité de rapports entre citoyens, que nous sommes vraiment dis-
posés à accepter et à respecter.
Notre décision d’entreprendre une revision de la Constitution ne doit
pas signifier non plus que tout ce qui est essentiel et urgent doit attendre
que le texte de la loi fondamentale soit changé. Il importe de s’en rendre
compte surtout dans l’étude des mesures visant à rectifier les disparités
actuelles dans le traitement accordé aux anglophones et aux francophones
du Canada. Dans son Tome I, la Commission royale d’enquête sur le
bilinguisme et le biculturalisme présente des recommandations qui, selon
elle, assureraient aux Canadiens de langue et de culture françaises au
Canada une situation plus juste et plus équitable. Deux seulement de ces
recommandations comportent des modifications constitutionnelles et il n’est
en aucun cas nécessaire pour agir quant au fond d’attendre que la lettre
de la Constitution soit modifiée. La meilleure façon pour la Conférence de
prouver l’urgence et l’iinportance que revêtent à ses yeux les mesures
visant à résoudre le problème central consisterait à accepter dès mainte-
nant les objectifs énoncés par la Commission royale d’enquête et à con-
sentir a ce que les délais que pourraient entraîner les modifications à la
Constitution n’aient point pour effet de retarder la mise en œuvre effec-
tive des recommandations de la Commission royale d’enquête.
Le processus de revision de la Constitution
C’est dans cet esprit et dans ce contexte que devrait s’opérer la revi-
sion de la Constitution du Canada. Cette revision, on doit la faire aussi
en tenant compte des adaptations apportées à la Constitution, au long
des années, par la pratique et les usages. La Constitution n’est pas rigide
et elle n’a pas, non plus, été interprétée de façon rigide: elle a permis
cette souplesse qui est essentielle si l’on veut accommoder aux besoins de
l’époque le rôle du gouvernement envers le citoyen ainsi que les relations
entre les deux ordres de gouvernement. La Constitution ne doit pas perdre
cette souplesse; nous ne devons pas non plus songer uniquement à des
changements explicites dans le texte même de la loi fondamentale. Nous
en sommes cependant arrivés au point où s’impose une revue de ce texte.
D’importants ajustements se sont avérés nécessaires. Le rôle de l’État
s’est considérablement accru et les services gouvernementaux se sont déve-
loppés en conséquence. La possibilité, pour l’État d’empiéter sur les droits
de l’individu a augmenté proportionnellement. Les rapports entre le gou-
vernement fédéral et les gouvernements provinciaux se sont multipliés au
fur et à mesuré qu’augmentait le nombre de leurs programmes respectifs:
cette situation a nécessité l’établissement d’un ensemble complexe de
conférences et de comités fédéraux-provincaux que la Constitution n’avait
jamais prévus. Les gouvernements provinciaux ont cherché de nouvelles
façons de satisfaire aux besoins de leurs populations, essayany ainsi d’expri-
mer les traditions différentes que l’on retrouve à l’intérieur de leurs fron-
tières. Les gouvernements fédéraux, à leur tour, ont assumé les responsa-
bilités qui caractérisent de nos jours un État moderne florissant, et ont
cherché, ce faisant, à renouveler les forces de l’unité au Canada, de même
qu’à adapter leurs institutions et leurs politiques à la diversité caracté-
ristique du pays. Au cours de cette évolution, les roles relatifs des gouvér-
nements fédéral et provinciaux se sont modifiés, et leur capacité de
contribuer à l’unité ou à la diversité du Canada s’en est trouvée affectée.
Les rajustements ainsi opérés dans le fonctionnement du fédéralisme
ont été si considérables, surtout ces dernières années, alors que le rythme
du changement était si rapide, que le sentiment sest accru que la loi
fondamentale a besoin d’être réexaminéé. La Conférence sur la Confédéra-
tion de Demain a apporté à cette fin une contribution constructive; elle a
concentré l’atténtion sur les objectifs mêmes de la Fédération canadienne.
Le gouvernement du Canada espère que nous pourrons, à la présente Con-
férence, franchir l’étape suivante et que les gouvernements fédéral pro-
vinciaux entreprendront maintenant de faire ensemble une revue positive et
constructive de la sorte de constitution qu’appellent les objectifs dont on a
discuté.
Si la Conférence convient de se lancer dans cette entreprise, nous
espérons pouvoir, au cours de la présente réunion, décider de la procédure
à suivre. Le gouvernement du Canada estime que nous devrions commencer
par déterminer les éléments principaux de la Constitution, et convenir de
ceux dont il est le plus urgent de faire la revision. Nous avons déjà proposé
aux gouvernements des provinces d’accorder la priorité à la partie de la
Constitution qui devrait traiter des droits de l’individu—ses droits en tant
que citoyen d’un État fédéral démocratique et ses droits en tant que
membre du groupe linguistique dans lequel il a choisi de vivre. En con-
sentant à placer ce sujet au début de l’ordre du jour, les gouvernements
fédéral et provinciaux n’ont nullement perdu de vue la grande importance
de l’attribution des compétences aux deux ordres de gouvernement au
Canada. Mais nous avons affirmé notre conviction que les droits des
individus doivent passer avant les droits des gouvernements. Par conse-
quent, nos discussions débuteront par un examen des Droits des Canadiens
à l’occasion duquel nous discuterons d’un projet de Charte des droits de
l’homme, et des recommandations de la Commission royale d’enquête sur
le bilinguisme et le biculturalisme concernant les droits linquistiques.
Le gouvernement du Canada proposera en outre, une fois qu’on aura
convenu des éléments de la Constitution qui éxigent une revision, et de leur
ordre de priorité, que la Conférence prenne une décision quant aux rouages
à mettre sur pied pour continuer l’examen de la Constitution. Nous soumet-
trons certaines propositions a cette fin.
La nature de la Fédération canadienne
Les Canadiens s’attendent, puisque nous sommes leurs chefs politiques,
à ce que nous abordions cet examen de la Constitution avec une pleine
conscience de ce qu’est le Canada et de ce qu’ils veulent de leur pays. Ils
espèrent que nous examinions l’avenir du Canada et les possibilités qu’il
offre aux Canadiens sans nous attacher uniquement à des considérations
d’ordre théorique ou strictement juridique, qui caractérisent si souvent les
discussions de nature constitutionnelle. Car une constitution est plus qu’un
texte de loi. C’est une expression de la manière dont le peuple dans l’État
peut réaliser, grâce à l’exercice et au contrôle de l’autorité politique, ses
aspirations sociales, économiques et culturelles. Nous devons dès lors, en
examinant la Constitution, étudier dans son essence la nature de la Fédé-
ration canadienne.
Les Canadiens constituent un peuple libre dans une société libre. Ils
veulent l’égalité. Nos lois et notre système de gouvernement sont fondés
sur la liberté a l’instar des États les plus libres au monde. Notre pays
n’est pas troublé par les divisions de classe ni par les traditions astrei-
gnantes qu’on peut trouver dans un si grand nombre de pays. Pour réaliser
notre but, l’épanouissémént dé l’individu, nous n’avons pas eu a entrer
en lutte contre une forme autoritaire de gouvernement. Le fait même que
nous sommes rassemblés pour discuter l’avenir de notre pays est la meil-
leure démonstration qui puisse être donnée de notre liberté.
Le Canada est composé de deux communautés linguistiques fonda-
trices. Il est enrichi par de nombreuses autres traditions et caractérisé par
plusieurs particularités régionales. Notre pays n’est pas un creuset nord-
américain dans lequel les cultures et les patrimoines qui caractérisent les
Canadiens sont censés se perdre. Il n’est pas non plus, comme en Europe,
un assemblage d’États s’efforçant à mettre fin aux guerres destructrices
des siècles passés et à trouver un moyen de noyer les différends dans
l’intérêt d’une commune expansion économique et technologique. L’idéntité
du Canada se trouve et dans sa diversité et dans son unité: nous nous
perdons si nous perdons nos deux communautés linguistiques, la diversité
de nos patrimoines culturels et nos particularités régionales. Nous perdons
tout cela si nous perdons le Canada dans lequel chacune de ces traditions
a pu exister et se développer.
Mais le Canada est plus qu’une réunion de communautés, de patri-
moines et de traditions. Il y a une personnalité canadienne. Nous ne
sommés un double ni des Anglais, ni des Français, ni des Européens. Cha-
cune des sociétés fondatrices et chacun des groupes culturels au Canada
s’est rendu, de façon différente, indépendant de son passé, et aucun ne
veut vraiment revenir en arrière. Les Canadiens ne veulent pas non plus
devenir un double des Américains, si amicaux et forts que soient nos
liens avec eux. Nous avons notre propre échelle de valeurs, nos propres
attitudes devant la vie, qui ne sont ni anglaises, ni françaises, ni amé-
ricaines. Il suffit d’aller en Angleterre, en France ou aux États-Unis pour
s’en rendre compte.
L’existence d’une collectivité canadienne se manifeste également dans
des institutions communes: le Parlement du Canada, une conception com-
mune de l’ordre public, un seul et même marché qui dépend d’un Canada
uni, des institutions commerciales et financières communes, les chemins
de fer nationaux et Air Canada, la Société Radio-Canada et d’autres
institutions nationales. Nous avons désormais aussi en commun notre
propre drapeau et notre hymne national. Ces liens, ces manifestations de
notre identité canadienne, nous les considérons souvent comme tout a fait
normaux; mais nous ne permettront pas leur destruction.
L’existence d’une collectivité canadienne se manifeste également par
la façon dont les Canadiens s’occupent les uns des autres. Le soin des
sous-privilégiés ou des désavantages n’est plus laissé a la seule collectivité
locale, au hasard des secours offerts par la municipalité ou l’institution
de charité. D’un bout à l’autre du pays les Canadiens contribuent de
nos jours à maintenir à un certain niveau le revenu de leurs concitoyens,
où qu’ils habitent, grâce aux pensions de sécurité de la vieillesse, à l’assu-
rance-chômage et aux allocations familiales. Ils aident à financer les
paiements de péréquation qui permettent aux gouvernements des provinces
à revenu relativement faible d’assurer à leur population une santé, un
bien-être, une instruction et d’autres services publics convenables. Les
Canadiens contribuent aussi, individuellement, aux programmes nationaux
visant a accroître le bien-être économique des régions plus pauvres que la
leur. Voila ce qui se produit lorsque règne un esprit de solidarité. Plus
vif est cet esprit de solidarité nationale, plus grand est le désir des individus
de contribuer au bien-être des autres qui ne sont pas membres de leur
groupement ou ne se trouvent pas dans leur région.
Il existe une collectivité canadienne même dans un monde de plus
en plus interdépendant et, parfois, en dépit de cette interdépendance. Au.
long des années, les hommes d’État canadiens ont insisté sur leur droit
négocier comme Canadiens et à représenter leur pays comme Canadiens.
Comme individus, les Canadiens ont pris position pour la liberté et l’éga-
lité, et un grand nombre l’ont payé cher. L’État canadien a fourni un apport
tout particulier aux affaires mondiales-aux Nations Unies et a d’autres
organismes et groupements internationaux. C’est comme Canadiens que
nous avons contribué à la paix du monde et au bien-être de nations plus
pauvres.
Voila un peu de ce qu’est le Canada. Qu’en est-il de ses perspectives?
Elles se rattachent à ses riches ressources, humaines, naturelles et techno-
logiques. La croissance de notre économie—déja l’une des plus riches du
monde—ne sera limitée qu’en fonction de nos propres limitations en déter-
mination, en ressources et en imagination. Les perspectives du Canada
tiennent a sa structure sociale variée, riche en collectivités diverses, capa-
bles de s’énrichir les unes les autres et d’énrichir le pays tout entier. Les
perspectives du Canada dépendent de ses possibilités culturelles et techno-
logiques, de l’éducation et du talent de son peuple. L’année du Centenaire
et l’Expo nous ont permis d’entrevoir ce que nous pouvons faire lorsque
nous travaillons ensemble.
Si le Canada est un pays composé de deux groupements linguistiques
fondateurs, d’héritages divers, de nombreuses régions et traditions, alors
il ne pourra prospérer que dans la mesure où ces groupements, héritages
et régions s’épanouiront ensemble—sur le plan économique, social et cul-
turel. Et tout leur potentiel sera atteint seulement si le Canada atteint
son potentiel.
Il ne sera pas facile d’atteindre ce but. Notre pays est troublé par
des frictions et des malentendus, par des difficultés qui sont parfois le
produit de nos propres faiblesses. Nous sommes portés à l’introspection
concernant le présent et parfois notre avenir; c’est à juste titre d’ailleurs,
car nous avons a faire face à des forces qui pourraient nous diviser.
Nous sommes exposés à des forces universelles, aussi bien qu’à des
tensions internes. L’évolution technologique nous a apporté l’automation
qui se répand dans tous les domaines et les communications instantanées
à l’échelle du monde. Les changements économiques nous ont exposés à
l’interdépendance des marchés et des systèmes monétaires mondiaux, à la
concurrence des sociétés internationales et des nations de plus en plus
productives. Les transformations politiques mondiales nous ont amenés à
faire partie d’organismés internationaux dont l’influence s’exerce sur l’acti-
vité de toutes les nations—y compris la nôtre—dans l’intérêt de l’harmonie
universelle. Tous ces changements restreignent notre propre liberté d’action
dans les domaines de notre politique économique, commerciale et étrangère.
Longtemps nous avons été une Fédération vivant à côté d’une Fédération
plus grande; nous sommes maintenant une Fédération vivant dans un
monde de plus en plus interdépendant.
Si ces conditions limitent notre indépendance alors que nous formons
une Fédération aux dimensions continentales, combien plus réduite serait
lïndépendance des parties d’un Canada séparé. Nous ne pouvons croire
que dans le monde où nous vivons, nous réaliserons mieux notre destinée
en affaiblissant la Fédération, pas plus que nous pouvons croire que nous
remplirons notre promesse d’avenir en réduisant la diversité qui constitue
une part si importante de notre identité. L’avenir du Canada dépend de
la croissance des éléments qui le composent et de la croissance d’un Canada
qui est plus grand que la somme de ses parties. Seule une conception
étroite et statique de notre pays et du monde amène a croire que le Canada
peut se développer par la soustraction, qu’une communauté linguistique
ou une région peut grandir en réduisant la capacité du Canada, ou que le
Canada peut grandir en réduisant la capacité de l’une ou de plusieurs
collectivités ou régions.
Le fédéralisme et les objectifs du Canada
Le gouvernement du Canada croit et, nous en sommes sûrs, presque
tous les Canadiens le croient aussi, que le pays peut atteindre ses objectifs
seulement sous un régime fédéral. Mis à l’épreuve sur ce continent, et
accepté de plus en plus a travers le monde, le fédéralisme moderne est le
régime qui permet aux petites communautés vulnérables de se former en
États pour leur bien-être et leur développement mutuel—en États assez
importants pour vivre et s’épanouir dans notre monde, tout en maintenant
l’intégrité des collectivités membres. Aujourd’hui plus que jamais, le fédé-
ralisme est pour le Canada la solution aux défis du monde moderne, car
une technologie fondée sur les grands ensembles et les restrictions de
l’interdépendance menacent de plus en plus la vraie liberté, l’indépendance
réelle de toute collectivité petite, isolée ou vulnérable. Seuls les hommes
qui ne perçoivent pas les contraintes qu’exercent sur notre pays ces forces
extérieures préconiseraient la dissolution du Canada en faveur d’entités
plus petites et plus vulnérables.
Le gouvernement du Canada rejette à la fois la centralisation et la
fragmentation, comme solutions de rechange au fédéralisme. La centrali-
sation, qui tend à l’État unitaire, serait incompatible avec le caractère du
Canada—avec sa diversité culturelle, avec une géographie qui demande
une décentralisation poussée du gouvernement, avec la liberté caractéris-
tique des États où le pouvoir politique n’est pas concentré entre les mains
d’un petit nombre.
L’option opposée—une association lâche d’unités politiques où l’effica-
cité du gouvernement central dépendrait du bon plaisir des gouvernements
provinciaux—est également incompatible avec les objectifs du Canada.
Elle compromettrait l’aptitude du gouvernement fédéral à contribuer à
la hausse du niveau de vie de la population; elle affaiblirait, chez les
Canadiens, la volonté d’œuvrer pour le bien-être et le progrès de leurs
concitoyens des autres provinces; elle menacerait l’existence même de notre
pays dans un monde où l’étendue autant que l’excellence compte dans la
poursuite des réalisations économiques, technologiques et culturelles.
Le fédéralisme canadien doit être un juste milieu entre ces extrêmes,
et ce juste milieu, nous devrions en attendre l’expression dans nos dispo-
sitions constitutionnelles. Nous devrions pouvoir trouver l’équilibre dans
les garanties constitutionnelles concernant les droits des citoyens cana-
diens, y compris leurs droits linguistiques—équilibre entre les droits des
particuliers et leurs obligations les uns envers les autres et envers la société,
équilibre entre leurs droits comme membres d’un des groupes linguistiques
du Canada et leur respect et leur intérêt pour ceux qui sont membres de
l’autre groupe. Nous devrions pouvoir compter sur des institutions cen-
trales du système fédéral canadien capables d’assurer une représentation
équilibrée au sein du gouvernement—représentation fondée sur la popu-
lation lorsqu’il s’agit du pouvoir général de légiférer, et représentation
reliée aux régions et aux groupes linguistiques du Canada lorsque le pou-
voir de légiférer a trait aux particularités et aux droits de ces régions ou
de ces groupes. Nous devrions aspirer a l’équilibre dans le partage des com-
pétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux
—équilibre dans les compétences assignées a chacun, équilibre aussi dans
le souci de pourvoir aux besoins du présent et à ceux de l’avenir.
Après avoir formulé ces objectifs et ces principes directeurs, le gou-
vernement canadien croit qu’il est approprié pour lui de présenter à la
population, au Parlement et aux provinces canadiennes ses opinions géné-
rales sur la Constitution du Canada.
Les droits du citoyen et la dualité linguistique du Canada
Le premier objectif de la Fédération canadienne, selon le gouverne-
ment du Canada, c’est de protéger les droits des particuliers. Cela signifie
tout d’abord garantir les droits personnels de tous les Canadiens. C’est la
un élément fondamental de l’État: qu’on supprime ces droits et peu de
Canadiens penseraient que leur pays mérite d’être préservé. Dans un
pays comme le nôtre, qui compte deux groupes linguistiques fondateurs, la
préservation des droits personnels doit signifier également la garantie des
droits linguistiques des deux groupes. Car la langue est à la fois un prolon-
gement de la personnalité individuelle et Pinstrument indispensable de
Porganisation sociale: négligeons de reconnaître les droits linguistiques
des Canadiens français ou des Canadiens anglais, et leur volonté de pré-
server le Canada s’en trouvera sérieusement affaiblie, sinon détruite.
Les droits de l’individu—sur le plan humain et linguistique—sont tel-
lement essentiels à cette volonté de survivance du pays, que le gouver-
nement du Canada propose, à titre de première étape dans la revue de la
Constitution, que ces droits soient garantis dans la loi fondamentale. A
cette fin, nous proposons d’incorporer, dans la Constitution canadienne,
une Charte des droits de l’homme aussitôt que les gouvernements fédéral
et provinciaux et les corps législatifs auront donné leur accord. Dans le
même dessein, nous proposons que les recommandations figurant dans le
volume I de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le bicul-
turalisme soient étudiées par cette Conférence et que chaque gouver-
nement représenté ici marque dès maintenant son accord sur les décla-
rations de principe et les objectifs énumérés dans les recommandations,
et mette en marche le dispositif qui doit permettre d’atteindre ces objectifs
le plus tôt possible.
Une Charte canadienne des droits de Phomme
Une importante étape a été franchie en 1960, dans la mesure où le
Parlement canadien pouvait le faire par une simple loi, lorsque fut adoptée
une déclaration des droits qui garantissait les droits des Canadiens. On
peut en dire autant pour les lois provinciales qui garantissaient certains
des droits des citoyens dans certaines provinces du Canada, toujours dans
la mesure où ces garanties peuvent être données par une simple loi. Toute-
fois, nous n’avons pas encore, dans notre pays, une Charte globale des
droits qui assure aux Canadiens tous les droits qu’ils estiment être fonda-
mentaux; nous n’avons pas non plus de Charte telle qu’elle empêche
même les corps législatifs canadiens de porter atteinte a ces droits.
L’unique moyen d’y arriver est d’insérer une Charte des droits de l’homme
dans la Constitution du pays. L’adoption d’une telle Charte, contrairement
à la plupart des amendements constitutionnels, n’entraîne pas de transfert
de juridiction d’un ordre de gouvernement a l’autre. Ainsi, elle n’affec-
terait pas plus la compétence des provinces en matière de propriété et de
droits civils que celle du Parlement fédéral en matière de droit criminel
et de procédure pénale. Elle comporte, au contraire, une décision de res-
treindre le pouvoir de tous les ordres de gouvernement.
Le gouvernement du Canada propose qu’une telle Charte soit acceptée.
et qu’elle comprenne quatre parties. La première partie garantirait à tous
les Canadiens la liberté de parole, la liberté de conscience et de religion, la
liberté d’assemblée et d’association, ainsi que la liberté de la presse. Elle
assurerait aux particuliers le droit à la vie, à la liberté, a la sûreté de leur
personne, a la jouissance de leurs biens, et elle garantirait a chacun Pégalité
devant la loi et la protection impartiale des lois.
La deuxième partie de la Charte des droits de l’homme empêcherait
le Parlement fédéral et toutes les Législatures provinciales de priver un
individu du recours à l’habeas corpus, et elle garantirait des droits tels
que la présomption d’innocence jusqu’à preuve de culpabilité, le droit d’être
représenté par un avocat et le droit d’une personne à une audition impar-
tiale de sa cause.
La troisième partie de la Charte des droits de l’homme interdirait
toute discrimination pour des motifs de sexe, de race, d’origine nationale
ou ethnique, de couleur ou de religion. Cette interdiction s’appliquerait
tant à la conduite des particuliers qu’à celle de l’État, fédéral ou provincial.
Le gouvernement du Canada propose finalement que la Charte des
droits de l’homme comporte une quatrième partie destinée a protéger les
droits linguistiques définis par la Commission royale d’enquête sur le bilin-
guisme et le biculturalisme dans le volume I de son rapport.
Le gouvernement canadien invite les gouvernements provinciaux à
entreprendre l’étude d’une telle Charte des droits. Pour faciliter les choses.
nous avons discuté à l’avance avec les premiers ministres provinciaux des
grandes lignes de notre proposition. Une entente sur une Charte des droits
de l’homme marquerait de façon éclatante le début de notre deuxième siècle
d’existence; ce serait aussi une initiative appropriée en 1968, année que
l’Assemblée générale des Nations Unies a désignée comme l’«Année inter-
nationale des droits de l’homme». Le gouvernement du Canada est prêt
à se mettre a l’œuvre sans tarder.
Droits linguistiques
Notre deuxième proposition est que les gouvernements représentés à
cette Conférence acceptent les recommandations de la Commission royale
d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Que cela s’impose d’ur-
gence devrait être maintenant manifeste pour tous les Canadiens. Les
Canadiens de langue française n’ont pas ce sentiment d’appartenance qui
est un élément essentiel de la Confédération; il importe d’y remédier si
l’ont veut renforcer le fondement de l’unité canadienne. Le succès de nos
efforts dépend évidemment, en fin de compte, du comportement de chacun
comme être humain, mais nous devons faire tout notre possible, aussitôt
que possible, par des mesures législatives et par l’intermédiaire dïnstitutions
créées par l’État, pour atteindre ce but.
Le gouvernement du Canada pour sa part a l’intention de recommander
au Parlement, à sa prochaine session, un projet de loi sur les langues
officielles qui stipulera officiellement que le français et l’anglais sont «les
langues officielles du Parlement du Canada, des cours fédérales, du gou-
vernement fédéral, et de l’administration fédérale». Nous nous proposons
aussi de nommer, sous l’empire de cette loi, «un Commissaire des langues
officielles chargé de faire respecter le statut du français et de l’anglais au
Canada». A cette fin, on prépare actuellement un plan d’action qui tend à
la pleine réalisation des objectifs recommandés au gouvernement du Canada
par la Commission royale d’enquête, objectifs que nous accueillons avec
empressement et que nous acceptons.
La Commission royale d’enquête a adressé le reste de ses recommanda-
tions aux gouvernements provinciaux, ou aux gouvernements fédéral et
provinciaux à la fois. Elle a demandé aux provinces d’Ontario et du Nou-
veau-Brunswick, en particulier, de prendre les mêmes mesures que le
Parlement du Canada ; de déclarer par une loi sur les langues officielles
qu’elles reconnaissent l’anglais et le français comme langues officielles. Elle
a demandé à ces mêmes provinces et au Québec de nommer un commissaire
des langues officielles «chargé d’assurer le respect du statut officiel du
français et de l’anglais» dans tout ce qui relève de leur juridiction. Dans le
cadre de ce programme d’égalité linguistique, les provinces reconnaîtraient
aux parents le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle
de leur choix. La Commission a demandé aux provinces de déclarer que
le français et l’anglais peuvent tous deux être employés dans les délibéra-
tions de leurs Assemblées législatives; et aux provinces des Prairies, de la
Nouvelle-Écosse et de l’Île du Prince-Édouard de reconnaître, en outre, les
deux langues dans les districts où 10 p. 100 de la population parlent l’autre
langue officielle. Ces régions bilingues seraient établies par négociations
fédérales-provinciales. La Commission royale ne s’attendait pas qu’on en
forme en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve. Les provinces dotées
de districts bilingues auraient la charge de pourvoir à l’instruction des
enfants soit en anglais, soit en français. L’acceptation de ces recommenda-
tions relève des gouvernements provinciaux et non du gouvernement fédéral
mais si les gouvernements provinciaux les acceptent, comme nous l’espérons,
et si l’on demande son assistance, le gouvernement du Canada est disposé
à aider à la mise en œuvre de ces propositions. Nous serons heureux de
nous unir aux gouvernements provinciaux pour trouver la façon dont
notre assistance pourrait être rendue plus efficace.
Nous reconnaissons que garantir les droits linguistiques au Canada
constituera pendant un certain temps un véritable problème pratique pour
plusieurs gouvernements, particulièrement ceux du Canada, de l’Ontario et
du Nouveau-Brunswick. Nous nous rendons compte aussi que certaines gens,
malheureusement, s’opposeront au principe même d’accorder aux Canadiens-
français du Canada anglophone les droits dont les Canadiens anglophones
jouissent au Québec. Mais si nous, les premiers ministres du pays, voulons
donner le ton, si nous voulons faire tout ce qui est possible pour protéger
notre pays et le rendre plus fort, nous devons indiquer la route à suivre
qui conduit à une politique d’égalité linguistique.
Institutions centrales du système fédéral canadien
La garantie des droits de chaque Canadien, y compris les droits
linguistiques, devrait être la première étape dans une adaptation de la
Constitution et d’autres dispositions, qui permette d’atteindre les buts
de la Fédération. A notre sens, la deuxième étape consisterait dans une
adaptation des institutions gouvernementales centrales, qui assure qu’elles
puissent aussi contribuer le plus efficacement possible à la poursuite de
ces buts.
Le gouvernement du Canada croit que les institutions centrales du
gouvernement doivent être agencées de façon à conserver le caractère
essentiel du pays. Le fédéralisme ne consiste pas simplement à répartir
les compétences entre l’autorité fédérale et les gouvernements provinciaux
avec l’espoir de réaliser un juste équilibre entre les forces de l’unité et
celles de la diversité au sein du pays. Sans doute l’aménagement des com-
pétences est-il un élément central du fédéralisme et il faudra pleinement
en tenir compte au cours des conférences qui suivront. On ne doit pas,
toutefois, en disposer de façon finale tant que les institutions centrales
du système fédéral n’auront pas été revues.
Le Parlement du Canada. La première de ces institutions est le Parle-
ment du Canada. La Constitution prévoit deux espèces de représentation
au Parlement: représentation basée sur la population, à la Chambre des
communes, et représentation sur une base régionale au Sénat. Les Cana-
diens, cependant, en sont peu à peu venus à croire que ce dernier ne devrait
pas pouvoir contrecarrer la volonté d’un corps élu par la voix populaire,
la Chambre des communes; la Chambre haute a donc pratiquement cessé
de faire usage de son droit de veto, ce qui a eu pour résultat d’imposer une
véritable limitation à l’exercice de son pouvoir législatif.
Il y a, bien entendu, d’autres façons importantes quoique moins
formelles, grâce auxquelles la diversité du Canada se reflète dans les insti-
tutions centrales du système fédéral. L’une d’entre elles est la représenta-
tion, dans les cabinets fédéraux, des diverses provinces canadiennes, des
deux groupes linguistiques fondateurs et, pour une bonne part, de la diver-
sité de religion et de culture. Les grands partis politiques à la Chambre
des communes se sont également organisés de façon a s’assurer que ces
intérêts seront représentés comme il se doit, dans leurs comités et autrement.
Nous croyons néanmoins qu’il faudrait reviser le rôle et les pouvoirs
du Sénat. On pourrait très bien reconstituer le Sénat de façon a lui per-
mettre de jouer un nouveau rôle en exprimant le caractère fédéral de notre
pays. Il pourrait être appelé, par exemple, à exercer des fonctions particu-
lières dans la sauvegarde des droits des Canadiens ainsi que du caractère
bilingue du Canada. On pourrait aussi s’attendre à ce qu’il reflète, mieux
qu’actuellement, les intérêts régionaux du pays.
Si l’on devait modifier le rôle et les pouvoirs du Sénat, il serait à.
propos, de l’avis du gouvernement du Canada, de se demander s’il y a lieu
de modifier le système de nomination. Car le mode de désignation des
sénateurs devrait être nettement relié au rôle particulier et aux fonctions
d’une Chambre haute dans un système fédéral.
Quoique nos propositions de changement ordonné de la Constitution
ne prévoient pas de discussion particulière de la réforme du Sénat a cette
Conférence-ci, nous voulons toutefois indiquer, qu’aux yeux du gouverne-
ment, le Sénat pourrait devenir une institution réflétant plus fidèlement le
caractère fédéral du pays et nous nous déclarons disposés a examiner, au
cours de conférences subséquentes, cet aspect de la Constitution du Canada.
La Cour suprême. Un autre élément du fédéralisme réside dans le
système en vertu duquel on tranche les litiges qui portent sur la signification
ou les modes d’application de la constitution. La composition, la juridiction
et les procédures du tribunal constitutionnel de dernière instance, la Cour
suprême du Canada, ont été au Canada l’objet de sérieuses discussions.
Ce sont la des matières qu’il conviendrait d’examiner lors d’une revision
de la Constitution. C’est ainsi, par exemple, que la Cour suprême, tant
en sa qualité de tribunal général d’appel qu’en sa qualité de tribunal de
dernière instance dans les questions constitutionnelles, fonctionne à l’heure
actuelle en vertu d’une loi ordinaire du Parlement du Canada. On a fait
valoir que sa constitution et son rôle devraient être énoncés dans la loi
fondamentale.
Le gouvernement du Canada sera disposé à discuter de questions
comme celle-ci lors de conférences constitutionnelles ultérieures. Mais pour
l’instant, nous voudrions établir les principes fondamentaux qui, selon
nous, devraient nous guider dans de telles discussions. En premier lieu,
un système fédéral comme le nôtre a un besoin fonctionnel d’un organisme
chargé de régler les conflits de juridiction et les incertitudes auxquels
donnent inévitablement naissance toutes les constitutions fédérales. En
deuxième lieu, pour jouir du respect et de l’autorité dont il a besoin afin
de remplir ses fonctions de façon adéquate, un tel organisme doit conserver
un caractère judiciaire et pouvoir agir avec impartialité. Troisièmement,
l’indépendance de la magistrature est un principe fondamental de la consti-
tution qui doit être protégé en conséquence.
Ces principes nous paraissent de première évidence; ils sont essentiels
si le Canada doit continuer à se gouverner dans la légalité. Il ne fait pas
de doute qu’ils serviraient de guides aux gouvernements fédéral et pro-
vinciaux dans leur étude de la Cour suprême du Canada.
La Fonction publique fédérale. La Fonction publique du Canada de-
vrait également être considérée comme l’une des institutions du système
fédéral. Cela veut dire, comme l’a déclaré la Commission royale d’enquête
sur le bilinguisme et le biculturalisme, que l’anglais et le français doivent
être les langues de travail de la Fonction publique, en particulier à Ottawa
et dans d’autres régions où les deux langues sont parlées. Cela veut dire
aussi que, dans sa composition, la Fonction publique devrait, d’une ma-
nière générale, refléter le caractère du pays.
Le fait que le gouvernement reconnaît la Fonction publique comme
une institution du système fédéral était évident dans sa déclaration, faite
il y a presque deux ans, de son intention de rendre progressivement bi-
lingue la Fonction publique et de sa détermination d’augmenter le nombre
des fonctionnaires canadiens-français. Bien des progrès ont été faits dans
cette voie et l’on peut espérer davantage à mesure que notre capacité
d’enseignement des langues augmente et que se développe notre aptitude
à attirer dans la Fonction publique les Canadiens-français et les Canadiens
de toutes les régions et de toutes les positions sociales du pays. Les pro-
blèmes qui se posent à nous ne sont pas d’ordre constitutionnel. Ils ont
un caractère très pratique. Les fonctionnaires fédéraux sont les produits
des systèmes d’enseignement du Canada, et si ces systèmes d’enseignement
n’ont pas produit de diplômés bilingues, les fonctionnaires ne peuvent pas
se révéler bilingues. Il y a donc de très difficiles problèmes d’adaptation
pour le gouvernement et pour les fonctionnaires. Nous nous proposons,
C’est justice, de protéger les fonctionnaires qui, sous l’empire d’usages
antérieurs, ont droit à la sécurité et ont l’espoir de promotions. Mais, tout
en accordant cette protection, nous sommes résolus à effectuer les change-
ments requis. A cette fin, nous sommes en train de fournir de vastes possi-
bilités de formation linguistique aux fonctionnaires qui ne sont pas bilin-
gues. Quant à l’avenir, ce sont les gouvernements provinciaux qui peuvent
contribuer le plus à ce changement en accordant à tous les étudiants la
possibilité d’apprendre le français aussi bien que l’anglais.
La capitale nationale
Si les organismes gouvernementaux à Ottawa doivent refléter le ca-
ractère fédéral du pays, la capitale nationale doit elle aussi être un sym-
bole du Canada. Ottawa et la région de la capitale doivent être à l’image
de ce que, selon nous, devrait être le Canada—en particulier et en tant
que capitale, un modèle de bilinguisme et de biculturalisme. Le gouver-
nement du Canada a entamé des discussions avec les provinces d’Ontario
et de Québec, dont relève la région d’Ottawa-Hull, sur les dispositions à
prendre pour atteindre cet objectif. Il faudra, dans ces pourparlers, tenir
compte des intérêts juridictionnels ainsi que municipaux qui regardent les
deux provinces. Nous nous réjouissons de l’empressement avec lequel les
premiers ministres de ces provinces ont accepté de discuter cette question
avec le gouvernement du Canada.
Voilà les idées générales du gouvernement sur ce deuxième aspect de
la constitution canadienne et des autres dispositions politiques. Les insti-
tutions politiques centrales et la garantie des droits personnels et de la
dualité linguistique au Canada sont d’importants instruments de fédéralisme.
La Conférence fédérale-provinciale devrait étudier comment les employer
afin de mieux servir le Canada pendant son deuxième siècle.
Le Canada et le monde
Avant de passer au troisième élément de la Constitution du Canada
que nous espérons pouvoir discuter dans la série de conférences que nous
avons proposées, le gouvernement fédéral estimé que la présence de notre
pays sur le plan international vaut une mention particulière.
Le Canada ne peut avoir qu’une personnalité internationale. Nous
pensons que les Canadiens en général veulent que leur pays soit considéré
à l’étranger comme un seul pays, le Canada. Il faut donc, à nos yeux, que
le gouvernement fédéral continue d’avoir l’entière responsabilité de la
politique étrangère du Canada et de la représentation à l’étranger des
intérêts du Canada.
Il n’est pas question de nier par là l’intérêt que les gouvernements
provinciaux peuvent avoir dans certaines questions internationales qui
touchent leur compétence. Mais ces intérêts peuvent être reconnus et
protégés si l’on veille à ce que le gouvernement canadien exerce, comme il
convient, ses responsabilités internationales, et s’il y a coopération entre
les gouvernements fédéral et provinciaux dans des questions d’intérêt
mutuel. Il n’y a pas de nécessité évidente d’accorder aux provinces des
pouvoirs spéciaux dans ce domaine. En fait, aucun État fédéral n’a jugé
nécessaire ni souhaitable de conférer à ses provinces ou États le pouvoir au-
tonome de conclure des traités ou—sauf dans le cas de deux des républiques
de l’URSS, et pour des motifs bien particuliers, en 1945—de leur permettre
une présence distincte au sein d’organismes internationaux ou la représen-
tation diplomatique indépendante. La raison en est évidente. De tels
pouvoirs ou une telle représentation diviseraient ou morcelleraient une
union fédérale en entités internationales séparées. Dans le cas du Canada,
une telle situation détruirait notre influence et notre présence à l’étranger,
et minerait notre unité interne.
Cela serait non seulement tragique, mais inutile. Le gouvernement du
Canada s’est graduellement efforcé—dans sa politique étrangère et dans
toutes ses actions à l’étranger—de refléter le caractère bilingue du pays
et de tenir compte, dans les diverses activités internationales, des intérêts
légitimes et croissants des provinces canadiennes. Par exemple, les déléga-
tions aux conférences internationales où les intérêts des provinces sont en
cause, comprennent maintenant de plus en plus de représentants provin-
ciaux; le désir qu’ont les provinces de bénéficier de la collaboration et des
échanges avec des États étrangers est pleinement reconnu et encouragé;
les gouvernements provinciaux peuvent, au besoin et avec le consentement
du gouvernement fédéral, conclure des ententes avec d’autres juridictions;
et l’intérêt des provinces dans d’autres formes de collaboration internationale
est aussi favorisé. En fait, le gouvernement fédéral peut répondre à tout
besoin provincial exigeant que l’on agisse sur le plan international, sauf,
bien entendu, s’il s’agissait d’actions qui affaibliraient le pouvoir du gou-
vernement du Canada de représenter le pays à l’étranger. Le gouvernement
compté, avec l’entière collaboration des provinces, poursuivre et élargir
cette politique.
Les Canadiens comprendront que les suggestions touchant l’existence
d’entités internationales distinctes, ou une présence divisée à l’étranger,
ne sont pas simplement des propos abstraits intéressant les juristes experts
en droit constitutionnel. Ils s’attaquent au fondement même de notre exis-
tence comme pays. A la vérité, la réalisation du statut d’État indépendant
pour le Canada s’est fondée en grande partie sur l’acquisition par notre
pays d’une voix distincte dans le concert des nations. Donner ce droit et
pouvoir aux gouvernements provinciaux pourrait produire le même résultat
pour eux: des politiques étrangères distinctes, des relations distinctes avec
les autres États, une représentation distincte à l’ONU et auprès d’autres
organismes, enfin des ambassades et des ambassadeurs distincts. Mais ce
serait plus que cela. Né nous faisons pas d’illusion à cet égard: le sépara-
tisme à l’étranger conduirait au séparatisme chez nous.
La répartition des compétences
Le troisième aspect important de la Constitution canadienne qui exige
une revision est la répartition des compétences entre le gouvernement fédé-
ral et les provinces. C’est la partie de la Constitution qui provoque le plus
de désaccord entre les gouvernements; il est inévitable qu’elle occupe une
bonne partie de notre attention au cours des conférences constitutionnelles
que nous avons proposées.
Il est bien compréhensible qu’il en soit ainsi. Compréhensible à cause
de l’expansion énorme des pouvoirs publics, à l’échélon fédéral, provincial
ou municipal. A mesure que les pouvoirs publics ont pris de l’ampleur
s’est accrue la tendance aux difiérents échelons à proposer des politiques ou
à prendre des mesures qui touchaient la politique ou les mesures prises à
d’autres échelons. La préoccupation de savoir si la compétence fiscale des
administrations correspond à leurs pouvoirs en matière de dépenses a crû
parallèlement. Et avec l’élargissement de l’activité gouvernementale et de
la planification, les gouvernements ont eu de plus en plus tendance à em-
brasser dans leur planification l’activité des autres ordres de gouverne-
ment dans le même domaine.
Il importe que le gouvernement fédéral et les gouvernements provin-
ciaux, étant donné les divergences qui les séparent, envisagent sérieusement
les conséquences des rajustements constitutionnels que l’on pourrait pro-
poser dans ce domaine. Il vaut mieux être franc à propos de ces divergen-
ces. Les gouvernements des provinces croient que leurs pouvoirs d’impo-
sition sont trop restreints; le gouvernement fédéral croit que les pouvoirs
d’imposition des provinces sont virtuellement aussi grands que les siens.
Les gouvernements de certaines provinces ne croient pas que le Parlement
du Canada devrait pouvoir exercer comme il l’a fait son pouvoir de dépen-
ser des fonds publics; mais en fait, c’est à l’exercice de ce pouvoir qu’est
due une bonne part du progrès social et économique du Canada. On a
réclamé du Parlement du Canada le transfert global de certaines compé-
tences fiscales et de certains pouvoirs de dépenser les fonds publics; le
gouvernement fédéral a répondu que des transferts de pouvoirs d’un tel
ordre aux provinces lui interdiraient de s’acquitter de ses responsabilités
vis-à-vis de l’ensemble du pays.
Toutes ces divergences sont sérieuses. Et toutes découlent d’opinions
contraires sur la façon dont les compétences sont ou devraient être répar-
ties entre le Parlement du Canada et les assemblées législatives des pro-
vinces. Le gouvernement du Canada en est arrivé à la conclusion qu’il
était temps pour le gouvernement fédéral et les gouvernements provin-
ciaux de se réunir, pour discuter, formellement et sans restriction, du
problème de l’aménagement des compétences au Canada. Nous devrions
examiner les demandes visant le transfert ou la détermination de certaines
compétences, ainsi que les conséquences de ces demandes. Ces réunions en-
traîneraient naturellement des discussions difficiles sur des questions com-
plexes et délicates, comme le partage des compétences, le pouvoir de
dépenser des fonds publics, le pouvoir résiduaire et le pouvoir de déléga-
tion. Mais à notre avis, des rencontres sur ces points sont préférables aux
éternelles disputes portant sur des compétences particulières et au cours
desquelles on ne voit les problèmes que de façon fragmentaire et incom-
plète.
Les entretiens sur l’aménagement des compétences devraient s’engager,
de l’avis du gouvernement du Canada, après l’étude, au cours de confé-
rences constitutionnelles, des autres éléments principaux de la Constitution
—les droits du citoyen canadien y compris les droits linguistiques, et les
institutions centrales du système fédéral. Nous disons cela parce que
l’intérêt des provinces et celui des deux groupes linguistiques du pays
ne sont pas et ne peuvent être défendus simplement par l’expédient qui
consiste à transmettre aux gouvernements provinciaux des pouvoirs du
gouvernement fédéral. Ces intérêts trouvent et doivent trouver une expres-
sion dans les garanties constitutionnelles et dans les institutions centrales
du système fédéral. Il s’ensuit que pour juger des pouvoirs dont les gou-
vernements provinciaux ont besoin afin de protéger au premier chef les
intérêts linguistiques ou les intérêts provinciaux, on doit nécessairement
se placer dans la perspective des garanties constitutionnelles et de la
représentation de tels intérêts auprès des organes centraux de l’État.
Sous prétexte de protéger les droits linguistiques et les intérêts provinciaux,
porter atteinte à la capacité du gouvernement fédéral d’agir pour le Canada,
alors que les garanties constitutionnelles et les institutions du système
fédéral pourraient réaliser l’essentiel, serait véritablement desservir les
Canadiens. De plus, le partage des pouvoirs entre les deux ordres de
gouvernement devrait s’inspirer de règles fonctionnelles plutôt que se fonder
sur des considérations ethniques. Ces règles fonctionnelles, on pourra les
appliquer beaucoup plus aisément une fois résolu le problème de la protec-
tion des droits linguistiques.
Le gouvernement canadien propose donc que la discussion sur la repar-
tition des compétences ait lieu lors de conférences subséquentes. Toutefois,
en prévision de ces entretiens et afin de donner un aperçu des vues du gou-
vernement, nous croyons devoir exposer à la Conférence certains des prin-
cipes sur lesquels, à notre avis, nous devrions nous appuyer.
En premier lieu, nous croyons que le Canada a besoin de gouvernements
fédéral et provinciaux forts. Le champ d’action des pouvoirs publics est
de nos jours si vaste et les problèmes sont si nombreux qu’il n’est pas
contradictoire de parler en ces termes. Les gouvernements eux-mêmes
confirment ce point de vue lorsqu’ils afiirment que leurs dépenses dépassent
leurs ressources fiscales. Il y a aussi une autre raison de maintenir l’équilibre
entre les pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux: la liberté
personnelle sera probablement mieux assurée si aucun des deux ordres de
gouvernement ne peut s’arrogér un pouvoir prépondérant sur le citoyen.
Deuxièmement, le gouvernement du Canada croit que certains domaines
doivent relever du pouvoir fédéral si notre pays veut prospérer dans un
inonde moderne. Le Parlement canadien doit être responsable des instru-
ments principaux et inextricablement liés de la politique économique afin
de pouvoir stimuler l’emploi et freiner l’inflation. Il doit avoir la haute
main sur la politique monétaire et le crédit; il doit pouvoir jouer le rôle
de stabilisateur dans la politique fiscale et tarifaire et en ce qui concerne
la balance des paiements. Il doit être responsable du commerce interpro-
vincial et international. Il doit pouvoir prendre des mesures pour stimuler
l’essor de l’économie, mesures qui, inévitablement dans certains cas, et
intentionnellement dans d’autres, influeront sur l’essor de l’économie sur le
plan régional. Sans ces pouvoirs, le gouvernement fédéral ne pourrait con-
tribuer a la réalisation d’un grand nombre des objectifs essentiels du fédé-
ralisme, y compris la diminution de la disparité entre les régions.
Nous croyons que le gouvernement canadien doit avoir la faculté de
redistribuer le revenu entre les individus et entre les provinces s’il doit
réaliser l’égalité des occasions pour tous les Canadiens. Cela implique, comme
c’est le cas actuellement, le droit d’effectuer des paiements à des particu-
liers, dans le but de maintenir le niveau de leurs revénus—pension de sé-
curité dé la vieillesse, assurance-chômage, allocations familiales—et le droit
d’effectuer des versements aux provinces, dans le but d’égaliser la qualité
des services qu’elles dispensent. Cela doit comporter aussi des pouvoirs
d’imposition qui permettraient au gouvernement fédéral de prélever des im-
pôts de ceux qui peuvent davantage contribuer à ces mesures d’égalisation.
C’est seulement ainsi que le gouvernement fédéral pourra participer à
l’égalisation des occasions au Canada, appuyant de ce fait les mesures prisés
à cette fin par les gouvernements provinciaux et y ajoutant.
Le gouvernement canadien estime qu’il doit pouvoir parler au nom
du Canada sur le plan international et qu’il doit pouvoir agir au nom du
Canada pour renforcer les liens qui unissent le pays. Nous avons déjà dit
ce que cela impliquait, à notre avis, sur le plan international. Sur le plan
interne, il nous apparaît que cela présuppose un rôle actif du gouvernement
fédéral dans les développements culturels et technologiques si caractéris-
tiques du vingtième siècle. Naturellement, nous reconnaissons que pour
nourrir la diversité culturelle du Canada, il faut aussi des programmes
provinciaux dynamiques. Mais, le gouvernement du Canada doit avoir
son rôle, car le développement culturel et technologique du pays dans son
ensemble est aussi essentiel à l’existence de l’État aujourd’hui que les
tarifs et les chemins de fer l’étaient il y a cent ans.
Tels sont les principaux domaines de responsabilité essentiels à l’or-
ganisation de l’État moderne souverain—la politique économique, l’égalité
des chances, le développement technologique et culturel, et les affaires
internationales. Naturellement, il s’y trouve des compétences partagées
avec les provinces—notamment les questions culturelles, la politique éco-
nomique régionale et les mesures de sécurité sociale. Cependant, les cata-
loguer maintenant ou déterminer l’énsemble des pouvoirs fédéraux, ce
serait s’éloigner de l’énoncé des principes directeurs et anticiper les
discussions des futures conférences.
Le troisième principe dont s’inspirera le gouvernement du Canada dans
cette discussion du partage des compétences, c’est que la plupart des services
exigeant les rapports les plus étroits du citoyen avec les pouvoirs publics
et ceux qui contribuent le plus directement aux traditions et à l’héritage
uniquement provinciaux devraient, en règle générale, être dispensés par le
gouvernement des provinces. Des gouvernements provinciaux forts, capables
d’adapter les services publics aux besoins particuliers des populations
locales sont aussi essentiels pour répondre aux besoins de la diversité au
Canada qu’un gouvernement fédéral fort l’est pour conserver l’unité ca-
nadienne.
Les gouvernements provinciaux sont responsables de l’éducation et
ont le pouvoir de favoriser le développement technologique et culturel,
si souvent associé aux institutions d’enseignement. Ces pouvoirs jouent un
rôle important dans l’épanouissement des groupes linguistiques du Canada
et des diverses traditions qu’on retrouve dans notre pays. Nous reconnais-
sons, évidemment, que nombre de ces institutions servent le pays tout
autant que la province, mais cela ne devrait pas entraver les provinces
dans l’accomplissement de leurs fonctions.
Le gouvernement du Canada estime que les provinces doivent avoir
le pouvoir de fournir des services de santé et de bien-être social. Par
exemple, ce sont les provinces plutôt que le gouvernement fédéral qui
doivent administrer les hôpitaux et les cliniques d’hygiène publique et
déterminer les besoins des personnes à qui il faut une assistance sociale.
L’administration de tels services par les provinces permet d’aligner les di-
vers niveaux de services sur les priorités locales. Le rôle du gouvernement
fédéral devrait être de prévoir les transferts de revenu entre les particuliers
et entre les provinces qui, d’une façon générale, soutiennent les revenus des
gens et les services des gouvernements dans les différentes provinces.
Le gouvernement du Canada reconnaît aussi que les provinces de-
vraient continuer à détenir les pouvoirs constitutionnels nécessaires pour
leur permettre d’entreprendre des programmes régionaux de développement
économique. Les programmes provinciaux infiuéront inévitablement sur les
politiques nationales d’expansion économique, et vice versa, et peut-être
même les programmes des diverses provinces se feront-ils concurrence. Mais
les objectifs et les aspirations des habitants des diverses provinces devraient
se manifester dans les mesures économiques provinciales aussi bien que fédé-
rales. Les provinces doivent aussi garder leur compétence à l’égard des
nombreuses questions intraprovincialés qui réclament des initiatives à l’éché-
lon local plutôt que fédéral.
Le gouvernement du Canada estime que dans l’exercice de ces respon-
sabilités—qui, en vertu de la répartition actuelle des compétences, ont une
portée au moins aussi vaste que celles du gouvernement fédéral—chaque
province devrait pouvoir agir comme elle l’entend. La gamme des pouvoirs
que nous voudrions voir entre les mains des provinces s’étendrait, comme
à l’heure actuelle, aux domaines essentiels à la préservation des diverses
entités culturelles et régionales du Canada.
Enfin, nous sommes d’avis que les gouvernements provinciaux comme le
gouvernement fédéral, doivent avoir des pouvoirs fiscaux suffisants pour
financer leurs domaines de responsabilités. Toutefois, nous tendons a croire
que par l’attribution aux divers ordres de gouvernement du pouvoir d’impo-
sition—c’est-a-dire l’aptitude à financer les services publics au Canada—le
principe de l’accès aux pouvoirs fiscaux n’amène à supplanter le principe
d’une répartition précise des champs d’impôt. Nous ferions bien de nous
rappeler qu’il est aussi difficile de prédire les transformations technologiques,
sociales ou internationales qui, dans trente ans, auront accru le rôle des gou-
vernements provinciaux ou fédéral, qu’il l’aurait été de prédire les trans-
formations survenues entre 1938 et 1968.
Notre quatrième proposition générale concernant la répartition des
compétences a trait aux effets inévitables de l’activité de chaque gouver-
nement sur l’activité des autres. Cela s’applique tant aux programmes
particuliers qu’à l’activité des pouvoirs publics dans sa totalité. Par
exemple, les mesures de redistribution du revenu fédéral ont inévitable-
ment un effet sur les programmes provinciaux de sécurité sociale, tandis
que les politiques provinciales sur la mise en valeur des ressources affectent
inévitablement le taux de croissance de l’économié nationale. De la même
façon, l’utilisation globale, par toutes les provinces, de leur pouvoir de
dépenser des fonds publics et de leur pouvoir d’emprunt affecte inévita-
blement les politiques fédérales en matière de fiscalité, de monnaie et de
balance des paiements, tandis que les dépenses fédérales influent de
diverses façons sur les politiques provinciales. Évidemment, le volume total
des dépenses de chacun des deux ordres de gouvernement affecte les priori-
tés de l’autre ordre.
Nous nous demandons s’il est encore bien réaliste de s’attendre qu’on
puisse découvrir quelque formule précise de répartition des compétences
qui permette d’éviter cette situation. Le remède ne se trouverait-il pas
plutôt dans des consultations intergouvernementales où les intéressés
chercheraient a s’influencer mutuellement avant que les décisions soient
finalement prises. Un tel remède a été prescrit si souvent qu’il paraît
banal. Cependant, il y a beaucoup à faire, ne serait-ce que pour en venir
à comprendre les processus selon lesquels les gouvernements peuvent exer-
cer une influence les uns sur les autres, sans mentionner le perfectionnement
des mécanismes de consultation entre gouvernements. Quant a la partici-
pation de chacun des deux ordres de gouvernement aux décisions mêmes
de l’autre, elle ne constitue pas une réponse facile aux problèmes de con-
sultation réciproque: le gouvernement fédéral doit continuer de rendre
des comptes au Parlement, et les gouvernements provinciaux, aux législa-
tures; les conférences fédérales-provinciales doivent, à notre avis, per-
mettre d’exercer l’art d’influencer au lieu du pouvoir de décider.
Les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, reconnaîtront aussi
qu’il y a une question non encore résolue: le gouvernement fédéral doit-il
exercer un rôle quand l’«intérêt national» est visé par l’existence (ou
l’absence) de certains programmes provinciaux, ou les gouvernements pro-
vinciaux doivent-ils exercer un rôle quand l’«intérêt provincial» est con-
cerné par l’existence (ou l’absence) de programmes nationaux‘? Les
exemples abondent: ce que les provinces font ou ne font pas au sujet de
l’aménagement urbain in’flue incontestablement sur l’intérêt national, et
ce que le gouvernement fédéral fait ou ne fait pas au sujet de la politique
douanière influe sur l’intérêt provincial. Nous devons nous demander
sérieusement s’il devrait y avoir moyen, pour le gouvernement fédéral
de chercher à influencer les provinces lorsque l’intérêt national est en
cause, et moyen, pour les gouvernements provinciaux, de chercher à in-
‘fluencer le gouvernement federal lorsque l’intérêt provincial est en jeu.
Nous ne connaissons pas de solutions faciles. Ce qu’il faut, c’est
d’examiner à fond les conférences et les comités fédéraux-provinciaux qui
existent présentement, de voir comment ils fonctionnent et comment leurs
travaux sont coordonnés. Selon le gouvernement canadien nous devons
être prets à reconnaitre plus systématiquement ces nouvelles formes de
fédéralisme. Nous devons être disposés à étudier de nouveaux moyens
permettant aux provinces dinfiuencer l’elaboration des politiques fédé-
rales, et au gouvernement fédéral d’influencer l’élaboration des politiques
provinciales avant que des décisions définitives ne soient prises. Nous
devons être prêts à accepter, en ce qui concerne l’appareil gouvernemental,
des innovations qui nous permettront de conserver l’essentiel des deux
grandes traditions politiques au Canada—le fédéralisme et le gouverne-
ment parlementaire.
Procédure à suivre pour la revision de la Constitution
Si la conférence décide que la Constitution canadienne devrait être
complètement revue, il est de toute première importance de considérer
la meilleure façon dont on devrait procéder à cet égard et l’ordre dans
lequel on devrait le faire. A ce sujet, deux points méritent une attention
particulière.
En premier lieu, les dispositions à prendre doivent refléter la gravité
de la tâche. La constitution est le cadre fondamental par lequel la vie du
pays est ordonnée et régie. Si nous y apportons un changement ou un
ajustement sans avoir soigneusement pesé les conséquences, nous pouvons
causer un tort sérieux à cet ensemble de relations qui est essentiel au
fonctionnement de l’État et des lois. Aujourd’hui nous nous rendons
compte des imperfections: nous ne devons pas pour autant ne voir rien
de bon ou croire que tout changement est une amélioration. Si une loi
ordinaire comporte une erreur, on peut y remédier dès la prochaine session
parlementaire. Mais une erreur dans la constitution peut s’avérer quasi
irrémédiable, et ses conséquences, extrêmement graves. La loi fondamentale
est vraiment fondamentale et c’est dans cette optique qu’il faut en entre-
prendre l’examen et la revision.
La deuxième chose à considérer, c’est que l’exposé de la loi, si fon-
damental soit-il, définit au moyen de mots la structure que nous idésirons
donner aux relations politiques à l’intérieur de la communauté canadienne:
la relation des individus par rapport à leurs gouvernements et comme
nous sommes en régime fédéral, les relations entre les différents ordres
de gouvernement. L’amélioration de ces relations, dans les cadres d’un
systeme politique établi—et que nous cherchons à perfectionner plutôt
qu’à l’établir sur une base entièrement nouvelle—doit être entreprise par
ceux qui représentent la population et qui dirigent nos gouvernements.
Cela ne veut pas dire—ce serait impossible-que le premier ministre du
Canada et les premiers ministres des provinces doivent accomplir eux-
mêmes toute la tâche. Mais cela veut dire, croyons-nous, que les délibéra-
tions doivent constamment rester sous la direction et le contrôle des divers
gouvernements et que les décisions concernant les changements à apporter
dans les institutions ou dans les relations politiques doivent être prises
par ces gouvernements de façon à bénéficier de l’appui des corps législatifs.
A la lumière de ces considérations, le gouvernement du Canada est
d’avis que, pour mener à bien une revision complète, les chefs de gouver-
nements doivent être disposés à se réunir en conférences fédérales-provin-
ciales, à des intervalles relativement fréquents au cours des deux ou trois
prochaines années, afin d’orienter et de contrôler le processus de revision.
La tâche peut nous paraître ardue, mais nous ne devons pas oublier qu’il
a fallu deux ou trois ans pour rédiger la première Constitution. Une con-
férence constitutionnelle permanente comme celle-la, dont l’assemblée
actuelle constituerait la première réunion, établirait sans doute de temps
à autre des comités spéciaux, chargés d’entreprendre l’étude de questions
particulières: il pourrait s’agir de comités de ministres ou de hauts fonc-
tionnaires, selon qu’on le jugerait à propos. La Conférence pourrait aussi
vouloir instituer un comité permanent de hauts fonctionnaires responsables
à la Conférence, pour faciliter les discussions au moyen d’une étude
préliminaire des questions de politique qui lui seraient déférées par les
premiers ministres fédéral et provinciaux. Ce comité pourrait coordonner
les recherches et la préparation de la matière pour la Conférence, et
faciliter par d’autres moyens les discussions ministérielles.
Sans aucun doute, chaque gouvernement voudra étudier aussi les
moyens de recevoir l’opinion des particuliers, des organismes et des
groupes, de même que l’avis des spécialistes, à mesure des progrès de
la revision, afin de pouvoir contribuer par la à l’étude de tous les pro-
blèmes. Les recommandations de la Conférence constitutionnelle perma-
nente devraient ensuite être soumises aux gouvernements intéressés avant
de pouvoir devenir des amendements à la Constitution ou les éléments
d’une Constitution nouvelle. La procédure pourrait varier suivant la ques-
tion à l’étude. Dans tous les cas, cependant, il incomberait à chaque
gouvernement de déterminer, comme pour les amendements antérieurs,
la procédure précise par laquelle il donnerait son assentiment à un projet
d’amendement. Quant au gouvernement du Canada, il se propose de sou-
mettre à l’approbation du Parlement toutes les modifications à la Consti-
tution sur lesquelles nous serions tombés d’accord.
En plus de s’entendre sur la procédure de revision de la Constitution,
il serait nécessaire de déterminer dans quel ordre il serait le plus avan-
tageux d’aborder les divers objets de cette revision. Le gouvernement du
Canada est d’avis, nous le répétons, que le mieux serait de commencer par
les droits personnels. Nous espérons que la Conférence accomplira beau-
coup à cet égard. Il serait logique de passer ensuite à l’étude des princi-
paux organes ou institutions du gouvernement central qui ont une signi-
fication particulière à cause de la nature de notre fédéralisme: la Cour
suprême et le Sénat nous semblent être d’importance primordiale dans
une revue de la Constitution. A la lumière de ces considérations, et peut-
être d’une étude des objectifs fondamentaux de la Fédération qui pour-
raient être incorporés à la loi fondamentale, la Conférence pourrait alors
tenter de supprimer les dispositions désuètes de la Constitution et de
donner une forme plus moderne à celles qui peuvent de toute évidence
être modifiées. Enfin nous proposerions de passer à l’examen des rapports
entre gouvernements, et a l’énoncé de leurs pouvoirs. Pour les raisons que
nous avons déjà données il conviendrait en effet, nous semble-t-il, de
garder cette question pour une étape subséquente de nos entretiens. Les
compétences et leur répartition ne peuvent être étudiées sérieusement que
lorsqu’on a déterminé en substance les droits et les objectifs pour lesquels
et les relations au sein desquelles les gouvernements doivent œuvrer. De
plus, la Conférence aura inévitablement circonscrit et clarifié, dans les
premières étapes de ses discussions, bien des problèmes dont on devra
tenir compte lorsqu’il s’agira d’ajuster le partage des compétences entre
les gouvernements fédéral et provinciaux. La Conférence pourra apporter
plus d’assurance dans ses travaux et se prêter avec plus de confiance à
des ajustements une fois qu’auront été attentivement discutés les nom-
breux problèmes qui se trouvent au cœur du système de relations et dans
les buts que nous voulons intégrer aujourd’hui dans la Constitution.
Tels sont le cadre et le déroulement qui nous semblent adéquats si l’on
convient d’entreprendre une revision d’ensemble de la Constitution. Tous
les gouvernements représentés à la présente Conférence reconnaîtront qu’il
est important d’envisager ces discussions dans un esprit de compréhension
et dans un commun souci pour l’avenir du Canada. La responsabilité qui
nous incombera sera de représenter le Canada. Nous ne devons pas oublier,
s’il survient des divergences d’opinion au sujet des juridictions des gou-
vernements, qué nous sommes tous ici pour servir les Canadiens. Chaque
citoyen du Canada est représenté par deux gouvernements, le fédéral et
le provincial. Tous deux sont les porte-parole des mêmes citoyens dans
chacune des provinces. Notre objectif sera d’élaborer non seulement des
dispositions constitutionnelles destinées à protéger les droits personnels
des Canadiens, mais aussi des dispositions permettant aux gouvernements
qui se partagent entre eux la responsabilité du pouvoir, d’oeuvrer dans
l’intérêt bien compris de tous les Canadiens où qu’ils se trouvent dans
ce pays où ils ont la bonne fortune de vivre.
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1968