Canada, Débats de la Chambre des communes, « L’Instituton d’un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes », 32e parl, 1re sess (6 octobre 1980)
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Date: 1980-10-06
Par: Canada (Parlement)
Citation: Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes, 32e parl, 1re sess, 1980 à 3274, 3280-3314.
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DEBATS DES COMMUNES
Dépôt de hills
LA CONSTITUTION
DFPOT D’UNE RESOLUTION
Le très hon. P. E. Trudeau (premier ministre): Madame le
Président, en vertu de l’article 41(2) du Règlement, je voudrais
déposer dans les deux langues officielles un projet de résolution
portant adresse commune à Sa Majesté la Reine concernant la
Constitution du Canada.
* * *
L’ENERGIE
DI POT DES DECIA R ATIONS DU MINISTRE D’t TAT CHARGE DU
DFEi O’PEMENT ECONOMIQUE
L’hon. Marc Lalonde (ministre de l’Énergie, des Mines et
des Ressources): Madame le Président, le 22 juillet dernier,
durant les derniers jours de la session, en réponse à une
question du député d’Edmonton-Est (M. Yurko) et à la suite
d’un recours au Règlement du leader de l’opposition, je m’étais
engagé à déposer le document en ma possession lorsque je
citais une déclaration de l’honorable ministre d’Etat chargé du
Développement économique (M. Olson), qu’il avait faite le 18
juillet dernier. L’ajournement de la session m’ayant empêché
de le faire plus tôt, je voudrais maintenant déposer ce document
dans les deux langues officielles.
* * *
Traduction 1
LA LOI SUR L’OFFICE NATIONAL D. L’ENERGIE
MESURt MODIFICATIVE
M. Bob Wenman (Fraser Valley-Ouest) demande à présenter
le bill C-612, tendant à modifier la loi sur l’Office national
de l’énergie (représentation provinciale).
Mme le Président: La Chambre consent-elle à ce que le
député présente ce bill’?
Des voix: D’accord.
Des voix: Expliquez-vous.
M. Wenman: Madame le Président, ce bill privé d’intérêt
public fait partie d’une série de bills. Il a particulièrement pour
but de faire nommer des représentants des provinces aux
conseils fédéraux dont le CRTC, le Conseil des arts du
Canada, la Commission nationale des transports et le reste. Je
ne pense pas que ces bills visent à transférer des pouvoirs d’un
niveau de gouvernement à un autre. Ils ont plutôt pour objectif
de sanctionner le principe de l’association qui a toujours été
inhérent au régime politique canadien. Si le gouvernement
avait compris plus tôt ce principe, il y a longtemps qu’il aurait
pu demander aux provinces de se faire représenter aux commissions.
Malheureusement, l’instance fédérale a choisi la
confrontation et l’arbitraire. Dans ces conditions, je soupçonne
bien à regret que le gouvernement va accorder à peine plus
d’attention au débat constitutionnel qui s’annonce qu’à ce
genre de bill d’initiative parlementaire.
(La motion est adoptée, le bill est lu pour la l- fois et
l’impression en est ordonnée.)
Mme le Président: Quand le bill sera-t-il lu pour la
deuxième fois? A la prochaine séance de la Chambre’?
Des voix: D’accord.
LA LOI NATIONALE SUR LES TRANSPORTS
MESURE MODIFICATIVE
M. Bob Wenman (Fraser Valley-Ouest) demande à présenter
le bill C-613, tendant à modifier la loi nationale sur les
transports (représentation provinciale).
Des voix: Expliquez-vous.
M. Wenman: Il s’agit d’un bill de même nature, prévoyant
la représentation à d’autres commissions et faisant appel à
l’esprit de collaboration et à la conciliation plutôt qu’à la
confrontation. Il est vraiment regrettable que telles n’aient pas
été la politique et l’habitude du gouvernement à ce sujet.
(La motion est adoptée, le bill est lu pour la 1l, fois et
l’impression en est ordonnée.)
Mme le Président: Quand ce bill sera-t-il lu pour la
deuxième fois’? A la prochaine séance de la Chambre?
Des voix: D’accord.
* * *
LA CONSTITUTION
L’INSTITUTION D’UN COMITE SPECIAl MIXTI DU SENAi ET DE
LA CHAMBRE DES COMMUNES
L’ordre du jour appelle: Avis de motions émanant du
gouvernement:
Ie 2 octobre 1980–Le minisitre de la Justice:
Qu’un comité spécial mixte du Sénat et de lIt Chambre des communes oit
institué pour examiner le document intitulé «Projet de résolution portant adresse
commune à Sa Majesté la Reine concernant lta Constitution du C a nidi, publié
par le gouvernement le 2 octobre 1980, faire rapport sur la question, et f’aire des
recommandations dans son rapport quant à l’opportunité, pour les deux Chaibres
du Parlement, de présenter à Sa Majcsté cette adresse, modifiée, le cas
échéant, par le Comité;
Que la Chambre des communes désigne, dans les trois jours de séance qui
suivent l’adoption de cette motion, quinze députés pour la représenter au sein du
comité spécial mixte;
Que le comité soit autorisé à choisir parmi ses membres ceux qui feront partie
des sous-conités qu’il peut estimer opportuns ou nécessaires et à déléguer a ces
sous-comités tout ou partie de ses pouvoirs sauf celui de taire rapport directenient
à la Chambrc:
Que le comité ait le pouvoir de siéger pendant les séances et les ajournements
de la Chambre des communes.
Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, a exiger la production
de documents et picces, a interroger des témoins et à faire imprimer at jour le
jour les documents et témoignages qu’il juge à propos:
Que le comité fasse rapport au plus tard le 9 décembre t1980;
Que le quorum du comité soit fixé à douze membres, à condition que les deux
Chambres soient représentées pour les votes, résolutions oi autres décisions, et
que les coprésidents soient autorisés à tenir des réunions, recevoir des témoignages
et en autoriser l’impression lorsqu’au moins six membres sont présents, à
condition que les deux Chambres soient représentées; et
Qu’un message soit envoyé au Sénat l’invitint a se joindre à lu Chambre aux
fins énumérées ci-dessus, et à désigner, si la chose lui parait souhaitable, certains
de ses membres pour faire partie de ce comité spécial mixte.
Mme le Président: L’avis de motion est reporté aux ordres
émanant du gouvernement et son examen est décrété à plus
tard aujourd’hui, conformément aux dispositions du paragraphe
(2) de l’article 21 du Règlement.
* * *
[Traductionj
QUESTIONS AU FEUILLETON
(Les questions auxquelles une réponse verbale est donnée
sont marquées d’un astérisque.)
3274 6 octobre 1980
La constitution
tion du saumon qui migre le long de la côte sud-ouest de
Terre-Neuve et qui y est capturé au cours des premières
semaines de la saison se dirige vers les rivières des Maritimes
et du Québec.
a) Dans la zone statistique J à laquelle il a été fait
allusion précédemment, le taux d’interception global saisonnier
est de l’ordre de 50 p. 100.
b) Outre le raccourcissement de la saison de pêche mentionnée
ci-dessus, la pêche au filet dérivant à Port-aux-
Basques, à laquelle participaient environ soixante-dix (70)
pêcheurs, a été interrompue en 1972.
Mme le Président: Les autres questions restent-elles au
Feuilleton?
Des voix: D’accord.
* * *
LES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
[Français]
M. Pinard: Madame le Président, après les consultations
usuelles, il semble qu’il y ait consentement unanime pour que
l’heure des députés à 5 heures aujourd’hui soit suspendue, de
façon à permettre aux chefs des partis de l’opposition de
s’exprimer avant 6 heures.
[Traduction]
M. Baker (Nepean-Carleton): Madame le Président, c’est
bien cela à condition, bien sûr-et je suis certain que mon ami
sera d’accord avec moi-que le député dont le bill devrait être
étudié aujourd’hui ne perde pas sa place dans la liste de
priorité.
M. Knowles: Madame le Président, tous les partis ont
participé à ces négociations. Nous sommes également
d’accord.
Mme le Président: La Chambre consent-elle à ce que
l’heure réservée aux initiatives parlementaires soit suspendue,
sous réserve des conditions exprimées par certains députés?
Des voix: D’accord.
ORDRES INSCRITS AU NOM DU
GOUVERNEMENT
[Français]
LA CONSTITUTION
L’INSTITUTION D’UN COMITE SPECIAL MIXTE DU SENAT ET DE
LA CHAMBRE DES COMMUNES
L’hon. Jean Chrétien (ministre de la Justice et ministre
d’État chargé du Développement social) propose:
Qu’un Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes soit
institué pour examiner le document intitulé «Projet de résolution portant adresse
commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada», publié
par le gouvernement le 2 octobre 1980, faire rapport sur la question, et faire des
recommandations dans son rapport quant à l’opportunité, pour les deux Chambres
du Parlement, de présenter à Sa Majesté cette adresse, modifiée, le cas
échéant, par le Comité;
Que la Chambre des Communes désigne, dans les trois jours de séance qui
suivent l’adoption de cette motion, quinze députés pour la présenter au sein du
Comité spécial mixte;
[Traduction]
Que le comité soit autorisé à choisir parmi ses membres ceux qui feront partie
des sous-comités qu’il peut estimer opportuns ou nécessaires et à déléguer à ces
sous-comités tout ou partie de ses pouvoirs sauf celui de faire rapport directement
à la Chambre.
Que le comité ait le pouvoir de siéger pendant les séances et les ajournements
de la Chambre des communes;
Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à exiger la production
de documents et pièces, à interroger des témoins et à faire imprimer au jour le
jour les documents et témoignages qu’il juge à propos;
Que le comité fasse rapport au plus tard le 9 décembre 1980;
[Français]
Que le quorum du Comité soit fixé à douze membres, à condition que les deux
Chambres soient représentées pour les votes, résolutions ou autres décisions, et
que les coprésidents soient autorisés à tenir des réunions, recevoir des témoignages
et en autoriser l’impression lorsqu’au moins six membres sont présents, à
condition que les deux Chambres soient représentées; et
Qu’un message soit envoyé au Sénat l’invitant à se joindre à la Chambre aux
fins énumérées ci-dessus, et à désigner, si la chose lui paraît souhaitable, certains
de ses membres pour faire partie de ce Comité spécial mixte.
[Traduction]
-Madame le Président, le gouvernement fédéral et les
gouvernements provinciaux sont d’accord depuis plus d’un
demi-siècle qu’il faudrait ramener chez nous la constitution du
Canada en déterminant une procédure permettant de la modifier
entièrement au Canada. Et pourtant, malgré bien des
tentatives et de nombreuses conférences fédérales-provinciales,
les gouvernements n’ont pu s’entendre sur la façon de
procéder.
Pour diverses raisons, les tentatives du gouvernement fédéral
et des gouvernements provinciaux de s’entendre sur une formule
d’amendement en 1927, 1931, 1935-1936, 1950, 1961,
1964, 1971, 1975-1976, et 1978-1979 ont toutes échoué.
Le 9 mai dernier, dix jours avant le référendum du Québec,
la Chambre des communes adoptait à l’unanimité une résolution
proposée par le député d’Edmonton-Est (M. Yurko), et
appuyée par le député de Provencher, (M. Epp). Le texte de la
résolution était le suivant:
Comme certaines provinces ont à maintes reprises refusé d’appuyer le rapatriement
de Grande-Bretagne de lat Constitution du Canada …
On y proposait:
«que le Parlement du Canada soumette une adresse à Sa Majesté la Reine
Elizabeth priant Sa Majesté qu’il lui plaise de faire présenter un projet de loi au
Parlement du Royaume-Uni. tendant à permettre la modification au Canada de
la Constitution du Canada».
Des voix: Bravo!
M. Chrétien: Au moment où la résolution a été adoptée, le
premier ministre (M. Trudeau) avait déclaré:
Nous sommes résolus à nous assurer qu’au cours des prochains mois, la
Chambre aura l’occasion de s’exprimer sur cette question.
M. Dick: Madame le Président, j’invoque le Règlement. Je
m’excuse d’interrompre le ministre de la Justice (M. Chrétien),
mais nous n’arrivons pas à obtenir des copies du texte de
la résolution. Le ministre en parlera dans son discours; apparemment,
le gouvernement n’en a pas. Comme elle a été
déposée, je me demande s’il n’y a pas moyen d’en obtenir des
copies puisque nous la débattrons.
3280 DÉ13ATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
6octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES
M. Chrétien: Madame le Président, j’apprends qu’elle figure
au Feuilleton et je suivrai la coutume. Je ne peux rien y faire
pour le moment.
Mme le Président: J’ai demandé au greffier de vérifier si la
résolution a été distribuée; je pense que oui. Le ministre
pourrait toujours poursuivre son discours pendant que j’essaie
de savoir si le texte de la résolution a été distribué. Nous
pourrions peut-être poursuivre le débat et écouter le ministre
en attendant.
M. Chrétien: On me dit que tout le monde en a une copie.
M. Nowlan: Il s’agit de l’avis.
M. Chrétien: Je ne suis pas chargé de la distribution. Je ne
peux donc pas y faire grand-chose. J’ai bien des responsabilités,
mais pas celle-là.
Mme le Président: On peut obtenir des copies de la résolution.
Elles n’ont pas été distribuées. Elles seront distribuées
d’une minute à l’autre. Nous pourrions peut-être reprendre le
débat et écouter le ministre de la Justice (M. Chrétien).
M. Nielsen: C’est bien beau.
[Français]
M. Pinard: Madame le Président, il est évident, bien sûr,
que les documents déposés par le très honorable premier
ministre (M. Trudeau) aujourd’hui n’ont pas encore été distribués,
mais pour que tout soit clair, je tiens à informer la
Chambre que dès jeudi dernier, avant que le premier ministre
ainsi que le chef de l’opposition officielle et celui du Nouveau
parti démocratique ne s’expriment à la télévision, je me suis
assuré que chaque leader parlementaire ait en sa possession un
nombre suffisant de copies de cette résolution pour distribution
à leurs propres caucus.
Madame le Président, nous n’étions pas tenus de faire cela,
nous l’avons fait par pure courtoisie. La motion qui apparaît
au Feuilleton d’aujourd’hui a pour but de déférer la résolution
à un comité et, justement pour permettre aux députés d’en
prendre connaissance en fin de semaine, nous avons fait ce que
je viens de mentionner. Madame le Président, vous dites au
surplus que ce texte est actuellement disponible pour les
députés, mais je voulais qu’il soit précisé publiquement que ces
documents ont effectivement été distribués aux leaders parlementaires
dès jeudi dernier pour que les députés en prennent
connaissance.
* (1540)
[Traduction]
M. Dick: Madame le Président, le seul problème qui se pose,
c’est que nous engageons maintenant le débat sur cette résolution-
là. En tant que député, j’ai le droit de prendre connaissance
de ce document. Il a été déposé et je demande qu’on me
le remette avant de poursuivre plus avant. Le gouvernement ne
La constitution
peut-il pas faire cela? Les ministériels affirment qu’ils régissent
et contrôlent tout . . .
M. Trudeau: Vous l’avez eu en votre possession depuis jeudi.
M. Dick: Je n’en ai pas d’exemplaire.
M. Chrétien: Madame le Président, je tiens à informer le
député que jeudi après-midi, j’ai donné au caucus du parti
conservateur une séance d’information à laquelle il n’a pas
daigné assister.
Des voix: Bravo!
Mme le Président: A l’ordre. Je pense que nous pouvons en
finir avec ce rappel au Règlement en procédant tout de suite à
la distribution des documents exigés par le député.
M. Epp: J’invoque le Règlement, madame le Président. Pour
que le débat puisse se poursuivre, je pense que le ministre de la
Justice (M. Chrétien) devrait être plus exact dans ses propos.
Il a signalé qu’il a offert de discuter jeudi dernier avec les
membres de notre caucus du projet de résolution. Toutefois il a
dû reporter la réunion parce que le gouvernement avait
demandé un délai afin de pouvoir modifier ses documents qui
n’étaient pas prêts. La réunion a donc eu lieu le soir plutôt que
l’après-midi parce que le gouvernement devait mettre la dernière
main à ses documents.
M. Chrétien: Madame le Président, il s’est déjà écoulé cinq
jours depuis jeudi dernier.
Avec la permission de la Chambre, je voudrais poursuivre.
Au moment où la résolution fut adoptée, le premier ministre
déclara:
Nous sommes résolus à nous assurer qu’au cours des prochains mois, la Chambre
aura l’occasion de s’exprimer sur cette question . . . Pour ma part, je pense qu’il
serait souhaitable de consulter les gouvernements provinciaux avant d’agir
unilatéralement par suite de cette motion.
Le leader parlementaire de l’opposition a parlé en faveur de
cette motion et a félicité le premier ministre d’avoir signalé
qu’il serait non seulement nécessaire de consulter les gouvernements
provinciaux avant d’agir unilatéralement, mais qu’il
conviendrait de le faire. En effet, le chef de l’opposition (M.
Clark) lui-même a dit, à Toronto, le 6 juin de cette année,
juste avant la conférence des premiers ministres du 9 juin-et
je cite la Gazette de Montréal du 7 juin 1980:
Les participants à la conférence de lundi parlent au nom de onze gouvernements.
Le Parlement parle au nom de 23 millions de Canadiens… Si les
premiers ministres de la Fédération ne réussissent pas à effectuer les changements
nécessaires pour répondre aux besoins du Canada des années 80, le
Parlement de la Fédération devra peut-être s’imposer davantage.
Des voix: Bravo!
M. Chrétien:
Mais si c’est le cas, il ne devra pas le faire au nom d’un gouvernement mais au
nom du Canada tout entier. Le Parlement est la seule des institutions qui soit le
reflet du pays et qui puisse élever la discussion au-dessus des besoins des
gouvernements et faire passer au premier plan les besoins de la nation.
Une voix: Bien dit!
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES
3282 DÉBATS DES COMMUNES 6octobre 1980
La constitution
M. Chrétien: Au cours de la campagne référendaire, des
députés de tous les partis représentés à cette Chambre et les
chefs de tous les gouvernements provinciaux en dehors du
Québec se sont engagés ouvertement à effectuer rapidement
des changements constitutionnels importants. Pour ma part,
j’en entrepris de consulter les provinces dès le lendemain du
référendum. Ces consultations ont duré tout l’été. Tant au
niveau ministériel qu’au niveau des premiers ministres, nous
avons tenté d’arriver à un accord sur les moyens de renouveler
notre fédération, de rapatrier notre constitution, de moderniser
nos institutions politiques, de modifier le partage des pouvoirs
et de garantir les droits économiques, politiques et juridiques
des Canadiens.
En tant que gouvernement fédéral, nous avons présenté des
propositions qui auraient accru les pouvoirs des provinces dans
bien des domaines. Nous étions donc disposés à décentraliser
davantage les pouvoirs dans un pays qui est déjà fortement
décentralisé. Mais nous avons refusé de satisfaire aux demandes
qui auraient porté atteinte au pouvoir du gouvernement
national-le gouvernement de tous les Canadiens-d’agir dans
l’intérêt national lorsque cet intérêt l’emporte sur l’intérêt
d’une région ou d’une province en particulier.
Le gouvernement fédéral a offert de transférer aux provinces
la compétence sur le droit de la famille. Nous étions
disposés à accorder aux provinces la possibilité de lever des
impôts indirects sur les ressources et la possibilité d’adopter
des lois dans le domaine du commerce interprovincial des
ressources. Ceci aurait été particulièrement avantageux pour
toutes les provinces de l’Ouest. En effet, notre proposition
aurait résolu tous les problèmes qui préoccupaient la
Saskatchewan.
J’ajouterai ici que c’est avec grand intérêt que j’ai écouté
jeudi soir le chef du Nouveau parti démocratique (M. Broadbent)
qui s’est comporté comme un chef d’Etat. Le point de
vue qu’il a exprimé sur la propriété des ressources naturelles
coïncide avec l’offre que j’ai faite au cours des négociations
constitutionnelles de cet été.
M. Clark: Le marché.
M. Chrétien: Mon seul regret est que certaines provinces ont
alors rejeté notre offre parce qu’elles ne la trouvaient pas assez
généreuse. Nous avons aussi proposé aux provinces de nouveaux
pouvoirs en matière de pêcheries; et nous avons offert
aux provinces une plus grande part des revenus et un plus
grand rôle dans la gestion et la mise en valeur des ressources
au large des côtes. Notre offre aurait permis aux provinces de
l’Atlantique de recevoir 100 p. 100 des revenus provenant des
ressources au large des côtes, jusqu’à ce que le revenu de ces
provinces dépasse la moyenne nationale.
Nous étions prêts à donner aux provinces plus de pouvoirs
qu’elles n’en ont jamais eu dans le domaine des communications.
Et nous avions accepté d’inscrire dans la constitution
l’obligation pour le gouvernement fédéral d’effectuer des paiements
de péréquation aux provinces les moins favorisées.
Nous avons exprimé notre désir d’inclure la Cour suprême
dans la constitution. Nous avons indiqué que les provinces
auraient leur mot à dire sur la nomination des juges de la Cour
suprême. En échange de toutes ces offres de transfert de
compétence, le gouvernement fédéral n’a pas cherché à obtenir
de nouveaux pouvoirs pour lui-même. Mais nous avons insisté
pour que les gouvernements provinciaux reconnaisseni le
Canada comme un pays ne comptant qu’une seule nationalité
et non pas dix. Nous avons dit qu’il fallait que les Canadiens
aient autre chose en commun que leur passeport.
* (1550)
Nous avons dit aux gouvernements provinciaux que nous
étions prêts à leur céder une partie de nos pouvoirs si, en
échange, ils acceptaient de reconnaître à nos concitoyens le
droit de s’installer, de travailler, d’investir leur argent, de
vendre leurs produits et de s’approvisionner là où ils le désirent
au Canada et nous leur avons dit que nous voulions que ces
droits soient garantis par la constitution.
Malgré trois mois de consultations, de pourparlers et de
négociations intenses avec les provinces, nous n’avons pas pu
parvenir à nous entendre avec elles. Cette entente pourtant,
nous la voulions et nous avons tout fait pour y parvenir sans
toutefois transiger sur nos principes fondamentaux.
[Français]
Si nous ne sommes pas arrivés à un accord, c’est parce que
les gouvernements provinciaux ont essayé de troquer les droits
des Canadiens contre des pouvoirs accrus pour leur province.
Nous étions disposés à négocier les pouvoirs des gouvernements,
mais nous ne voulions pas échanger les droits des
citoyens contre les pouvoirs des gouvernements.
Le leader parlementaire de l’opposition a dit, le 9 mai
dernier, que le gouvernement fédéral devrait consulter les
provinces «avant d’agir unilatéralement». C’est ce que nous
avons fait durant les trois mois qui ont suivi, mais sans obtenir
le succès que nous avions tous souhaité. Nous n’avons plus le
choix maintenant, c’est à la Chambre des communes de passer
à l’action.
Nous devons agir maintenant pour trois raisons. Premièrement,
nous avons tous promis solennellement à la population
du Québec que, si elle votait en faveur du fédéralisme, nous
allions bientôt effectuer d’importants changements à la Constitution.
Nous avons fait campagne au Québec-et je me souviens
d’y avoir été deux fois accompagné du chef de l’opposition–
et nous avons dit aux Québécois que le Canada tout
entier était leur pays; que leurs droits individuels et leurs droits
linguistiques seraient garantis partout au Canada, et que le
principe du partage était un principe fondamental de notre
société. Le jour est venu de tenir nos promesses.
Deuxièmement, nous devons agir maintenant aussi pour
ouvrir la voie à d’autres changements. Lorsque nous aurons
réussi à rapatrier notre Constitution avec une formule d’amendement,
nous aurons à notre disposition un mécanisme qui
permettra d’effectuer des changements constitutionnels au fur
et à mesure qu’ils seront nécessaires. Nous n’aurons plus à
hésiter ni à nous sentir humiliés de devoir nous adresser à
Londres chaque fois que nous voulons modifier notre
Constitution.
Le projet que je présente aujourd’hui va changer la conduite
des négociations constitutionnelles et permettra d’effectuer
plus facilement d’autres réformes. Nous ne nous retrouverons
plus jamais dans une situation où l’on essayera de troquer des
pouvoirs contre des droits ou le rapatriement de la Constitution.
Nous négocierons les pouvoirs pour eux-mêmes. Je pense
que les négociations seront plus logiques et que l’on aura ainsi
une bien meilleure chance de réussir.
Cette journée marque la fin d’une étape et le début d’une
autre. La deuxième étape de la réforme constitutionnelle trai-
3282 DÉBATS DES COMMUNES 60octobre 1980
La constitution
tera du partage des pouvoirs et de la modernisation de nos
institutions politiques. J’espère vivement que nous aborderons
ces questions le plus tôt possible, car elles font aussi partie de
notre promesse à la population du Québec et à celle de tout le
Canada.
Troisièmement, le peuple canadien ne peut plus supporter
ces discussions interminables sur la Constitution; il est très
déçu de constater que les hommes politiques n’arrivent pas à
faire fonctionner le Canada comme il faut ni comme il le
faudrait. Les Canadiens estiment qu’il est essentiel d’agir
maintenant pour en finir avec cette première grande étape de
la réforme constitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, j’ai l’honneur de pouvoir présenter
aujourd’hui à la Chambre des communes une résolution qui va
nous donner les moyens de rapatrier notre Constitution, d’y
inclure une Charte des droits et des libertés comprenant la
liberté de circulation et d’établissement et le droit à l’instruction
dans la langue de la minorité; et d’inscrire dans la
Constitution le principe de la péréquation ainsi qu’un engagement
des provinces à favoriser l’égalité des chances pour tous
les Canadiens et à réduire les inégalités économiques.
Les propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral
ne modifient pas le partage des pouvoirs au Canada. Elles
n’entraînent aucun transfert de pouvoirs des provinces au
profit du gouvernement fédéral. Elles ne font qu’interdire aux
deux ordres de gouvernement de toucher aux droits fondamentaux
des Canadiens. Ces droits qui font partie intégrante de la
citoyenneté canadienne comprennent non seulement les libertés
fondamentales, les garanties juridiques et les droits démocratiques,
mais aussi le droit de faire éduquer ses enfants dans
leur langue officielle. Je dois dire que je trouve étonnant que le
chef de l’opposition s’y oppose si violemment en déclarant que
ces droits sont fondamentalement contraires à ce qu’est le
Canada. Je crois que le contenu de la résolution offre une
image du Canada dans lequel nous avons tous foi.
Au point de vue technique, l’adresse à la Reine, qui apparaît
dans la résolution, est semblable aux requêtes présentées précédemment
au Monarque et demande à la Reine de soumettre
la Loi sur le Canada au Parlement du Royaume-Uni en vue de
son adoption et de sa promulgation.
La Loi sur le Canada commence par l’énumération des
mesures entreprises au Canada rendant opportune l’adoption
par le Parlement du Royaume-Uni de ce projet de loi. Le
contenu du projet de loi a un caractère technique. Il prévoit
l’adoption d’une annexe, la Loi constitutionnelle de 1980,
contenant les nouvelles dispositions concrètes qui auront force
de loi au Canada. Il prévoit maintenir comme lois au Canada
les lois constitutionnelles existantes et prévoit également
qu’aucune loi adoptée dans l’avenir par le Royaume-Uni ne
s’appliquera au Canada. Enfin, le projet de loi contient des
modalités relatives à sa mise en application, telles que l’entrée
en vigueur des diverses dispositions.
Le texte de la Loi constitutionnelle de 1980 apparaît à
l’annexe A de la Loi sur le Canada. Cette loi contient de
nouvelles dispositions importantes qui, pour la plupart, ne sont
pas étroitement reliées aux sujets actuellement prévus dans la
Constitution du Canada. Elle comprend la Charte canadienne
des droits et libertés, des dispositions concernant la péréquation
et les inégalités régionales ainsi que des procédures par
lesquelles la Constitution pourra être modifiée à l’avenir ici
même au Canada. De plus, le projet de loi prévoit la rédaction
de la première version officielle en français de la Constitution
du Canada et le changement du titre des anciens Actes de
l’Amérique du Nord britannique qui seront appelés les Lois
constitutionnelles de 1867 à 1975. Ces changements de nom et
des autres amendements d’importance se trouvent à l’annexe I
de la Loi constitutionnelle de 1980.
Lorsque le Parlement du Royaume-Uni aura adopté la Loi
du Canada, le Canada aura une Constitution qui fera partie de
l’ensemble des lois du Canada et qui ne pourra être modifiée
qu’au Canada.
Madame le Président, après 113 ans, le Canada va enfin
pouvoir rapatrier sa Constitution. Il ne sera désormais plus
nécessaire de nous adresser au parlement d’un autre pays pour
amender notre propre Constitution.
A part le rapatriement de la Constitution, la résolution
prévoit une formule d’amendement provisoire qui assurera aux
provinces leur plein rôle dans notre régime fédéral. Les intérêts
des provinces seront alors mieux protégés, sur le plan juridique,
qu’ils ne le sont maintenant par le processus actuel de
modification constitutionnelle. Cette procédure prévoit qu’on
ne pourra effectuer aucun amendement intéressant toutes les
provinces sans avoir leur consentement et celui du gouvernement
fédéral. Si toutes les provinces et le gouvernement fédéral
arrivent à s’entendre sur une formule d’amendement dans
les deux prochaines années, cette formule sera celle qui entrera
en vigueur.
La résolution contient des dispositions qui prévoient que le
Canada ne sera pas toujours tenu d’obtenir l’unanimité pour
procéder à des changements constitutionnels.
Si les provinces et le gouvernement fédéral n’arrivent pas,
une fois de plus, à faire l’unanimité sur une formule et
qu’aucune autre proposition n’obtient un appui suffisant des
provinces, une formule semblable à la formule de Victoria de
1971 entrera alors en vigueur. Mais si huit provinces ou plus,
représentant au moins 80 p. 100 de la population totale de
toutes les provinces, s’entendent dans un délai de deux ans
après le rapatriement sur une procédure de modification
répondant aux conditions exprimées dans la résolution, cette
formule, ainsi qu’une autre comparable à celle de Victoria,
seront soumises à la décision de la population par voie de
référendum. Le gouvernement fédéral aura aussi la possibilité,
à ce moment-là, de présenter une formule de son choix, au lieu
d’une version modifiée de la formule de Victoria.
* (1600)
[Traduction]
Comme je viens de le dire, si l’on ne peut obtenir un
consensus des provinces sur une formule, une procédure de
modification comparable à la formule de Victoria, entrera en
vigueur deux ans après la date du rapatriement. La formule se
fonde sur le principe que des amendements à certains articles
de la constitution ne peuvent être effectués sans un consensus
dans chaque région et sans un consensus général à travers
l’ensemble du pays. La formule de Victoria exige que ce
consensus soit exprimé par les assemblées législatives provinciales
et par la Chambre des communes et le Sénat à Ottawa.
La formule que contient la résolution permettra, de plus,
d’obtenir un consensus par voie de référendum national.
6 octobre 1980 DEBATS DES COMMUNES
La constitution
En règle générale, la formule exigerait que les amendements
à la constitution soient approuvés par le Parlement et soit par
les assemblées législatives, soit par une majorité des électeurs
d’une majorité des provinces, comprenant: toute province
ayant, ou ayant eu, une population au moins égale à 25 p. 100
de la population du Canada; au moins deux des quatre provinces
de l’Atlantique comptant au moins 50 p. 100 de la population
totale de l’ensemble de ces provinces …
M. McGrath: Pauvre lle-du-Prince-Edouard!
M. Chrétien: Et au moins deux des quatre provinces de
l’Ouest comptant au moins 50 p. 100 de la population de la
région de l’Ouest.
Une voix: Vive 1’Ile-du-Prince-Edouard.
M. Chrétien: Le chef de l’opposition (M. Clark) a exprimé
l’opinion que seul un gouvernement provincial peut parler au
nom des citoyens d’une province. Nous soutenons que les
citoyens peuvent s’exprimer d’eux-mêmes.
Des voix: Bravo!
M. Chrétien: Nous ne croyons pas qu’il soit contraire à
l’esprit du fédéralisme …
M. Clark: D’émasculer les provinces.
M. Chrétien: . . . de permettre aux citoyens d’exprimer leur
opinion sur les modifications à la constitution.
Avant que le chef de l’opposition ne parle trop de la façon
donc ce gouvernement veut renverser le principe du fédéralisme,
je pense qu’on devrait lui rappeler que dans deux autres
États fédéraux, l’Australie et la Suisse, les modifications constitutionnelles
entrent en vigueur lorsqu’elles sont adoptées par
une majorité de la population dans une majorité d’Etats. En
dépit de cette pratique, aucun de ces deux pays ne peut être
considéré comme un Etat unitaire.
M. Andre: Leurs sénats sont aussi élus.
M. Chrétien: Si les gouvernements provinciaux ne sont pas
d’accord avec la formule modifiée de Victoria, ils pourront
proposer autre chose, comme je l’ai déjà expliqué. Et ce sera à
la population de décider.
Ce serait vraiment passer par-dessus la tête des gouvernements
provinciaux que de créer une sorte d’assemblée constituante,
comme l’a suggéré le chef de l’opposition, où les
gouvernements provinciaux n’auraient pas le droit de parole;
l’initiative appartiendrait aux membres de l’assemblée et non
au gouvernement. C’est le Parlement canadien qui devra décider
de la tenue d’un référendum national …
M. Clark: D’où viennent les gouvernements’?
M. Chrétien: … sur une modification constitutionnelle.
La première déclaration des droits au Canada fut adoptée
en 1947 par le gouvernement de la Saskatchewan dirigé alors
par l’honorable T. C. Douglas qui fut un membre éminent de
cette Chambre.
Des voix: Bravo!
M. Chrétien: En 1960 …
M. Clark: Voilà le marché.
M. Chrétien: Attendez un peu, vous aurez votre tour.
En 1960, le Parlement adopta la Déclaration canadienne des
droits. Lorsque le projet de loi fut déposé, notre bon ami à
tous, le très honorable John Diefenbaker déclara …
Une voix: Donnez-lui son nom.
Des voix: Bravo!
M. Chrétien: Voici ce qu’il déclara:
La mesure que je présente constitue le premier pas accompli par le Canada dans
la voie de l’acceptation de la déclaration internationale des droits de l’homme ou
des principes qui ont inspiré les auteurs de ce noble document.
Madame le Président, nous avons aujourd’hui l’occasion de
poursuivre l’oeuvre de M. Diefenbaker et de M. Douglas en
garantissant dans la constitution les libertés fondamentales des
Canadiens de sorte qu’aucun gouvernement ne pourra plus
jamais les leur enlever.
Des voix: Bravo!
M. Clark: Sauf par référendum.
M. Chrétien: Il est de notre devoir de continuer le travail
entrepris par deux grands Canadiens de l’Ouest, John Diefenbaker
et Tommy Douglas.
John Diefenbaker n’ignorait pas que l’Ouest canadien avait
été bâti par des immigrants de toutes les parties du monde qui
avaient fui l’oppression et étaient venus chercher la liberté et
une nouvelle chance au Canada.
Des voix: Bravo!
Mme le Président: A l’ordre. Je dois rappeler aux personnes
qui sont dans les tribunes qu’elles ne peuvent prendre aucune
part au débat, pas même par des applaudissements.
M. Chrétien: Madame le Président, je suis heureux de
constater que ceux qui occupent les tribunes sont d’accord avec
John Diefenbaker!
M. Nielsen: Ce n’est sûrement pas vous qu’ils applaudissaient.
M. Chrétien: Les groupes ethniques du Canada comprennent
mieux que quiconque l’importance d’inscrire dans la
constitution une charte des droits et des libertés.
Je prie instamment le chef de l’opposition, en tant que
Canadien de l’Ouest, de ne pas rejeter l’héritage de John
Diefenbaker. Je le prie de ne pas s’opposer à un projet qui
revêt une telle importance pour tous les Canadiens d’origines si
diverses. Comme Canadien de l’Ouest et chef d’un parti
politique qui a toujours fait passer les droits de l’individu avant
ceux de l’Etat, il ne devrait pas s’opposer à un projet qui
contient une charte des droits.
DEB3ATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
Certains prétendent que les assemblées législatives provinciales
sont mieux en mesure de protéger les droits et les
libertés des Canadiens que ne le sont les tribunaux. Si les
droits et les libertés étaient laissés à la merci des gouvernements
de chaque province, il n’existerait pas de libertés et de
droits communs à tous les Canadiens.
Je crois fermement que les Canadiens devraient jouir des
mêmes droits et des mêmes libertés quel que soit leur lieu de
résidence au Canada. C’est aussi l’opinion du comité spécial
mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui a
recommandé en 1972 et en 1978 d’enchâsser une charte des
droits dans la constitution. Et c’est ce qu’a proposé à nouveau
le gouvernement fédéral, en octobre 1979 à Halifax, lors d’une
réunion du Comité permanent des ministres sur la constitution.
Je rappelle à la Chambre que cette proposition a été faite alors
que le chef de l’opposition était premier ministre.
* (1610)
Le comité constitutionnel de l’Association du Barreau canadien
s’est exprimé avec éloquence en faveur d’une charte des
droits:
On ne peut presque pas exagérer la valeur éducative et symbolique d’une
proclamation attestant que les droits de l’individu ne sont pas à la merci d’une
majorité législative transitoire. Un énoncé clair dans la Constitution des valeurs
fondamentales communes à tous les Canadiens pourrait s’avérer, croyons-nous,
un important facteur d’unité. Il permettrait à tous les citoyens, jeunes et vieux,
de prendre conscience de l’importance des libertés civiles. Il leur fournirait aussi
un document faisant foi des droits et libertés que notre société considère
fondamentaux. Quant aux hommes politiques et aux fonctionnaires, ils auraient
là à leur disposition des critères reconnus pour examiner à fond non seulement
les lois, mais aussi les textes réglementaires.
En plus de son rôle éducatif et symbolique, une déclaration des droits peut
s’avérer un instrument efficace pour assurer le respect des droits, surtout
politiques et juridiques. Les tribunaux peuvent déclarer invalides les lois qui
enfreignent des droits constitutionnels. En l’absence de droits garantis, une
majorité transitoire du Parlement ou d’une assemblée législative peut causer un
tort incalculable à une minorité ou à un individu. Contrairement aux lois
actuelles protégeant les droits de la personne, lois qui peuvent toujours être
abrogées ou modifiées par voie législative, une déclaration des droits empêcherait
les assemblées législatives et les gouvernements de porter atteinte aux droits de
la personne. Cette protection est d’autant plus importante dans nos États
administratifs modernes où une si grande partie du pouvoir s’exerce par règlements
qui ne font pas l’objet du genre de questions caractéristiques des débats
parlementaires.
Il existe, il est vrai, une Déclaration fédérale des droits de même que des
chartes provinciales des droits de la personne, non intégrées dans la Constitution.
Mais il ne s’agit que de directives données par le législateur aux tribunaux sur la
façon d’interpréter les lois. En leur donnant une forme constitutionnelle, on
encouragerait les tribunaux à adopter une attitude plus ferme à l’égard de la
protection des droits fondamentaux.
La résolution déposée devant la Chambre prévoit l’inclusion
d’une charte canadienne des droits et libertés qui devra être
respectée par le Parlement, par toutes les assemblées législatives
et par tous les gouvernements. La charte comprend les
libertés et les droits suivants: liberté de conscience et de
religion, liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression,
y compris la liberté de la presse et des autres grands
moyens d’information; la liberté de réunion pacifique et d’association;
le droit de voter et de poser sa candidature; et le droit
à des élections au moins une fois tous les cinq ans.
[Français]
Les articles 7 à 14 de la Charte énoncent les garanties
juridiques des Canadiens. Certains de ces droits découlent de
la Déclaration canadienne des droits adoptés à la Chambre par
le très honorable M. Diefenbaker, et certains sont nouveaux.
Parmi ces derniers, certains proviennent du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Je pourrais rappeler à la
Chambre qu’avant d’adhérer au Pacte, le gouvernement fédéral
a reçu le consentement de toutes les provinces. Si les
gouvernements provinciaux ont accepté d’être liés par le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, ils ne
devraient pas refuser d’être liés par une Charte canadienne des
droits et libertés.
Les garanties juridiques comprennent le droit à la vie, à la
liberté et à la sécurité de la personne et le droit de n’en être
privé qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale;
le droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions
et les saisies dont les motifs ne sont pas fondés sur la loi et qui
ne sont pas effectuées dans les conditions que celle-ci prévoit.
On y trouve aussi le droit de ne pas être détenu ou emprisonné
arbitrairement, le droit d’être informé rapidement des
motifs de son arrestation ou de son emprisonnement, le droit
d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de faire
contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention.
L’article l1 prévoit certaines protections fondamentales
pour les personnes accusées d’une infraction.
Ces protections comprennent le droit d’une personne de
connaître rapidement les accusations qui pèsent contre elle;
d’être jugée dans un délai raisonnable; d’être présumée innocente
tant qu’elle n’est pas déclarée coupable à l’issue d’un
procès public et équitable, et d’être libérée sous cautionnement
conformément à la loi. Elles garantissent aussi qu’un individu
ne sera pas déclaré coupable d’une infraction qui, au moment
où elle a été commise, ne constituait pas une infraction, et qu’il
ne sera pas jugé deux fois pour la même infraction. De plus, si
la peine qui sanctionne une infraction est modifiée entre le
moment de l’infraction et la sentence, la peine la moins sévère
devra être imposée.
La Charte comprendra de plus le droit de ne pas être soumis
à des traitements cruels ou inusités, le droit d’un témoin à la
protection contre des déclarations qui l’incriminent, et le droit
à l’assistance d’un interprète devant les tribunaux.
Les droits à la non-discrimination comprennent le droit à
l’égalité devant la loi et à la même protection de la loi sans
discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, l’âge ou le sexe. Ces droits entreront
en vigueur dans les trois ans suivant le rapatriement de la
Constitution pour donner le temps au Parlement et aux assemblées
législatives provinciales de modifier les lois qui actuellement
contiennent des éléments discriminatoires.
Le gouvernement fédéral sait bien que les femmes ont
souffert longtemps de discrimination basée sur le sexe. Les
groupes minoritaires ont été victimes de discrimination à cause
de leur religion, de leur race, de leur couleur, de leur origine
ou de leur langue. Nous devons faire disparaître tous ces
genres de discrimination de notre pays.
En qualité de ministre de la Justice, je tiens à assurer à cette
Chambre que le gouvernement va agir immédiatement pour
que nos lois soient conformes aux dispositions relatives à la
non-discrimination contenues dans la Charte des droits. Pour
cela, il nous faudra la coopération de tous les députés de cette
Chambre. Le gouvernement, pour sa part, se considère, à
partir d’aujourd’hui, moralement lié par ces dispositions,
même s’il ne sera légalement que dans trois ans.
6 octobre 1980 DÉ13ATS DES COMMUNES 3285
DEBATS DES COMMUNES
La constitution
Libertés de circulation et droits linguistiques
J’aimerais maintenant me pencher sur deux parties très
importantes de la Charte canadienne des droits et des libertés.
Les libertés de circulation et les droits linguistiques. Je parlerai
tout d’abord de la liberté de circulation. Nous croyons que
certains droits sont fondamentaux à la notion de citoyenneté
canadienne; ces droits doivent être garantis par la Constitution
et respectés partout au Canada. J’ai déjà parlé des libertés
fondamentales, des droits démocratiques et des garanties
juridiques.
Notre conception du Canada en est une où les citoyens
auraient, comme droit absolu, la liberté de s’établir et de
chercher du travail partout au Canada sans discrimination
fondée sur leur province de résidence antérieure. Autrement
dit, l’on ne pourrait empêcher un citoyen de chercher un
emploi quelque part au Canada pour la simple raison qu’il
vient d’une autre province. Ce droit intrinsèque à la citoyenneté
canadienne sera inscrit dans la Charte et liera tous les
gouvernements.
Cela ne veut pas dire que les provinces ne peuvent pas
imposer leurs lois aux personnes qui viennent ou qui s’installent
sur leur territoire. Cela signifie seulement qu’elles ne
peuvent pas traiter plus sévèrement certains Canadiens pour la
simple raison qu’ils viennent d’autres régions du Canada.
Autrement dit, il y aura une seule citoyenneté canadienne et
non pas dix citoyennetés provinciales.
La Charte des droits et des libertés donnera aussi à tous les
Canadiens le droit de faire instruire leurs enfants dans leur
langue officielle là où le nombre le justifie. Les Canadiens de
langue anglaise qui s’installeront au Québec auront le droit de
taire instruire leurs enfants en anglais, et les Canadiens de
langue française auront enfin le droit de faire instruire leurs
enfants en français, quel que soit leur lieu de résidence au
Canada.
En garantissant le droit à l’instruction dans la langue de la
minorité, nous intégrons dans la Constitution ce sur quoi les
premiers ministres provinciaux sont tombés d’accord à St.
Andrews en 1977 et à Montréal en 1978, à savoir; et je cite:
«Chaque enfant de la minorité francophone ou anglophone a droit de recevoir
une éducation dans sa langue dans les écoles élémentaires et secondaires, dans
toutes les provinces où le nombre d’enfants le justifie.»
Certains ont dit que la Constitution ne devrait pas protéger
le droit des parents anglophones d’envoyer leurs enfants dans
une école anglaise au Québec, ni le droit des parents francophones
d’envoyer leurs enfants dans une école française à
l’extérieur du Québec. Certains nous ont dit d’oublier les
leçons de l’Histoire et de nous fier aux assemblées législatives
pour protéger les droits à l’instruction dans la langue de la
minorité.
L’opinion de ce gouvernement, monsieur le président, est à
l’effet que de tels droits doivent être protégés par la Constitution,
parce qu’ils sont essentiels à la nature même du Canada.
Si l’on enlève le droit à l’instruction dans la langue de la
minorité, l’on met sérieusement en danger le droit d’avoir un
emploi n’importe où au Canada. Les Canadiens de langue
anglaise qui viennent s’installer au Québec veulent avoir le
droit d’envoyer leurs enfants dans une école où la langue
d’instruction est l’anglais. D’ailleurs, M. Lévesque et les gens
du gouvernement du Québec se félicitent de le faire, alors je ne
vois pas pourquoi on ne pourrait pas l’inscrire et confirmer cela
dans la Constitution.
De même, les Canadiens de langue française ne veulent pas
s’installer dans d’autres régions du Canada à moins qu’ils ne
puissent envoyer leurs enfants dans une école où l’instruction
est offerte dans leur langue. La seule façon de remédier à cette
situation est de garantir ces droits dans la Constitution. D’ailleurs,
sans une garantie des droits à l’instruction dans la
langue de la minorité, il ne peut y avoir entière liberté de
circulation et d’établissement.
Les députés de tous les partis de cette Chambre, représentant
les Canadiens de tout le pays, ont promis aux Québécois
au cours de la campagne référendaire, qu’une nouvelle Constitution
garantirait les droits fondamentaux des Canadiens de
langue française à l’extérieur du Québec et ceux des Canadiens
de langue anglaise vivant au Québec. Cette garantie des
droits à l’instruction dans la langue de la minorité partout au
Canada est le moyen de remplir cette promesse. Elle montre
aussi notre maturité, car il ne faut pas oublier qu’on juge une
civilisation à la manière dont elle traite ses minorités.
Pour la première fois dans l’Histoire du Canada, les droits à
l’instruction dans la langue de la minorité seront garantis
partout au pays. Je fais tout particulièrement appel à la
Fédération des francophones hors Québec pour qu’elle exerce
des pressions auprès du premier ministre du Québec afin qu’il
ne s’oppose plus à une proposition qui n’a jamais si bien
protégé les droits des minorités francophones partout au
Canada.
C’est parce que le gouvernement du Québec s’est opposé à la
Charte de Victoria de 1971 que nous n’avons pas eu la chance
d’institutionnaliser le bilinguisme dans plusieurs provinces.
Aujourd’hui, j’encourage fortement les gens de ma province a
exercer de fortes pressions auprès du gouvernement provincial
pour qu’il ne s’oppose pas à cette chance unique de garantir
aux francophones de tout le Canada des droits à l’instruction
dans leur langue.
Quant à ceux qui s’opposent aux dispositions de la Loi 101
limitant les droits des Canadiens de langue anglaise qui s’installent
au Québec d’envoyer leurs enfants dans une école
anglaise, je les encourage fortement à donner aussi leur appui
à la Charte des droits.
La Constitution comprend maintenant d’autres droits linguistiques
relatifs à l’usage du français ou de l’anglais dans les
assemblées législatives, les tribunaux, les lois, les documents
parlementaires du Québec et du Manitoba. Ces droits continueront
d’être garantis par les dispositions constitutionnelles
actuelles.
La Constitution prévoit le droit d’utiliser le français ou
l’anglais au Parlement et devant les tribunaux fédéraux. Ces
droits seront précisés dans la Charte canadienne des droits et
libertés.
Elle prévoit aussi d’autres droits qui se trouvent actuellement
dans la Loi sur les langues officielles et qui seront
enchâssés dans la Constitution. Le français et l’anglais seront
inscrits dans la Constitution comme étant les langues officielles
du Canada. On y inscrira aussi le droit du public à
communiquer avec le siège social ou le bureau principal des
institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada, ou
d’en recevoir les services, en français ou en anglais; et, dans les
régions où le nombre le justifie, le public aura le même droit à
l’égard de tout autre bureau de ces institutions.
6 octobre 1980
DÉBATS DES COMMUNES
Ces droits feront désormais partie de la Charte et lieront le
gouvernement du Canada; ils ne pourront être changés que par
une modification à la constitution.
Je demande aux Québécois de faire pression auprès de leur
gouvernement provincial pour qu’il ne s’oppose pas à un projet
qui réalise les rêves et les aspirations de nombreuses générations
de Canadiens français qui, à partir de Laurier, Bourassa
et les autres, croyant que le Canada était leur pays, voulaient
voir ces droits inscrits dans la Constitution de notre pays.
0 (1620)
[Traduction]
Je voudrais maintenant aborder une autre partie de la
résolution et parler de la péréquation. La pratique qui consiste
à utiliser les revenus du gouvernement fédéral pour redistribuer
aux provinces les moins favorisées une partie de la
richesse des autres provinces est une pratique bien établie.
Depuis 1957, le gouvernement fédéral a effectué des transferts
de fonds inconditionnels, connus sous le nom de paiements de
péréquation, pour permettre à toutes les provinces d’assurer
des services publics à un niveau raisonnable, sans avoir à lever
des impôts trop lourds pour leur population. Cette pratique est
maintenant si bien établie qu’elle est devenue un des principes
de base du fédéralisme canadien.
Le partage des richesses est devenu un droit fondamental
des Canadiens et c’est pourquoi la résolution enchâssera le
principe de la péréquation et les deux ordres de gouvernement
seront tenus de promouvoir l’égalité des chances de tous les
Canadiens dans la recherche de leur bien-être; de favoriser le
développement économique pour réduire l’inégalité des chances
et, particulièrement, de fournir à tous les Canadiens des
services publics essentiels, à un niveau de qualité acceptable.
En inscrivant ce principe dans la constitution, nous enchâssons
l’obligation de partager qui s’est avérée fondamentale
dans l’évolution du Canada.
Avant de conclure, je voudrais parler d’une critique qui a été
faite au cours des derniers jours à l’extérieur de la Chambre.
Quelques personnes ont laissé entendre que le gouvernement
n’avait pas le droit de présenter une résolution demandant au
Parlement de la Grande-Bretagne de modifier et de rapatrier
la constitution canadienne, sans obtenir le consentement des
provinces.
je serai disposé à discuter assez longuement de cette question
en comité. Cependant, je tiens à déclarer ici, en qualité de
ministre de la Justice, qu’il n’y a aucun empêchement légal à
ce que le Parlement du Canada demande au Parlement de la
Grande-Bretagne de modifier l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique.
Dans le passé, c’est la Grande-Bretagne qui a effectué les
amendements à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, à
la suite d’une résolution conjointe du Sénat et de la Chambre
des communes du Canada. Dans onze cas, des résolutions ont
été adoptées sans qu’on ait consulté les provinces ou sans avoir
leur consentement; dans seulement six cas, des résolutions ont
été adoptées après avoir consulté les provinces et avec le
consentement de certaines provinces ou de toutes.
L’expérience nous enseigne qu’il n’existe pas de règle sacrée,
précisant si le gouvernement fédéral doit consulter les provinces
et obtenir leur consentement, ni comment il doit le faire,
avant de présenter une résolution visant à modifier l’Acte de
l’Amérique du Nord britannique. Théoriquement, la souverai-
La constitution
neté du Parlement du Royaume-Uni est telle qu’il peut modifier
l’Acte de l’Amérique du Nord britannique avec ou sans le
consentement du Canada. Mais l’histoire nous indique que le
Parlement du Royaume-Uni ne modifiera l’Acte de l’Amérique
du Nord britannique qu’à la demande du Parlement du
Canada, et qu’il le fera en dépit des objections soulevées par
une ou plusieurs provinces.
En ce qui concerne les sujets contenus dans cette résolution,
le gouvernement du Canada a consulté les provinces depuis des
années. Nous n’avons toujours pas réussi à nous entendre, et
par conséquent, le gouvernement a décidé d’agir de lui-même
pour répondre aux intentions de la résolution adoptée à l’unanimité
par cette Chambre, le 9 mai dernier. Quels que soient
les avantages d’un accord unanime pour procéder à des changements,
on ne peut accepter de demeurer à jamais dans
l’impasse constitutionnelle où nous nous trouvons depuis 53
ans. Cependant, la formule d’amendement que nous proposons
fera en sorte qu’à l’avenir il sera impossible au gouvernement
fédéral d’agir unilatéralement. Autrement dit, les changements
que nous proposons vont effectivement réduire les pouvoirs
qu’a le Parlement de modifier la constitution.
En conclusion, je veux exprimer l’espoir et le désir de voir le
Parlement étudier à fond et pourtant rapidement cette mesure
historique. J’espère que ce débat saura s’élever au-dessus des
querelles partisanes. J’espère que tous les députés tiendront
compte des paroles du premier ministre Davis qui nous a priés
vendredi de distinguer ce qui valait le mieux pour le pays, et je
cite:
Les différences partisanes et personnelles ne permettront pas de bâtir cette
nation, et nous ne pourrons pas résoudre les difficultés qui nous attendent si un
esprit étroit de la partisancrie devait déterminer la position de chacun d’entre
nous sur les grandes questions fondamentales qui touchent à la réalité et à la
structure même du Canada.
e (1630)
Le Canada est un pays comprenant des minorités; il est
composé d’individus d’origines diverses qui sont venus chercher
ici la liberté et de nouvelles chances. Les changements proposés
à la constitution garantiront à tous les individus la protection
de leurs libertés et permettront de protéger les droits des
minorités. Le Canada est un pays souverain et dynamique. Il
doit pouvoir renouveler sa propre constitution, de lui-même,
sans avoir recours au partement d’un autre État souverain. Les
procédures de modification que nous proposons vont lui en
donner les moyens.
Je pense que nous sommes à un tournant de notre histoire.
Certains mettent en doute notre droit d’agir à cet égard et
veulent savoir ce qui nous pousse dans cette voie. J’ai consacré
une bonne partie de l’année écoulée à discuter de la question.
J’ai prononcé beaucoup de discours au Québec et dans bien
d’autres coins du pays. Le chef de l’opposition (M. Clark) a
assisté à un de ces discours que j’ai prononcé au Québec et qui
a été enregistré. J’y signalais entre autres choses que j’avais
reçu de mon caucus et du cabinet le mandat de déclarer que
nous allions transformer le Canada, que le pays allait devenir
maître de son économie.
Des voix: Oh, oh!
M. Chrétien: Nous allons avoir une constitution canadienne.
J’ai dit aux Québécois que nous allions avoir notre propre
constitution.
6 octobre 1980
3288 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
Une voix: C’est le meilleur ami de René Lévesque.
Des voix: Oh, oh!
[Français]
M. Chrétien: Nous aurons, disais-je, une Constitution canadienne
dans laquelle les deux langues officielles seront protégées.
Je disais aussi que les droits fondamentaux des Canadiens
seront protégés dans la Constitution canadienne ainsi que
le droit pour les francophones hors Québec, de recevoir enfin
leur éducation en langue française, chose qu’ils n’ont pas pu
obtenir dans l’histoire du passé. Je disais aussi que nous
donnerions en même temps la même chose aux anglophones du
Québec, et avec la notion inscrite dans la Constitution canadienne,
ce qui a fait la base et la force de notre pays, la notion
de partage, d’opportunité pour tous les Canadiens.
Voilà donc la démarche que nous avons suivie. Ce n’est pas
un arrêt, c’est un début. Depuis 53 ans, madame le Président,
on essaie de «barguiner» le rapatriement de la Constitution
contre quelque chose, et cela n’a jamais marché. Depuis 1921,
il y a eu de nombreuses conférences constitutionnelles. A partir
d’aujourd’hui le changement sera possible. J’ai passé trois mois
avec les ministres des divers gouvernements, et je puis affirmer
aujourd’hui que si la Constitution actuelle, à ce moment-là,
durant l’été, avait permis des changements à la Constitution,
nous aurions obtenu quatre ou cinq accords facilement.
Mais comme toujours, quand est arrivée la dernière minute,
on a voulu «barguiner» pour obtenir encore plus, comme à
Victoria, comme en 1939 ou à d’autres occasions. En ayant un
mécanisme au Canada qui nous permettra de faire des changements
lorsque ces derniers seront nécessaires, à ce moment-là,
comme je l’ai dit dans mon discours, comme le très honorable
premier ministre (M. Trudeau) l’a promis lorsqu’il a fait sa
déclaration à la nation jeudi dernier, nous nous engagerons à
continuer le renouvellement de notre Constitution, à examiner
le partage des pouvoirs, à changer les institutions au Canada.
Mais il est temps qu’on commence, et la seule méthode de
réussir, c’est en rapatriant la Constitution immédiatement, en
pouvant amender la Constitution au Canada et, madame le
Président, c’est exactement ce que nous faisons aujourd’hui
pour le bénéfice de tous les Canadiens.
Des voix: Bravo!
[ Traduction]
M. Clark: Je ne pense pas que vous, madame le Président,
ayez pu m’entendre, mais les députés d’en face m’ont entendu
et ils savaient que j’invoquais le Règlement. Je le fais simplement
parce que je ne voudrais pas que le ministre de la Justice
laisse au compte-rendu de la Chambre une déclaration qui,
j’en suis sûr, était involontairement fallacieuse.
[Français]
Il a parlé des droits linguistiques des francophones hors
Québec. Il a dit que les francophones auront le droit de parler
français n’importe où au Canada. Mais oui, c’est cela qu’il a
dit, mais il n’a jamais qualifié ce droit, alors qu’il est bien
qualifié ici dans la résolution. Je voudrais donner au ministre
de la Justice (M. Chrétien), par le biais d’un rappel au
Règlement, la possibilité de corriger le compte rendu pour lui
éviter d’en venir à manipuler l’opinion publique ou à dire
quelque chose qui n’est pas dans la loi.
M. Chrétien: Madame le Président, si le très honorable chef
de l’opposition (M. Clark) croit que je ne vais pas assez loin
dans les propositions, s’il veut que nous donnions tous ces
droits-là et les inscrivions dans la Constitution sans aucune
restriction, nous accepterons avec plaisir un amendement
venant de l’opposition à ce sujet.
LA MOTION D’AJOURNEMENT
[Français]
QUESTIONS A DEBATTRE
Mme le Président: A l’ordre! En conformité des dispositions
de l’article 40 du Règlement, je dois faire connaître à la
Chambre les questions qu’elle abordera à l’heure de l’ajournement
ce soir: l’honorable député de Saint-Jean-Ouest (M.
Crosbie)-Le logement-L’aide aux propriétaires victimes de
la hausse des taux d’intérêt hypothécaire; l’honorable député
de The Battlefords-Meadow Lake (M. Anguish)-La fonction
publique-Les offres salariales inférieures aux taux d’inflation;
l’honorable député d’Athabasca (M. Shields)- -L’énergie–
La mise en valeur des sables bitumineux et des gisements
d’huile lourde.
ORDRES INSCRITS AU NOM DU
GOUVERNEMENT
[ Traduction]
LA CONSTITUTION
L’INSTITUTION D’UN COMITÉ SPÉCIAL MIXTE DU SÉNAT ET DE
LA CHAMBRE DES COMMUNES
La Chambre reprend l’étude de la motion de M. Chrétien:
Qu’un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes soit
institué pour examiner le document intitulé «Projet de résolution portant adresse
commune à Sa Majesté la Reine concernant la Constitution du Canada», publié
par le gouvernement le 2 octobre 1980, faire rapport sur la question, et faire des
recommandations dans son rapport quant à l’opportunité, pour les deux Chantbres
du Parlement, de présenter à Sa Majesté cette adresse, modifiée, le cas
échéant, par le comité;
Que la Chambre des communes désigne, dans les trois jours de séance qui
suivent l’adoption de cette motion, quinze députés pour la représenter au sein du
Comité spécial mixte:
Que le comité soit autorisé à choisir parmi ses membres ceux qui feront partie
des sous-comités qu’il peut estimer opportuns ou nécessaires et à déléguer à ces
sous-conités tout ou partie de ses pouvoirs sauf celui de faire rapport directement
à la Chambre:
Que le comité ait le pouvoir de siéger pendant les séances et les ajournements
de la Chambre des communes.
3288 DÉ13ATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à exiger la production
de documents et pièces, à interroger des témoins et à faire imprimer au jour le
jour les documents et témoignages qu’il juge à propos:
Que le comité fasse rapport au plus tard le 9 décembre 1980;
Que le quorum du comité soit fixé à douze membres, à condition que les deux
Chambres soient représentées pour les votes, résolutions ou autres décisions, et
que les coprésidents soient autorisés à tenir des réunions, recevoir des témoignages
et en autoriser l’impression lorsqu’au moins six membres sont présents, à
condition que les deux Chambres soient représentées; et
Qu’un message soit envoyé au Sénat l’invitant à se joindre à la Chambre aux
fins énumérées ci-dessus, et à désigner, si la chose lui paraît souhaitable, certains
de ses membres pour faire partie de ce comité spécial mixte.
Le très hon. Joe Clark (chef de l’opposition): Madame le
Président, je tiens tout d’abord à répondre à la dernière
remarque du ministre de la Justice. Je voudrais que le ministre
soit franc au sujet du projet de loi qu’il vient de présenter.
Tout ce que j’ai voulu dire poliment, c’est que trois ou quatre
fois, lorsque le ministre a parlé du droit des francophones à
s’exprimer en français hors du Québec, il a omis de préciser les
conditions stipulées dans la résolution qui nous est présentée.
Je ne tiens pas à ce qu’il donne aux Québécois qui nous
écoutent peut-être en ce moment, ni d’ailleurs à tous ceux qui
défendent le droit des francophones à parler le français hors de
la province du Québec, une fausse idée de la position du
gouvernement. Si j’ai soulevé ce point, c’est uniquement parce
que je suis certain qu’il s’agit d’un simple oubli de la part du
ministre. Je suis désolé qu’il ait mal interprété ma motion
d’ordre.
En ce qui concerne le débat sur la résolution proprement
dite, j’aimerais tout d’abord aborder un ou deux points de
procédure. Je regrette l’absence du leader du gouvernement à
la Chambre, sans m’étonner par ailleurs du départ du ministre
des Transports (M. Pepin), dont le motif est bien connu des
membres de l’opposition. Le ministre chargé de la publicité
gouvernementale, en d’autres termes, de la propagande, a
déclaré que M. Pepin ne désirait pas m’écouter. C’est justement
l’un des défauts du gouvernement actuel: il refuse d’écouter
les députés de l’opposition. Je crois pourtant qu’il aurait
beaucoup à en apprendre.
Des voix: Oh, oh!
M. Clark: Ce que je veux dire, c’est que sur une question
aussi importante, le gouvernement n’a pratiquement pas consulté
les députés, ni d’ailleurs les membres des parlements, des
assemblées législatives ou des gouvernements des provinces.
J’ai appris que les premiers ministres provinciaux avaient reçu
copie de la résolution bien après que le premier ministre (M.
Trudeau) ait commencé à en parler publiquement. Nous nous
sommes rendu compte aujourd’hui, que le gouvernement, dont
c’est à mon avis la responsabilité, n’a pas pris les mesures
nécessaires pour que tous les membres de la Chambre des
communes reçoivent un exemplaire de la résolution qui fait
l’objet du présent débat. On a prétendu que le leader de
l’opposition à la Chambre avait reçu un grand nombre de
copies. Est-ce vrai?
M. Baker (Nepean-Carleton): C’est faux.
M. Clark: M. Baker dit que c’est faux. Il est clair que si le
gouvernement du Canada attache une telle importance à ce
bill, il lui appartient de s’assurer que l’on en remette un
exemplaire aux membres de la Chambre des communes pour
qu’ils puissent en prendre connaissance avant le début du
débat.
0 (1640)
Des voix: Bravo, bravo!
M. Clark: Il est important, à mon avis, que la Chambre et
notre pays comprennent bien certaines des répercussions de la
motion qu’a présentée le ministre de la Justice (M. Chrétien)
ainsi que les répercussions de la résolution qui a été proposée.
A s’en tenir uniquement aux déclarations de la presse, on
pourrait penser que les choses se dérouleront comme lors de
l’adoption d’un bill. D’après les journaux en effet, on va
assister à un débat à la Chambre qui sera suivi par une étude
au comité; après modification, le texte recevra l’approbation
définitive de la Chambre. Mais ce n’est pas ce que prévoit en
fait la mesure qu’on nous présente. Le gouvernement a choisi
une autre voie ou une autre méthode pour faire étudier cette
question par la Chambre. Ce n’est pas à une résolution que
nous avons affaire, mais à une motion visant à renvoyer l’objet
de la résolution proposée à un comité mixte spécial composé de
députés et de sénateurs.
Dans le cadre du débat sur cette motion de renvoi-et je
veux que cela soit bien clair parce que c’est très important
pour les gens qui veulent que le Parlement débatte en profondeur
les questions constitutionnelles-nous n’avons pas le
loisir, en vertu du Règlement, de proposer d’amendements au
projet de résolution lui-même. Nous pouvons uniquement présenter
des amendements de forme à la motion de renvoi.
J’avise le gouvernement qu’il se pourrait fort bien que nous en
présentions parce que certains aspects de l’avis de motion qu’a
présenté aujourd’hui le ministre de la Justice nous inquiètent
sérieusement. L’un d’eux, bien entendu, est la limite de temps
imposée à la Chambre des communes pour l’étude en comité
ainsi qu’au comité mixte pour l’étude du projet de résolution.
Pour une raison ou pour une autre, cette étude est limitée à
deux mois, une contrainte de plus que le gouvernement actuel
a imposée à la réforme constitutionnelle.
Le fait que, selon les renseignements qui nous ont été
communiqués aux séances d’information de l’autre soir, le
gouvernement n’a pas l’intention de permettre au comité de
voyager constitue pour nous une autre source d’inquiétude très
réelle. Autrement dit, c’est isolés à Ottawa que nous devrons
formuler une constitution pour l’ensemble du pays. Le Parlement
devra débattre et mettre au point en l’espace de deux
mois une constitution qui devra servir pour les siècles à venir.
Ce sont là, croyons-nous, de graves lacunes de l’avis de
motion gouvernemental. Elles soulèvent de graves doutes quant
à la sincérité du gouvernement et à son désir de tenir un débat
vraiment approfondi et de permettre vraiment au Parlement
d’étudier cette question.
Il y a ensuite la question du quorum. D’autres députés
mieux au fait de la procédure parlementaire pourront me
reprendre là-dessus. Je ne doute pas que le député de Winnipeg-
Nord-Centre (M. Knowles) puisse trouver dans son expérience
un exemple quelconque d’un précédent de ce genre. Il a
toujours réussi jusqu’à maintenant.
6 octobre 1980 DEB3ATS DES COMMUNES 3289
DEBATS DES COMMUNES
La consiiiion
M. Broadbent: Même lorsqu’il l’a inventé.
M. Clark: «Même lorsqu’il l’a inventé» me dit l’un de ses
collègues.
Nous avons donc un comité de 25 membres. Il comprendra
sans aucun doute 13 ou 14 Libéraux, en tout cas la majorité.
L’avis de motion donne à entendre que le quorum sera de 12
membres quels qu’ils soient. En général, on protège les partis
d’opposition en stipulant que, pour qu’il y ait quorum, outre un
nombre minimum de personnes, il faut que plus d’un parti soit
représenté. Ce que ne prévoit pas la présente modification.
Il y est en fait proposé que le Parlement du Canada, la
Chambre des communes et le Sénat, dont les membres doivent
siéger à Ottawa avec l’interdiction expresse de s’absenter et
faire leur travail en deux mois seulement, exécutent leur
travail dans une période et selon un quorum qui peuvent être
arrêtés par les membres d’un seul parti. Le quorum peut être
établi par les seuls libéraux. Les membres de mon parti
peuvent être écartés de cette décision, de même que les membres
du Nouveau parti démocratique. C’est-à-dire qu’une réunion
pourrait être convoquée et une décision prise par un
quorum composé uniquement de membres du parti au pouvoir.
Il se peut que ce soit là un oubli que des représentants du
gouvernement s’empresseront de corriger, comme nous l’espérons.
Sinon, nous aurons probablement des modifications à
proposer à cet égard et à d’autres d’ailleurs relativement à la
présente résolution et à l’avis de motion.
J’ai d’autres points à soulever. Lorsque le comité étudie la
résolution proposée, il ne peut pas l’amender. Il ne peut que
rédiger un rapport décrivant les amendements recommandés.
C’est ce qui nous intéresse ici. S’il y a débat sur une motion
d’adhésion dans ce rapport, nous de la Chambre des communes
ne pouvons toujours pas proposer d’amendements à la
résolution proposée. Pas plus que nous ne pouvons proposer de
modifications au rapport du comité. Nous pouvons seulement
voter des amendements à la motion d’adhésion et qu’en résulterait-
il? Tout ce que le Parlement pourrait faire serait de
faire examiner à nouveau la question par un autre comité. Le
gouvernement a présenté cette question, probablement de
propos délibéré, de manière qu’il soit impossible au Parlement
d’en amender la substance en quoi que ce soit. Peut-être
s’agit-il encore d’une erreur. Dans ce cas, nous voulons qu’elle
soit corrigée. Par contre, si c’est intentionnel, nous croyons que
c’est une bien mauvaise façon d’entamer une discussion du
processus constitutionnel.
Des voix: Bravo!
M. Clark: Là encore, l’adoption par la Chambre du rapport
du comité ne constituerait pas en soi l’adoption par celle-ci du
texte de la résolution portant adresse. Cela reviendra seulement
à dire que nous aurons accepté que soit présenté une
résolution, peut-être sous réserve de certaines modifications
Le débat important n’aura lieu que lorsque le texte même de
cette résolution sera présenté directement à la Chambre, une
lois que le comité aura déposé son rapport. Ce n’est que
lorsque cette résolution aura été présentée que nous saurons si
le gouvernement a tenu compte ou non des opinions exprimées
par les députés lors des réunions du comité que le ministre de
la Justice nous demande d’instituer. Ce n’est qu’au cours du
débat sur cette seconde résolution que nous aurons l’occasion
de proposer des amendements, au lieu de procéder par le biais
d’une motion de renvoi indirecte. Ce n’est que lorsque cette
résolution aura été agréée que la Chambre des communes aura
adopté une résolution destinée à être présentée à Sa Majesté.
En attendant, nous ignorons s’il y aura un débat d’adoption
après que le comité aura présenté son rapport. On n’en a rien
dit. On ne nous a pas dit non plus quand sera présentée à la
Chambre la résolution qui compte, car celle-ci ne constitue pas
une adresse à Westminster.
Nous ignorons quelle échéance le gouvernement s’est fixée
pour l’adoption de la motion qui compte. Tout ce que nous
savons, c’est qu’il s’agit ici d’une première ronde et nous
ignorons où elle mène. Si le premier ministre (M. Trudeau) et
ses collègues veulent vraiment que le Parlement participe au
débat, alors qu’ils lui disent, comme au public, à quoi s’attendre,
quelle sera la prochaine étape, comment le processus se
déroulera. S’ils veulent que la Chambre et le public participent
à un débat ordonné, alors qu’ils nous en disent plus long sur le
processus que nous entreprenons, qu’ils dissipent l’impression
actuelle que la question secondaire actuellement à l’étude est
en fait la question principale.
Le ministre de la Justice a parlé d’un moment historique.
Nous aimons tous, je suppose, parler de moments historiques
et prétendre que le monde va se transformer soudainement.
Mais en fait, l’histoire se fait beaucoup plus lentement, façonnée
d’habitude par une foule d’actes, de décisions et d’événements.
Certains actes et événements peuvent créer un climat
soit propice, soit néfaste, selon le cas, influant ainsi sur ce que
le pays ou le Parlement feront pour des années à venir. Citons
deux exemples, d’ailleurs controversés, du passé de son propre
gouvernement: a mon avis, l’adoption de la loi sur les langues
officielles a créé un climat positif, qui a permis aux francophones
de se sentir un peu plus chez eux partout au Canada.
Par contre, en invoquant la loi sur les mesures de guerre, le
premier ministre actuel a créé un climat de crainte et d’appréhension
qui laissera sa marque dans l’histoire.
Une voix: Etiez-vous pour ou contre lors du vote, Joc?
M. Clark: Dans les deux cas, la prise de décision le geste
qui la consacrait -était plus importante que ses détails. I important,
c’était le motif qui l’inspirait: dans un cas, on reconnaissait
des droits, dans l’autre, on les foulait aux pieds.
* (1650)
Nous discutons aujourd’hui d’une autre décision qui, si elle
est prise, symbolisera à tout jamais dans l’histoire du Canada
l’idée que la législature actuelle se fait d’une certaine question
fondamentale. C’est donc plus qu’une loi et plus même qu’une
constitution qui est en jeu. La résolution à l’étude recèle un
pouvoir qui pourrait détruire le régime fédéral au Canada.
3290 6 octobre 1980
La constitution
Une voix: C’est ridicule.
Des voix: Bravo!
M. Clark: En détruisant le régime fédéral au Canada, il
pourrait détruire notre pays. Je trouve malheureux que cela
fasse sourire le premier ministre (M. Trudeau).
Une voix: J’ai souri moi aussi.
M. Clark: J’aimerais que le solliciteur général (M.
Kaplan)-c’est un des membres du cabinet qui devrait savoir
comment interpréter la loi-examine l’article 42 parce que cet
article nie l’essence du fédéralisme au Canada et, par conséquent,
l’essence du Canada.
Des voix: Bravo!
M. Clark: A l’origine, notre pays est issu d’une association
de gouvernements et de Parlements. La constitution définit les
rapports entre les divers échelons gouvernementaux et nous
avons toujours jusqu’ici veillé à garantir que les modifications
qui touchent les deux échelons du gouvernement soient
approuvés par ces deux échelons. L’article 42 de la résolution
ne suit plus cet usage, donc détruit cette association.
[Français]
L’objet de la résolution consiste à démolir l’équilibre fondamental
qui a été au coeur même de notre régime fédéral depuis
la création de la nation canadienne. Le Canada est une
fédération parce que les deux paliers de gouvernement détiennent
des pouvoirs qu’ils peuvent exercer de façon exclusive.
L’étendue de ces pouvoirs a changé au cours des années et il
y aura toujours des débats sur ce que devrait être l’équilibre
approprié entre les deux niveaux de gouvernement. Mais l’existence
de cet équilibre, la nature fédérative du Canada, a
toujours été respectée, du moins jusqu’à la présentation de
cette résolution aujourd’hui.
Le gouvernement central aurait, grâce à cette résolution,
l’autorité de retirer unilatéralement aux provinces des pouvoirs
qu’elles possèdent. Et comme cette autorité n’est pas restreinte,
il pourrait même, s’il le voulait, retirer aux provinces
tous leurs pouvoirs et ce pour toujours.
En vertu de cette résolution, le gouvernement central aura le
pouvoir d’enlever au Canada ce qui en fait une fédération. Et
ce faisant il sonnera, à mon avis, le glas du Canada en tant que
pays. En effet, le simple fait d’envisager la création de ce
pouvoir, comme l’indique la publication d’une résolution en ce
sens, nous amène à nous inquiéter sérieusement de la capacité
de ce gouvernement à comprendre, à promouvoir ou à cimenter
la diversité inhérente à la nature fédérative du Canada.
[Traduction]
La résolution porte sur plusieurs points précis. Bien entendu,
certains d’entre eux méritent d’être approuvés, notamment le
rapatriement de la constitution ou encore la décision de proclamer
enfin le principe de la péréquation dans la constitution du
Canada. D’autres propositions méritent d’être rejetées et d’autres
méritent d’être débattues de façon plus approfondie. Il
faudrait notamment discuter franchement de la meilleure
façon de garantir certains droits. A mon avis, les droits
fondamentaux doivent l’emporter sur les lois ordinaires, mais
je me suis rendu compte des problèmes qui peuvent se poser
dans la pratique si l’on compte exclusivement sur la loi comme
instrument de progrès social. A cause de cela, je suis convaincu
que le Canada pourrait devenir plus bilingue plus rapidement
si les dispositions concernant les droits linguistiques étaient
facultatives. Je signale en passant, et je suis certain que le
premier ministre le sait, que cela permettrait aussi aux provinces
qui le désirent de prévoir des droits linguistiques qui vont
plus loin que le système scolaire et qui touchent aussi les
tribunaux, les Assemblées législatives et autres institutions.
M. Trudeau: Il y a le bill C-60.
M. Clark: Le premier ministre a mentionné le bill C-60. Je
reviendrai là-dessus dans un instant et je lui rappellerai ce
qu’en ont dit les tribunaux.
Il ne faudrait pas que le débat prenne un tour personnel,
mais je me préoccupe de ce que le ministre de la Justice a dit à
mon sujet, en particulier au sujet de mon attitude vis-à-vis des
droits des francophones. J’évite d’y faire allusion trop souvent,
mais je pense que le ministre de la Justice aura du mal à
trouver quelqu’un dans cette Chambre qui a fait autant d’efforts
que moi et risqué aussi gros pour promouvoir les droits de
la langue française au Canada.
Des voix: Bravo!
M. Chrétien: Madame le Président, permettez que j’invoque
le Règlement. Je n’ai jamais fait allusion à l’attitude du
député. Je l’ai toujours félicité pour son attitude à l’égard de la
réalité française au Canada et il le sait bien. Je n’ai pas fait
allusion à cela au cours de mon discours à la Chambre et je me
demande bien ce qui a inspiré la remarque du député. Je tiens
à mettre les choses au clair tout de suite car j’ai déjà dit en
privé et en public au député, dans ma circonscription, notamment
durant la campagne référendaire, combien son attitude
m’avait inspiré de la fierté.
Des voix: Bravo!
M. Clark: Je veux bien croire le ministre de la Justice.
Cependant, je lirai plus tard les propos qu’il a tenus à la
Chambre. Je ne doute pas de sa sincérité et comme je l’ai déjà
entendu déclarer ce qu’il vient de dire, je sais combien il serait
étonnant qu’il ait affirmé ce que j’ai cru l’entendre dire. Mais,
pour l’instant, je ne mets pas en doute sa parole et je suis prêt
à reconnaître que s’il a dit cela, il ne le pensait pas.
Je voudrais maintenant commenter le projet de Déclaration
des droits de feu le très honorable John Diefenbaker. Je pense
que cela l’aurait bien amusé de s’entendre couvrir de louanges
par des personnes qui le condamnaient au moment où il était à
la Chambre des communes. Durant le discours du ministre de
la Justice, l’un de mes collègues derrière moi a prétendu que la
terre tremblait dans la région de Saskatoon, aux alentours du
Centre Diefenbaker.
6 octobre 1980 DEBATS DES COMMUNES
La constitution
Des voix: Oh, oh!
M. Clark: A propos des droits, j’ai trouvé intéressant que le
ministre de la Justice estime qu’il ne faut pas compter sur les
tribunaux pour les protéger. J’ai l’impression qu’il est revenu
sur les propos qu’on lui attribue, à savoir qu’on ne peut faire
confiance à la Cour suprême. Ce que je veux dire, c’est
qu’après avoir déclaré qu’il ne peut pas faire confiance aux
tribunaux, après avoir dit qu’il ne veut pas que les droits
soient …
M. Trudeau: Ne lui faites pas dire n’importe quoi.
M. Clark: Nous verrons bien. Ce que je veux dire, c’est que
la plus grande menace vient de ce que l’article 42 de cette
disposition prévoit la suppression des droits par voie de référendum,
et le jour où il y aura dans le pays une crise mettant
en cause un certain groupe de personnes ou un certain groupe
de droits, le gouvernement, en vertu des pouvoirs qu’il
demande dans l’article 42, pourrait demander la tenue d’un
référendum national, ce qui entraînerait la suppression de ces
droits. Les droits écrits dans la constitution par voie de référendum
peuvent en être supprimés de la même façon.
Des voix: Bravo!
Des voix: Bien dit!
M. Clark: C’est une réalité à laquelle le gouvernement devra
faire face.
La résolution à l’étude est quelque peu différente des mesures
que présente ordinairement le gouvernement. En temps
normal, il présente des mesures qui ont l’air beaucoup plus
complexes qu’elles ne le sont en réalité. Celle-ci a l’air beaucoup
plus simple qu’elle ne l’est. Le gouvernement et, tout
dernièrement, le ministre de la Justice, ont essayé de faire
passer cette initiative en brandissant la bannière du patriotisme.
Ce que dissimule cette bannière du patriotisme et ce qui
se trouve dans ce projet de loi, c’est en fait un cheval de Troie,
un cheval de Troie que l’on mène sous prétexte de rapatrier
notre constitution, de consacrer la péréquation, de garantir les
droits et de faire toutes sortes de bonnes choses que nous
aimerions voir accomplir. Mais, à l’intérieur, dissimulées entre
les lignes de cette mesure législative, on a caché une kyrielle
d’autres modifications, une série d’autres propositions qui ne
pourront pas modifier fondamentalement la nature de notre
pays, mais qui pourront, comme j’ai l’intention de le prouver
au cours du présent débat, démolir notre pays, le Canada.
Des voix: Bravo!
M. Clark: L’une des propositions à l’étude-le premier
ministre a parlé il y a quelques instants du bill C-60-
ressemble en tous points à une mesure que la Cour suprême du
Canada a déclaré illégale il y a dix mois.
e (1700)
Sans trop retarder la Chambre des communes à ce stade-ci,
je pense qu’il vaut la peine de signaler certains des autres
changements qu’on a insérés dans cette résolution. L’article 44
modifierait de façon unilatérale l’institution centrale canadienne
du Parlement. Cet article réduit dramatiquement le
pouvoir du Sénat sur les questions constitutionnelles. Je ferais
remarquer que le Sénat a été établi pour protéger les intérêts
régionaux et provinciaux, mais l’article 44 qu’on propose limite
et modifie dramatiquement ses pouvoirs. M-, le Président se
souviendra, à l’instar de la Chambre, que le gouvernement
actuel avait essayé de modifier unilatéralement le Sénat dans
le vieux bill C-60. La Cour suprême du Canada a déclaré cette
tentative inconstitutionnelle pas plus tard qu’il y a dix mois, en
décembre 1979.
L’article 51 propose un autre changement fondamental. Il
supprime le paragraphe 91.1 de l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique. Le paragraphe 91.1 a été adopté en 1949. Il visait
à donner au Parlement le pouvoir de modifier sa constitution
dite interne. Mais, en ce faisant, le gouvernement de l’époque
avait bien pris soin de protéger les droits des provinces,
c’est-à-dire de protéger le partage des pouvoirs à l’intérieur de
la fédération, un partage auquel ce bill ne touche pas au dire
du ministre de la Justice. En supprimant la protection des
droits des provinces, c’est-à-dire la protection des compétences
provinciales, l’article 51 se trouve en fait à apporter un changement
de fond à la constitution du Canada. J’estime que cela
compromet la protection de ces volets de compétence qui ont
été du ressort exclusif des provinces.
Encore une fois, cette résolution établit une double norme
d’amendement. Elle renferme cette liste limitée de modifications
que désire le premier ministre, ceux de son choix personnel.
Même si certains de ces changements touchent un
domaine provincial, il veut les faire adopter sans tenir compte
de l’opinion des provinces. Pourtant, la résolution prévoit
également que tous les autres changements que tout autre
premier ministre ou gouvernement provincial pourrait vouloir
faire apporter devront être approuvés ou par des provinces ou
par voie de référendums. Si le premier ministre croit si fermement
en sa méthode d’amendement et dans la méthode
d’amendement qu’il propose, pourquoi ne l’applique-t-il pas à
ses choix personnels? Pourquoi devrait-il y avoir une norme
pour les amendements qu’il désire et une norme différente
pour tout autre amendement que désirerait tout autre
Canadien?
Des voix: Bravo!
M. Clark: Ironiquement, le premier ministre se croit autorisé
à prévoir des conditions moins rigoureuses pour les changements
qu’il propose que pour ceux qui seront apportés
ultérieurement précisément parce qu’il compte bien que la
Grande-Bretagne se pliera à sa volonté plus facilement que le
Canada.
Une voix: C’est du colonialisme.
M. Clark: Le document qu’il propose de modifier est l’Acte
de l’Amérique du Nord britannique, une loi britannique. Le
document qui serait modifié ultérieurement serait une loi
canadienne. Il défend la démarche présentée aujourd’hui qui
prévoit notamment le rapatriement de la constitution en faisant
valoir que cela signifiera la décolonisation de notre pays.
Puis il profite de ce statut de colonie qu’il déplore pour faire
approuver son projet de réforme personnel.
Le premier ministre est le dernier des grands colonialistes
canadiens. Il ne se fie pas au Canada pour approuver ces
changements et veut donc essayer de les faire approuver par
Westminster, juste avant de changer les règles du jeu. Nous
savons que la Cour suprême du Canada a constaté, il y a dix
mois, que les intentions du gouvernement actuel à l’égard du
Sénat étaient inconstitutionnelles et illégales. Il est tout à fait
probable que d’autres aspects de cette proposition sont illé-
3292 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
6octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES
gaux. Le ministre de la Justice nous a dit qu’il ne le pensait
pas. Il croit que c’est très bien. Nous verrons ce qu’en pense la
Cour suprême. Le ministre de la Justice pense que le bill C-60
est également une bonne mesure, mais la Cour suprême n’a
pas été de cet avis. Sans aucun doute, le gouvernement essaiera
d’établir une distinction entre une loi constitutionnelle et une
convention constitutionnelle. Il s’arrangera sans doute pour
aller déterrer un vieux précédent constitutionnel dans un pays
quelconque du Commonwealth ou quelque part dans le monde
afin de pouvoir dire que ce qu’il fait est légal.
M. Crosbie: En Zambie.
M. Clark: Comme le dit mon collègue, il pourrait regarder
du côté de la Zambie. Il pourrait regarder du côté de la
Rhodésie.
M. Crosbie: Ou de l’Ouganda.
M. Clark: Le gouvernement fera des pieds et des mains pour
trouver un précédent quelconque qui, à ses yeux, justifiera ses
actes. Je ne veux pas faire comme le ministre de la Justice et le
premier ministre en anticipant sur la décision des tribunaux,
mais ils trouveront peut-être un avocat matois pour dire que ce
qu’ils proposent de faire est légal. C’est peut-être vrai du point
de vue strictement juridique, mais sans aucun doute, ce qu’ils
comptent faire détruirait la fédération canadienne et c’est une
mauvaise chose.
Une voix: Une très mauvaise chose.
Des voix: Bravo!
M. Clark: A ce stade-ci du débat, le Parlement doit s’assurer
que les Canadiens comprennent les éléments fondamentaux de
cette proposition car, après tout, c’est leur pays qui s’en
trouvera changé. Je dirais, si vous me le permettez, que je crois
cette obligation partagée par tous les journalistes du pays et
par tous ceux qui exercent une certaine influence et qui de ce
fait même ont la responsabilité de se montrer plus pénétrants
et d’aller jusqu’à l’essentiel des propositions. Cependant, c’est
le premier devoir qui nous incombe au Parlement, car le
Parlement c’est nous et c’est en son nom que le gouvernement
agirait.
Encore aujourd’hui, le ministre de la Justice a tenté de
présenter cette résolution comme l’étape normale à suivre
après l’échec de la conférence constitutionnelle. Bien, c’est
faux; absolument faux!
Je ne doutais pas de la sincérité du ministre de la Justice
quand il a parcouru le pays, en fait quand il a parcouru le
Québec pendant la campagne référendaire. Mais il se trouve
en fait que les espoirs qu’il a suscités à son travail de cet été
ont sombré après la rencontre des premiers ministres des
provinces et du premier ministre sous les feux de la rampe, au
Centre des conférences, à deux pas d’ici. Vraiment, les soupçons
qu’un bon nombre d’entre nous entretenaient quand à la
motivation du gouvernement au sujet des changements constitutionnels
se sont trouvés énormément renforcés par le texte du
document ou du mémoire qu’ils voulaient garder secret, j’en
suis sur, mais qui a fini par transpirer. Ce document divulguait
au pays l’approche manipulatrice que le gouvernement a constamment
adoptée vis-à-vis des relations fédérales-provinciales
et de l’opinion publique.
La constitution
Simplement pour rafraîchir la mémoire de chacun, mentionnons
que la conférence constitutionnelle de cet été traitait de
modifications précises à apporter au partage des pouvoirs entre
le gouvernement central et ceux des provinces. Quelques-unes
des questions abordées cet été sont mentionnées dans la résolution
comme, par exemple, la péréquation, les droits de la
personne et l’objectif du rapatriement. On ne trouve absolument
rien à propos des autres questions débattues cet été. On
n’y parle pas de la compétence sur les ressources, ni des
communications, ni de la formule d’amendement à propos de
laquelle nous avons compris que tous les gouvernements
s’étaient à toute fin pratique entendus en principe, selon le
prétendu concensus de Vancouver qui exigerait que les modifications
soient approuvées par le Parlement et par au moins
sept provinces représentant 50 p. 100 de la population canadienne,
en accordant, si nécessaire, le droit de non-participation
à une province qui ne serait pas d’accord. Au lieu de cela,
on trouve à l’article 42 une proposition qui n’a jamais été
présentée auparavant, une proposition mortelle qui permettrait
à un gouvernement majoritaire qui contrôle le Parlement
d’avoir recours à un référendum direct et exécutoire pour
contourner complètement les gouvernements élus de toutes les
provinces. Aux termes de l’article 46 de cette résolution, un
gouvernement fédéral majoritaire qui contrôle le Parlement
pourrait également établir les règles de ce référendum et les
établir seul, en se servant de sa majorité pour le faire comme il
l’entend.
Une voix: Et imposer la question.
M. Clark: Et ce serait lui qui rédigerait la question.
* (1710)
Comme nous avons pu le constater récemment, le présent
gouvernement est disposé à dépenser des millions de dollarsle
ministre responsable ne dira pas combien au juste aux
députés de ce côté-ci-en panneaux-réclames, messages télévisés
et autres moyens publicitaires afin de manipuler l’opinion
qu’exprimerait un référendum et, par la présente résolution, un
tel référendum remporté par la majorité simple dans chacune
des quatre régions serait décisif et aurait force de loi. Ce ne
serait pas l’expression d’une opinion comme l’a été le référendum
au Québec, mais bien un outil permettant de modifier le
droit fondamental que nous observons en tant que nation.
Voilà le problème. Cette résolution permettrait au gouvernement
fédéral, appuyé par une majorité manipulée à l’occasion
d’un référendum, de ne tenir compte d’aucun gouvernement et
assemblée élue des provinces et de modifier n’importe quel
point de la constitution canadienne.
M. Trudeau: Seulement avec l’appui des Canadiens!
M. Clark: Seulement avec l’appui des Canadiens. J’en viens
au premier ministre et à l’appui qu’il a pu obtenir des Canadiens
à l’occasion-je me souviens notamment de la loi des
mesures de guerre, il y a dix ans. Je vais m’attarder davantage
sur cette question car elle révèle bien les dangers que comporte
une telle proposition.
6 octobre 1980 DÉB3ATS DES COMMUNES
La constitution
Permettez-moi cependant de consacrer quelques instants au
ministre de la Justice (M. Chrétien) et de lui donner une petite
leçon de géographie et de nationalisme. Il parle de l’Australie
et de la Suisse. Eh bien, j’ai des nouvelles pour lui. Il ne s’agit
ici ni de l’Australie ni de la Suisse; il est question ici du
Canada et nous voulons que le Canada ait une constitution qui
respecte les traditions canadiennes.
Des voix: Bravo!
M. Clark: Il est certain qu’au cours du débat nous entendrons
parler de cet infâme article 42, article qui fait disparaître
les provinces. Il est certain qu’on nous dira que ce pouvoir
ne sera jamais utilisé. Si tel est le cas, que fait-il donc là?
Pourquoi figure-t-il dans le texte de cette résolution? Pourquoi
envisage-t-on de l’incorporer à notre législation s’il n’est pas
question d’y avoir recours? Pourquoi tient-on alors à ce qu’il
en fasse partie?
D’aucuns soutiendront que l’on exagère les risques de manipulation
de l’opinion publique. Eh bien, je demande à la
Chambre et au pays si le gouvernement n’a pas lui-même
exagéré la situation, il y a dix ans de cela ce mois-ci, lorsqu’il a
terrifié le pays en annonçant qu’il y avait des risques d’insurrection
alors qu’apparemment ce n’était pas le cas. Je demande
à la population et au Parlement du Canada, je demande aux
Canadiens que le respect des droits civiques préoccupe-et je
crois que cela préoccupe ou du moins préoccupait le solliciteur
général -d’imaginer les résultats qu’aurait eus un référendum
sur les libertés civiques en plein coeur de l’affaire James Cross.
Que serait-il advenu des libertés civiques à ce moment-là?
Quelles garanties la constitution du Canada aurait-elle prévues
alors’? Les Canadiens seront-ils en sécurité si nous accédons à
la demande du gouvernement-ce même gouvernement qui a
adopté la loi des mesures de guerre et qui manipule l’opinion
publique’? Les Canadiens seraient-ils en sécurité s’il suffisait
d’un référendum pour suspendre ces droits’? Le seraient-ils’?
A ceux qui voient d’un oeil favorable les éléments de cette
résolution qui portent sur les droits linguistiques et d’autres
droits, je rappelle que ces droits pourraient également être
modifiés par voie d’un référendum national. De plus, comme
les législateurs doivent s’attendre au pire tout en espérant pour
le mieux, nous devons reconnaître qu’il pourrait y avoir au
pays une autre crise au sujet d’une question fondamentale et
un autre premier ministre majoritaire qui, si on le met au défi,
dise: «Laissez-moi faire.»
La résolution peut donner lieu à des violations des droits de
certaines régions ou minorités. Les législateurs, dans toute
démocratie, s’alarmeraient à l’idée qu’une telle menace pèse
sur leurs droits. Pour nous, Canadiens, le véritable danger c’est
que cette résolution laisserait un gouvernement central, fort
d’une prétendue victoire à un référendum, mettre fin au fédéralisme.
La résolution rompt l’équilibre même sur lequel
repose le système fédéral. Le problème ici n’est pas de savoir,
comme il en a déjà été question dans cette enceinte, si Terre-
Neuve devrait avoir les mêmes droits en matière de ressources
que l’Ontario ou de savoir qui devrait régir la câblodistribution.
Non. Il s’agit de savoir si une décision en matière
constitutionnelle doit être prise seul ou à deux, de savoir si le
Canada est une association, comme les Pères de la Confédération
et toutes les législatures qui se sont succédé le croyaient,
ou bien si l’on veut modifier les règles du jeu au point de
rompre l’association.
Une province peut-elle véritablement négocier sur une question
lorsqu’elle sait qu’il suffit d’une loi du Parlement et du
recours aux électeurs pour lui enlever tous ses pouvoirs? Si une
telle situation avait existé dans les années 1880, puis dans les
années 1920 et 1930, jamais le gouvernement de l’Ontario
n’aurait pu protéger ses ressources contre les mesures unilatérales
des gouvernements fédéraux de l’époque. Jamais le
Québec n’aurait pu préserver sa culture ni son identité avec,
pour seuls remparts, le gouvernement provincial et l’Acte de
l’Amérique du Nord britannique.
M. Trudeau: Et les Canadiens, qu’en faites-vous’?
[Français]
M. Clark: J’ai entendu certaines remarques faites par le très
honorable premier ministre (M. Trudeau), et j’espère qu’il sera
intéressé à participer lui-même au débat, peut-être aujourd’hui,
peut-être plus tard. On me dit qu’il est bien intéressé à
la question. Je serai prêt à accepter ses remarques quand il
sera présent à la Chambre, et j’espère qu’avant la fin du débat
il y sera pour parler directement, pour exprimer ses propres
vues à ce sujet.
Mais maintenant je veux parler de quelque chose dont le
très honorable premier ministre a parlé. Quand il a couru par
toute la province de Québec, il a souvent parlé d’un fédéralisme
renouvelé. Parce que, madame le Président, en mai
dernier, les Québécois ont réaffirmé de façon dramatique leur
foi dans le pays. Ce geste n’était pas une simple manifestation
négative à l’égard de la souveraineté-association. Au contraire,
ce geste avait un caractère éminemment positif, puisqu’il
constituait l’affirmation claire et nette d’une volonté de changement.
En mai dernier, les Québécois se sont prononcés en
faveur du renouvellement de la Fédération canadienne. Les
Québécois ont cru dans le message de M. Claude Ryan, dans
le message du renouveau canadien que j’ai, moi aussi, transmis
pendant la campagne référendaire. Les Québécois ont également
fait confiance au très honorable premier ministre du
Canada.
M. Ryan n’a pas changé d’idée, et je n’ai également pas
changé d’idée. Nous croyons toujours au principe du fédéralisme
et au besoin de l’adapter à la réalité du Canada contemporain,
du Canada de l’avenir. Malheureusement, on ne peut
pas en dire autant du très honorable premier ministre du
Canada. Sa conception du fédéralisme se rapproche beaucoup
plus de l’Etat unitaire que de l’Etat fédéral. Telle est en effet
la signification fondamentale de la résolution qui est soumise
au Parlement. Plutôt que de rénover la Fédération canadienne,
le gouvernement canadien risque de la détruire. Ce que le
gouvernement nous propose, ce n’est pas seulement de rapatrier
ou de canadianiser notre Constitution, il nous propose en
même temps de soumettre au Parlement de Westminster plusieurs
formules d’amendement constitutionnel pour l’avenir: la
règle de l’unanimité pour une période transitoire, une formule
d’amendement sensiblement la même que celle de Victoria et
surtout une troisième, celle dont j’ai parlé et qui modifie
substantiellement notre régime fédératif.
a (1720)
Quant à nous, non seulement nous favorisons le rapatriement
de notre Constitution, mais nous sommes convaincus
qu’il est grand temps d’y procéder sans délai. Au surplus, nous
croyons que le rapatriement doit s’accompagner d’une formule
d’amendement, mais la formule que nous proposons ce n’est
DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
pas la règle de l’unanimité, ce n’est pas la formule de Victoria
même modifiée, ce n’est surtout pas la formule qui donnerait
au Parlement le pouvoir d’amender unilatéralement la Constitution
par voie de référendum, en escamotant dans le processus
les gouvernements et les législatures des provinces.
La formule que nous proposons, c’est celle de Vancouver,
qui a été évoquée à la dernière conférence des premiers
ministres, et au sujet de laquelle un consensus aurait été
possible au cours de cette conférence si le gouvernement actuel
avait accepté un véritable dialogue à cet égard. Voilà notre
position: rapatrier avec une formule d’amendement selon les
principes de la formule de Vancouver. Mais la résolution
proposée, comme je l’ai dit, va beaucoup plus loin que de
rapatrier avec une formule d’amendement. Elle introduirait en
même temps, dans la même opération, des changements substantiels
dans la Constitution canadienne.
Il ne s’agit pas simplement de savoir si ces changements sont
valables ou non. C’est le fait même de demander au Parlement
de Westminster d’effectuer de tels changements de substance
qui constitue le réel problème, le problème essentiel pour nous
Canadiens. Le paradoxe réside dans le fait que le premier
ministre nous demande de rompre le dernier lien colonial qui
nous rattache à l’Angleterre et qu’en même temps il utilise ce
lien colonial pour changer notre régime fédératif et pour
inscrire les amendements fondamentaux à la Constitution.
Nous ne sommes pas d’accord sur cela.
Les changements à effectuer à la Constitution doivent se
faire au Canada, par les Canadiens, et non pas par le Parlement
de Westminster à l’occasion du rapatriement. Nous les
ferons lorsque nous aurons rapatrié la Constitution avec une
formule d’amendement sur laquelle les deux ordres de gouvernement
se seront mis d’accord. Nous déciderons entre nous s’il
faut, par exemple, inscrire dans la Constitution une charte des
droits et ce que cette charte doit contenir. Nous déciderons
entre nous s’il faut que la péréquation fasse l’objet d’une
disposition constitutionnelle.
En somme, nous effectuerons nous-mêmes les changements
qui renouvelleront la Fédération canadienne. Voilà notre position:
rapatrier avec une formule d’amendement convenue, rien
d’autre.
C’est dans cette perspective et pour ces motifs que nous
aborderons le débat sur la résolution qui est à l’étude, et que
nous emploierons tous les moyens de la modifier pour qu’elle
devienne acceptable.
[Traduction]
C’est aux Canadiens et non pas aux Britanniques qu’il
appartient de modifier la constitution canadienne. Le premier
ministre du Canada (M. Trudeau) demande aux Britanniques
et à leur Parlement d’approuver furtivement une série de
modifications, celles que lui préfère. Pour ma part, je trouve
que la constitution du Canada ne devrait pas être modifiée par
les Britanniques mais plutôt par les Canadiens.
Des voix: Bravo!
M. Clark: C’est là la question que nous sommes en train de
débattre à la Chambre des communes. Absolument nous tous
ici à la Chambre voudrions que la constitution du Canada soit
rapatriée, mais nous voulons que ce rapatriement se fasse de
manière à pouvoir apporter notre contribution. Nous connaissons
les inégalités qui existent au Canada. Nous connaissons
les erreurs qui résident dans le statu quo qui règne actuellement
sur le plan constitutionnel. J’ai critiqué ce statu quo dans
la province de Québec pendant la campagne référendaire. J’ai
agi ou j’ai fait un premier pas pour mettre un terme à cette
inégalité lorsque j’étais premier ministre du Canada en reconnaissant
que les provinces côtières ont le droit d’être traitées
sur un pied d’égalité avec les provinces dont le sous-sol recèle
des ressources.
Nous voulons modifier la constitution du Canada, mais nous
voulons le faire ici, au Canada. C’est pourquoi nous sommes si
profondément vexés de voir le premier ministre du Canada
tenter de flouer les Canadiens, de se jouer de nous en allant à
Londres à la sauvette pour faire modifier la constitution à sa
façon avant même de la ramener ici, avant que les Canadiens
ne puissent mettre la main sur leur constitution pour la
modifier comme ils voudraient qu’elle le soit.
Des voix: Bravo!
M. Nielsen: Voilà quelqu’un qui parle au nom du Canada.
M. Clark: Il est grave que le gouvernement actuel fasse si
peu confiance aux provinces canadiennes qu’il ait recours à
l’article 42, lequel permet d’agir sans que les provinces, les
gouvernements provinciaux et les législatures provinciales
n’aient le moindre mot à dire. Ceci est déjà très grave, mais ce
qui est pire, c’est que le gouvernement actuel fasse si peu
confiance aux citoyens canadiens que le premier ministre ne se
risque même pas à permettre au peuple du Canada de se
prononcer sur les modifications qui lui tiennent le plus à coeur.
Au lieu de les soumettre aux citoyens canadiens, le premier
ministre propose de les soumettre à des étrangers. Il préconise
de tirer parti pour la dernière fois du lien colonial inhérent à
l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et de se servir du
fait qu’il s’agit d’un document colonial en possession de la
Grande-Bretagne pour le faire modifier là-bas plutôt qu’ici,
comme il se devrait.
Le premier ministre célèbre un anniversaire parce qu’il y a
dix ans ce mois-ci, il présentait la loi sur les mesures de guerre.
M. Trudeau: Et vous l’avez appuyée.
M. Clark: Je n’étais pas là. Aujourd’hui marque aussi un
anniversaire pour moi, car il y a huit ans ce mois-ci, j’ai été élu
pour la première fois à la Chambre des communes. Pendant ce
temps, j’ai débattu de nombreuses mesures dont certaines me
tenaient beaucoup à coeur. Dans certains cas, ce fut difficile.
Je me souviens d’avoir défendu ma position entre M. Diefenbaker,
qui était alors le très honorable député de Prince
Albert, et M. Horner, alors député conservateur de Crowfoot,
qui a troqué son parti, mais non sa position quant à la loi sur
les langues officielles. Je me souviens d’avoir dû me prononcer
à l’époque en faveur de la loi sur les langues officielles encadré
par ces deux hommes.
J’ai débattu à la Chambre des sujets qui m’ont profondément
touchés et qui ont également touché profondément ma
région et mon pays. Cependant, je ne me souviens d’aucun qui
m’ait alarmé autant que la proposition dont la Chambre est
saisie aujourd’hui, car elle ne vise pas simplement à modifier
une loi, mais bien à modifier la manière de gouverner le
Canada et à transformer en profondeur les rapports entre les
deux paliers supérieurs de gouvernement et le caractère même
de notre régime fédéral.
80089-63
6 octobre 1980 DEBATS DES COMMUNES
La constitution
Ce qui inquiète surtout les députés de mon parti et moimême,
ce n’est pas tant que le gouvernement ait présenté un
projet médiocre, mais qu’il ait saisi le Parlement du Canada
d’une proposition susceptible de détruire notre régime fédéral.
Dans le contexte des initiatives que le gouvernement entend
prendre, à ce qu’on dit, en matière de ressources énergétiques
et qui risquent de soulever l’ire des Canadiens de l’Ouest, et
compte tenu de la déception des Québécois qui se demandent
s’ils ne se sont pas laissé berner par les déclarations de certains
fédéralistes-autres que Claude Ryan et moi-même-lors de
la campagne référendaire, nous estimons qu’elle constitue une
grave menace pour notre pays.
a (1730)
Je le dis avec amertume. Je le dis dans l’espoir que certains
de mes amis des autres côtés de la Chambre des communesdans
l’espoir que certains de mes amis d’autres parties du pays
qui connaissent les sentiments que je nourris à l’égard du
Canada-même s’ils ne m’approuvent pas sur tous les points ni
sur toutes les questions, comprendront avec quelle sincérité je
dénonce les dispositions de ce projet de loi, dispositions qui
pourraient non seulement transformer le pays tel que nous le
connaissons mais qui pourraient aussi le détruire.
Des voix: Bravo!
M. Edward Broadbent (Oshawa): Madame le Président,
dans ce débat historique, on peut, je pense, ramener à deux
questions tous les détails de la résolution proposée, qu’il
s’agisse de savoir si elle est pertinente ou si les députés doivent
l’appuyer.
La première de ces questions est la suivante: est-il légitime,
est-il opportun à l’heure actuelle que le Parlement du Canada
soit le seul à donner son appui à une résolution visant à
modifier la constitution de notre pays. Voilà la première
question.
La seconde question à laquelle il faut répondre et ce,
indépendamment de la façon dont on aura répondu à la
première, c’est de savoir si cette proposition globale qui concerne
toute une série de questions-et je vais y revenir dans un
instant-est une résolution que nous devrions appuyer pour sa
valeur intrinsèque, qu’il s’agisse d’une résolution émanant du
Parlement du Canada ou qu’elle soit le résultat d’une entente
unanime entre le gouvernement fédéral et les gouvernements
provinciaux de l’heure.
Voilà assurément les deux questions. Avons-nous le droit en
1980 de laisser à Ottawa seul le soin d’agir? Par ailleurs,
avons-nous le droit en l’état actuel des choses de ne pas agir et
je veux en parler aussi.
Il faut voir l’ensemble des propositions, madame le Président.
Avant même le référendum et aussi à l’époque du
référendum, mon parti et moi-même avions déclaré que le
processus de réforme constitutionnelle au Canada n’a pas été
très efficace. Le ministre de la Justice (M. Chrétien) a énuméré
toutes les fois où l’on n’a pas pu apporter des changements
parce qu’on a maintenu la règle de l’unanimité lors des
conférences précédentes, et pas seulement celles que présidait
le premier ministre actuel (M. Trudeau). C’est pour cela que
mon parti et moi-même sommes convaincus depuis longtemps,
et surtout depuis le référendum, que la meilleure façon d’obtenir
un consensus-et le chef de l’opposition (M. Clark) a bien
raison de se préoccuper de cette question-aurait été d’élargir
le cadre des discussions de cet été de façon qu’elles ne se
limitent pas aux seules institutions du pouvoir.
Je ne veux pas formuler de jugement à ce sujet parce que la
question de savoir si un ou plusieurs premiers ministres provinciaux,
ou le premier ministre lui-même, se sont présentés à la
conférence avec la meilleure attitude possible n’a rien à voir
avec le débat actuel.
Je crois cependant que le principe qui nous a guidés jusqu’ici,
c’est-à-dire le principe de l’unité, comporte des restrictions
profondes que n’ont jamais connues d’autres États
fédéraux.
Il est pratiquement impossible que l’accord règne entre tous
les chefs de gouvernement dûment élus à l’échelon provincial,
qu’ils soient néo-démocrates, conservateurs ou libéraux, et le
premier ministre fédéral, qu’il soit conservateur, néo-démocrate
ou libéral.
A tout autre moment de l’histoire du Canada, si nous
n’avions pas vu la même chose se produire pendant des semaines,
des mois et même des années, je proposerais de faire une
nouvelle tentative. Je dirais: «Essayons encore.» Aujourd’hui il
est certain, madame le Président, qu’il est temps de faire
quelque chose tout de suite au sujet de la constitution du
Canada.
Des voix: Bravo!
M. Broadbent: Il ne fait aucun doute que, comme presque
tous les premiers ministres provinciaux et les chefs de tous les
partis du Québec, nous avons préconisé le fédéralisme au
moment du référendum, bien qu’on ait déjà dit que nous
n’avons pas toujours fait partie du comité et déclaré que c’était
dans ce cadre que nous voulions que soient apportés certains
changements. Cependant ce ne sont pas simplement …
[Français]
Il n’y a pas que les Québécois qui ont des problèmes avec
l’avenir du Canada. Il est vrai que les Québécois veulent des
changements, mais en même temps, dans toutes les autres
provinces il y a des gens, à Terre-Neuve, en Alberta, en
Colombie-Britannique qui en veulent également.
[Traduction]
Les changements survenus dans la province de Québec sont
de nature peut-être particulière, mais ceux qui se produisent en
ce moment en d’autres régions du Canada n’en sont pas moins
réels. On veut que cela change, on veut des actes. Il est
toujours possible d’épiloguer sur le choix du moment, mais ce
n’est pas cela qui compte. Les Canadiens des différentes
régions du pays souhaitent qu’on agisse pour tenter de sortir de
l’impasse. Je le répète, je ne reproche rien aux premiers
ministres provinciaux; ce serait dénué de sens. Je ne reproche
rien non plus au premier ministre, car ce serait également
dénué de sens.
3296 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
DÉBATS DES COMMUNES
Pourtant, si l’on admet qu’il y a quelque chose à faire en ce
moment de notre histoire, comme moi, entre autres, qui ne suis
pas tout à fait vieux mais qui participe depuis trop longtemps à
la vie politique pour ne pas sentir déjà qu’il nous manque une
constitution bien à nous, il est normal de vouloir qu’on passe à
l’action et qu’on le fasse tout de suite.
Des voix: Bravo!
M. Broadbent: Et si l’on dit que l’état d’esprit du pays veut
que l’on passe à l’action tout de suite . . . , je répondrai, avec le
respect dû au chef de l’opposition, que le temps est venu d’agir.
En supposant qu’il ait raison de dire que le train de mesures
est mal conçu, risque de diviser le pays et de conduire à ce
résultat plutôt effrayant-que je n’entrevois pas pour ma
part–qu’il appelle dans sa dernière phrase l’éclatement possible
du Canada, je soutiens pour ma part que si nous avons un
train de mesures différent …
Des voix: Oh, oh!
Une voix: Quelle naïveté!
M. Broadbent: Écoutez ce que j’ai à dire, de grâce. J’ai
écouté attentivement deux discours importants et c’est maintenant
à mon tour d’avoir certaines choses à dire.
Ce que je dis, c’est que la conjoncture historique ouvre des
possibilités de changement. Aux Etats-Unis il a fallu une
révolution pour changer les choses, et je pourrais citer une
multitude d’Etats modernes qui ont connu à un moment précis
un changement constitutionnel. Si nous ne savons pas saisir
l’occasion qui se présente de diminuer les sujets de mécontentement
et d’atténuer les tensions, nous risquons de la perdre.
Les tensions, celles de la province de Québec à un moment
donné de notre histoire ou celles d’ailleurs-et je parlerai dans
un instant d’une autre partie du pays-vont devenir trop
fortes. Nous pourrions alors voir disparaître ce pays qui est le
nôtre, du moins sous sa forme actuelle, et le voir remplacer par
un, deux ou trois Canada nouveaux. Je crois qu’à cette étape-ci
de notre histoire, la situation est aussi grave que cela: il faut
saisir au vol les possibilités de changement.
Si tel est le cas, la question qu’il faut se poser est de savoir si
le plan que l’on nous propose sera un facteur de division. Il est
grave de partir en guerre contre les premiers ministres provinciaux,
je le reconnais; il eût été préférable de s’entendre, mais
puisque nous en sommes à la confrontation, demandons-nous si
le plan que nous proposons aux Canadiens leur est acceptable,
quelle que soit leur affiliation politique. Nous savons tous que
les militants de tous les partis auront des réactions partisanes,
mais je songe à ceux qui, tout en accordant leur vote à un parti
ou à un autre, ne s’intéressent pas de près au débat constitutionnel.
Quand ils prendront connaissance de ce plan, ils se
demanderont: «A titre d’agriculteur, ou de pêcheur, ou d’avocat
préoccupé des libertés civiles, puis-je accepter cela dans
mon coin de pays?» Il me semble, madame le Président, que
c’est sous cet angle qu’il faut envisager ce projet.
A mon avis, la variété des articles visés est importante, de
même que leur nombre. Je ne crois pas qu’il soit opportun pour
le Parlement du Canada de modifier toute une gamme d’articles
divers tout en affirmant au Parlement britannique, comme
l’a fait remarquer à juste titre le chef de l’opposition, que la
plupart des changements doivent être effectués par les Canadiens
ici-même, au Canada, et pas ailleurs.
La constitution
Des voix: Bravo!
* (1740)
M. Broadbent: Il faudrait des propositions équilibrées; il
nous faut discuter de questions précises. Je voudrais qu’il en
soit ainsi pour la résolution dont nous sommes saisis.
Au départ, je tiens à préciser que je ne vois pas cet équilibre.
Je m’attendais à ce que le gouvernement nous propose un
programme basé sur les priorités personnelles du premier
ministre (M. Trudeau) qui a, en effet, abordé de nombreuses
questions l’été dernier, au sujet desquelles il n’a obtenu ni
l’accord de ses homologues provinciaux, ni celui des conservateurs
et des néo-démocrates et, j’ajouterais, en toute franchise
que ces questions ne figurent pas dans la résolution qui nous
est soumise.
Je fais remarquer à l’honneur du premier ministre que
celui-ci a renoncé à certaines choses dont il avait été question,
à ma connaissance. J’avais prévu qu’elles figureraient dans la
résolution, mais elles n’y sont pas. Alors, je vous le demande,
que faut-il y voir? Le projet de loi concrétise la notion de
rapatriement à laquelle, je l’ai déjà dit, nous souscrivons en
principe. Il y a une vingtaine d’années de cela, le député de
Winnipeg-Nord-Centre (M. Knowles) avait présenté, au nom
de mes collègues, un projet de loi d’initiative privée proposant
le rapatriement de notre constitution. En ce qui nous concerne,
il n’y a donc rien de neuf à propos de ce rapatriement.
Parlons maintenant de la charte des droits. D’après le
ministre, le projet de loi ne renferme que quatre ou cinq
questions essentielles et c’est pourquoi il est de portée restreinte.
Il nous faut examiner ces questions pour déterminer si
elles méritent notre appui. Le projet de loi comprend une
charte des droits. Le parti libéral préconise sans doute toutes
ces choses, mais je rappellerai que mon parti se bat depuis de
nombreuses années pour ces mêmes questions, à savoir, le
rapatriement et les droits individuels.
L’ancien député de Greenwood, M. Andrew Brewin-je me
permets de citer son nom puisqu’il n’est plus ici-avait dans les
années 40 défendu les droits de nos concitoyens d’origine
japonaise, à une époque où il était mal vu de le faire, et avait
réclamé une charte des droits pour le parti CCF de l’époque.
Par la suite, le Nouveau parti démocratique devait adopter la
même position.
Nous souhaitons avoir une charte des droits. Par exemple, si
nous en avions eu une à l’époque où le premier ministre luttait,
en dehors des cadres politiques, contre le régime Duplessis,
nous aurions fort bien pu nous éviter la loi du cadenas imposée
au Québec car cette même loi aurait porté atteinte à un droit
fondamental que nous allons peut-être enchâsser dans la constitution.
L’Alberta n’aurait peut-être pas eu la loi sur la presse
en 1937. Nous aurions évité de voir un gouvernement terreneuvien
essayer de priver des travailleurs de leur droits en
1959, en démembrant le Syndicat international des travailleurs
du bois d’Amérique, ce qui, à mon avis, était une violation
fondamentale du droit d’association. Ce que nous voulons,
madame le Président, c’est une charte des droits. Il y a
longtemps qu’elle se fait attendre. On peut discuter, comme les
membres de notre parti le feront, de certains droits particuliers
et proposer certains amendements qui feront l’objet, espérons-
le, d’une étude sérieuse, mais de tout temps, nous nous
sommes fait les champions d’une charte des droits parce qu’il
importe d’empêcher a priori les gouvernements de commettre
6 octobre 1980 3297
La constitution
certaines erreurs et aussi de donner aux citoyens le droit de
contester ces erreurs après-coup. Pour ce qui est, notamment,
de la question des droits, les collègues de mon caucus se
préoccupent particulièrement des autochtones. Je ne vais pas
m’étendre sur ce sujet cet après-midi, mais soyez assurés que
l’un d’entre nous fera part au comité de nos inquiétudes face à
cette mesure, qui ne prévoit pas de dispositions satisfaisantes à
l’égard des autochtones.
Des voix: Bravo!
[Français]
M. Broadbent: Je veux parler maintenant des droits linguistiques.
Je peux parler un instant personnellement. Quand je
me suis porté candidat aux élections en 1968, pour la première
fois de ma vie, comme politicien, j’ai défendu les droits des
francophones à Oshawa.
[Traduction]
Il s’agit sans nul doute de toutes les choses auxquelles nous
devrions croire et que nous devrions mettre en vigueur si nous
reconnaissons la dualité du Canada. Plus précisément, nous, au
Canada anglais, devrions enfin dire aux francophones, qu’ils
soient du Manitoba ou de Maillardville en Colombie-Britannique,
que les francophones hors Québec devraient avoir les
mêmes droits que les anglophones dans la province de Québec
en ce qui concerne l’éducation.
Des voix: Bravo!
M. Broadbent: C’est pourquoi nous approuvons cette partie
du bill et nous pensons qu’il est temps de prendre une telle
mesure, surtout compte tenu du référendum.
J’ajouterais également que nous avons l’intention de présenter
un amendement à ce sujet. L’entente conclue en 1978 entre
les premiers ministres stipulait: «Oui, que la langue de la
minorité soit enseignée dans les écoles, mais seulement lorsque
le nombre le justifie.» Mais les provinces devraient avoir la
compétence voulue pour fixer ce nombre. Je vois le ministre de
la Justice (M. Chrétien) hocher la tête en signe d’approbation,
ce qui laisse penser qu’il porte quelque intérêt à cette importante
question provinciale.
M. Lawrence: Elle ne figure pas dans la résolution.
M. Broadbent: Elle n’y figure pas à l’heure actuelle, mais
elle sera incluse dans un amendement que nous envisageons de
proposer.
En ce qui concerne la péréquation, qui constitue le quatrième
grand point de la résolution, je puis vous dire en tant
que chef du parti social démocrate que s’il est un principe qui
doit à tout prix être garanti dans notre constitution, à notre
avis, c’est bien un objectif fondamental d’égalité qui supprimera
une foule de distinctions injustes.
Là encore, ce n’est pas une simple question de principe.
Certes, le bill devrait parler de ces principes fondamentaux,
que nous approuvons. Nous reviendrons sur le libellé du bill au
comité. Il existe à notre avis une meilleure façon d’inclure cet
aspect dans la constitution, mais, je le répète, nous pensons
qu’il doit absolument y figurer. C’est un principe que respecte
le Nouveau parti démocratique et qui devrait faire partie de
notre constitution.
Une voix: Oh, oh!
M. Broadbent: Tiens, un conservateur ricane. C’est peutêtre
parce qu’il ne tient pas à la péréquation. Je n’ai aucun mal
à le croire, mais nous, nous y croyons.
M. Clark: Madame le Président, j’invoque le Règlement sur
un point d’ordre secondaire. Je suis sûr que le chef du Nouveau
parti démocratique (M. Broadbent) a lancé cette observation
à l’emporte-pièce. Il sait que depuis plusieurs années, mon
parti a pour politique de prôner l’inscription de la péréquation
dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, comme cela
figure au communiqué de Kingston. Je suis sûr qu’il s’est laissé
emporter par son éloquence.
M. Broadbent: Je ferai simplement observer au chef de
l’opposition (M. Clark) qu:: ce n’est pas un député de mon
parti qui rouspétait quand j’ai parlé de péréquation, c’est un
député de son parti à lui.
M. Malone: Nous avons rouspété quand vous avez dit que
cela était de vous.
M. Broadbent: Dans cette motion, j’ai parlé de certaines
questions de fond auxquelles nous donnons notre adhésion de
principe, par exemple le rapatriement, les droits, les droits
linguistiques, la péréquation .
Une voix: Qu’attendez-vous pour vous faire libéral?
M. Broadbent: Et enfin, une méthode de révision constitutionnelle.
Nous avons de très sérieuses réserves sur un point de
la méthode de révision. Je mentionne le délai de deux ans
pendant lequel l’unanimité reste de règle. Je dis au chef de
l’opposition qu’une des choses qui me plaisent, c’est que cela va
empêcher toute action unilatérale de la part du Parlement
pendant ce délai de deux ans où l’unanimité est de règle. Pour
la suite, nous avons certaines réserves que nous exprimerons en
comité. J’espère cependant que nous pourrons nous pencher
sur cette question. Je dirai au gouvernement et à l’opposition
officielle qu’à l’étape du comité, j’espère que nous pourrons
examiner certains de ces détails de façon intelligente, si nous
sommes d’accord sur le principe, afin de faire admettre certains
amendements sensés.
Tout ce que je viens de mentionner recueille notre accord de
principe, à moi-même et à mes collègues, même s’il reste divers
détails à régler en comité, mais il y a une question d’importance
fondamentale dont il n’a pas été tenu compte: rien n’est
prévu quant à l’équilibre nécessaire en régime fédéral. Je dirai
tout à fait sérieusement au premier ministre qu’à diverses
reprises, j’ai trouvé ses répliques offensantes pour les premiers
ministres provinciaux qui demandent l’insertion d’un article
sur les ressources naturelles dans la constitution. Dans ses
réparties, le premier ministre a tendance à dire qu’ils cherchent
à troquer le poisson contre les droits. Je ferai observer au
premier ministre, et indirectement au ministre de la Justice,
que ce n’est pas ainsi qu’il faut faire. La question n’est pas de
choisir entre les droits ou les ressources, parce que dans la
constitution on peut fort bien avoir à la fois la reconnaissance
des ressources et celle des droits fondamentaux.
J’en appelle tout spécialement au gouvernement au pouvoir,
en lui disant qu’une révision profonde des droits linguistiques
risque d’être mal comprise. Nous en savons tous quelque chose
ailleurs au Canada. J’entends encore ce qui s’est dit il y a
quelques années lorsque nous avons adopté la loi sur les
langues officielles avec l’appui de tous les partis. On nous a
reproché d’imposer le français de force. Ce n’était pas vrai à
l’époque et ce n’est pas vrai aujourd’hui dans le cas de cette
mesure législative. Nous devons barrer la route aux sectaires
avant que l’on croise le fer. Pour cela, nous pouvons par
3298 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES
exemple faire une proposition globale qui engloberait les questions
que j’ai abordées dans les grandes lignes et qui parlerait
aux Canadiens moyens qui tiennent à leurs ressources, que ce
soit à Terre-Neuve, en Nouvelle-Ecosse, dans les Prairies ou
au Québec. Je souligne en passant la place que l’Ouest du
Canada va jouer dans ce débat.
0 (1750)
Je voudrais faire une petite digression, non pas que les
ressources naturelles sont plus importantes pour les habitants
de l’Ouest qu’elles ne le sont pour ceux de Terre-Neuve.
Dernièrement, les relations entre le Québec et le reste du
Canada ont été tendues. Il faudrait être bien rêveur pour
prétendre le contraire. Toutes les difficultés n’ont pas été
surmontées. Tant s’en faut. Mais en tant que Canadien du
centre du pays, une autre région suscite en moi des inquiétudes:
l’Ouest.
Depuis 20 ans, nous devons traiter d’unité nationale avec le
Québec comme point de mire. Si nous ne prenons garde, nous
serons forcés, pendant 20 ans à venir, de traiter de l’unité
nationale axée cette fois sur l’Ouest. C’est à titre de citoyen du
sud de l’Ontario que je le souligne. Ne nous leurrons pas.
L’Ouest a été colonisé par des hommes et des femmes qui,
pendant des décennies, ont eu la vie dure. Ils ont vu ma
province de l’Ontario et celle du Québec bénéficier de tarifs
pour protéger leurs industries. Ils nous ont vus devenir très
riches. Ils l’ont accepté, en partie grâce à des mesures comme
celle du tarif du Pas du Nid-de-Corbeau qui ont fait contrepoids.
Mais, à tout prendre, ils étaient plus pauvres que le reste
du Canada.
Ils ont maintenant le sentiment qu’en quelque sorte le
contrôle de leurs ressources fera pendant au contrôle que nous
avons de l’industrie. Ils ont du pétrole, du gaz, de la potasse et
du bois de contruction. Et la demande grandit de tous ces
produits, ouvrés, partout dans le monde. De ce fait, les Canadiens
de l’Ouest estiment maintenant pouvoir réussir. Mais ils
éprouvent certaines appréhensions. Espérons qu’elles ne se
transformeront pas en paranoïa. Ils craignent que ceux d’entre
nous qui sommes puissants du seul fait que nous sommes plus
nombreux, que le centre du Canada est plus populeux, n’aillent
leur enlever le contrôle de leurs ressources.
Ce n’est pas une question partisane mais un souci humain,
exprimé par des gens ordinaires de l’Ouest du pays qui ne sont
membres d’aucun parti. Si donc nous voulons une proposition
globale, bonne et civilisée, dont j’ai déjà en d’autres circonstances
décrit le principe, une formule que puissent accepter
tous les Canadiens, si nous voulons éviter l’étroitesse d’esprit et
le sectarisme dans cet important débat sur l’avenir de notre
pays, alors je prie le ministre de la Justice (M. Chrétien) de
bien vouloir modérer ses transports et surveiller ses propos
même ceux qu’il nous a adressés aujourd’hui. Il a entrouvert la
porte sur la question des ressources, mais il m’a semblé la
refermer aussitôt. J’espère m’être trompé.
Nous devrions soumettre ce projet à nos commettants et les
inviter à le défendre. Encore une fois, je souligne qu’il ne s’agit
pas uniquement de l’Ouest. Certains habitants de la région
atlantique ne veulent pas dépendre de versements de péréquation.
Ils veulent le contrôle de leurs ressources, le contrôle
légitime. Ils estiment être capables de sortir de leur pauvreté,
de devenir indépendants, et de ne plus avoir à compter sur des
aumônes. Voilà qui est important.
La constitution
Nous devons notamment assurer aux Canadiens de l’Ouest
que nous allons leur garantir de droit ce qu’ils croyaient
posséder avant que la Cour suprême eût pris récemment
certaines décisions. Précisons qu’à ce petit nombre de changements,
nous entendons en ajouter un autre. Je vais exposer
bien clairement ce que nous posons comme condition pour que
notre parti accepte ces propositions. J’entends le faire avec
vigueur, sans crainte ni détachement. Nous exigeons que le
gouvernement propose un amendement qui s’intègre dans la
totalité. Nous espérons qu’en l’occurrence le premier ministre
(M. Trudeau) fera preuve maintenant de plus de souplesse.
Considérons les deux questions qui ont été débattues au
cours de la première journée de la conférence des premiers
ministres. Il y a d’abord eu celle du droit des provinces de
percevoir des impôts indirects. Ce droit n’interdirait pas au fisc
fédéral de percevoir l’impôt sur le revenu. Il ne limiterait en
rien le pouvoir fédéral. Il permettrait simplement aux gouvernements
provinciaux de lever des impôts indirects sur les
ressources de leur province respective et de les utiliser au profit
de leurs administrés. Les participants étaient d’accord là-dessus,
mais cela ne figure pas dans l’ensemble des propositions.
Le deuxième aspect important du contrôle des ressources a
trait au commerce interprovincial. Les premiers ministres provinciaux
ont dit qu’ils tenaient à jouer un rôle dans le commerce
interprovincial, tout en se disant prêts à accepter la
primauté du gouvernement fédéral, pour le cas où une province
voudrait en privilégier ou en défavoriser une autre. Sauf
erreur, les premiers ministres provinciaux ont reconnu que le
gouvernement fédéral devait jouir de cette primauté en
matière de commerce interprovincial et que la constitution lui
conférait cette primauté. Voilà les deux éléments essentiels que
nous exigeons pour déclarer que nous avons foi dans ces droits
linguistiques ou autres, ainsi que dans la péréquation, bien que
les Canadiens de l’Ouest ne comptent plus tellement sur la
péréquation pour satisfaire leurs besoins. Ils estiment qu’ils
progressent et que nous devrions les encourager au lieu de les
retenir.
En terminant, je tiens à dire, au nom de mes collègues, que
cette proposition présente beaucoup d’attraits pour nous, non
pas parce qu’elle est le fait d’un premier ministre libéral, mais
parce qu’elle est le résultat de résolutions et de motions
adoptées par mon parti au fil des années. Si le gouvernement
fait preuve de souplesse à l’étape de l’étude en comité et
accepte certaines modifications, nous serons pourvus d’une
mesure législative acceptable. Si le gouvernement veut que
nous l’appuyions à la Chambre, le moins qu’il puisse faire,
c’est d’apporter des changements justes et raisonnables à la
constitution dans le secteur des ressources, secteur qui revêt
une importance vitale pour les Canadiens où qu’ils vivent au
pays.
Je conclurai en disant qu’il s’agit d’un événement historique
car si ce projet de résolution est adopté, il modifiera fondamentalement
notre législation. J’espère que lorsqu’il reviendra
à la Chambre, après son passage au comité, ce bill aura été
tellement amélioré que les députés de tous les partis seront
fiers de l’adopter.
Des voix: Bravo!
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES
DÉBATS DES COMMUNES
La constitution
M. Caccia: Madame le Président, étant donné l’heure,
pourrait-on dire qu’il est 6 heures?
Des voix: D’accord.
0 (1800)
[Français]
Mme le Président: Comme il est maintenant 6 heures du
soir, je quitte le fauteuil pour le reprendre à 8 heures ce soir.
(La séance est suspendue à 5 h 58.)
[Traduction]
REPRISE DE LA SÉANCE
La séance reprend à 8 heures.
M. Chas. L. Caccia (Davenport): Il serait bon, monsieur
l’Orateur, de nous arrêter un instant, au cours du présent
débat que mon préopinant a décrit comme étant historique,
pour nous demander pourquoi nous modifions notre constitution.
Sauf erreur, le processus de la révision de notre constitution
a vu le jour dans la ville de Toronto d’où je viens. C’est sur
l’instigation et sur l’initiative du premier ministre de l’Ontario,
alors l’honorable John Robarts, qu’une conférence fut convoquée.
Autant que je sache, c’est à ce moment-là que fut lancé
au Canada, du moins ces dernières années, le mouvement
tendant à grouper tous les efforts, d’abord amorcés par les
provinces visant à la réforme de la constitution. Or, ce soir,
quelque 14 ou I 5 ans plus tard, nous nous trouvons ici mêlés à
ce qui, j’espère, constituera l’étape finale de ce processus.
A la page 3 du document que nous étudions et qui s’intitule
«Projet de résolution portant adresse commune à Sa Majesté la
Reine concernant la Constitution du Canada», on aperçoit un
titre qui saute immédiatement aux yeux, à savoir «Charte
canadienne des droits et libertés». Cette annexe définit avec
précision les libertés fondamentales suivantes:
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. y compris la liberté
de la presse et des autres grands moyens d’information:
c) liberté de réunion pacifique et d’association.
Au cours des années, des Canadiens de plus en plus nombreux
ont exprimé leur désir de voir ces libertés protégées par
notre constitution et ces concitoyens appartiennent autant à la
majorité qu’aux minorités ethniques ou culturelles du Canada.
Puis-je également vous faire remarquer, monsieur l’Orateur,
que depuis la fin de la guerre, plus de quatre millions de
personnes sont venues s’établir au Canada, d’un océan à
l’autre. C’est surtout chez ces quatre millions de néo-Canadiens
qu’on remarque un vif désir de voir ces droits et libertés
réunis en une charte et inscrits dans notre nouvelle constitution.
Les libertés fondamentales proposées dans cette résolution
garantiront aux Canadiens que leur Etat est sincèrement
déterminé à reconnaître des principes aussi essentiels.
En fin de semaine dernière, à Toronto, j’ai été abordé par un
certain nombre de personnes qui m’ont signifié de leur propore
chef et en des termes non équivoques leur désir de voir une
charte des droits et libertés insérée dans la constitution et qui
se sont dites ravies d’apprendre par les médias que c’est
précisément ce que le gouvernement a l’intention de faire.
C’est également vrai des droits démocratiques, du principe de
la liberté de circulation et d’établissement ainsi que des garanties
juridiques énoncés dans la présente résolution.
Je voudrais parler pendant quelques instants d’un sujet
abordé dans le document sous le titre «Droit à l’instruction
dans la langue de la minorité».
e (2010)
J’éprouve certaines difficultés à réunir tout cela sous un seul
et même titre parce que je considère le Canada comme un pays
où les droits linguistiques se rattachent à des groupes majoritaires
dans certaines régions et minoritaires dans d’autres,
mais ce sont les deux principaux groupes de notre société dont
découlent les droits à l’instruction. Il me semble que les
dispositions de ce projet de loi constituent un très grand pas
dans la bonne voie, compte tenu des circonstances politiques
actuelles et des limites qui nous sont imposées par les consultations
qui se déroulent depuis trois mois entre le gouvernement
d’Ottawa et les premiers ministres des provinces. J’espère
toutefois qu’un jour notre constitution donnera à tous le droit
de faire instruire leurs enfants dans l’autre langue officielle.
On peut considérer l’anglais et le français comme des langues
majoritaires dans certaines régions du Canada et du monde.
Nous possédons un grand atout culturel et linguistique et le
moins que nous puissions faire pour mettre réellement en
valeur ce patrimoine linguistique, c’est de modifier l’article
23(2) un jour ou l’autre, si nous n’arrivons pas à le faire
maintenant, et de cesser d’exiger un nombre suffisant d’enfants
pour pouvoir leur donner l’instruction dans la langue de
la minorité.
A mon avis, il devrait suffire d’un seul enfant canadien.
Autrement, comment un fonctionnaire francophone pourrait-il
ètre muté du Québec en Alberta avec l’assurance que ses
enfants pourront poursuivre leurs études en français’? Songeons
encore à la famille anglophone de Toronto qui souhaiterait,
comme cela se fait de plus en plus dans notre ville, faire
instruire ses enfants en français. De plus en plus de Canadiens
désirent que leurs enfants deviennent tout à fait bilingues et
parviennent à s’exprimer avec une égale compétence dans les
deux langues. Ils espèrent ainsi contribuer à réduire petit à
petit et à combler finalement le fossé qui sépare les deux
principaux groupes culturels de notre pays. En effet, ce but ne
peut être atteint que si l’on fait porter les efforts sur l’apprentissage
d’une langue en bas âge. De plus en plus de Canadiens,
je suis heureux de le dire, pas seulement à Toronto mais à
Vancouver, je crois, et dans d’autres villes, veulent voir leurs
enfants apprendre les deux langues.
Je crois fermement et passionnément que l’époque d’un
Canada unilingue et uniculturel est révolue. Je crois que notre
existence et notre survie en Amérique du Nord reposent
grandement sur la clarté avec laquelle nous avons établi dans
notre esprit-et partant dans notre législation-la qualité
essentielle et le caractère inhérent du Canada, soit le concept
de bilinguisme dont découle naturellement celui du multiculturalisme.
3300 6 octobre 1980
DÉBATS DES COMMUNES
En passant à d’autres parties de ce bill, je me réjouis d’y
trouver une disposition traitant des droits et libertés non
revendiqués relative aux autochtones.
Je me réjouis aussi de constater que l’on y reconnaît pleinement
le principe de la péréquation comme pierre angulaire de
notre Confédération.
En ce qui concerne la formule d’amendement, disons qu’il
s’agit d’une expression à caractère plutôt technique. D’après ce
que je crois comprendre, il s’agit de la règle qui devra être
respectée lorsque nous voudrons apporter des modifications à
notre constitution. La proposition que contient ce bill constitue
à mon avis la quintessence même de la raison. Première étape:
on nous propose d’effectuer encore une dernière tentative au
cours des deux prochaines années. Le député de Colombie-Britannique
trouve drôle que j’emploie l’expression «quintessence
même de la raison», mais je crains qu’à l’instar de son chef, il
soit l’un de ces progressistes-conservateurs à qui ce bill fera
passer à son corps défendant le cap du vingtième siècle. Il est
grand temps qu’ils soient contraints de vivre dans notre siècle,
mais quoi qu’il en soit, c’est leur problème, pas le nôtre.
Permettez-moi donc de reprendre mon explication sur ce que
je décrivais il y a un instant comme étant la quintessence
même de la raison. Première étape: le bill nous annonce qu’au
cours des deux prochaines années, les dix provinces et le
gouvernement fédéral effectueront une nouvelle tentative et
que, s’il y a unanimité en faveur d’une formule donnée, c’est
celle-ci qui sera retenue pour l’avenir, et le problème sera ainsi
résolu.
Deuxième étape: si ces efforts échouent, alors, si je comprends
bien le bill, on soumettra à la population par voie de
référendum une formule acceptée par huit provinces comptant
au moins 80 p. 100 de l’électorat. On demanderait aux Canadiens
de choisir entre cette formule, qui serait très proche de
celle dont les premiers ministres avaient convenu à Victoria, ou
une autre formule que pourrait proposer le gouvernement
fédéral.
Il y a une troisième étape, car il se pourrait que les huit
provinces représentant 80 p. 100 de la population ne puissent
s’entendre sur une formule quelconque. Si c’est le cas, la
formule acceptée à l’unanimité par toutes les provinces en
1971 à Victoria entrerait antomatiquement en vigueur.
M. Friesen: Monsieur l’Orateur, je voudrais poser une question
au député, s’il veut bien le permettre.
M. l’Orateur adjoint: Le député accepte-t-il de répondre à
une question?
M. Caccia: Monsieur l’Orateur, je préférerais poursuivre,
quitte à répondre ensuite.
Quoi de plus raisonnable? Le gouvernement propose trois
étapes progressives. On tenterait encore une fois, au cours des
deux années à venir, de parvenir à une entente avec les dix
gouvernements provinciaux. En cas d’échec, huit provinces
tâcheraient d’arriver à une solution. En dernier recours, il
faudrait procéder par voie de référendum, principe dont les
députés de l’opposition et les premiers ministres provinciaux ne
devraient pas trop s’offenser puisqu’il s’agit en fait de demander
aux Canadiens leur opinion. Cette solution mérite, il me
semble, leur appui puisque nous vivons en régime démocrati-
La constitution
que et que l’opposition loyale a foi en la démocratie. Le
gouvernement propose donc de procéder par étapes; si la
première et éventuellement la deuxième échouent, il s’en remet
au peuple, mais seulement après avoir essayé les autres solutions.
Grâce à ces trois étapes que je viens de décrire, la
formule d’amendement ne serait plus suspendue entre ciel et
terre, comme le tombeau de Mahommet, pour reprendre la
comparaison du sénateur Forsey. La question aura été réglée.
En conclusion, je signale que le changement n’est pas toujours
chose facile et, en l’occurrence, nous incorporons dans
notre constitution des idées nouvelles comme une charte canadienne
des droits et des libertés.
0 (2020)
Les Canadiens changent, le pays change. Nos valeurs, nos
buts ont changé depuis 1867 suite à l’arrivée d’immigrants, de
nouveaux Canadiens, en raison de l’évolution de notre propre
façon de penser en tant que société et à cause de l’idée que
nous nous faisons de nous-mêmes. Quel sera le résultat?
Sera-ce un nouveau Canada? Je dis oui, un nouveau Canada.
Je me hasarde à dire que les historiens se souviendront de la
constitution du Canada proposée par le premier ministre (M.
Trudeau). Ils diront que c’était la décision à prendre en 1980.
Il me semble que la constitution qu’il propose reflète aujourd’hui
la façon de penser de la majorité des Canadiens. Mais,
plus important encore, elle reflète le monde de nos jeunes, le
monde qu’ils voient tous les jours dans les écoles de nos
grandes villes, par exemple. Notre société en pleine croissance
a besoin de faire protéger les droits fondamentaux des citoyens
par le Parlement. Elle demande au Parlement de leur offrir des
choix dans le développement de leurs aspirations, de leurs
talents et de leur patrimoine culturel et linguistique. Elle veut
se voir offrir la possibilité de choisir l’instrument avec lequel
les Canadiens voudront modifier leur loi première, à savoir la
constitution.
C’est essentiellement ce que je vois dans le projet de constitution
du Canada que nous étudions ce soir et qui a été
initialement annoncé jeudi dernier par un Canadien bilingue et
perspicace, Pierre Elliott Trudeau. Il me semble qu’après tant
d’années de négociations et d’efforts, le moment est venu
d’agir. Une fois cette tâche accomplie, le Parlement pourra se
consacrer entièrement à d’autres questions pressantes, mais le
moment historique est arrivé, il est temps d’agir.
Souvenez-vous, monsieur l’Orateur, qu’il y a presque 15 ans
que les provinces ont commencé à réclamer une réforme
constitutionnelle. Combien de temps encore ce processus, qui
n’a pas été amorcé par Ottawa, peut-il se poursuivre?
Souvenez-vous, monsieur l’Orateur, que le Québec a un
gouvernement dont le but est de se séparer du Canada. Ce
gouvernement a tout intérêt à prolonger ce processus constitutionnel.
N’oubliez pas aussi, monsieur l’Orateur, qu’en février
dernier la plupart des Canadiens ont fait confiance à notre
premier ministre qui a l’appui de la majorité des Québécois.
N’oubliez pas, monsieur l’Orateur, que même si les conservateurs
hochent la tête en signe de dénégation, ce même homme,
le premier ministre du Canada, a la confiance et le plein appui
du premier ministre Davis de l’Ontario.
6 octobre 1980
3302 DÊBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
Une voix: Et Claude Ryan?
M. Caccia: Les députés de l’opposition essaient peut-être de
remettre leurs idées en place. Ils n’ont à redouter que leur
propre peur, une peur qui ne franchit pas les murs de cet
édifice, car à l’extérieur nous avons un pays dynamique et
vigoureux, un pays diversifié, beau et désireux de progresser.
Des voix: Bravo!
M. Caccia: Les Canadiens ne nous demandent pas de leur
faire d’autres conférences fédérale-provinciales qui commencent
à leur sortir par les oreilles. Ce qu’ils attendent de nous,
c’est une constitution vraiment canadienne que nous puissions
modifier au Canada.
Des voix: Bravo!
M. Friesen: Monsieur l’Orateur, comme je suis moi aussi un
Canadien bilingue et avisé, je voudrais poser une question au
député de Davenport (M. Caccia) s’il veut bien y répondre. Le
député a parlé de la «quintessence de la raison» à l’égard de la
formule d’amendement. Cette expression sonne tellement bien
qu’il fallait que je la relève. Je voudrais lui demander: si huit
provinces à l’exception de l’Ontario ou du Québec appuient
une certaine mesure ou s’y opposent uniformément, représenteraient-
elles 80 p. 100 de la population?
M. Caccia: Les provinces doivent représenter au moins 80 p.
100 de la population. Par conséquent, cela constitue une base
assez importante. Le député doit savoir que la politique, c’est
l’art d’agir en s’appuyant sur une base solide. Je lui ferais
remarquer que huit provinces représentant 80 p. 100 de la
population constituent une base suffisamment importante,
solide et raisonnable.
Des voix: Bravo!
L’hon. Jake Epp (Provencher): Monsieur l’Orateur, il y a
113 ans, les Canadiens, on pourrait dire les simples citoyens
canadiens, s’unirent pour créer un pays, une confédération.
C’est une tâche qui sortait de l’ordinaire et leurs efforts ont
déjà été jugés remarquables par l’histoire. Cette tâche s’impose
de nouveau à nous aujourd’hui et, ce soir, c’est cet esprit de
confédération que je voudrais faire revivre à la Chambre et à
nos concitoyens, l’esprit qui a présidé à la naissance de notre
pays, et qui doit de nouveau nous animer aujourd’hui si nous
voulons parvenir aux transformations constitutionnelles auxquelles
aspirent un grand nombre d’entre nous.
Notre pays a été fondé sur l’intégrité, la confiance mutuelle
et avant tout sur le compromis. Le Canada s’est révélé un pays
difficile à gouverner. Il a fallu beaucoup de sagesse, de désir de
collaborer et aussi des concessions réelles de la part de nos
dirigeants politiques.
Aujourd’hui le premier ministre (M. Trudeau) veut tenter
de mettre la dernière touche à l’édification de notre pays en
parachevant sa structure. La conduite et l’attitude qu’il affiche
depuis quelques mois laissent supposer que la structure sera
terminée dans une atmosphère de méfiance, de discorde et
d’affrontement. Si on laisse faire le premier ministre, loin de
favoriser le déroulement futur de toute réforme constitutionnelle,
il écartera plutôt toute possibilité de réforme fondée sur
l’unanimité des participants.
Le Canada souhaite rapatrier sa constitution afin de pouvoir
la modifier. Un grand nombre de Canadiens réclament des
modifications constitutionnelles majeures. Le moment est venu
de donner suite à leurs réclamations, mais nous ne pourrons y
parvenir que d’une manière typiquement canadienne. Nous ne
pouvons faire fi de 113 ans d’expérience qui nous ont enseigné
les impératifs de la collaboration et du compromis. Toute
action unilatérale et toute politique d’affrontement, loin de
représenter le terme de nos débuts, vont plutôt signifier le
commencement de la fin. Nos chefs politiques avaient
approuvé un régime qui était conforme à notre réalité sociopolitique
et je crois que cette réalité existe toujours aujourd’hui.
En premier lieu, le Canada est une fédération, une
association et c’est là la réalité essentielle à notre point de vue.
Le premier ministre propose plutôt de subordonner les provinces
au gouvernement central. Les provinces réagissent alors
aux circonstances et à l’atmosphère ainsi créée en rejetant
toute nouvelle proposition d’arrangement. En tant que députés
au Parlement, nous avons donc le devoir de nous demander ce
qui est le plus favorable aux intérêts de notre pays. De ce
côté-ci de la Chambre, nous croyons que les deux niveaux de
gouvernement doivent être forts. Il doit régner un équilibre
fondé sur des moyens de contrôle mutuel et cet équilibre ne
doit pas être brisé. Le gouvernement central n’a ni le droit ni le
pouvoir de modifier le partage des compétences sans l’accord
de ses partenaires provinciaux et aucune province n’a le droit
de ramener le rôle du gouvernement central à celui de «président
du conseil d’administration» uniquement.
a (2030)
Ces derniers mois, j’ai été bouleversé, comme d’autres l’ont
certainement été aussi, d’entendre divers commentateurs prétendre
que nos dirigeants politiques de 1867 avaient en réalité
l’intention de créer un gouvernement central dominant des
contreparties régionales subordonnées appelées provinces. Ces
gens-là soulignaient que de vastes pouvoirs avaient été délégués
au gouvernement fédéral, notamment le pouvoir de désaveu.
Pourtant, à la naissance de la Confédération, il avait été
proposé que le gouvernement fédéral suive l’exemple de la
Nouvelle-Zélande qui avait adopté le principe d’un fort pouvoir
de désaveu. On a rejeté cette position. Puisque nous
voulons rapatrier notre constitution écrite pour la modifier, il
faut commencer par nous rappeler en quoi consiste ce document
que nous voulons modifier. L’Acte de l’Amérique du
Nord britannique ne précise pas toutes les règles du fonctionnement
de notre régime politique. La plupart de ces règles ne
sont pas écrites mais ont évolué au fil des siècles pour devenir
des conventions. C’est donc à nos risques et périls que nous
déciderions de rejeter cette expérience séculaire. Nous, Canadiens,
pouvons nos enorgueillir d’avoir hérité du régime démocratique
le plus admiré dans le monde, soit le régime parlementaire
britannique. Pour sa part, le Canada a couché sur le
papier quelques-unes de ses règles, car, contrairement à la
Grande-Bretagne, notre pays est une fédération. La plupart de
ces dispositions réglementaires figurent dans l’Acte de l’Amérique
du Nord britannique qui décrit les institutions fondamentales
propres à chaque niveau de gouvernement ainsi que
leurs pouvoirs respectifs. En d’autres termes, la constitution
écrite du Canada définit notre régime fédéral. L’Acte de
l’Amérique du Nord britannique est le fruit de discussions
tenues et de concessions mutuelles consenties par des représentants
des différentes colonies de l’Amérique du Nord britannique.
Un bon nombre de chefs politiques canadiens de l’époque
auraient préféré créer une union législative ou un Etat unitaire.
Faisait partie de ce groupe le premier de nos premiers
3302 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES 3303
ministres, sir John A. Macdonald, qui aurait préféré une union
de type législatif, mais qui s’est rallié au principe d’un système
fédératif. La question suivante s’impose: en dépit de leurs
antécédents et de leurs préférences personnelles, pourquoi
ont-ils choisi de fonder une fédération? J’aimerais vous citer
les propos de John A. Macdonald qui a dit qu’en Nouvelle-
Zélande, même si certains pouvoirs déterminés avaient été
accordés aux assemblées législatives locales, le gouvernement
central était en mesure de les balayer. Ce qui était précisément
ce dont ils ne voulaient pas. Le Bas-Canada et les basses
provinces-les Maritimes à l’époque-n’allaient pas accepter
une chose pareille. Aujourd’hui, les dix provinces-et j’inclus
les deux territoires au nord du soixantième parallèle-n’accepteront
pas non plus une chose pareille car leurs pouvoirs
seraient balayés. Voilà la réalité à laquelle nous sommes
confrontés. Conscients de cette réalité politique, les Pères de la
Confédération ont limité le pouvoir de désaveu de façon que
les gouvernements provinciaux demeurent suffisamment forts
pour protéger leurs pouvoirs traditionnels. Il ne saurait être
question de revenir là-dessus maintenant.
Lorsque lord Canarvon, qui avait collaboré à l’intégration
des résolutions du Québec dans l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique, a présenté cette mesure au Parlement britannique,
il a défini la nature du pacte confédératif. Au commencement
de ce débat, je pense qu’il est important de comprendre
ce pacte. Je voudrais citer de lui les propos suivants:
L’adoption des principes d’une fédération, au lieu de ceux d’une union législative,
qui aurait été préférable si elle avait pu se faire, découle simplement de l’absolue
nécessité d’un ajustement des intérêts locaux fondamentaux et de la recherche
ultime du compromis entre les provinces.
Puis, il a expliqué de la façon suivante le rôle des institutions
britanniques dans cet accord:
… comme l’arrangement est une question de compromis mutuels de la part des
provinces, une autorité extérieure doit en sanctionner l’agrégat … Il me semble
que c’est là le rôle que nous devons remplir à l’égard de ce bill.
Il parlait évidemment de l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique. Je crois que ses paroles n’ont rien perdu de leur
actualité, c’est-à-dire que l’agrégat qui fut alors formé a été
incorporé à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que
tout amendement, toute modification ou encore la nouvelle
constitution de 1980 ne peuvent altérer profondément cette
association sans accord préalable des parties.
Des voix: Bravo!
M. Epp: Il est par conséquent essentiel que la constitution
établisse le caractère sacré de la fédération et le pouvoir
suprême des gouvernements fédéral et provinciaux tels que
prévus par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Depuis 1867, le Parlement britannique est l’autorité extérieure
qui veille au respect de l’accord confédératif. Les Canadiens
autochtones ont raison de dire que c’est là une partie du
marché conclu en 1867 et qu’ils en font eux-mêmes partie.
Certains députés et peut-être certains Canadiens n’apprécieront
probablement pas que je rappelle que les autochtones
étaient partie prenante dans ce marché. Hélas! on ne peut
récrire l’histoire. Si nous voulons avoir un régime juste, nous
devons absolument reconnaître que les droits des autochtones
étaient inscrits dans l’Acte de l’Amérique du Nord
britannique.
La constitution
On a pu voir, au cours des cent dernières années, que
l’autorité de Londres est bien plus théorique qu’effective. Le
Parlement britannique, nonobstant toutes les déclarations contraires
des ministres de la Couronne, n’a pas apporté de
modifications majeures à la constitution canadienne,. sauf à la
requête officielle du Canada. Le premier ministre (M. Trudeau)
et son cabinet se sont amusés à déformer la réalité en
disant ou en laissant croire qu’il faut rapatrier la constitution
pour mettre fin à la tutelle de Londres. Tout récemment, le
ministre de l’Environnement (M. Roberts) a avancé cette idée
sur les ondes de notre radio nationale, en sous-entendant qu’à
moins de rapatrier la constitution, le Canada va être assujetti à
toute une série de lois votées à Londres. C’est absolument
faux.
Par exemple, dès 1925, le premier ministre Mackenzie King
pouvait affirmer en toute confiance à la Chambre que le fait
d’avoir à passer par le Parlement britannique pour faire adopter
des modifications n’était nullement un signe de la subordination
du Canada. Pourtant, depuis les années 20, les Canadiens
ont exprimé périodiquement le désir de mettre fin à cette
tutelle théorique, non parce qu’elle constitue une menace réelle
à la souveraineté du Canada, mais afin d’affirmer leur indépendance.
Je partage ce point de vue, ainsi que mes collègues.
Le rapatriement-c’est-à-dire faire en sorte que notre constitution
nous appartienne réellement en propre-a pris une
importance croissante pour tous les Canadiens, surtout les
Canadiens de moins de 30 ans. Je crois qu’il s’agit d’un acte de
confiance nationale, d’une affirmation de l’harmonie et de
l’unité futures de notre grand pays. En outre, il faut montrer
aux Canadiens et au reste du monde que nous sommes un pays
souverain. A cet égard, nous n’avons aucun point de désaccord
avec le premier ministre pour ce qui est du rapatriement. Nous
pourrions entrer dans les détails pour ce qui est de la méthode
employée, mais je ne crois pas que cela soit nécessaire. Le
ministre de la Justice (M. Chrétien) a brossé un aperçu
historique, énumérant toutes les tentatives de rapatriement qui
ont été entamées, mais il est un fait que tous les députés
doivent garder en mémoire. Il s’agit des modifications apportées
à la loi en 1949, alors que le très honorable Louis
St-Laurent était premier ministre. A ce moment-là, en 1949, le
premier ministre de l’époque a donné aux députés l’assurance
que le Parlement limitait ses pouvoirs de modifier unilatéralement
la constitution pour ne pas porter atteinte aux droits des
provinces et à ceux des minorités qui figurent dans la constitution.
C’est un premier ministre libéral qui a donné cette
assurance à la Chambre il n’y a pas tellement d’années. Il a
précisé que des garanties devraient être la condition nécessaire
et préalable de toute formule complète d’amendement de la
constitution. Il s’est exprimé en ces termes:
Nous ne voulons pas que la constitution canadienne soit trop rigide, mais nous
insistons pour qu’elle garantisse le plus complètement possible les droits des
provinces et les autres droits historiques qui sont le dépôt sacré de notre
association nationale.
Ce premier ministre libéral reconnaissait le caractère de
notre pacte fédératif et admettait ainsi que si on devait le
modifier, c’était en s’appuyant sur le consensus le plus général
possible et non pas en déclarant tout simplement: «Je suis le
premier ministre. Vous n’avez pas le choix, car j’en ai décidé
ainsi.» Voilà la différence. Elle est très simple et tient à
l’attitude. C’est la seule façon dont le pays pourra fonctionner
et fonctionnera effectivement.
80089-64
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES 3303
DÉBATS DES COMMUNES 6octobre 1980
La constitution
e (2040)
Il est de notre devoir en tant qu’opposition officielle de nous
méfier des manoeuvres du premier ministre (M. Trudeau), non
sur la question du rapatriement comme tel, mais en ce qui a
trait à ses autres desseins? Quels sont ses autres buts? Aujourd’hui,
par exemple, le ministre de la Justice a dit que c’était la
première étape, que la seconde consisterait à examiner le
partage des pouvoirs.
J’en viendrai à la formule d’amendement dans un instant.
Voyez comme les provinces sont méfiantes, inquiètes, et opposées
aux méthodes utilisées si une formule d’amendement est
adoptée pour laquelle on ne leur demande même pas leur avis,
encore moins leur approbation. Et on nous dit que la prochaine
étape portera sur le partage des pouvoirs. Les premiers ministres
des provinces n’auront d’autre choix dans les circonstances
que de s’opposer fermement à ce qui se passe à la Chambre des
communes.
A part le rapatriement-et je passe un certain temps là-dessus
ce soir parce qu’il y a des députés d’en face qui n’arrêtent
pas de le répéter comme si on n’était pas généralement d’accord
sur la question du rapatriement-quels changements
faut-il alors apporter à la constitution, si c’est fondamental?
Nous devons alors nous demander au non de quelle autorité et
comment changer les dispositions? Chaque province, si grande
ou petite soit-elle, a renoncé à certains des pouvoirs qu’elle
détenait avant de devenir une province en faveur d’un gouvernement
fédéral fort. Mais à cause de son histoire et de son
caractère uniques, chaque province conserve certains pouvoirs
nécessaires au maintien de son patrimoine. Les provinces de
l’Ouest, que le gouvernement fédéral a créées, ont été établies
aux termes de certaines conditions qui ont été ajoutées à l’Acte
de l’Amérique du Nord britannique, conditions qui, à mon
avis, ne peuvent être modifiées de façon unilatérale. Il a fallu
un amendement constitutionnel en bonne et due forme par
exemple, pour modifier les dispositions en 1930, et c’était celui
qui concernait les trois provinces des Prairies de l’Alberta, de
la Saskatchewan et du Manitoba, en vertu duquel nous avons
finalement obtenu le contrôle de nos ressources naturelles,
chose que les autres provinces avaient déjà. Comment pouvezvous
dire aux provinces, aux citoyens, pas aux premiers ministres,
aux citoyens de ces provinces que soudainement il doit y
avoir un nouvel arrangement au niveau de la propriété et du
contrôle des ressources quand le Manitoba, par exemple, a
passé une plus longue partie de son histoire sans contrôle sur
ses ressources qu’elle n’en a passée à voir contrôler ses ressources?
Sur le plan économique, monsieur l’Orateur, c’est la seule
façon pour ces provinces de parvenir à l’égalité économique.
Ce que nous dit le premier ministre à propos de sa formule
d’amendement, c’est qu’il est possible de mettre au point une
telle formule sans l’accord général des provinces. Je ne pense
pas que cela puisse marcher. Par exemple, le premier ministre
a dit que pendant deux ans, il garantira la protection des droits
provinciaux en appliquant la convention du consentement unanime.
Apparemment, cela suppose que les provinces et le
gouvernement fédéral ont deux ans pour trouver une formule
d’amendement plus souple et que cette disposition les obligera
à prendre une décision. Or, tant que le gouvernement actuel
restera au pouvoir, rien ne l’incitera à négocier de bonne foi.
Pourquoi? Parce que le premier ministre a rejeté continuellement
toutes les suggestions à l’exception de la charte de
Victoria, et le gouvernement fédéral trouverait inacceptable
toute nouvelle formule qui s’écarterait substantiellement de
cette charte. Il est impossible de se mettre d’accord si le
gouvernement fédéral insiste pour conserver en main un tel
atout.
Le premier ministre a proposé comme solution un référendum
demandant à la population de choisir entre la proposition
du gouvernement fédéral et celle présentée par huit gouvernements
provinciaux. Le consensus de Vancouver prévoyait que
les modifications devaient être adoptées par sept provinces
représentant 50 p. 100 de la population. Personnellement, je ne
crois pas que la formule qui prévoit l’unanimité puisse marcher
et l’expérience le démontre, je pense. D’un autre côté, je ne
pense pas que 50 p. 100 suffisent. J’aurais préféré, quant à
moi, une majorité de deux tiers. Mais si on accédait au désir
du premier ministre qui voudrait qu’avant même que la population
puisse se prononcer sur une formule d’amendement, il
faille l’accord de huit provinces représentant 80 p. 100 de la
population, on peut voir tout de suite, sans se lancer dans de
longs calculs, que deux provinces auraient un droit de veto.
D’un autre côté, il faut un certain nombre de provinces plus
petites, qui ne représenteront jamais 20 p. 100 de la population,
simplement pour que la question puisse être posée aux
Canadiens.
En outre, la charte de Victoria soulève de vives objections.
Les gens peuvent se demander pourquoi on était géRéralement
d’accord sur la charte de Victoria de 1971 et la formule
d’amendement. En fait la principale opposition à la charte de
Victoria est venue de l’ouest du Canada, car l’Ouest a changé
au cours des dix dernières années. En effet, notre population
s’est accrue, notre économie s’est affermie et nous ne pouvons
accepter que les provinces ne soient plus traitées en partenaires
égaux. Nous ne pouvons accepter ce principe, car en vertu des
propositions de Victoria, il aurait fallu qu’au moins deux
provinces des Maritimes ou de l’Ouest soient d’accord et
qu’elles renferment 50 p. 100 de la population. A toutes fins
pratiques, la Saskatchewan et le Manitoba auraient-elles pu
bloquer un amendement qui aurait attaqué leurs droits? Non,
naturellement. L’Alberta et la Colombie-Britannique sont toujours
prêtes à s’aider et à l’heure actuelle la Colombie-Britannique
pourrait faire front commun avec toute autre province
de l’Ouest. Donc essentiellement, toute formule d’amendement
doit comporter deux critères. En premier lieu, la Chambre et le
Sénat doivent l’approuver, car toute la population et la façon
dont elle est répartie sont représentées dans cette enceinte.
Personne n’oserait en discuter puisque c’est la raison pour
laquelle nous sommes ici. Plus la population d’une province est
nombreuse plus celle-ci envoie de représentants. Voilà le premier
critère. Mais on ne peut demander aux provinces de
revenir sur le critère de la population. Par conséquent, le
consensus intervenu à Vancouver reconnaissait l’égalité des
provinces. Je préviens le premier ministre et ses collègues que
nous insisterons beaucoup pour que ce critère figure soit dans
la résolution soit dans le rapport du comité afin que cela fasse
partie de notre constitution.
DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
DÉBATS DES COMMUNES
Faites confiance aux gens. Tel est l’argument développé par
le député de Davenport (M. Caccia) et le ministre de la Justice
(M. Chrétien). Eh bien, monsieur l’Orateur, je fais confiance
aux gens. Chaque député ici présent doit faire confiance aux
gens car c’est ainsi qu’il a été élu. En fin de compte, il faut se
soumettre au jugement de ceux dont vous réclamez l’appui.
Mais il reste une question. Avant que j’en vienne même à
l’article 42 qui est pour nous très pénible, il y a l’exigence des
51 p. 100 de majorité. On dit que la majorité doit gouverner.
C’est vrai en démocratie pure. Mais jetons un coup d’oeil aux
difficultés pratiques de la constitution. Si on s’en tient à la
règle absolue de la majorité des 51 p. 100, à partir de ce
principe, tous les dictateurs du monde ont eu raison, et ils
avaient le droit de supprimer les droits des minorités.
Une voix: Auschwitz.
* (2050)
M. Epp: Il est bien certain qu’en Allemagne, en plein milieu
des années 30, le leader de l’époque avait une majorité absolue
de 51 p. 100. Mais qu’est-il advenu de la minorité? Par
conséquent, si vous voulez que la majorité gouverne, si la
constitution ne comporte pas de freins et contrepoids, vous
pouvez également rendre la majorité tyrannique. A ce propos-
j’aimerais entrer dans les détails, mais je n’en ai pas le
temps-je voudrais vous parler d’un humaniste qui m’a fortement
influencé à cet égard, un certain Francis Schaefer. Il dit
qu’en fonction de ce principe, la loi et la morale-et c’est ce
que détermine une constitution-deviennent une question de
moyenne et sont absolues.
En tant que députés, ne l’oublions pas et ne perdons jamais
de vue le fait que l’on peut faire mentir les moyennes et jouer
avec les statistiques. Je ne voudrais pas dénigrer la presse ou
mes collègues de la Chambre, mais nous admettrons tous, je
pense, que nous pouvons dans une certaine mesure insuffler
certaines idées aux gens.
Qu’arriverait-il si, à l’occasion d’un référendum, la presse et
les leaders politiques conjuguaient leurs pouvoirs de persuasion
pour convaincre la majorité que telle option est la bonne?
Nous aurions vite fait de constater que la majorité n’en était
pas vraiment une et que cette complète victoire a été obtenue
aux dépens de tous et chacun. Je dis à tous les députés que
lorsque nous nous formerons en comité nous devrons être très
prudents à l’égard des référendums, car très souvent c’est la
minorité-et nous disons avoir ici une charte destinée à la
protéger-qui doit subir la tyrannie d’une majorité de 51 p.
100.
Même si mon chef a longuement discuté de l’article 42, il
vaut la peine de répéter, je pense, pourquoi nous nous y
opposons. Les problèmes posés par l’imposition unilatérale de
la formule d’amendement de Victoria ne sont pas grand-chose,
je pense, à côté de ceux que suscitent les autres formules
exposées aux articles 42 et 46 de la résolution. De toute façon,
avec ses propositions, le gouvernement fédéral vous a à tous les
tournants.
Les fonctionnaires fédéraux, les média et les députés n’ont
accordé que très peu d’importance à cet article qui pourrait
pourtant altérer de façon fondamentale l’avenir de notre
régime fédéral. Selon l’article 42, le gouvernement fédéral
pourrait par une simple majorité au Parlement tenir un référendum
sur n’importe quel amendement à la constitution. Si la
La constitution
proposition du gouvernement fédéral remporte une majorité
simple au Canada, par exemple en Ontario et au Québec ou
dans deux provinces de l’Ouest et dans deux provinces de l’Est
avec 50 p. 100 de la population dans chaque région, il peut
supprimer n’importe lequel des droits traditionnels des minorités
des provinces sans avoir même à consulter les assemblées
législatives, et encore moins à obtenir leur accord.
C’est manifestement là un affront au régime fédéral. Certains
ont dit que l’article 42 n’est peut-être qu’une proposition
de négociation que l’on peut laisser tomber. Si c’est le cas, je
recommande fortement au gouvernement de la laisser tomber.
Je crois qu’il faudrait consulter directement la population en
cas d’impasse, mais en dernier ressort seulement. L’article 42
ne pose pas cette condition. En fait, il peut constituer lui-même
une formule d’amendement de premier ordre. Comme je l’ai
dit, nous voulons rapatrier la constitution, mais nous n’acceptons
pas la formule modifiée de Victoria et nous rejetons
absolument l’article 42.
Je voudrais d’abord dire quelques mots sur le consensus de
Vancouver. Le premier ministre (M. Trudeau) a souvent
critiqué le consensus de Vancouver à cause de la disposition
qui permet le désistement. Pourtant, si un amendement doit
s’appliquer à toutes les provinces, les gouvernements fédéral et
provinciaux ont l’obligation de trouver un compromis convenable.
C’est une tradition de notre pays. Le premier ministre
prétend que cette formule aurait pour résultat de faire du
Canada un échiquier. Personnellement, je ne vois pas notre
pays comme un échiquier mais plutôt comme une mosaïque.
S’il faut la modifier, nous devons revenir à l’essence de ce
qu’est le Canada.
Notre pays est un échiquier. C’est pour cette raison qu’il
s’agit d’une fédération et non d’un Etat unitaire. Nous aimerions
faire comprendre au gouvernement que nous ne prétendons
pas que le consensus de Vancouver ou une autre formule
soient parfaits, mais le gouvernement ne devrait pas nous dire
non plus que sa formule est parfaite et que si nous ne sommes
pas d’accord, il nous l’imposera de toute façon. Ce n’est pas
ainsi que notre régime fonctionne.
D’autres points méritent d’être mentionnés. Par exemple,
l’enchâssement du principe de la péréquation. Notre parti
appuie ce principe depuis assez longtemps. Le chef du Nouveau
parti démocratique (M. Broadbent) a laissé entendre
aujourd’hui que nous étions contre la péréquation. Il n’en est
rien. Mon parti soutient depuis toujours qu’on devrait laisser
aux provinces la propriété et la gestion des ressources
naturelles.
C’est sur ce point qu’à mon avis le Nouveau parti démocratique
manque le plus de logique. Je me demande si c’est à
cause du premier ministre de la Saskatchewan que le chef des
néo-démocrates s’est senti obligé de dire que les richesses
naturelles devraient appartenir aux provinces. Nous sommes
d’accord sur ce point et c’était également la position de notre
gouvernement. Si je comprends bien les politiques et le programme
électoral des néo-démocrates, ils se disent en faveur
d’une stratégie industrielle nationale et de la nationalisation de
l’industrie pétrolière d’une part; mais, d’autre part, ils veulent
que les provinces possèdent et gèrent les richesses naturelles.
Comment peuvent-ils concilier les deux? On ne peut pas
gagner sur tous les tableaux.
6 octobre 1980
3306 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
Le NPD dit d’une part-et c’est à mon avis pour des raisons
politiques-que les provinces devraient être propriétaires de
leurs ressources naturelles, puis il change carrément d’avis et
dit qu’il faudrait nationaliser ces mêmes ressources tout en
laissant l’administration, le contrôle et la propriété aux gouvernements
provinciaux.
M. Broadbent: Tout comme la potasse en Saskatchewan.
Vous pouvez bien comprendre cela, non?
M. Epp: Je pense que j’ai encore touché un point sensible,
car j’entends le chef du Nouveau parti démocratique. Il y a un
autre point sur lequel il est bon d’insister, et c’est celui-ci: dans
tout ce projet de résolution, aucune allusion n’est faite aux
Canadiens qui vivent au nord du 60, parallèle. Les a-t-on
oubliés? N’ont-ils pas leur place dans les plans du premier
ministre? Je suppose qu’ils feront partie de la «majorité
simple» dont il parle, dans un référendum.
Une voix: Et ils sont 25,000.
M. Clark: Quelqu’un les a rabaissés en disant qu’ils sont
25,000. Je crois que c’est le député d’Ottawa-Centre (M.
Evans).
M. Nielsen: C’est typique!
M. Epp: Si les libéraux veulent dire qu’il y a 25,000
habitants au Yukon et 45,000 dans les Territoires du Nord-
Ouest, c’est d’accord, mais l’important c’est que ce sont des
Canadiens.
* (2100)
Une voix: Et les minorités.
M. Epp: Elles ont les mêmes droits et privilèges que moi. Il
ne s’agit pas ici de statut provincial, mais la formule d’amendement
ne mentionne même pas l’existence des territoires.
Une voix: Ils ne votent même pas à l’occasion d’un
référendum.
M. Epp: C’est vraiment inacceptable. Je voudrais maintenant
parler de la charte des droits. A un moment donné, il
nous faudra décider si nous devons protéger nos droits au
moyen d’une charte ou d’une convention comme il en existe
dans le système parlementaire britannique. Une chose qu’il ne
faut pas oublier, c’est que, quelle que soit notre idée de la
façon dont ces droits sont les mieux protégés, chacun d’entre
nous estime que nous avons des droits fondamentaux, qu’on les
respecte au Canada et que tous les partis, tous les députés
comptent bien en assurer la défense. Là n’est pas la question.
Ce qui importe, c’est ceci: quelle est la meilleure manière de
protéger ces droits?
Par exemple, à la conférence des premiers ministres, le
premier ministre (M. Trudeau) a soutenu, et je pense qu’il
était sincère, que c’était parce qu’il n’existait pas de charte de
droits que les Canadiens d’origine japonaise ont été refoulés de
la Colombie-Britannique vers d’autres régions du Canada. J’ai
dans ma propre circonscription une collectivité de Canadiens
d’ascendance japonaise et je me suis entretenu avec eux de
leurs malheurs passés. Ce que je veux signaler, c’est que le
premier ministre a voulu démontrer que si la constitution avait
comporté une charte des droits, cela ne serait jamais arrivé. Ce
n’est pas vrai, car les Etats-Unis ont fait la même chose bien
que leur constitution écrite comporte une charte des droits. Je
ne cherche pas à justifier l’action des Etats-Unis ni celle du
Canada à cette époque. Ce n’est pas mon but. Ils ont eu tort
tous deux. Au moment où la question sera examinée en comité,
il ne faudra pas se demander si nous avons des droits fondamentaux,
mais plutôt nous interroger sur la meilleure manière
de les protéger.
Des voix: Bravo!
M. Epp: Bien entendu, cela peut sembler indiquer que nous
ne faisons pas confiance au système judiciaire. Ce n’est pas le
cas, monsieur l’Orateur. Je ne veux aucunement laisser entendre
que les tribunaux n’ont pas un rôle important à jouer
lorsqu’il s’agit de protéger les libertés individuelles. Lorsqu’il
existe une déclaration des droits qui fonctionne bien, les tribunaux
rendent une bonne partie des décisions à cet égard, mais
leur rôle est surtout consultatif. Cette question relève avant
tout du Parlement et des assemblées législatives. Quand les
droits sont prévus par la constitution et que c’est aux tribunaux
qu’il appartient de prendre les décisions définitives, le système
judiciaire doit faire preuve de prudence s’il ne veut pas qu’on
l’accuse de manquer d’objectivité ou de mal interpréter les
intentions des auteurs de la Déclaration des droits et de créer
des précédents impossibles à respecter. Tant que les tribunaux
se contentent de jouer un rôle consultatif, comme le prévoit la
Déclaration des droits du très honorable John Diefenbaker, ils
se sentent plus libres de rendre des décisions claires et
catégoriques.
Selon moi, une Déclaration des droits est surtout utile parce
qu’elle reflète les objectifs que nous devons tous viser. Ce que
j’essaie de dire, c’est que le fait d’insérer une charte des droits
dans la constitution n’est pas seulement un geste symbolique.
Cela modifie profondément la nature même de la responsabilité
politique dans notre régime parlementaire.
Si je puis me pencher sur un détail, je signale que la
résolution prévoit l’établissement d’un comité mixte. Ce comité
serait chargé d’examiner un projet de résolution concernant le
rapatriement et la modification de la constitution du Canada.
Le gouvernement fédéral propose que la Chambre établisse ce
comité formé de représentants de tous les partis pour étudier
son projet de résolution. Le comité serait autorisé à entendre
des témoins, ce qui garantirait une plus grande participation
des citoyens. Depuis des mois, notre parti préconise que la
réforme constitutionnelle soit amorcée avec la participation de
représentants de tous les partis politiques et de toutes les
régions du Canada de même que de certains autres groupes
comme les autochtones. Nous avons parlé d’une «assemblée
constitutionnelle». Maintenant, nous avons un comité constitutionnel.
Je ne veux pas ergoter sur les mots ou sur le rôle du
comité, mais ce qui est essentiel, c’est que les Canadiens
puissent faire valoir leurs opinions.
3306 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
DÉBATS DES COMMUNES
Il y a beaucoup de précédents pour tenir une assemblée
constitutionnelle. Par exemple, une telle assemblée a été convoquée
à Philadelphie, aux Etats-Unis, dans les années 1770.
Après les bouleversements de la Seconde Guerre mondiale, les
citoyens de l’Allemagne de l’Ouest se sont réunis pour mettre
au point leur constitution. Peu après, ils constituaient un pays
fondé sur la démocratie. Ils connurent une révolution économique,
l’«oeconomisches wunder» qui inspira la société économique
et industrielle dont nous faisons également partie
aujourd’hui.
M. l’Orateur, les précédents sont nombreux à nous prouver
qu’il n’y a pas lieu de nous inquiéter pour ce qui est de faire
participer nos concitoyens à l’élaboration de la constitution. La
question ne devrait pas nous poser de problème. Cela signifie
avant tout que le délai fixé au 9 décemblre pour le comité n’est
simplement pas suffisant. Si nous voulons honnêtement que les
Canadiens puissent se faire entendre, que la résolution soit
dûment étudiée, nous ne pouvons nous contenter de moins de
deux mois. Ce n’est simplement pas possible.
Des voix: Bravo!
M. Epp: En outre, le rapport du comité doit être rédigé au 9
décembre. A cette fin, le comité devrait mettre fin à ses
délibérations peut-être deux semaines avant le 9 décembre.
C’est une insulte aux Canadiens que de leur demander de
souscrire à pareille chose.
Les Canadiens pourront se faire entendre-s’ils peuvent
venir à Ottawa.
Une voix: S’il n’y a pas de grève.
M. Epp: C’est ici que le comité doit siéger. M. l’Orateur, je
ne crois pas personnellement qu’il y ait lieu de confier au
comité un mandat indéfini; à mon avis, c’est maintenant qu’il
faut agir au chapitre de la réforme constitutionnelle. Mon
parti proposera que le délai soit prolongé d’un minimum de six
mois. En effet, le 10 juin dernier, le premier ministre proposait,
devant la Chambre, un nouveau délai qu’il comptait
imposer cette fois aux premiers ministres provinciaux. Je suis
convaincu, et je n’hésite pas à l’affirmer devant mes collègues,
que cette date limite a largement contribué à l’échec des
pourparlers qui se sont déroulés au Centre des conférences.
Quant à la question d’un quorum, il est proposé que 12 des
25 membres du comité constitueront un quorum et pourront
prendre des décisions. Ces 12 membres doivent représenter les
deux Chambres mais la résolution ne parle pas de la représentation
par parti. Le gouvernement envisage-t-il sérieusement
de faire prendre une décision au Parlement sans que les partis
de l’opposition soient représentés à la table où cette décision
sera prise?
Une voix: C’est typique de la part des libéraux.
M. Epp: Je pourrais les accuser de toutes sortes de choses,
mais je n’aurais pas cru qu’ils se seraient rendus coupables de
ce genre d’initiative.
Une voix: Vous êtes d’un naturel trop confiant.
M. Epp: Pour qu’un comité puisse entendre des témoignages,
il faut que le quorum de six soit atteint et que les deux
La constitution
chambres soient représentées. Mais le quorum peut fort bien
être atteint même si un seul parti est représenté.
Le député d’Ottawa-Centre (M. Evans) dit que j’ai tort. Je
lui conseille de lire son propre avis de motion, car c’est
exactement ce qu’il dit. C’est une modification que nous
voulons, monsieur l’Orateur.
Je reconnais que le rapatriement et la formule d’amendement
à l’unanimité applicable pendant deux ans sans l’accord
des provinces constitue déjà un amendement important; mais
nous ne devrions pas aller plus loin pour l’instant. Nous
devrions rapatrier la Constitution puis la changer ici au
Canada au lieu de demander à la Grande-Bretagne de le faire
pour que nous puissions ensuite la rapatrier. Si nous sommes
un pays mûr-ce dont je suis convaincu-qu’on nous laisse la
chance de faire preuve de notre maturité et d’exercer nos
responsabilités et qu’on ne laisse pas à quelqu’un d’autre le
soin de le faire.
Le vieil adage nous rappelle que Rome ne s’est pas faite en
un jour. Je ne voudrais pas qu’on s’éternise sur la question
parce que je pense que ce débat pourrait finir par déchirer le
pays, car les différents points de vue peuvent être éternellement
ressassés.
a (2110)
Mais le premier ministre a dit qu’il avait fait des promesses
au cours de la campagne référendaire.
M. Clark: Et il y a manqué.
M. Epp: Je tiens à lui dire qu’il ne faudrait pas aller
envenimer davantage le climat au Québec, dans l’Ouest du
Canada, ou ailleurs par trop de témérité. Nous ne devons pas
mettre en péril le fonctionnement harmonieux du régime fédéral.
Aussi, étant donné les pressions qui s’exerceront de toutes
parts pour que le gouvernement apporte plus de changements
que ceux dont j’ai parlé, je l’invite à s’en tenir à la voie tracée
par les Pères de la Confédération, c’est-à-dire à chercher à
discuter et à s’entendre. C’est la façon canadienne de procéder,
à mon avis, et c’est celle que nous devons adopter.
Des voix: Bravo!
M. Evans: Monsieur l’Orateur, je tiens à préciser à l’intention
du compte rendu officiel les propos que le très honorable
chef de l’opposition (M. Clark) m’a attribués. Je les ai tenus
pour répondre au député de Provencher (M. Epp) qui venait de
dire que les habitants du Yukon et des territoires du Nord-
Ouest ne sont pas représentés. J’ai dit que tous et chacun de
ces 25,000 habitants le sont.
M. Nielsen: C’est inexact.
M. Evans: Le député de Yukon (M. Nielsen) siège à la
Chambre et représente les 25,000 Canadiens qui habitent le
Yukon. Les Canadiens des territoires du Nord-Ouest sont
représentés par deux députés, dont l’un se réclame du Parti
progressiste conservateur et l’autre du Nouveau parti démocratique.
Je ne voudrais pas que mes propos passent pour
désobligeants, monsieur l’Orateur. Les Canadiens du Yukon et
des territoires du Nord-Ouest sont bel et bien représentés à la
Chambre au cours du présent débat sur la constitution.
Des voix: Bravo!
6 octobre 1980 3307
DÉBATS DES COMMUNES
La constitution
L’hon. Bud Cullen (Sarnia): Monsieur l’Orateur, il me
semble que nous avons quelque peu abusé du qualificatif
«historique»; pourtant, si ce débat n’est pas historique, il est
assurément très important. Malheureusement, on ne peut pas
en dire autant des nombreux débats qui ont eu lieu à la
Chambre au cours des quelques années où j’ai siégé ici. Il me
semble que l’on a plus tendance à parler trop plutôt que trop
peu et que l’on craigne d’imposer des délais et de prendre des
décisions sur des questions importantes sous prétexte que tous
les députés n’auraient pas eu le loisir d’intervenir sur chaque
question dont la Chambre est saisie.
Ce qui est sûr à propos du débat actuel, dont le coup d’envoi
a été brillamment donné par le ministre de la Justice (M.
Chrétien), c’est qu’il est important et qu’il devrait forcer
l’attention de tous les députés; ceux-ci devraient d’ailleurs se
faire un devoir de prendre connaissance de tous les commentaires
qui ont été faits à cet égard s’ils ne peuvent être présents à
la Chambre.
Ce soir, j’ai écouté attentivement les propos du député de
Provencher (M. Epp). Je ne souscris pas à toutes ses conclusions
ni à certaines de ses hypothèses. Je pense qu’il a tendance
à sous-estimer l’intelligence des Canadiens. Il semble croire
que parce que nous sommes engagés dans un débat et que nous
ne sommes pas entièrement d’accord, le pays va éclater. Je
crois que le Canada a atteint une certaine maturité; le député y
a fait allusion, mais il l’a presque niée plus loin dans son
exposé. Le Canada a mûri, le Canada a atteint l’âge adulte, et
il est grandement temps que nous ayons une constitution
canadienne, modifiée par les Canadiens et permettant aux
Canadiens de décider par eux-mêmes de l’évolution de leur
pays pour les générations actuelles et futures. La résolution à
l’étude ainsi que les modifications qui suivront nous donnent
l’occasion de le faire. Cela pourra se réaliser en décembre ou
lors de séances ultérieures de la Chambre, ainsi qu’à l’occasion
de rencontres entre premiers ministres.
Après mûre réflexion, je suis d’avis que la mesure que
prendra le Parlement-car il ne s’agit pas vraiment d’une
mesure gouvernementale; le gouvernement prend l’initiative et
montre la direction à prendre, et la décision sera prise par le
Parlement du Canada-que cette mesure est ambitieuse,
opportune et très certainement nécessaire. Nous avons une
occasion de briser le cercle vicieux du débat constitutionnel.
Je siège ici depuis relativement peu de temps, soit une
douzaine d’années, et j’ai été étonné d’entendre aujourd’hui le
ministre de la Justice énumérer le nombre de réunions qui ont
été consacrées au débat constitutionnel. Je le répète, le problème
n’est pas que nous parlions trop peu de cette question; au
contraire, nous en avons peut-être trop parlé. J’ai entendu le
député de Provencher critiquer, mettons, la formule d’amendement.
Nous avons essayé toutes sortes de formules. Nous en
avons eu une qui portait le nom de l’honorable Davie Fulton,
alors ministre de la Justice, et donc surnommée la formule
Fulton. Vint ensuite l’honorable Guy Favreau qui cumula les
mêmes fonctions et s’efforça de trouver la formule que tous
accepteraient. C’est alors qu’on a entendu parler de la formule
Fulton-Favreau. Suivirent les formules de Victoria et de Vancouver.
C’est dire qu’il y a eu des formules de tous genres.
Mais toutes laissaient à désirer d’une façon ou d’une autre.
Aucune formule d’amendement ne saura plaire à tous. Il faut
donc prendre une décision. Dans ce cas-ci, le gouvernement
n’impose rien unilatéralement aux gouvernements des provinces.
M. Malone: C’est faux.
M. Cullen: Nous précisons que pendant deux ans il devra y
avoir consentement unanime de toutes les provinces et du
gouvernement fédéral. Nous fixons une date limite, autrement
dit, un délai dans lequel nous devrons élaborer une formule
d’amendement sur laquelle sûrement huit provinces sur dix
pourront s’entendre. Sinon, une disposition est prévue pour
trancher le dilemme. Mais, enfin, nous avons indiqué qu’il est
temps d’adopter une formule d’amendement qui nous permette
de passer à l’action et de créer une constitution canadienne,
faite au Canada.
Des voix: Bravo!
M. Cullen: Si je ne m’abuse, tous les députés auraient
préféré que la conférence des premiers ministres aboutisse à un
consensus, ce qui nous aurait permis d’aller présenter à Westminster
un point de vue que toutes les provinces et le gouvernement
fédéral auraient au préalable adopté. Les onze gouvernements
ont fait l’impossible pour s’entendre, mais il est très tôt
devenu évident qu’ils n’y arriveraient pas. Quelle autre solution
adopter? Le statu quo était impensable. En effet, nous avions
promis aux Québécois, qui s’étaient clairement prononcés en
faveur de la Confédération lors du référendum, que nous
ferions quelque chose. Le statu quo était évidemment hors de
question. Il fallait faire des changements. Nous ne pouvions
pas nous entendre à ce sujet. Le gouvernement fédéral a donc
pris l’initiative et a dit qu’il rapatrierait la constitution unilatéralement,
qu’il allait prendre les mesures nécessaires pour y
inclure certaines choses et qu’il allait trouver une formule
d’amendement. Nous n’avons pas l’intention de l’imposer, mais
nous maintenons que cette formule est nécessaire et que pour
la mettre au point, il faut procéder d’une certaine façon.
On est à côté de la vérité lorsqu’on prétend que le gouvernement
fédéral n’a pas été honnête dans sa démarche ou qu’il
n’était pas disposé à négocier ou à faire des concessions.
Souvenons-nous qu’il était prêt à en faire en ce qui concerne le
droit de la famille et l’imposition indirecte des ressources
naturelles, ce que la Cour suprême du Canada a jugé en
dehors des prérogatives des provinces, mais que le gouvernement
fédéral était prêt à leur accorder néanmoins. Nous étions
prêts à donner aux provinces plus de pouvoir dans les domaines
du commerce interprovincial et des ressources ainsi que dans
celui des pêches.
Nous parlons de consensus, monsieur l’Orateur, mais songez
au dilemme devant lequel le gouvernement fédéral se trouvait.
Le gouvernement de Terre-Neuve veut avoir le contrôle complet
des pêches, tant dans les eaux intérieures qu’au large des
côtes. Les autres provinces de l’Atlantique s’y opposent, estimant
qu’il leur suffit de contrôler la pêche dans les eaux
intérieures et qu’Ottawa devrait continuer à administrer les
pêches au large des côtes. Devant l’incapacité de s’entendre des
provinces les plus intéressées, le gouvernement fédéral devait
prendre l’initiative de règler lui-même la question. En ce qui
concerne les pêches, nous étions disposés à accorder des pouvoirs
accrus aux provinces. Nous étions disposés à leur laisser
une plus grande part de la gestion des ressources sous-marines
et des revenus tirés de leur exploitation.
3308 6 octobre 1980
6octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES 3309
J’ai entendu le premier ministre de Terre-Neuve dire que
cela ne suffisait pas. Je l’ai entendu dire qu’il voulait tout. A
l’en crbire, il voulait rendre tout le monde fabuleusement riche
à Terre-Neuve. Peu importe l’argent que l’on tirait de la
découverte de ces ressources des fonds marins du Canada, il
allait profiter à Terre-Neuve uniquement. Personne disant
représenter tous les Canadiens et certainement aucun parlementaire
ne peut faire de telles affirmations et dire en même
temps qu’il oeuvre pour le bien de tous les Canadiens. Nous
avons dit que nous donnerions 100 p. 100 des recettes provenant
de ces ressources jusqu’à ce que Terre-Neuve devienne
une province riche, après quoi il faudrait prendre une décision
quant à la redistribution de cette richesse découverte au large
des côtes canadiennes.
* (2120)
Peu de temps avant que je devienne député, l’Alberta avait
trouvé une nappe de pétrole. La province l’exploitait mais ne
trouvait pas de marché où l’écouler. Elle devait demander plus
que le prix international pour pouvoir poursuivre la mise en
exploitation de cette ressource. Les habitants de l’Ontario et
d’autres parties du Canada situées derrière une ligne bien
définie ont déclaré qu’ils étaient prêts à payer plus que le prix
international pour contribuer à la mise en valeur de cette
ressource. C’était fort opportun.
Les Canadiens des autres provinces ont fourni cette aide
pour permettre à l’Alberta de mettre sur pied son industrie
pétrolière. C’est maintenant chose faite. C’est une province
très riche pourvue d’un très important Fonds du patrimoine.
Toutefois, l’Alberta ne devrait pas laisser entendre aux entreprises
de l’industrie pétrochimique que si elles veulent s’implanter
au Canada à l’avenir, il faudra que ce soit en Alberta
parce que c’est là que se trouve tout le pétrole et qu’elles ne
recevront aucune aide si elles s’installent ailleurs. Et surtout, la
province ne devrait pas dire à une industrie pétrochimique
prospère du sud-ouest de l’Ontario qu’elle ne sera pas considérée
comme l’un des clients traditionnels et qu’il lui faudra
acheter son pétrole d’un certain groupe en question, sans avoir
de garantie quant à la sécurité de ses approvisionnements.
Jusqu’à maintenant, l’industrie pétrochimique a été en
mesure de se procurer le pétrole dont elle a besoin. Advenant
une pénurie, il est certain que la société Petrosar aura certainement
beaucoup de peine à convaincre ses fournisseurs qu’il
faudrait établir un partage de cette ressource.
La mesure législative adoptée en Alberta m’inquiète beaucoup.
Si je peux me permettre d’exprimer une opinion personnelle,
je crois que cette mesure est anticonstitutionnelle. Pourtant,
personne n’en fait grand cas. Nous procédons de la
manière dont parlait le député de Provencher (M. Epp), nous
adoptons la méthode canadienne. Nous tentons de réaliser un
compromis. Nous nous efforçons de faire en sorte que ce
compromis soit à l’avantage à la fois de l’Alberta et de
l’industrie pétrochimique du sud-ouest de l’Ontario.
Lorsque le moment était venu de construire une usine
d’importance mondiale, lorsque l’industrie pétrochimique était
en difficulté en 1968-1969, le ministre de l’Industrie et du
Commerce de l’époque et actuel ministre des Transports (M.
Pepin) avait proposé que l’on forme un comité conjoint du
gouvernement et de l’industrie qui déterminerait quels étaient
les problèmes. Peu lui importait qui était responsable de la
situation et il ne cherchait pas à blâmer qui que ce soit. Il
La constitution
voulait savoir commen on pouvait sauver l’industrie pétrochimique
canadienne.
Le gouvernement et l’industrie se sont concertés et ont
déclaré avoir besoin d’économies d’échelle et d’usines d’importance
mondiale. Comme le Canada n’avait pas les moyens de
financer cinq ou six de ces usines, il fut décidé de les construire
successivement. Conformément à une décision économique de
l’industrie, la première devait être construite en Ontario, la
deuxième en Alberta et la troisième dans la région de Montréal.
C’est ce qui se fait à l’heure actuelle et c’est pour le plus
grand bénéfice de l’industrie pétrochimique. Nous n’avons pas
été égoïstes. Nous avons tous travaillé ensemble à établir une
industrie pétrochimique forte au Canada. C’est là le genre de
responsabilités qu’un gouvernement fédéral a envers les provinces.
En tant que membres du gouvernement fédéral, nous
devons prendre nos responsabilités.
A cette table de négociations, nous avons parlé de pouvoirs
accrus des provinces dans le domaine des communications.
Nous avons parlé d’inclure dans la nouvelle constitution des
versements de péréquation aux provinces. Il ne fait aucun
doute que c’est absolument essentiel et personne ne songerait à
s’y opposer. Nous avons offert aux provinces de les faire
participer davantage à la nomination des juges de la Cour
suprême de même que d’accroître leur rôle au Sénat. On a
tenté de négocier, d’assumer la responsabilité de parler pour
tous les Canadiens, d’accepter que les provinces aient aussi des
intérêts et que dans ces domaines, elles aient plus de pouvoirs
et plus de possibilités de s’exprimer.
Lorsque j’ai lu la déclaration qui a été faite au sujet de la
constitution et des domaines que nous demandons au Parlement
britannique d’incorporer, si vous le voulez, dans la constitution,
je me suis demandé qui pourrait en toute bonne foi
s’opposer à ce que ces points fassent partie de la constitution.
Le député de Provencher a dit que nous aurions dû rapatrier
l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, sans plus; sans
formule d’amendement ni enchâssement d’aucune sorte. C’est
un point de vue légitime. Je n’y souscris pas, mais c’est son
opinion. Je pense qu’il est plus intelligent de rapatrier la
constitution et de prévoir une formule d’amendement afin
d’être en mesure d’y apporter des changements et je suis
convaincu qu’en toute conscience, personne au Canada ne peut
s’opposer aux principes que nous désirons intégrer à la constitution.
Nous proposons ce qui suit:
Pour la première fois, les droits et libertés fondamentaux des Canadiens seront
inscrits dans une Charte canadienne des droits et libertés afin qu’aucun gouvernement,
assemblée législative ou Parlement ne puisse y porter atteinte. Les
individus et les minorités qui s’estiment lésés pourront avoir recours aux
tribunaux.
Qui peut s’opposer à ce que cela fasse partie de la constitution?
Le gouvernement ne tente pas d’élargir ses pouvoirs,
mais de protéger la population.
Dans la Charte, les Canadiens seront assurés de la liberté de se déplacer dans
le pays, de s’installer et de travailler dans la province de leur choix.
Cela, à l’heure actuelle, nous ne l’avons pas.
La Charte garantira que tous les membres de la minorité anglophone ou
francophone d’une province pourront faire instruire leurs enfants dans leur
propre langue partout où elle est suffisamment nombreuse.
Voilà certes la bonne façon d’envisager le droit de tous les
Canadiens de faire instruire leurs enfants. Cette disposition ne
s’appliquerait pas nécessairement partout, mais seulement là
où la minorité serait «suffisamment nombreuse». Si je puis dire
le fond de ma pensée, je serais allé bien plus loin que cela, mais
6 octobre 1980 DÉBATS DES COMMUNES 3309
3310 DÉBATS DES COMMUNES 6octobre 1980
La constitution
c’est uniquement pour en arriver à un compromis que ces mots
ont été ajoutés.
On propose d’insérer dans la constitution le principe de la
péréquation que nous appliquons déjà. Qui peut vraiment s’y
opposer.
La méthode d’amendement assurera que tous les changements à la Constitution
pourront être apportés au Canada.
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des députés de
l’opposition s’opposeraient à ce que ces éléments soient insérés
dans une constitution. Je ne vois pas non plus où la formule
d’amendement achoppe étant donné que nous avons eu tant de
difficultés dans le passé. Nous voici au moins saisis de lignes
directrices. Si nous pouvons y apporter des améliorations, tant
mieux. Mais, bon Dieu! adoptons une formule d’amendement
qui nous permette d’avoir une constitution vivante et capable
d’orienter le pays.
Des voix: Bravo!
M. Cullen: Je frémis toujours un peu en entendant cela, et le
premier ministre (M. Trudeau) a lui-même signalé à plusieurs
occasions que nous devons supprimer le dernier vestige de
colonialisme. Pour certains, cela équivaut à une condamnation
de la Grande-Bretagne. Mais je pense que le blâme est plutôt
jeté sur les Canadiens, et avec raison. Nous avons mis beaucoup
trop de temps à parvenir à l’âge adulte, à dire que nous
pouvions établir une formule d’amendement et à déterminer
quel genre de constitution nous voulons nous donner.
Si vous me le permettez, je vais vous relater une anecdocte à
caractère personnel. Mon père était originaire de Somerset en
Grande-Bretagne. il m’a appris beaucoup de choses sur ce
pays. Au lieu de me raconter des histoires de combats sanglants
ou de héros, il me parlait de l’Angleterre. Les leçons ont
porté leurs fruits. A l’âge de 17 ans, j’ai participé à un débat
public. J’ai fait porter le thème de mon discours sur la façon
dont la Grande-Bretagne avait sauvé le monde en 1940. Je
connais bien le régime parlementaire que nous ont donné les
Britanniques. Il nous ont donné la notion et le sens du «fair
play». Je pense aussi à l’amabilité et à la politesse des Britanniques
ainsi qu’à la manière dont ils se conduisent. Ils ont su
garder leur calme durant des périodes troublées en particulier
durant la seconde guerre mondiale. Nous avons vu comment ils
ont réagi. Nous avons beaucoup à retirer de notre héritage
britannique.
Quatre jours après les élections de 1968, mon père est
décédé. A cette époque le Canada possédait son nouveau
drapeau. Mon père avait vécu au Canada depuis qu’il avait
quitté l’Angleterre en 1924. Il était fier du fait qu’il vivait au
Canada et que ce pays lui avait permis de mener une existence
bien remplie. Lorsque je l’ai enterré, j’ai placé l’Union Jack
sur son cercueil car j’ai trouvé que c’était là un geste approprié.
Un poète a exprimé mieux que moi le sentiment qui
m’animait en disant qu’«il y a certaines parties d’une terre
étrangère qui deviennent à tout jamais des parties de l’Angleterre
». C’était tout à fait acceptable dans le cas de mon père et
de ceux de sa génération. Je suis citoyen canadien et j’en suis
fier. Il ne fait aucun doute que les Britanniques ne veulent pas
se comporter en colonisateurs envers nous. Aussi longtemps
que nous ne sommes pas prêts à grandir, à fixer des échéances
et à prendre des décisions, nous demeurons des colonisés. Mais
ce n’est pas ce que recherchent les Britanniques. Si nous en
restons là, c’est à cause de notre timidité, de notre silence, de
notre crainte et de notre appréhension. Peut-être que c’est à
cause de nos débats interminables qui ne riment à rien. Il est
temps que les Canadiens fassent preuve d’initiative, qu’ils
prennent leurs décisions et modifient cette sacrée formule. Oh,
pardon, je ne devrais pas dire «sacrée». C’est du langage
grossier, me disait mon père.
* (2130)
Des voix: Bravo!
Une voix: C’est du langage de matelot!
M. Cullen: Nous avons donc grandi et nous avons là une
occasion de le prouver au cours du présent débat. Je me
demande si nous pourrons en parler sans parti pris. Je ne crois
pas jamais voir cela ici. J’espère que cela ne se produira
jamais. J’aimerais bien que les partis d’opposition et le gouvernement
maintiennent une attitude constructive. Si la formule
d’amendement est mauvaise, il ne faut pas la rejeter tout
simplement mais plutôt proposer quelque chose de mieux. Je
suis certain qu’on trouvera moyen de dénoncer publiquement
ces suggestions, mais cherchons plutôt des idées constructives.
Il ne faut pas sous-estimer l’intelligence de nos concitoyens.
Notre pays ne sera pas écartelé du fait qu’il y a un débat à la
Chambre des communes, ou à cause des media ou pour toute
autre raison. Notre pays peut se montrer à la hauteur et je me
réjouis qu’il puisse y avoir une honnête divergence d’opinion.
Je n’ai pas peur des échéances et je ne crains pas de prendre
des décisions. Je doute que nos concitoyens se préoccupent du
débat actuel. Adoptons cette loi qui nous permettra de rapatrier
au Canada notre constitution. Ensuite nous pourrons
procéder aux modifications qui s’imposent ici même au
Canada pour le bien de nos concitoyens. Merci, monsieur
l’Orateur.
M. Douglas Roche (Edmonton-Sud): Monsieur l’Orateur, il
n’est pas facile de donner la réplique aux idées personnelles
exprimées par le député de Sarnia (M. Cullen) sur la manière
dont il voit le Canada. Un bon nombre d’entre nous sinon tous,
partageons les mêmes sentiments que ceux exprimés par le
député. Je crois que nous devons cependant dépasser nos
considérations personnelles.
Selon le député, il faudrait mettre un terme à notre silence,
à notre crainte et à nos appréhensions que suscite un projet de
modification de la constitution. Que le député sache que les
habitants de ma région dans l’ouest du Canada ne sont ni
craintifs, ni peureux, ni silencieux. Nous sommes plutôt tapageurs
et nous savons assez bien le genre de Canada que nous
voulons, et je dois dire que l’assertion du député me déplaît
beaucoup. On avait dit la même chose à propos de ceux qui
étaient dissidents au commencement du débat sur le drapeau
en 1965.
Permettez-moi d’assurer aux députés que je m’oppose à ce
que le premier ministre (M. Trudeau) veut faire et je continuerai
à m’y opposer à la Chambre et de toutes mes forces.
Une voix: Vous vous opposez à tout.
Des voix: Oh, oh!
M. Roche: Je ne m’oppose pas à tout. Les députés qui me
connaissent concèderont que pendant les 8 années où j’ai siégé
ici à la Chambre je ne me suis pas montré contrariant.
Cependant, je m’oppose à ce que le premier ministre veut faire
dans le présent débat.
3310 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
La résolution à l’étude est essentiellement inconstitutionnelle
parce qu’elle s’oppose directement aux principes de la
fédération. Elle s’oppose directement au Canada dont nous
avons hérité et que nous voulons transmettre à nos enfants.
Elle s’oppose directement au Canada qui a été constitué par
l’union des provinces à un centre commun. Elle s’oppose
directement au Canada que nous définissons comme autre
chose qu’un Etat unitaire.
La résolution proposée s’oppose directement à la diversité
régionale du pays et je tiens à dire quelques mots de cette
diversité dans mon discours, plus particulièrement dans la
mesure où elle s’applique aujourd’hui à nos engagements
internationaux.
Le Canada dont j’ai hérité et que je veux transmettre à mes
enfants est un Canada qui ne sera pas totalement changé,
comme le ferait l’application de l’article 42 de la résolution à
l’étude. Cette proposition permettrait d’apporter des amendements
à notre constitution suite à un référendum exécutoire.
De cette façon les gouvernements provinciaux seraient complètement
tenus à l’écart. Comme mon chef l’a signalé aujourd’hui
le premier ministre propose cette mesure parce qu’il sait
qu’il ne peut obtenir le consentement des provinces, c’est
pourquoi il prend cette position désespérée, celle de se rendre à
Westminster pour obtenir ces amendements. Ce serait comique
si ce n’était pas si triste. Il veut se rendre à Westminster pour
faire apporter ces importants amendements à notre constitution.
Je vais jusqu’à dire que chacun d’entre nous veut ramener la
constitution au Canada. Il n’y a rien à redire à cela. Ce que
nous ne voulons pas, c’est que Westminster apporte des amendements
importants. Il ne s’agit pas de simples amendements
de routine, mais de modifications qui changeraient la nature
même de notre pays. On nous demande au nom de l’unité
nationale d’appuyer cette idée.
Je représente peut-être l’Ouest à la Chambre et j’en suis
fier-je dirai quelques mots à ce sujet dans un instant. Cependant,
quand je prends la parole ou quand je vote à la Chambre-
ce que je fais depuis huit ans-c’est en tant que député
national qui appuie le pays tout entier. Je ne me contente pas
de représenter une région à la Chambre. J’ai vécu à l’étranger
pendant dix ans. Comme le disait feu Lester Pearson, qui était
l’ami de beaucoup d’entre nous, il faut parfois vivre à l’étranger
et voir notre pays de loin pour mieux le comprendre et
pour devenir un meilleur Canadien. C’est ce que j’ai fait,
monsieur l’Orateur. Je ne prétends pas mieux comprendre le
Canada que les autres députés, je dis simplement que nous
devons rassembler dans ce débat la force qui est en nous avec
un esprit et une compréhension qui vont au-delà de nos
régions, de nos éducations, de nos politiques ou de nos personnalités
respectives. Nous devons nous poser une question fondamentale.
J’espère que les députés d’en face se la poseront
également. Cette question fondamentale, la voici: si l’on considère
la mesure à l’étude dans son ensemble, est-elle bonne ou
mauvaise pour le Canada? A mon avis, elle est mauvaise. On
va beaucoup parler, c’est certain, de la charte des droits. Nous
en avons entendu parler hier après-midi à l’émission «Cross-
Canada Check-up». De toute évidence, ceux d’entre nous qui
s’opposent à cette résolution sont considérés comme étant du
mauvais côté de la barrière. Je n’ai pas honte du tout de
m’élever ici contre cette question, même si je sais que le public
canadien considère que nous avons tort. On prétend que les
Canadiens ont droit à une charte des droits, et que cela devrait
suffire à nous persuader de voter en faveur de cette résolution.
On a dit que cette mesure favoriserait la péréquation et une
charte des droits, mais, à ma connaissance, les Canadiens n’ont
pas encore eu l’occasion d’examiner attentivement l’incidence
qu’aura cette résolution sur notre pays.
* (2140)
J’espère que les membres de notre parti-j’invite d’ailleurs
ceux des autres partis à en faire de même-vont se pencher
sérieusement sur la question et en débattre à fond dans cette
enceinte. J’ose espérer que l’on ne se cortente pas d’un simple
débat de deux ou trois jours, et que l’on ira jusqu’au fond des
choses afin que la population canadienne comprenne ce que
nous voulons dire. En gros, notre position est la suivante: la
résolution soumise à la Chambre, même si elle présente certains
attraits, constitue, globalement, un véritable péril pour le
Canada.
Je prends la parole à un moment très important de notre
histoire. Je n’ai pas, ou rarement durant ma carrière de
député, assisté à un débat aussi crucial pour l’avenir de notre
pays.
J’ai affirmé tout à l’heure, que considérée dans son ensemble,
la résolution constitue une véritable menace pour les
fondements mêmes de la fédération canadienne et la disposition
42, parmi d’autres, le montre clairement. Le fait qu’il
s’agisse, de la part du gouvernement fédéral, d’une mesure
unilatérale, suffit pour la discréditer immédiatement. Elle
entraînerait des amendements qui ne respecteraient pas les
droits des provinces, en particulier dans le domaine de
l’éducation.
Certains diront que c’est très bien, mais comme je l’ai déjà
indiqué, cela permettrait peut-être-en fait, fort problablement–
d’apporter des amendements par référendum sans l’assentiment
des provinces. Le pays ne serait plus du tout le
même. Si c’est pour être là le fondement de notre fédération,
laissons alors le premier ministre (M. Trudeau) rapatrier la
constitution, discutons-en ici et laissons les provinces dire leur
mot. Établissons une assemblée constituante. Donnons-nous
une structure officielle, au Canada, qui nous permette de
prendre de telles décisions plutôt que de bâcler les choses au
moyen d’une prétendue allocution conjointe du Sénat et de la
Chambre des communes qui est sensée représenter la volonté
du peuple canadien, car ce n’est pas le cas. Ce serait frauduleux
et j’espère que les gens pour qui j’ai un profond respect à
Westminster sont à l’écoute. J’espère que les membres de
l’autre endroit qui seront sur la sellette à cause de l’ampleur de
cette résolution tiendront compte de ces facteurs.
Je passe maintenant à ce que je considère être un défaut
encore plus grand de cette résolution et j’explique la raison
pour laquelle elle mérite d’être taxée de fausseté: elle ne peut
que favoriser le morcellement de notre pays.
Je reprends ici mon rôle de représentant de l’Ouest. Les
députés de l’Ouest qui participeront à ce débat vont exprimer
le sentiment d’aliénation qui se répand rapidement dans les
provinces de l’Ouest. Il existe là-bas un groupe nommé les
«West Fed», c’est-à-dire la Fédération de l’Ouest. Elle a d’ailleurs
tenu une réunion à Red Deer il y a trois ou quatre jours.
Cinq cents personnes y ont assisté. Ce groupe propose que les
quatre provinces de l’Ouest se séparent du reste du Canada et
6 octobre 1980 DÉ13ATS DES COMMUNES 3311
La constitution
forment leur propre union, leur propre pays. Il se trouve
beaucoup de gens dans les provinces de l’Ouest aujourd’hui qui
seraient disposés à rallier les rangs d’une telle organisation. Je
sais de quoi je parle. L’homme qui dirige ce groupe a été mon
adversaire au congrès de nomination du candidat progressisteconservateur
d’Edmonton-Sud pour les dernières élections,
nomination, que j’ai eu l’honneur de remporter. Je l’ai battu à
cette occasion et je le battrai encore la prochaine fois. Je
l’affronterai. Il ne m’impressionne pas, pas plus que la Fédération
de l’Ouest; mais c’est le gouvernement libéral, par ses
politiques, qui conduit les Canadiens de l’Ouest à adhérer à la
Fédération de l’Ouest, laquelle constitue une menace pour
l’Ouest du pays.
Notre pays est divisé et je le déplore à cause de sa nature
même. Nous avons la technologie, l’espace, les ressources, bref,
tout ce qu’il faut à un pays pour réussir aujourd’hui. Dans mon
travail, pour le compte de mon parti, j’ai dû voyager partout
dans le monde et j’ai visité bien des pays. J’en ai vu qui n’ont
pas le dixième des ressources dont le nôtre dispose pour réussir.
Et pourtant, la division nous écartèle, le querelles intérieures
nous épuisent et sapent notre énergie. Pourquoi? Notre constitution
laisse-t-elle tant à désirer? Notre constitution, l’Acte de
l’Amérique du Nord britannique nous sert depuis 113 ans;
c’est sur elle que s’est érigé le pays. Aujourd’hui, j’ai communiqué
avec mes secrétaires à Edmonton; elle me disent que
personne ne m’a appelé pour me dire qu’il nous faut modifier
la constitution. Par contre, mes comettants réclament un
accord sur l’énergie. Je reçois un courrier volumineux et une
multitude d’appels téléphoniques à ce sujet. Il nous faut à tout
prix un accord sur l’énergie; il nous faut à tout prix nous
occuper de la situation économique au Canada et lui faire faire
demi-tour. Nous devons nous attaquer sérieusement à ces
problèmes. Personne ne croit au bouton magique. Peu m’importe
qui est au pouvoir; aucun parti n’a de bouton magique à
presser pour améliorer la situation énergétique et la situation
économique; mais un sens des priorités s’impose. Ces priorités
sont l’énergie et l’économie. Je suis fier de pouvoir dire que
lorsque mon ami, le chef de l’opposition (M. Clark), était
premier ministre, il s’est attaqué, de façon significative, à ces
deux questions d’importance primordiale, qui affectent la vie
de tous les Canadiens.
Que nous apportera le rapatriement de la constitution?
Nous apportera-t-il une seule once de pétrole ou entraînera-t-il
la création d’un seul emploi? Certainement pas. Il aveuglera
encore davantage le premier ministre qui a été incapable de
résoudre les véritables problèmes qui se posent dans notre
pays. On croira que nous faisons quelque chose de bien du fait
même que nous aurons une charte des droits de la personne.
On conçoit le Canada de deux manières différentes. J’espère
que les députés d’en face m’écoutent. Ces deux conceptions ne
datent pas d’hier. Je suis persuadé que le premier ministre
incarne parfaitement la première école de pensée par sa conduite,
par ses propos et par son comportement. Je ne voudrais
pas aller trop loin mais, d’après lui, c’est le centre qui possède
les solutions et qui devrait avoir le pouvoir d’envoyer dans les
différentes régions les choses que nous-peu importe qui ce
«nous» représente à Ottawa-voulons y envoyer. Voilà la conception
centraliste du Canada.
A l’opposé, il existe une conception régionale, communautaire.
Notre pays a 4,000 milles de large; il est coupé par cinq
fuseaux horaires et bordé par trois océans. Il y règne une
grande diversité. C’est mon ami le député de Yellowhead (M.
Clark), qui a le mieux compris les liens qui unissent notre pays
à l’heure actuelle. C’est un sentiment d’unité nationale qui
émane des régions et non pas une entité qui lui est imposée.
Nous avons entamé un débat de haut niveau qui ne porte
pas uniquement sur la résolution ou sur l’article 42, aussi
importants ces aspects soient-ils. Nous parlons de l’avenir de
notre pays. Nous en avons déjà parlé à propos de questions
économiques ainsi qu’à propos des questions énergétiques.
Nous voyons ce sujet ressurgir à propos de la question constitutionnelle
et si nous, qui sommes hostiles à cette idée, venions
à perdre et si la constitution était rapatriée, nous aurions un
autre Canada. Cela voudrait dire que les députés d’en face ont
eu gain de cause. A mon avis, ce n’est pas ce que veulent les
Canadiens. Voilà donc pourquoi il faut que les Canadiens
sachent ce qui se passe à la Chambre. Il faut qu’ils sachent ce
que tout ce débat veut dire. J’espère que les media en rendront
bien compte. Quelqu’un a dit tout à l’heure, je crois, que les
media étaient quelque peu superficiels à ce sujet. Ce n’était
pas là une critique à leur endroit. C’était là une façon de se
demander si les media n’allaient pas se laisser emporter par
ces promesses enthousiastes d’un Canada meilleur que nous
offre cette résolution et s’ils ne vont pas en oublier de voir en
quoi le caractère même de notre pays va s’en trouver changé.
Maintenant, si vous le voulez bien, parlons de la charte des
droits. Comme nous avons pu le constater hier, c’est une
proposition très alléchante et nous aurons certainement l’occasion
d’en entendre parler davantage au cours de ce débat.
Toutefois, il y a une remarque fondamentale à faire au sujet
de cette charte. Une charte des droits n’a aucun sens si le
gouvernement ne l’approuve pas sans ambage. Vendre une
charte des droits et la faire figurer dans la constitution va
automatiquement améliorer notre vie: essayer donc d’aller dire
cela aux Soviétiques. Essayez donc d’aller dire cela aux habitants
de certains autres pays. Pour nous, l’important, c’est
d’avoir des commissions des droits de la personne qui protègent
nos concitoyens, des commissions comme celles qui existent au
niveau tant fédéral que provincial. Il est important, à mon avis,
que nous ayons une Déclaration des droits.
e (2150)
A mon avis, il importe que nous en arrivions un jour à
insérer ces droits dans la constitution. Je ne m’oppose pas à
l’idée de les y insérer; je dis seulement que le gouvernement
induirait la population en erreur et l’engagerait à son insu dans
une voie s’il s’en servait comme d’un prétexte et leur disait que
l’insertion de ces droits a une telle importance qu’il doit rendre
caduques les dispositions de l’article 42.
Des voix: Bravo!
M. Roche: Nous en venons maintenant à l’application internationale
de la charte des droits. Jai entendu dire que cette
insertion des droits nous serait avantageuse auprès des Nations
Unies. Les accords de Helsinki doivent faire l’objet d’un
examen lors de la conférence de Madrid. Sachez bien, monsieur
l’Orateur, que l’insertion de nos droits n’aidera guère le
Canada à obliger le reste du monde à respecter les droits de la
personne lors de la conférence de Madrid. Le Canada est déjà
signataire des conventions des Nations Unies pour la défense
des droits de la personne. Le gouvernement nous jette de la
3312 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
La constitution
poudre aux yeux lorsqu’il nous dit que cette insertion est un
élément nécessaire de notre vie nationale et de nos relations
internationales.
Je crois que nous devrions nous concentrer sur ce qui est au
coeur du débat: la nature même du Canada. Si ceux d’entre
nous qui croient profondément à la diversité du pays et à la
force que cela suppose, se taisent et permettent que cette
réforme s’effectue à la hâte, ils n’auront pas accompli leur
devoir. J’affirme qu’il y aura un jour des gens qui demanderont
où étaient les députés du Parlement lorsque ce changement
fondamental a été apporté au pays. Je pense que de
nombreux députés voudront prendre la parole et nous faire
part de leur foi profonde dans le pays, qu’ils viennent de
l’Ouest, de la région de l’Atlantique, du Québec ou de l’Ontario,
car ils comprennent que c’est nous tous réunis qui formons
ce pays.
Il y a de nombreux autres aspects dont je voudrais parler,
mais j’ignore si vous m’accorderez davantage de temps, monsieur
l’Orateur. J’affirme qu’il s’agit d’une mesure frauduleuse.
Mon intervention ne serait pas complète si je ne vous
glissais pas quelques mots à ce sujet, monsieur l’Orateur. On a
dit que l’article 7 ne traite pas des droits des autochtones. A
mon avis, il passe sous silence un grand nombre de droits
humains. L’article 7 stipule que tout le monde a le droit à la
vie, sauf quand la justice en décide autrement en vertu de ses
principes fondamentaux. Je voudrais savoir comment on peut
concilier cela avec la modification du Code criminel adoptée
en 1969, qui a entraîné la situation actuelle au Canada où l’on
pratique 60,000 avortements par an au nom d’une prétendue
justice.
Des voix: Bravo!
M. Roche: Je voudrais savoir comment cela cadre avec cet
amendement. Ce gouvernement, qui a été au pouvoir tout au
long des années 70, et qui ne s’est jamais préoccupé sérieusement
de la question de l’avortement, a maintenant le front et le
toupet de venir dire à la Chambre que tout le monde a droit à
la vie. Cet amendement du Code criminel fait en sorte que tous
n’ont pas droit à la vie au Canada. Que le gouvernement
commence par mettre de l’ordre chez lui avant de tenir des
propos édifiants qui sont censés nous faire le plus grand bien.
C’est là seulement l’une des multiples facettes de ma réaction
quant à l’essence de cette résolution. Je crois qu’il faut la
combattre, non pas de façon irréfléchie et aveugle, mais parce
que nous demandons aux Canadiens de réfléchir sérieusement
au fait que cette résolution va transformer leur pays et le pays
que connaîtront leurs enfants d’une manière qu’ils n’avaient
pas prévue. Cette résolution va transformer notre pays, qui a
été formé à partir de l’union d’entités régionales, en un Etat
exagérément centralisé. A notre avis, cela est absolument
incompatible avec la vision que les Pères de la Confédération
avaient de notre pays.
Des voix: Bravo!
[Français]
M. Jean Lapierre (Shefford): Monsieur le président, il me
fait extrêmement plaisir de participer à ce débat historique.
C’est en fait un grand jour pour tous les Canadiens et plus
particulièrement pour les Canadiens français. Je ne partage
surtout pas la grande tristesse ou le semblant de tristesse du
très honorable chef de l’opposition (M. Clark). Aujourd’hui, il
a failli nous faire pleurer en prononçant les derniers mots de
son discours, et en fait, j’aurais peut-être pleuré de déception à
l’entendre, lui qui se disait un nouveau leader avec de nouvelles
idées; j’ai eu l’impression qu’on faisait de la politique de 1930,
au moment où on ne voulait vraiment pas de changement. Le
chef du parti qu’on appelle progressiste conservateur devrait
certainement faire réviser le nom de son parti et faire rayer à
tout jamais le mot progressiste, parce que je crois que dans les
interventions qu’on a entendues de ce côté de la Chambre, il
n’y a absolument rien de progressiste, au contraire, c’est très
rétrograde.
Monsieur le président, au cours de la campagne référendaire,
j’ai été très actif auprès de mes concitoyens, et tout au
cours de l’été j’ai suivi avec beaucoup d’attention toutes les
implications de la conférence constitutionnelle, et comme
beaucoup d’autres Canadiens, j’ai été déçu de l’échec. J’ai été
déçu à plusieurs niveaux parce que j’ai eu à un certain moment
confiance en la possibilité pour notre structure actuelle de
permettre une rénovation du fédéralisme. Malheureusement,
les circonstances ayant été ce qu’elles ont été, nous devions
agir. Je voulais rappeler que nous avions pris un engagement
référendaire, et depuis quelques jours, plusieurs politiciens,
notamment le très honorable chef de l’opposition, essaient de
donner une signification tout autre à notre engagement en
disant ou en prétendant que nous avons déçu ceux qui ont voté
non. Moi, j’ai la prétention d’avoir voté non, et je ne suis pas
du tout déçu du projet de résolution qui a été déposé. Quand
on essaie de dire que nous avons trompé les Québécois, que
nous ne tenons pas nos engagements, j’aimerais rappeler à tous
nos détracteurs que le seul engagement véritable que nous
ayons pris est le suivant, et je cite le discours prononcé par le
très honorable premier ministre (M. Trudeau) au centre Paul
Sauvé, le 14 mai 1980, où il disait:
Et je sais, parce que je leur en ai parlé ce matin à ces députés, je sais que je
peux prendre l’engagement le plus solennel qu’à la suite d’un NON, nous allons
mettre en marche immédiatement le mécanisme de renouvellement de la Constitution,
et nous n’arrêterons pas avant que ça soit fait.
C’étaient les propos du très honorable premier ministre au
moment du référendum. C’est encore la position que nous
défendons aujourd’hui, et le gouvernement est certainement
prêt à réaffirmer à tous les Québécois et à tous les autres
Canadiens que nous n’arrêterons pas avant que ce soit fait. Et
maintenant, je pense que tous reconnaissent la nécessité d’agir.
C’est au niveau des moyens. Certains préféreraient une constituante.
S’ils pensent qu’avec une constituante cela irait plus
vite, je leur souhaite bonne chance. Certains autres préféreraient
d’autres conférences constitutionnelles. Avant de m’intéresser
à ce genre de débat, j’entendais quelquefois des politiciens
qualifier ces conférences de circonférences. Je pense
qu’au cours des dernières années, on a assisté à plusieurs
circonférences, et il faut absolument que le gouvernement
fédéral prenne le leadership de ce dossier. Je pense qu’on a la
confiance du public. On l’a eue aux dernières élections, et on
l’a encore dans cette démarche-ci.
6 octobre 1980 DEBATS DES COMMUNES 3313
3314DÉBAS DE COMUNES6 octobre 1980
La constitution
J’entendais tout à l’heure mon préopinant dire qu’il avait
peur que ce soit un Canada différent. S’il est venu ici pour
laisser les choses comme elles étaient, heureusement qu’il est
dans le parti progressiste conservateur, parce que nous, c’est
justement cela que nous voulons avoir, et c’est pour cela que je
suis venu en politique, et c’est également pour cela que je suis
venu à Ottawa, pour avoir un Canada différent. Je pense que
certains députés de l’opposition craignent le changement. Ils
n’ont pas fini de s’étonner parce que nous nous sommes
engagés à faire ces changements, et nous allons continuer, et
j’espère qu’après cette procédure, d’autres changements
interviendront.
Monsieur le président, j’ai également lu les articles de
journaux publiés à la suite des réactions à notre projet, et le
premier ministre du Québec osait presque nous qualifier de
traîtres. J’avoue franchement que je me demande qui est le
véritable traître en ce qui a trait aux intérêts des Canadiens
français.
Une voix: Et des Canadiens!
M. Lapierre: Et des Canadiens. Les Canadiens français font
partie du Canada.
Je pense que le véritable traître, dans ce débat-ci, c’est
certainement le premier ministre du Québec, qui se réfugie
derrière le paravent des droits collectifs pour ignorer toutes les
améliorations qu’on apporte aux droits individuels. On sait que
sa politique n’a pas été destinée aux intérêts et aux droits
individuels des Québécois, mais nous, nous pensons que le
Canada et les Canadiens ont des droits à acquérir, et nous
sommes prêts à aller de l’avant. C’est une démarche qui
demande peut-être plus de courage, mais nous sommes prêts à
affronter tous les débats, et je pense que le débat qui va se
poursuivre au cours des prochains jours à la Chambre va
prouver à l’opposition, et en particulier aux progressistes conservateurs
qui sont les plus rétrogrades, notre détermination à
agir.
Je lisais que le chef de l’opposition officielle disait que cette
proposition-là ne répondait pas aux attentes de ceux qui
avaient voté non, je lui dit attention! Qu’il se promène un peu
au Québec et il va voir que la plupart des gens, et les sondages
le prouvent, lui-même l’a admis au cours de sa conférence de
presse, il verra que sa position ne reflétait pas l’opinion de la
majorité ou le consensus des Canadiens.
Une voix: Il ne vient pas au Québec.
M. Lapierre: Puis-je signaler qu’il est 10 heures?
* * *
e (2200)
[Traduction]
LES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. Nielsen: Monsieur l’Orateur, j’invoque le Règlement. Si
je puis attirer l’attention du leader du gouvernement à la
Chambre, je suppose, d’après plusieurs déclarations publiques
qui ont été faites, que nous poursuivrons ce débat demain.
Peut-il m’en donner confirmation et nous donner une idée des
travaux de la Chambre pour le reste de la semaine?
[Français]
M. Pinard: Monsieur le président, nous allons continuer
l’étude de cette motion visant à déférer la résolution au comité
demain, mercredi, si nécessaire, jeudi si absolument nécessaire,
vendredi au besoin, et je me propose de suggérer que mardi
prochain soit un jour réservé à l’opposition, mais à ce sujet, je
désire consulter davantage mes collègues leaders de la Chambre
des deux partis d’opposition pour confirmer que mardi
prochain pourrait être une journée réservée à l’opposition.
Sinon, cela pourrait être vendredi de cette semaine, mais
là-dessus, je préfère avoir des consultations additionnelles.
D’ici là, de toute façon d’ici vendredi prochain, nous nous
proposons de continuer le débat sur cette motion, mais si le
débat devait se terminer avant vendredi, nous procéderions à
l’étude d’autres projets de loi qui sont au Feuilleton. Nous en
avons une trentaine, et nous espérons bien pouvoir «nettoyer» le
Feuilleton le plus tôt possible.
MOTION D’AJOURNEMENT
[Traduction]
L’ajournement de la Chambre est proposé d’office, en conformité
de l’article 40 du Règlement.
LE LOGEMENT-L’AIDE AUX PROPRIETAIRES VICTIMES DE LA
HAUSSE DES TAUX D’INTÉRET HYPOTHÉCAIRE
L’hon. John C. Crosbie (Saint-Jean-Ouest): Monsieur
l’Orateur, je prends la parole suite à une question que j’ai
posée au premier ministre (M. Trudeau) le 21 avril dernier au
sujet de l’aide aux propriétaires de maison, aux locataires et à
ceux qui doivent faire face à des taux d’intérêt élevés au
Canada.
J’aimerais dire à la Chambre que la constitution ou son
amendement ne feront rien pour aider ces propriétaires et ces
locataires. Tous les beaux discours sur l’amendement de la
constitution ne feront rien pour venir en aide à ceux qui
doivent faire face à des taux d’intérêt élévés à une époque où le
taux d’escompte est de 13 p. 100. Cela ne donnera pas non plus
à manger aux affamés. Cela ne procurera pas d’emplois aux
chômeurs. Toutes ces belles paroles des députés d’en face au
sujet de la constitution n’épargneront personne de la poussée
rapide de l’inflation. Ils font perdre leur temps à la Chambre
et aux Canadiens en parlant de la constitution alors que notre
économie vacille et qu’ils n’ont donné suite à aucune des
promesses faites l’an dernier.
3314 DÉBATS DES COMMUNES 6 octobre 1980
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