André Beaulieu, « Du panier de crabes au panier de roses » (Charte de Victoria), Le Devoir [de Montréal] (28 octobre 1974)


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Date: 1974-10-28
Par: André Beaulieu (Le Devoir)
Citation: André Beaulieu, « Du panier de crabes au panier de roses », Le Devoir [de Montréal] (28 octobre 1974).
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Name of Publication Le Devoir Nom de la publication

Date OCT 28 1974 Date

La charte de Victoria de nouveau à l’ordre du jour

Du panier de crabes au panier
de roses

par
ANDRE BEAULIEU

Licencié en droit de Laval, l’auteur de cette libre
opinion est inscrit à l’Ecole du Barreau, avec spécia-
lité en droit constitutionnel. Il est aussi l’auteur d’un
projet de nouvelle constitution pour le Canada.

En 1931, le Canada, par le
Statut de Westminster, accédait
au rang de puissance souve-
raine, vis-à-vis la communauté
des nations. Il se libérait du
même coup de l’étreinte consti-
tutionnelle qui assujettissait sa
volonté législative à une stricte
conformité avec la loi anglaise
sous l’empire du Colonial Laws
Validity Act. M. le professeur
Bora Laskin, comme il était
alors, saluait avec enthou-
siasme, dans une pièce de litté-
rature juridique célèbre, (1)
cette rupture du lien colonial et
de un!

En 1949, le Canada, libéré des
contraintes auxquelles
l’astreignait le Colonial Laws
Validity Act, acheminait vers
son dénouement normal (c’est-
à-dire, la rapture) notre dépen-
dance sur le plan judicaire. Dé-
sormais, le tribunal d’Empire
allait être tenu à l’écart dans la
détermination des questions qui
touchent à l’éolution normale
du fédéralisme canadien. Par
un geste strictement unilatéral,
mais néanmoins reconnu con-
forme à la Constitution par ce
même tribunal d’Empire, le
Parlement du Canada écartait
pour le meilleur comme pour le
pire la volonté de magistrats
étrangers à nos moeurs et cou-
tumes.

Un concert de voix rétrogra-
des (généralement québécoises)
contesta l’opportunité de cette
prise en main de notre destin et
la remise à des magistrats for-
més dans le contexte même du
fédéralisme canadien la respon-
sabilité d’en sauvegarder non
pas l’équilibre mais l’authenti-
cité, i.e. préserver le principe
de la décentralisation législa-
tive. Il appartient aujourd’hui à
la Cour Suprême du Canada de
jouer ce rôle. Des voix té-
nébreuses et ignorantes lui prê-
tent les plus noirs desseins. Ces
craintes reposent sur une in-
compréhension crasse du rôle
de la Cour et sur ce bon vieux
préjugé, sur cette fable ridicule
charriée par les nostalgiques du
Comité Judicaire voulant que
le tribunal d’empire ait été de
1867 à 1949 moins centralisateur
que la Cour Suprême.

D’une part, il est tout à fait
erroné de confondre l’arbitrage
du contentieux communautaire
(qui doit nécessairement se
faire sur le plan politique) avec
le « close judicial scrutiny » de la
constitutionnalité des lois, fédé-
rales comme provinciales (qui
doit se faire sur le plan judicial-
re). La décision récente de la
Cour d’appel du Québec dans
l’affaire du règlement anti-
manifestations répudie l’argu-
ment avancé par la clique des
provincialistes; à savoir que le
bonheur des Québécois passe
par une interprétation « provin-
cialiste » de l’A.A.N.B. 1867 et
ses amendements. Cette
doctrine-là n’est pas de moi. (2)
Voir également l’ahurissante
décision de la Cour Suprême du
Canada dans ROSS c. Le Re-
gistraire des véhicules automo-
biles et le P.G. de l’Ontario, 5
novembre 1973.

D’autre part, un étude statis-
tique approfondie des perfor-
mances respectives du Comité
Judiciare et de la Cour
Suprême, une évaluation quali-
tative de leur impact véritable
sur le partage des compétences
démontre que ni le Comité, ni la
Cour ne sauraient être qualifiés
de particulièrement centralisa-
teurs pour la période ci-haut
mentionnée. J’oserais avancer
que le pouvoir d’urgence est
une « extravagance » du Conseil
Privé (Fort Frances Pulp), et
que la théorie des dimensions
nationales est une pure création
de ce même tribunal: Lord San-
key dans l’arrêt sur l’aéronauti-
que et la décision sur la tempé-
rance de 1946. le professeur
Laskin accueillait avec beau-
coup d’intérêt la nécessaire
émancipation des organes judi-
caires canadiens de la tutelle
impérialiste. Les générations
futures béiront ce geste
adulte. Une première moisson
de talents locaux d’une excep-
tionnelle qualité confirme tous
les espoirs que nourrissaient les
abolitionnistes. Je pense à mes-
sieurs les juges Duff, Mignault,
Rinfret, Rand, Hall, Pigeon et
Laskin. Et de deux!

Il subsite sur le plan de l’E-
xécutif un stimate impérialis-
te: Sa Majesté la Reine du chef
du Canada. A notre avis, l’insti-
tution qu’elle représente ne cor-
respond à aucune nécessité.
Une démocratie parlementaire
moderne peut et doit
s’affranchir des symboles lu-
xueux qu’elle implique. Il lui
manque de la crédibilité, de
l’authenticité à cette occasion
de mondanités onéreuses, à
cette attraction touristique, à
cette importation politique.
Entre la poire et le fromage,
consommons la rupture. Et de
trois!

La charte de Victoria

Enfin, pour reprendre les
termes du professeur Laskin:
« Even today, one badge of colo-
nialism remains — the formal
amendment of the British
North America Act by the Par-
liament of Great Britain. » De-
puis, les sommets constitution-
nels périodiques se sont
employés sans succès, à négo-
cier une formule d’amende-
ment qui nous soit propre et
susceptible d’intervenir sans
quelque intervention que ce
soit, même symbolique, de
Westminster. La charte de Vic-
toria impliquait le raptriement
du texte fondamental (bien peu
trouvaient à y redire) et sug-
géraient une formule d’amende-
ment en tout point remarqua-
ble, tant elle composait avec
le simple bon sens de la réali-
té politique canadienne.

Toutefois, un marchandage
(un chantage!) très discutable
ajouta à ce qui devait être la
pièce de résistance du compro-
mis de Victoria. Un fignolage de
fin de séance accoucha d’un do-
cument mort-né puisqu’il intro-
duissait d’une façon prématurée
et maladroite une disposition
casse-cou portant sur le partage
des compétences législatives,
Un triste sire, intrigant comme
il ne s’en fait plus, maneouvra
en coulisse l’immixtion de cette
malheureuse disposition dont
l’inopportunité a été pleine-
ment démontrée depuis que les
ministres concernés se sont at-
telés, hors les avenues suscep-
tibles de déboucher sur la ques-
tion constitutionnelle; se sont
attelés, hors les avenues suscep-
tibles de déboucher sur la ques-
tion constitutionnelle; se sont
attelés, dis-je, à négocier une
réforme du régime de sécurité
du revenu.

Nous apprenions ces jours-ci
que le premier ministre du Ca-
nada, las du statu quo, avait
entrepris, en dépit de l’obstina-
tion mal inspirée des fonction-
naires québécois attachés à la
négociation des dossiers consti-
tuinnels (à la pièce!) de relan-
cer la formule d’amendement
insérée dans la charte de Victor-
ria. L’initiative est accueillie
avec une grande satisfaction
dans les milieux accoutumés à
réfléchir. Elle suscitera et sus-
cite déjà chez les porte-parole
du « C’est tout, ou rien » la mé-
fiance ou l’opposition systéma-
tique traditionnelle. Il y va,
somme toute, de l’intégrité du
statu quo sur lequel on mise,
par ailleurs, dans la dénoncia-
tion devant l’électorat des
contradictions et faiblesses du
fédéralisme canadien.

Nous lisions récemment dans
le Devoir du « regretté » consti-
tionnaliste (aujourd’hui, poli-
ticien) J.Y. Morin. Le mon-
sieur affirmait qu’il allit com-
battre, sans répit, la formule
Trudeau-Turner puisqu’elle
niait le prétendu droit du Qué-
bec à ce que son avenir constitu-
tionnel ne soit décidé que par
lui seul. Il dit:

« L’opposition combattra
parce qu’elle refuse que l’ave-
nir constitutionnel du Québec
soit soumis à la volonté des
autres provinces et à l’ar-
bitraire d’Ottawa. »

Suit un procès d’intention que
je coifferai du bonnet d’âne
qu’il mérite.

Sous l’empire de l’A.A.N.B.
1867 et de ses amendements, le
Québec ne saurait légalement
disposer de son avenir constitu-
tionnel comme l’entend le chef
de l’Opposition sans l’accord du
Parlement du Canada et celui
de toutes les provinces de la fé-
dération. (4) Il existe une
contrepartie à cette ennuyeuse
proposition, qui ne manquera
pas de rassurer pleinement M.
Morin et ses collegues: le Parle-
ment du Canada ne sauait
chasser unilatéralement le Qué-
bec de la fédération. Nous au-
rions le droit,…le devoir de
nous y opposer avec la première
énergie.

En effet, toute proclamation
d’indépendance, i.e. toute inva-
sion globale des chefs de com-
pétences déjà assignées à l’auto-
rité législative du Parlement du
Canada, serait nulle et non ave-
nue à moins qu’un amendement
constitutionnel n’intervienne.
Sinon, aucun tribunal ne saurait
consertir validement à la mise
en oeuvre de toute cette série
de lois « ultra-vires » que la sé-
cession impliquerait. Or, dans
l’état actuel des choses, l’unani-
mité des provinces est exigée.
Sous l’empire de la formule
Trudeau-Turner, cette unani-
mité n’est plus requise. Un jeu
des majorités dans les provinces
peu peuplées, combiné à un
pouvoir de véto bien affirmé
chez les provinces d’Ontario et
de Québec, éliminerait la néces-
sité de l’impossible unanimité.
Cette formule-là sécurise le
Québec, en ce qu’elle lui garan-
tit un droit permanent et priori-
taire à ce que l’éolution du fé-
déralisme canadien ne lui
échappe point et autorise des
remaniements audacieux de la
loi Fondamentale auxquels il
eût été impossible d’en arriver
advenant les caprices d’une pro-
vince minuscule et politique-
ment insignifiante.

Encore là, le pouvoir de véto
des provinces concernées repré-
sente un élément de rigidité que
nous éliminerions pour une for-
mule plus audacieuse encore,
susceptible de provoquer dans
les plus brefs délais les néces-
saires réaménagements que la
Constitution réclame à grands
cris, à savoir une Déclaration
des droits opposable aux puis-
sances publiques du Canada et
revêtue d’une autorité supra-
légale, une réforme des institu-
tions de façon à introduire des
mécanismes de participation
des parties constituantes à la lé-
gislation fédérale, la rationalisa-
tion de la distribution des com-
pétences législatives et la pro-
tection des droits linguistiques
chez les minorités.

Bref, toutes bonnes choses
que la « tataouinage » des obscu-
rantistes et autres « pelleteux de
nuages » retarde. Par ailleurs, je
ne crois pas que la tactique des
fonctionnaires québécois ait été
jusqu’ici très fructueuse ou
même qu’elle soit susceptible
de rapporter d’ici l’an 2…les di-
videndes attendus. Le procédé
est vicieux et foncièrement
INUTILE.

Deuxième étape: un nou-
veau partage des pouvoirs?

Je ne crois pas tout à fait
inopportun, ni même complète-
ment impertinent de rappeler
ici, pour la mémoire des uns et
pour la meilleure intelligence
des autres, les propos inspirés
de M. Jean Beetz (aujourd’hui
juge puîné à la Cour suprême
du Canada). Il avançait dans
une étude intitulée: Les attitu-
des changeants du Québec à
l’endroit de la Constitution de
1867 (4), il avançait, dis-je, que
« si la compétence fédérale
semble presque indéfiniment
expansible (pour les raisons
qu’il énumère), celle des pro-
vinces semble avoir sa limite. »
Il ajoute: « Une province ne
peut espérer voir sa compé-
tence augmenter sans modifica-
tion constitutionnelle ».

Ainsi, les partisans acharnés
d’une expansion de la compé-
tence provinciale ne sauraient
logiquement s’obstiner dans
leur refus d’une formule d’a-
mendement qui substitue à la
règle de l’impossible, de la labo-
rieuse unanimité celle de la ma-
jorité requise. Toute autre atti-
tude dissimulerait avec diffi-
culté l’anguille sous roche que
laissent déjà deviner les propos
de M. Morin. Il est acquis d’une
façon irrévocable que le Québec
ne saurait légalement quitter la
fédération, hormis l’hypothèse
peu vraisemblable, peu judi-
cieuse d’une belle unanimité
fédérale-provinciale sur la ques-
tion. Bref, on y est, on y reste.

La formule de Victoria ne
modifie pas ce postulat de l’in-
tégritè fédérale absolue. Elle
autorise, toutefois, l’espoir d’a-
mendements intéressants pour
les développement de la compé-
tence législative des provinces
ou mieux encore, (dans une
perspective qui se situe davan-
tage du côté de l’efficacité fédé-
rale) un réaménagement du
partage des compétences qui
obéirait d’une façon plus rigou-
reuse au principe suivant: que
les matières reliées à l’expé-
rience quotidienne du dévelop-
pement et à l’affirmation de l’o-
riginalité des Canadiens dans
leur province respective relè-
vent de l’autorité législative des
Etats; que les matières neutres,
traditionnellement réservées à
l’organe suprême d’une Confé-
dération (affaires extérieures,
Défense), que les matières qui
ne concernent rien d’autre que
la prospérité et le bien-être des
Canadiens, traditionnellement
réservées à l’organe suprê-
me d’un marché commun (com-
merce extérieur et inter-étati-
que, trnasport, politique agri-
cole commune) et que les ma-
tières qui sont à la base d;une
cohésion nationale élémentaire,
traditionnellement occupées
par l’Etat souverain dans sa
mission de mécène et de « ras-
sembleur de peuples » (commu-
nications, uniformité des indi-
ces, poids et mesures, fuseaux
horaires, capitale nationale,
uniformité dans les règles qui
gouvernent les comportements
des personnes en rapport avec
la criminalité, le respect des li-
bertés publiques et des droits
fondamentaux assurés à tous
également) que toutes ces ma-
tières et celles qui sont accesoi-
rement nécessaires à l’exercice
efficace d’icelles soient réser-
vées au Parlement du Canada.

Pour plus de précision, les
matières assignées à l’autorité
législative exclusive des Etats
couvriraient les catégories de
sujets suivantes: l’intégration
des immigrants, le commerce
dans l’Etat, les permis et autres
autorisations pour les seuls ob-
jets étatiques, l’incorporation
de personnes morales pour des
objets autres que fédéraux, les
biens culturels, arts et tradi-
tions populaires, les collectivi-
tés locales, les services de santé
et les services sociaux, la fa-
mille et les rapports de droit ci-
vil, le travail et l’éducation.

Ce partage à la bonne fran-
quette présente le double avan-
tage de situer les leviers écono-
miques et financiers entre ces
mains que les exigences moder-
nes de la pratique du fédéra-
lisme supposent être celles du
fédéral (pour les fins de l’uni-
formisation des conditions de
prosperité) et de situer les
instruments de la social-
démocratie avec leviers finan-
ciers appropriés entre les mains
du pouvoir le plus près du
peuple. Le prélèvement de de-
niers que l’exercice efficace de
ces compétences participe-
raient d’une disposition prescri-
vant que le Parlement du Ca-
nada ne saurait taxer que pour
satisfaire des fins fédérales.

Vues simplistes sur
l’indépendance

Enfin, Me J.Y. Morin avance,
sans précaution intellectuelle,
que l’indépendance (lisez
« feuille de papier purement
déclaratoire ») est un phéno-
mène relié au droit constitution-
nel. Il est reconnu qu’à l’inté-
rieur d’une fédération multina-
tionale, l’aménagement des rap-
ports communautaires participe
du droit constitutionnel. Le
droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes s’accomplit des
lors que le peuple ou la nation
concerné jouit du pouvoir (ab-
solu ou limité) de régir par et
pour lui-même les rapports de
droit civil au sein d’une struc-
ture à caractère étaticue. Il suf-
fit qu’un attribut de la souverai-
neté lui soit conféré sur un
point essentiel de son existence
nationale pour que le postulat
onusien ait été respecté. Par ail-
leurs, la souveraineté limitée
reste compatible avec ce droit
reconnu à un peuple de déter-
miner par et pour lui-même les
matières reliées à l’expérience
quotidienne de son développe-
ment et à l’affirmation de son
originalité quand elle rencontre
une volonté législative prépon-
dérante à laquelle participent
des membres de la collectivité
fédérée.

Le très cher M. Morin achève
de nous étonner quand il af-
firme que le droit international
prime le droit interne. Les gens
peu habitués à réfléchir sur le dé-
sordre international souscriront
sans réserve à cette proposition
faramineuse. Je n’entends pas
la discuter davantage.

En guise de conclusion, les
Québécois n’ont rien à craindre
du rapatriement de la Constitu-
tion et de l’adoption d’une for-
mule d’amendement du type de
celle qui figure dans la Charte
de Victoria. En effet, le ra-
patriement n’a qu’une protée
symbolique et l’adoption d’une
formule d’amendement n’aurait
qu’une portée strictement utili-
taire, peu ou pas suceptible de
lier les mains du Québec. Au de-
meurant, le Québec y gagnerait
un moyen fort habile de se ré-
server l’avenir.

Renvois:

(1) Bora Laskin, The
Supreme Court of Acanada: a
Final Court of and for Cana-
dians, (1951) C.B.R. Vol.
XXIX, 1038-1039.

(2) Henri Brun, Le « Judicial
restraint » et le fédéralisme
canadien, (1974) 15 C. de C. 167

(3) Henri Brun et Guy
Tremblay, Droit Public Fon-
damental. Presses de l’Uni-
versité Laval Québec 1972. 223

(4) Jean Beetz, Les attitu-
des changeantes du Québec à
l’endroit de la Constitution de
1867. L’Avenir du Fédéralisme
Canadien. Edition de P.A.
Crépeau et C.B. Macpherson
133

A.B.

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