Lettre du Premier ministre Pierre Trudeau au Premier ministre Robert Bourassa (19 avril 1975)
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Date: 1975-04-19
Par: Pierre Trudeau
Citation: Lettre du Premier ministre Pierre Trudeau au Premier ministre Robert Bourassa (19 avril 1975).
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PRIME MINISTER PREMIER MINISTRE
CONFIDENTIEL
Ottawa
K1A 0A2
le 19 avril 1975
Monsieur le Premier ministre,
J’ai été vraiment très satisfait de
la réaction que vous avez eue avec nos collègues
des autres provinces, lors du dîner qui nous
réunissait le 9 avril, à l’égard de ma propo-
sition de nous occuper le plus tôt possible du
« rapatriement » de l‘Acte de l’Amérique du Nord
britannique, au moyen de la formule de modifi-
cation convenue à Victoria. J’ai lieu de
croire que, après cinquante ans d’efforts,
nous pourrons enfin nous débarrasser du dernier
vestige de notre ancien statut dc colonie que
représente l’incapacité ou nous nous trouvons
de modifier notre propre Constitution dans sa
totalité.
— Vous trouverez ci-joint un exemplaire
du Titre IX de la Charte de Victoria. Comme
vous le savez, aucun gouvernement ne s’y est
opposé en 1971. On a alors jugé que les
dispositions qu’il contient constituent le
meilleur moyen de résoudre le difficile
L’honorable Robert Bourassa
Le Premier ministre du Québec
Hôtel du Gouvernement
Québec (Québec)
problème de réviser à l’avenir les parties de
notre Constitution que nous ne pouvons modifier
maintenant, ni en vertu de l‘article 91(1) ni
en vertu de l’article 92(1) de l‘A.A.N.B.
Les articles 53, 54 et 55 du Titre
IX reproduisent en substance les articles
91(1) et 92(1). Ils ont été ajoutés a
Victoria comme partie de la mise à jour de
la Constitution qui aurait été accomplie
par la Charte laquelle, bien entendu, embras-
sait beaucoup plus que la procédure de
modification. Ce que je propose maintenant,
comme je l’ai établi clairement, c’est que
nous ne nous engagions pas, pour l’instant,
dans des questions de fond ni de forme, mais
que nous nous occupions simplement du « rapa-
triement », au moyen d’une formule de
modification qui permettrait d’englober
les parties de l’A.A.N.B. actuellement
exclues du processus. Cela signifie que
nous laisserions de côté pour le moment les
articles 53, 54 et 55, étant donné qu’ils
impliquent la modification des articles 91
et 92 de l’Acte de l‘Amérique du Nord bri-
tannique. Nous ne proposerions que des
résolutions relatives aux autres articles
énoncés sous le Titre IX, et reporterions
à plus tard tout changement de forme ou de
fond que nous-mêmes ou des gouvernements
futurs, voudrions apporter à la Constitution
Canadienne selon la nouvelle procédure de
modification.
Le processus de « rapatriement » a
été discuté lors de la séance de travail
qu’a tenue la Conférence constitutionnelle
les 8 et 9 février 1971. On en trouvera un
exposé aux pages 405 à 407 du rapport du
Secrétaire intitulé « La Révision constitu-
tionnelle 1968-1971 ». Comme vous pourrez
le constater, on prévoit procéder en trois
grandes étapes: approbation du rapatriement
par les corps législatifs des provinces et
les deux Chambres du Parlement; adoption
d’une loi par le Parlement britannique et
lancement d’une proclamation par le
Gouverneur général. La loi du Parlement
britannique est nécessaire afin d’homologuer
la proclamation canadienne et ses disposi-
tions relatives à la procédure de modificae
tion, mais elle stipulerait également
qu’aucune loi britannique ultérieure ne
pourra entrer en vigueur au Canada et, par
voie de conséquence, abrogerait ou modifierait
des lois britanniques touchant la Constitution
canadienne. Quant à la proclamation du
Gouverneur général, elle serait lancée dès
l’adoption de la loi britannique l’autorisant,
et rendrait aux Canadiens tous les droits sur
leur Constitution, le Parlement britannique
ne pouvant plus exercer ses pouvoirs actuels
sur la loi et la Constitution canadiennes.
J’ai particulièrement aimé la propo-
sition formulée pendant notre dîner au sujet
de l’intérêt qu’il y aurait à « rapatrier »
l’Acte de l’Amérique du Nord britannique peu
avant les Jeux olympiques de 1976. En effet,
la Reine viendra au Canada pour l’ouverture
officielle des Jeux. L’occasion serait toute
désignée pour que Sa Majesté assiste à une
cérémonie appropriée, à Ottawa, en présence
de tous les Premiers ministres des provinces,
pour achever les démarches historiques relatives
à notre Constitution. Si l’on préfère, les
cérémonies pourraient avoir lieu le ler juillet.
Afin que tout soit prêt pour le moment prévu,
dans l’un ou l’autre cas, il faudrait que les
résolutions des corps législatifs des provinces
et l’adresse des deux Chambres du Parlement
soient adoptées très tôt, au cours de leurs
sessions respectives, en 1976. Le Parlement
britannique devrait alors légiférer, au cours
de sa session de 1976, probablement avant mai
ou juin, si la chose pouvait être réalisée.
Cela nous laisserait le temps de préparer la
cérémonie pour la proclamation et de prendre
les autres dispositions officielles voulues.
Il faudrait que ces formalités soient remplies
avec diligence; cependant l’essentiel de ce
qu’auront à approuver les corps législatifs
est simple et succinct. J’espère que nous
pourrons faire le nécessaire à temps pour que
les événements de 1976 et la visite de la
Reine soient particulièrement marquants.
J’ai demandé à M. Gordon Robertson
de se mettre en rapport avec votre cabinet
afin de fixer une date convenable pour vous
rencontrer en mon nom et discuter tous les
aspects de cette proposition. Il a l’intention
de se faire accompagner par le sous-secrétaire
du Cabinet chargé des relations fédérales-
provinciales, M. Frank Carter, afin de profiter
de l’occasion pour étudier également avec vous,
vos ministres ou vos fonctionnaires, toute
autre question relative aux affaires fédérales-
provinciales que vous jugerez utile d’aborder
pendant qu’ils seront tous deux a Québec.
Je suis heureux d’avoir eu l’occasion
de discuter avec vous et les Premiers ministres
des autres provinces, les 9 et 10 avril, les
problèmes importants dont notre Conférence
était saisie. Il se peut très bien,
cependant, que les entretiens que nous
avons eus au cours du dîner du 9 avril
passent à l’histoire comme un moment
encore plus mémorable de notre rencontre.
Je vous prie d’agréer, Monsieur
le Premier ministre, l’assurance de ma
haute considération.
TITRE IX
MODIFICATION DE LA CONSTITUTION
Art. 49. La Constitution du Canada peut être modifiée en
tout temps par une proclamation du Gouverneur général,
portant le grand sceau du Canada, pourvu que le Sénat, la
Chambre des communes, et les Assemblée législatives d’une
majorité des Provinces aient, par résolution, autorisé
cette proclamation. Cette majorité doit comprendre:
1) chaque Province dont la population comptait, à
quelque moment avant l’adoption de cette
proclamation, suivant tout recensement général
antérieur, au moins vingt-cinq pour cent de la
population du Canada;
2) au moins deux des Provinces de l’Atlantique;
3) au moins deux des Provinces de l’ouest pourvu
que les Provinces consentantes comptent
ensemble, suivant le dernier recensement
général précédant l’adoption de cette
proclamation, au moins cinquante pour cent de
lu population de toutes les Provinces de
l’Ouest.
Art. 50. La Constitution du Canada peut être modifiée en
tout temps, dans les mêmes formes, quant à celles de ses
dispositions qui s’appliquent à une ou à plusieurs
Provinces mais non à toutes, avec l’approbation du Sénat,
de lu Chambre des communes, et de l’Assemblée législative
de chaque Province à laquelle cette modification
s’applique.
Art. 51. La modification de la Conncitution du Canada
prévue par les articles 49 et 50 peut se faire sans
l’autorisation du Sénat lorsque le Sénat n’a pas donné son
autorination dans les quatre-vingt-dix jours suivant
l’adoption par la Chambre des communes d’une résolution
qui autorise une proclamation portant modification de la
Constitution, pourvu qu’à l’expiration de ces quatre-
vingt-dix jours, la Chambre des communes approuve de
nouveau cette proclamation par résolution. Dans la
computation de ce délai de quatre-vingt-dix jours, ne sont
pas comptés les jours durant lesquels le Parlement est
prorogé ou dissous.
Art. 52. Les procédures prescrites par les articles 49
et 50 sont soumises aux réglée suivantes:
1) l’initiative de l’une ou l’autre de ces
procédures appartient au Sénat, à la Chambre
des communes ou à l’Assemblé législative d’une
Province;
2) une résolution adoptée pour les fins de ce
titre peut être révoquée en tout temps avant
l’adoption de la proclamation qu’elle autorise.
Art. 53. Le compétence législative exclusive du
Parlement du Canada comprend le pouvoir de modifier en
tout temps leu dispositions de la Constitution du Canada
qui sont relatives à la puissance exécutive du Canada, au
Sénat et à la Chambre des communes.
Art. 54. Dans chaque Province, la Législature a les
pouvoir exclusif d’édicter en tout temps des lois
modifiant la Constitution de la Province.
Art. 55. Nonobstant les articles 53 et 54, il faut
suivre la procédure prescrite par l’article 49 pour
modifier les dispositions relatives aux sujets suivants:
1) l’office de la Reine, celui du Gouverneur
général et celui de Lieutenant-Gouverneur;
2) les prescriptions de la Constitution du Canada
portant sur la nécessité d’une session annuelle
du Parlement du Canada et des Légialatures;
3) la période maximum fixée par la Constitution du
Canada pour la durée de la Chambre des communes
et des Assemblées législatives;
4) les pouvoirs du Sénat;
5) le nombre de membres par qui une Province a le
droit d’être représentée au Sénat ainsi que les
qualifications des sénateurs quant à la
résidence;
6) le droit d’une Province d’être représentée à la
Chambre des communes par des députés dont le
nombre eat au moins aussi grand que celui des
sénateurs de cette Province.;
7) les principes de représentation proportionnelle
des Provinces à la Chambre des communes que
prescrit la Constitution du Canada;
8) les dispositions de cette Charte relatives à
l’usage du français et de l’anglais, sous
réserve néanmoins de l’Article 16.
Art. 56. On ne peut avoir recouru à la procédure visée
à l’article 49 pour faire une modification à laquelle la
Constitution du Canada pourvoit autrement. Mais on peut
avoir recours à cette procédure pour modifier toute
disposition pourvoyant à la modification de la
Constitution, y compris cet article, ou pour faire une
refonte et une révision générales de la Constitution.
Art. 57 Pour les fins de ce titre, les « Provinces de
l’Atlantique » sont la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-
Brunswick, l’Ile-du-Prince-Edouard et la Terre-Neuve, et
les « Provinces de l’Ouest » sont le Manitoba, la Colombie-
Britannique, la Saskatchewan et l’Alberta.