Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 32e parl, 1re sess, nº 21 (8 décembre 1980).
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Date: 1980-12-08
Par: Canada (Parlement)
Citation: Canada, Parlement, Procès-verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, 32e parl, 1re sess, nº 21 (8 décembre 1980).
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SÉNAT
CHAMBRE DES COMMUNES
Fascicule n° 21
Le lundi 8 décembre 1980
Coprésidents:
Sénateur Harry Hays, c.p.
Serge Joyal, député
Procès-verbaux et rénmignages
du Comité mixte spécial
du Sénat et de
la Chambre des communes sur la
Constitution
du Canada
CONCERNANT:
Le document intitulé «Projet de résolution portant
adresse commune à Sa Majesté la Reine
concernant la Constitution du Canada», publié par
le gouvernement le 2 octobre 1980
TÉMOINS:
(Voir à l’endos)
Première session de la
trente-deuxième législature, 1980
COMITÉ MIXTE SPÉCIAL DU SÉNAT
ET DE LA CHAMBRE DES COMMUNES
SUR LA CONSTITUTION DU CANADA
Coprésidents:
Sénateur Harry Hays. c.p.
Serge Joyal, député
Représentant le Sénat:
Les sénateurs:
Beaubien
Connolly
Guay
Lapointe
Lucier
Murray
Petten
Roblin
Rousseau—(10)
Représentant la Chambre des communes:
Messieurs
Miss Campbell
(South West Nova)
Corbin
Côté (Mrs.)
Gimaiel
Hawkes
Irwin
Kilgour
Lapierre
MacDonald (Miss)
Mackasey
McGrath
Nystrom
Robinson (Burnaby)
Speyer—(15)
(Quorum 12)
Les cogreffiers du Comité
Richard Prégent
Paul Bélisle
Conformément à l’article 65(4)b) du Règlement de la Chambre des communes:
Le lundi 8 décembre 1980:
M. Côté remplace M. Bockstael;
M. Gimaïel remplace M. Allmand;
Mlle Campbell (South West Nova) remplace Mme Hervieux-Payette;
M. Speyer remplace M. Crombie;
Mlle MacDonald remplace M. Hnatyshyn.
Conformément à un ordre du Sénat adopté le 5 novembre
1980:
Le lundi 8 décembre 1980:
Le sénateur Lapointe remplace le sénateur Molgat;
Le sénateur Guay remplace le sénateur Cameron;
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Le sénateur Murray remplace le sénateur Tremblay;
Le sénateur Rousseau remplace le sénateur Lamontagne;
Le sénateur Petten remplace le sénateur Cottreau;
Le sénateur Roblin remplace le sénateur Yuzyk.
[Page 4]
PROCÈS-VERBAL
LE LUNDI 8 DÉCEMBRE 1980 (37)
[Texte]
Le Comité mixte spécial sur la Constitution du Canada se réunit aujourd’hui à 20 h 06, sous la présidence de M. Joyal (coprésident).
Membres du Comité présents:
Représentant le Sénat: Les honorables sénateurs Connolly, Guay, Lapointe, Lucier, Murray, Petten, Roblin et Rousseau.
Représentant la Chambre des communes: Mlle Campbell (South West Nova), M. Corbin, Mme Côté, MM. Gimaïel, Irwin, Joyal, Kilgour, Lapierre, Mlle MacDonald, MM. Mackasey, McGrath, Nystrom, Robinson (Burnaby) et Speyer.
Autre député présent: M. Hawkes.
Aussi présents: Du Centre parlementaire: M. Peter Dobell, directeur. Du service de recherches de la Bibliothèque du Parlement: M. Louis Massicotte, recherchiste.
Témoins: De la Fédération canadienne des associations des droits de l’homme: M. Edwin Webking, président; M. Norman Whalen, vice-président et M. Gilles Tardif, directeur. Du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse: M. Andrew Cohen, directeur général; M. David Cruickshank, vice-président et M. Joseph Ryant, membre du conseil d’administration.
Le Comité reprend l’étude de son ordre de renvoi du Sénat du 3 novembre 1980 et de son ordre de renvoi de la Chambre des communes du 23 octobre 1980, tous deux portant sur le document intitulé «Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada» publié par le gouvernement le 2 octobre 1980. (Voir procès-verbal du jeudi 6 novembre 1980, Fascicule n° 1.)
MM. Webking, Whalen et Tardif font des déclarations et répondent aux questions.
MM. Cohen, Cruickshank et Ryant font des déclarations et répondent aux questions.
A 22 h 37, le Comité suspend ses travaux jusqu’à nouvelle convocation du président.
Les cogreffiers du Comité
Paul Bélisle
Richard Prégent
[Page 5]
TÉMOIGNAGES
(Enregistrement électronique)
Le 8 décembre 1980
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): A l’ordre, s’il vous plaît.
Est-ce que je pourrais inviter les représentants des medias qui disposent d’équipement d’enregistrement du son ou de l’image de bien vouloir quitter la salle afin que nous puissions reprendre nos travaux.
[Traduction]
J’ai le plaisir d’acceuillir ce soir au nom deshonorables membres du Comité la Fédération canadienne des associations des droits de l’homme.
Sont avec nous ce soir MM. Edwin Webking, président, Norman Whalen, vice-président et Gilles Tardif, directeur.
Je crois savoir que c’est vous, monsieur Webking, qui allez ouvrir le débat ce soir. Lorsque vous nous aurez fait part de votre déclaration, les membres du Comité pourront vous poser des questions.
M. Edwin Webking (président, Fédération canadienne des associations des droits de l’homme): Merci.
La Fédération canadienne des associations des droits de l’homme remercie les membres du Comité de lui avoir permis d’exprimer son point de vue sur le processus constitutionnel en cours, ainsi que sur le contenu de la constitution.
J’aimerais brièvement passer en revue les événements qui nous sont amené à comparaître devant vous ce soir. Au cours de notre assemblée annuelle qui s’est tenue à Charlottetown, du 24 au 26 octobre dernier, les représentants des membres de la Fédération canadienne des associations des droits de l’hommc ont accordé une attention particulière à la réforme constitutionnelle en cours au Canada.
Au cours d’un débat spécial consacré au projet de résolution de 1980, les délégués ont souligné l’importance de la participation des Canadiens à la réforme constitutionnelle. A la fin de l’assemblée, il a été décidé de demander au gouvernement fédéral de faciliter l’accès de tous les Canadiens à son projet de résolution de 1980. Toujours afin de favoriser la participation du public, notre fédération a chargé un comité spécial d’analyser le projet gouvernemental de résolution (1980) afin de proposer des modifications.
Ce comité, présidé par M. Norman Whalen a consacré plusieurs semaines à l’élaboration de ce mémoire, et c’est avec plaisir que nous vous ferons part ce soir des résultats de nos délibérations.
J’aimerais rappeler quc ce mémoire reflète les opinions des associations des droits de l’homme de l’ensemble du Canada. Notre organisme est un organisme parapluie qui regroupe toutes les associations des droits de l’homme de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique.
Nous représentons un grand nombre d’organismes établis entre ces deux provinces.
[Page 6]
M. Whalen vous présentera donc le résumé de notre mémoire, tandis que M. Tardif vous en donnera les conclusions, en français.
Monsieur Whalen.
M. Norman Whalen (vice-président, Fédération canadienne des associations des droits de l’homme): Monsieur le président, bien que la Fédération soit favorable au rapatriement de la constitution et à l’énchâssement d’une charte des droits, elle ne saurait appuyer la procédure adoptée par le gouvernement, à savoir l’action unilatérale, ni approuver le contenu du projet de charte des droits.
Nous n’ignorons pas que le processus de réforme constitutionnelle se poursuit depuis plusieurs années entre le gouvernement fédéral et les diverses provinces. Cela ne justifié cependant pas la hâte avec laquelle ce projet de loi important a été présenté.
D’un point de vue pratique, la charte est loin de refléter les obligations internes et internationales du Canada. Elle ne répond pas d’une façon adéquate à la question des droits des autochtones ou de la protection des droits acquis par les autochtones. Elle ne répond pas non plus de façon satisfaisante à la question des droits linguistiques réciproques.
Dans notre mémoire écrit, monsieur le président, nous récapitulons article par article les lacunes de la charte, et nous reviendrons plus tard sur certaines de ces lacunes.
Nous sommes cependant obligés de nous opposer aux moyens que le Parlement a choisis pour imposer unilatéralement une mesure pour laquelle il n’a pas eu le consentement des provinces.
Nous reconnaissons que l’unanimité totale des provinces est sans doute un objectif irréalisable, et que des mesures doivent néanmoins être prises.
Cependant, c’est au sein du peuple canadien que le Parlement doit rechercher la légitimité de la constitution canadienne.
J’aimerais lire une partie de l’annexe A, à la page 13 du projet dé résolution:
Considérant qu’à la demandé et avec le consentement du Canada, le Parlement du Royaume-Uni est invité à adopter une loi . . .
Nous estimons que cette déclaration est trompeuse dans la mesure où rien ne prouve que le peuple du Canada ait donné son consentement, bien que, si on lui permet de participer pleinement aux discussions et au processus de modification, son consentement sera certainement chose acquise, du moins nous l’espérons.
Nous n’acceptons pas que la fin justifie les moyens. Nous estimons qu’une démocratie doit s’appuyer sur une loi démocratique. Le consentement des premiers ministres des provinces, ainsi que du peuple du Canada, doit donc être obtenu par voie de référendum, d’élection générale, ou de tout autre moyen ayant obtenu clairement l’approbation du peuple canadien.
Monsieur le président, les graves lacunes d’ordre structurel qui se répètent dans ce projet de résolution apparaissent dès l’article 1 de la charte. Les dispositions restrictives de cet article sont tellement vastes qu’elles peuvent permettre, sinon provoquer, l’échec des objectifs même de la charte. Si c’est une
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question de mauvaise rédaction, alors il faut procéder à son amélioration. Cependant, si le libellé de la charte reflète clairement la volonté de ses auteurs, alors c’est que leur conception de l’enchâssement des droits ne reflète en rien la volonté du peuple canadien,
Si les droits énoncés dans la charte sont assujettis aux restrictions de l’article 1, alors, une décision adoptée unilatéralement par le Parlement aura toujours prépondérance sur la charte, ce qui revient à nier les objectifs même de la charte, à savoir l’enchâssement des droits.
En dépit du libellé de l’article 7, empreint de noblesse et de dignité, les articles 8, 9, 10(c) et 11(d) sont rédigés d’une façon qui les rend pratiquement inopérants.
Chacun de ces articles peut être modifié par une décision du Parlement. Par exemple, l’article 8 stipule, et je cite:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, dont les motifs ne sont pas fondés sur la loi et qui ne sont pas effectués dans les conditions que celle-ci prévoit.
Le Parlement peut unilatéralement élaborer une procédure de fouille, de perquisition ou de saisie. La protection garantie par la constitution est par le fait même niée. Nous avons donc recommandé, monsieur le président, d’apporter certaines modifications à ces articles. Nous proposons donc de supprimer:
dont les motifs ne sont pas fondés sur la loi et qui ne sont pas effectués dans les conditions que celle-ci prévoit, et de reprendre les termes utilisés à l’article 7 de la charte:
dont les mot-ifs ne sont pas fondés sur les principes de justice fondamentale.
Bien que le Parlement pourrait cependant modifier de temps à autre ces articles, ces modifications devraient toujours être fondées sur les principes de la justice fondamentale. La Cour Suprême établirait ces critères et tous les gouvernements provinciaux comme le Parlement du Canada devraient les respecter.
Un Parlement ou une province qui souhaiterait modifier les critères de protection prévus par la charte devrait au préalable amender la constitution.
Monsieur le président, si nous voulons que la charte des droits ait une signification réelle, c’est ainsi qu’elle devrait être rédigée.
Il faut ajouter à ces lacunes graves le fait que la charte n’a pas réussi à définir de nouveaux droits, ce que nous étions en droit d’espérer dans un document de cette importance.
Au chapitre des garanties juridiques, nous aurions aimé voir ajouter le droit de rester silencieux, le droit d’instruire et de consulter un avocat en privé, le droit pour l’avocat d’assister à l’interrogatoire du prévenu, le droit dbbtenir une aide juridique, ainsi que celui d’être informé, au moment même de l’arrestation, de l’existence des droits que nous venons d’énumérer.
Monsieur le président, l’article 13, déclaration incriminante. est loin d’apporter la protection garantie par la constitution
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américaine, il laissera abus se perpétuer dans les tribunaux canadiens.
Les articles 10(c) et 11(c) de la charte trahissent la hâte avec laquelle ce document semble avoir été rédigé. L’article 10(c) néglige de mentionner les dispositions actuelles de mise en liberté sous caution, auquelle on fait souvent recours au Canada, et ne t’ait état que de l’abeas corpus, rarement invoqué, L’article 11(c) reconnaît le droit d’un inculpé à être jugé par un tribunal indépendant impartial, mais néglige de mentionner le système des jurys, fondement même de la justice criminelle du Canada.
Monsieur le président, la charte des droits comporte de nombreuses autres lacunes au chapitre de la justice criminelle. Nous les avons soulignées en détail dans notre mémoire écrit. Nous pensons en particulier, monsieur le président, que les droits à la non-discrimination prévus à l’article 15(1) sont tout à fait insatisfaisants à deux égards.
Premièrement, la liste contenue à l’article 15(1) n’est pas exhaustive. Pour cette raison, nous recommandons que cet article ne contienne aucune liste, de façon à interdire clairement toute forme de discrimination.
Deuxièmement, tous devraient non seulement être égaux devant la loi et avoir droit à la même protection de la loi, mais encore avoir droit à la même égalité de service. Nous estimons que cela permettrait de reconnaître les droits des handicapés, des groupes minoritaires et autres groupes ou individus défavorisés.
Monsieur le président, les membres de notre association ne sauraient souscrire aux restrictions contenues dans les articles 20 et 23 au chapitre des droits linguistiques. Nous nous opposons à ce que le droit de recevoir des services ou une éducation bilingue soit limité au cas où le nombre des personnes concernées justifie la fourniture des services bilingues ou la mise sur pied dînstallations d’enseignement bilingue. Nous estimons que cet article est une porte ouverte aux mesures d’exception et nous craignons qu’il rende encore plus difficile au Canada l’obtention d’un enseignement ou de services bilingues.
Monsieur le président, vous n’ignorez pas que la communauté indienne du Canada considère que ses droits sont menacés par ce projet de résolution. Ces craintes me semble légitimes. Le gouvernement du Canada devrait garantir aux autochtones que leurs droits seront protégés et que rien dans la constitution ne pourra les abroger. Par conséquent, nous recommandons que l’article 24 soit remanié afin de garantir cette protection aux autochtones.
Aux autochtones, aux francophones et aux anglophones du Canada, viennent s’ajouter de nombreuses communautés linguistiques, ethniques et religieuses, qui font partie de la mosaïque canadienne. C’est un fait que notre constitution devrait réfléter, Nous pensons aussi que la constitution doit garantir les droits de ces groupes, de façon à les encourager à définir précisément leur statut social et politique au sein du Canada, et à poursuivre leur développement économique, social et culturel, La confirmation de ce droit permettrait de confirmer la force de notre pays, force qui se nourrit de sa diversité.
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Monsieur le président, comme M. Webking l’a indiqué, nous représentons un organisme parapluie. L’une de nos associations membres, la Ligue de la province de Québec, nous a demandé de vous faire savoir qu’elle désapprouve l’inclusion des termes « «au sein du Canada» dans notre mémoire. Néanmoins, le reste de la fédération estime que c’est bien au sein du Canada que cette diversité se reflète.
Monsieur le président, nous craignons que ce projet de résolution ne soit interprété comme la preuve de la méfiance du gouvernement canadien vis-à-vis du peuple du Canada. Nous croyons que les canadiens approuveront la consécration claire et sans ambiguïté dans la constitution des règles qui doivent gouverner le peuple comme le gouvernement.
Monsieur le président, nous avons conclu que ce projet de résolution est inadéquat. Seul l’article 7 constitue une initiative audacieuse de la part du gouvernement. Il nous permettra peut-être de franchir un pas de plus dans notre quête des droits et libertés. Cependant, nous ne pouvons pas, en tant que Canadiens, nous en contenter.
[Texte]
Merci, monsieur le président.
Le coprésident (M. Joyal): Monsieur Tardif.
M. Gilles Tardif (directeur, Fédération canadienne des associations des droits de l’homme): Monsieur le président, au-delà des recommandations spécifiques que nous venons de formuler concernant la charte des droits et au-delà des énonçes généraux de l’introduction, nous souhaitons que la charte mette davantage l’emphase sur l’action positive ou, si vous voulez, ‘positive action’, en anglais.
Nous espérons aussi que les modifications recommandées à la section 52 permettent de faire des pas dansla correction de cette carence.
En ce qui a trait au processus constitutionnel lui-même, nous recommandons les changements suivants au niveau de la procédure.
Premièrement, que l’échéancier de la réforme constitutionnelle soit allongé de façon à permettre l’implication de tous les Canadiens.
Deuxièmement, que le gouvernement fasse circuler à tous les Canadiens, pour la meilleure information possible, le projet de constitution.
Troisièmement, que le Comité conjoint du Sénat et de la Chambre sur la Constitution circule dans tout le Canada et tienne des audiences publiques.
Quatrièmement, qu’une fois ce projet amendé et mis au point, il soit soumis à l’approbation du peuple canadiens:
Pour conclure, nous voulons dire qu’à défaut de poursuivre par des voies démocratiques le rapatriement et l’enclavement, le processus constitutionnel sera sujet à être défié de l’intérieur et de l’extérieur.
Ce changement dramatique de la Constitution devrait être fait conformément aux procédures démocratiques et on ne doit
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ménager aucun effort pour le garantir, un peu comme vous avez décidé de le faire en prolongeant ces audiences jusqu’en février prochain.
Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Joyal): Merci, monsieur Tardif.
Pour ouvrir cette première ronde de discussion avec nos invités ce soir, je voudrais d’abord inviter l’honorable Duff Roblin, suivi de monsieur Lorne Nystrom.
[Traduction]
Je rappelle à tous les membres du Comité qui assistent pour la première fois à ces réunions que le premier tour est de 10 minutes chacun et le deuxième, de 5 minutes. Je vous rappelle ce règlement interne afin que nos témoins de ce soir puissent intervedir le plus possible.
Honorable sénateur Roblin.
Le sénateur Roblin: Merci, monsieur le président.
ll me fait plaisir d’accueillir chaleureusement cette délégation, comme tous les membres du Comité, j’en suis certain, car vous nous avez présenté un exposé bien fait, qui provoque l’esprit, et je voudrais explorer avec vous la portée de certaines questions que vous avez soulevées dans votre mémoire.
Je conclus de votre déclaration d’ouverture qu’à votre avis notre façon d’aborder la question constitutionnelle n’est pas démocratique. Vous avez déclaré qu’une action unilatérale du gouvernement fédéral pour proposer des changements constitutionnels n’est vraiment pas la meilleure façon de procéder. Je remarque que vous soulignez la nécessité de trouver une méthode légitime, je suppose que vous donnez à ce mot son sens le plus vaste, que vous voulez dire une méthode qui soit convenable sur le plan constitutionnel.
Est-ce votre façon de comprendre le terme «légitime» ou avez-vous une autre définition a nous présenter?
M. Webking: Je vais vous répondre en qualité de président de la Fédération mais aussi de spécialiste en sciences politiques. Lorsque nous utilisons le mot «démocratique», il faut se méfier, c’est comme lorsqu’on parle de chenille. Si quelqu’un vous dit, il y a une chenille dans la ruelle et que vous sortiez et que vous soyez écrasé par une auto-chenille, vous vous attendiez à quelque chose d’autre. Lorsque nous nous servons du mot «démocratie», nous devons veiller à ce que nous voulons dire.
Nous voulons parler dans le sens le plus général de la participation de tous les gens du corps politique pour qui la constitution doit être réelle. Voilà ce que nous entendons par légitimité, car si la constitution doit s’appliquer et avoir une certain signification, il faut qu’elle se fonde sur l’appui populaire et, donc, qu’il y ait un mécanisme pour que les particuliers, s’ils ne participent pas à son élaboration, aient tout de même leur mot a dire dans son approbation en élaboration finale. C’est important pour le document et important également pour l’avancement de la démocratie.
Le sénateur Roblin: Si j’ai bien compris, pour vous, les deux notions de légitimité et de consensus forment deux parties
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essentielles du changement constitutionnel. Vous estimez, sans doute, nécessaire une consultation avec les provinces, une formé de consensus dans les réactions des provinces afin de légitimiser la procédure dans laquelle nous sommés engagés, n’est-ce pas?
M. Webking: De nouveau, il peut y avoir une différence d’opinion ou d’interprétation quant à ce que signifie la consultation avec les provinces. Certains peuvent prétendre que ce doit être avec le gouvernement provincial, mais je suis d’avis que vous pouvez faire cette consultation provinciale en y faisant participer la population, c’est une bonne manière de consulter les provinces. Il est très important, essentiel, d’impliquer les gens.
Le sénateur Roblin: Je vous remercie d’avoir défini ces mots pour nous, c’est très utile. Croyez-vous que le consentement des gouvernements provinciaux soit nécessaire à la légitimité constitutionnelle, par exemple, sinon le consentement unanime, du moins, un fort pourcentage.
M. Webking: Je n’exclus pas cette possibilité. Le consentement qui, à mon avis, serait utile et constructif impliquerait la population et les gouvernements, pas l’un ou l’autre. A mon avis, les deux devraient pouvoir participer, si possible.
Le sénateur Roblin: Nous ferons face très bientôt à une question difficile et je ne suis pas certain que votre mémoire en fait état. Je ne devrais peut-être pas vous demander votre opinion, mais je vais quand même prendre le risque. Le bien-fondé de ce que nous faisons est remis en question devant les tribunaux, je suis certain que vous êtes au courant. Voulez-vous risquer une opinion sur l’attitude que nous devrions adopter. Devrions-nous attendre que la procédure judiciaire suive son cours avant de terminer notre étude ou pouvons-nous poursuivre sans nous soucier de ces défis?
M. Webking: D’après ce que je sais de la procédure constitutionnelle dans d’autres pays où l’on a rédigé une constitution, je ne suis pas certain que les deux ne puissent pas se faire parallèlement. Je ne crois pas qu’un processus doive s’arrêter, pendant que l’autre est en cours.
Le sénateur Roblin: Nous pourrions nous trouver dans une situation embarrassante si les tribunaux décidaient que ce que nous avons déjà fait va contre la constitution. Cela pourrait nous poser un problème.
M. Webking: Cela dépend, je suppose, des sources d’information de chacun. On semble, en général, croire que les tribunaux décideront en faveur du gouvernement.
Le sénateur Roblin: Quel gouvernement?
M. Webking: Le gouvernement national.
Le sénateur Roblin: Cela se peut très bien.
Je voudrais reprendre une question très intéressante que vous avez mentionnée au sujet de la charte des droits, plus précisément l’article 15. Vous vous inquiétez de la formulation de cet article. Je voudrais obtenir votre avis sur les changements qu’on pourrait y apporter. Un intervenant nous a recommandé de laisser tomber la liste des droits qui sont mentionnés
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dans cet article et de les remplacer par une phrase beaucoup plus générale. Vous aimeriez peut-être entendre cette proposition. Voici de quel libellé il s’agit: la charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés énoncés ci-après, sous les seules réserves normalement acceptées et qui sont justifiables dans une société libre et démocratique.
Sans entrer dans les détails, voulez-vous nous dire ce que vous pensez de ce libellé, est-il préférable à celui que nous avons déjà ou croyez-vous que cette proposition présente des inconvénients?
M. Webking: Si on me donnait le choix entre les deux: la proposition que vous venez de dire et celle que nous avons faite,je préférerais, je crois, la nôtre.
Je crois qu’il y aura des restrictions, mais les mentionner dans une charte appelée à faire partie de la constitution, leur donne une importance qu’elles ne doivent pas avoir. Je songe, par exemple, à la difficulté de nommer les domaines proposés dans le document, le document du gouvernement; et à mon avis, s’ils ne sont pas énumérés, ils ne sont pas protégés. Je ne vois rien de répréhensible, par exemple, à dire que Chacun doit être protégé de la même façon par la loi, ou doit recevoir les mêmes services, sans subir de discrimination. Si vous ne voulez pas qu’il y ait de discrimination, dites le simplement. Selon moi, cela couvrirait tous les cas.
Le sénateur Roblin: Je dois dire que cette notion me plaît assez.
Passons à une autre question, celle des droits linguistiques. Selon le libellé du projet de loi, les droits liguistiques dépendent des antécédents linguistiques de l’enfant, ils dépendent d’un test linguistique et, je crois, de l’habileté avec laquelle l’enfant parle la langue qu’il a apprise à l’origine.
Je me suis demandé si nous pouvions changer ce principe et tenir compte du choix des parents plutôt que du test linguistique.
Croyez-vous que ce soit une bonne idée ou croyez-vous que le projet de loi soit satisfaisant tel qu’il est? Je sais qu’accepter le choix des parents entraîne certaines difficultés, mais quelle théorie, a votre avis, serait la plus souhaitable.
M. Webking: J’aimerais que M. Whalen et M. Tardif vous répondent également, mais, à mon avis, se décider pour le choix des parents serait en quelque sorte apporter une restrictionr Je vis dans un secteur à prédominance anglophone, aussi je sais a quel genre de pression les parents francophones sont soumis et quelles pressions ils exercent sur leurs enfants, par conséquent je ne suis pas convaincu qu’à long terme ce soit vraiment dans l’intérêt de l’enfant.
Si on laissait aux parents le choix de décider, l’enfant serait soumis aux pressions qui s’exercent sur les parents, ou qu’ils ressentent, je ne suis vraiment pas sûr que ce soit bon pour l’enfant.
Le sénateur Roblin: C’est intéressant, car dans ma province du Manitoba, certaines personnes croient que le test linguistique, par opposition au choix parental, restreindrait la disponibilité de l’éducation en langue française dans ma province, par
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conséquent cette idée m’inquiète un peu. Cependant je comprends très bien votre point de vue.
M. Webking: Oui.
Le sénateur Roblin: Vous faites à la page 6 de votre mémoire une observation intéressante sur la nécessité d’élargir les droits accordés aux minorités. Vous pensez probablement aux populations autochtone surtout, mais je crois que votre mémoire en prévoit d’autres également.
Vous dites que ces populations devraient définir leur statut social et politique au sein du Canada et vous expliquez que vous n’êtes pas tous d’accord pour cette expression «au sein du Canada», cependant ma question a trait à l’expression «statut politique».
Pour une minorité ethnique, que signifie le statut politique au Canada? A quoi voulez-vous en venir?
M. Webking: Il faut de nouveau que je me reporte à mon expérience en Alberta. Ainsi, par exemple, je considérerais comme statut politique le droit pour une minorité culturelle et linguistique d’avoir un centre communautaire, quelque chose du genre, cela serait compris, à mon avis, sous la notion du mot politique. Je sais qu’en Alberta, dans la région où je vis, cela a été très difficile: Nous n’avons jusqu’à maintenant qu’un seul de ces centres. et je sais que deux autres groupes minoritaires s’y intéressent, mais n’ont pas encore eu l’occasion de le faire. C’est le cheminement qui nous intéresse.
Le coprésident (M. Joyal): Merci, sénateur Roblin. Je voudrais maintenant donner la parole à M, Svend Robinson, il sera suivi de l’honorable Bryce Mackasey. M. Robinson, vous avez la parole.
M. Robinson: Merci, monsieur le président.
Excusez-moi de ne pas avoir été présent pour la première partie de votre exposé, mais j’ai lu votre mémoire et je vous en félicite. C’est un excellent mémoire que vous avez rédigé en très peu de temps, étant donné l’échéance que nous vous avions imposée.
Je voudrais vous poser plusieurs questions sur des points précis soulevés dans le mémoire, mais avant de le faire, j’ai quelques questions plus larges quant au processus sur lequel vous avez vous-même fait quelques observations. A la page 8 de votre mémoire, vous nous suggérez—et c’est intéressant—qu’après avoir subi des modifications, le projet de loi soit présenté au peuple canadien pour être approuvé. Cela signifie à mon avis qu’il y aurait un référendum, en quelque sorte, du moins c’est comme cela que je le vois.
Certains témoins ont exprimé cette préoccupation devant le Comité: en permettant que les dipositions de la Charte des droits du projet constitutionnel soient modifiées par référendum, le but même de la Charte des droits est en quelque sorte nié. Une Charte des droits est censée protéger les minorités, et un référendum amène une majorité à voter la négation de ces droits.
Je voudrais vous demander tout d’abord si vous acceptez ce principe, et, dans l’affirmative, comment vous le conciliez avec votre recommandation du paragraphe 4 portant que ce projet de loi soit présenté à la population du Canada pour approbation, dites-vous.
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M. Webking: Je ne crois pas qu’un référendum soit la seule solution de rechange à laquelle nous songions. Un certain nombre d’autres méthodes pourraient être utilisées. Un des membres du Comité a proposé que la question soit posée lors d’une élection. Je suis d’accord avec vous, il y a là matière à préoccupation, et ce qui nous préoccupe, c’est que la population ait son mot a dire pour accepter ce projet de loi.
Personnellement, je me fonde sur mes observations et une recherche officieuse sur le sujet; je crois que la population veut protéger les minorités et les désavantagés. Ceci ne pose pas de problème. Si nous pouvons élaborer un processus permettant à la population d’avoir son mot a dire, si elle a le sentiment de participer, elle respectera plus la charte que si celle-ci lui ait simplement imposée sans qu’elle y ait pris part d’aucune façon.
M. Robinson: Je ne sais pas si vous avez porté attention à la question que j’ai soulevée plus tôt. Je suppose que, comme certains, vous estimez qu’après l’adoption de la Charte des droits, il ne devrait pas être possible de la changer par une simple majorité à un moment donné. Etes-vous d’accord?
M. Webking: Il faudrait lui donner la primauté, et, à mon avis, la primauté la met hors d’atteinte des méthodes normales de modification des lois et rend plus difficile tout amendement.
M. Robinson: Vous avez beaucoup insisté sur le concept de justice fondamentale dans votre exposé. Vous en parlez notamment a la page 7, dans l’article 7, qui constitue une initiative audacieuse.
Je souligne de nouveau que c’est là un point de vue qui n’a été adopté par aucun des témoins qui ont déjà comparu devant le Comité.
En fait, certains ont critiqué l’inclusion des mots «justice fondamentale», parce que nous nous aventurons sur des eaux inconnues, d’après ce que certains des témoins et moi-même avons compris, puisqu’on ne dispose pas d’une définition judiciaire de ce que nous entendons par concept de justice fondamentale.
Vous avez, par exemple, proposé que les articles 8, 9, 10(c) et 11 reposent sur ce principe de justice fondamentale.
Que cela signifie-t-il, et pourquoi pensez-vous que ce concept, une fois mis en vigueur, protégerait de façon suffisante les droits importants qui sont traités dans ces articles?
M. Whalen: Tout d’abord, nous convenons avec vous que le concept de justice fondamentale ne s’est pas vu accorder une définition juridique précise.
Nous pensons néanmoins que ce concept sera interprété de la même façon que celui de justice naturelle.
Nous avons dit dans notre exposé que nous allons devoir nous fier aux tribunaux pour déterminer quelle signification sera donnée à ces mots.
Nous sommes convaincus que, quelle que soit la définition qui lui sera attribuée en dernier lieu, celle-ci relèvera du
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domaine général de la justice naturelle. C’est déjà beaucoup mieux que les termes utilisés dans les articles 8 et 9, notamment «…ne sont pas fondés sur la loi et qui ne sont pas effectués dans les conditions que celle-ci prévoit», qui permettraient au Parlement de modifier la loi par une simple majorité à la Chambre, et ce, à n’importe quel moment.
Nous faisons entièrement confiance à la Cour Suprême du Canada.
M. Robinson: Je vous comprends, mais je ne sais pas si elle mérite votre confiance, compte tenu de l’interprétation qu’elle a déjà donné à certains termes.
M. Whalen: De nouveaux juges y seront nommés.
M. Robinson: Vous accordez en effet beaucoup d’importance au concept de justice fondamentale. Je pense notamment aux changements que vous proposez pour l’article 11(c). A la page 4 de votre exposé, vous avez dit, et très justement je pense, qu’il faudrait signaler que le système de jury est l’une des pierres angulaires du système pénal canadien.
Cependant, le texte que vous proposez ne fait pas du tout état du système de jugement par un jury.
Par conséquent, à mon avis au lieu de laisser aux tribunaux le loisir de décider si oui ou non le principe de justice fondamentale comprend le droit au jugement par jury, vous feriez peut-être mieux de faire explicitement état du principe de jugement par jury.
M. Whalen: Oui, je suis d’accord avec vous là-dessus.
Je pense qu’il faudrait parler tout particulièrement du jugement par jury, compte tenu du fait qu’il y a quelques années la Chambre des communes a cherché à limiter le nombre de cas où une personne aurait le droit d’être jugée par un jury.
M. Robinson: Alors il serait préférable de faire état tout particulièrement du droit au jugement par jury?
M. Whalen: Oui. Je suis convaincu que le concept de justice fondamentale prévoit ce droit au jugement par jury, mais il serait peut-être préférable, comme vous le dites, d’en faire explicitement état.
M. Robinson: Merci.
Vous avez fait un certain nombre d’autres recommandations portant sur des points bien précis. Vous parlez tout d’abord de ce très important droit de garder le silencen—et je dois dire, en passant, que j’ai été fort heureux de vous entendre en parler—qui constitue, lui aussi, l’une des pierres angulaires du système pénal canadien. J’espère que le Comité jugera bon d’ajouter une modification à cet effet.
Dans votre mémoire, bien que vous n’en ayez pas parlé lorsque vous avez fait votre exposé, vous faites état de l’article 13 qui se rattacherait à l’article 26 en proposant qu’on ajoute la formule suivante, etje cite:
13.(b) Les preuves obtenues de façon illégale ne seront pas admissibles aux procédures judiciaires, quelles qu’elles soient.
D’autres groupes, dont l’Association canadienne des droits civils, en ont également parlé.
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Pourriez-vous expliquer au Comité les raisons pour lesquelles vous pensez qu’il faudrait modifier l’article 13 à cet effet? Cela aurait sans doute pour conséquence l’abrogation de l’article 26, qui ne ferait donc plus partie du projet de résolution.
Pourquoi estimez-vous que ce type de preuve ne devrait pas être recevable et que pensez-vous de la proposition de certains selon laquelle les tribunaux devraient pouvoir exercer un pouvoir de discrétion pour rejeter des preuves qui, si elles étaient admises, pourraient jeter le discrédit sur l’administration de la justice?
M. Whalen: Comme vous le savez, telle est la situation actuellement en vigueur et ces pouvoirs sont très rarement utilisés.
Il est très grave qu’un tribunal dise: «Ceci jettera le discrédit sur l’administration de la justice.»
M. Robinson: Permettez-moi de vous interrompre un instant. En toute déférence, ce n’est pas la situation actuellement en vigueur parce que, au Canada, les tribunaux ne disposent d’aucun pouvoir de discrétion pour rejeter des preuves qui pourraient porter le discrédit sur l’administration de la justice.
M. Whalen: Nous en arrivons à un débat sur un point juridique. Je connais des cas a ce propos. Peut-être les instances inférieures ont-elles fait erreur en usant de ce genre de pouvoir; mais on en a usé dans certains tribunaux de police que je connais … Il est fort possible qu’en cas d’appel une décision de la sorte serait renversée. Quoi qu’il en soit, j’accepte votre remarque.
Permettez-moi de vous lire un extrait de la page 13 de notre mémoire:
Le fait pour un tribunal d’accepter des preuves ayant été obtenues illégalement permet et, dans une certaine mesure, encourage les agents d’application de la loi à enfreindre la loi pour déclarer un individu coupable d’une infraction à la loi. Du point de vue philosophique comme du point de vue moral, cela n’est pas valable.
Telle est le fondement de notre position en la matière. Tant du point de vue moral que du point de vue juridique, il n’est pas acceptable de permettre à un individu d’enfreindre la loi pour déclarer un autre individu coupable d’une infraction à la loi. J’estime que cela est d’autant plus répréhensible que le deuxième individu qui enfreint la loi est un agent chargé de l’application de la loi.
M. Robinson: Vous estimez donc qu’il faut prévoir là une exclusion totale?
M. Whalen: Oui, totale.
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, monsieur Robinson.
L’honorable Bryce Mackasey.
M. Mackasey: Merci, monsieur le coprésident.
Messieurs, je vous demanderai de bien vouloir nous fournir la liste de vos associations membres et des groupes affiliés à votre organisme parce que je crois savoir que vous représentez un grand nombre d’entités.
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Parmi les groupes que vous représentez, y en a-t-il qui ont déjà comparu devant nous?
M. Webking: Non.
M. Mackasey: Vous avez certainement lu les mémoires des autres associations de défense des libertés civiles. Y a-t-il dans votre mémoire quoi que ce soit qui diffère légèrement ou qui va à l’encontre de ce qui figure dans les autres mémoires? Y a-t-il, par exemple, dans votre mémoire une recommandation opposée à celle du professeur Tarnopolsky?
M. Whalen: A bien des égards, je ne pense pas que nous irions aussi loin que lui; mais nous appuyons entièrement le mémoire de M. Gordon Fairweather.
M. Mackasey: Je conviens avec qu’il n’a pas été le moindre de nos témoins. De ce que nous ont dit à propos de l’article 1 pratiquement toutes les associations qui ont comparu ici, le Comité a convenu qu’il fallait très certainement en revoir la rédaction, c’est le moins que l’on puisse dire, car toutes les bonnes intentions de la Charte s’en trouveraient superflues, nulles et non avenues.
Lors de nos séances, nous n’avons pas pour objectif de nous lancer dans des débats avec les témoins, mais d’obtenir leur point de vue.
Si, en tant qu’homme politique, j’avais un argument à faire valoir, ce serait, je suppose, pour critiquer le fait que vous dénoncez catégoriquement les méthodes que nous appliquons. Vous avez fait preuve de perspicacité en refusant de suivre le sénateur Manning jusqu’où il voulait vous mener. Certains d’entre nous ont pour coutume d’entraîner les témoins vers des domaines dans lesquels ils ne sont pas experts. Par exemple, y a-t-il quelqu’un dans votre groupe qui se considère comme un spécialiste en droit constitutionnel?
M. Whalen: Pas moi.
M. Mackasey: Moi non plus.
M. Webking: Dans un autre pays, je me suis occupé de l’élaboration de plusieurs constitutions.
M. Mackasey: Mais quand vous avez dit que les tribunaux rendraient probablement une décision favorable au gouvernement, c’était là votre opinion personnelle, n’est-ce pas?
M. Webking: Pas nécessairement. Je dirai que c’était en fonction des tribunaux du système parlementaire britannique et aussi du droit coutumier.
M. Mackasey: Estimez-vous que les arguments du gouvernement sont pratiquement irréfutables?
M. Webking: J’estime que la difficulté a laquelle nous faisons face dans le cadre de ce débat constitutionnel vient, en partie, du fait que nous vivons dans un système parlementaire qui a toujours fonctionné dans le cadre d’un Etat unitaire. Ce système parlementaire incarne, cependant, le principe de la suprématie du Parlement, et, à l’intérieur de ce système parlementaire, nous avons un système fédéral qui ne suit pas ces principes.
Nous avons donc, en fait, deux structures différentes mutuellement opposées pour ce qui est de certains éléments et de certaines phases, et c’est en partie de la que vient notre problème. Nous avons cherché à nous adapter au principe de
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l’arbitre parlementaire, qui remonte à des centaines d’années, et il pourrait fort bien s’agir de la population canadienne par la voie du référendum; et c’est là la seule façon qui nous permettrait de sortir de l’impasse que constitue le projet de charte ou le projet de formule d’amendement. C’est cela qui est à la base de tout ce que nous faisons.
M. Webking: J’estime qu’il y a un autre aspect de la chose encore plus important, M. Robinson y a d’ailleurs fait allusion, à savoir que M. Whelan fait confiance aux tribunaux, mais M. Robinson n’est pas sûr de pouvoir le faire.
Je n’aimerais pas devoir critiquer la Cour suprême du Canada et certains autres tribunaux de notre pays pour le rôle qu’ils ont exercé au cours des années, simplement parce que, à mon avis, leur rôle n’est pas défini de façon satisfaisante au sein de la structure fédérale.
Je serais bien en peine de fustiger la Cour supréme du Canada à cause de l’affaire Lavell, de l’affaire Bédard ou d’autres affaires de ce genre.
M. Mackasey: Vous penchez probablement plus du côté du gouvernement, ce qui s’explique par le principe de la suprématie du Parlement, et vous insérez cette suprématie dans un cadre structurel plus récent, du point de vue historique, qu’un système fédéral prévoyant une dualité en matière de souveraineté; pourtant, il faut bien un arbitre pour régler les disputes qui, inévitablement, opposent les groupes constitutifs les uns aux autres.
J’estime que c’est dans ce contexte que s’inscrit la discussion.
J’accepte cette remarque, elle vient d’un érudit et m’apprend beaucoup.
Vous parlez d’arbitre; en fait c’est bien là le problème qui a contraint le gouvernement à agir comme il l’a fait.
A tort ou à raison, nous avons estimé que les nombreuses conférences constitutionnelles qui se sont succédées ces cinquante dernières années montraient que nous étions arrivés dans une impasse.
Quoi qu’il en soit, j’aimerais en venir à la question du choix exercé par les parents. Cela revient, en fait, à la liberté de choix, n’êtes-vous pas d’accord avec moi?
M. Webking: La liberté pour qui?
M. Mackasey: La liberté pour les parents de déterminer le système d’enseignement qui s’appliquera à leurs enfants?
M. Webking: Je connais certains parents qui ne pensent pas que leurs enfants devraient recevoir un enseignement particulier, j’estime personnellement que l’enfant a des droits à exercer à ce propos également.
M. Mackasey: Il a certainement le droit à l’enseignement. Je ne cherche pas à rompre des lances avec vous là-dessus parce que, ce qui me préoccupe avant tout, c’est cet article, parce que, s’il n’y avait pas de liberté de choix, ce qui serait la situation ultime, il faudrait établir des normes pour déterminer à qui on peut refuser cette liberté de choix.
Cet article ne traite pas de façon très satisfaisante le cas de ceux qui ne sont pas définis comme des Canadiens anglopho-
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nes ou des Canadiens francophones, je veux parler des nouveaux Canadiens venant de l’étranger. Je ne pense pas que l’on puisse demander a un enfant de six ans de prendre une décision quant au système scolaire qui pourrait lui convenir?
M. Webking: Monsieur Mackasey, si vous me le permettez, je renverrai la question à M. Tardif. J’estime qu’il a plus d’expérience que nous dans ce domaine.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Monsieur Tardif.
M. Tardif: Je ne sais pas. Je pense que tout le travail d’une constitution c’est de garantir des droits et des libertés et si par préoccupation historique ou politique ou autre on cherche à les limiter ou à les circonscrire, je pense qu’on bâtit une curieuse de constitution.
Je pense qu’on doit surtout chercher à garantir des droits le plus largement possible, sachant bien que les circonstances, les différents niveaux de gouvernement essayeront, dans la mesure où ils sont capables ou pas, de garantir ces droits-là, de s’y accommoder ou de s’y apparenter.
La base d’une constitution, je pense qu’on a vu ça dans d’autres constitutions, ça commence généralement par «Nous, le peuple canadien». Alors, le peuple canadien doit avoir les plus grandes garanties possibles.
Bien sûr, par législation, par règlements ces garanties-là peuvent être circonscrites conjoncturellement, si vous voulez, mais je pense qu’il ne faut pas d’avance prévoir des mauvais coups ou des mauvaises circonstances et il faut surtout essayer de se dégager du développement que le Canada a connu au niveau des langues, entre autres.
Je pense, par exemple, aux nations autochtones où il fait faire un effort pour garantir des langues parce que peut-être certains groupes autochtones ont eux-mêmes perdu le goût de développer cette garantie-là.
Alors, je pense que ça veut dire, comme quelqu’un l’a dit tantôt, un défi pour les Canadiens plutôt que de prévoir des circonstances.
M. Mackasey: Je vous remercie beaucoup, monsieur Tardif,
Je crois que mon temps est terminé. Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Joyal): Certainement monsieur Mackasey. Je vous remercie de votre coopération,
[Traduction]
J’aimerais maintenant donner la parole à M. Speyer.
M. Robinson: J’invoque le Règlement, monsieur le coprésident.
Le coprésident (M. Joyal): Oui, monsieur Robinson. Un rappel au Règlement.
M. Robinson: Je ne voulais pas interrompre l’interrogatoire pénétrant auquel se livrait M. Mackasey.
Mais j’aimerais proposer que dans l’intérêt d’un discours civilisé au sein du Comité, nous ne nous abaissions pas à l’invective.
M. Mackasey sait, bien sûr, que la sagesse n’attend pas le nombre des années. Il le sait mieux que personne.
[Page 20]
M. Mackasey: J’accepte les commentaires du très perspicace député.
Le coprésident (M. Joyal): Vous voyez, monsieur Robinson, que la sagesse attend parfois le nombre d’années.
M. Speyer, suivi de M. Lapierre.
M. Speyer: Merci.
Si l’on croit à la valeur de l’enchâssement des droits et libertés dans la Charte des droits, je conviens avec vous que le texte de ce projet de résolution est médiocre.
J’aimerais faire une brève observation. Dans ses écrits, M. Tarnopolsky a dit que l’une des raisons de l’échec de la déclaration des droits de Diefenbaker, était que, en tant que législateur, nous avons négligé d’instruire les cours de ce que nous aimerions qu’elles fassent en cas de violation de droits.
Pensez-vous que notre Charte des droits devrait prévoir certains recours en cas de violation de ces droits?
M. Whalen: Pas nécessairement. Cela pourrait être utile, mais il est rare de trouver ce genre de recours dans une constitution, alors que c’est plus normal dans une loi.
Le plus grave reproche que l’on puisse faire à la déclaration des droits de Diefenbaker, c’est de n’avoir été qu’une simple loi du Parlement du Canada, et non une partie intégrante de la constitution. Elle n’a jamais été enchâssée dans la constitution.
M. Speyer: Théoriquement, la liberté d’expression et de réunion énoncée dans la déclaration des droits de Diefenbaker a la même force que les droits établis dans la Charte des droits. La différence se situe au niveau de l’interprétation que les cours peuvent donner à ces droits et des remèdes disponibles en cas de leur violation.
M. Whalen: Je suis d’accord avec vous dans une certaine mesure. Pensez-vous que la constitution devrait prévoir des sanctions? Celui qui vient à l’article l devrait-il être passible d’une amende de $50, par exemple?
M. Speyer: Non, non. Je voulais simplement savoir si vous vous êtes penché sur la question des recours.
M. Whalen: Non.
M. Webking: Le fait d’enchâsser certains droits dans la constitution me semble suffisant. Je doute qu’il faille prévoir des recours ou sanctions. Les critiques que vous avez adressées à la déclaration des droits de Diefenbaker n’auraient plus leur raison d’être puisque la constitution deviendrait ainsi totalement ou en partie la loi supréme du pays.
Quiconque estimerait avoir été privé de certains droits garantis par la constitution pourrait essayer d’obtenir un dédommagement par le biais des Cours.
M. Speyer: Je ne reviendrai pas là-dessus, mais j’aimerais vous poser une question assez pertinente. J’ai cru comprendre que vous critiquiez les garanties juridiques établies à l’article 7, et que vous vous interrogiez au sujet de la signification des
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principes de justice fondamentale. Nous savons que la déclaration des droits de Diefenbaker se référait aux «voies régulières de droit» Due process of law, alors que l’article 7 de la Charte invoque les principes de la justice fondamentale.
Ma question est donc la suivante: pensez-vous que ces principes de justice fondamentale soient définis avec suffisamment de précision? Quels sont-ils? Sont-ils équivalents à ceux que l’on entend par voies régulières de droit?
M. Webking: Je pense en effet que c’est la même chose, maisj’aurais tendance à penser que les voies régulières de droit découlent des principes de la justice fondamentale.
M. Speyer: Les décisions des tribunaux traduisent certainement la justice fondamentale, n’est-ce pas?
M. Webking: Absolument.
M. Speyer: Dites-vous ainsi que cet article à portée très vaste ferait l’objet d’une interprétation juridique et non pas de la simple application régulière de la loi qui a toujours fait partie de la Charte des droits américaine ainsi que la Déclaration des droits de Diefenbaker? Ne croyez-vous pas que les principes de la justice fondamentale sont trop ambigus?
M. Webking: Non, nous croyons que les principes de la justice fondamentale sont plus généraux que l’application régulière de la loi tout court. Ainsi, nous sommes de l’avis que l’enchâssement d’une charte des droits lui accorderait une primauté et qu’une déclaratin plus large serait préférable à une déclaration limitée. Les principes de la justice fondamentale sont beaucoup plus importants que la simple application régulière de la loi.
M. Speyer: Pourtant, ne seriez-vous pas d’accord avec moi pour dire que l’interprétation des principes de la justice fondamentale pourrait être très vaste?
M. Webking: J’en conviens et je crois, d’ailleurs, qu’elle ne serait pas à l’encontre de l’intention d’une Constitution avec Charte des droits enchâssée.
M. Speyer: Ma dernière question, monsieur le président. J’accepte votre critique que je crois très valable de l’article 15 portant sur les droits à la non-discrimination. Conformément à cet article, tous seraient égaux devant la loi et auraient droit à la même protection de la loi indépendamment de toute distinction. Je crois aussi que l’égalité devant la loi ne devrait pas nécessairement être qualifiée selon les catégories précises.
Toutefois, votre proposition concernant «l’égalité de services» me préoccupe. Cette disposition s’appliquerait-elle uniquement aux handicapés? Je m’inquiète d’une ambibuïté éventuelle ici. Que veut dire «à l’égalité de services»? Si l’on devait reformuler l’article pour dire «tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection de la loi et à l’égalité de services», que voudrait-on dire?
M. Webking: L’égalité de services ne se limite pas aux handicapés. Cela ne serait limitatif que si l’égalité de services
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ne s’appliquait qu’aux handicapés. Tout le monde a le droit d’être servi également, surtout par l’Etat, et cette égalité ne se limite pas aux handicapés.
M. Speyer: A qui cette disposition serait-elle destinée?
M. Webking: Elle serait destinée à protéger tous groupes défavorisés qui ne reçoivent pas ce que lui est dû par la société.
M. Speyer: Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps.
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, monsieur Speyer.
M. Jean Lapierre, suivi de l’honorable Flora MacDonald.
[Texte]
Monsieur Lapierre.
M. Lapierre: Monsieur le président, messieurs.
Laissez-moi vous féliciter en premier lieu pour l’excellente présentation que vous nous avez faite et, j’en suis convaincu, pour les nombreuses heures de travail que vous avez fournies pour nous. Permettez-moi aussi de vous féliciter pour les articles 1 et 15. Ces deux modifications-là, je pense que tous les membres du Comité sont maintenant très sensibles aux représentations qui ont été faites et votre contribution nous motivera d’autant plus.
Quant aux articles 20 et 23 où vous nous demandez d’enlever ‘là où le nombre le justifie’, je trouve ça personnellement très légitime et même j’ai regretté la semaine dernière que monsieur Hatfield qui avait fait un témoignage fort éloquent à la conférence fédérale-provinciale justement pour ne pas que les droits soient limités au nombre, je n’en ai pas parlé, j’ai regretté ça beaucoup et je n’ai pas eu l’occasion de leur parler plus longuement, mais je m’adresse particulièrement à monsieur Tardif, comme francophone, c’est qu’il n’y a aucune référence aux dispositions de l’article 133 de la présente Constitution et on sait que beaucoup de témoins sont venus devant nous pour demander qu’on l’étende au moins à l’Ontario, le premier ministre du Nouveau-Erunswick nous l’a demandé et d’autres même, dans toutes les provinces, dans un souci d’égalité.
Est-ce que vous vous êtes attardé sur cette question?
Le coprésident (M. Joyal): Monsieur Tardif.
M. Tardif: Oui.
Je ne suis pas le mieux placé pour en parler clairement parce que ceux qui ont fait le plus gros du travail sont à mes côtés, mais dans notre présentation on insiste beaucoup pour que soient inclus dans le projet de charte, dans la Constitution tous les engagements, déjà faits au Canada.
Notre proposition ne vise pas à réduire ce qui est déjà obtenu ou ce qui est déjà garanti. Elle vise surtout à les maintenir, à les inclure et à les élargir.
Effectivement, si d’autres groupes ont présenté une demande pour que l’article 133 soit élargi, on est d’accord, mais on ne l’a pas mentionné comme tel, on a plutôt consacré nos énergies aux articles de la charte tels quels plutôt qu’aux autres articles en dehors.
[Page 23]
On aurait pu, par exemple, aussi s’attaquer, plutôt que de le mentionner, aux conventions internationales que le Canada a signées, ainsi de suite, mais on ne fait que le mentionner. On aurait pu aussi ajouter tous les droits acquis là-dedans ou reconnus.
M. Lapierre: D’accord.
Maintenant, il y a une recommandation qui m’intéresse beaucoup, c’est la recommandation 2 dans votre conclusion où vous demandez au gouvernement de faire circuler la constitution proposée à tous les Canadiens pour leur pleine information.
Est-ce que, selon vous, une campagne dïnformation publique pourrait être légitime à ce moment-ci?
M. Tardif: Oui.
A l’origine de notre travail, lorsqu’on a voulu se préparer, par exemple, ça nous a pris un certain temps avant de trouver des exemplaires du projet de constitution. Alors, on s’est dit que si, nous, qui étions supposés être à la fine pointe des droits et des libertés au Canada avons un peu de difficulté à en trouver des exemplaires, probablement que le Canadien ordinaire a aussi de la difficulté à en trouver.
Vous parlez d’une campagne publique. Bien sûr que c’est un moyen mais il y a plutôt des moyens pour rendre accessible l’information de base, non pas tellement en termes de propagande, parce que ça peubêtre vu comme ça, mais plutôt de rendre accessible le document de base, au moins le projet déposé, qu’il soit circulé le plus largement possible pour que tous les Canadiens qui ont à se prononcer dessus puissent au moins savoir sur quoi ils se prononcent, ceci, bien entendu, en visant d’abord les groupes, les groupes comprenant les municipalités, les gouvernements municipaux ou autres, les groupes populaires ou les groupes de défense et de promotion de droits mais aussi le citoyen en général, le plus largement possible.
M. Lapierre: Soyez assuré que votre recommandation ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.
Un dernier point, monsieur le président.
Quand vous parlez de la démocratie et tout ça, ça me chicote un peu.
Est-ce que vous ne reconnaissez pas par là ou est-ce que vous ne doutez pas un peu de la légitimité et de la représentativité des gens qui sont élus déjà? En fait, la population a choisi tous les gens qui sont autour de cette table et tous les gens qui sont au Parlement aujourd’hui, sauf les sénateurs qui ont été choisis par la grâce de Dieu.
Est-ce que vous ne trouvez pas que cela nous met un peu dans une position délicate?
Quelle est votre perception de cela?
M. Tardif: Comme nous avons essayé de la décrire, un projet de constitution. ça fait appel à l’accord d’un peuple tandis qu’un projet de loi, ça fait appel à l’accord d’un parlement ou de parlements,
Le processus, tel qu’il s’est enclenché, est provenu d’inquiétudes ou de procédures relevant des parlements provinciaux. par exemple, et du parlement fédéral.
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Je pense qu’il est en train de s’élargir actuellement. Le fait que vous tenez des audiences plus longtemps et le fait qu’il y a beaucoup de gens qui veulent parler, c’est peut-être le signe que les Canadiens veulent donner eux-mêmes une plus grande légitimité à ce qui se fait pour eux ou avec eux ou par eux.
M. Lapierre: une petite dernière question, monsieur le président.
Vous avez parlé tout-à-l’heure soit d’un référendum ou d’une élection générale.
Au niveau d’une élection générale, si vous voulez ça vraiment représentatif, est-ce que vous pensez qu’une élection et les résultats sur un sujet en particulier, si vous dites par exemple, une élection sur la réforme constitutionnelle comme on en a eu une supposément la dernière fois, est-ce que vous pensez que c’est strictement le budget Crosbie, par exemple, qui a fait réfléchir tous les Canadiens ou s’il n’y a pas eu d’autres facteurs, et quand vous nous parlez d’une élection sur le sujet, j’aurais bien peur qu’on passe à côté du sujet au moment d’une élection générale et je ne trouve pas cela très représentatif nécessairement sur un sujet donné.
M. Tardif: On a surtout insisté sur le fait que le document de base de la constitution devrait faire l’approbation la plus large possible des Canadiens.
Maintenant, lorsqu’on parle d’autres moyens de consultation de la population, eh bien, ce sont d’autres moyens, dépendant de ce que certains groupes provinciaux et municipaux, par exemple, pourraient souhaiter voir pour exprimer un point de vue.
Ce que nous avons voulu souligner c’est que peu importe la façon dont le point de vue s’exprimerait, il faut essayer que le point de vue s’exprime le plus largement possible.
Si des niveaux de décisions et de pouvoirs décident de passer par une forme de gouvernement ou une autre, si c’est leur façon de procéder, on doit les respecter et on doit les entendre, je pense.
M. Lapierre: Merci.
Le coprésident (M. Joyal): Merci, monsieur Lapierre.
[Traduction]
L’honorable Flora MacDonald suivie de l’honorable James McGrath. Cela sera tout pour ceux qui veulent interroger notre premier groupe de témoins.
L’honorable Flora MacDonald.
[Texte]
Mlle MacDonald: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Messieurs, dans votre rapport et dans vos commentaires de ce soir, il semble que vous appuyez pratiquement toutes les propositions de M. Gordon Fairweather, président de la Commission canadienne des droits de la personne. Votre mémoire passe néanmoins sous silence un domaine abordé par M. Fairweather, et au sujet duquel il a déclaré devant ce comité:
La charte des droits devrait contenir une référence explicite aux droits de la femme.
et il poursuit:
Nous vous suggérons d’y ajouter le principe catégorique suivant: cette charte garantit le droit égal des hommes et
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des femmes de jouir des droits et des libertés qui y sont stipulés.
Les deux organisations de femmes qui ont comparu devant notre comité, le Comité d’action nationale et le Comité consultatif du statut de la femme ont fait allusion à cette proposition. Envisagez-vous de modifier l’article 1 en tenant compte de la proposition énoncée par M. Fairweather, proposition que l’on retrouve dans le Pacte international relatif aux droits de l’homme:
La Charte canadienne des droits et libertés garantit le droit égal des hommes et des femmes de jouir des droits et des libertés qui y sont stipulés.
Peut-être préférez-vous la proposition faite par le Comité consultatifsur le statut de la femme:
La Charte canadienne des droits et libertés garantit à chaque personne . . .
On comprendra que le terme de «personne» a un sens identique à celui qui lui a été donné dans la jurisprudence du Conseil Privé Impérial.
La Charte canadienne des droits et libertés garantit à chaque personne les droits et libertés qui y sont stipulés.
M. Webking: C’est aussi l’interprétation que nous avons donnée au terme de «tous»: «Tous sont égaux devant la loi.» Nous pensons que le deuxième paragraphe de l’article 15 relatif au programme d’action sociale doit être interprété de la même façon. Si l’on dit que «tous» sont égaux devant la loi, cela suffit. Cela veut dire tous sans exception.
Mlle MacDonald: Je voulais parler de l’article 1.
M. Webking: De l’article 1?
Mlle MacDonald: Si l’on établit dans l’article 1 de la Charte des droits que tout homme et toute femme devant la loi, il est inutile de le rappeler plus loin. Ces déclarations seraient donc un principe fondamental.
M. Webking: Non. Cela ne ferait que renforcer ce que nous pensons. Les propositions que nous avons faites au sujet de l’article 1 et de l’article 15 devraient permettre de répondre à vos préoccupations en donnant plus de force et de vigueur à ce document.
Mlle MacDonald: J’aimerais parler de l’article 15. De nombreuses femmes s’inquiètent du fait que la Charte proposée utilise le même libellé que la Déclaration canadienne des droits. La Cour Suprême a invoqué le libellé de la Déclaration canadienne des droits dans les cas de Bédard et Lavell; on aurait appliqué la loi de façon régulière, ce faisant, mais sans respecter l’esprit de la loi elle-même. Pensez-vous qu’il faille, comme cela a été proposé, établir dans la loi que tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection de la loi?
[Page 26]
M. Webking: Non, cela ne ferait que renforcer le libellé. On a tendance à vouloir redresser d’anciens torts en consacrant de façon claire et précise certaines choses dans la charte. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas être trop précis car, à long terme, un plus grand nombre de restrictions et de contrôles risquent de se traduire par un plus grand conservatisme au niveau de l’interprétation. Il vaut donc mieux que l’acception de ce terme reste aussi vaste que possible.
Les difficultés viennent du fait que, l’an passé, cette loi du Parlement a donné lieu à une certaine interprétation. Etant donné que le Parlement a toujours eu le dernier mot, les tribunaux se trouvent dans une situation plutôt délicate: on peut les accuser d’usurper le pouvoir du Parlement dans un système fondé sur la suprématie de ce dernier.
Je ne pense pas qu’il faille accuser les tribunaux. Ils ont agi en fonction des restrictions qui leur sont imposées et nous devons comprendre la nature de ces restrictions.
Mlle MacDonald: J’aimerais que nous parlions de la modification que vous proposez d’apporter à l’article 24. Vous dites que cette charte doit garantir des droits et libertés qui viennent s’ajouter à tous ceux qui existent déjà au Canada. Vous parlez aussi des droits et libertés qui devraient être reconnus aux autochtones et qui ne le sont pas aux termes de la présente Loi sur les Indiens. Vous dites que certains droits et libertés ne sont pas reconnus à certains membres des communautés indiennes et Inuit.
Je voudrais parler en particulier du cas des femmes autochtones qui épousent des hommes blancs. Leur situation n’est en rien changée par ce que vous proposez, à moins que l’on précise que cette clause s’applique également aux hommes et aux femmes?
M. Webking: Je pense qu’il serait possible de vous donner satisfaction en élargissant la portée des articles 1, 15 et 24. Je ne pense pas qu’il y ait de difficulté à ajouter ce que vous proposez, mais étant donné que ces droits seront enchâssés dans une constitution suprême, tout autre loi présente ou future pourra être comparée à cette loi supréme. En cas d’insuffisance ou de contradiction, une cour sera sans doute appelée à rendre une décision.
Mlle MacDonald: Elle pourrait demander qu’un précédent soit cité.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, madame MacDonald.
L’honorable James McGrath, pour conclure.
[Traduction]
M. McGrath: J’aimerais poser une seule question, monsieur le président.
[Page 27]
Lorsque le juge J, B. Clyne, ancien juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a comparu devant notre Comité, je lui ai posé la question suivante: Pensez-vous que la Déclaration des droits de M. Diefenbaker serait plus efficace que la constitution que nous sommes chargés d’étudier? Le juge Clyne a répondu: «Oui, absolument.» Il a poursuivi en disant: «Je crois que c’est une loi très mal rédigée,»
Approuvez-vous, de façon générale, cette déclaration?
M. Webking: Nous estimons que la Charte des droits ne va pas dans le sens que nous aurions voulu, et nous doutons qu’elle soit en conformité des normes minimales approuvées par le Canada, en vertu des différents pactes des Nations Unies qu’il a ratifiés. Je pense en particulier au protocole facultatif et au pacte international relatif aux droits politiques et sociaux.
M. McGrath: Pensez-vous que la Déclaration des droits de Diefenbaker soit plus satisfaisante que ce projet de résolution au chapitre des droits de l’homme et des libertés fondamentales? Serait-elle plus efficace si elle était enchâssée dans la constitution après que certaines de ses lacunes aient été rectifiées?
M. Webking: Je crois qu’il faudrait élargir la Déclaration des droits de Diefenbaker. mais les propositions formulées par M. Walter Tarnopolsky, par exemple, M. Fairweather et notre propre groupe, représentent un pas dans la bonne direction. Je crois que la Déclaration de Diefenbaker était tout a fait valable pour Vépoquc et elle est peut-être meilleure que le projet de résolution que nous avons sous les yeux. Je n’irais pas jusqu’à dire cependant que la Déclaration de Diefenbaker ne peut être améliorée.
M. McGrath: Merci, monsieur le président.
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, monsieur McGrath.
Au nom de tous les membres de ce comité et en mon nom propre, j’aimerais vous remercier d’avoir participé ce soir avec tant de bonne volonté à nos travaux, Je vous remercie en particulier d’avoir insisté sur les rapports qui existent entre les droits de l’hcmme et la démocratie, c’est-à-dire les institutions politiques qui sont chargées de défendre les libertés civiles.
Merci beaucoup.
M. Webking: Merci.
Le coprésident (M. Joyal): Je voudrais maintenant donner la parole au représentant du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse.
[Texte]
Je voudrais maintenant demander aux représentants du Conseil canadien de l’Enfance et de la Jeunesse de bien vouloir prendre place à la table des témoins afin que nous puissions poursuivre nos délibérations en présence de leur compagnie.
[Traduction]
Au nom des membres du comité, j’ai le plaisir ce soir de souhaiter la bienvenue à M. Andrew Cohen, directeur exécutif du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse, à M. David Cruickshank, vice-président, et à M. Joseph Ryant, membre du Conseil d’administration.
[Page 28]
Je crois savoir que vous avez distribué un mémoire écrit aux membres de ce comité. Vous avez accepté de prononcer une déclaration d’ouverture avant de répondre aux questions que les membres de ce comité voudront bien vous poser, Monsieur Cohen.
M. Andrew Cohen (directeur exécutif, Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse): Merci, monsieur le président. Tout d’abord, je voudrais m’excuser auprès des membres de ce comité pour n’avoir pas pu vous faire parvenir notre mémoire longtemps à l’avance et dans les 2 langues officielles. Vous n’ignorez pas que certains témoins ont reçu un préavis très court, Nous avons donc rapidement rassemblé les renseignements pertinents, mais nous n’avons pas tous eu l’occasion de nous préparer aussi bien que nous l’aurions souhaité.
Je vous demanderais de nous excuser. Nous travaillons habituellement dans les 2 langues officielles mais nous n’avons pas eu le temps de faire traduire tous ces documents.
Je voudrais aussi vous présenter mes collègues. A ma droite, M. David Cruickshank. Il est avocat à Calgary et enseigne le droit de la famille et le droit constitutionnel à l’Université de cette ville. Il est également le directeur de la recherche auprès de la Commission d’enquéte de la Colombie-Britannique sur le droit de la famille et le droit des enfants.
A sa droite se trouve M. Joseph Ryant. Il enseigne la recherche et les politiques sociales à The School of Social Work de l’Université de Manitoba et il a rédigé pour le compte du gouvernement de cette province une analyse complète des politiques et services en matière d’aide à l’enfance.
M. Cruickshank et M. Ryant sont tous les deux membres du Conseil d’administration du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse. Certains d’entre vous savent peut-être que notre Conseil travaille depuis 20 ans a la défense des droits des enfants. Notre Conseil a publié il y a 2 ans un rapport intitulé Admittance Restricted: The Child as Citizen in Canada. Ce rapport a d’ailleurs fait l’objet de discussions au sein d’un comité de la Chambre des Communes.
Je m’appelle quant à moi Andrew Cohen et je suis le directeur exécutif du Conseil.
Nous sommes très heureux de nous trouver ici ce soir, Tout comme de nombreux autres groupes, nous nous félicitons d’avoir la possibilité de contribuer aux débats constitutionnels. En outre, nous notons avec plaisir qu’un grand nombre de groupes ont déjà comparu devant votre comité pour défendre le droit des personnes défavorisées.
Il y a cependant quelques questions qui me frappent.
Que faites-vous de ceux qui ignorent tout des droits de la personne? Que faites-vous de ceux qui ignorent qu’ils jouissent de ces droits? Qu’arrive-t-il aux personnes ayant trois mois ou cinq ans qui ignorent quels sont leurs droits? Cela veut-il dire qu’elles ne sont pas humaines? Cela veut-il dire qu’elles n’ont pas de droits? Peut-on se fonder sur l’incapacité de comprendre, d’articuler, de se défendre ou de s’organiser pour nier les droits?
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Lors de la comparution des représentants du Conseil du statut de la femme à une réunion antérieure, le sénateur Hays, qui est malheureusement absent ce soir, a indiqué que quelqu’un devrait peubêtre parler au nom des enfants laissés à la maison. Dans un sens, cette remarque nous a incités à venir ici. A l’origine, nous n’avions pas l’intention de comparaître, mais dans les 24 heures qui ont suivi les commentaires du sénateur Hays, nous avons reçu 20 ou 25 téléphones et deux délégations. Parmi ceux qui nous ont téléphoné, certains avaient assisté aux audiences en question, à titre officiel comme membres du comité ou à titre d’observateurs. Quant aux délégations, elles avaient assisté aux audiences. Or, nous ne comparaissons pas pour nous plaindre au nom des enfants dont la mère travaille. Effectivement, nous sommes ici pour nous plaindre de personne. Nous ne prétendons pas que les droits de la personne devraient être définis selon les catégories précises d’êtres humains. Les droits de la personne sont indivisibles. Il ne s’agit pas de les décerner aux différents secteurs de la société à divers moments selon les circonstances.
Le principe des droits de la personne universels est entièrement axé sur leur caractère indivisible. Tout être défini comme étant humain a droit à ces droits. Sinon, soit l’être n’est pas humain ou les droits ne sont pas universels.
Toutefois, les droits des enfants ne sont généralement pas exprimés dans ces termes. Mes collègues vont vous en parler davantage et vous pourrez lire dans notre mémoire nos préoccupations sur la façon éventuelle d’exprimer les droits des enfants plus concrètement. Cependant, notre philosophie est fondée sur quatre principes. Comme je l’ai déjà expliqué, le premier est le principe des droits des enfants comme êtres humains; deuxièmement, l’appui de la famille; troisièmement, les occasions offertes à tous les membres de la société et, quatrièmement, le caractère individuel des intérêts et des enfants et des autres.
Le document constitutionnel le plus important au pays, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, ne fait pas allusion aux enfants. Ainsi, nous croyons que le projet de résolution dont le Parlement vous a saisis représente la meilleure occasion depuis 100 ans d’assurer aux enfants lcs droits de citoyenneté au Canada, de créer l’environnement pour améliorer la situation des enfants et de bannir à tout jamais ce que nous croyons être une perception ignoble des enfants, c’est-à-dire, qu’il sont les biens de leurs parents ou de la société.
Nous allons discuter de ces principes avant d’aborder le mémoire. Toutefois, vous constaterez plus loin dans notre présentation les façons que nous avons proposé d’appliquer les principes à la Charte canadienne des droits et des libertés. Nous soulevons également la question de l’enchâssement des droits des enfants et des droits juridiques prévus dans le projet de résolution.
Quoique nous n’ayons pas l’intention de lire notre mémoire, j’espère, monsieur le président, qu’on pourra l’annexer aux procès-verbaux. Cependant, j’aimerais donner la parole à mon collègue, le professeur Cruickshank, qui précisera davantage les sujets qui nous préoccupent dans la charte proposée.
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Le coprésident (M. Joyal): Professeur Cruickshank.
M. David Cruickshank (vice-président, Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse): Je tenterai de faire ressortir certains points saillants du mémoire écrit, en commençant avec la question de l’enchâssement.
La fin dé semaine dernière, notre conseil d’administration vient de décider que nous ne devrions pas nous prononcer sur l’enchâssement. Toutefois, il a été convenu de souligner aux membres du comité que l’on pourrait réduire cette question, dans le contexte politique, à l’altérnative suivante: incombe-t-il aux tribunaux ou aux parlements de protéger les droits de la personne?
Nous tenons à signaler au comité que le «palmarès» et des parlements provinciaux et du l’arlement fédéral et des tribunaux n’est pas très impressionnant au niveau des besoins et des droits des enfants. D’ailleurs, nous vous en avons fourni des exemples.
Aussi, nous nous préoccupons de votre tendance d’envisager la question de l’enchâssement de façon catégorique. A notre avis, enchâsser les droits est en quelque sorte moins important que de reconnaître le rôle éventuel et des tribunaux, et des parlements dans la protection dés droits des enfants.
Dans notre mémoire, nous vous avons fourni l’exemple de l’affaire Burnshine, en ce qui a trait aux tribunaux. A notre avis, cette décision que nous jugeons quelque peu négative, serait encore plus dangereuse et décevante si une charte était enchâssée car il faudrait un amendement à la Constitution pour la renverser, comme une décision semblable à celle rendue dans l’affaire Lavell.
Pour ce qui est dds assemblées législatives, nous donnons des exemples de mesures législatives progressistes, à notre avis, mais également de mesures qui nous semblent maintenir le statu quo ou même passives. Je signale également que le Parlement ne s’est pas fort préoccupé de protéger les besoins et les droits des enfants non plus,
Toutefois, à cet égard, nous ne prétendons pas ici qu’il faudrait adopter une déclaration des droits séparés pour les enfants. Ce n’est pas notre position. Nous estimons toutefois qu’il faudrait envisager certaines nuances dans l’interprétation des droits juridiques lorsqu’on propose des amendements à la charte.
En général, nous estimons que les droits prévus de l’article 7 à l’article 15 devraient s’appliquér à quiconque, notamment les enfants, c’est-à-dire les personnes de la naissance à l’âge de la majorité, que ce soit 18 ou 19 ans, car l’âge varie d’une province à l’autre.
Pour ce qui est du droit à ne pas être détenu, nous proposons que toute procédure établie en droit qui autorise la détention devrait prévoir la détention séparée des enfants. C’est la loi actuelle, mais elle est rarement appliquée en pratique. Je sais que dans certaines régions rurales de l’Alberta on place assez
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souvent des enfants dans des prisons pour adultes. Ce devrait être bien clair.
Pour ce qui est des droits en cas d’arrestation, nous proposons deux ajouts qui sbppliqueraient aux jeunes délinquants. Premièrement, le droit d’être informés de leur droit de garder le silence, deuxièmement, le droit à ce qu’un adulte indépendant assiste à l’interrogatoire de la police, notamment un parent. Ces deux droits nous semblent importants.
La définition du droit d’avoir recours à un avocat devrait être plus vaste et plus précise afin que les personnes indigentes, notamment les jeunes inculpés, aient le droit qu’on leur fournisse un avocat, non seulement le droit d’avoir recours à un avocat, mais le droit qu’un leur fournisse un avocat au moment de la production du plaidoyer et du procès.
Pour ce qui est du droit à un interprète, nous signalons que les langues en tant que telles ne sont pas le seul obstacle a la compréhension de ce qui se passe en cour. En ma qualité d’avocat des tribunaux pour jeunes délinquants, il m’est souvent arrivé de voir un jeune présenter son plaidoyer, écouter la mise en accusation, subir son procès et ne toujours pas savoir ce qui s’est produit en cour. Il faut tout lui expliquer à nouveau. Le concept de l’interprète devrait done inclure d’après nous le droit à un interprète lorsque l’âge ou un handicap fait obstacle à une compréhension de la langue et du processus des tribunaux.
Pour ce qui est de l’égalité devant la loi, nous estimons que l’article 15 de la charte pose bien des difficultés et nous faisons des suggestions précises en haut de la page 7 de notre mémoire. Tout d’abord, nous estimons que la disposition que j’appelle la liste de non-discrimination devrait être scindée et séparée du concept d’égalité devant la loi. Elle devrait simplement stipuler que l’égalité devant la loi existe sans distinction fondée sur um motif prohibé. On ajoutcrait ensuite un nouveau paragraphe énonçant les motifs prohibés. ll s’agit d’une technique de rédaction, je suis sûr que d’autres témoins en ont fait mention, qui permet aux tribunaux d’invoquer toute catégorie de la liste, mais également d’y ajouter des catégories dans l’avenir. C’est la position qu’a prise la cour suprême du Canada aux termes de la Déclaration canadienne des droits et j’estime que nous devrions l’encourager dans la nouvelle charte plutôt qu’y faire obstacle, comme semble le faire l’article 15.
Nous proposons également deux ajouts à la liste des distinctions, premièrement, le handicap, qui touche beaucoup les enfants et, deuxièmement, la distinction fondée sur la charge d’enfants.
Pour ce qui est de l’expression de l’article 15(2), groupes ou personnes défavorisés, comme d’autres l’ont déjà dit j’en suis sûr, nous ne croyons pas que les citoyens âgés ou les enfants devraient faire partie de catégories défavorisées pour profiter de programmes d’action sociale. Il est trompeur d’attacher cette étiquette à qui que ce soit et nous proposons un autre libellé en fonction des besoins spéciaux de certains groupes découlant d’un motif prohibé de distinction.
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Finalement, l’expression «améliorer la situation» pourrait obliger un tribunal à s’en tenir uniquement à l’objet d’un programme ou d’une activité, sans s’attarder à la substance, aux résultats réels de ce programme. ll faudrait donc énoncer clairement que les tribunaux aient le droit de se demander si un programme ou une activité produit réellement des résultats qui autorisent que l’on sécarte de la règle normale de légalité devant la loi.
Ceci met fin aux points saillants de notre mémoire, et M. Ryant procédera maintenant à la conclusion.
Le coprésident (M. Joyal): Monsieur Ryant?
M. Joseph Ryant (membre du conseil, Conseil canadien de l’enfanee et de la jeunesse): Merci, monsieur le président. Mes collègues m’ont demandé de résumer la position du Conseil à l’égard des répercussions de la Charte des droits et libertés sur les enfants. Je tiens tout d’abord à répeter que nous ne demandons pas une déclaration des droits spéciale à l’intention des enfants. Conformément à la position que nous avons énoncée dans Admittance Restricted, nous demandons que le projet de charte des droits et libertés stipule que les enfants sont des personnes comme toute autre personne et, moyennant une amélioration des articles ayant trait aux droits juridiques et à l’égalité devant la loi, l’extension de ce droit devrait suffire.
Dans Admittance Restricted nous demandons qui doit protéger l’enfant de ses protecteurs adultes et, en tant que Conseil parlant au nom des enfants et de ceux qui cherchent leur bien-être, nous estimons que la nouvelle Constitution canadienne peut fournir une réponse à cette question.
En fait, nous estimons que le projet de charte des droits et libertés ne pourrait être complet s’il omettait de stipuler que les enfants sont des personnes devant la loi et des citoyens, comme nous le suggérons.
En l’absence d’une telle mesure, nous continuerons d’être les témoins de spectacles navrants que nous pouvons maintenant constater au Canada, comme le refus d’offrir les services de bien-être prévus dans les lois provinciales aux enfants autochtones des réserves parce que deux paliers de gouvernement, notamment la province et le gouvernement fédéral, peuvent ne pas être d’accord sur le partage du coût de ces services,
Nous voudrions également éviter que des enfants ne soient retirés de la garde de leurs parents, pour des motifs de négligence, et que les organismes d’aide à l’enfance, aucunement responsables en vertu de la loi, les déplacent ensuite d’un foyer nourricier à l’autre.
Voilà deux exemples de ce genre de cas au Canada. Où pourrions-nous commencer à définir les critères de responsabilité et les pouvoirs nécessaires ailleurs que dans ce projet de charte de droits et libertés?
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Nous maintenons, en toute déférence, que les besoins et les droits de 7 millions de Canadiens exigent d’en venir à cette conclusion.
Merci, monsieur le coprésident.
Le coprésident (M. Joyal): Merci, monsieur Ryant.
Je suppose que vous êtes maintenant disposés à répondre aux questions des membres du comité.
Je donne tout d’abord la parole à l’honorable James McGrath, suivi de M. Robinson. Monsieur McGrath.
M. McGrath: Merci beaucoup, monsieur le coprésident.
J’aimerais féliciter le Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse de nous avoir présenté un exposé aussi complet, malgré le manque de temps, qui nous nuit également d’ailleurs, car nous n’avons eu que peu de temps pour lire votre mémoire.
Je tiens tout d’abord a signaler que bon nombre des domaines que vous identifiez relèvent actuellement des provinces, et je ne crois pas qu’on y apportera beaucoup de changements. Qu’avez-vous à dire lat-dessus?
M. Cruickshank: Je pourrais peut-être répondre. Si je comprends bien, le projet de charte s’appliquera tout aussi bien aux domaines de compétence fédérale que provinciale. Nous estimons que Vadoption de cette charte ne nous permettra pas de lâcher prise et de supposer que les assemblées provinciales sont ainsi déchargées de toutes responsabilités.
Par exemple, la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec énonce un code des droits des enfants soumis à des mauvais traitements. Il s’agit là d’une mesure complémentaire dont d’autres provinces devraient sïnspirer, malgré l’enchâssement d’une charte.
M. McGrath: Vous êtes-vous penché sur le code criminel et les lois du Parlement du Canada pour déterminer où les droits des enfants ne sont pas sauvegardés de façon adéquate à l’heure actuelle?
M. Cruickshank: Nous avons mené une telle étude il y a 2 ans et avons présenté notre mémoire, sur lequel le présent mémoire est fondé, au Comité permanent de la Justice et des Questions juridiques, Nous nous étions penchés sur toutes les lois fédérales et avions fait des recommandations.
M. McGrath: Je sais, mais je voulais que ce soit consigné au compte rendu, monsieur le coprésident.
Une déclaration des droits des enfants a été adoptée en 1959 et le Canada en est signataire; la charte des Nations Unies sur les droits des enfants contient 10 principes. Tout d’abord, il est significatif que les Nations Unies, onze ans après avoir adopté une déclaration des droits de l’homme, aient jugé nécessaire d’émettre une déclaration sur les droits des enfants car cela signifie que la déclaration originale de 1948 ne suffit pas à les protéger.
J’aimerais me reporter au principe 2. Il stipule que l’enfant doit jouir d’une protection spéciale, qu’il doit avoir l’occasion et la possibilité, aux termes de lois et par d’autres moyens, de s’épanouir physiquement et mentalement, moralement, et socialement d’une façon saine et normale dans des conditions
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de liberté et de dignité, et l’adoption de lois établies à cette fin dans le meilleur intérêt de l’enfant doit être la considération supréme.
De plus, le principe 9 stipule que l’enfant est protégé contre toutes formes de négligence, cruauté et exploitation, et qu’il ne doit faire l’objet d’aucun trafic. Il est intéressant de lire ceci à une époque où, à mon avis, on peut constater la pire forme d’exploitation des enfants, la publicité à la télévision.
Toutefois, pourriez-vous identifier des domaines où le Canada n’a pas à votre avis respecté ces deux principes de la charte? J’ai été assez déçu que vous n’ayez pas fait mention des 10 principes de la charte car le Canada en est un signataire.
Bon nombre des témoins qui sont venus nous parler de la charte et du principe d’enchâssement ont fondé leurs arguments sur le protocole des Nations Unies,
M. Cohen: Nous estimons que la déclaration des droits des enfants des Nations Unies est un énoncé de principes intéressants, mais qu’il ne s’agit pas vraiment d’une déclaration des droits en tant que telle.
Je reviens à ce que nous disions plus tôt, à savoir que les droits des enfants à notre avis ne diffèrent pas des droits de toute autre personne, et cette déclaration des Nations Unies ne dit pas que les personnes qui ne sont pas des enfants devraient être soumises à la cruauté, seulement que les enfants ne devraient pas l’être.
Autrement dit, les raisons pour lesquelles on a dressé une liste spéciale à l’intention des enfants n’étant pas claires ne peuvent servir de fondement à une loi qui assurerait la protection de ces droits.
Nous estimons donc que la déclaration des droits des enfants énoncés par les Nations Unies, et comme vous l’avez dit, qu’a signée le Canada, à juste titre, et que nous appuyons en principe, n’offre pas la même protection que l’adoption d’une constitution pour tous les Canadiens, y compris les enfants.
Le genre de droits que vous trouvez dans cette déclaration ne sont pas ceux qui se trouveraient dans la constitution d’un pays, mais plutôt des principes dont tous les pays devraient s’inspirer. Toutefois, ce ne sont pas des choses que l’on puisse légiférer.
M. McGrath: Pourriez-vous m’aider à résoudre un problème qui se pose toujours lorsque nous parlons des droits des enfants en tant que personnes? Je conviens que nous n’avons pas besoin d’une déclaration des droits séparée à l’intention des enfants, bien que j’en aie présentée une, mais je voulais simplement attirer l’attention du Parlement sur ce sujet et souligner que le Canada n’était pas préparé à l’année internationale de l’enfant. C’est maintenant passé, et, malheureusement, nous avons raté une occasion unique.
Toutefois, ce sont les attitudes qui nous posent des difficultés en tant que législateurs devant tenir compte de l’opinion de
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nos électeurs. Vous avez, bien entendu, identifié une attitude répandue. . . et que se réflète souvent dans les décisions des tribunaux . . . à savoir ce que nous avons tendance a considérer nos enfants non pas comme des personnes, mais comme les biens de leurs parents, une position où se trouvaient d’ailleurs les femmes il n’y a pas si longtemps. Toutefois, nous avons accompli beaucoup de progrès dans la reconnaissance des droits des femmes, bien qu’il reste beaucoup à faire, Si l’on veut définir les enfants comme des personnes et leur accorder une protection adéquate, comment concilier cela avec le caractère sacré du foyer où les parents pensent être les meilleurs juges en la matière, attitude trop souvent reflétée dans les tribunaux?
M. Cohen: Tout d’abord, je ne mets pas en doute le caractère sacré du foyer, et je ne tente aucunement de la contourner.
Toutefois, trop souvent, nous respectons le caractère sacré du foyer en faisant abstraction des gens qui en sont responsables.
Autrement dit, le foyer est tellement sacré, comme l’institution de la famille d’ailleurs, qu’on y intervient que dans des cas extrêmes.
En voici le résultat. Nous devons obtenir un permis avant d’aller à la pêche, de conduire une voiture ou de faire bien d’autres choses. Toutefois, nous n’exigeons aucune préparation des gens qui songent à fonder une famille, car nous ne voulons intervenir à aucun prix.
Je me demande donc si cette attitude n’est pas en fait une négligence à laquelle on pourrait remédier par d’autres moyens, qui pourrait être jugée comme une interférence par certains, mais qui me semblerait certainement le genre de soutien nécessaire dans une société où la famille évolue sans cesse.
M. McGrath: Toutefois, vous conviendrez que les mauvais traitements moraux, physiques et même sexuels que subissent les enfants ont justement lieu au sein du foyer. Par exemple, l’inceste est un crime dont nous n’aimons pas parler, mais il est beaucoup plus répandu que nous ne voudrions le croire.
Nous savons également que la loi tolère le recours à la force physique dans les écoles, bien qu’elle ne l’approuve pas, mais il ne semble y avoir aucun moyen de protéger les enfants dans leur foyer avant qu’il ne soit trop tard, avant qu’ils ne se retrouvent à l’hôpital après avoir déjà subi des dommages non seulement physiques, mais également psychologiques.
Comment contourner ces difficultés alors que notre société respecte le caractère sacré du foyer?
M. Ryant: Les membres de notre société doivent non seulement accepter le caractère sacré du foyer, mais également admettre que la famille existe maintenant dans des circonstances fort différentes.
M. McGrath: On devrait peut-être dire qu’il s’agit d’un sanctuaire?
M. Ryant: Fort bien. Les familles font face à des pressions énormes, dont elles sont bien souvent elles-mêmes responsa-
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bles. Le rythme de vie a changé, comme le travail. La mobilité signifie que les familles n’ont plus de racines. Je puis vous fournir toute une liste de pressions que le milieu exerce sur la famille, la plupart devant être appuyées par elles sont considérées comme nécessalres au progrès et à l’évolution.
Nous ne sommes pas conscients de ces pressions et du fait que les familles, les parents, ont besoin d’un appui ou d’une aide que ne leur fournit pas la société. Nous n’hésitons pas à demander aux Canadiens qui deviennent des parents de faire de leur mieux du point de vue professionnel et social, et nous leur fournissons bien des possibilités à cet égard, Toutefois, nous oublions de changer et d’adapter nos institutions en vue de les aider à remplir leur rôle de parents.
Je dirais que nous devons intervenir de façon positive dans la vie familiale en aidant les parents à assumer leur rôle, plutôt qu’en intervenant seulement en cas d’échec.
M. McGrath: Je sais que mon temps est écoulé, monsieur le coprésident, mais puis-je demander au Comité de consentir à ce que le mémoire soit annexé? Il n’a pas été lu intégralement.
Le coprésident (M. Joyal): Personne ne s’y oppose. D’accord.
Monsieur Robinson, suivi de madame Campbell.
M. Robinson: Merci, monsieur le président.
A l’instar de M. McGrath, je tiens à vous féliciter de cet excellent mémoire et à dire, en passant, que votre organisation accomplit un travail remarquable. Malheureusement, rares sont les Canadiens qui connaissent votre travail. ll faut espérer que ce genre de «tribunal» sensibilisera davantage les Canadiens au travail que vous faites.
Vous avez naturellement fait allusion au rapport que vous avez rédigé en 1978 sous le titre Admittance Restricted, et l’on devrait obliger tous les députés ainsi que les sénateurs à le lire.
A supposer qu’elles soient adoptées, certaines dispositions que vous proposez d’inclure dans la charte des droits rejoindraient bien des recommandations contenues dans ce rapport.
Je dois dire au passage qu’il existe un autre rapport—et vous êtes libres d’être d’accord ou non avec moi quand je dis qu’il faudrait également lire ce rapport, à savoir le rapport du Conseil national pour la protection de l’enfance malheureuse, rapport de l’année internationale de l’enfance qui fait ressortir, faits à l’appui, certains problèmes sociaux et économiques qui concernent les enfants canadiens.
A la lumière de ces rapports et de certains faits terribles qu’ils relatent sur la condition de bien des enfants et des adolescents canadiens, a-t-on envisagé d’inclure des droits économiques, sociaux et culturels dans cette charte?
Après tout, le Canada a signé le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
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Avez-vous étudié la possibilité d’inclure également ces droits?
M. Cohen: Nous ne nous sommes pas occupés directement de ces questions.
Vous avez fait allusion au fait qu’il serait bon d’exiger la lecture de rapports comme celui qui s’institule Admittance Restricted.
Sachez toutefois que nous avons essayé et que nous avons voulu le déposer au comité de la Justice et des Questions juridiques à l’époque où l’on discutait du projet de loi de M. McGrath. Malheureusement, le comité n’a pas présenté de rapport au Parlement, ou du moins il ne l’a pas encore fait; cela se fera peut-être ultérieurement. Nous attendons toujours. C’est peut-être une manière d’obtenir que ces choses-là se fassent.
M. Robinson: Sans vouloir porter d’accusations ni me plaindre, je crois que cela indique sans doute la priorité qu’on accorde aux problèmes des enfants et qu’avec toutes les autres tâches qui lui sont confiées, le comité est trop occupé pour présenter un rapport sur le mandat que lui a confié le Parlement.
J’ignore si cela se produit souvent dans les autres cas.
M. Cohen: En ce qui concerne les droits sociaux et éeonomiques, nous avons essayé de nous pencher sur les droits dont tout le monde a besoin et de voir comment on pourrait y intégrer les enfants.
Nous n’avons pas parlé des droits sociaux et économiques car, à votre avis, un document qui énonce les droits fondamentaux des Canadiens ne doit pas forcément préciser dans son intégralité la structure sociale et culturelle du pays, bien qu’il n’y ait aucune raison pour que cela ne puisse pas se faire.
Il doit donner un cadre beaucoup plus général auquel de nouveaux éléments peuvent être intégrés.
Étant donné, d’une part, que notre expérience se situe dans le domaine des enfants et que, d’autre part, nous estimons que cela deviendrait trop détaillé, le conseil n’a pas approfondi la question des droits sociaux et culturels.
M. Robinson: Merci.
Je présume que vous ne verriez aucun inconvénient à ce que les obligations du Canada dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par exemple soient réaffirmées?
M. Cruickshank: Je crois que non. Pour rester logiques avec nous-mêmes, je dirai simplement que si ces droits devaient s’appliquer à tout le monde, ils devraient également s’appliquer aux enfants.
M. Cohen: Permettez-moi d’ajouter quelque chose: nous ne sommes pas persuadés qu’il faille inclure dans la Constitution toutes les choses auxquelles nous croyons; cependant même si nous ne voulons pas que ce soit inclus dans la constitution ou si nous ne le proposons pas, cela ne veut pas dire que nous n’y croyons pas. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire, selon nous, d’inclure toutes nos opinions dans la constitution du pays.
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M. Robinson: Je le comprends.
Je dois sans doute signaler au passage qu’un autre bill privé, analogue à celui de Jim McGrath, sera présenté au Parlement. La question sera donc renvoyée au Comité parmanent de la justice et des questions juridiques de sorte qu’il sera possible de poursuivre le travail amorcé il y a quelque temps déjà par M. McGrath, champion infatigable de cette cause et qui mérite d’en être félicité.
J’ai quelques questions concernant la partie qui traite des garanties juridiques. Et pour commencer, une question générale qui ne porte sur aucun article particulier: que se passerait-il si les garanties juridiques actuellement prévues par la Charte n’étaient pas respectées?
Avez-vous envisagé l’opportunité d’inclure dans la Charte un article assez large prévoyant un recours en justice de telle sorte qu’un enfant ou un adolescent qui aurait des problèmes avec la loi, par exemple, et a qui on refuserait le droit d’être conseillé par un avocat ou l’exercice de certaines garanties qui se trouvent ici, comme le droit d’être assisté d’un interprète, cet enfant aurait alors la possibilité de se pourvoir en justice; cela irait au-delà de la disposition actuelle en vertu de laquelle toute loi incompatible avec la Charte devient inopérante. Pensez-vous qu’il soit opportun d’inclure dans la Charte un article sur la possibilité d’un recours en justice?
M. Cruickshank: Nous n’en avons pas discuté et notre conseil n’a pas pris officiellement position.
Quoi qu’il en soit, je crois qu’il serait certainement utile d’envisager d’inclure dans la charte ou dans le Code criminel un article allant dans ce sens.
J’estime par exemple qu’il ne peut pas y avoir de procès juste si l’on s’abstient d’informer l’intéressé qu’il a le droit de se taire ou qu’il peut bénéficier de certaines garanties lorsqu’il est arrêté; autrement dit, cela revient à aider la personne et à attaquer en même temps la loi sur laquelle repose la discrimination.
M. Robinson: Si l’existence d’un recours est justifié, ce qui importe énormément si l’on veut que les autres garanties aient une valeur quelconque, il devrait être inclus dans le Code criminel; si c’est dans une loi ordinaire, cela peut être supprimé à un moment donné et il ne faut pas oublier que le Code criminel s’applique également à l’échelle fédérale.
Vous voudriez peut-être revoir cela?
M. Cruickshank: C’est un très bon argument qu’il y aurait lieu de prendre en considération.
M. Robinson: Parmi les questions dont vous avez discuté, il y a le droit à l’assistance d’un avocat et la garantie de certaines autres protections qui devrait être accordée à tous les Canadiens lors de poursuites au criminel.
Certains témoins, ainsi que moi-même. ont fait valoir que la possibilité d’un procès devant jury est une des pierre angulaires de la justice pénale canadienne.
Pourriez-vous nous parler des cas de jurisprudence qui existent aux Etats-Unis sur l’interprétation de la possibilité pour les adolescents de subir un procès devant jury et nous dire si, d’après votre formulation des garanties qui existent en
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matière de justice pénale, vous estimez que ce droit devrait être lui aussi accordé aux jeunes qui sont en conflit avec la loi?
M. Cruickshank: Encore une fois, monsieur Robinson, nous n’avons pas approfondi cette question. Si ce droit devrait être uniformément accordé à tous les adultes, il faudrait l’envisager. ll est certain que l’introduction des jurys provoquerait des retards considérables; or, l’un des avantages réels du système judiciaire qui s’applique actuellement aux enfants, c’est que les cas sont traités assez rapidement. Pourtant, malgré cette rapidité, nous avons constaté qu’en Alberta, par exemple, la durée moyenne de la détention antérieure au procès était de 63 jours. Pour un procès qui passe devant un seul juge, c’est scandaleux. De combien serait prolongée la détention si l’on faisait de plus en plus appel aux jurys dans les procès?
Je soulève simplement la question sans rendre fermement position d’un côte ou d’un autre.
M. Robinson: Et pourtant, à la lumière de ce que vous dites dans le reste de votre mémoire, vous ne voudriez pas qu’on refuse à quel qu’un, en raison de son âge, un droit qui serait accordé aux autres Canadiens, aux adultes?
M. Cruickshank: En effet.
M. Robinson: Une dernière question, monsieur le président, si vous me le permettez.
Vous avez proposé certaines modifications à l’article 15 de la Charte. Cet article, dans son libellé actuel, interdit toute distinction fondée sur l’âge. Vous proposez donc certaines modifications, et en particulier vous propose que ce paragraphe s’arrête après «toute distinction».
Quelles implications cela pourrait-il avoir? Certains témoins ont parlé des implications que cet article pourrait avoir au niveau de différentes lois provinciales et fédérales, et en particulier au niveau de l’article 43, je crois, du Code criminel?
M. Cruickshank: L’article 43 est bien celui qui semble autoriser le châtiment corporel?
M. Robinson: Oui.
M. Cruickshank: C’est bien de cet article que vous parlez.
Vous devez vous rendre compte que vous mettez ainsi les tribunaux à contribution. En effet, si l’article 43 du Code criminel demeure en vigueur et si l’article de la constitution relatif à l’égalité devant la loi est adopté, les tribunaux devront décider de supprimer ou bien de maintenir l’article 43 du Code criminel. En tant qu’avocat, j’essayerai de prouver que la mention de l’âge dans l’article 15 suffit à justifier la suppression de l’article 43 du Code criminel.
M. Robinson: Merci monsieur le président.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, monsieur Robinson.
Madame Campbell, suivie de monsieur Hawkes.
Madame Campbell.
[Traduction]
Mlle Campbell: Merci monsieur le président.
Je voudrais souhaiter la bienvenue aux témoins. J’ai et j’ai toujours eu le plus grand respect pour leurs travaux. Il y a plusieurs questions que j’aimerais aborder. Bien que je me
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préoccupe également de la Loi sur les jeunes délinquants, j’aimerais revenir sur certaines lois provinciales relatives au bien-être de l’enfance.
Étant moi-même avocate, je me suis spécialisée en droit de la famille. Pour qu’un tribunal soit saisi d’une affaire de famille, il faut d’abord qu’il y ait eu intervention d’une tierce partie. Plusieurs entrevues doivent avoir eu lieu avant que la question des garanties juridiques ne soit soulevée et il me semble que ce processus ne devrait pas simplement s’appliquer dans le cas des jeunes délinquants, mais encore chaque fois qu’il s’agit d’une loi provinciale relative au bien-être de l’enfant, ou encore au droit des parents qui n’ont pas le droit de voir leur enfant pendant ce temps.
Vous parlez des jeunes délinquants mais il me semble que cela devrait s’appliquer à toutes les lois relatives aux enfants.
M. Cruickshank: Oui. J’aimerais simplement vous faire remarquer que les garanties juridiques prévues par la Charte ne se limitent pas aux affaires criminelles. J’aimerais qu’elles s’appliquent également aux lois provinciales sur le bien-être de l’enfance. ll y aura peut-être des difficultés en ce sens que lorsqu’un enfant est retiré de son foyer, on parle d’appréhension plutôt que d’arrestation.
Mlle Campbell: C’est discutable.
M. Cruickshank: Il faudrait peutvétre envisager ce que l’on entend par arrestation.
Mlle Campbell: Je reviendrai là-dessus si j’ai le temps.
En conclusion de notre mémoire, vous dites que les droits et besoins de sept millions de Canadiens doivent être pris en considération dans une Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, vous ne nous avez pas cité d’article précis qui pourrait mentionner spécifiquement la protection des enfants, a moins que cela ne m’ait échappé.
Vous partez du principe que «toute personne» devrait être supprimée ou s’étendre aux enfants; je voudrais simplement connaître votre opinion, et je suis sûre que vous êtes au courant des recommandations de la Commission canadienne des droits de la personne; je voudrais que vous me disiez si cela irait suffisamment loin. Dans son premier paragraphe, la Commission des droits de la personne est allée plus loin en déclarant qu’il devrait y avoir un article spécial garantissant l’égalité des hommes et des femmes devant la loi. C’était spécifique. On passait ensuite à l’article 15 et, dans la première partie, on parlait d’égalité des droits sans discrimination envers quiconque. Je dirais «toute personne» et on pourrait même aller plus loin en incluant l’enfant car je crois qu’en ce qui concerne la Cour suprême, le mot «personne» englobe les hommes et les femmes, Je n’entrerai pas dans les détails du deuxième paragraphe mais je parlerai du troisième paragraphe de cet article 15 pour voir si cela dissiperait les craintes que vous éprouvez devant l’article du projet de résolution portant sur les groupes défavorisés; je vais simplement vous le lire:
Le présent article n’écarte pas la possibilité de distinctions législatives jugées indispensables aux intérêts supérieurs de l’Etat.
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Est-ce que cela résout les problèmes que vous posent les programmes d’action sociale?
M. Hawkes: Cette suggestion me paraît conforme à la jurisprudence américaine et, au fil des années, cette solution s’est avérée très judicieuse pour isoler les cas d’action sociale ou de discrimination a rebours; je suis donc favorable a cette démarche.
Nous voudrions également que les enfants soient reconnus si l’on doit parler des hommes et des femmes. Pourquoi attendre un autre cas portant sur 1,919 personnes et ne pas le dire maintenant?
Mlle Campbell: Une chose m’a intéressée; vous avez signalé que durant l’Année internationale de l’enfant, on n’a pas enregistré une seule plainte; je ne me souviens plus où détait. Je trouve cela assez intéressant, De qui attendiez-vous une plainte? Comme vous, je pense que quelqu’un l’aurait fait au nom de l’enfant, mais qui?
M. Cruickshank: Je vais attirer votre attention sur une chose, après quoi M. Cohen pourra ajouter un mot. Cette citation vient droit du rapport de la Commission canadienne des droits de la personne pour l’année 1979 et nous faisons valoir que cela tient peut-être au fait que le public ne semble pas établir de lien entre la législation qui s’applique aux droits de la personne en général et celle qui s’applique aux droits des enfants, ce qui nous ramène au problème des attitudes phychologiques. Si les gens considéraient les enfants comme des personnes, ils se diraient qu’il existe la Commission canadienne des droits de la personne et ils porteraient plainte.
M. Cohen voudra sans doute ajouter quelque chose.
M. Cohen: En effet.
Nous avons bel et bien déposé une plainte. Nous leur avons écrit une lettre pour leur signaler que nous intervenions au nom de quelqu’un qui s’estimait lésé par suite d’une subvention versée à un condominium par un organisme fédéral; je ne vous ennuierai pas en vous exposant les détails de l’affaire, mais cela nous paraissait être du ressort de la Commission canadienne des droits de la personne.
Je n’ai pas les chiffres avec moi, mais ils signalent dans leur rapport, et nous les citons, qu’ils n’ont reçu aucune plainte, mais qu’en revanche on leur a fait parvenir un certain nombre de lettres et qu’on leur a demandé des renseignements sur les enfants et les problèmes qui les concernent. En additionnant toutes les catégories, on aboutit à plus de 100, d’après ce que nous avons constaté dans l’appendice et pourtant, dans le corps du rapport, ils disent qu’ils n’ont reçu aucune plainte. Nous allons donc leur écrire pour leur demander ce qu’ils entendent par plainte et s’il existait un formulaire quelconque, par exemple, lorsque nous leur avons écrit puisque bien d’autres gens énumérés dans l’appendice disent qu’ils leur ont écrit à propos des enfants.
Je ne suis pas sûr d’avoir répondu à votre question. Je ne vois pas très bien qui pourrait porter plainte mais il est évident qu’il y a eu des plaintes bien que j’ignore le nom de ces gens-la. Le fait qu’on ne leur ait pas donné suite est une autre question et peut-être serait-il nécessaire d’avoir une définition juridique
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de ce qu’ils entendent par «plainte» dans leur rapport. Il peut s’agir d’une plainte à laquelle ils ont donné suite et peut-être n’ont-ils donné suite à aucune d’entre elles; mais de toute évidence, ils ont reçu énormément de lettres à ce sujet.
Mlle Campbell: Par ailleurs, vous nous demandez d’établir au niveau fédéral une disposition globale qui empiète en réalité sur la compétence provinciale car les lois sur la protection de l’enfance relèvent en partie des provinces. Les parents ont leur propre juridiction sur leurs enfants et, au niveau fédéral, cette inclusion de l’enfant aurait préséance ou empiéterait sur tous les autres domaines le concernant.
Entrevoyez-vous un conflit quelconque entre les divers paliers de compétence juridique? Et cela m’amène à ma deuxième question, mais j’ignore s’il me reste suffisamment de temps; nous arrivons à l’Equal Rights Amendment Act des États-Unis; et vous avez ce problème qui préoccupe un autre groupe de femmes qui ont dit que l’égalité des droits pour les hommes et les femmes, c’était très bien dans le monde du travail mais qu’on oubliait la protection des femmes au foyer. Dans le cadre de l’égalité des droits pour les hommes et les femmes, je songe aux enfants qui sont a la maison; comment tenir compte de l’enfant? Je sais que nous laissons aux tribunaux le soin de se prononcer là-dessus en cas de divorce. Nous laissons aux avocats le soin d’interpréter cela dans le cas des séparations légales, mais personne ne se préoccupe des droits juridiques qui reviennent aux enfants. Je crois avoir posé deux questions.
Pour vous donner un exemple des droits provinciaux, je faisais partie il y a quelques années du comité qui s’occupait des enfants maltraités, mais les organismes et les représentants provinciaux qui sont venus y témoigner ont déclaré: vous vous occupez de droits qui relèvent des provinces et, sur le plan fédéral, ce comité ne devrait pas s’occuper des enfants maltraités. Vous nous demandez de nous occuper de l’enfant mais est-ce que nous n’empiétons pas sur la compétence des parents ainsi que sur celle des provinces; et vous pourrez aussi répondre à l’autre question que je vous ai posée à propos du droit de l’enfant par rapport aux parents.
M. Cruickshank: Je vais m’efforcer d’y répondre. En ce qui concerne la première question portant sur la séparation des compétences, si je comprends bien la portée de la Charte, l’article 29 couvre ce problème alors que par le passé, nous nous sommes battus pour savoir de qui devaient relever ces droits. Désormais, la Charte s’appliquera à toutes les assemblées législatives provinciales.
Passons maintenant à votre deuxième question qui est également liée à la première. La encore, je voudrais insister sur le fait que, pour nous, les assemblées législatives ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers en disant: puisque nous avons adopté la Charte, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles et oublier les enfants. Je crois qu’il faudra modifier les lois sur la protection de l’enfant pour garantir aux enfants des droits spécifiques écartant toute négligence de la part de l’Etat ainsi que de la famille.
Nous pensons qu’il va falloir réexaminer les lois provinciales qui autorisent la détention des enfants en cas d’infraction aux lois provinciales, par exemple. En ce qui concerne les lois
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fédérales portant sur le divorce, qui va y inscrire la garantie d’une représentation lors des poursuites au civil? Il va falloir inclure cela dans la Loi sur le divorce.
On ne saurait donc se satisfaire d’avoir protégé ces droits un bon coup en oubliant les enfants. Cela entraînera une réforme approfondie des lois où seront précisés les droits qui protégéront leurs intérêts, et je ne crois pas, comme vous le laissez entendre qu’il s’agisse en l’occurrence d’une intervention injustifiée de l’Etat. Il s’agit de reconnaître des droits là où l’Etat intervient déjà. Personne ne laisse entendre que l’Etat va cesser de se préoccupé de la négligence et des abus qui se produisent dans les foyers; il n’en est absolument pas question.
Mlle Campbell: Pour moi non plus.
M. Cruisckshank: Et à cet égard, je ne crois pas que ce soit en tous points semblable a la question des femmes.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, Madame Campbell.
Monsieur Hawkes, suivi du sénateur Lucier.
[Traduction]
M. Hawkes: Merci, monsieur le président.
Monsieur Cruickshank, le droit constitutionnel fait-il partie de vos spécialités universitaires?
M. Cruickshank: Oui.
M. Hawkes: Me permettez-vous de poser une question? La comparution devant lé Comité d’avocats spécialisés en droit constitutionnel semble poser un certain nombre de problèmes et j’aimerais savoir si d’après vous, l’action unilatérale du gouvernement fédéral est susceptible d’être jugée illégale?
Mlle Campbell: Vous n’êtes pas ici en tant qu’expert.
M. Cruickshank: Je ne suis pas ici à titre d’expert en la matière. Je ne saurais répondre à votre question qu’à titre personnel et je sens que votre question est en fait un piège. Je ne dirai que ceci. Il me semble, et je fais tout simplement répéter ce que j’ai dit à mes étudiants à l’Université de Calgary, que la démarche des tribunaux se concentrera surtout sur toute cette question des conventions et de la façon dont les conventions, en matière de résolution constitutionnelle, ont été traitées. Il semblé y avoir conflit au niveau des conventions, et il apparaîtrait que, si les tribunaux veulent se conformer aux conventions, ils auraient peut-être le droit d’exiger que vous ayez l’approbation des provinces. Mais il n’existe aucune décision de la cour qui précise que nous devons nous conformer à des conventions qui ont été réalisées trois fois. Trois fois. . . c’est vraiment le bouquet.
M. Hawkes: Merci, monsieur Cruiskshank. Cela rejoint une autre partie de votre présentation lorsque vous dites que lé libellé actuel, ou le libellé dé toute Charte ou de tout amendement constitutionnel, doit être interprété par les tribunaux. En tant que personne qui s’intéresse tout particulièrement au sort des enfants, vous avez très clairement dit dans votre mémoire que d’après vous les tribunaux n’ont pas adopté une très bonne attitude vis-à-vis des droits des enfants. Je pense que vous avez mémé utilisé le mot «paternaliste» dans votre mémoire.
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Vous n’en faites pas la proposition dans ce dernier, mais en êtes-vous arrivé à la conclusion que nous devrions peut-être songer à modifier notre système? Si nous adoptons une charte semblable au texte proposé, d’après vous, il faudrait peut-être modifier nos dispositions institutionnelles pour ce qui est du choix des juges, pour permettre au public de connaître et d’examiner de plus près les personnes qui assumeront ces importantes fonctions au sein de notre société, en accordant autant d’importance à leur expérience et à leurs antécédents qu’à leur formation de juriste. Ai-je raison?
M. Cruickshank: Puis-je vous demander si vous proposez que l’on ait des personnes qui ne soient pas des avocats ou . . .
M. Hawkes: Eh bien, si vous voulez que l’on parle de cela… aux Etats-Unis d’Amérique, les juges de la Cour suprême sont examinés à la loupe par le public avant d’être nommés. Cela n’est pas prévu dans notre système.
M. Cruickshank: Je pourrais peut-être revenir à nouveau a la façon dont les juges des tribunaux de la famille sont nommés. Je connais assez bien la façon dont ces juges sont nommés dans différentes parties du pays, et je sais que les conseils juridiques qui recommandent ces nominations dans les différentes provinces, ainsi qu’au niveau fédéral, attachent beaucoup d’importance à l’expérience et aux antécédents professionnels des avocats ainsi qu’à l’attitude des candidats vis-à-vis des familles et des rapports familiaux, etc. Je peux en tout cas vous assurer que les récentes nominations aux tribunaux de la famille ont été mûrement réfléchies par les conseils juridiques du pays.
Il me semble par conséquent que cette question d’élargissement du processus d’analyse par le public est une question d’ordre politique.
M. Hakwes: Pour ce qui est de l’interprétation de la loi en ce qu’elle touche les femmes et les enfants, il me semble que l’attitude des personnes responsables est fort importante. Si l’on se lance plus avant dans cette question de jurisprudence, et si l’on attache davantage d’importance aux attitudes, à l’expérience, etc., il faudrait même peut-être que l’on demande la nomination de femmes à la Cour suprême du Canada.
J’aimerais vous poser quelques petites questions bien précises qui se rapportent aux termes utilisés dans le projet de résolution tel qu’il nous a été présenté. Je l’ai rapidement parcouru et j’ai trouvé un certain nombre de termes pour lesquels je me demande si les tribunaux canadiens les ont toujours interprétés comme s’appliquant aux enfants.
Il s’agit des mots «tout le monde; chaque citoyen; n’importe qui; toute personne; tout membre du public», et certaines personnes ont même proposé que l’on utilise les mots «hommes et femmes». J’aimerais savoir si ces termes ont été interprétés comme incluant les enfants. J’ai également une autre question que j’aimerais vous poser. Vous avez dit qu’il faudrait nous efforcer de changer l’attitude du public qui veut que les enfants soient considérés comme des choses: j’aimerais savoir si l’inclusion du mot «enfants» dans certains articles de la loi ne pourrait pas servir d’outil d’éducation ou de rééducation du public. Dernière question. Pour ce qui est de l’article traitant des droits linguistiques, vous n’avez proposé aucune modifica-
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tion. Cela m’étonne parce que le ton utilisé dans ces articles semble se prêter au maintien d’une attitude qui veut que l’on traite les enfants comme des choses.
M. Cruickshank: Je vais essayer de répondre aux deux premières questions et je pense que M. Cohen répondra à la troisième,
Les tribunaux ne nous ont communiqué aucune déclaration pour préciser que des mots comme «tout le monde» et «n’importe qui» s’appliquent bien aux enfants. Je vous citerai, à titre d’exemple, l’affaire Burnshine. Le tribunal avait alors décidé que le jeune accusé, qui n’avait pas l’âge de la majorité, bénéficiait en fait «d’égalité devant la loi en vertu de la Déclaration canadienne des droits», mais il a poursuivi en disant que cette égalité devant la loi ne s’appliquait pas à lui, puisqu’il était condamné à passer trois ans dans une maison de redressement, au lieu de six mois dans une prison, comme cela aurait été le cas d’un adulte, en pareil le situation. On lui a dit que c’était là un avantage dont il bénéficiait, et que cela aiderait à le réformer. Dans ce cas, bien que le tribunal ait reconnu que les articles l et 2 de la Déclaration des droits pouvaient s’appliquer à une personne n’ayant pas encore atteint l’âge de la majorité, d’après nous, le résultat n’a pas été très brillant. Il a, en fait, été fort décevant.
Nous nous inquiétons de l’interprétation constitutionnelle de l’article 15, dans son libellé actuel. Nous craignons qu’il faille adopter un amendement constitutionnel pour défaire ce mal, et c’est cela qui nous inquiète au sujet de l’article 15.
Monsieur Hawkes, pourriez-vous me rappeler quelle était votre deuxième question?
M. Hawkes: Je me demandais si on ne pourrait pas modifier l’attitude du publie en ajoutant le mot «enfants» dans certains articles de la Charte.
M. Cruickshank: Merci. La solution serait peut-être de préciser dans le préambule de la Charte que les mots comme «tout le monde», utilisés dans le texte de la Charte, comprennent les hommes, les femmes et les enfants. Ainsi, la situation serait bien claire. Et il serait peut-être préférable de préciser cela dans le préambule, plutôt que d’avoir à répéter cela à plusieurs reprises dans le texte.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci beaucoup, monsieur Hawkes.
[Traduction]
M. Cohen: Monsieur le président, il s’agit, je pense, d’une question au sujet des droits linguistiques.
Le coprésident (M. Joyal): Les droits linguistiques?
M. Cohen: Je pense que vous voulez parler de l’article 23 du projet de résolution concernant les droits qu’ont les parents en matière d’éducation de leurs enfants, suivant leur situation, etc., et vous y voyez un certain paternalisme. Nous n’en avons à vrai dire pas parlé, mais ce serait peut-être là une bonne occasion pour effectuer le genre de changement d’attitude que vous avez évoqué et pour, peut-être, reconnaître la possibilité qu’un enfant âgé de huit ou neuf ans, se trouvant dans cette situation, puisse être en mesure de prendre lui-même une décision.
Il me semble que cet article présente en effet l’occasioon de reconnaître qu’au fur et à mesure que les enfants grandissent,
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ils sont de plus en plus en mesure de prendre ce genre de décision et d’y participer. ll faudrait peut-être en faire état dans le texte même, plutôt que d’accorder ce droit à tous les enfants. On pourrait fixer un seuil de dix-huit ans par exemple, suivant les provinces, awdelà duquel les parents ne pourraient plus décider quelle langue leurs enfants parleront à l’école.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci, monsieur Cohen. Merci, monsieur Hawkes. Sénateur Lucier.
[Traduction]
Le sénateur Lucier: Merci, monsieur le président.
Monsieur Cohen, j’ai trouvé votre exposé fort intéressant. Je regrette de ne pas avoir eu l’occasion de l’examiner de plus près, mais je le relirai.
J’ai siégé au Comité du Sénat qui vient de déposer un rapport intitulé «L’enfant en péril». C’est pourquoi je m’intéresse autant au travail que vous faites.
Je n’ai que quelques questions à poser. Premièrement, connaissez-vous un autre pays qui a une Charte des droits dans laquelle sont enchâssées les choses que vous demandez? J’aimerais savoir s’il existe un modèle que nous pourrions utiliser. Y a-t-il quelqu’un d’autre qui est déjà passé par là avec qui on pourrait discuter?
M. Cruickshank: Monsieur, les États-Unis ont bien sûr étendu aux enfants et aux adolescents un certain nombre des modifications qu’ils ont apportées à leur Constitution. Je songe notamment au concept de l’égalité devant la loi, des droits lors de l’arrestation, du droit à sa vie privée, etc.
C’est l’année 1967 qui a vu le véritable tournant de la situation avec l’affaire Galt. On a alors dit qu’il fallait appliquer aux jeunes accusés tous les droits concernant les dispositions avant le procès, l’arrestation, les avocats, le droit à un interrogatoire juste, un procès juste et complet. On ne peut pas simplement les traiter de façon paternelle, en les prenant en charge et en les envoyant pendant deux ans dans une maison de redressement.
Le sénateur Lucier: ll y a donc un domaine assez important où nous ne serions pas en train de créer un précédent.
M. Cruickshank: Pas du tout. Pour ce qui est de la jurisprudence américaine, britannique et australienne, beaucoup de progrès ont été faits, grâce surtout aux décisions judiciaires rendues sur l’interprétation des documents constitutionnels de base de ces pays.
Le sénateur Lucier: Merci. Monsieur le président, mon autre question porte sur le fait que les gens ont des idées très différentes concernant la façon dont il faut élever les enfants. Le point de vue diffère même suivant les régions. Je suis moi-même originaire du nord et je sais que certaines méthodes utilisées dans le nord pour élever les enfants seraient considérées comme cruelles par les habitants du sud. Cependant, pour nous, cela nous apparaît très normal et cela fait partie du genre de vie normal de bon nombre d’enfants.
C’est pourquoi je vous demanderais de définir de façon pratique les droits que vous semblez prétendre être ceux d’un enfant et que vous aimeriez voir protéger. Je ne veux pas dire par là que je ne suis pas d’accord; j’aimerais, comme vous, que
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ces droits soient protégés. Premièrement donc, comment les définiriez-vous et, deuxièmement pourraitvon réellement les protéger de façon pratique? De telles lois pourraient-elles être appliquées; cela serait-il vraiment possible?
M. Cruickshank: Je répète que nous ne proposons pas qu’il y ait une Charte des droits distincte visant les enfants. Je pense que vous songez en particulier aux principes de légalité devant la loi et des différentes interprétations que l’on pourra en faire, d’une région à une autre. Je pense que si les assemblées législatives et le Parlement font leur possible pour éviter d’être trop spécifiques et trop détaillés dans le texte des lois, d’après ma propre expérience dans ce domaine en tout cas, il me semble qu’il faut laisser une certaine marge de manœuvre aux administrateurs et aux juges qui sont en fait chargés de résoudre les problèmes de leurs régions.
Par conséquent, je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’élaborer des systèmes détaillés pour traiter des enfants maltraités.
Le sénateur Lucier: Mais dans votre mémoire, je pense que vous faites une remarque sur les organismes d’aide sociale et vous vous demandez qui protégera l’enfant contre un organisme d’aide qui le déplace d’un foyer à un autre. Je conviens, tout comme vous, qu’il faut protéger les enfants contre ce genre de choses, Je prétends que nous devons trouver une façon pratique de le faire. Je n’en connais pas et je vous demande si vous en connaissez.
M. Cohen: L’un des problèmes de la situation actuelle, c’est que l’on définit les enfants comme étant une possession de leurs parents ou de la société. Les règles sur la façon dont les enfants doivent être traités ne tiennent pas du tout compte de ce qu’on devrait leur offrir, mais stipulent plutôt ce qui arrivera à ceux qui ne font pas certaines choses pour les enfants.
Autrement dit, les enfants n’ont pas un droit à l’éducation comme on le définirait pour d’autres personnes. Les parents doivent envoyer leurs enfants à l’école de telle heure du matin à telle heure de l’après-midi. s’il s’agissait du droit à l’éducation des adultes, il y aurait une certaine définition, un critère minimum positif de ce que représente cette éducation. Par exemple, il y a une définition de ce qu’est mon droit au salaire minimum ou à un certain traitement, alors que pour les enfants, je le répète, on précise les obligations des parents ou de la société, le cas échéant, à faire certaines choses aux enfants.
Je pense que l’une des façons de régler votre problème consisterait à fixer des normes minimales positives, après avoir examiné tous les secteurs où nous espérons définir les enfants comme ayant des droits, de sorte que cela représente un objectif que les gens pourraient essayer d’atteindre. Quand il n’y a pas de critères, comme c’est souvent le cas, il est impossible de prendre une décision. On peut seulement prendre des mesures lorsqu’il y a des cas flagrants de mauvaise conduite soit de la part d’un parent ou de celui qui le remplace, qu’il s’agisse d’un organisme d’aide à l’enfance ou de tout autre organisme.
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Ce qui nous fait défaut, par exemple lorsqu’on parle du sort des enfants en tutelle, ce sont des normes minimales de ce que constituent les soins minimaux. C’est ainsi qu’il y a des cas où les parents voudraient adopter un enfant, mais ne peuvent pas répondre a des normes particulières qui leur permettraient de le faire; alors on leur refuse l’autorisation d’adopter l’enfant et cet enfant est placé dans une famille d’accueil, qui est loin de répondre à ces normes. l| n’y a aucun critère minimum positif établissant quels soins doivent être donnés à l’enfant ou l’éducation qu’il doit recevoir. Pour répondre de façon générale à votre question, je dirais que tant que nous n’aurons pas fait cela, il sera très difficile d’y répondre directement en fixant des règles et en disant voilà la façon dont nous allons pénaliser ceux qui ne répondent pas aux normes, parce qu’il n’y a pas de normes.
Le sénateur Lucier: Monsieur Cohen, je suis d’accord avec ce que vous dites.
Le coprésident (M. Joyal): Étant donné qu’il est tard et que j’ai 2 autres noms sur la liste, je dois vous limiter à 5 minutes.
[Texte]
M. Kilgour, suivi de Mme Côté.
M. Kllgour: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je pense aussi que c’est un excellent mémoire et je vous remercie.
Pour ce qui est de l’enchâssement de la Charte des droits, je remarque que vous adoptez une position quelque peu équivoque, mais est-ce que l’enchâssement d’une Charte des droits qui ne serait pas fondamentalement à la fois séduisante et pleine de traquenards, selon mon expression, comme celle que nous avons actuellement, ne nous épargnerait pas des décisions comme celles de l’affaire Burnshine? Qu’est-ce que vous en pensez?
M. Cruickshank: Je n’en suis pas sûr. Je puis certainement concevoir qu’un tribunal en considérant l’article 15 de la Charte actuelle et en regardant l’article 25 qui lui permet de suspendre l’application d’une loi, pourrait très bien conclure qu’il est logique d’imposer une peine indéterminée à un jeune de 17 ans parce que la Cour supréme du Canada croit que les écoles de réforme facilitent la réinsertion des jeunes et que c’est donc dans leur intérêt. En conséquenceje crois que ce n’est pas un traitement cruel et il n’y a donc aucune injustice aux termes de la loi.
M. Kilgour: En supposant que l’article 15 et l’article 23 ou beaucoup d’autres articles de ce genre n’existent pas sous leur forme actuelle, ne pourrions-nous pas faire mieux que ce que nous faisons évidemment dans les circonstances présentes et ne serions-nous pas susceptibles, pour les raisons que vous venez de mentionner, de le faire aux termes de . . .
M. Cruickshank: Exactement. A mon avis, il faut apporter certains amendements. Pour ce qui est de l’affaire Burnshine et de la phrase «amélioration des conditions», nous avons proposé une façon dont la Cour pourrait dépasser l’objectif énoncé dans la loi et s’en tenir aux faits réels. S’agit-il vraiment d’une réforme? Est-ce vraiment un traitement utile ou est-ce en réalité une punition? Les tribunaux devraient pouvoir s’attaquer à cette question.
[Page 49]
M. Kilgour: Connaissez-vous un pays où il y a une Charte des droits enchâssée qui protège convenablement les droits des enfants?
M. Cruickshank: Je ne saurais dire si elle les protège convenablement. Je présume que c’est unelsituation en évolution constante, mais ce sont peut-être les Etats-Unis qui sont allés le plus loin dans ce domaine.
M. Kilgour: Ni plus ni moins.
Les droits des enfants a naître font-ils partie de votre domaine d’intérêt ou de préoccupation?
M. Cruickshank: Après avoir étudié la Charte des droits sous cet angle, nous avons simplement constaté que dans la plupart de nos lois, la définition du mot «enfant» signifie de la naissance jusqu’à l’age de la majorité. Comme nous supposons que cette définition serait appliquée à la Charte, alors l’article 7 visant le droit à la vie ne pourrait pas s’appliquer à l’enfant à naître. indubitablement, c’est l’interprétation qu’on donne à la Constitution américaine qui contient une phrase semblable. Aux États-Unis, personne n’a réussi à faire accepter que cette définition du «droit à la vie» s’applique avant la naissance.
M. Kilgour: Merci beaucoup.
Pour ce qui est de l’âge de la majorité, vous nous dites que nous ne devrions peut-être pas nous inquiéter de ce concept si l’on assure une protection convenable. Pensez-vous qu’il faudrait le modifier dans le cadre d’une nouvelle loi sur les délinquants juvéniles ou quelque chose de semblable?
M. Cruickshank: Nous n’avons pas adopté de position ferme sur la question quoique, dans le document Admittance Restricted, nous signalions l’anomalie qui existe dans beaucoup de provinces où légalement, aux fins de la loi criminelle, vous devenez un adulte à partir de l’âge de 16 ans et où, vous n’avez aucun des droits des adultes avant d’atteindre l’âge de 18 ou 19 ans. A mon avis, aux termes de la nouvelle Charte proposée, cette anomalie sera soumise aux tribunaux a cause de la phrase discriminatoire sur l’âge. C’est certainement un aspect qui est grand ouvert à la contestation.
M. Kilgour: Je suis sûr qu’il ne me reste pas beaucoup de temps, mais j’aimerais poser une dernière question concernant les décisions des tribunaux visant la garde des enfants. Comme vous le savez, dans ce cas-là, il arrive souvent que les parents ne tiennent pas compte de la décision, qu’ils kidnappent leurs enfants et aillent vivre dans une autre province. Face à ce problème, avez-vous des suggestions à formuler sur ce que nous pourrions inclure dans une Charte des droits révisée?
M. Cruickshank: Je n’ai rien de précis à suggérer sauf qu’il faut souligner que le Canada est peut-être l’un des pays les plus avant-gardistes dans ce domaine puisque huit ou neuf provinces sur dix ont une loi commune visant l’application des injonctions de garde d’enfants et maintenant nous avons même une convention internationale. Je pense que c’est la démarche à suivre, adopter des lois province par province, mais en adoptant des lois sévères et en ayant des organismes pour voir à leur application.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Merci, monsieur Kilgour.
Madame Côté.
Mme Côté: Merci, monsieur le président.
[Page 50]
Je me permettrai un commentaire au début.
Bien amicalement, je regrette que les témoins que nous rencontrons ce soir, que parmi ceux-ci il n’y ait pas de femmes pour nous parler justement de la situation des enfants et des jeunes.
Par ailleurs, on a beaucoup parlé des droits et de la protection qu’on doit accorder aux jeunes et aux enfants, peu importe l’âge. On demande à la charte de prévoir beaucoup de choses mais j’aimerais savoir l’opinion des témoins quant à la responsabilité des parents.
Est-ce que la nouvelle société qu’on s’est donnée, dans laquelle on a placé des enfants devant des grands changements si l’on considère les nouvelles écoles, les nouvelles méthodes d’éducation, les parents qui ont beaucoup de difficulté à suivre l’évolution de leurs enfants et, pour revenir à ce que disait le sénateur Lucier, quand on regarde aussi tout le système qu’on a mis en place au niveau des foyers d’accueil, la séparation dans plusieurs cas des enfants des parents, je voudrais savoir quels pourraient être les droits. d’abord les responsabilités des parents, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour éveiller davantage les parents à leurs responsabilités vis-à-vis leurs enfants.
Quand vous dites dans votre mémoire que les enfants ne doivent pas être considérés comme les biens des parents, je suis d’accord, mais ils ont quand même des droits et c’est difficile d’aller à l’encontre de ces droits-la et je voudrais savoir aussi de quelle façon on pourrait mieux protéger les enfants en tenant compte des droits des parents et de leurs responsabilités, comment on pourrait faire pour les éveiller à ces responsabilités-là.
Le coprésident (M. Joyal): Monsieur Cohen.
[Traduction]
M. Cohen: Je vais d’abord rapidement répondre à votre première question, à savoir pourquoi il n’y a pas de femmes parmi nous. Nous sommes une organisation démocratique dont le conseil de direction est composé en grande partie de femmes qui élisent ceux qui doivent les représenter devant divers organismes comme celui-ci, Nous avons été élus et nous voilà, j’ignore si c’est bon ou si c’est mauvais. Tout ce que je puis dire, c’est que des femmes ont participé à cette décision et qu’il faudra peut-être mieux les éduquer afin qu’elles fassent un meilleur choix la prochaine fois.
Votre question portant sur les droits et les responsabilités des parents est très importante. Il va sans dire que ce sont les parents qui assument la plus grande part des responsabilités vis-à-vis des enfants et je ne pense pas que quel’un ait vraiment l’intention de modifier cela,
Ce dont nous parlions tout à l’heure, c’est la façon dont on fournit aux parents les informations nécessaires afin qu’ils s’acquittent convenablement de leurs responsabilités envers leurs enfants. Où obtiendront-ils ces renseignements? Qui les leur fournira?
Pour ce qui est de votre question sur Ia façon de concilier les droits des parents et des enfants ou les responsabilités des parents vis-à-vis des nouveaux droits des enfants, la réponse est qu’il faut d’abord éduquer davantage les familles au niveau du fonctionnement familial et, deuxièmement, que la société a l’obligation de supporter une famille.
[Page 51]
Nous en arrivons à un type de société où nous n’aimons pas les enfants et nous n’aimons pas ceux qui en ont et c’est mauvais. Nous n’en voulons pas dans la plupart de nos immeubles d’habitation; nous ne voulons pas qu’ils participent à beaucoup des manifestations qui ont lieu dans notre communauté; nous ne les voulons pas dans les restaurants; il y a beaucoup d’autres endroits où nous ne voulons pas les voir. Il n’y a pas que les enfants que nous ne voulons pas voir, mais aussi les parents qui les accompagnes. C’est ainsi que réagit la communauté. La communauté est composée de gens âgés de zéro à 125 ans. C’est biologique, c’est comme cela que ça se passe.
Il se peut qu’il y ait certains groupes que nous n’aimons pas voir près de nous, mais nous ne pouvons nier leur existence et d’ici à ce qu’ils assument leurs responsabilités dans cette communauté vis-à-vis des autres membres et qu’ils essaient d’y trouver leur propre place, je ne crois pas qu’il y ait des réponses à votre question. Vous ne pouvez pas stipuler par voie législative que les gens auront de la considération les uns pour les autres, envers leurs voisins. Vous ne pouvez pas l’imposer aux gens. Tout ce que vous pouvez faire, c’est amener les gens à penser que cela devrait se produire.
Cela rejoint peut-être ce que nous disions tout à l’heure concernant le besoin d’éducation. Les gens ont besoin d’en savoir davantage; ils ont besoin d’être informés davantage; et nous ne pouvons pas dire que nous allons laisser la famille de côté parce qu’elle est importante. C’est ce que nous disions tout à l’heure, la famille est tellement sacre-sainte que nous n’y toucherons pas, nous laisserons chacun y faire ce qu’il veut parce que qui sommes-nous pour intervenir. Si ce qui se passe chez le voisin se passait au coin de la rue, nous appellerions la police, mais nous permettons que ça se fasse. Je ne pense pas que nous puissions le tolérer plus longtemps. Si nous voulons un un changement, je pense que nous devons nous intéresser au comportement des autres et il faut que ce soit réciproque. Il ne suffit pas d’adopter un règlement et d’emprisonner tous ceux qui y contreviennent. La société ne fonctionne pas comme cela. Il faut fixer des normes, Les gens établissent des normes en agissant d’une certaine façon. En agissant d’une certaine façon, on convainc les autres et il est alors possible de voir ce qui se passe dans la communauté, et il est possible pour cette communauté de travailler ensemble.
Autrement, il est inutile d’adopter une loi stipulant que tout le monde doit être gentil. Si les gens ne veulent pas être gentils, ils ne le seront pas.
[Texte]
Le coprésident (M. Joyal): Madame Côté, une dernière question.
Mme Côté: Monsieur le président, je suis davantage heureuse d’avoir posé ma question par la réponse qui m’a été donnée.
Je pense que c’est tout le programme du Conseil canadien de l’Enfance et de la Jeunesse que vous venez de décrire.
Je ne pense pas que la Constitution canadienne ou la nouvelle charte des droits pourrait contenir ce que vous nous avez proposé mais vous avez tout un programme d’éducation devant vous.
[Page 52]
Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Joyal): Merci, madame Côté.
[Traduction]
Au nom de tous les honorables membres du Comité et en mon nom personnel, je tiens à vous remercier spécialement pour votre contribution exceptionnelle à nos travaux.
Je n’exprimerai pas les mêmes réserves que Mme Côté à votre égard, parce que je pense que nous aurons fait un grand pas en avant le jour où nous entendrons des hommes venir défendre les droits des femmes devant ce Comité. Je pense que nous progressons, lorsque je vois un père comparaître devant nous pour parler du droit des enfants.
[Texte]
La séance est maintenant ajournée jusqu’à 9 h 30 demain matin où nous entendrons les représentants de The National Black Coalition of Canada.
[Traduction]
La séance est levée jusqu’à 9 h 30 demain matin où nous entendrons les représentants de The National Black Coalition of Canada.
TÉMOINS
De la Fédération canadienne des associations des droits de
l’homme:
M. Edwin Webking, président;
M. Norman Whalen, vice-président;
M. Gilles Tardif, directeur.
Du Conseil canadien de l’enfance et de la jeunesse:
M. Andrew Cohen, directeur général;
M. David Cruickshank, vice-président;
M. Joseph Ryant, membre du conseil d’administration.