Province du Canada, Conseil Législatif, Débats Parlementaires sur la Question de la Confédération des Provinces de l’Amerique Britannique du Nord (9 février 1865)
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Date: 1865-02-09
Par: Province du Canada (Parlement)
Citation: Province du Canada, parlement, Débats Parlementaires sur la Question de la Confédération des Provinces de l’Amerique Britannique du Nord, 8e parl, 3e sess, 1865 aux 116-126.
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CONSEIL LÉGISLATIF.
JEUDI, 9 février 1865.
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L’Hon. M. Allan.—L’hon. monsieur qui a parlé à la fin de la séance d’hier soir a dit que, dans les circonstances où ont été présentées les résolutions qui nous occupent actuellement, il était inutile de les discuter ou d’émettre une opinion à cet égard. Si telle était l’opinion de la chambre et la mienne, je ne voudrais pas abuser de son temps en faisant des observations sur le grand projet qui lui est soumis. Mais je crois qu’en nous demandant notre avis le gouvernement n’a pas cédé à une simple considération de formalité, mais était animé du sincère désir que nous examinions et discutions la mesure afin de l’approuver ou de la rejeter comme ensemble. Je demanderai donc quelques instants à la chambre pour lui […]
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[…] exposer les raisons qui m’ont engagé à soutenir chaleureusement cette mesure. On a fait une objection que j’avoue, dès l’abord, ne pas comprendre, c’est que puisqu’il nous est interdit de faire aucun changement dans les détails du projet, nous trahirions la confiance de nos commettants en acceptant l’ensemble d’un projet dont quelques détails sont contraires à leurs opinions et sur lesquels nous n’avons pas eu occasion de les consulter, Dans le commerce ordinaire de la vie ne sommes-nous » pas constamment obligés de confier à quelques agents des affaires qui nous intéressent au plus haut point, mais qui, par leur nature même, ne peuvent être conduites autrement; et si nous avons confiance dans le jugement et l’habileté de nos délégués, ne sommes-nous pas heureux d’adopter leurs recommandations bien que, sur certains détails, ils ne soient pas toujours d’accord avec nous? Or, tel est le cas, pour le projet de confédération dont l’étude demande des hommes habiles, calmes et sérieux. Tant d’intérêts divers, tant de grandes questions y sont compris, qu’il serait presque impossible d’arriver à un résultat satisfaisant si on voulait consulter une assemblée populaire ou tout autre corps trop nombreux. L’opinion publique a reconnu, j’en ai la conviction, qu’à l’époque où s’est tenue la conférence le soin de préparer le projet d’union de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord a été confié aux hommes d’état que leur habileté, leur expérience et leur jugement recommandaient le plus pour ce travail. Une preuve c’est que jusqu’à ce jour la confiance dans les délégués n’a pas encore été ébranlée, ni dans le public ni dans la presse, et que l’ensemble du projet a reçu l’approbation générale. Il y a plus, depuis trois mois les principales dispositions du projet sont soumises aux citoyens du Canada; les opinions varient, il est vrai, sur certains détails, mais la grande majorité est parfaitement disposée de laisser la question entre les mains de ses représentants pour qu’ils en approuvent l’ensemble, si, après une discussion complète, ils trouvent que ses mérites contrebalancent! suffisamment certains vices de détail. Si donc, dans les circonstances particulières; où nous nous trouvons, il est évident pour moi que le projet est bon comme ensemble je me crois parfaitement autorisé, au nom de mes commettants, à soutenir cette mesure sans manquer à mon devoir et sans trahir aucunement le mandat qui m’a été confié. Voici maintenant les considérations qui m’ont engagé à soutenir cette mesure et m’ont paru suffisantes pour contrebalancer les objections qui ont été soulevées. Elles sont de deux sortes: les premières ont trait à notre condition intérieure, les secondes à notre position vis-à-vis des états voisins. Sur le premier point, j’admets en partie l’opinion de l’hon. membre pour la division de Brock, savoir: que nos divisions politiques ont seules nécessité les grands changements constitutionnels qui forment la base de la confédération. Mais en ce qui concerne nos relations extérieures, personne ne niera que la faiblesse chronique du gouvernement avait sérieusement alarmé les vrais amis du pays. L’orage nous menaçait et le vaisseau de l’état demandait des mains fermes et habiles; la faiblesse et l’hésitation nous conduisaient à un affreux désastre. Mais depuis quelques années, au moment où l’horizon politique s’assombrissait de plus en plus et que, de temps à autre, une vive animosité se manifestait entre nous et les Etats voisins, nous avons eu une succession rapide de ministères faibles et un gouvernement fort semblait presque une impossibilité: qui ne reconnaitra que cet état de choses recélait un grand danger pour notre société? Je crois que dans la fédération nous avons découvert le remède qui mettra fin aux dissentiments entre le Haut et le Bas-Canada qui nous ont valu tant d’administrations faibles. D’après le plan projeté, toutes causes de jalousie et de défiance entre les deux provinces vont disparaître et nous devons accueillir avec satisfaction tout changement qui fera casser les obstacles créés par l’esprit de section et de parti qui ont entravé le chemin à tant de ministères successifs, et mettra les hommes les plus capables à même d’unir leur conseils et leurs talents pour former un gouvernement solide. Ces considérations, en dehors de plusieurs autres, m’ont décidé à soutenir chaleureusement cette mesure; mais, selon moi, il y a encore d’autres raisons plus graves pour lesquelles l’union des provinces doit être opérée sans différer. Ceux qui ont suivi le mouvement de l’opinion publique en Angleterre depuis quelques années, dans le parlement ou dans la presse, en ce qui regarde les colonies, ont dû reconnaître que le sentiment général a été celui-ci, savoir: que nous devons commencer à assumer une plus grande part des des responsabilités devant lesquelles tout pays qui prétend à une existence nationale et à un rôle politique, ne doit point reculer. La […]
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[…] chambre a compris que je veux parler de la question de défense. Nous aurions eu tôt ou tard à nous occuper sérieusement et pratiquement de cette question, car nous ne pouvons attendre que la Grande-Bretagne continue à nous donner l’appui de ses armées et de sa flotte si nous ne manifestons pas le désir de porter notre part du fardeau en combattant pro aris et focis, au cas où la guerre nous menacerait malheureusement. Dans les circonstances actuelles, cette question doit donc avoir déja sérieusement préoccupé le gouvernement et la législature, mais elle prend une nouvelle importance en vue de l’état de nos relations avec les Etats-Unis. Tant que la paix et l’harmonie ont régné sur nos frontières les ressources du Canada seul ont pu suffire, mais aujourd’hui nous avons besoin de l’appui moral et matériel que peut seule nous donner une union cordiale avec un million de nos co-sujets. Avec l’opinion arrêtée que j’ai sur ces différents points je ne puis m’empêcher de demander ce qu’il en résulterait pour la prospérité du Canada si le projet de confédération éprouvait un échec; ne souffririons-nous pas sérieusement dans toutes nos relations sur ce continent et à l’étranger; notre crédit en Angleterre n’en serait-il pas affecté de la façon la plus désastreuse; ne dirait-on pas que c’est de notre part folie et manque de patriotisme que de demeurer faibles dans notre isolement tandis que l’union nous offre la force et la prospérité? Quelques honorables membres objectent à certaines questions de détail, par exemple les changements dans la constitution de cette chambre, et, plutôt que de voter ces détails, préfèrent entraver tout le projet. A mon avis, les membres électifs même auraient tort de parler contre le système électif tel qu’appliqué à cette chambre, bien que pour moi, par exemple, la majorité de mes commettants préfèrent, je crois, un conseil législatif nommé par la couronne. On a prétendu qu’entre une chambre haute exclusivement composée de membres à vie, et une chambre basse élective, il y aurait danger de conflit dans le cas où l’une des chambres rejeterait une mesure importante adoptée par l’autre; je crois que ce danger n’est pas réel. Je rappellerai aux honorables membres que le seul cas de conflit sérieux entre les deux chambres, au moins depuis quelques années, s’est manifesté depuis l’introduction du principe électif, en 1859, lorsque le conseil refusa de sanctionner le bill des subsides à cause de certains items relatifs au transport du gouvernement à Québec. Le gouvernement eut la minorité dans cette chambre; bien que la majorité de l’assemblée législative fût pour la mesure, ce ne fut qu’après un ajournement de quelques jours, et après avoir examiné de nouveau la question, et en faisant appel à quelques membres à vie du Bas-Canada, que le gouvernement l’emporta par une majorité de deux ou trois. En somme, néanmoins, je pense que les membres à vie du conseil admetteront que les membres électifs ont toujours gardé une attitude digne de l’esprit conservateur de cette chambre, sans se laisser aller aux violences de parti et en prévenant toute législation précipitée. Toutefois, si, avec le temps, cette chambre devenait entièrement élective, le danger serait, je crois, plus sérieux; les divisions de parti étant plus tranchées, nous verrions poindre la zizanie de parti qui a si souvent entravé les délibérations de la chambre basse; on pourrait réclamer l’initiative des mesures financières, et les deux chambres seraient incessamment menacées d’un conflit. D’honorables messieurs ont objecté qu’on imposait précipitamment cette mesure au parlement et au pays; quelques-uns même ont prétendu que notre position était assez critique pour n’admettre aucun changement de cette nature. Cependant, en observant un peu ce qui se passe chez nos voisins, tout le monde doit craindre que notre communication avec la mer ne soit bientôt interrompue pendant l’hiver, tandis que notre commerce avec les Etats-Unis est entravé par les restrictions les plus vexatoires, et que certaines démonstrations militaires et navales qui peuvent porter le trouble sur nos frontières ont été encouragées par le gouvernement et les citoyens des Etats-Unis. Je ne comprends pas comment, en présence de ces faits, un Canadien peut croire qu’il est indifférent pour son pays de rester isolé et comparativement faible, ou d’acquérir une puissance que lui donnera sans aucun doute une union avec les provinces maritimes. Quelques honorables messieurs envisagent peut-être nos relations avec les Etats-Unis à un autre point de vue que moi; mais de tous les côtés sous lesquels j’examine la question de la confédération, je trouve qu’il est vivement à désirer qu’elle soit réglée aussitôt que possible. Je ne voudrais pas, comme certains hons. membres, déprécier les ressources et abaisser la position du Canada; j’admets sans restriction que nos ressources matérielles […]
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[…] sont immenses, que nous avons un sol fertile, de riches minéraux et un systéme admirable de canaux et de chemins de fer. Mais je ne puis fermer les yeux à l’évidence et m’empêcher de reconnaître que notre trafic, notre revenu et nos intérêts commerciaux et agricoles ont tellement souffert de l’état actuel des choses au-delà des lacs, qu’à moins de nous créer de nouveaux débouchés, notre prospérité et notre bien-être sont menacés d’un danger sérieux. La confédération nous offre une occasion précieuse de remédier aux maux dont nous souffrons, en nous ouvrant une carrière de prospérité, si nous voulons profiter du moment. On peut dire, je crois, des nations ce que le poète dit des individus:
There is a tide in the affairs of man,
Which taken at the flood leads on to fortune;
Omitted, all the voyage of their life is spent
In shallows and miseries.
On such a full sea are we now afloat,
And we must take the current as it flows,
Or lose our venture.[1]
J’ose donc demander à cette chambre de ne pas laisser passer l’occasion, même au prix du sacrifice de quelques opinions individuelles, de former une confédération forte, puissante et prospère, et de laisser à nos descendants une existence nationale sous la glorieuse dénomination d’Anglo-Américains du Nord.
L’Hon. M. Sanborn .—Je me lève, M. l’Orateur, pour proposer la résolution dont j’ai donné avis, et je profiterai de l’occasion pour faire quelques observations sur la question. La discussion ne saurait la mettre en danger, et quelque soit la valeur qui lui reste après avoir passé au crible, elle se présentera assurément alors sous un jour plus favorable à la législature et au pays. Je me suis déjà prononcé dans une circonstance, non pas contre la question, mais comme étant plutôt disposé à bien envisager la confédération, et cela pour plusieurs raisons;— c’est dans le même sens que je me propose d’exposer aujourd’hui certains points qui, à mon avis, sont des plus propres à faire regarder une telle union comme devant assurer la prospérité des colonies et leur formation définitive en une grande nation. Le principe d’association sur lequel sont fondées les compagnies commerciales et les corporations renferme un secret de prospérité dont il serait assez difficile de préciser la nature et d’en rechercher la cause, mais que tout le monde s’accorde à reconnaître; appliqué aux nations, ce même principe a prouvé qu’il était assez puissant pour y produire des effets analogues à ceux qu’il produit dans les compagnies et les corporations. La diversité des intérêts ne prouve rien contre l’union (Ecoutez!) puisque c’est en cela même que pourrait se trouver la cause la plus puissante de l’union. De même que dans l’électricité les pôles opposés s’attirent mutuellement, de même des nations, qui sembleraient au premier abord opposées d’intérêts, deviendront assez souvent et par cela même très-unies; —la diversité des opinions qui produit le talent amènera leur comparaison et donnera naissance à une politique élevée propre à inspirer et non à abattre l’énergie de la population. La confédération, n’en doutons pas, aura pour effet d’élever les esprits et nous faire mieux comprendre nos ressources et ce dont nous sommes capables. Elle nous donnera l’éveil et nous rendra plus ardents à nous servir de notre industrie de façon à produire les meilleurs résultats. Si l’union du Haut et du Bas-Canada a fait du bien aux deux provinces, celle qui devra avoir lieu avec les autres colonies, habitées par un peuple élevé dans d’autres circonstances et provenant de diverses origines, devra n’être pas sans avantages réciproques. Elle donnera aux populations des provinces l’occasion d’étudier les habitudes et les genres d’industrie de chacune d’elles, et fera naître des vues plus larges et plus élevées. L’assimilation des tarifs, entr’autres, ne sera pas d’une petite importance et devra simplifier de beaucoup la machine administrative. L’union nous donnera aussi l’avantage d’avoir des ports d’hiver à nous—avantage que je ne prise cependant pas autant que quelques hons. députés. On nous a dit qu’aucun pays de l’intérieur ne peut aspirer à être grand, et que sans accès à la mer, nous ne devons pas nous attendre à aucune prospérité permanente. Sans doute, la possession des ports de St. Jean et d’Halifax doit nous paraître désirable, mais elle ne nous procurera pas tous les résultats que l’on en attend. Je ne nie aucun de ces avantages et je crois même […]
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[…] que nous devons nous efforcer de nous les procurer, mais il n’en est pas moins vrai que la mesure renferme des dispositions dont la mise à exécution serait certainement préjudiciable aux gouvernements locaux aussi bien qu’au gouvernement général. Mais les répugnances que j’éprouve à l’endroit de ce projet viennent surtout de la manière dont il a pris naissance:—il me sera toujours impossible de penser que c’est en conformité de l’analogie des choses ou des leçons que nous donne l’histoire que quelques hommes, tout bien intentionés et capables qu’ils soient, ont cru devoir de leur propre mouvement rédiger une constitution et jeter les bases d’une nouvelle nationalité. Si, en effet, nous portons nos regards vers les Etats-Unis (dont la constitution à laquelle je vais faire sous peu allusion à été plus fidèlement copiée en cette circonstance que celle de l’Angleterre,) nous verrons avec quelle patience les auteurs de la constitution du peuple américain ont procédé à leur œuvre. (L’hon. Orateur fait alors l’histoire de la première fédération des colonies de la Nouvelle Angleterre formée pour la défense mutuelle et qui ne fut pas une union nationale. Les discussions qu’elle occasionna durèrent du 7 octobre au 15 novembre 1775. Cet arrangement ayant paru insuffisant aux Etats intéressés, la législature américaine commença, en septembre 1787, à délibérer sur une nouvelle constitution—laquelle resta soumise au peuple durant deux années et ne fut ratifiée qu’en octobre 1789.) Ces faits prouvent combien les américains se montrèrent sages et vigilants en cette circonstance; l’on sait, d’ailleurs, ainsi que le disait l’autre soir un député éminent de la chambre d’assemblée, que les plus grands hommes des Etats-Unis prirent part à la rédaction de la constitution. On peut juger, par la longueur des discussions et par l’espace de temps donné au peuple pour l’étudier et se prononcer, combien on avait à cœur de la faire la plus parfaite possible. Quelle fut la cause première de la fédération entre les Etats de la Nouvelle-Angleterre? Leur pauvreté et leur faiblesse relatives. Sortant à peine d’une guerre ruineuse avec la Grande-Bretagne, ils se trouvèrent obligés d’organiser un gouvernement pour un vaste pays peuplé par environ deux et demi à trois millions d’âmes, et jetèrent les yeux sur le régime fédéral, puis en vinrent à une union plus étroite sous la deuxième constitution. Comment le fait s’est-il produit <cb/> chez nous? On a prétendu que nous avions été amenés dégré par dégré et suivant l’induction la plus rigoureuse à être forcés de recourir au projet que l’on propose aujourd’hui;— qu’à moins de l’adopter, les partis allaient se trouver en collision dans le parlement et que tout progrès resterait suspendu; mais est-ce bien là la véritable cause, et n’est-ce pas plutôt le manque de patriotisme, et non d’une bonne constitution? S’il y avait eu moins de violence dans l’esprit des partis, et plus de disposition à s’entendre mutuellement, il n’y aurait pas eu de conflit possible. (Ecoutez! écoutez!)
L’Hon. M. Ross.—J’espère que l’hon. préopinant l’a senti.
L’Hon. M. Sanborn.—Si ceux qui sont à la tête des affaires l’avaient compris comme ils auraient dû, ce conflit n’aurait pas eu lieu, car il a plutôt existé de nom que de fait. Qu’on ne vienne donc pas dire qu’il était impossible à un gouvernement de commander une majorité respectable; d’où partaient les difficultés, sinon d’une agitation obstinée en faveur de la question de la représentation basée sur la population que le peuple avait fini par croire l’un des axiomes fondamentaux du gouvernement? (Ecoutez! écoutez!) S’en suivait-il du fait de l’existence de certaines difficultés qu’il était impossible de les régler sans recourir à une mesure comme celle-ci,—et pouvait-on être certain que la confédération les ferait disparaître? Au lieu de faire face aux difficultés, le gouvernement les a évitées et est entré en convention avec les provinces où elles n’existaient pas sans prendre les moyens de s’en débarrasser. La fédération naquit alors absolument, comme Minerve, du cerveau de Jupiter, et nous apprîmes alors que c’était précisément cela qui nous manquait pour rétablir l’ordre et la tranquillité. On nous dit que nous devions l’accepter telle qu’elle était sans en rien changer,—que nous devions mettre de côté notre qualité de corps délibérant et sans nous occuper du pays que l’on avait tenu à dessein dans une ignorance complète du projet, voter son acceptation ou son rejet. Il est bien vrai qu’aussitôt après que les résolutions furent adoptées on en envoya des copies aux députés des deux chambres, sous le sceau du secret, —mais le peuple devait n’en savoir rien. Et de fait, si les députés se fussent confirmés à cette discrétion qui leur était recommandée et n’eussent pas rendu publics les détails du projet, le pays en ignorerait encore le caractère, […]
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[…] car on ne peut prétendre qu’il lui ait jamais été soumis d’une manière constitutionnelle. C’est alors qu’il nous fut dit que comme députés du peuple et patriotes notre devoir était d’accepter la mesure telle qu’elle était, dût-elle nous paraître défectueuse, afin de ne pas s’exposer à la voir perdue à jamais. Les journaux du Haut-Canada, à qui on avait fait la langue, n’ont pas manqué de proclamer que le projet recevait l’approbation générale;—mais en supposant, comme je le crois aussi, que l’idée toute simple d’une union fût approuvée, comment le peuple pouvait-il se prononcer pour ou contre des détails qu’ils ne devait connaître que lorsqu’ils seraient discutés en parlement? On pensait, au moins parmi les anglais du Bas-Canada, qu’une fois le projet connu dans tous ses détails, il ne serait pas voté sans être soumis au peuple, et je n’hésite pas à dire que si cet appel au peuple n’avait pas lieu le gouvernement encourrait une très grave responsabilité qui, en cas d’insuccès, devait lui attirer dans l’avenir les malédictions au lieu des bénédictions. Il est bien vrai que le gouvernement, chaque fois qu’il s’est prononcé à ce sujet, n’a jamais dit que cet appel au peuple n’aurait pas lieu, mais ses paroles ont été un peu comme celles de l’oracle de Delphes, c’est-à-dire susceptibles de deux sens. Or, que signifie un tel langage sinon l’intention de pousser les choses le plus promptement possible vers leur terme quelle que soit la volonté du peuple. D’après cette mesure, deux au moins sur trois des députés élus vont pouvoir voter eux-mêmes pour se constituer membres à vie:—mais oublie-t-on qu’il existe une loi pour garantir l’indépendance du parlement, qui va jusqu’à déclarer inhabile à siéger celui qui accepterait une fonction publique salariée, fut-elle celle de maître de poste ou caution de maître de poste du coin le plus éloigné du pays, et cela afin d’empêcher que la législature ne s’écarte du droit et de la justice? La loi dit encore que tout individu convaincu de siéger illégalement en parlement sera passible d’une amende de £500 par jour;—si donc on à jugé à propos de se montrer aussi sévère sur un tel sujet, n’as-t-on pas violé cette loi en invitant cette chambre à voter une mesure qui décrétait que les membres du conseil législatif fédéral seraient nommés à vie et pris dans le sein même du conseil législatif actuel? Supposons, ainsi que l’hon. commissaire des terres de la couronne nous l’a laissé entendre, supposons que les membres nommés par la couronne doivent être choisis tout d’abord …..
L’Hon. M. Campbell—Je n’ai rien dit de tel, et l’assertion de l’hon. préopinant manque complètement de fondement. Je ne me suis servi d’aucune expression qui pût faire entendre rien de semblable, j’ai dit au contraire que ce choix serait fait en tenant compte des membres élus ou nommés à vie de cet honorable conseil aussi bien que des deux partis politiques.
L’Hon. M. Sanborn.—J’ai raison de croire que mon assertion n’est que la conclusion logique des paroles de l’hon. commissaire des terres de la couronne.
L’Hon. M. Campbell.—Il faut que l’hon. monsieur ait été hors de la chambre quand j’ai parlé de cette question, car comment expliquer d’une autre manière l’interprétation qu’il a donnée à mes paroles?
L’Hon. M. Sanborn. — J’accepte l’explication, d’autant plus qu’elle ne diminue en rien la force de mon raisonnement, car lorsque je suppose que tous les membres actuels nommés par la couronne devront être choisis de nouveau, je n’ai avancé que ce qui est raisonnable; ne serait-il pas injuste de les priver de siéges qui leur ont été donnés pour la vie? L’hon commissaire des terres voit donc que je ne lui ai attribué qu’une opinion que je croyais moi-même juste. Si donc les membres actuels qui ont été nommés par la couronne doivent tous garder leurs siéges, cette perspective constitue encore un appât direct pour les deux tiers au moins des membres députés ici par le peuple. Certes, on ne niera pas qu’un tel arrangement ne jette du louche sur tout le projet, qu’il ne soit pas propre à fausser le jugement et qu’il ne soit un de ceux ne l’on ne doit jamais proposer à un corps législatif. Les membres de ce conseil qui tiennent leur mandat du peuple ont des droits sacrés à exercer; — nous sommes ici pour représenter nos électeurs et rien de plus; nous n’avons donc pas, par consequent, le droit d’abolir les franchises populaires. Notre mandat ne comporte pas ce droit, et en l’exerçant nous contrepassons les pouvoirs qui nous ont été delegués. Je reviens maintenant au principe lui-même des conseils législatifs électifs qui a été adopté dejà dans quatre autres colonies à part le Canada. Il faut bien remarquer que nous n’avons pas été les premiers à l’exploiter, quoique nous soyons la colonie la plus importante qui l’ait fait et que nous puissions nous flatter d’être les plus avancés quand il s’agit d’établir des […]
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[…] précédents, comme par exemple lorsqu’on nous dit qu’avec l’union des provinces maritimes nous formerons la troisième nation de l’univers—(Ecoutez! écoutez! —on rit.) Il y avait longtemps que le peuple demandait l’application de ce principe, et cela en dépit de beaucoup d’obstacles et de résistances; cette réforme constituait une des fameuses 92 résolutions du parti constitutionnel du Bas-Canada; — elle fut à la fin accordée ainsi que beaucoup d’autres. On se rappelle que lors des discussions soulevées par cette question, plusieurs exprimèrent les craintes que les membres ainsi députés par le peuple ne voulussent réclamer le droit de disposer eux aussi des deniers publics, et que l’antagonisme ne finit par s’introduire entre les deux branches de la législature:— rien de tel n’est arrivé; au contraire, la constitution a fonctionné comme à l’ordinaire. L’infusion de l’élément populaire s’est faite graduellement afin d’éviter ce malheur et le résultat a été des plus favorables. Le même principe électif a été également adopté en conseil législatif de l’Ile du Prince-Edouard;—je demanderai ce que va devenir ce conseil sous la 14ème résolution, qui déclare que:— » Les premiers conseillers fédéraux seront pris dans les conseils législatifs actuels des diverses provinces, excepté pour ce qui regarde l’Ile du Prince-Edouard, etc? »Que signifie cette restriction; doit-on comprendre que les conseillers de l’Ile du Prince-Edouard resteront sujets au choix du peuple?
L’Hon. M. Campbell—Non; ils seront choisis et nommés par la couronne. La raison de cette restriction est de ne pas obliger le gouvernement fédéral à prendre les conseillers de cette île parmi ceux qui composent son conseil actuel.
L’Hon. M. Sanborn.—Cette variante a-t-elle été adoptée parce qu’on avait raison de n’être pas satisfait de l’application du principe électif en Canada?
L’Hon. M. Campbell—Non, et c’est précisément pour cela que le choix se fera ici dans le conseil actuel.
L’Hon. M. Sanborn.—Il paraîtrait que l’Ile du Prince-Edouard, mécontente du principe, aurait dicté cette proposition et que le Canada s’y serait soumis.
L’Hon. M. Campbell.—La conférence n’a pas accepté les vues de l’Ile du Prince-Edouard mais celles de ses délégués qui se montrèrent si mécontents de leur conseil législatif qu’il leur fut accorder de faire leur choix parmi toute la population;—de telles raisons n’existent pas pour le Canada, nous n’eûmes pas à faire d’exception en sa faveur.
L’Hon. M. Sanborn.—Supposons qu’on laisse de côté tout à fait les membres électifs, que devient le droit du peuple de se faire représenter par des hommes de son choix?
L’Hon. M. Campbell—Cette intention n’existe pas.
L’Hon. M. Sanborn—Aussi, n’est-ce qu’une hypothèse que j’émets, et je suis heureux d’apprendre les raisons qui ont induit les delégués à abandonner le principe électif dans la composition du conseil législatif, maintenant toutefois que le Canada ne méritait pas d’être traité ainsi. D’un autre côté, est-ce que les représentants de cette province à la conférence du dix octobre avaient mission du peuple pour justifier leur conduite? Non, ils n’en avaient aucune. S’ils n’ont pas agi sous les ordres de l’Ile du Prince-Edouard, alors ils ont agi de leur propre mouvement et sans mandat aucun; la conclusion est légitime et logique! Quant à la proposition d’amender ces résolutions, je ne vois pas ce qui peut empêcher cette chambre de les modifier en effet si elle le juge à propos. Je veux bien admettre que ces résolutions ont la nature d’un traité et que si nous les votons nous devons les voter toutes afin de n’en pas changer le caractère; mais nous avons le droit, et nous sommes obligés, puisqu’elle sont proposées à notre approbation, de déclarer si elles satisfont ou non à nos désirs. Si le projet nous plaît en général nous n’avons pas besoin de le rejeter et de modifier par là nos relations avec les autres provinces, mais nous pouvons l’amender et le changer en ce qui regarde le Canada sans leur donner cause de se plaindre. Quel intérêt peuvent-elles avoir à ce que nous choisissions comme nous l’entendons nos propres représentants? Le seul droit qu’elles puissent avoir est celui de nous empêcher d’envoyer plus des deux-tiers du chiffre total des membres. Il y a une manière de présenter les questions pour effrayer et convaincre les esprits chancelants; —mais je prie la chambre de descendre au fond de la question et me dire si l’adoption de mon amendement qui laisse intact le principe de la représentation tel qu’exprimé dans les résolutions pour changer simplement le mode de choisir les membres, si cette modification, dis-je, pourrait […]
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[…] produire d’autres résultats que ceux que j’ai déjà indiqués, à savoir que le parlement impérial pourrait prendre en considération le projet entier et l’amendement sous considération et décider ainsi du sort de ce dernier. M. Cardwell a déjà fait ses remarques sur le même question, et, s’il y a modification, ne serait-ce pas retenir le principe électif? Et si le parlement impérial peut en agir ainsi, pourquoi ne lui demanderions-nous pas de le faire? Ne pouvons-nous pas faire connaître nos vues? allons-nous adopter, sur une mesure aussi grave par son caractère que par sa portée, un principe sans avoir auparavant s’ i1 est avantageux? En votant mon amendement, l’hon. conseil conserverait dans les résolutions le principe de la représentation fédérale, et dans le futur conseil législatif les mêmes membres, au moins pour le Canada; ensuite, et pour rendre la proportion des provinces maritimes relativement égale, on leur accorderait la nomination de dix membres à vie On nous dira peut être qu’un tel mode est absurde, afin de nous empêcher de considérer la question; mais ne sera-ce pas nous faire injure à nous mêmes que de suivre une telle conduite? Car beaucoup d’honorables députés siègent ici comme moi en vertu d’un mandat populaire, d’autres au contraire en vertu d’une nomination royale; et cette condamnation de notre condition présente devra par conséquent s’étendre aussi à notre condition passée. Les mêmes raisons qu’on a fait valoir jadis pour l’adoption du principe électif ont la même force encore aujourd’hui. C’est un détail d »administration intérieure et c’est à ce titre qu’il doit être réglé. Chaque province a ses intérêts particuliers et doit les favoriser suivant qu’elle le juge bon Si par la suite on s’aperçoit qu’il faille des changements, il sera toujours temps de les accorder Je ne vois donc rien d’inexact, ni de déraisonnable dans une telle opinion, et je suis encore à me demander ce qu’elle. a d’absurde. Je n’ai pu découvrir encore une raison suffisante à un tel changement de régime politique, et comme le Canada formera la grande majorité de la confédération, il semble qu’il ne devrait pas être effectué sans égard à ses opinions. On regarde aujourd’hui la représentation basée sur la population comme une question organique; mais on ne l’a certainement pas traitée ainsi dans le projet de confédération. 0n nous a dit que le vote avait été prîs non aux voix mais par provinces, et c’est ainsi que les colonies maritimes, quoique inférieures en nombre, ont pu commander la majorité des délégués. Mais, nous a-t-il été répété, les délégués canadiens étaient des hommes distingués par leur position et par leur talent:—je ne le nie pas, mais il est permis de demander si à eux seuls ils renfermaient tout le talent et les vues politiques de la province. Il n’en reste donc pas moins établi que le loi a été faite aux deux-tiers des populations concernées dans cette grande question par l’autre tiers. On nous dit encore que l’on devait approuver la constitution élaborée par le conférence parce qu’elle avait été rédigée d’après celle de l’Angleterre: ‘mais on devait savoir que la constitution anglaise est la seule au monde de son espèce et qu’elle ne peut pas être imitée. Elle est le fruit de siècles et l’expression le plus énergique des libertés anglaises et de l’amour que porte le peuple anglais à la justice et à la loyauté. (Ecoutez! écoutez!) Elle est le produit de l’expérience la plus sévère et le monument le plus unique en son genre de la sagesse des hommes; c’est pourquoi il faudra des siècles pour qu’elle puisse être imitée (Ecoutez!) à cause de l’essence même de sa nature. La raison en est à la différence d’origine des divers peuples, à leur génie différent, à leur plus ou moins grande ancienneté, et à des circonstances variées. L’horreur de nos faiseurs de constitution a été grande pour la constitution américaine; eh! bien, je vais prouver qu’ils ont emprunté plus à cette constitution qu’à toute autre, quoique à certains égards ils s’en soient très éloignée, comme par exemple dans la composition de la chambre haute. Les résolutions déclarent que les trois sections de la confédération ayant des intérêts différents jouiront dans le conseil législatif d’une égalité de représentation, tandis que celle de la chambre basse sera basée sur le chiffre de la population: or, ces deux dispositions sont copiées exactement de la constitution États-Unis. Celle qui concerne la nomination des membres à vie du conseil que l’on prétend empruntée à la constitution anglaise lui est tout à fait opposée dans la limite qu’elle fixe en chiffre des membres Qu’est-ce que la délimitation des pouvoirs du gouvernement fédéral par rapport à ceux des gouvernements locaux, sinon la résurrection de la vieille théorie des droits fédéraux et des droits d’État qui a produit la guerre actuelle, et qui ne cessera d’être une cause de discorde dont nos arrières neveux pourraient bien un jour goûter les fruits amers. Mais ce n’est pas tout, et je croirais manquer à […]
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[…] mes devoirs les plus sacrés si je ne disais un mot de la position qui va être faite aux anglais du Bas-Canada. L’hon. premier ministre s’est étendu sur les sentiments de tolérance dont ses compatriotes ont toujours fait preuve autrefois; je ne prétends aucunement le contredire et je lui concède bien volontiers ses assertions, car, élevé au milieu d’une population mixte française et anglaise et représentant une division électorale dont la majorité était française, il me sierait peu à moi surtout de mettre en doute la libéralité de leur caractère et leur amour de la justice égale. Mais nous sommes rendus à une époque, où, obligés de régler les conditions de l’avenir de ce pays, nous devons secouer toute idée de fausse délicatesse, et assurer par des garanties la continuation de ces bonnes dispositions et de cet esprit de tolérance qui existent depuis si longtemps et qui, je l’espère, existeront toujours. Aucune calamité ne serait aussi à craindre pour les anglais, et je dirai même pour les deux races, que l’introduction des dissentions religeuses dans la population du Bas-Canada. (Ecoutez! écoutez!) C’est pourquoi, ce serait se tromper bien gravement que de négliger les précautions nécessaires pour perpétuer les bons sentiments et empêcher d’éclater l’esprit d’aggression qui se retrouve plus ou moins dans chaque population. Qui ne sait que l’amour du pouvoir et de la domination existe dans le cœur de chacun, que personne n’en est exempt et que l’histoire universelle ne nous montre pas un seul peuple qui ait jamais pu s’en affranchir? L’hon. premier n’a pu s’empêcher de reconnaître lui-même cette vérité dans le cours de ses remarques sur les difficultés entre le Bas et Haut-Canada, et la raison pour laquelle les canadiens-français ont toujours refusé d’accorder au Haut-Canada la réforme de la représentation sur les nouvelles bases du chiffre de la population, n’est pas autre chose que la crainte qu’ils avaient de voir par là leurs institutions mises en danger. Or, sous la nouvelle constitution, leurs droits ont été tellement sauvegardés, ainsi que je l’ai dit, qu’ils n’ont pas à redouter la moindre chose; mais les anglais qui forment un quart de la population du Bas-Canada et qui par leurs habitudes et leurs traditions ont des tendances politiques différentes, ne s’est-on pas borné à leur donner en fait de garanties que les bons sentiments et l’esprit de tolérance de leurs concitoyens d’origine française? Est-ce là une sûreté? Je sais que l’on veut sauvegarder leurs droits sur la question de l’éducation, mais ceux de leurs propriétés ne sont-ils pas laissés à la merci de la législature locale? Ceci m’amène à aborder la partie de la constitution qui se rapporte aux droits civils et aux droits de propriété. La codification des lois civiles du Bas-Canada aura pour effet, dit-on, de rehausser notre crédit:—je le crois, mais en autant qu’elle sera basée sur des principes certains et qu’elle sera définitive, car quelle est la base de la prospérité d’un pays sinon la sûreté des droits de la propriété sous toutes ses formes? Cette idée est profondement enracinée dans l’esprit de tout anglais et de tout américain, puisque la constitution des Etats-Unis déclare qu’il ne sera voté aucune loi affectant les droits de la propriété. On en voit un exemple dans le célèbre cas du collège de Darmouth où WEBSTER donna des preuves si éclatantes de son talent et où l’on vit la dotation de cette institution maintenue et assurée à jamais. Or, à quelle autorité se trouvent déférés les droits de la propriété dans les présentes résolutions? Et lorsque le ministre des finances devra effectuer des emprunts à l’étranger, pourra-t-il affirmer que la constitution garantit tous les droits lorsqu’il sera bien connu que les lois de la propriété sont abandonnées au caprice des gouvernements locaux? Où se trouverait la sécurité pour les grandes corporations religieuses de Montréal si par exemple les animosités contre le monopole venaient à prendre le dessus dans le parlement local?
L’Hon. Sir E.P. Taché.—L’hon. préopinant oublie que la législature générale a le pouvoir de refuser sa sanction à de tels actes.
L’Hon. M. Currie.—Mais alors ce sera empiéter sur les droits locaux?
L’Hon. M. Ross.—Au contraire, ce serait précisément sauvegarder les droits locaux.
L’Hon. M. Sanborn.—C’était une sage prérogative, digne de l’approbation de tous; toutefois, ce n’était pas un pouvoir ordinaire auquel on devait faire appel tous les jours, c’était en quelque sorte une ressource extrême et révolutionnaire. C’était à peuprès ce qui existait dans l’assemblée législative, la faculté de refuser les subsides, mais par sa nature même ce pouvoir ne pouvait être fréquemment exercé sans remuer la société jusque dans ses fondations et occasionner les plus grands malheurs. En somme, je considère qu’il serait illogique et dangereux […]
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[…] de confier un si grand pouvoir aux gouvernements locaux, et de faire savoir au monde que les droits même de la propriété ne seraient plus respectés. On a prétendu que pour que cette mesure ait son effet il faudrait l’adopter immédiatement; ce n’est pas mon avis. Pourquoi tant se hâter, et en quoi nous serait-il préjudiciable de différer de quelques mois? Cette union bien formée nous mettra, dit-on, à même de défier l’univers entier et nous assurera une paix inaltérable. Je veux bien croire qu’elle augmentera la facilité des communications mais je doute qu’elle augmente notre force. Je ne comprends pas comment les citoyens du Nouveau-Brunswick pourraient laisser leurs frontières sans défense pour venir à notre secours. Si j’ai mal compris l’exposé des ministres qu’ils veuillent bien me démontrer encore comment ce surcroît de force nous sera acquis? Trois ou quatre provinces vont s’ajouter à l’union, mais notre frontière sera augmentée en étendue beaucoup plus que nous le serons en forces. Les partisans de ce projet nous disent que les flottes de la Grande-Bretagne pourraient défendre St. Jean, par exemple, tandis que nos volontaires voleraient à la frontière, mais le chemin de fer intercolonial, suivant la frontière, serait sujet a des attaques continuelles et nous n’aurions personne pour le défendre. Le Bas-Canada pourrait toujours être attaqué par les Etats du Maine et de Vermont, et le Haut-Canada par celui de New-York. En pareilles circonstances chaque portion de la confédération aurait assez de ses propres affaires. La religion nous recommande d’aimer notre prochain comme nous-mêmes mais pas mieux ne nous-mêmes. (Rires.) On ne nous a pas dit quel serait le budget affecté à la défense, et même l’hon. M. Tilley a eu soin de se taire sur ce point. La province vient de dépenser dernièrement $400,000 pour envoyer quelques volontaires à la frontière. Si les garanties du projet de confédération ne sont pas suffisantes pourquoi augmenter nos défenses sur ce point? Nous sommes aussi en sûreté que nous le serons alors. L’hon. premier a dit que nous étions sur un plan incliné, alors faisons comme la Hollande, construisons des digues pour ne pas glisser dans l’océan de la grande confédération américaine. (Rires!) Si nous devons être engloutis dans une avalanche ou glisser graduellement jusqu’au fond de l’abîme c’est la confédération qui va nous sauver! Alors rendons grâces à la confédération! Si nous nous étions simplement arrangés avec le Haut-Canada au lieu de chercher à créer une nouvelle nationalité les choses auraient été beaucoup mieux. Le Canada a eu des difficultés avec les Etats-Unis, mais ils ne nous ont jamais menacés d’une aggression excepté lorsqu’ils ont été en guerre avec la Grande-Bretagne,—je crois même qu’aujourd’hui ils ne songent pas le moins du monde à nous envahir. Si nous voulons avoir une constitution durable il faut qu’elle ait sa base sur les sympathies du peuple. (Ecoutez!) Tant qu’elle ne jouira pas de ces sympathies les innovations seront mal reçues. Il faut que le peuple comprenne à quoi on l’engage, et il faut qu’il se dévoue au nouveau projet. (Ecoutez!) Pourquoi l’Angleterre a-t-elle toujours résisté aux tentatives faites contre sa constitution? Parceque chaque anneau de cette grande chaîne avait été conquis par la résistance à l’oppression et au prix du sang, (écoutez!) par la résistance au despotisme des rois; (écoutez!) c’est pourquoi le peuple s’attache si fortement à ses droits. (Ecoutez!) C’est pourquoi cette constitution a des bases si solides, pourquoi elle a duré si longtemps et pourquoi elle durera peut-être toujours. (Ecoutez!) La constitution qu’on nous demande n’a que des fondements de sable. Elle a été élaborée à la hâte par quelques hommes animés d’un vif désir pour le bien de leur pays, habiles aussi, j’en conviens, mais qui, dans si peu de temps, n’ont pu envisager toutes les faces de la question. Je le répète, il est nécessaire qu’on fasse appel au peuple qui jusqu’ici n’a pas été consulté sur cette question. L’approbation générale dont on fait grand bruit n’a peut-être été produite qu’en vue d’une attente prochaine des détails dont plusieurs seraient indubitablement conbattus, et aussi grâces aux efforts d’une presse bien payée dont les opinions n’ont pour moi qu’une faible valeur. La nation n’approuvera pas la marche qu’on veut suivre, pour moi, je ne donnerai pas mon vote en faveur du projet avant d’avoir consulté mes commettants. Voici l’amendement que je propose de substituer au huitième article:—
« Le Haut-Canada sera représenté dans le conseil législatif par 24 membres élus, et le Bas-Canada par 24 membres élus, et les provinces maritimes par 24 membres correspondant aux 24 membres élus dans chaque section du Canada; la Nouvelle-Ecosse devant avoir dix membres, le Nouveau-Brunswick dix, et l’Ile du Prince-Edouard quatre; et les membres actuels du conseil législatif du Canada, à vie et élus, seront membres du premier conseil législatif du parlement […]
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[…] fédéral; les membres nommés par la couronne resteront membres à vie, et les membres élus resteront membres pour huit ans à compter de leur élection, à moins de décès ou autre cause, auquel cas leurs successeurs seront élus par les mêmes colléges et électeurs. Et les provinces maritimes pourront nommer dix membres à vie additionnels: quatre pour le Nouveau-Brunswick, quatre pour la Nouvelle-Ecosse et deux pour l’Ile du Prince-Edouard, qui correspondront aux membres à vie actuels pour le Canada; et après la première nomination de membres dans les provinces maritimes, il ne sera fait de nouvelles nominations que pour remplacer les vacances par suite de décès ou autrement, parmi les vingt-quatre membres correspondant aux membres élus des deux sections du Canada. »
‘ Que, dans le onzième article, après les mots: » conseillers législatifs, » dans la première ligne, les mots suivants soient ajoutés: » des provinces maritimes. »
» Que le quatorzième article soit retranché. »
Secondé par l’hon. M. Bureau.
L’Hon. M. Macpherson adresse ensuite quelques mots à la chambre contre l’amendement, jusqu’à l’heure de l’ajournement. Ses observations se trouvent récapitulées au commencement de son discours de vendredi.
A 6 heures, le débat est ajourné; l’hon. M. Macpherson a la parole.
[1] (Traduction libre.)
Le courant de la fortune
Roule avec rapidité,
Quand d’une chance opportune
Un jour on a profité;
Mais qui manque la marée
Sur la plage périra…..
Voguons et sans retard, l’empire de Nérée Nous ouvre ses trésors . . . Le ciel nous sourira. »