« M. Bourassa s’essaie à l’ultimatum », La Presse [de Montréal] (26 août 1975)
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Date: 1975-08-26
Par: Le Presse
Citation: « M. Bourassa s’essaie à l’ultimatum », La Presse [de Montréal] (26 août 1975).
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PRESS CLIPPINGS COUPURES DE JOURNAUX
Name of Publication Nom de la publication
LA PRESSE
Date
AUG 26 1975
M. Bourassa s’essaie à
l’ultimatum
L’inédit à ce colloque du Mont-Gabriel, c’est
le propos inattendu de M. Bourassa s’adressant au
parti frère d’Ottawa, pour rappeler que le rapa-
triement de la constitution reste lié à certaines
conditions concernant l’affirmation de la personna-
lité culturelle du Québec.
Le gouvernement Bourassa n’a jamais montré
beaucoup d’inclination pour l’ultimatum, contraire-
ment à celui de M. Lesage, qui aimait parler haut
et fort. Quant à Daniel Johnson, il avait offert ce
marché à l’interlocuteur: « Egalité ou indépen-
dance. »
Un fédéralisme qui, depuis 1970, s’est tou-
jours défini comme « rentable » ou pragmatique,
n’a que faire de vibrations poétiques. Pourtant,
l’actuel Premier ministre n’hésite pas à rappeler
la longue tradition québécoise de sollicitude ja-
louse pour le patrimoine, avant d’annoncer qu’il
n’acceptera pas sans garanties formelles le rapa-
triement de la constitution canadienne.
Le terrain est habilement choisi. D’abord, M.
Bourassa n’ignore pas que le gâchis dans le do-
maine des Communications — illustré de la ma-
nière qu’on sait à Rimouski — rend impérative la
réunion d’une conférence constitutionnelle, du
reste indirectement suggérée par le ministre fédé-
ral des Communications. Les autres provinces, ou
les perspectives ne sont pas complètement similai-
res, ont presque toutes, pour une raison ou pour
une autre, des motifs de se plaindre de l’encheve-
trement des juridictions. Tout récemment, M.
Davis, Premier ministre de l’Ontario, dont le man-
dat est renouvelable le 18 septembre, souhaitait
ouvertement la tenue d’une conference entre Ot-
tawa et les provinces sur les questions les plus li-
tigieuses.
Si le terrain est habilement choisi, le langage
ne l’est pas moins. Aucun homme politique n’i
gnore à quels exercices intellectuels eprouvants il
soumet une population quand il l’invite a réfléchir
aux articles d’une constitution.
Pour le gros des mortels, la rédaction d’une
constitution, c’est besogne de savants, de legistes
de collectionneurs de virgules.
M. Bourassa ne se perd pas en savantasses
considérations. Il dit simplement: les Trudeau,
Marchand et autres notables bien de chez nous
ont bien mérité des francophones du Canada. On
connaît la droiture de leurs intentions. Et, même
s’ils étaient remplacés demain par d’autres, aux-
quels on ne saurait prêter d’avance de la perver-
sité, il reste qu’on n’est jamais si bien servi que
par soi-même. Il s’ensuit donc que l’immigration et
les communications, secteurs ou va se jouer notre
avenir, doivent être orientées par les hommes et
les femmes du Québec pour les hommes et les
femmes du Québec.
A Ottawa, on pourra rétorquer que tout le
souci qu’on s’est donné pour la langue française
au Canada ne procède pas d’un zèle passager,
qu’au contraire les programmes sont dessinés pour
les générations à venir.
Réponse impeccable mais incomplète. Car on
ne sait toujours pas si les Québécois, en accordant
leur faveur à M. Trudeau, ont cru à la conversion
d’une majorité anglophone, ou s’ils ont voté pour
M. Trudeau, un gars bien de chez nous. Or, ils ont
voté pour un gars bien de chez nous. Et quand le
gars bien de chez nous et les autres gars bien de
chez nous qui l’entourent ne seront plus à la
barre, qu’arrivera-t-il? Le mieux est peut-être en-
core dc veiller soi-même au grain, c’est-attire de
réclamer des garanties formelles dans toute négo-
ciation touchant le rapatriement de la constitution
et ce qui doit s’ensuivre.
M. Bourassa emploie un argument ad homi-
nem. En bonne dialectique. c’est le plus faible des
arguments; En politique, c’est souvent le meilleur,
le plus efficace, celui qui peut le mieux frapper
les imaginations. Comme, au surplus, il ne com-
porte rien d’offensant pour les frères d’Ottawa,
qu’il semble reposer sur une analyse purement con-
jecturale, tout à fait de inise dans un colloque con-
sacré à la prospection dos années 80, il a encore
plus de chances de porter. Quoi de plus naturel
que de se demander de quoi demain sera fait…
Au Mont-Gabriel, M. Bourassa aura donc été
plus heureux dans son énoncé des objectifs qu’il
ne l’avait été au colloque d’Orford en 1973, qui
nous avait valu cette douteuse formule de « souve-
raineté culturelle ». ll n’y a pas renoncé tout à
fait, mais il la relie à une prospection de l’avenir
quand il dlt: « Quand nous parlons de souveraineté
culturelle du Québec, nous ne cherchons pas de
garantie contre les personnes, nous cherchons à
protéger, pour l’avenir, les droits d’un peuple. »
On ne sait pas encore comment le gouverne-
ment fédéral répondra à cette dialectique. Si M.
Trudeau était le souverain du Canada, même un
souverain qui règne sans gouverner, mais dont la
succession serait déjà assurée par ses fils, il lui
suffirait peut-être de répondre: « Allons! enfants.
Ne, vous énervez pas. Faites-moi confiance. Vous
savez bien que je suis la et que je serai là dans
ma descendance. » Mais on sait bien que ce sont là
vues de l’esprit et rien d’autre.
C’est au déblocage des dossiers de l’immigra-
tion (négociations Bienvenue-Andras) et des com-
munications (Hardy-Pelletier) qu’on jugera si ou
ou non les interpellations parties du Mont-Gabriel
sont parvenues jusqu’à la colline d’Ottawa/
Guy CORMIER