« Le portrait démographique de Québec », Le Devoir [de Montréal] (24 juillet 1975)


Informations sur le document

Date: 1975-05-24
Par: Le Devoir
Citation: « Le portrait démographique de Québec », Le Devoir [de Montréal] (24 juillet 1975).
Autres formats: Consulter le document original (PDF).


Le portrait démographique du Québec

« Une situation frustrante et troublante
qui menace l’unité nationale du Canada »

QUEBEC (par Gerald LeBlanc) — Loin
d’atténuer les manchettes alarmistes
sur l’impasse démographique vers la-
quelle s’achemine le Québec, le ministre
de l’Immigration, M. Jean Bienvenue,
va jusqu’à suggérer une rupture de l’équi-
libre et de l’unité nationale du Canada si
rien n’est fait pour renverser la vapeur.

« Frustrante » au cours des 25 dernières
années, « insatisfaisante » actuellement et
« troublante » pour l’avenir selon les pré-
visions statistiques, la politique cana-
dienne d’immigration met en danger l’e-
xistence même de la collectivité franco-
phone du Québec, selon M. Bienvenue.

Ce portait peu reluisant apparait dans
le document de 71 pages déposé hier à
l’Assemblée nationale par M. Bienvenue
et porteur de « la position du gouverne-
ment du Québec à la suite de la publica-
tion du livre vert fédéral sur la politique
canadienne d’immigration ». Publié en fé-
vrier, ce livre vert du fédéral fait l’objet
d’une vaste consultation, échelonnée sur
deux ans, en vue de l’élaboration d’une
nouvelle politique canadienne.

Dans la première partie de son docu-
ment, M. Bienvenue s’applique à déga-
ger, avec une franchise qu’on croyait dis-
parue dans le gouvernement Bourassa,
les tendances passées, présentes et futu-
res de l’évolution démographique du
Québec à l’intérieur de la confédération
canadienne.

M. Bienvenue rappelle que l’immigra-
tion étrangère a toujours joué en faveur
du Canada anglais mais que le Québec
compensait par le taux très élevé de fé-
condité de sa population, la fameuse re-
vanche des berceaux.

Or ce taux de fécondité a baissé gra-
duellement au cours des dernières années
pour descendre même au dessous de la
moyenne canadienne, alors que l’immi-
gration continuait de favoriser l’élément
anglophone même à l’intérieur du Qué-
bec.

Les perspectives d’avenir laissent en-
trevoir que la situation ne se redressera
pas mais ira s’aggravant au cours des 25
prochaines années.

« Par comparaison avec aujourd’hui,
ces projections font apparaitre la popula-
tion du Canada dans les premières années
du siècle prochain comme étant plus ur-
baine, plus âgée, plus anglicisée et plus
concentrée en Ontario, en Colombie-
Britannique et en Alberta. Vous com-
prendrez donc qu’a priori tout au moins,
cette tendance nous inquiete », lit-on en
page 15 du document de M. Bienvenue.

En fait, selon les prévisions de M.
Bienvenue, le Québec ne comptera plus
qu’entre 22% et 24% de la population ca-
nadienne en l’an 2,000, comparativement
à 20% en 1975. A l’intérieur du Québec on
ne retrouvera qu’entre 77% et 79% de
francophones et le caractère français de
Montréal sera gravement compromis.

Dans le résumé lu par M. Bienvenue
avant la conférence de presse donnée
hier matin à Québec, le ministre signale
lui-même les données de la situation ac-
tuelle qui méritent une attention particu-
lière.

-le Québec a connu un ralentisse-
ment beaucoup plus marqué de sa crois-
sance que le reste du Canada, entre 1966
et 1971.

-le ralentissement de la croissance
s’est aussi traduit par une perte de popu-
lation dans de vastes régions du Québec,
notamment le Saint-Laurent-Gaspésie, le
Nord-Ouest, le Saguenay-Lac Saint-Jean
et la région de Trois-Rivières.

-le bilan des migrations interprovin-
ciales est fortement négatif pour le Qué-
bec, au profit notamment de l’Ontario.

-le recensement de 1971 démontre
l’importance des transferts linguistiques
en faveur du groupe anglophone au Qué-
bec, à savoir un gain net de 3,000 pour le
groupe francophone contre un gain net de
99,000 personnes pour le groupe anglo-
phone.

-l’espérance de vie à la naissance au
Québec est légèrement inférieure à la
moyenne canadienne et la mortalité in-
fantile est plus élevée dans le groupe
francophone que dans toute autre
groupe.

-à l’intérieur du Québec, le revenu
moyen des francophones est inférieur à la
moyenne canadienne et de beaucoup in-
férieur à celui des anglophones du Qué-
bec.

M. Bienvenue signalait enfin le pro-
blème du taux de chômage plus élevé au
Québec que dans l’ensemble du Canada.
Une telle situation décourage toute offen-
sive majeure afin d’intensifier l’immigra-
tion au Québec.

C’est d’ailleurs la principale raison de
la baisse tragique de l’immigration au
Québec depuis 10 dans. Il y a 10 ans, le
Québec accueillait en effet plus du quart
de l’immigration canadienne alors qu’il
ne reçoit aujourd’hui que 15% des nou-
veaux immigrants.

Le livre vert fédéral stipule que la poli-
tique d’immigration doit s’ajuster au
marché du travail dans les diverses ré-
gions du Québec. Sans rejeter ce prin-
cipe, le document québécois ne peut y
souscrire entièrement sous peine de voir
se continuer les tendances défavorables
des dernières années.

Ce principe d’une immigration axée sur
les disponibilités du marché du travail à
court terme doit être tempéré, selon le
document du Québec, par les besoins dé-
mographiques à long terme.

« Les incompatibilités d’objectifs sont
loin d’être exclues. Mais le Québec n’a
pas le choix », précise-t-on à la page 65.

M. Bienvenue perçoit cependant une
lueur d’espoir dans le ralentissement,
prévu pour la prochaine décennie, de
l’accroissement de main-d’oeuvre dispo-
nible au Québec.

« Pour l’avenir, on peut prévois,
affirmait-il hier, que le taux d’accroisse-
ment de la population active se maintien-
dra à un niveau relativement élevé pen-
dant encore quelques années puis devra
connaitre un ralentissement très marqué
dans la seconde moitié de la décennie
1980-90. Il semble même que l’on ait eu
raison d’affirmer récemment, lors de la
conférence économique nationale du
Conseil économique du Canada, que déjà
la main d’oeuvre est en vole de devenir
rare au Québec. »

Leave a Reply