Memorandum au Premier Ministre- Souverainete culturelle
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CONFIDENTIEL
le 31 juillet 1975
MEMORANDUM AU PREMIER MINISTRE
De: Gilles Dufault
Sujet: Souveraineté culturelle
Depuis quelques semaines, et surtout avec
la Conférence fédérale/provinciale des ministres des
Communications, la souveraineté culturelle est revenue
sur le tapis à plusieurs reprises, plus particulièrement
suite à l’échec qu’a connu Jean-Paul L’Allier qui a
sommé le Premier ministre Bourassa de la définir une
fois pour toutes. Ce dernier ne l’a pas fait.
Cependant, au cours de la fin de semaine,
lors d’une réunion jeunesse organisée par le Parti
libéral du Québec, le Premier ministre aurait déclaré
que si les Québecois obtenaient la souveraineté culturel-
le, les indépendantistes y perdraient tout argument; que
dans cette optique, il existe deux conditions essentielles,
l’appui de la majorité des Québecois et des dirigeants
fédéraux sensibilisés à la volonté du Gouvernement du
Québec… que la seule option c’est la souveraineté
culturelle. Autrement les Québecois devront faire un
choix entre la culture et le niveau de vie…
Il demeure néanmoins confiant que de nouveaux
efforts de compréhension mettront en relief que les choses
n’ont pas à aller aussi loin. « Nous croyons, dit-il, que
l’indépendance serait économiquement catastrophique et
culturellement inutile…
… si son gouvernement consentait une
nouvelle fois à discuter du repatriement de la constitution
dans une conférence fédérale/provinciale, ce sera pour
aller jusqu’au bout… avant de proposer une ré-ouverture
du débat de la formule de repatriement de la constitution,
le Gouvernement s’accordera une longue période de réflexion
à laquelle seront invités à participer ministres, députés,
et militants.
Commentaires
Il est difficile de savoir si, se voyant
coincé par les jeunes, Bourassa n’a pas, conformément
à ses habitudes, lancé un autre slogan pour se sortir
de l’impasse immédiate. Il refuse encore de définir sa
notion de souveraineté culturelle, mais loin de la rejeter,
dit en faire maintenant un point fondamental dans la
révision constitutionnelle et les discussions sur le
repatriement de la constitution.
Conformément à sa tactique de ménager la
chèvre et le choux, il affirme sa confiance dans les
dirigeants actuels à Ottawa, mentionne l’inutilité ou le
danger de l’indépendance pour respectivement l’avenir
culturel et économique des Québecois, et parle ensuite
de l’obligation éventuelle de faire un choix entre la
culture et le niveau de vie.
Comme depuis octobre 1973 le Gouvernement
Bourassa n’a pas réussi à définir ce qu’il entendait par
la souveraineté culturelle, je ne serais pas surpris que
cette déclaration de fin de semaine soit encore des
paroles en l’air qui visent â brouiller les cartes et
retarder le moment ou il devra finalement la définir.
Dans ce domaine comme dans les autres, nous pouvons
présumer que Bourassa se laissera encore porter par
l’opinion publique. or, depuis qu’on en parle, la notion
de souveraineté culturelle a fait du chemin au Québec,
peut-être précisément parce qu’elle n’est pas définie et
que chacun y trouve alors son compte. La définir forcerait
les gens à faire un choix ou, â tous le moins, les polarise-
rait autour d’un choix.
Aussi, je suis d’avis que le gouvernement
fédéral devrait prendre l’initiative à ce sujet et essayer
de définir ce que nous croyons être la souveraineté
culturelle et par la suite, nous assurer que leur défini-
tion nous soit acceptable.
Dans un premier temps, je recommande qu’un
mandat soit donné au Bureau des relations fédérales/provin-
ciales pour étudier la question et soumettre à votre appro-
bation une définition de la souveraineté culturelle. Comme
le groupe de Frank Carter a déjà travaillé sur la question
en 1974, à l’occasion du Bill 22, nous pourrions leur
fixer un échéance pour la fin septembre.
Quant à la façon de faire passer notre
message, il en existe au moins deux. Nous pouvons en
effet influencer le débat ou le lancer par des déclarations
ministérielles visant à fixer des paramètres à la discussion
ou procéder de façon plus indirecte et trouver un ou des
ministres à Québec, ainsi que des députés, qui ne demandent
pas mieux que de trouver une définition de la notion de
souveraineté culturelle et seraient réceptifs à des
suggestions discrètes en ce sens.
J’en ai discuté avec Marc qui est d’accord
avec l’approche et souhaiterait d’ailleurs qu’un document
sur la question soit remis aux ministres du Québec d’ici
la fin septembre afin qu’ils puissent posséder ce dossier
pendant la série de visites que nous nous proposons
d’organiser pour eux au Québec au cours de l’automne et
de l’an prochain.
G.D.
N.B. En plus d’une définition, le Bureau des relations
fédérales/provinciales pourrait également énumérer
et développer les diverses politiques et diverses
façons par lesquelles le Québec exerce déjà ou eut
exercer une certaine souveraineté culturelle —
e.g. Radio Québec, Office du film du Quebec, etc.