« Quebec. Jeudi, 3 November 1859. » (Manifesto), Journal de Québec (3 Novembre 1859)


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Date: 1859-10-25
Par: Journal de Québec, A.A. Dorion, Lewis Drummond, L.A. Dessaules, Thomas D’Arcy McGee
Citation: « Quebec. Jeudi, 3 Novembre 1859. », Journal de Québec (3 Novembre 1859).
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QUÉBEC.

JEUDI, 3 NOVEMBRE 1859.

Voici le rapport du comité nommé à l’assemblée des membres de l’opposition parlementaire du Bas-Canada, tenue à Montréal, le 13 octobre courant:

« C’est avec la conviction bien arrêtée qu’une crise constitutionnelle inévitable imposait au parti libéral du Bas-Canada des devoirs proportionnés à la gravité des circonstances dans lesquelles se trouvent les affaires du pays, que votre comité s’est occupé de la tâche dont vous l’avez chargé.

« Il est devenu évident à tous ceux qui, depuis quelques années, ont donné leur attention aux événements journaliers, et surtout à ceux qui ont eu à se mêler activement d’affaires publiques, que nous arrivons rapidement à un état de choses qui nécessiterait des modifications dans les rapports existant entre le Bas et le Haut-Canada; et la recherche des moyens les plus propres à rencontrer la difficulté, lorsqu’elle se présenterait, n’a pas manqué d’être le sujet de la plus sérieuse considération et de fréquentes discussions dans le parlement et en dehors.

« Quoique les difficultés qui nous assiégent maintenant fussent prévues, et qu’une crise semblable à celle à laquelle nous somme arrivés fût considérée comme devant être, à une époque plus ou moins rapprochée, le résultat nuturel et inévitable des rapports des deux provinces, il n’y a pas à se dissimuler que son avènement a été considérablement accéléré par l’effrayante prodigalité et la corruption avec lesquelles le gouvernement a, depuis quelques années, conduit les affaires du pays. Toutes les considérations qui, autrefois, servaient ici et dans la Grande Bretagne, dont les institutions politiques ont servi de modèles aux nôtres, à retenir et guider les hommes publics,— telle qu’une scrupuleuse attention à leur propre réputation et à leurs antécédents, le respect dû aux plus évidentes exigence! de la constitution et de la loi du pays, et une dèferunce convenable à une opinion publique éclairée,—ont été entièrement méconnues par les administrateurs actuels, à tel point que la position de ministre responsable de lu couronne, autrefois enviée, a cessé d’être l’objet d’une houoruble ambition, si, toutefois, elle n’est pas déjà devenue un sujet de reproche et de mépris aux yeux de tous les hommes intelligents et honnêtes.

“Nous avous donc maintenant à remédier non-seuiement aux maux inhérents à un système qui n’a peut-être jamais été adapté aux circonstances particulières des ditlèrentes parties de la province, mais aussi à ces maux, aggravés et rendus plus insupportables par des années de mal-administration, d’extravagances et d’une corruption telle, qu’aucun autre gouvernement, fondé ostensiblement sur les voeux du peuple, n’en u jamais donné l’exemple. En proposant des changements constitutionnels, nous avons à considérer s’ils devront remédier aux maux présents et les remlre impossibles à l’avenir. Eu un mot, le double problème à résoudre, est de trouver le moyeu d’obvier aux difficultés résultant de l’Uuion actuelle, et d’assurer la pureté, l’économie et l’efficacité duns l’adinmistration future des alluires publiques.

“Le rappel de l’Union et le rétablissement de gouvernements séparés dans les deux sections de la province paraîtraient à uu grand nombre offrir la solution la plus | simple et la plus désirable. L’acte d’Union n’ayant jauiuis été acceptable à la majorité des habtants du Bas Canada, et n’ayant pas, ainsi que cela est admis, réalisé l’objet et rempli l’attente do ceux qui l’avaient projeté, l’Union n’étant, do fait, pas plus réelle aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a vingt ans, l’on demande, avee quelque raison, quel remède pourrait être en même teni|»a aussi simple et aussi facile à obtenir que le rnppel de cet acte ? On pourruit ainsi, l’on alarme, mettre uii terme aux difticultés qui peuvent justement être imputées a l’Union, et laisser i chacune des deux provinces la tâche do réformer son système administra tif, ou de remodeler sa constitution, ou de faire l’un et l’autre, suivant que lu peuple le jugerait à propos.

“Il ne faut, cependant, pus oublier que lors même que nous le voudrions, nous ne pourrions pas rétablir l’ordre de choses qui existait avunt l’Union. Quoique le progrès vers la consolidation do celte Union, par la fusion des principaux éléments qui composent notre population, ou par l’assimilation do leurs lois et de leurs institutions, ait été à peu prés nul, une dette publique énorme et dont toute la province est responsable, a été créée et se trouve représentée par des travaux publics communs aux deux provinces et qui leur sont également nécessaires. Ayant dos biens communs et les mêmes créanciers, il serait difficile, sinon impossible, de parvenir, du contentement de ces derniers, à une division équitable de ce qui devrait appartenir à chaque section. L’ancienne difficulté de partager d’une manière équitable, entre les doux provinces, les revenus des douanes, renaitruit de suite, mais d’autant plus grave que les rapports commerciaux développés depuis l’Union, se sont plus compliqués et ont reçu plus d’extension. La nécessite de trouver une base pour faire ce imrtuge, dans le cas d’une dissolution, est évidente; parce que ni l’une ni l’autre des provinces ne pourrait longtemps se soumettre aux dejieiises et aux inconvénients qui résulteraient d’un système distinct et séparé pour la perception des revenus dans deux provinces si étroitement liées, tant sous le rapport géographique et commercial, qu’à cause de leur dépendance commune de la mère-patrie.

“Mais, outre ces objections saillantes, auxquelles il n’a été fait qu’une dissolution pure et simple, qui sont d’un plus grand poids encore, au point de vue des destinées futures du pays et du rôle qu’il est appelé à jouer dans les affaires de ce continent. Il n’est pas non plus possible de s’expliquer comment un simple changement dans la proportion de représentation, soit que la préponderance fût d’un côté ou de l’autre de l’ancienne ligne de division, pourrait empécher les conflits et les coalitions résultant du caractère distinct des deux populations qui habitent les deux provinces. Dans chaque province, quelle que fût sa représentation, il y aurait une majorité et une minorité, et à moins de pouvoir reconnaître le principe de la double majorité comme règle fondamentale de notre constitution, les mêmes plaintes qui se font entendre maintenant, qu’une section gouverne l’autre, contrairement à l’opinion publique et aux protestations de cette dernière, les mêmes passions, les mêmes intrigues, la même corruption et le même défaut de sincérité y domineraient encore. Personne, d’ailleuers, ne songe à faire consacrer, par une disposition législative, le système de la double majorité; l’on sent l’impossibilité de définir les cas où il serait applicable, de ceux où il ne le serait pas; mais cela fût-il possible, ce système ne pourrait que nous conduire à ses difficultés nouvelles, en forçant les majorités professant des principes et des opinions diamétralement opposés, à s’allier ensemble, et en détruisant complètement l’influence de l’une et de l’autre minorité. Il est difficile de concevoir une seule législature composée de deux majorités ou de deux minorités, ces deux majorités n’ayant aucune identité de principes, agissant néanmoins toujours d’accord, de manière à ne jamais s’imposer l’une à l’autre, en sorte que chaque section de la province fût toujours régie par la majorité de ses représentants. Il est une foule de questions où cela ne pourrait avoir lieu qu’en forçant alternativement la majorité des représentants de l’une et de l’autre section de la province à s’abstenir ou à se prononcer pour des mesures que désavoueraient également leur jugement et leur conscience. Les complications d’un pareil système, qui ne serait, en définitive, que l’application du principe fédératif à une seule législature, le rendent impracticable.

“Votre comité s’est done convaincu que soit que l’on considère les besoins présents ou l’avenir du pays, la substitution d’un gouvernement purement fédéral à l’union législative actuelle offre la véritable solution à nos difficultés, et que cette substitution nous ferait éviter les inconvénients, tout en conservant les avantages, que peut avoir l’Union actuelle. Il n’est pas douteux, qu’enrestreignant les fonctions du gouvernement fédéral aux quelques sujets d’intérêt commun qui peuvent clairement et facilement se définir, et laissant aux différentes provinces ou subdivisions, un contrôle complet sur toutes les antres questions, les habitants de chacune d’elles auraient toutes les garanties pour la conservation intacte de leurs institutions respectives, que la dissolution pure et simple de l’Union pourrait leur procurer.

« La proposition de former une confédération des deux Canadas n’est pas nouvelle. Elle a été souvent agitée dans le parlement et dans la presse depuis quelques années. L’exemple des Etats voisins où l’application du système fédéral a démontré combien il était propre au gouvernement d’un immense territoire, habité par des peuples de différentes origines, croyances, lois et coutumes, en a sans doute suggéré l’idée; mais ce n’est qu’en l856 que cette proposition a été énoncée devant la législature, par l’opposition du Bas-Canada, comme offrant, dans son opinion, le seul remède efficace aux abus produits par le système actuel.

« Le Haut-Canada demandait alors, ainsi qu’il l’a constamment fait depuis, comme condition indispensable du maintien de l’Union actuelle, que la représentation fût basée sur la population, et ses hommes publics croyant que cette demande serait tôt ou tard accordée par le Bas-Canada, n’étaient pas disposés à accepter la suggestion qui leur était faite d’une union fédérale. Ils ont été déçus dans leur attente. Le Bas-Canada a montré sa ferme détermination de s’opposer à tout changement dans la représentation qui pourrait altérer les forces relatives des deux sections de la province dans le gouvernement. Les obstacles ainsi apportés à la consolidation et au fonctionnement de l’Union, au lieu de s’applanir, se sont accrus, au point que beaucoup les considèrent maintenant comme insurmontables, et attribuent à une union mal assortie les abus, plus nombreux que jamais, dans l’administration des affaires publiques. L’opinion, dans le Haut-Canada, semble hésiter entre un simple changement dans la représentation, la dissolution de l’Union ou une confédération des deux sections de la province.

« La discussion qui a maintenant lieu, donne à capérer que le parti libéral du Haut-Canada se ralliera autour d’un projet de confédération à la convention du 9 novembre prochain. Il est don urgent pour les libéraux du Bas-Canada de prendre un parti et de décider, de suite, s’ils doivent appuyer les opinions énoncées eu parlement en 1856, et chaque fois qu’il a été question, depuis ce temps, de changements constitutionnels.

« Si le Bas-Canada veut maintenir intacte l’union actuelles des provinces; s’il ne veut ni consentir à une dissolution, ni à une confédération, il est difficile de concevoir sur quelles raisons plausibles il pourrait se fonder pour refuser la représentation basée sur la population. Jusqu’à présent, il s’y est opposé, en alléguant le danger qui pourrait en résulter pour quelques-unes de ses institutions qui lui sont les plus chères; mais cette raison ne serait plus soutenable, s’il repoussait une proposition dont l’effet serait de laisser à ses habitants le contrôle absolu de ces mêmes institutions et de les entourer de la protection la plus efficace qu’il soit possible d’imaginer, celle qui leur procurerait les dispositions formelles d’une constitution écrite, qui ne pourrait être changée sans leur concours.

« Il semble donc que la seule alternative qui s’offre maintenant aux habitants du Bas-Canada est un choix entre la dissolution pure et simple de l’Union, ou une confédération d’un côté, et la représentation basée sur la population de l’autre. Et, quelqu’opposé que soit le Bas-Canada à la représentation basée sur la population, n’y a-t-il pas un danger imminent qu’elle ne lui soit finalement imposée s’il repousse toutes mesures de réforme dont l’objet serait de laisser aux autorités locales de chaque section le contrôle des intérêts et des institutions qui lui sont propres. Nous ne devons pas oublier que la même autorité qui nous a imposé l’acte d’Union, et qui l’a altéré sans notre consentement, en rappelant la clause qui exigeait le concours des deux tiers des membres des deux chambres pour changer la représentation relative des deux sections, peut encore intervenir pour nous imposer ce nouveau changement.

« Votre comité ne croit pas pouvoir faire autre chose que d’indiquer la conclusion à laquelle il en est venu sur les traits les plus saillants du système de fédération qu’il propose.

« Il soumet, comme son opinion bien arrêtée, que quelque soit le nombre des provinces ou subdivisions que l’on pourrait ultérieurement juger convenable d’adopter, il faudrait conserver la ligne de séparation qui existe entre le Haut et le Bas-Canada. En définissant les attributions des gouvernments locaux et du gouvernment fédéral, il faudrait ne déléguer à ce dernier que celles qui seraient essentielles aux fins de la confédération, et, par une conséquence nécessaire, réserver aux subdivisions des pouvoirs aussi amples et aussi variés que possible. Les douanes, les postes, les lois pour régler le cours monétaire, les patentes et droit d’auteurs, les terres publiques, ceux d’entre les travaux publics qui sont d’un intérêt commun pour toutes les parties ou pays, devraient être les principaux, sinon les seuls objets, dont le gouvernement fédéral aurait le contrôle: tandis que tout ce qui aurait rapport aux améliorations purement locales, à l’éducation, à l’administration de la justice, si la milice, aux lois de la priorité et de police intérieure, serait déféré aux gouvernements locaux, dont les pouvoirs, en un mot, s’étendraient à tous les sujets qui ne seraient pas du ressort du gouvernement général.

« Par cette attribution de pouvoirs, le gouvernement fédéral n’aurait plus à s’occuper de toutes ces questions, d’une nature locale et sectionnelle, qui, sous le présent système, ont été cause de tant de luttes, et de contentions, et qui ont permis à un gouvernement malhonnête de prolonger son existence au moyen des jalousies mutuelles, et de l’antipathie des habitants des diverses sections, pour plonger le pays dans des difficultés financières que des années de prudence et de sage administration pourront seules surmonter.

« Votre comité croit qu’il est facile de prouver que les dépenses absolument nécessaires pour le soutien du gouvernement fédéral et des divers gouvernements locaux, ne devraient pas excéder celles du système actuel, tandis que les énormes dépenses indirectes que ce dernier système occasionne seraient évitées par le nouveau,—tant à raison des restrictions additionnelles que la constitution mettrait à toute dépense publique, qu’à cause de la responsabilité plus immédiate des divers officiers du gouvernement envers le peuple intéressé à les restreindre.

« La législature fédérale, n’ayant à s’occuper que d’un petit nombre d’affaires, pourrait, en peu de temps, chaque année accomplir toute la législature nécessaire; et, comme le nombre des membres ne seraient pas considérable, les dépenses du gouvernement fédéral ne seraient qu’une fraction du nos dépenses actuelles, qui, ajoutées au coût des gouvernements locaux, s’ils étaient à l’instar de ceux des Etats de l’Union qui sont le mieux et le plus économiquement administrés, ne pourraient excéder le chiffre du budget actuel.

« Le système que l’on propose ne pourrait aucunement diminuer l’importance de cette colonie, ni porter atteinte à son crédit, tandis qu’il offre l’avantage précieux de pouvoir se prêter à toute extension territoriale que les circonstances pourraient, par la suite, rendre désirables, sans troubler l’économie génèrale de la confédération.

En terminant, votre comité recommande instamment, au parti libéral du Bas-Canada, de rechercher la solution des difficultés actuelles dans un plan de conféderation dont les détails pourraient être arrêtés de manière à le faire accueillir, avec faveur, par la grande majorité du peuple de cette province, et de provoquer la plus ambple discussion de ce projet, tants dans le parlement que par tout le pays.

« A. A. Dorion,
« Lewis T. Drummond,
« L.A. Dessaules,
« Thom. d’Arcy McGee. »

« Montréal, le 25 octobre 1859. »

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