Note pour M.R.G. Robertson- Patriement de la Constitution: Etat des negociations et proposition d’une strategie a suivre

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CONFIDENTIEL

le 5 septembre 1975

NOTE POUR M. R.G. ROBERTSON

cc: M. Carter
M. Gravelle
Mme Reed

Patriement de la Constitution:
Etat des négociations et
propositions d’une stratégie
à suivre

A. Chronologie des négociations

1. Avril 1975: les premiers ministres acceptent de
rouvrir le dossier constitutionnel à condition
de se limiter au patriement de l’Acte de l’Amérique
du Nord britannique et de ne pas soulever la
question d’une nouvelle répartition des compé-
tences entre les deux ordres de gouvernement.

2. M. Robertson commence une série de discussions
bilatérales avec tous les premiers ministres
provinciaux, sauf M. Barrett qui n’arrive pas
à agencer son horaire.

a) M. Schreyer: d’accord avec patriement
plus formule d’amendement.

b) M. Lougheed: d’accord, sujet à l’approba-
tion de son Cabinet, mais:

— il faudrait laisser tomber la formule
de pondération pour les provinces
occidentales dans la formule d’amendement,
et

— il faudrait ajouter le Titre IV de
Victoria (Cour Suprême).

c) M. Davis: d’accord avec le patriement,
probablement avec le Titre IV de Victoria,
mais il n’aimerait pas assister à l’isolement
du Québec. .

d) M. Bourassa: d’accord avec le patriement et
formule d’amendement sujet à des garanties
qui protêgeront le Québec des actions des
administrations fédérales à l’avenir, avec
une attention particulière à l’immigration,
aux communications et à la culture; il
faudrait faire ratifier la formule par la
population québécoise, probablement par
l’entremise d’une élection générale et, pour
ce faire, il faut au moins l’impression d’un
« gain ».

e) M. Moores: d’accord avec le patriement et le
Titre IV de Victoria; les provinces occidentales
doivent trancher elles-mêmes la question de la
pondération dans la formule d’amendement; il
sympathise avec le désir du Québec d’avoir
des garanties culturelles mais aimerait voir
les propositions concrètes.

f) M. Regan: d’accord avec le patriement plus
le Titre IV de Victoria; la demande de M.
Lougheed de laisser tomber la pondération pour
les provinces occidentales ne devrait pas
causer trop de problèmes; il sympathise avec
M. Bourassa, mais aimerait voir le texte; la
Nouvelle-Ecosse aimerait quelque chose sur
les disparités régionales, probablement le
Titre VII de Victoria.

g) M. Campbell: d’accord avec le patriement et
le Titre IV de Victoria; aimerait quelque chose
de plus fort que le Titre VII de Victoria;
sympathise avec le Québec, mais aimerait voir
le texte; M. Bourassa lui a indiqué qu’il lui
serait difficile de régler la question du
patriement avant la fin des jeux olympiques
de Montréal.

h) M. Hatfield: d’accord avec le patriement,
mais il a des réserves quant à l’élargissement
du « package »; s’oppose au principe de consul-
tation inscrit au Titre IV; s’oppose à une
garantie de la langue et de la culture françaises
sans une garantie semblable de l’anglais;
aimerait voir entériner dans la Constitution
l’Acte sur les Langues officielles du Nouveau-
Brunswick; enlever la pondération pour les
provinces occidentales lui est égal.

i) M. Blakeney: attache très peu d’importance au
patriement comme priorité, n’a rien contre le
statu quo qui, d’après lui, est plus flexible;
d’accord avec M. Lougheed pour modifier la
formule de pondération pour les provinces
occidentales; s’objectait au rôle du Sénat
dans la formule d’amendement; en faveur du
Titre IV, bien qu’il trouve la formule de
nomination un peu ambiguë; d’accord avec le
Titre VII; d’accord avec une garantie pour
M. Bourassa, mais note que dans sa province,
la majorité n’est ni de souche anglaise, ni
de souche française et qu’une déclaration à
l’effet que le Canada est un pays bi-culturel
pourrait lui poser certains problèmes; M.
Blakeney se demande si une province devrait
conserver un droit de véto si jamais sa popula-
tion tombe en-dessous de 20%, mais M. Robertson
lui assure que le véto est essentiel dans le
cas du Québec.

Par la suite, M. Fernand Lalonde, au nom de
M. Bourassa prononce un discours « fédéraliste » à
la première Biennale de la francophonie canadienne
à Chicoutimi, axé sur la collaboration entre toutes
les instances publiques du Canada, tout en insistant
que le Québec doit conserver le pouvoir de décision
ultime en matière de culture sur le territoire
québécois.

B. La proposition d’une formule de patriement à la suite
des consultations

Peu avant sa participation au colloque du Parti
libéral du Québec, M. Bourassa a reçu une proposition de
Proclamation du Gouverneur général dans laquelle se retrouvaient
les éléments suivants:

1. Un préambule

a) qui signale le danger que pourraient poser
des actions du gouvernement et du Parlement
fédéraux à la langue française;

b) qui insiste sur la sauvegarde et l’épanouisse-
ment des langues anglaise et française;

c) qui soutient le principe de l’égalité des
chances et des services d’un niveau satis-
faisant dans l’ensemble du pays;

d) qui prévoit le besoin d’arrêter une formule
d’amendement qui exige l’approbation des
provinces représentatives et des groupes
des deux langues officielles et de toutes
les régions;

e) qui prévoit le besoin d’arrêter les modalités
de participation des provinces au choix des
personnes à nommer a la Cour suprême;

f) qui prévoit des principes à suivre par le
gouvernement et le Parlement du Canada dans
l’exercice de leurs pouvoirs.

2. Article l

Titre IX de Victoria sur la formule d’amendement,
sans les articles 53, 54 et 55.

(M. Blakeney se demande s’il est nécessaire
d’inclure le Sénat dans la formule. MM. Lougheed
et Blakeney se demandent s’il faut garder la
formule pondérée pour les provinces occidentales.)

3. Article 2

Titre IV de Victoria sur la Cour suprême.
(A la demande de M. Lougheed, approuvé par tous
les premiers ministres, sauf MM. Schreyer et
Barrett, qui ne l’ont pas commenté, et M. Hatfield
qui s’y oppose; M. Blakeney trouve la formule
de nomination ambiguë.)

4. Article 3

Principe pour guider le Parlement et le gouvernement
du Canada quant aux deux langues officielles.
(Il semble que M. Bourassa est le seul à l’avoir
reçu.)

5. Article 4

Titre VII de Victoria sur les disparités régionales.
(A la demande de M. Regan, appuyé par MM. Campbell
et Blakeney.)

6. Droits linguistiques

Titre II de Victoria, amendé pour faire référence
aux droits linguistiques sur le plan fédéral seule-
ment, avec possibilité pour les provinces de s’y
joindre, et sans référence aux autres groupes ayant
une langue et culture autre que l’anglais ou le
français.

(Ajouté par BRFP en anticipation des objections du
Québec sur le plan linguistique.)

C. La situation actuelle

Malgré leur accord de rouvrir le dossier du rapa-
triement sans passer par des négociations au sujet de la
répartition des compétences au mois d’avril, les premiers
ministres des provinces semblent vouloir rattacher maintenant
la question du rapatriement à un ré-examen des pouvoirs. Le
communiqué de la 16e conférence annuelle des premiers ministres
provinciaux du 21 et 22 août 1975 en prend note: « There was
considérable discussion of the patriation of the Constitution.
The Premiers agreed that this was a desirable objective and
felt that this issue should be dealt with in the context of a
general review of the distribution of powers, control of
resources, duplication of programmes, and other related matters.
The Chairman of this Conference will be canvassing the Provinces
to obtain their detailed views on this matter and will report
to the 17th Premiers Conférence ». M. Bourassa a fait allusion
à cet aspect du communiqué lorsqu’il a pris la parole lors du
congrès du Parti libéral du Québec à Mont Gabriel, mais il
semble que l’essentiel pour lui relève du secteur « culturel »:

« Quand nous parlons de souveraineté culturelle du Québec,
nous ne cherchons pas de garantie contre les personnes, nous
cherchons à protéger pour l’avenir les droits d’un peuple.
… le Gouvernement du Québec, pour des raisons évidentes,
se doit d’exiger des garanties constitutionnelles très claires
dans des secteurs naturellement liés à la sécurité culturelle
parmi lesquels les communications et l’immigration ont une
signification particulière. … je suis convaincu que les
Québécois n’accepteront pas le rapatriement de la constitu-
tion, objectif désirable en soi, que si cette constitution
leur donne des garanties pour l’avenir de la culture française.
Il me semble en effet tout à fait normal que le Québec se voit
reconnaître le pouvoir et les moyens de décider finalement
des questions majeures qui concernent la protection et le
développement de sa langue et de sa culture ».

Cependant, lors d’une conférence de presse, il
n’a pas exclu la possibilité des « arrangements » pour régler
cette question. Il n’est pas clair non plus s’il faut croire
le pire quant au communiqué des premiers ministres. Les propos
de M. Davis au début de sa campagne électorale ont clairement
indiqué qu’il rejetait tout amendement formel de la répartition
actuelle des compétences, mais qu’il fallait ré-examiner cette
répartition dans le but d’éliminer tout gaspillage de ressources
et de s’assurer à ce que chaque ordre de gouvernement avait
suffisamment de ressources financières pour s’acquitter de ses
tâches; il s’agit, peut-être, d’un ré-examen sérieux des
relations fiscales. De même, la référence aux ressources se
réfère, peut-être, au litige quant aux droits sous-marins;
un « arrangement » extra-constitutionnel pourrait régler ce
problème. Bref, il se peut que les revendications des premiers
ministres soulevées dans le contexte du patriement sont moins
graves qu’elles n’ont l’air et qu’ils profitent de la conjonc-
ture pour marchander sur le plan pratique; peut-être pas, mais
l’idée n’est pas à écarter.

Ce qui est plus compliqué, c’est que M. Chouinard
informe M. Robertson que M. Bourassa a étudié la proposition
de la Proclamation avant sa participation au congrès libéral
et qu’il ne l’a pas trouvée satisfaisante.

D. Où allons-nous?

1. Visite à Victoria

Une visite de M. Robertson à Victoria s’impose pour
compléter la tournée des capitales provinciales.

La justification: demander à M. Barrett ses
réactions à la proposition de M. Lougheed qui vise
la disparition de la pondération dans la formule
d’amendement pour les provinces occidentales,
ainsi que son opinion sur l’ensemble des facteurs
qui figurent dans la proposition actuelle. Mais
le but plus fondamental devrait viser une vérifi-
cation du sens qu’il faut attribuer au communiqué
des premiers ministres: s’agit-il vraiment
d’amender la répartition des compétences, ou est-
ce davantage un plaidoyer pour des accommodements
sur le plan fiscal et des arrangements pratiques?

2. Le cas du Québec

C’est intéressant de noter que les grands journaux
n’ont pas réagi aux thèses sur le rapatriement dans
le communiqué de la conférence des premiers ministres
provinciaux, mais ils ont bien réagi aux propos de
M. Bourassa lors du congrès libéral et tous dans le
même sens: aussi longtemps qu’on relie le patriement
à un ré-examen des pouvoirs, on renvoie le patrie-
ment aux calendes grecques (Thé Globe and Mail,
The Montreal Star, Le Soleil). Est-ce que M.
Bourassa insistera sur l’impossible ou y a-t-il une
marge de manoeuvre? En analysant le cas du Québec,
on pourrait garder les éléments suivants à l’esprit:

a) Editorial de Claude Ryan du 30 juillet 1975
M. Ryan a noté que le Québec « aura profit à
embrasser moins large et à préciser ses exigences
avec le maximum decïarté fonctionnelle. Il
n’y a pas que les autres qui aient des leçons
à tirer des échecs antérieurs ». Le Québec
devrait être réaliste et laisser tomber la
question de partage de pouvoirs aussi long-
temps qu’on lui fournit « des signes concrets
de l’esprit dans lequel sera abordée, à un
stade ultérieur de la négociation constitu-
tionnelle, la question capitale du partage des
pouvoirs ».

b) Discours de M. Fernand Lalonde le 14 août 1975

M. Lalonde a appuyé le rôle joué par le gouver-
nement fédéral dans le développement de la
langue et la culture françaisæ au Canada, il
a souligné la responsabilité partagée des
instances publiques canadiennes à cet égard,
tout en insistant sur le principe de souve-
raineté culturelle sur le territoire québécois.

c) Déclaration de M. Bourassa au Mont Gabriel

Les journalistes ont interprété les propos de
M. Bourassa comme un plaidoyer pour un nouveau
partage de pouvoirs en immigration et en commu-
nications, mais il était plus ambigu lors de
sa conférence de presse. On lui demande ce
qu’il faut avoir sur le plan de souveraineté
en matière d’immigration, et il répond:
« On peut essayer d’examiner des formules qui
permettent au gouvernement du Québec d’être
— il faudrait que cela soit très clair «-
satisfait sur la possibilité qu’un autre
gouvernement d’entraîner un déséquilibre
linguistique au sein du Québec. » Ceci donne
l’impression qu’il s’agit davantage d’un pouvoir
d’empêcher que d’un pouvoir à contrôler

d) Editorial de Gilles Boyer (Le Soleil)
le 26 août 1975

M. Boyer insiste que le fédéral a un rôle
important à jouer dans le domaine de la culture
et que ce rôle pourrait être salutaire pour la
culture française qui ne devrait pas se replier
sur elle-même au Québec. Il dit qu’il n’est
pas réaliste de relier le patriement au ré-
examen des pouvoirs.

e) Conversation — M. Chouinard/M. Robertson

M. Chouinard indique à M. Robertson que
M. Bourassa a besoin de quelque chose de plus
que les dispositions inscrites à la forme de
Proclamation actuelle.

f) L’aspect démographique

Le Québec risque de descendre en bas de 25% de
la population canadienne d’ici 1981. M. Blakeney
a déjà demandé si le droit de véto ne devrait
pas disparaître une fois qu’une province
descend en bas de 20%. Donc M. Bourassa
devrait agir avant qu’il ne soit trop tard
pour demander même le strict minimum.
MM. Ryan et Boyer lui demandent d’être
réaliste, mais M. Ryan ajoute qu’il faut
des signes concrets de l’esprit des
négociations éventuelles.

g) Donc: stratégie

sans proposer des limites constitutionnelles
à l’exercice de son pouvoir, on pourrait
proposer des formules pour entraver, sur le
plan pratique, une action néfaste du fédéral
afin de poursuivre les discussions avec le
Québec. Si M. Barrett indique que le ré-
examen du partage des pouvoirs demandé par
les premiers ministres est plutôt fonctionnel
et technique que constitutionnel, et si l’on
réussit à trouver une formule heureuse qui
plaît à M. Bourassa, on pourrait anticiper
une deuxième tournée provinciale « blitzkrieg »
qui ne laisse suffisamment de temps aux
premiers ministresde repenser leurs engagements.

E. Une approche « package deal »

Une approche possible aux pourparlers avec le Québec
pourrait comporter trois éléments:

a) Un article « consultatif » dans la Proclamation qui
reconnaît un rôle légitime des provinces (ou du
Québec) dans les domaines de communications, de
culture et d’immigration;

b) Une déclaration des premiers ministres en
assemblée plénière sur l’esprit de fonctionnement
du fédéralisme canadien pour donner le sens exact
à apporter à cet article consultatif;

c) La publication, en même temps que l’approbation
de la Proclamation, d’une liste d’ententes conclues
entre le fédéral et les provinces (le Québec?)
pour assurer, sur le plan pratique une plus
grande harmonisation des politiques, une plus grande
collaboration et un plus grand respect des intérêts
mutuels, afin de dissiper les doutes des méfiants.

Pour les reprendre:

a) Un article consultatif devrait viser, sur le plan
pratique une entrave temporaire à une action du
fédéral sans pour autant bloquer la capacité du
fédéral, après consultation, d’agir. Il y a deux
possibilités: soit un article de portée générale,
soit un article qui accorde un statut particulier
au Québec. Une formulation possible:

« Lorsqu’une action du gouvernement ou du
Parlement du Canada en matière de politique,
d‘allocation de crédits ou de législation est
jugée, soit par le gouvernement d’une province
(du Québec), soit par le gouvernement du Canada,
d’avoir un impact majeur sur les communications,
l’immigration ou la culture à l’intérieur d’une
province (du Québec), le gouvernement du Canada
est tenude consulter le gouvernement de la
province en question (du Québec). »

Si l’on opte pour la formule de statut particulier
pour le Québec, on pourrait, peut-être, convaincre
M. Bourassa que, même si l’article n’est que moral,
on reconnaît indirectement que le Québec a un rôle
très particulier dans ces domaines et que la Consti-
tution oblige le gouvernement du Canada de ne pas
oublier que le gouvernement du Québec est le
gardien d’une société particulière à l’intérieur
de la fédération.

b) Même si la Constitution gardera un caractère
plutôt centralisateur, une déclaration des premiers
ministres en assemblée plénière sur l’esprit de
fonctionnement de la fédération devrait rassurer
les méfiants. La précondition sine qua non de
M. Ryan pour le patriement est « des signes
concrets » de l’esprit dans lequel les négociations
ultérieurs seraient abordées.

c) On pourrait renforcer l’image de respect des
intérêts des provinces (du Québec) en publiant,
en même temps qu’approuvant la Proclamation,
une liste d’ententes d’importance dans les
domaines pertinents, tels d’immigration et de
communications, afin de démontrer qu’il ne faut
pas confondre la lettre de la Constitution avec
son esprit sur le plan pratique.

F. Proposition de M. Gilles Dufault

La proposition de M. Gilles Dufault qu’on devrait
définir souveraineté culturelle laisse à désirer: c’est la
responsabilité de M. Bourassa qui a soulevé la question. Par
contre son idée qu’on pourrait lancer une sorte de contre-
attaque mérite d’être examinée: lorsqu’un ministre québécois,
tel M. Lalonde, fait une tournée politique au Québec ne peut-
il pas rappeler ä son auditoire qu’un gouvernement qui a le
pouvoir de légiférer sur la langue d’affaires, sur la langue
des panneaux publicitaires, etc., est déjà très puissant en
matière de langue et de culture et ne devrait pas s’affoler
du concept de souveraineté culturelle quand l’essentiel est
déjà entre ses mains?

J.R. Hurley

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