Claude Ryan, « Pour que le rendez-vous reussisse », Le Devoir [de Montréal] (30 juillet 1975)
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Date: 1975-07-30
Par: Claude Ryan (Le Devoir)
Citation: Claude Ryan, « Pour que le rendez-vous reussisse », Le Devoir [de Montréal] (30 juillet 1975).
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PRESS CLIPPINGS COUPURES DE JOURNAUX
Name of Publication Nom de la publication
Le Devoir
Date
JUL 30 1975
Pour que le rendez-vous
réussisse
Avant de consentir à la formule de rapatrie-
ment de l’Acte de l’Amérique du Nord Britan-
nique, qui demeure la pièce majeure de la
charte de Victoria, le Québec — nous avons
tenté samedi d’expliquer pourquoi — sera jus-
tifié d’exiger qu’on lui fournisse au moins des
signes concrets de l’esprit dans lequel sera
abordée à un stade ultérieur de la négociation
constitutionnelle, la question capitale du par-
tage des pouvoirs.
Ne serait-ce que par le rôle important que
se verra attribuer le gouvernement fédéral
dans toute démarche constitutionnelle ulté-
rieure, la formule d’amendement revêt une
importance politique et juridique qui déborde
largement son contenu littéral. Le Québec
aura raison de n’y souscrire qu’en retour de
certaines garanties quant aux questions qui
ont toujours été premières dans son esprit.
Le gouvernement Bourassa a, par contre,
été reporté au pouvoir en 1973 sur la foi d’un
programme d’inspiration nettement fédéra-
liste Non seulement aurait-il mauvaise grâce
de se livrer a un jeu de surenchère « séparati-
sante » avec le PQ, mais il doit honnêtement
assumer sa juste part de responsabilité dans
une recherche qui vise à asseoir sur des fonde-
ments plus solides la personalité propre du
Canada. Sans oublier les aspirations fonda-
mentales du Québec, il doit cherche à les for-
muler à l’intérieur de limites vraisemblables
qui leur conferent un minimum de conformité
a l’esprit de partage et de collaboration propre
à tout régime fédéral digne de ce nom.
Il faut exclure tout de suite, dans cette pers-
pective, les positions absolutistes suivant les-
quelles des domaines aussi complexes que les
communications, la politique sociale ou l’im-
migration devraient relever en exclusivité du
Québec.
Dans le domaine des communications,
maints aspects intéressent en propre le Qué-
bec et, à cause de cela, une large part d’initia-
tive et de contrôle doit aussi revenir au Qué-
bec. Il est toutefois impensable, à l’ere de l’é-
lectronique et des communications trans-
continentales, que l’on tente d’affirmer
comme le faisaient les jeunes libéraux en fin
de semaine, « la compétence exclusive du gou-
vernement provincial sur cette matière ». Que
le Québec s’emploie à obtenir une fois pour
toutes le droit d’avoir ses propres initiatives
dans le champ de la radio-télévision; qu’il
s’applique à faire confirmer la responsabilité
incontestable qui lui revient dans la cablo-
distribution: cela se comprend très bien. Mais
aller jusqu’à soutenir que tout le domaine des
communications doit relever en exclusivité du
Québec, c’est soit du séparatisme pur et
simple, soit de la démagogie de mauvais goût.
Dans le domaine de la politique sociale, le
Québec avait soumis à la conférence de Victo-
ria en 1971 une nouvelle version de l’article 94-
A de l’AANB, qui fut rejetée par le gouverne-
ment fédéral. Dans sa version originelle, ce
projet n’aurait pas davantage de chance d’être
accepté cette fois-ci. La difficulté provient
principalement de ce qu’il n’est pas facile de
s’entendre sur une définition précise de la po-
litique sociale. L’amendement présenté par le
Québec incluait sous ce vocable un large éven-
tail de mesures qui s’inscrivent toutes, à n’en
pas douter, dans le champ de la politique so-
ciale, mais dont plusieurs, en particulier cel-
les qui visent directement à une redistribution
du revenu, ont une importance financière telle
qu’elles font tout aussi bien partie de la politi-
que économiq et ne sauraient échapper to-
talement, à ce titre, au champ d’intervention
du gouvernement fédéral. Suivant l’exemple
fourni par l’arrangement sur les allocations fa-
miliales, on pourrait peut-être retenir un droit
incontestable du pouvoir central à intervenir
dans le secteur des « demo-grants » ou des allo-
cations de type universel qui sont d’abord des
mesures de redistribution du revenu. Etant
sauve cette distinction, la primauté législative
que revendiquait le Québec deviendrait plus
vraisemblable.
On pourrait raisonner de la même manière
à propos d’autres domaines qui intéressent au
plus haut point le Québec, notamment l’im-
migration et les affaires culturelles. En ma-
tière d’immigration, le Québec aspire légiti-
mement à un rôle plus direct et plus effica-
ce: s’il voulait pousser cette revendication
jusqu’à exiger d’être le maitre-d’oeuvre
ultime dans ce domaine, il ferait aussi bien
d’opter tout de suite pour la séparation fran-
che d’avec le reste du pays. En matière de
culture, comment ne pas reconnaitre la ne-
cessaire priorité du Québec? Outre que cette
priorité est déjà établie dans les faits pour
peu que l’on donne son sens le plus large à
la notion de culture, on ne peut pas, par con-
tre, raisonnablement exiger que le Québec
exerce un pouvoir de veto à l’encontre de
toute initiative à incidence culturelle que
voudrait prendre le pouvoir central.
Tout ceci pour conclure que, s’il est facile
pour un séparatiste de tenir la dragée le plus
haut possible, il n’en va pas de même de ce-
lui qui accepte sérieusement l’option fédérale.
Le Québec doit re-travailler soigneusement les
positions qu’il sera appelé à défendre lors d’un
prochain rendez-vous constitutionnel. Rien ne
le desservirait davantage qu’une démarche
qui se contenterait de rouvrir paresseusement
les dossiers déjà empoussieres de Victoria.
Parmi les avenues que le Québec aurait in-
térêt a explorer, il en est une qui fut ouverte
naguere par le gouvernement fédéral lui-
même et qui a malheureusement été reléguée
aux oubliettes depuis cinq ans. Il s’agit d’ou-
vertures qu’avait faites le gouvernement Tru-
deau à une réunion de la Conférence constitu-
tionnelle tenue en décembre 1969.
L’usage du pouvoir fédéral de dépenser a
été l’une des principales sources du mouve-
ment de centralisation qui a considérablement
accru le champ d’intervention du gouverne-
ment central depuis la fin du deuxième conflit
mondial. Or à la réunion de décembre 1969 de
la conference constitutionnelle, M. Trudeau
s’était montré plus ouvert que d’habitude sur
ce sujet. Suite a des propositions mises de l’a-
vant par Ottawa, l’on en était même venu à
inclure dans le communiqué final de la réu-
nion le passage suivant: « La plupart des pre-
miers ministres conviennent qu’il faut prévoir
dans la constitution une façon de déterminer
l’accord national, sur une base régionale,
avant que le Parlement du Canada puisse
établir de nouveaux programmes à frais parta-
gés de portée générale dans des domaines res-
sortissant aux provinces. Aux termes de prin-
cipales propositions, on devrait exiger que les
Assemblées législatives de trois de quatre ré-
gions, ou de trois des cinq régions du Canada
avec une majorité de la population, convien-
nent de toute proposition du Parlement, con-
cernant un nouveau programme fédéral-
provincial, avant que ce dernier entre en vi-
gueur. »
La Conférence constitutionnelle était éga-
lement convenue quelques mois plus tôt (juin
1971) « que l’on ne ferait subir aucune pénalité
fiscale à la population des provinces dont les
Assemblées législatives décideraient de ne pas
participer à un programme fédéral-provincial
donné ». En décembre de la même année, les
discussions achopperent sur la manière dont il
conviendrait d’éviter les pénalités fiscales
dans les provinces non participantes. Certai-
nes provinces, dont le Québec, soutenaient
que les sommes perçues par Ottawa au titre
de tels programmes devraient être rembour-
sées au gouvernement d’une province non-
participante. Ottawa soutenait, au contraire,
qu’il faudrait plutôt remettre cet argent aux
contribuables qui se verraient privés d’un
programme précis.
Cette divergence fit perdre de vue l’essen-
tiel en 1971, si bien que, quatre ans plus tard,
on n’est pas plus avancé. Avec le recul du
temps, il devrait être possible de reprendre la
question et de s’entendre sur une formule. Si
le Québec, en particulier, pouvait obtenir l’in-
sertion dans la constitution d’une garantie se-
lon laquelle il ne serait jamais plus pénalisé
pour avoir osé ne pas participer à un
programme conjoint, ce serait un gain plus
important que bien d’autres auxquels on a
consacré jusqu’à maintenant des quantités in-
calculables de salive.
Si l’on exclut l’amendement précis qui fut
mis de l’avant autour de l’article 94-A de
l’AANB (politique sociale) en 1971, les reven-
dications du Québec en matière constitution-
nelle sont toujours demeurées étonnamment
vagues. Même avec la meilleure volonté du
monde, il eut très souvent été impossible de
les incorporer dans un document constitution-
nel sous la forme où elles étaient présentées.
En prévision du prochain rendez-vous consti-
tutionnel, le Québec aura profit à embrasser
moins large et à préciser ses exigences
avec le maximum de clarté fonctionnelle. Il
n’y a pas que les autres qui aient des leçons
à tirer des échecs antérieurs…
Claude RYAN