Note pour Monsieur Robertson- Le repatriement, relance du journal Le Devoir

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le 28 juillet 1975

NOTE POUR MONSIEUR ROBERTSON

cc: J. Hurley
B. Reed
F. Carter (au retour)

Le rapatriement,
relance du journal Le Devoir

L’éditorial de Claude Ryan, édition du samedi 26
juillet, (je joins copie en annexe), laisse songeur. Il
situe la reprise des discussions du rapatriement dans un contexte
où les négociations d’un certain contentieux fédéral-provincial
ont échoué, c’est-à-dire les communications. Il analyse les
causes profondes de l’échec de Victoria qu’il tient à deux
facteurs: (a) Québec voulait une réforme en profondeur avec
au départ un nouveau partage des pouvoirs; (b) Québec voulait
également qu’on reconnaisse dans un texte constitutionnel
sa situation particulière.

L’éditorial de Ryan peut avoir des conséquences
néfastes sur les négociations discrètes en cours pour les
raisons suivantes:

l. Il laisse l’impression que pour solutionner le conflit
des communications, il y a lieu d’examiner un nouveau partage
des pouvoirs et que l’échec de la récente conférence de
M. Pelletier est le prétexte que peut se donner le Premier
ministre pour démontrer son intention ferme de négocier
sérieusement et d’obtenir l’appui du Québec;

2. Cette hypothèse que formule Ryan va à l’encontre de
l’entente de principe intervenue entre les Premiers
ministres au printemps;

3. L’idée qu’avance Ryan et que partagent d’autres
journalistes au dire de Pierre O’Neil, risque de créer de
fausses expectatives tant dans les milieux officiels que chez
un public en ce moment mal informé;

4. L’idée peut continuer de faire son chemin ce qui placerait
M. Bourassa dans une position bien difficile — comment
rapatrier sans exiger des garanties et sans obtenir un réaména-
gement de certains pouvoirs? Le problème bien sûr est celui
de M. Bourassa. Est-il capable de contenir ces pressions
qui tôt ou tard vont s’exercer au sein même de son Cabinet?

Dans une telle perspective, il faut devancer ces
événements possibles et peut-être accélérer les négociations
en cours? Ce sont bien sûr que quelques réactions préliminaires
de ma part. Je vois difficilement cependant Ryan abandonner
ce cheval de bataille.

Pierre Gravelle

Le Devoir, samedi 26 juillet 1975

éditorial

S’il faut rouvrir la canne à vers

Selon des bruits que n’a fait qu’accréditer
le dénouement peu satisfaisant de la dernière
rencontre des ministres des Communications,
le déplaisir exprime par le représentant du
Québec a cette réunion aurait, à certains
égards, un côté commode qui s’inscrirait as-
sez bien dans la stratégie du gouvernement fé-
déral. Celui-ci songerait en effet à saisir l’oc-
casion que lui offre le désaccord persistant
entre M. Gérard Pelletier et Jean-Paul
L’Allier pour rouvrir le dossier plus large de
la réforme constitutionnelle, relégué aux ou-
bliettes depuis l’échec retentissant de la con-
férence de Victoria en 1971.

Suite au refus que lui avait signifié, à la
veille de la Saint-Jean de 1971, le premier mi-
nistre du Québec, M. Trudeau avait déclaré
sur un ton de dépit qu’il refermait la canneà
vers de la révision constitutionnelle et ne la
rouvrirait que moyennant une démarche
préalable du Québec. Mais en fait, M. Tru-
deau, si le dépit l’emporte un moment chez
lui n’a jamais renonce a son rêve de rapatrier
la constitution au Canada. Aussi ne créa-t-il
aucune surprise lorsque, intervenant le 2 octo-
bre dernier dans le débat sur le discours du
trône, il s’engagea à reprendre la poursuite de
l’objectif raté à Victoria.

« Je suis d’accord avec le chef de l’Opposi-
tion », déclarait alors M. Trudeau, « et je me
réjouis d‘avoir l’appui de son parti à cet
égard, pour dire qu’il est temps de décider
que ce rapatriement se fera et que nous nous
entendrons sur la procédure de modification
d’ici quatre ans. Je compte sur l’appui des
vis-à-vis et je chercherai à obtenir des gouver-
nements provinciaux qu’ils consentent à la
poursuite active de cet objectif. Si nous ne
trouvons pas de meilleure formule, nous pro-
poserons alors l’adoption de celle qui a été ac-
ceptée à Victoria »

A ses collègues du Québec que pouvait in-
quiéter cette perspective, et par-dessus leur
tête, à M. Bourassa et au gouvernement qué-
bécois. M. Trudeau adressait cette exhorta-
tion typique de l’homme qui a toujours regar-
dé d’assez haut les quere les d’école dans sa
province: « Il me semble que nous réussirons
sans grand peine à faire comprendre aux
Québécois qu’ils n’ont plus besoin de crier
« au secours » à la Grande-Bretagne, qu’ils
n’ont plus besoin de se cacher derrière les
jupes de la Grande-Bretagne lorsqu’il s’agit
de débattre entre nous des questions politi-
ques qui nous concernent ».

Le projet de rapatriement de la constitution
sourit davantage aux Canadiens de langue an-
glaise par l’espèce de consécration qu’il ap-
porte au mouvement d’affirmation de l’iden-
tité canadienne qui se manifeste chez eux de-
puis quelques années. Mais il ne saurait, pour
autant, laisser indifférents les Québécois qui
prétendent conserver le moindre intérêt pour
le maintien de l’ensemble fédéral canadien.
Même les Québécois d’allégeance séparatiste
reconnaissent volontiers le caractère absurde
d’une situation en vertu de laquelle un pays
souverain n’est pas encore maître de sa cons-
titution. Aussi, en principe, M. Trudeau a-t-il
parfaitement raison de supposer que, placés
devant une proposition simple qui les invite-
rait a devenir propriétaires à part entière de
la constitution qui les régit, les citoyens du
Québec seraient naturellement enclins à l’ap-
prouver.

Si M. Trudeau veut, par contre, tirer quel-
que leçon de l’expérience de Victoria, il se
souviendra que le rejet par le Québec de la
charte soumise à l’approbation des provinces
ne fut pas le fruit d’un caprice isolé et passa-
ger. Il tenait, au contraire, à des raisons pro-
fondes dont il serait imprudent de s’imaginer
qu’elles ont pu disparaître depuis 1971. Celles-
ci tenaient en partie au contenu même de la
Charte de Victoria, mais elles tenaient encore
davantage à ce que le Québec eût souhaité
trouver dans ce document mais qui n’y était
point.

Sur le contenu général de la charte de Vic-
toria, le Québec dans un contexte normal, au-
rait eu maintes raisons d’exprimer une réac-
tion positive. Au chapitre des droits linguisti-
ques, M. Bourassa avait alors fait valoir avec
raison que le document risquait d’emprison-
ner prématurément, et pour longtemps, le
Québec dans une politique de bilinguisme qui
eût pu restreindre dangereusement sa liberté
législative. Le texte contenait par ailleurs une
reconnaissance si ferme des droits du français
au plan constitutionnel que le Québec eut été
mal placé pour lui opposer une fin de non-
recevoir pure et simple. A propos de la Cour
suprême, la charte de Victoria continuait cer-
tes de soulever maintes objections, vu qu’elle
restait bien den deçà des propositions soumises
par le Québec: par contre, elle introduisait
certaines améliorations notables que le Qué-
bec n’avait guère intérêt à rejeter du revers
de la main. Dans la charte, le chapitre consa-
cré à la procédure d’amendement constitu-
tionnel était évidemment l’un des plus impor-
tants: même si le Québec n’en était pas plei-
nement satisfait, il constituait néanmoins une
telle amélioration par rapport aux formules
antérieurement mises de l’avant que le Qué-
bec eut été mal venu de le rejeter catégori-
quement.

La charte de Victoria ne contenait aucune
allusion aux deux peuples fondateurs, encore
moins aux « deux nations » qui donnent au Ca-
nada sa personnalité. Elle énumérait
les provinces et les territoires qui forment le
Canada, mais sans rien préciser des condi-
tions dans lesquelles une province peut être
admise dans le tout ou s’en retirer. Elle ne
pouvait guère, dans ces conditions, enthou-
siasmer le Québec. Elle vint néanmoins à un
pas d’être adoptée, car elle représentait un
net progrès sur tout ce qui s’était fait dans le
passé.

Si le Québec dit NON à la charte de Victo-
ria, ce ne fut, pas conséquent, pas d’abord au
nom d;objections précises et insurmontables
qu’il aurait nourries à l’endroit de la formule
d’amendement constitutionnel alors propo-
sée. Ce fut plutôt au nom de raisons plus gé-
nérales tenant à deux facteurs très impo-
tants.

La première raison s’inscrivait dans
logique de la démarche constitutionnelle
Québec. Celui-ci fut à l’origine de la réform
entreprise vers 1968 sous M. Pearson. M.
quand il demanda une refonte de la consti-
tion, il pensait d’abord à un nouveau part
des pouvoirs, non aux choses qui restent
définitive de l’ordre de symboles. Or, on
présentait à Victoria un texte qui répond
plutôt aux aspirations du Canada ang
qu’aux motifs que lui-même avait en déc
chant toute l’opération. Le Québec juge
dans ces circonstances, devoir exiger un
de la bonne foi de ses partenaires en relati
avec le partage des pouvoirs qui devait, à
rigine, être la pierre d’assise de la démarc
de révision. D’où la proposition d’amend
ment à l’article 94-A de l’AANB que la délé
tion québécoise soumit à la conférence
Victoria. Cette proposition fut malheureur
ment rejetée par la conférence. Accepter
charte, alors qu’on lui opposait un refus n
équivoque quant à sa demande majeure, c
été, pour le Québec, induire le reste du
en erreur et se tromper lui-même.

La seconde raison, plus difficile à défin
joua un rôle tout aussi important dans la dé
sion du Québec. Celui-ci a toujours éprouve
nécessité de rappeler au reste du pays qu
est différent à maints égards des autres p
vinces. Il a toujours souffert de voir av
quelle facilité on pouvait oublier cette
dence. La révision constitutionnelle amor
à Victoria lui paraissait l’occasion par ex
lence pour poser enfin un geste net dans
voie. Or, la charte de Victoria, tout en
prenant plusiers passages qui traitaient
réalité distincte du Québec, demeurait, p
ainsi dire, à la frange du problème. Elle n
frait aucunement au Québec la garantie q
dans une éventuelle refonte des pouvoirs
serait tenu compte de sa situation parti
lière.

Dans le refus du Québec, le partage
pouvoirs en matière de politique sociale
un rôle capital. Mais ce n’était là qu’un ex
ple. Il eût tout aussi bien pu être question
communications ou d’immigration, ou enc
du pouvoir de dépenser.

Depuis 1971, le Québec a réaffirmé à p
sieurs reprises son désir de rester dans
semble canadien et d’y jouer un rôle dynam
que. Cela renforce le dessein que poursuit
Trudeau de consolider et d’affirmer dav
tage l’identité propre du Canada.

Mais les obstacles qui empêcherent en
l’adoption de la charte de Victoria son
jours là. Si M. Trudeau veut rouvrir le
sier, il n’en tient qu’à lui de fair au préla
des ouvertures qui rejoindront les atte
fondamentales du Québec au plan du par
des pouvoirs et qui permettront au
d’entrevoir ce que pourrait être un joun un
dre constitutionnel canadien vraiment ac
table pour le Québec.

Claude RYAN

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