Canada, Débats de la Chambre des communes, « La loi nº2 de 1980-1981 portant affectation de crédits (protection juridique de l’égalité des femmes) », 32e parl, 1re sess (8 décembre 1980)
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Date: 1980-12-08
Par: Canada (Parlement)
Citation: Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes, 32e parl, 1re sess, 1980 à 3274, 5500-5502.
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LES SUBSIDES
LA LOI DE Nº 2 DE 1980-1981 PORTANT AFFECTATION DE CRÉDITS
[…]
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Mlle Jewett: Je voudrais demander au ministre qui est responsable de la condition féminine et lui poser quelques questions qui n’ont pas encore été abordées aujourd’hui, je pense. Une chose qui me préoccupe particulièrement, et le ministre le sait, c’est la protection juridique de l’égalité des femmes dans les propositions constitutionnelles du gouvernenient. Cette absence de protection de l’égalité des femmes a été soulignée par le Comité d’action nationale sur le statut de la femme et par le Conseil consultatif sur le statut de la femme. La question sera de nouveau soulevée demain matin. Je me demande si le ministre a eu le temps de lire le mémoire soumis par l’Association nationale des femmes face au droit. Ce fut aussi l’un des principaux sujets du mémoire qu’a présenté le président de la Commission des droits de la personne. Le ministre se fiait-il simplement à ce que le ministre de la Justice et les conseillers juridiques du gouvernement ont dit de l’article 15 et de l’article I ? A-t-il à un moment ou l’autre cet été, en sa qualité de ministre chargé de la condition de la femme, examiné les projets de textes pour voir si le libellé actuel mettait vraiment les hommes et les femmes sur un pied d’égalité aux yeux de la loi? A-t-il demandé l’avis du Conseil consultatif? Comme le ministre le sait, le Conseil préparait de nombreux documents pour une conférence qui n’a malheureusement pas eu lieu dans la première semaine de septembre, y compris un brillant traité dont j’ai parlé auparavant par le P’ Beverley Baines sur les femmes devant la loi et la constitution.
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J’ai été renversée quand j’ai demandé à l’une des vice-présidentes du Conseil consultatif canadien de la situation de la femme, M » Lucy Pépin, si le ministre lui avait demandé à elle, à la présidente, ou à n’importe quel autre membre du Conseil si l’égalité des femmes était suffisamment protégée, et qu’elle m’a répondu que le ministre n’avait consulté personne du Conseil. Je trouve cela extraordinaire, étant donné que le document Baines a paru en août et que le Conseil préparait en vue de la conférence un grand nombre de documents qui critiquaient vivement les propositions du gouvernement comme étant inacceptables, surtout en ce qui concerne l’égalité devant la loi, mais aussi en ce qui concerne bien d’autres dispositions. Je me demande pourquoi le ministre n’a pas consulté le Conseil. Il est peut-être plus important maintenant de savoir s’il a lu depuis ses mémoires et d’autres, y compris celui de l’Association nationale des femmes sur les femmes et la loi? Si le ministre trouve que ses arguments sont solides, les défendrat- il devant ses collègues du cabinet? Il serait en fait excellent que le ministre propose lui-même au comité les amendements qui s’imposent aux propositions constitutionnelles car, comme le commissaire aux droits de la personne l’a dit, elles pèchent gravement. Le ministre le fera-t-il?
M. Axworthy: Monsieur le président, un de nos comités étudie en ce moment la résolution qui englobe la charte des droits. Comme je l’ai dit plus tôt, en ma qualité de député, j’attends avec impatience de lire le compte rendu de ses délibérations et de prendre connaissance de ses recommandations. Le comité a pour objet, comme le signale le député, d’entendre les instances d’une grande variété de groupes et d’organismes, et d’avoir recours à son bon jugement pour trier les propositions qui se révéleront opportunes, efficaces et utiles. De toute évidence, il n’acceptera pas toutes les recommandations, car dans beaucoup de cas, elles sont contradictoires.
Mlle Jewett: Non, elles sont toutes les mêmes.
M. Knowles: Les femmes sont unies.
M. Axworthy: Le Parlement a créé ce comité dans le but notamment de permettre à nos pairs de se prononcer sur la question. L’inclusion dans la charte des droits à la non-discrimination a constitué un grand progrès pour les citoyennes canadiennes, du fait que leurs droits sont désormais constitutionnalisés. Cela ne s’était jamais produit auparavant, et l’histoire de notre jurisprudence et des causes dont ont été saisis nos tribunaux montre à quel point nous avons souffert de l’absence d’une loi fondamentale et très claire déterminant ces droits fondamentaux et stipulant que les autres droits prévus dans les lois adoptées par le Parlement ou d’autres assemblées législatives devront être jugés par rapport à cette loi fondamentale.
La difficulté qu’on avait connue lors d’anciens procès où il fallait traiter de lois contradictoires-par exemple, la loi sur l’assurance-chômage contre la Déclaration des droits-est que les tribunaux avaient bel et bien déclaré-et pour la gouverne de l’hon. représentante je cite un extrait du jugement rendu par le juge en chef Bora Laskin dans l’affaire Curr contre la Reine-que dans le cas de deux lois adoptées par la même assemblée législative, les tribunaux ne peuvent décider laquelle est la mieux fondée simplement du fait que les deux lois ont été adoptées par la même assemblée législative ayant reçu la même autorité et le même mandat. Par conséquent, bon nombre de procès où l’on a fait échec aux droits des femmes étaient fondés sur ces principes. Aucune loi supérieure ou fondamentale n’avait été évoquée. L’honorable représentante conteste la décision du juge en chef de la Cour suprême.
Mlle Jewett: Ce procès n’a rien à voir avec les femmes. Vous vous trompez.
M. Axworthy: Je suppose que l’honorable représentante peut se mesurer au juge en chef, et ça la regarde.
Mlle Jewett: Vous vous trompez de cause, Lloyd.
M. Axworthy: Monsieur le président, c’est bien de cette cause-là que je parle, j’ai examiné cette question très attentivement.
Mlle Jewett: Non, vous vous trompez.
M. Axworthy: Je sais que l’honorable représentante est un modèle de sagesse dans notre pays, mais je pense qu’elle admettra qu’il y a des divergences d’opinion justifiées sur le principe et la façon dont on l’interprète.
Mlle Jewett: Rien que des faits.
M. Axworthy: Quel que soit, monsieur le président …
M. Knowles: Vous qui êtes professeurs, ne pouvez-vous pas vous entendre un peu mieux?
M. Axworthy: Monsieur le président, je ne cherche pas à discuter, mais simplement à m’expliquer, car je croyais que l’hon. représentante voulait une explication. C’était l’un des principaux problèmes que comportait nos recueils de lois. Il ne s’agissait pas d’une loi fondamentale donnant des instructions précises aux tribunaux, à partir desquelles ils pouvaient prendre des décisions. C’est en fonction de ces motifs que de nombreuses affaires ont été tranchées par une décision allant à l’encontre de l’élargissement des droits. La constitutionnalisation d’une charte des droits représente un pas important vers la formulation de règles claires et à caractère obligatoire. Cette question n’a pas été analysée dans le document Baines qui, même s’il était brillant sous bien des aspects, allait à l’encontre de certaines dispositions de la loi dans ce cas particulier.
Dans la deuxième affaire, je signalerai au député que la constitutionnalisation des droits aurait pour effet immédiat d’exiger que les assemblées législatives et le Parlement se réunissent pour réévaluer les diverses lois existantes et voir dans quelle mesure elles vont à l’encontre de la charte. Ainsi, sans devoir consulter les tribunaux, il y a une épuration immédiate de la loi, grâce à la suppression des articles discriminatoires. Cette question a été discutée au cabinet et c’est ce qui a justifié ce délai de trois ans, afin que le Parlement et les assemblées législatives puissent réviser leurs lois pour voir ce qu’il faut modifier, conformément aux exigences de la charte, pour assurer des droits égaux à tous, sans distinction de race, d’âge, de sexe ou autre.
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Le député devra bien admettre que cela constitue un progrès important. Si, toutefois, le libellé de la loi peut être modifié pour qu’elle ait plus de poids, les membres du gouvernement et du caucus n’hésiteront pas à le faire. C’est pour cette raison que le comité a été constitué et que le Parlement lui a confié un mandat, pour faire preuve de bon sens et voir quelles améliorations il est possible d’apporter à la résolution et à la charte.
Le gouvernement, le premier ministre, le ministre de la Justice et moi-même l’avons tous répété aux organisations avec lesquels nous avons conféré. Je me suis entretenu avec des membres du Conseil consultatif et du Comité d’action nationale, et peut-être avec un plus grand nombre d’associations féminines que le député ne l’a fait depuis deux mois, pour examiner cette question et répéter que nous étions prêts à examiner toute modification de nature à améliorer la loi. Mais nous voulons connaître l’opinion du comité, car, pour ma part, je ne voudrais pas lui imposer ma propre opinion. Le Parlement lui a confié un mandat que je respecte, et je présume qu’il va l’acquitter, celui d’examiner les mémoires qui lui sont présentés et d’agir en conséquence, selon son jugement. Il est très important de respecter la procédure établie par la Chambre.
Le député aurait tort d’essayer de susciter un affrontement qui n’existe pas, car nous avons dit que nous étions prêts à améliorer la charte et ainsi à tenir compte des recommandations du comité.
Mlle Jewett: Monsieur le président, la raison pour laquelle je me suis montrée conciliante, c’est que cette question me préoccupe tellement que je tiens à ce que le ministre la prenne au sérieux. Voilà pourquoi j’ai essayé d’en discuter froidement. Il semble que le ministre n’ait pas lu très attentivement les mémoires ou, s’il l’a fait, il n’y a rien compris.
Ils ne sont pas contradictoires. Je parle du mémoire de la Commission des droits de l’homme, du mémoire de la NAC et du mémoire de son propre conseil consultatif, autant que de celui de la National Association of Women and the Law. Tous insistent sur le même point, et il est donc faux de les prétendre contradictoires. Ils prennent tous bien soin de souligner qu’il s’agit d’une question complexe et que l’insertion des mêmes termes n’apportera aucun avantage. Le mémoire le plus récent signale que dans les deux principales affaires d’inégalité de sexes, les affaires Lavell et Bliss, la décision ne reposait pas sur une distinction entre norme légale et norme constitutionnelle d’égalité. Il y est dit que rien ne permet de croire que la Cour suprême va se mettre à donner une interprétation plus large à cet article, rédigé dans les mêmes termes exactement que la Déclaration des droits, du seul fait qu’il figurera à la constitution, et que vraisemblablement ces termes seront interprétés de la même façon exactement après comme avant leur insertion dans la constitution. Tel est l’avis de tous les constitutionnalistes qui ont assisté ces groupes dans l’établissement de leurs mémoires. Il n’y a aucune contradiction.
L’affaire Curr citée par le ministre est sans rapport avec la question. Le mémoire Baines l’a évoquée très brièvement parce qu’elle est sans incidence sur l’égalité de la femme.
En ce qui concerne le délai de trois ans, monsieur le président, leur opinion est la même. Le seul passage du document constitutionnel disant que l’application de cet article n’est pas obligatoire avant trois ans va empêcher de trancher un grand nombre de cas actuels d’inégalité. C’est là un point très grave. Je suis heureuse que le ministre ait parlé à ces groupes, tout en regrettant qu’il ne les ait pas consultés avant, spécialement le Conseil consultatif. Il y aurait intérêt à les consulter pour rédiger de façon plus raisonnable les documents constitutionnels.
Je regrette que le ministre n’ait pas mis plus de vigueur à défendre cette cause. Il aurait pu faire jouer son influence auprès du ministre de la Justice et de son ministère pour que les modifications qui ont fait l’unanimité soient apportées. J’espère qu’il renoncera à cette attitude de laisser-faire dans un domaine qui certainement doit lui tenir à coeur autant qu’à toutes les femmes dont il a la charge d’assurer la défense de par ses fonctions ministérielles.