Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Allocution d’Ouverture de l’Honorable Grant Devine (15-16 mars 1983)


Informations sur le document

Date: 1983-03-15
Par: Grant Devine
Citation: Conférence des Premiers Ministres sur les Questions Constitutionnelles Intéressant les Autochtones, Allocution d’Ouverture de l’Honorable Grant Devine, Doc 800-17/030 (Ottawa: 15-16 mars 1983).
Autres formats: Consulter le document original (PDF).


ALLOCUTION D’OUVERTURE DE L’HONORABLE GRANT DEVINE
CONFÉRENCE DES PREMIERS MINISTRES SUR LA CONSTITUTION
OTTAWA

LE 15 MARS 1983

Plusieurs ont pris la parole avant moi et ont déjà
exprimé des sentiments que je partage. Je voudrais en parti-
culier souhaiter à mon tour la bienvenue aux représentants des
autochtones et des gouvernements territoriaux qui sont venus
ici discuter avec nous de questions d’intérêt mutuel.

Une assemblée de ce genre est une première dans l’his-
toire de notre pays. Il se peut bien que ce rassemblement des
gouvernements et des peuples soit une expérience unique au monde.
Le désir manifesté par les Canadiens de nous Voir aborder fran-
chement les questions soulevées par les autochtones du Canada dans
le cadre du processus de révision de la Constitution se concrétise
enfin.

J’apprécie la sincérité et la rigueur avec laquelle les
porte-parole des autochtones ont présenté leurs arguments. Je ne
peux approuver tout ce qui a été dit ou toutes les revendications
qui ont été mises de l’avant. Mais je partage vos buts et vos
aspirations, comme c’est selon moi le cas de tous les habitants
de la Saskatchewan. Vous voulez bâtir un avenir meilleur pour les
autochtones. Vous souhaitez surmonter et faire disparaître bon
nombre des obstacles qui entravent votre marche.

-2-

Je présume, de bien des façons, que les habitants de
ma province ont vécu les mêmes expériences que les autochtones.
Je reconnais, et selon moi tous devraient comprendre, le senti-
ment spécial que les.autochtones ont pggr la terre, la relation
spéciale qu’ils ont avec la terre. Les habitants de la Saskat-
chewan ont foulé cette terre il y a tout juste un siècle pour
bâtir une province et une société. Ils y sont parvenus car
ils ont cohabité en harmonie avec la terre et ils s’y sont fiés
tout comme le font depuis des siècles les autochtones. Nos
traditions et notre histoire sont différentes. Nos cultures ne
sont pas les mêmes. Mais nous sommes tous profondément attachés
au sol et nous y vouons un respect sans borne. En Saskatchewan,
tous les habitants autochtones et non autochtones ont appris à
vivre avec les forces de la nature qui nous sont tantôt favorables,
tantôt défavorables.

Ainsi, nous pouvons nous identifier aux problèmes et
aux frustrations des autochtones du Canada et les évaluer peut-
être mieux que quiconque. De plus, nous sommes sympathiques à
leur cause car les Indiens et les Métis font partie intégrante
de la mosaïque de la Saskatchewan. Dans aucun coin de notre
province on ne peut rester indifférent à leurs problèmes ou ne
pas en être conscient. En pourcentage de l’ensemble de la popu-
lation, c’est dans notre province que les autochtones sont le
plus nombreux.

C’est donc dire que les problèmes des autochtones sont
aussi les nôtres et les miens. En tant que représentant de tous

les habitants de la Saskatchewan, je suis tout d’abord très
préoccupé par les statistiques alarmantes qu’on m’a transmises
au sujet des autochtones: le faible taux d’activité de la popu-
lation active, le nombre relativement peu élevé de personnes qui
terminent leurs études secondaires, leiaux de mortalité infantile
inacceptable et le nombre de personnes vivant sousle seuil de la
pauvreté.

Il n’est que trop évident que les Canadiens d’ascendance autochtone
ne jouissent pas des mêmes normes de bien—être matériel et social
que les autres Canadiens, ni même de normes semblables. Dans ma
province cette situation est inacceptable et, au nom de mon gou-
vernement, je m’engage à la rectifier. La semaine dernière, j’ai
rencontré les chefs de toutes les parties de la province pour
discuter d’un ensemble de mesures de développement économique à
l’intention des Indiens. Il est possible que ces mesures n’apportent
pas de solution à tous les problèmes avec lesquels nous sommes aux
prises, mais c’est un point de départ.

En Saskatchewan, nous faisons des démarches positives et
novatrices afin de favoriser le développement économique de tous
les citoyens, autochtones et non autochtones. Tous peuvent parti-
ciper à notre essor et tous le feront. L’esprit de la Saskatchewan,
notre esprit d’indépendance et d’autonomie, nous mènera au succès.

Je crois sincèrement, et à cet égard nous sommes d’accord,
que le développement d’un esprit d’indépendance est l’élément clé
de tous les efforts visant à satisfaire les ambitions des autochtones.

-4-

L’attitude paternaliste autrefois adoptée par les gouvernements
canadiens n’a pas eu l’effet escompté. Nous ne pouvons le nier.
Elle a plutôt accentué l’état de dépendance et réprimé les
initiatives individuelles. Cela n’est plus acceptable ni en
Saskatchewan, ni au Canada.

Nous devons songer de plus en plus à une situation où
les Indiens, les Inuit et les Métis se prendront en main, une
situation dans laquelle ils aurontles moyens de se prendre en
main et de définir, puis de façonner leurs propres destinées.

Je ne crois pas, toutefois, qu’il s’agisse de souveraine-
té même si les porte—parole des autochtones ont défendu ce principe
avec forte éloquence. Les arguments ne changent rien aux faits.
Au Canada, il y a une Couronne et deux ordres de gouvernement
souverains. Et ces deux gouvernements représentent tous les
habitants de leurs administrations respectives.

Toutefois, si on écarte la souveraineté, on n’exclut pas
forcément la ossibilité d’un ouvernement autonome. Je ne vois
pas pourquoi les Indiens, par exemple, ne pourraient jouir d’une
plus grande autonomie et de pouvoirs accrus sur les terres qui leur
sont réservées. Selon moi, il est non seulement souhaitable mais
inévitable que le contrôle local soit accru. Comme de nombreux
autres participants à cette conférence, j’attends avec impatience
le rapport du sous-comité parlementaire sur l’autonomie politique
des Indiens. Pour ma part, je me joins aux représentants des
autochtones pour inciter le gouvernement du Canada à favoriser un
esprit d’indépendance et d’autonomie.

-5-

Comme nous le savons tous, le gouvernement canadien a
des obligations spéciales, historiques et juridiques, envers les
autochtones. Un climat de confiance s’est établi entre les au-
tochtones d’une part et le gouvernement du Canada d’autre part
grâce au règlement des traités et des revendications territoriales.
Mais, au cours de la dernière décennie, et même plus tôt, une ten-
dance inquiétante s’est dessinée. Nous avons tous entendu les
dirigeants indiens décrire l’effritement de ce climat de confiance.
Ces dernières années, nous, les gouvernements provinciaux, avons
dû constater que le gouvernement fédéral n’offrait plus certains
services aux Indiens inscrits, tout spécialement à ceux qui, par
un concours de circonstances, habitaient à l’extérieur des réserves.
Monsieur le Premier ministre, des obligations officielles prises
envers tout un peuple ne doivent pas cesser d’exister simplement
parce qu’un particulier quitte une réserve.

Je n’ai pas à vous rappeler, Monsieur, les arguments
avancés au cmns de la dernière ronde des négociations constitu-
tionnelles. À ce moment-là, le gouvernement fédéral prétendait
que les frontières et les barrières provinciales étaient trop
rigoureuses. On a laissé entendre que les provinces établissaient
une discrimination contre les personnes qui traversaient ces fron-
tières pour vivre, travailler ou investir. Je me permets de sou-
ligner que les ministères de votre gouvernement agissent de la
même façon envers les autochtones du Canada. Une fois qu’ils quit-
tent leur réserve, on soutient qu’ils sont différents des autres
qui y restent. Sont—ils différents parce qu’ils ont moins besoin
de l’aide fédérale ou parce qu’ils en sont moins dignes? Peut-être
sont-ils moins indiens?

-6-

Nous avons entendu tous les arguments juridiques.
Nous savons tous, comme l’ont mentionné vos juristes, que le
pouvoir fédéral relatif aux Indiens et aux terres réservées aux
Indiens prévu à l’article 91 (24) n’a pas à être exercé. Mais
l’heure n’est pas aux arguments juridiques. Pas au moment où
des étudiants indiens du nord de la Saskatchewan voient leurs
écoles fermer leurs portes parce que le gouvernement fédéral
a arrêté de les financer. Pas au moment où des programmes
spéciaux sont requis pour les Indiens, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur des réserves, et pour les Métis. Pas au moment où
des Indiens sont touchés par de vaines querelles au sujet du
partage des compétences. Le Canada doit respecter toutes
ses obligations envers les Indiens. Autrement l’avenir ne
fera que perpétuer le passé.

J’ai l’intention de parler de cette question au
cours de la présente conférence car c’est peut-être celle qui
revêt le plus d’importance puisqu’elle aborde les vrais
problèmes que connaissent les gens dans leur vie quotidienne.
Les constitutions sont des documents importants. Mais les droits
constitutionnels, comme nous l’avons vu, ne peuvent en soi
résoudre tous nos problèmes. Nous ne pouvons, par voie
constitutionnelle ou législative, enrayer la pauvreté et le
chômage. Aujourd’hui, demain et même au-delà, nous devons
chercher des solutions pratiques a ces problèmes et non pas
nous fier à une quelconque panacée constitutionnelle.

Il ne s’agit pas de nier l’importance des questions
constitutionnelles inscrites à l’ordre du jour, comme le
mécanisme de suivi. Mon gouvernement a déjà fait savoir aux
dirigeants autochtones de la Saskatchewan qu’il était tout
disposé â accepter pareil mécanisme et à y participer. Nous
croyons qu’il est nécessaire pour que nous puissions résoudre
un jour, d’une façon ou d’une autre, les questions soulevées
par les groupes autochtones. Selon moi, il faudra se pencher
davantage sur la plupart des points inscrits à l’ordre du jour,
et le mécanisme de suivi constitue la formule appropriée à cette
fin. Prenons par exemple la Charte des droits des peuples
autochtones et l’énoncé des droits particuliers. Selon moi,
ces questions sont trop complexes pour être réglées aujourd’hui
et nous devrons y consacrer plus de temps avant de pouvoir les
exprimer sous une forme constitutionnelle rigoureuse.

La Saskatchewan participera à ce mécanisme de suivi.
Nous y affecterons les ressources nécessaires. Nous y travail-
lerons sérieusement et nous espérons que les résultats en
seront positifs. Mais aujourd’hui, nous devons déterminer la
nature de ce processus, les principes qui permettront d’en
définir les objectifs, les directives que nous donnerons aux
ministres et les moyens que nous devons utiliser pour ne pas
briser l’élan actuel.

De plus, nous avons manifesté notre intention
d’accepter une disposition relative à la consultation selon
laquelle les autochtones auraient dorénavant leur mot à dire

-8-

pour toutes les modifications qui les touchent directement.
Comme nous l’avons déjà mentionné, nous ne pouvons cependant
pas accepter un droit de veto. Cela ne cadrerait pas avec la
façon dont notre province conçoit la nature de ce pays. Même
si les groupes autochtones veulent obtenir ce droit de veto
ou une disposition relative au consentement, ils ne doivent
pas sous—estimer l’importance d’un engagement à procéder à
des consultations. Il s’agit en effet d’une amélioration
notable par rapport à ce qu’il y avait auparavant.

De nombreuses autres questions doivent être étudiées
aujourd’hui et demain. Nous devons discuter d’une disposition
relative à l’égalité des femmes autochtones, ainsi que d’une
reformulation de l’article 42 qui dissiperait les inquiétudes
manifestées par les territoires et les Indiens du Nord. Nous
devons songer sérieusement à établir une série de principes
généraux qui régiront le mécanisme de suivi.

La Saskatchewan participera bien entendu aux discussions
et aux travaux entrepris en vue d’en arriver à un consensus
qui soit acceptable à tous. Toutefois, un consensus, de par
sa nature, ne peut être parfait. Il ne peut satisfaire complè-
tement tout le monde. Mais c’est un départ. Et la Saskatchewan
essaiera d’être partie à ce consensus. Nous avons nos propres
opinions sur la façon idéale de procéder pour chaque question.
Mais nous sommes tout disposés, si les autres le sont, à
prendre part aux concessions mutuelles inhérentes à ce genre
de réunion.

-9-

Le gouvernement de la Saskatchewan croit sincèrement
que cette conférence des Premiers ministres permettra d’améliorer
la vie des autochtones du Canada. De son côté, la Saskatchewan
insistera sur le fait que le gouvernement fédéral doit
s’acquitter d’une responsabilité nationale dans l’intérêt des
autochtones du Canada. Il n’est pas nécessaire de modifier
la Constitution pour confirmer cette évidence. La volonté
politique est tout ce dont nous avons besoin. D’ailleurs,
je tiens à mettre en garde tous les participants contre
l’obsession de modifier la Constitution. Il y a peut-être
des moyens plus faciles et plus efficaces d’atteindre le
même objectif.

Je crois que notre réunion d’aujourd’hui peut aider
à équilibrer et à consolider davantage les rapports entre les
peuples autochtones et non autochtones du Canada. La
Saskatchewan est prête à aller de l’avant et à poursuivre ses
discussions avec les autochtones de la province sur toutes
les questions qui les préoccupent.

Monsieur le Premier ministre, les gouvernements du
Canada existent et exercent leur souveraineté uniquement dans
le but d’assurer, de protéger et d’améliorer le bien-être
de tous les Canadiens.

Voilà d’ailleurs la raison pour laquelle nous sommes
ici aujourd’hui, pour assurer, protéger et améliorer le

-10-

bien-être d’un groupe particulier de Canadiens, les autochtones du
Canada qui sont les descendants des premiers habitants du pays. Si nous
y parvenons, la situation de tous les Canadiens s’en trouvera
améliorée.

Il y a beaucoup à faire, Monsieur le Premier ministre,
et d’une façon ou d’une autre nous devons nous mettre à la tâche.
La Saskatchewan est prête à passer à l’action et nous croyons
que les autres provinces le sont aussi. Les générations futures
n’en attendent pas moins de nous.

Leave a Reply