Québec, Assemblée Nationale, « Motion déterminant les conditions sans lesquelles le Québec ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution, » (24 novembre 1981)
Informations sur le document
Date: 1980-11-24
Par: Québec, Assemblée Nationale (Québec)
Citation: Québec, Assemblée nationale, Journal de Débats, 32nd Lég., 3rd Sess, 1981, pp. 347, 363-405.
Autres formats: Consulter le document original (PDF) [site externe].
347
Opinion complémentaire sur les conséquences de l’entrée en vigueur du projet révisé de Charte canadienne des droits et libertés
M. Bédard: M. le Président, je voudrais présenter, pour l’information des membres de cette Chambre, copie de l’opinion complémentaire sur les conséquences à l’égard des lois et règlements du Québec de l’entrée en vigueur du projet révisé de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette analyse complète celle de Mes Pratte, Émery et Bouchard du 25 février 1981 en tenant compte des amendements apportés au projet initial.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Document déposé. M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, est-ce que le ministre de la Justice pourrait préciser s’il s’agit des mêmes auteurs?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Bédard:C’est une opinion complémentaire signée par un des membres du contentieux, M. Samson, de même que par le sous-ministre de la Justice aux affaires civiques.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. M. le ministre de l’Éducation.
[…]
363
[…]
Motion déterminant les conditions sans lesquelles le Québec ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution
Le Vice-Président (M. Jolivet):
L’Assemblée nationale du Québec, rappelant le droit du peuple québécois à disposer de lui-même, et exerçant son droit historique à être partie prenante et à consentir à tout changement dans la constitution du Canada qui pourrait affecter les droits et les pouvoirs du Québec, déclare qu’elle ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution, sauf si celui-ci rencontre les conditions suivantes: 1. On devra reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement égaux et que le Québec forme, à l’intérieur de l’ensemble fédéral canadien, une société distincte par la langue, la culture, les institutions, et qui possède tous les attributs d’une communauté nationale distincte; 2. le mode d’amendement de la constitution a) ou bien devra maintenir au Québec son droit de veto, b) ou bien sera celui qui a été convenu dans l’accord constitutionnel signé par le Québec le 16 avril 1981 et confirmant le droit du Québec de ne pas être assujetti à une modification qui diminuerait ses pouvoirs ou ses droits et de recevoir, le cas échéant, une compensation raisonnable et obligatoire; 3. étant donné l’existence de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la charte des droits inscrite dans la constitution canadienne ne devra inclure que: a) les droits démocratiques; b) l’usage du français et de l’anglais dans les institutions et les services du gouvernement fédéral; c) les libertés fondamentales, pourvu que l’Assemblée nationale conserve le pouvoir de faire prévaloir ses lois dans les domaines de sa compétence; d) les garanties quant à l’enseiqnement de la langue des minorités anglaises ou françaises, pourvu que le Québec reste libre d’y adhérer volontairement, puisque sa compétence exclusive en cette matière doit demeurer totale et inaliénable et que la situation de sa minorité est déjà la plus privilégiée au Canada; 4. on donnera suite aux dispositions déjà prévues dans le projet du gouvernement fédéral concernant les droits des provinces à la péréquation et à un meilleur contrôle de leurs richesses naturelles.
M. le premier ministre.
M. René Lévesque
M. Lévesque (Taillon):Merci, M. le Président. Les circonstances ont fait que c’est la deuxième fois que je me lève ici en Chambre. La première, c’était au moment de la réplique à la fin du débat sur le discours inaugural, si j’ai bonne mémoire. Donc, c’est la deuxième fois que je me lève pour parler de cette motion, sans compter – ce sont les circonstances qui ont voulu cela aussi – que j’ai eu à quelques reprises au moins à en parler et à en traiter également à l’extérieur de la Chambre. Je vais tâcher d’être aussi bref que possible. L’essentiel de ce que nous avons à dire de ce côté-ci, sur l’ensemble de la question, est déjà bien connu.
Ce sujet constitutionnel, nous savons bien – cela nous arrive à nous aussi – qu’il y a beaucoup de gens qui en sont fatigués, qui voudraient passer à autre chose. Et nous aussi. Il y a tant de problèmes qui sont criants et qui nous touchent cruellement de jour en jour, par les temps qui courent, il y a tant de choses à faire également, tant de choses concrètes qui sont indispensables, que cette bataille, qui est aujourd’hui purement défensive, tout le monde a hâte d’en sortir. Il y a quand même une chose qui demeure essentielle, c’est qu’il faut en sortir honorablement, d’une façon qui ne cède pas sur l’essentiel. Et l’essentiel, ce sont tous ces droits et tous ces pouvoirs sans lesquels – il faut se mettre cela dans la tête une fois pour toutes, ou alors renoncer, jusqu’à un certain point, à être responsables, comme Québécois, surtout quand on a été élus par les Québécois pour le Québec – le Québec ne serait jamais entré dans le régime fédéral, ce régime n’aurait jamais existé, en tout cas, n’aurait pas existé pour le Québec.
Curieusement, à l’époque impériale, où on était encore, il n’y avait pas d’obliqation, il n’y avait pas de « railroading » unilatéral, cela s’est négocié entre des gens qui étaient
364
des colonies, mais à qui on laissait la dignité de pouvoir se décider librement. C’est cela que cela veut dire, essentiellement, cette expression un peu rebattue que l’on emploie souvent « les peuples fondateurs ». Je sais qu’il y a des gens chez nos concitoyens autochtones, par exemple, qui trouvent tout à coup dans le contexte actuel l’expression un peu excessive, parce qu’ils se disent – et je les comprends – qu’après tout, l’habitat que constitue le Québec, ils étaient là avant nous.
Mais il s’agit simplement de la création d’une institution politique et là, l’expression est absolument authentique. Il y avait une négociation fondamentale entre deux peuples qui sont deux nations aussi. C’est ce qui illustre, par exemple, ces deux couples restés plus ou moins légendaires dans l’histoire des constitutions qui se sont succédé ici, celui de Lafontaine et Baldwin et celui de Cartier et Macdonald. Donc, ces deux entités ont permis la réalisation de ce régime fédéral.
Il y en a qui diront, il y en a qui le disent, chacun à sa façon, bien sûr: Oui, c’est vrai, mais le monde a tellement évolué depuis 1867. C’est vrai, mais il n’a pas évolué dans le sens qui nous amènerait, d’aucune façon, à laisser tomber quoi que ce soit de ce qui nous appartient comme collectivité; c’est le contraire. Si le monde a évolué, le Québec a évolué avec et surtout à une vitesse qui s’accélère depuis au moins une génération. C’est plutôt dans le sens inverse, quant à nous, que le monde a évolué, dans le sens où il nous faut obtenir davantage après 114 ans. Cela fait plus d’un quart de siècle, depuis la bataille de M. Duplessis à propos de la récupération de l’impôt – je situe cela à peu près là, autour de 1954, il y a plus d’un quart de siècle -qu’à Québec chaque gouvernement, quelle que soit sa couleur, se tue à répéter que la pression monte, que le Québec est de plus en plus gêné aux entournures, à mesure qu’il devient une société aussi moderne que toutes les autres et que, à certains points de vue, il est à l’avant-garde.
Depuis la révolution tranquille surtout, il y a ici une société distincte, une nation -je sais que le député de Notre-Dame-de-Grâce ne sera pas contre, il en trouve, lui aussi, des nations – qui est sortie…
M. Scowen: Question de privilège, M. le Président.
Le Président: M. le député, sur une question de privilège.
M. Scowen:Je conteste ce que le premier ministre vient de dire. J’ai toujours soutenu et je continue de soutenir…
Le Président: À l’ordre, s’il vous plaît! M. le premier ministre, vous avez la parole.
M. Lévesque (Taillon): Je voulais simplement signaler, et plutôt par courtoisie, une récente intervention écrite du député de Notre-Dame-de-Grâce, mais, si c’est pour créer un malentendu, je retire ce que je disais.
Chaque gouvernement qui a succédé à un autre gouvernement, depuis au moins un quart de siècle, se tue à répéter que non seulement il y a ici une nation, mais une nation qui est sortie récemment, et à une vitesse d’autant plus rapide que les retards avaient été accumulés, d’une sorte d’isolement folklorique dans lequel elle était confinée, une société et une nation qui, d’année en année, sent ce régime fédéral comme quelque chose de plus en plus étriqué, un peu comme si un jeune adulte taillé normalement, qui a atteint sa taille, continuerait d’être obligé, de force, de porter ses vieilles affaires du temps de son enfance. Cela éclate et cela éclatera de plus en plus.
Cela a été balisé par des slogans que tout le monde connaît comme: Maîtres chez nous, Égalité ou indépendance, Québec d’abord, des plus originaux et des plus banals. De toute façon, derrière ces slogans, c’était la pression qui montait; ce n’était pas venu tout simplement par imagination politicienne, ça essayait de refléter en raccourci ce qu’on sentait dans notre société. Derrière cela, à travers toute la diversité de ces pressions montantes, combien y a-t-il de sujets, de revendications justifiées, repoussées, reprises, qui ont jalonné ce quart de siècle à propos des politiques sociales, à propos des communications, à propos des prisons et des tribunaux, à propos des relations internationales, etc.?
Ce que cela a représenté de temps, d’énergie, d’argent, la plupart du temps gaspillés en pure perte, c’est incalculable! Mais l’an dernier, en septembre 1980, alors que sur quelques-uns de ces sujets étaient dans le paysage, avec toutes les revendications qu’on véhiculait à ce sujet depuis 25 ans, Ottawa claquait la porte brutalement après la pseudo-négociation que personne n’a complètement oubliée. Cela veut dire que d’aucune façon qui soit concrète, qui soit cohérente ce long et épuisant combat de gouvernements successifs n’a réussi à faire céder le régime d’aucune façon, ne l’a amené à donner au Québec des marges de manoeuvre additionnelles; d’autres provinces en ont senti le besoin en cours de route, mais c’est au Québec que le problème est venu au monde et qu’il s’est développé. Mais, d’aucune façon, cela n’a amené aucune de ces marges de manoeuvre additionnelles dont le besoin était pourtant de plus en plus évident et devient encore de plus en plus évident.
365
(15 h 40)
Non seulement cela n’a rien amené de ce côté-là, au contraire, depuis l’an dernier, le gouvernement libéral de M. Trudeau qui représente le paroxysme de la tendance et de la tentation centralisatrice qui est foncièrement unitaire dans ce pays, surtout du côté du Canada anqlais – cela ne sert à rien de se voiler la face et de faire semblant que ce n’est pas vrai – ce gouvernement libéral de M. Trudeau, avec quelques politiciens dont les principaux, hélas, sont québécois eux-mêmes et cette toute-puissante technocratie anglophone qui règne à Ottawa, ce gouvernement a lancé, exactement à l’inverse de toutes les tendances normales et de tout ce qui était revendiqué, une offensive sans précédent dont le but essentiel, à peu près unique, est de diminuer nos droits et de charcuter nos pouvoirs tels qu’ils existent.
À ce propos, depuis un an, c’est la troisième motion qui vient devant l’Assemblée nationale et qui touche à ce projet fédéral auquel, au début de ce mois, se sont ralliés neuf gouvernements anglophones, dont sept en dépit de tous leurs engagements les plus solennels. De ces trois motions, la première est celle du 21 novembre 1980 à laquelle les libéraux, ici en cette Chambre, ont refusé leur assentiment et qui se terminait ainsi: « L’Assemblée nationale met en garde le Parlement britannique contre toute intervention dans les affaires canadiennes par l’adoption de quelque modification à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui n’aurait pas l’appui du gouvernement du Canada et, en particulier, du Québec.
Pourquoi ce dernier membre de phrase? Pourquoi ce « en particulier, du Québec »? Pour des raisons historiques d’abord, bien sûr, qui ont établi là aussi ce qu’on appelle une convention et pour la raison fondamentale, qui est là depuis 114 ans et qui sera toujours là, qui est tout simplement ce qu’on appelle la dualité canadienne, c’est-à-dire l’existence de ces deux nations, deux nations aussi complètes, aussi foncièrement éqales, aussi en droit d’exiger leur sécurité et leur chance de développement l’une que l’autre. L’absence de l’une de ces nations et de ses représentants légitimes rend automatiquement illégitime toute entente constitutionnelle où elle n’est pas partie prenante, surtout quand elle la refuse parce qu’elle est faite à son détriment.
Je lisais aujourd’hui, mais ce qui a été écrit hier, paraît-il, à Londres, l’opinion d’un éminent expert britannique très versé, d’ailleurs, dans les choses canadiennes, le professeur John Conway. Il est allé plus loin que moi je pourrais aller, même dans des moments d’indignation maximale. M. Conway écrit simplement ceci: Une telle entente constitutionnelle conclue sans le Québec « would be a farce and a disgrace », une farce et une honte. Sur cet aspect fondamental de la question, je dois dire d’ailleurs à la Chambre que, dès demain, le gouvernement a l’intention de poser un geste concret, un geste qui va rejoindre directement cette insistance que nous mettons, que nous ne pouvons pas ne pas mettre, sur la nécessité du consentement québécois.
Parlons un instant, si vous voulez, de la deuxième motion qui a jalonné cette année, à partir du coup de force d’Ottawa. Cette deuxième motion est récente, il n’y a pas deux mois, c’était le 2 octobre 1981, au lendemain de la décision de la Cour suprême. Cette fois, cette motion a obtenu l’unanimité des partis, en tout cas. Ce que nous établissions ensemble notamment, et c’est au coeur même de cette motion, c’est que l’Assemblée nationale s’oppose à tout geste qui pourrait porter atteinte à ses droits et affecter ses pouvoirs sans son consentement. Depuis lors, on sait ce qui s’est passé. La façon dont le Québec s’est trouvé isolé, trahi – il n’y a pas d’autre mot – et spolié en même temps, je l’ai décrite à plusieurs reprises. D’autres l’ont fait avec plus de détails encore que je pouvais en mettre. Je ne recommencerai pas aujourd’hui. Je dirai simplement ceci: C’est qu’assez vite avant que cela s’estompe dans la mémoire qui est toujours cette faculté qui oublie, il va falloir que ce soit raconté en détail, avec précision, avec pièces à l’appui pour l’édification non pas des générations futures, mais des Québécois et des Québécoises d’aujourd’hui qu’on s’acharne, non seulement à partir d’Ottawa, mais dans trop de coins du Québec lui-même, à garder dans la plus totale des confusions.
Depuis trois semaines, par exemple, on ne cesse dans tous ces milieux de nous seriner le mot « négociations ». Ce mot, dans les circonstances, ne peut signifier qu’une chose: aller négocier à la baisse l’honnêteté et la bonne foi, souvent étirée au maximum, que nous avons mises pendant un an et demi à tâcher d’en arriver à une entente honorable et respectable avec laquelle on pourrait vivre à l’intérieur de ce régime. Pour ces gens qui serinent sans arrêt leur refrain, il faudrait maintenant qu’on retrouve cette même bonne foi pour aller marchander tel ou tel adoucissement d’une manoeuvre qui est totalement inacceptable en soi. On irait néqocier une espèce de récupération partielle, tronquée de droits et de pouvoirs qui doivent demeurer intangibles. Si 114 ans de régime fédéral prouvent guelque chose, cela prouve au moins ça.
C’est sans précédent, ce qui se passe et, dans ce drôle de chassé-croisé qui dure depuis trois semaines, on voit se promener de Québec à Ottawa, d’Ottawa à Québec le chef provincial de l’Opposition libérale, le chef fédéral de l’Opposition conservatrice,
366
une éminente poignée de ces libéraux fédéraux qui nous trahissent comme peuple et une autre poignée d’experts ou d’observateurs professionnels. Et on cherche -on ne peut pas s’empêcher de le faire – ce qui peut motiver tout ce branle-bas, toutes ces pressions qui sont souvent franchement morbides, pour nous amener à plier, c’est-à-dire à bazarder ce qui, depuis plus d’un siècle, fait partie de l’essentiel.
On peut hasarder des hypothèses. Il y a évidemment chez beaucoup la remontée en surface de ce bon vieux complexe minoritaire qui n’est pas encore complètement guéri et qui nous a créé ce proverbe qui est à peu près unique au monde, qu’on n’entend plus, heureusement, mais qui flotte encore quelque part à l’arrière-plan de certains esprits: On était né pour un petit pain. Par conséquent, si on nous coupe notre petit pain, il faut s’arranger pour voir s’il n’y a pas des miettes à ramasser. À l’autre extrême, il y a ceux qui, en dépit de tous les efforts qu’on y a mis depuis si longtemps pour suivre correctement les règles du jeu, ce qu’on appelle en anglais et qu’on ne pratique pas toujours, le fair play, nous soupçonnent malgré tout d’avoir sans cesse les arrière-pensées de méchants séparatistes. On ne peut pas leur enlever cela de l’esprit, qu’ils s’arrangent avec.
M. Marx:…
M. Lévesque (Taillon):On a des convictions indépendantistes, oui! Oui, M. le député de D’Arcy McGee – cela vous dérange? – et on ne les a jamais cachées, mais il y a une chose, par exemple. Nos convictions ne nous empêchent pas de jouer « fair », comme on dit en anqlais. Allez donc dire à vos amis, avec qui vous avez partagé d’autres tribunes, d’essayer d’en apprendre autant et dites-leur en anglais pour qu’ils comprennent.
M. Marx:Question de privilège!
Le Président: M. le député de D’Arcy McGee, sur une question de privilège.
M. Marx:Le premier ministre s’énerve aujourd’hui. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’a dit quoi dire et j’aimerais savoir de sa bouche quoi dire.
Le Président: À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît! M. le premier ministre, vous avez la parole.
M. Lévesque (Taillon):Aussi, avec tout cela, M. le Président – et cela, je le sais, parce qu’on est habitué presque professionnellement à le sentir – dans ce chassé-croisé des trois dernières semaines, il y a des adversaires qui sont évidemment savamment calculateurs – on ne peut pas leur en vouloir, sauf qu’il s’agit quand même de quelque chose d’assez fondamental pour justifier difficilement des calculs qui dépassent comme le jupon – et qui nous poussent dans le dos et qui attendent le jour où nous aurions peut-être cédé sur quoi que ce soit pour nous crucifier aussitôt avec volupté, une volupté d’ailleurs qui leur met déjà l’eau à la bouche par anticipation.
Tout cela fait vraiment un beau spectacle, un spectacle auquel cette troisième motion que nous abordons aujourd’hui, quant à nous, en tout cas, devrait mettre un terme. Cette motion est en parfaite cohérence quant à l’essentiel avec les deux autres, c’est-à-dire quant à l’obligation du Parlement fédéral, éventuellement celui de Westminster aussi, de ne procéder à aucune modification affectant les pouvoirs de cette Assemblée, c’est-à-dire les pouvoirs du Québec et ses droits, sans son consentement. Le fond, c’est cela et ce que dit la motion, elle établit les conditions que le gouvernement du Québec veut voir… (15 h 50)
Que dit la motion? Elle établit les conditions que le gouvernement du Québec veut voir acceptées avant de donner son consentement à quelque projet constitutionnel que ce soit. Au nom du gouvernement, je tiens à réaffirmer pour la ènième fois qu’il s’agit là d’exigences minimales et non pas d’une vague base de négociation. Des compromis, nous en avons fait, nous en avons accepté jusqu’à la limite extrême du possible comme gouvernement du Québec. Pour cette raison, il me faut dire d’avance que nous n’accepterons aucun amendement à notre résolution qui risquerait de l’affaiblir quant au fond, c’est-à-dire qui voudrait introduire une ouverture à une pseudo-négociation qui déboucherait sur une diminution des pouvoirs du Québec.
Il y a un seul amendement, pour l’instant, que nous prévoyons introduire nous-mêmes, surtout avec ce qui vient de se passer, après toutes les tractations dont on a eu des échos dans les journaux, concernant les droits des femmes dans le reste du Canada, où on a eu la bonté de consentir finalement à améliorer certaines positions. Afin de diminuer l’ambiguïté qui peut traîner à cause de cela, il y aura un amendement que nous présenterons probablement avant la fin de la journée, et ma collègue, la ministre d’État à la Condition féminine, sera chargée, si elle le veut bien, de le formuler.
Cela étant dit, si Ottawa et le Canada anglais acceptent nos demandes, nous l’avons fait savoir de façon très claire, nous sommes prêts à signer un accord avec Ottawa et les autres provinces.
367
Dans cette motion, il s’agit de la dualité canadienne. Il y a des gens qui pourraient dire: Cela devrait aller plus tard, etc. Il y a des gens qui sont toujours prêts à attendre plus tard, jusqu’à ce que, tout à coup, ça ne veuille plus rien dire ou, alors, qu’on ait passé l’occasion. Il s’agit de la dualité canadienne. Il ne faudrait pas oublier que cette dualité s’est exprimée d’une façon plus éloquente que jamais le 5 novembre dernier, il n’y a pas tellement de jours, alors que le Canada anglais préparait et signait avec Ottawa un accord sans la participation et, bien sûr, sans l’adhésion du Québec, c’est-à-dire en mettant à l’écart les représentants légitimes d’un des deux peuples. Ils étaient non seulement écartés, mais on profitait de leur absence pour faire une opération politique à leur détriment. Cela, ce sont des faits que personne ne peut nier. On pourra assigner toutes les motivations qu’on voudra, ce sont des faits. Les faits sont têtus, comme quelqu’un l’a déjà dit.
Pour aller plus loin, quelle plus belle illustration de cette dualité canadienne peut-on trouver que cette fameuse lettre qui vient d’atterrir dans les journaux grâce à la conscience d’une dame de l’Ontario qui ne pouvait plus porter ça avec l’indignation qu’elle ressentait: Cette fameuse lettre d’un M. William Davis, premier ministre de l’Ontario, établit clairement – dans son esprit, c’était pour rassurer cette citoyenne ontarienne – que la charte fédérale, ce beau camouflage des droits, est dirigée essentiellement, on peut dire quasiment exclusivement – on n’a pas besoin d’extrapoler beaucoup de la lettre de M. Davis pour comprendre – contre le Québec puisque c’est la seule province qui sera véritablement touchée par ses effets. Comme le dit M. Davis: Ne vous inquiétez pas, en Ontario, ça ne changera rien. D’autant plus que c’était déjà arrangé pour éliminer l’article 133 de la constitution, c’est-à-dire la reconnaissance institutionnelle du français pour l’Ontario. Cela, c’a été le marchandage initial avec M. Trudeau.
Pour le reste, c’est agencé de telle sorte que M. Davis peut dire en toute confiance: Cela ne changera rien. C’est ce qu’on appelle le marché de dupes pour nos minorités. Le Québec sera le seul touché, dit M. Davis. Soit dit en passant, c’est non seulement la loi 101 du gouvernement du Parti québécois, mais aussi, on peut dire, a posteriori, la loi 22 de nos prédécesseurs libéraux, qu’on voudrait éliminer à jamais. On a besoin de considérer qu’il y a loin de la coupe aux lèvres de ce côté-là dans n’importe quel système politique qui est encore une démocratie. Ce qu’on voudrait éliminer à tout jamais, c’est la possibilité pour le Québec, sous quelque gouvernement que ce soit, de faire prévaloir son droit de se protéger comme peuple francophone au Canada et dans l’ensemble de ce continent. Pendant qu’on donne des miettes aux francophones répartis un peu partout au Canada anglais, miettes dont se moquent aussi allèqrement les uns que les autres – il suffit de lire la lettre de M. Davis et certaines déclarations – les Davis, Bennett et compagnie, eh bien, nous, nous exigeons – il me semble que c’est plus que le temps – que cette dualité canadienne se manifeste autrement que par l’exclusion du Québec. Nous réclamons qu’elle soit reconnue dans les textes et qu’elle le soit aussi – c’est le reste de la résolution – au moins pour le minimum essentiel, dans les faits.
Face à un premier ministre fédéral qui, dans ce qui constitue un affront qui n’a rien de personnel, un affront sans précédent tout de même à l’État même du Québec et à son peuple, nie le droit du gouvernerment du Québec de parler au nom du Québec; face aux députés fédéraux libéraux qui, à l’exception d’un seul, jusqu’à nouvel ordre, se font l’écho et les complices de la pire attaque portée contre les droits de leur propre société depuis le début, il y a 114 ans, de ce régime fédéral; face à tout ça, il faut réaffirmer, avec plus de force et de conviction que jamais, que l’Assemblée nationale est la seule institution politique, la seule, qui soit vouée exclusivement aux intérêts des Québécois et sur laquelle ces derniers peuvent exercer un contrôle démocratique complet. C’est à nous tous de nous souvenir de ça.
Bien sûr nous espérons que les membres de l’Opposition à l’Assemblée nationale trouveront le moyen d’appuyer une motion qui, il faut le répéter, pose des conditions qui sont un minimum vital pour le Québec. Qu’on nous prouve le contraire!
Le chef de l’Opposition pourrait profiter de l’occasion – je l’en prie encore une fois – pour dire de façon claire et nette, le cas échéant, s’il aurait, lui, signé l’accord des dix, tel qu’il était ou encore aujourd’hui, même, tel qu’il est. D’autant plus qu’il m’a semblé, pendant cette dernière fin de semaine, si les rapports sont exacts – ils n’ont pas été démentis – que le chef de l’Opposition, à peu près en même temps que M. Jos Clark, d’ailleurs – il y avait une heureuse coïncidence – avait commencé à modifier et même à élargir ce compromis -enfin c’est au chef de l’Opposition de le dire, c’est ce que j’avais cru comprendre -qu’il avait élaboré très rapidement sur la question centrale de la compensation en cas de retrait.
Quoi qu’il en soit, est-ce que c’est trop espérer qu’on puisse, au cours de ce débat sur une troisième motion que les circonstances nous imposent – étant le troisième, exactement le même, cohérent sur l’essentiel, il n’y a pas de raison que ce
368
débat s’éternise, me semble-t-il – voir le Parti libéral, à nouveau, sans se compromettre d’aucune façon – il s’agit quand même du même essentiel que l’autre fois – se rallier à nouveau à la position du gouvernement? Il me semble qu’un parti québécois n’a rien à perdre là-dedans et que le Québec a tout à gagner.
Si, par malheur, ce n’était pas possible, en tout cas, nous, au gouvernement, nous considérons qu’en aucune façon la légitimité des exigences posées majoritairement par l’Assemblée nationale, n’est atteinte. Là, même si elle est dissidente par rapport au contenu de la motion, j’espère que l’Opposition ne pourra que souscrire à une telle affirmation, parce que la légitimité des gouvernements, ça doit être maintenu, sinon je ne sais pas très bien pourquoi on travaille à essayer de faire prévaloir ses idées en arrivant au pouvoir.
Je résume très simplement. Ce que nous défendons n’est pas compliqué, c’est l’intégrité de l’État du Québec tel qu’il est; c’est sa spécificité indispensable dans l’ensemble canadien et ce sont les droits du Québec, des Québécois et des Québécoises, comme nation et comme membres de cette nation, de cette société distincte.
Je n’irai pas aussi loin dans ma conclusion que ce passage que je viens de lire. On m’a apporté, comme à d’autres membres de l’Assemblée nationale, je pense, le livre que vient de publier l’ex-député libéral, Mme Chaput-Rolland; je ne l’avais pas lu encore, je n’en avais pas eu le temps, mais j’ai regardé la conclusion, j’ai toujours cette tentation d’ancien journaliste et la conclusion, avant les postfaces qui sont venues après, est ceci: « Une constitution qui divise un pays n’est pas une constitution, c’est un document, qui pour être légal, demeure contraire à toutes les traditions qui ont fait la force de ce pays et qui, en même temps, ont assuré au Québec des droits qu’il ne saurait perdre sans perdre son âme et sa fierté. Si nous devions abandonner des droits, au nom d’un fédéralisme dont plusieurs contestent l’équilibre à cause du projet Trudeau, peut-être serait-il préférable de les reprendre tous, pour n’en perdre aucun. » (16 heures)
Je ne me serais pas servi moi-même de cette allusion à un avenir que nous souhaitons et que les événements nous forcent à souhaiter de plus en plus de tout notre coeur, de toutes les forces que nous avons et de tout ce que nous allons pouvoir mettre d’énergie dans les années à venir. Cela n’élimine pas la possibilité d’une entente pour un fédéralisme vivable pendant qu’il dure, mais moi, je ne l’aurais pas dit aujourd’hui, cela aurait pu avoir l’air d’une provocation, ce que j’ai pris dans le livre que vient de publier une de vos anciennes collègues, mesdames et messieurs de l’Opposition, qui a servi, je pense, avec beaucoup de loyauté et beaucoup d’énergie sur vos tribunes référendaires du non et tout le long du chemin depuis 1976, si j’ai bonne mémoire, ou à peu près, 1977, 1978, et qui, aujourd’hui, en arrive à cette conclusion. C’est dire que nous qui voulons le plus -c’est sûr, c’est notre conviction profonde -on va défendre jusqu’au bout le moins que ce régime nous a accordé depuis 114 ans et qu’on n’a pas le droit d’échiffer. Là-dessus, on ne pliera pas. Merci, M. le Président.
Des voix: Bravo!
Le Président: M. le chef de l’Opposition.
M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, j’ai écouté avec beaucoup d’attention ce qu’a dit le premier ministre et je suis d’accord avec lui – je l’ai signalé dès le soir du 5 novembre, la journée où a été conclu l’accord constitutionnel que nous discutons aujourd’hui – pour considérer que l’un des aspects les plus regrettables de cette entente à laquelle en sont venus dix gouvernements le 5 novembre dernier, c’est l’absence du Québec.
Je me suis rendu personnellement à Ottawa, vendredi dernier, pour signaler au premier ministre du Canada et aux chefs des deux principaux partis d’Opposition à la Chambre des communes qu’un véritable accord canadien n’est pas pensable sans la participation du Québec. Par conséquent, sur cette constatation de base, je pense qu’il y a accord des deux côtés de la Chambre: nous déplorons cette absence du Québec.
Je pense que nous nous entendrions également pour considérer que, si l’on a conclu un accord entre dix gouvernements, c’est-à-dire une entente à laquelle chaque gouvernement a librement adhéré, il serait infiniment regrettable que, dans le cas du onzième gouvernement, on ne procède point par accord, mais par imposition autoritaire. Il me semble que la nature même du document qui est issu de la conférence constitutionnelle du début de ce mois-ci nous invite à rechercher par tous les moyens le même type de conclusion en ce qui touche le Québec qu’en ce qui touche les dix provinces déjà participantes à l’accord.
J’ai remarqué également, au lendemain de la conférence constitutionnelle du début du mois, que certains chefs de gouvernement sont rentrés chez eux en disant, comme M. Lougheed, par exemple: « J’étais entré dans cette négociation en poursuivant cing objectifs; je fais rapport aujourd’hui que j’ai obtenu satisfaction sur chacun des cinq objectifs »‘ Je voyais, l’autre jour, un feuillet publicitaire distribué par le gouvernement de
369
Terre-Neuve. M. Peckford, dans ce feuillet publicitaire, dit: « Je poursuivais deux objectifs à la conférence constitutionnelle; je les ai obtenus tous les deux. » Il me semble qu’il faut pousser l’exercice plus loin. Il me semble qu’il faut viser à ce que chacun des gouvernements – pour nous, c’est le gouvernement du Québec qui est le plus important – obtienne satisfaction de manière raisonnable. Jamais personne n’obtient satisfaction de manière absolue. Lorsqu’il y a négociation, il faut toujours un minimum de compromis et de composition.
Mais ceci étant dit, je pense que l’objectif est encore celui d’une libre adhésion du Québec à un accord dont je montrerai tantôt, M. le Président, qu’il n’a pas tous les côtés apocalyptiques que veut bien laisser entendre le premier ministre.
Je signale, en outre, que les choses ont bougé, du 2 au 5 novembre, bien des changements se sont produits à la conférence constitutionnelle, par exemple, le gouvernement fédéral qui préconisait jusque-là une formule d’amendement, d’une manière qu’on pensait absolument inébranlable, a soudainement choisi une formule que son chef lui-même avait critiquée à maintes reprises au cours des mois précédents. On avait inclus dans le projet fédéral une formule de référendum permanent qui a fondu comme la glace au soleil pendant les discussions du 2 au 5 novembre. Il n’en est plus question maintenant. On vient de déposer une nouvelle version du projet à la Chambre des communes, jeudi dernier, je pense. Encore là, des changements sont intervenus par rapport au texte que nous connaissions auparavant. Comme le texte n’a pas encore été approuvé par la Chambre des communes, il est raisonnable de penser qu’il peut encore être amélioré, pourvu qu’on cherche à l’améliorer de bonne foi, et, je pense aussi, dans un esprit de concertation.
C’est dans cette perspective qu’au lieu d’engager le débat sur des voies de rhétorique usée et facile, je voudrais plutôt cet après-midi procéder à un effort d’analyse sereine et loyale afin de voir où sont les points de désaccord et aussi les possibilités de jonction ou d’accord qui permettraient de sortir tout le pays, en particulier le Québec, de cette impasse très très déplorable où nous sommes.
Je voudrais proposer une règle très simple pour l’exercice que nous allons faire. Le premier ministre lui-même, à l’issue de la conférence d’Ottawa, signalait trois sujets de désaccord entre le Québec et les autres gouvernements. Il parlait du problème de la compensation financière à propos de la formule d’amendement. Il parlait du principe de la libre circulation des personnes à travers le pays, au sujet duquel son gouvernement disait avoir des réserves. Il parlait enfin de cette partie de l’accord qui traite de la langue d’enseignement pour les enfants des minorités.
Je pense que si nous voulons progresser, il faudrait s’en tenir à ces trois sujets essentiels pour la discussion principale. Mais je veux bien, comme on nous a proposé un texte plus large, l’examiner dans son ensemble. Vous comprendrez qu’en cours de route, je devrai passer plus rapidement sur certains points sans chercher à en escamoter aucun cependant. Je devrai signaler au passage de nombreuses omissions que je découvre dans la motion gouvernementale.
Procédons par étapes. Tout d’abord, je m’étonne, entre parenthèses, que le premier ministre ait dit qu’il n’accepterait pas d’amendement. Cela m’étonne royalement parce que je croyais qu’on faisait une démarche ensemble. Je veux le rassurer, ce serait tellement compliqué d’en proposer ici que je n’en proposerai point. Je vais prendre les sujets les uns après les autres. Je ne sais pas si l’auteur de la motion s’est rendu compte de la richesse de sa création, que cette motion soulève au moins quinze sujets différents, y compris ceux qui ont été omis et qui auraient dû y être. Nous allons les prendre…
M. Lévesque (Taillon):Est-ce que l’Opposition voudrait une précision?
M. Ryan:Pardon?
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon):Si vous acceptez. Il faudrait tout de même être conforme. Je me souviens avoir lu les mots en faisant bien attention de ne pas m’en éloigner, parce que c’est ce que nous pensons et il me semble que c’est logique: « Pour cette raison, il me faut dire d’avance que nous n’accepterons aucun amendement à notre résolution qui risquerait de l’affaiblir quant au fond. » C’est tout.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le chef de l’Opposition.
M. Ryan:Maintenant nous allons procéder à l’examen de la motion. Je pense que cela nous permet de faire le tour du problème qui se pose à nous, d’une manière constructive. Le préambule contient deux affirmations principales: le droit à l’autodétermination du peuple québécois; deuxièmement, son droit historique à être partie prenante à tout changement dans la constitution du Canada. (16 h 10)
Sur le premier point, le droit à l’autodétermination, ça fait trembler bien des gens, M. le Président. Il y en a qui s’inquiètent dès qu’on emploie ces
370
expressions-là. Je tiendrais à rappeler, pour le bénéfice de nos concitoyens, qu’il y a longtemps que le Parti libéral du Québec a affirmé ce principe élémentaire. Dans le programme constitutionnel de mon parti, il est écrit en toutes lettres: Le Parti libéral reconnaît le droit du Québec de déterminer sa constitution interne et d’exprimer librement sa volonté de maintenir l’union fédérale canadienne ou d’y mettre fin. Il reconnaît, en bref, le droit du peuple québécois à disposer librement de son avenir.
En ce qui concerne la deuxième affirmation – le Québec, partie prenante à tout changement constitutionnel au Canada -il n’y a pas de problème de ce côté-là non plus. Nous sommes justement à la recherche d’une solution à un problème qui se pose à nous à cause d’omissions graves de ce côté-ci. On pourrait, d’autre part, signaler qu’il y a bien des choses qui devraient être dans cette partie de la motion et qui n’y sont point. Par exemple, il est étonnant, après avoir rappelé le droit du peuple québécois à disposer de lui-même, qu’on oublie de rappeler que l’occasion s’est présentée pour le peuple québécois de disposer de son sort pour l’avenir prévisible. Il a choisi, le 20 mai 1980, de continuer à chercher son avenir dans la voie du fédéralisme canadien. Il est étonnant de constater qu’on ne fait, dans cette motion, aucune allusion à la préférence nettement exprimée du peuple québécois pour la voie fédérale canadienne malgré les problèmes que peut poser cette option, c’est celle que nous avons retenue ensemble le 20 mai dernier.
Tout ceci pour signaler une vérité très simple: Je ne pense pas qu’il soit possible, dans un exercice d’une aussi brève durée que le débat autour de la motion gouvernementale, de trouver une entente entre le gouvernement et l’Opposition sur la formulation de principes aussi fondamentaux que nous percevons, que nous l’aimions ou non, à partir d’options différentes. Je respecte la formulation qui est présentée ici et je vous dis, M. le Président, que nous-mêmes nous formulerions cette introduction à la motion d’une façon qui tiendrait compte de facettes de la réalité qui n’ont pas autant d’importance du côté du gouvernement que du nôtre.
Ensuite, continuons. Il y a le premier article de la motion où l’on dit: « On devra reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement égaux et que le Québec forme à l’intérieur de l’ensemble fédéral canadien une société distincte par la langue, la culture, les institutions et qui possède tous les attributs d’une communauté nationale distincte; « . J’aurais mauvaise grâce de ne pas lire ces passages avec assez de sympathie parce que je crois y reconnaître un bon nombre d’expressions qu’il m’est arrivé d’employer moi-même au cours des derniers mois et je dirais même des dernières années.
Il n’en reste pas moins, si nous pensons à un texte constitutionnel, que la formulation qui est présentée ici laisse à désirer à plusieurs points de vue. Je vais vous donner des explications bien simples. Par exemple, quand on parle des deux peuples fondateurs, je n’engagerai pas le débat sur le mot « fondateur », mon collègue de Mont-Royal y reviendra quand il traitera de la question des peuples autochtones dans la future déclaration des droits du Canada, mais quand on parle du peuple francophone, il y a une tendance chez plusieurs – qui se comprend, d’ailleurs – à identifier le peuple francophone avec le peuple québécois. Or, la population francophone du Québec est plus large que le peuple du Québec, et il arrive aussi que le peuple du Québec est plus large que simplement le peuple francophone. C’est une population qui est en grande majorité francophone, qui a donné sa forme, son esprit, sa culture à l’ensemble des institutions qui nous régissent et c’est aussi une population qui comporte une partie importante de langue anglaise, d’autres langues et d’autres cultures.
Cela dit, nous sommes d’accord sur la nécessité d’inscrire le principe de la dualité culturelle à la base de l’édifice constitutionnel canadien. Ici, je pose une question au premier ministre: Pourquoi, lorsque c’était le temps de le faire, le premier ministre n’a-t-il pas insisté pour que ce principe soit inscrit dans un texte auquel il a apposé sa signature et celle du gouvernement du Québec, c’est-à-dire dans l’accord du 16 avril dernier?
J’ai devant moi le texte de cet acccord du 16 avril et je pense que très peu de nos concitoyens ont eu la chance d’en prendre connaissance parce que cela n’a jamais été débattu nulle part. On dit en guise d’introduction à ce texte: « Plusieurs principes importants – c’est M. le premier ministre du Québec qui parle, il est l’un des signataires -ont présidé à la mise au point de notre formule d’amendement. Premièrement, toute modification de la constitution du Canada doit être soumise à l’approbation du Parlement du Canada, sauf celles relatives à la constitution interne d’une province, » reconnaissant tout de suite en partant le droit de veto du Parlement fédéral. Il a bien fait son devoir de ce côté. On l’en félicite. Deuxièmement: « la formule de modification doit reconnaître l’égalité constitutionnelle des provinces comme partenaires égaux au sein de la Confédération. » Là il n’est pas question de dualité. Il est question de dix provinces, si je comprends bien, et du Québec comme l’une de ces provinces sur un pied d’égalité avec les autres. Troisième principe: « La formule de modification doit protéger la diversité du Canada. » J’ai
371
cherché la dualité. Je l’ai lu à plusieurs reprises et je ne la trouve nulle part là-dedans; on doit protéger la diversité. Nous avons toujours soutenu de ce côté-ci de la Chambre, M. le Président, que la diversité est un facteur très important de la réalité canadienne, mais qu’elle trouve son sens sur le fondement, quand on le conçoit, de la dualité. Ce ne sont pas des réalités qui sont au même niveau. Le premier ministre a approuvé volontiers la diversité en sautant par-dessus le principe de la dualité.
Quatrième principe: « Aucune modification constitutionnelle retirant aux provinces une compétence législative ou un droit de propriété attribué par la constitution ne doit être imposé aux provinces qui s’y opposent. Cinquièmement, la procédure de modification doit faire montre d’équilibre, n’être ni trop souple, ni trop rigide. Sixièmement, certaines modifications ont une importance telle que les onze gouvernements doivent les approuver. » Par exemple: La monarchie. Le premier ministre considérait que c’est tellement important la monarchie dans l’appareil constitutionnel canadien qu’il fallait donner un droit de veto à chacune des dix provinces si jamais nous voulions modifier cette institution. Encore ici…
Une voix: Encore la reine. M. Lalonde: Sauvons la reine!
Une voix: On ne sauve pas la langue, on sauve la reine!
M. Ryan:M. le Président, je cite des textes auxquels le premier ministre et son gouvernement ont donné leur aval en avril dernier. Je n’invente rien. Je vous dis: Le principe de la dualité, il faudrait l’inscrire dans la constitution canadienne mais, si le premier ministre prétend ouvrir tout ce débat actuellement, autant dire qu’il ne veut pas négocier de solution concrète aux problèmes qui subsistent actuellement en relation avec l’accord du 5 novembre dernier, et je vais y venir rapidement.
Troisième point: Le mode d’amendement. Je lis toujours la motion du gouvernement. On dit: « Le mode d’amendement dans la constitution ou bien devra maintenir au Québec son droit de veto… » Le premier ministre a déjà abandonné le droit de veto en principe le 16 avril dernier. Je pense que cela lui fait une belle jambe que de prétendre qu’on voudrait maintenant vertueusement le recouvrer, mais je soutiens que, dans l’accord du 16 avril, le droit de veto du Québec était abandonné. Le principe du droit de veto, comme nous l’avons toujours connu au Canada, n’y était plus. Le droit de veto, cela voulait dire ceci jusqu’au 16 avril: Cela voulait dire que le consentement du Québec était nécessaire pour toute modification constitutionnelle importante au Canada. Ce n’était pas une règle écrite, c’était l’une des conventions très chères au premier ministre. C’est pour ça que, quand le gouvernement dont faisait partie le premier ministre actuel en 1964 a refusé d’approuver la formule Fulton-Favreau, le premier ministre du temps a remisé la formule dans les tiroirs. Il l’a remisée aux archives parce que, comme le Québec ne voulait pas de cette formule, il ne pouvait pas en être question comme formule canadienne. Quelques années plus tard, quand le gouvernement du Québec a refusé d’approuver la Charte de Victoria en 1971, le premier ministre actuel du Canada a reconnu qu’il ne pouvait pas aller plus loin parce qu’il y avait eu ce droit de veto du Québec, cette décision du Québec de ne pas permettre qu’un accord constitutionnel soit fait sans son consentement et sa participation. (16 h 20)
Avec la formule approuvée par le premier ministre, ce qui reste, c’est très différent. C’est le droit du Québec dans des amendements qui comportent un transfert de pouvoirs des provinces au fédéral. Savez-vous combien il y en a eu depuis la Confédération, M. le Président? Il y en a eu exactement deux. Il y a eu celui des régimes de retraite, des pensions de vieillesse en 1964. Il y a eu celui de l’assurance-chômage, je crois que c’est en 1940. C’est tout ce qu’il y a eu. Là, il y a un droit de retrait, dans ces cas-là. Deux fois par siècle, à peu près, le Québec pourra dire: On se retire. Faites attention. On ne veut pas être partie de cela. Tout le reste, tous les autres amendements, ce sera soit l’unanimité, par conséquent le droit de veto de n’importe quelle province – une formule extrêmement difficile à faire fonctionner – soit encore la majorité simple dont le Québec pourra se trouver exclu. J’y reviendrai dans un instant. Cette formule qu’a favorisée le premier ministre, voici quelques-unes de ses conséquences.
En signant cette formule, le gouvernement actuel du Québec et son chef acceptaient les conséquences suivantes: Premièrement, que le Québec soit considéré et traité à l’avenir, en matière d’amendements constitutionnels, comme une province au même titre que les autres, sans plus. Deuxièmement, que le droit de veto que garantissait au Québec le projet fédéral de formule d’amendement soit remplacé par un droit de retrait dont jouirait également n’importe quelle autre province, dont la portée serait d’ailleurs très limitée, comme je viens de l’indiquer, et dont les quelques rares avantages étaient déjà contenus de toute manière dans le droit de veto que nous détenions jusque-là. Il acceptait aussi que des pouvoirs nouveaux, non prévus dans le
372
partage actuel des compétences, puissent éventuellement être attribués au Parlement fédéral par une simple majorité des provinces agissant de concert avec le Parlement fédéral. Il acceptait que tout changement au régime monarchique actuel soit assujetti au pouvoir de veto de n’importe quelle autre province du Canada.
Il acceptait – écoutez ceci – que toute augmentation du nombre des juges en provenance du Québec à la Cour suprême soit assujettie au pouvoir de veto de n’importe quelle province du Canada. On était arrivé, au lendemain des discussions constitutionnelles de 1980, à une formule qui aurait permis d’envisager six juges en provenance des autres provinces et cinq en provenance du Québec. Avec cette formule qui a été approuvée par le gouvernement actuel, le Québec est gelé à trois juges à la Cour suprême, à moins d’avoir le consentement de toutes et chacune des autres provinces. Vous avez accepté en plus, messieurs du gouvernement, que le Québec ne puisse rien changer à l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui traite de l’usage du français et de l’anglais dans les affaires judiciaires et parlementaires sans l’autorisation préalable du Parlement fédéral, mais, en même temps, vous avez accepté que les autres provinces, y compris l’Ontario, soient assurées de ne jamais être assujetties aux obligations découlant du même article sans leur consentement préalable.
Vous avez accepté que les pouvoirs de la Cour suprême et les pouvoirs du Sénat ainsi que la procédure de nomination des membres du Sénat puissent être modifiés sans l’accord et même contre l’avis du Québec. Vous avez accepté que de nouvelles provinces puissent être créées au Canada sans l’accord ou contre la volonté du Québec. Vous avez accepté que les pouvoirs actuels du Québec ne puissent à l’avenir être accrus ou augmentés que moyennant le consentement préalable du Parlement fédéral et d’une majorité des autres provinces. Et je dis ceci à l’intention de nos minorités francophones des autres provinces: Le gouvernement du Parti québécois a accepté, en signant l’accord du 16 avril, que n’importe quelle province ait à l’avenir un droit de veto sur toute extension des droits du français à l’échelle de l’ensemble du pays et en particulier à l’intérieur de ses propres frontières au-delà de ce que définit l’article 133 de la constitution.
Voilà quelques implications de cette formule à laquelle le gouvernement a donné son aval moyennant le plat de lentilles qu’il n’a pas encore été capable d’obtenir.
Dans le contexte où nous sommes, il sera extrêmement difficile de récupérer, à court terme, le droit de veto du Québec. Il faut faire en sorte que le Québec devienne à part entière partie prenante de cet accord pour qu’au moins dans les faits cette présence indispensable du Québec à une décision aussi importante soit assurée. Ensuite, il faudra essayer de regagner le terrain qui a été perdu sous le gouvernement actuel. Mais dans l’immédiat, dans les circonstances où nous sommes placés aujourd’hui, je crois qu’il faut viser à obtenir, au minimum, la compensation financière la plus plénière possible pour tous les cas où le Québec pourrait décider d’exercer son droit de retrait.
Je le dis, il y a eu des malentendus à ce sujet. Les propositions que j’ai formulées à l’intention des deux chefs de gouvernement embrassaient l’ensemble des champs de compétence. Il y en a un qui s’imposait de toute évidence, celui qui embrasse les questions de l’éducation et de la culture. Je n’ai jamais laissé entendre que nous serions indifférents aux autres domaines. Au contraire, je demandais avec force que des négociations aient lieu afin de trouver des modes de compensation financière appropriés au sujet des autres domaines de compétence. Je déclare aujourd’hui, avec le plus de fermeté possible, que le gouvernement pourra compter sur la collaboration du Parti libéral du Québec pour obtenir, en matière de compensation financière, que le Québec soit traité avec justice et qu’aucun risque d’injustice ne découle de la formule qui sera ultimement retenue à ce chapitre.
Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de risques pour le gouvernement fédéral à cet égard. Ainsi que je l’ai indiqué, il y a eu exactement deux amendements constitutionnels impliquant des transferts de pouvoirs des provinces en faveur du Parlement fédéral depuis 114 ans que dure la fédération canadienne. À voir le souci que manifestent aujourd’hui les provinces d’affirmer leur autonomie et d’assumer leurs responsabilités, il n’y a guère à prévoir de mouvement semblable au cours des années à venir. Par conséquent, les risques que pourrait courir le gouvernement fédéral en acceptant un engagement comme celui-là sont extrêmement réduits. D’autre part, si on veut que l’exercice du droit de retrait n’entraîne aucune forme d’injustice pour le Québec, on doit absolument prévoir, de ce côté-là, une solution satisfaisante.
J’ai noté avec plaisir – je pense que ça vaut la peine de le souligner – que le chef du Parti progressiste conservateur canadien, M. Joe Clark, a recommandé, dans le discours qu’il faisait à la Chambre des communes vendredi dernier, que le principe de la compensation financière, dans le cas de l’exercice du droit de retrait par une province, soit réinscrit dans la formule d’amendement de Vancouver. Je seconde les vues qu’a émises à ce sujet M. Clark, je suis très heureux qu’il ait pris l’initiative de le
373
faire. Il me fait plaisir de vous dire qu’après avoir rencontré M. Clark je suis allé causer avec M. Broadbent, le chef du Nouveau Parti démocratique, qui avait émis des objections très fermes à l’encontre du principe de la compensation financière. Je crois avoir aidé M. Broadbent à comprendre, peut-être de manière plus concrète, certaines implications qui lui avaient échappé.
Parmi les exemples qu’on peut envisager – c’est bien facile à comprendre -supposez qu’un jour – en pratique, les probabilités sont très limitées, mais, en principe, c’est une chose concevable – les provinces décident de transférer au Parlement fédéral toute la compétence actuellement partagée, en matière d’agriculture, par exemple, en matière d’habitation, en matière de police provinciale, en matière de développement économique régional, on ne peut pas concevoir honnêtement et loyalement que ce droit de retrait puisse être exercé sans la garantie d’aucune compensation financière. Par conséquent, j’invite le gouvernement fédéral, j’invite les autres gouvernements qui avaient donné leur assentiment à cette condition à réviser leur attitude. (16 h 30)
M. Clark me disait, vendredi dernier, qu’il voulait restaurer dans son esprit l’accord du 16 avril dernier. J’ai trouvé que c’était une parole très digne et très noble. Je dis que si on peut au moins restaurer ceci, on n’aura pas sauvé tout ce qui a été abandonné le 16 avril, mais au moins on reviendra à un niveau à partir duquel pourra recommencer l’effort afin de reconquérir le reste. Par conséquent, sur ce point, je pense que notre position est très claire. C’est le seul point sur lequel j’inviterais le gouvernement à réfléchir de son côté. M. Broadbent, en me parlant, me disait que, lui, il avait en vue l’objectif de l’égalité pour tous les Canadiens, il ne voudrait pas que l’exercice du droit de retrait, étant fait par une province riche, aboutisse à fournir aux citoyens de cette province des conditions qui les situeraient dans une position injustement privilégiée par rapport aux autres et qui empêcheraient peut-être certains programmes de partage de se faire au Canada, pour le plus grand bien de toute la population. Il y a cette difficulté à laquelle j’invite le gouvernement à réfléchir. Elle a été soulevée également par le premier ministre du Canada. Je crois qu’on peut la surmonter sans trop de difficulté, mais l’essentiel de notre position va de l’autre côté, du côté de la compensation financière.
Quatrième point. Quoi qu’on dise, dans le préambule de l’article 3 de la motion du gouvernement: Étant donné l’existence de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la charte des droits canadienne ne devra inclure que…, on limite les sujets le plus possible.
Je voudrais dire au gouvernement – je l’ai dit souvent d’ailleurs – que le Parti libéral du Québec favorise une charte canadienne des droits qui soit large et généreuse. Nous n’avons point peur d’une charte comme celle-là, nous voulons qu’elle comporte toutes les garanties nécessaires pour les pouvoirs constitutionnels et législatifs du Québec, mais nous voulons une charte large et généreuse à l’image de l’idée que nous nous faisons de ce pays canadien et de son avenir.
Nous croyons qu’une charte constitutionnelle est supérieure à une simple charte statutaire, pour des raisons évidentes. D’abord, elle affirme d’une manière beaucoup plus solennelle et efficace le principe de la primauté des citoyens sur les gouvernements, sur les gouvernants, sur les Législatures, sur les Parlements. Deuxièmement, un des grands avantages d’une charte canadienne que minimisent nos amis d’en face, c’est celui de mettre les deux ordres de gouvernement sur le même pied aux yeux de la loi. Il est arrivé souvent, dans l’histoire passée – mon collègue de D’Arcy McGee pourra peut-être en parler de manière plus détaillée au cours de ce débat – que le Québec s’est vu refuser certaines lois qui avaient été adoptées dans cette enceinte, parce qu’elles n’étaient point constitutionnelles, des lois qui touchaient à des libertés fondamentales.
Vous aurez remarqué, M. le Président, que les raisons pour lesquelles on invalidait ces lois n’avaient souvent rien à voir avec le principe même de la loi. C’est parce qu’on avait trouvé que la loi empiétait sur le Code criminel, qui est de compétence fédérale, ou toutes sortes de raisons comme celles-là et, pendant que le Québec se voyait nier le pouvoir d’adopter certaines lois – et surtout de les appliquer – le gouvernement fédéral adoptait souvent de son côté des lois qui étaient encore moins libérales au chapitre des libertés fondamentales et personne ne pouvait lui en faire grief, parce qu’il avait la compétence constitutionnelle pour le faire. En mettant certains droits fondamentaux dans une déclaration constitutionnelle des droits, on place les deux ordres de gouvernement sur un pied d’égalité devant la loi et devant le pouvoir judiciaire. C’est un avantage que, personnellement, je considère non négligeable.
Enfin, vous remarquerez une chose: ce pays est fait de francophones, d’anglophones et aussi d’un très grand nombre de citoyens dont les origines remontent à une autre culture ou à un autre pays que la France et l’Angleterre. Ces citoyens sont égaux avec nous. J’ai remarqué une chose, M. le Président – ça vaut ce que ça vaut comme observation, mais je la pense importante -c’est que nos concitoyens qui appartiennent aux communautés ethniques d’un bout à
374
l’autre du Canada insistent énormément sur le caractère hautement désirable d’une charte constitutionnelle des droits. C’est parce que eux ont connu d’autres expériences; ils se disent: Si on peut garantir la protection de certains droits fondamentaux d’une manière plus efficace encore dans ce pays-ci, ça vaut la peine de le faire. Je considère que ce sont des citoyens à part entière et leur point de vue vaut d’être considéré également, et si nous pouvons leur donner une raison de plus d’être fiers du choix qu’ils ont fait de faire leur avenir au Canada et d’y faire venir leur famille, je me dis: Ce sera un progrès politique pour tout le monde.
Par conséquent, sur le principe d’une charte, je tiens à indiquer très fortement pour la énième fois en cette Chambre la préférence de mon parti pour une charte généreuse.
Cinquième point. On dit que la charte des droits ne devra inclure que les droits démocratiques. Les droits démocratiques, c’est le droit d’être candidat à une élection, le droit de voter. Il n’y a pas de problème là-dessus, le gouvernement l’accepte, nous l’acceptons aussi. Par conséquent, passons tout de suite à un autre sujet.
Là, vous en avez oublié quelques-uns. Je vais tout de suite faire quelques parenthèses. Les libertés fondamentales, cela y est je vais en parler tout de suite. C’est la liberté d’expression, la liberté de penser, la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté de presse. Je suis content de savoir que le gouvernement est prêt à accepter que ces grandes libertés fondamentales soient inscrites dans la future constitution renouvelée du Canada. Elles le seront avec la fameuse clause « nonobstant », c’est-à-dire que, nonobstant l’existence de ces dispositions constitutionnelles, l’Assemblée nationale pourra, si elle le juge à propos, adopter des lois qui ne seront pas astreintes à la lettre de ces dispositions constitutionnelles. Par conséquent, ici, il n’y a pas de conflit majeur entre le gouvernement et nous. Nous pouvons continuer également.
Je demande au premier ministre et au ministre de la Justice qui m’écoutent: Comment se fait-il que vous ne parliez pas, dans votre motion, des droits juridiques et légaux? Le projet fédéral de charte constitutionnelle des droits consacre plusieurs articles à ces droits fondamentaux de tout citoyen: le droit d’avoir un avocat guand on est mal pris avec la police ou les autorités, le droit à la protection de la vie privée, le droit au respect de son domicile, le droit de n’être point jugé tant que la preuve n’a point été faite qu’on était coupable, etc. Je crois comprendre que le gouvernement ne veut pas que ces droits fondamentaux soient garantis dans la constitution. Il a déjà été entendu, à la conférence du début de novembre, que ces droits pourraient être inscrits dans la constitution moyennant la clause « nonobstant », c’est-à-dire cette clause qui préserve le pouvoir ultime de l’Assemblée nationale d’adopter des lois à ce sujet. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fait preuve de tant de pruderie à ce sujet.
Un autre sujet est passé sous silence dans la motion du gouvernement et cela m’étonne aussi: les droits à l’égalité, c’est-à-dire le droit de n’être victime d’aucune discrimination au titre de votre origine raciale, de votre affiliation religieuse, de vos convictions politiques, de la couleur de votre peau, de votre sexe ou de votre âge. Il y a un article, dans le projet fédéral, qui traite de ces garanties des droits à l’égalité. Cet article est assorti, depuis la conférence de novembre, de la clause « nonobstant ». Je suis étonné de constater que le gouvernement n’en parle point. Vu que le premier ministre n’en avait pas parlé le 5 novembre et que vous n’en avez jamais parlé de ce côté-là de la Chambre, je me demande si je ne suis pas autorisé à conclure que vous favorisez, vous aussi, l’inclusion de ces dispositions dans la future charte constitutionnelle.
Les droits des autochtones. Le premier ministre a parlé tantôt des droits des femmes; on va y venir tout de suite après. Je suis étonné qu’il n’ait pas parlé des droits des autochtones. Vous savez que le projet précédent, c’est-à-dire la version du projet fédéral qui remonte au mois d’avril, contenait un paragraphe dans lequel il était dit que l’on voulait confirmer les droits des populations autochtones découlant des traités qu’elles ont signés avec les populations blanches depuis que celles-ci sont installées au Canada. Cet article était disparu. À la suite de la nuit du 4 au 5 novembre, il avait pris la poudre d’escampette, faut-il croire. Fort heureusement, un accord vient d’être siqné avec toutes les autres provinces voulant que cet article soit restauré dans sa forme originelle. Nous autres, nous sommes favorables à cet article. Je l’ai dit l’autre jour à des chefs de bandes indiennes qui sont venus me visiter ici en compagnie du député de Mont-Royal et je le répète aujourd’hui: Nous sommes entièrement favorables à l’inclusion dans la charte des droits d’une disposition garantissant le maintien et la confirmation des droits des peuples autochtones du Canada. (16 h 40)
II y avait une petite clause, la clause 28 du projet antérieur à la conférence de novembre, qui garantissait que tous ces droits s’appliqueraient sans distinction aux membres de l’un et l’autre sexe, hommes et femmes, et par une espèce de concours de circonstances dont je ne connais pas la trame, on avait ajouté à ce paragraphe la fameuse clause « nonobstant ». Là, les femmes
375
se sont révoltées, avec raison. Elles ont dit: II y a des limites à toujours passer par des « nonobstant ». Nous voulons une clause claire et franche qui garantisse aux hommes et aux femmes à travers tout le pays qu’ils ne seront point victimes de discrimination au titre de leur sexe.
Je demande au gouvernement – je ne sais pas si j’ai bien compris le premier ministre tantôt – de dire clairement là-dessus que toutes les frayeurs traditionnelles qu’on a si longtemps exploitées dans ce genre de débat, on les laisse tomber. Qu’on dise aux femmes du Québec et du reste du Canada qu’on veut tous ensemble, unanimement, que leur droit à l’égalité soit consacré dans la future charte des droits constitutionnels du Canada.
Autre sujet: le français et l’anglais au niveau fédéral. Vous parlez de cela dans votre motion, il n’y a pas de problème là-dessus. Tout le monde est d’accord, ça ne coûte rien pour nous, ça engage le gouvernement fédéral. Nous sommes tous d’accord, comme d’habitude. Mais je signale deux points particuliers. Je pense qu’il convient de signaler, M. le Président, que la province du Nouveau-Brunswick a fait un pas très important en s’engageant, elle aussi, à respecter les droits linguistiques de ses deux communautés majeures. Au plan constitutionnel, le Nouveau-Brunswick s’est engagé à respecter les droits de sa population francophone, pour toujours, en vertu de dispositions constitutionnelles très astreignantes. Nous pouvons considérer que ce ne serait pas le genre de dispositions applicables au Québec, mais sachons au moins reconnaître et admirer la générosité de ceux qui ont consenti un engagement comme celui-là. J’en connais, chez nos frères d’Acadie, nos frères francophones du Nouveau-Brunswick, qui sont très heureux de cet engagement qu’a pris leur gouvernement et qui les protège pour l’avenir contre la domination de gens à mentalité étroite comme il y en a eu tellement dans l’histoire du Nouveau-Brunswick et aussi de l’ensemble du Canada.
Je signale aussi à ce chapitre que le Québec continue d’être lié par l’article 133 qui prescrit l’usage facultatif des deux langues dans les affaires judiciaires et dans les affaires parlementaires. Cet article, je l’ai déjà dit dans cette Chambre, ne m’embarrasse aucunement, ni comme Canadien, ni comme Québécois. Je pense que c’est le minimum qu’on puisse accepter qu’un citoyen, qui doit se présenter devant les tribunaux, puisse s’y présenter en se servant de sa langue à lui. Que les tribunaux s’ajustent à lui plutôt que lui aux tribunaux me paraît être l’ABC de la civilisation.
De même, dans nos affaires parlementaires, comme nous avons des collègues qui viennent de communautés linguistiques autres que française, il est normal qu’ils puissent disposer des textes dans la principale langue minoritaire au Québec, c’est-à-dire dans la langue anqlaise.
Par conséquent, je ne vois pas de problème là-dedans pour nous, mais j’en vois un gros du côté de l’Ontario. J’en vois un très gros du côté de l’Ontario. Je déplore très vivement que le gouvernement de l’Ontario n’ait pas encore jugé nécessaire, ni opportun, en 1981, après 114 ans de Confédération, d’accepter d’être lié, en matière d’usage facultatif des deux langues, comme l’est le Québec depuis 1867. J’émets un voeu, le plus solennel possible, M. le Président, qu’avant la fin de cet exercice le gouvernement de l’Ontario sache reconnaître l’évidence et accepte de s’engager dans cette voie où le Québec est déjà engagé depuis longtemps. Qu’il accepte ce minimum d’égalité entre les deux provinces. Cela nous donnerait un noyau de protection de droits linguistiques fondamentaux qui serait infiniment plus satisfaisant que ce que nous avons actuellement.
Au sujet de la péréquation, il n’y a pas de problème. Le gouvernement du Québec accepte, pour des raisons faciles à comprendre, que le principe de l’égalisation des chances entre les provinces riches et les provinces pauvres soit inscrit dans la constitution du pays. Nous aussi, nous le demandions depuis longtemps. Il est heureux que ce principe soit là. Par conséquent, comme il n’y a pas de désaccord entre le gouvernement et l’Opposition, nous pouvons passer à un autre sujet.
Le contrôle des provinces sur leurs richesses naturelles fait l’objet de dispositions nouvelles dans l’accord du 5 novembre. Le Québec lui-même, par son gouvernement, a semblé satisfait des éclaircissements très importants pour les provinces qui ont été apportés à la constitution du pays à ce chapitre de la compétence en matière de richesses naturelles. Le gouvernement demande dans sa motion que cet article soit conservé; je pense que c’est l’objet d’un consensus général à travers le pays et nous y souscrivons volontiers.
J’en viens maintenant aux trois sujets de désaccord. Je pense que c’est bien important qu’on se rende compte, après avoir fait le tour, que ce sont vraiment les trois sujets sur lesquels il existe des améliorations qu’on doit souhaiter et rechercher.
La mobilité, cela veut dire le droit, pour un travailleur, de circuler librement d’une province à l’autre, cela veut dire le droit, pour un citoyen du Canada, de se déplacer de l’Atlantique au Pacifique sans être incommodé par ces gouvernements. Dans l’état actuel des choses, un citoyen du Québec qui veut aller travailler à Fort McMurray, dans le nord de l’Alberta, pour la
376
construction d’une usine de sable bitumineux, peut être envoyé là par son syndicat. Il n’a pas besoin d’une permission de M. Lougheed, il n’a pas besoin d’une permission du gouvernement de l’Alberta. Un autre peut aller de Moncton à Toronto, cela se fait tous les jours. II y en a des quantités qui vont de Moncton à Montréal et à Toronto; ils ne sont pas obligés d’avoir de permission de qui que ce soit s’ils veulent pratiquer tel métier ou telle profession. Ils doivent obtenir l’incorporation dans un corps professionnel québécois.
Déjà – et cela, je voudrais le rappeler au gouvernement très clairement et je défie le gouvernement de me contredire à ce sujet – deux principes sont inscrits dans le texte constitutionnel déposé à la Chambre des communes jeudi ou vendredi dernier. À l’article 6, le premier: « Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir », c’est déjà une prérogative constitutionnelle du gouvernement fédéral, du Parlement fédéral. On n’ajoute absolument rien au droit actuel, on n’enlève absolument rien à quelque province que ce soit en inscrivant ce principe dans la constitution du Canada.
Deuxième principe: « Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit de se déplacer dans tout le pays, d’établir leur résidence dans toute province et de gagner leur vie dans toute province ».
Je vous soumets humblement que les principes énoncés dans ce paragraphe font déjà partie, depuis de nombreuses années, de la jurisprudence, c’est-à-dire de la pratique judiciaire canadienne. Par conséquent, on n’innove point. Le gouvernement s’est trompé, là-dessus. J’entendais le premier ministre faire un exposé, l’autre jour. Je pense qu’il a confondu deux articles de la charte: l’article 6 et l’article 15. Relisez attentivement l’étude qui a été faite pour le gouvernement par l’équipe de juristes que dirigeait M. Yves Pratte. Vous remarquerez que la très grande majorité des difficultés que prévoient ces juristes, engagés par le gouvernement, se relient à l’article 15, celui qui traite des droits à l’égalité et à propos duquel nous avons la clause « nonobstant », quoi qu’il en soit. Mais je vous dis que si vous prenez l’article 6 dans son sens obvie, en toute objectivité et en toute honnêteté, il ne fait que confirmer, en l’amoindrissant peut-être un peu, l’état actuel de la jurisprudence au Canada. Par conséquent, je ne pense pas que nos amis d’en face seraient bien fondés de lancer une croisade à ce sujet.
Dans le traité qui constitue la communauté européenne, c’est un exemple de souveraineté-association. Ce n’est pas du fédéralisme, c’est de la souveraineté-association; par conséquent, c’est beaucoup moins dangereux, aux yeux de nos amis d’en face, que le fédéralisme. Qu’est-ce qu’on dit? Je vais vous lire des passages du traité de Rome: « La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la communauté au plus tard à l’expiration de la période de transition. » Elle est finie depuis longtemps maintenant, je vais vous en dire un mot. « Cette libre circulation implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, etc. »
Plus loin, on parle du droit d’établissement: « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont progressivement supprimées au cours de la période de transition. Cette suppression progressive s’étend également aux restrictions, à la création d’agences, de succursales ou de filiales par les ressortissants d’un État membre, etc. (16 h 50)
Je vous invite, messieurs du gouvernement, à lire attentivement ces dispositions du traité de Rome et les nombreuses directives, les nombreux règlements d’application auxquels elles ont donné lieu par la suite. Je suis d’avis, en toute sincérité, qu’à mes yeux, c’est un corollaire essentiel, dans un régime fédéral, que cette liberté de déplacement et de mouvement des personnes. J’espère qu’on se débarrassera de certaines frayeurs excessives pour voir des choses qui sont beaucoup moins compliquées dans la réalité qu’on voudrait le faire à travers une certaine propagande. Je proposerais ici – c’est vrai qu’éventuellement, les mouvements massifs de population, les déplacements imprévus de population causés par des découvertes géographiques ou par des mouvements économiques qu’on ne pourrait pas soupçonner actuellement pourraient entraîner des problèmes pour l’équilibre linguistique et culturel du Québec – que l’on mette une clause qui garantisse une liberté d’action du Québec dans des situations comme celles-là ou encore que l’on prévoie plus simplement, qu’on ajoute à l’article 6 un paragraphe disant qu’il faudra prévoir des règlements d’application lesquels devront faire l’objet de négociations entre les gouvernements concernés autour d’une période, disons, de cinq à dix ans. Il y a des solutions qu’on peut trouver à ce problème. Mais je ne voudrais pas que l’Assemblée nationale du Québec, en 1981, passe à l’histoire comme ayant eu peur du principe de la liberté de déplacement et de l’établissement des personnes.
Il reste un sujet, M. le Président, la langue d’enseignement. C’est très intéressant.
377
Je l’ai gardé pour la fin. Dans la charte fédérale, il y a trois articles. Il y en a un qui prend le critère de la langue maternelle et dit: Tout enfant dont les parents qui sont de langue française ou anglaise pourra aller à l’école française ou anglaise s’il est dans une province anglaise ou française. Le deuxième article dit que tout enfant de parents qui ont reçu leur formation primaire à l’école anglaise pourra aller à l’école anglaise au Québec, partout au Canada, … qui ont reçu leur formation anglaise n’importe où au Canada, aura accès à l’école anglaise au Québec et vice versa. L’enfant qui aurait été formé à l’école élémentaire dont les parents ont reçu leur formation primaire en français, n’importe où au Canada, aurait droit à l’école française n’importe où au Canada en dehors du Québec. La troisième clause, c’est celle des enfants, c’est un peu compliqué. Je la laisse de côté pour tout de suite parce que je ne veux pas risquer de mêler les esprits dans le peu de temps qui me reste.
Je voudrais dire une chose au gouvernement. Nous, de ce câté-ci, avons indiqué clairement que ce qu’on appelle techniquement l’article 23 lb, c’est-à-dire la clause Canada, définit de la manière restrictive, que j’ai dite tantôt, c’est-à-dire s’appliquant aux enfants de parents qui auraient reçu leur formation primaire en anglais n’importe où au Canada pourraient avoir accès à l’école anglaise au Québec et vice versa. Je dis au gouvernement: II y a longtemps que vous hésitez à ce sujet. Je sais que vous êtes divisés entre vous. Il y en a plusieurs qui voudraient cette clause parce qu’elle apparaît comme l’expression du bon sens le plus élémentaire. Je dis au gouvernement, M. Clark l’a dit à M. Lévesque dans une lettre qu’il lui adressait hier: Définissez donc clairement votre position. Je lis la motion ici. Il n’y a pas moyen de savoir ce que le gouvernement a pensé. C’est une autre critique que je fais à cette motion. Après tant de semaines et de mois de discussions, il aurait été temps, messieurs du gouvernement, que vous nous disiez: Nous sommes pour la clause Canada ou, nous sommes contre la clause Canada. Pas simplement une affirmation de principe comme celle qui est ici. Je vous dis: S’il était possible que vous disiez votre choix de ce côté clairement, comme vous l’a demandé M. Clark, je pense que vous feriez débloquer toute l’affaire, et ensuite, il s’agirait uniquement de trouver les formulations juridiques qui permettraient d’incorporer dans des textes dans le plein respect des souverainetés de chaque Assemblée et de chaque Parlement un objectif qui paraît répondre à des normes de justice et d’équité élémentaire.
Je demande ceci au gouvernement: Qu’est-ce que vous voulez exactement? Si vous voulez la clause Canada, dépêchez-vous de le dire. Si vous ne la voulez pas, dites-le franchement, clairement, sans équivoque. Nous saurons à quoi nous en tenir. Nous saurons clairement, M. le Président, qu’avec ce gouvernement, s’il n’est même pas capable d’accepter la clause Canada dans le sens restrictif qu’on convient de lui donner actuellement… Cela n’exclut pas vos accords de réciprocité. Ils pourraient très bien venir s’ajouter. Vous le savez très bien. Je m’excuse! Je m’excuse!
Des voix: …
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît! S’il vous plaît!
M. Ryan: La clause Canada qui est envisagée actuellement définit un plancher, un strict minimum. Absolument rien n’empêcherait le Québec et n’importe quelle autre province de signer entre elles en plus des accords de réciprocité qui permettraient d’assurer que ce qui sera inscrit dans la constitution, qui sera un strict minimum, aura un sens plus complet et plus efficace par la suite. Je demande au gouvernement: Précisez donc vos intentions. Dites-le donc franchement, ce que vous voulez et, si vous ne voulez pas, je ne pense pas qu’il sera possible d’avoir un accord. Il faudra que chacun, à ce moment-là, prenne ses responsabilités à l’endroit des problèmes qui resteront à résoudre. Je ne crois pas que vous ayez le droit de demander des actes d’adhésion aux parlementaires de l’autre côté de la Chambre; ayant la responsabilité du pouvoir et ayant tripoté ces choses depuis de nombreux mois dans le secret des négociations de coulisses sans nous informer de ce qui se passait, vous ne pouvez exiger de nous autres aujourd’hui des actes d’adhésion pour des options comme celles qu’on vient de voir.
Je vais plus loin, M. le Président. Je dis au gouvernement que, s’il n’est pas possible de s’entendre là-dessus entre parlementaires de bonne foi, partis qui veulent le bien du Québec et du Canada, il faudra que le gouvernement prenne ses responsabilités et que le problème soit tranché par le peuple. La croisade ne nous impressionnera point. La croisade ne nous engagera point à l’aveuglette. Je dis au gouvernement, s’il n’est même pas capable d’accepter ceci, qu’il se dépêche de dire franchement aux citoyens du Québec que la seule option à laquelle il croit véritablement, c’est celle qu’il s’efforce par tous les moyens de promouvoir en faisant semblant de participer à la réforme du fédéralisme canadien. Que le gouvernement donne ces signes de bonne volonté que nous lui demandons sur chacun des trois points. Sur la compensation financière, j’ai assuré le
378
gouvernement de l’appui de l’Opposition. C’est un objectif valable, digne et juste. Sur la liberté de déplacement des personnes, j’invite le gouvernement à se débarrasser de ses ornières, à s’ouvrir l’esprit un peu, à regarder un peu comment les choses se passent. Troisièmement, sur la clause Canada, j’invite le gouvernement à faire ce qu’aurait souhaité faire depuis longtemps le chef du gouvernement. Je dis au gouvernement que, si sur ces trois points, sur les deux derniers en particulier, il y a une ouverture minimale que nous demandons, toutes sortes de collaborations sont possibles. Mais, si cette ouverture n’est pas donnée, il n’y aura pas de partie de dupes.
En conclusion, M. le Président, nous sommes en présence d’une motion qui cherche à corriger sur le tard de graves fautes d’omission commises par le gouvernement au cours du mois d’avril dernier, des fautes d’omission à plusieurs égards. Comment se fait-il que le premier ministre soit allé signer l’accord du 16 avril, trois jours après les élections, alors que pendant toute la campagne électorale il n’en a jamais soufflé un mot nulle part? Je le défie de me contredire là-dessus.
M. le Président, on faisait des procès d’intention à mon parti. On disait aux citoyens du Québec que nous n’étions pas un parti capable de défendre les droits du Québec et pendant ce temps, en cachette, on allait vendre des droits et des privilèges que nous avons détenus historiquement depuis longtemps. C’est une motion, par conséquent, qui essaie de rattraper des fautes d’omission très coûteuses pour le Québec. C’est une motion incomplète qui laisse tomber dans le projet que nous sommes censés discuter loyalement des éléments très importants, des éléments auxquels nous tenons de ce côté-ci de la Chambre, mais dont nous n’accepterons pas qu’ils soient passés sous silence par le gouvernement. C’est une motion qui ne révèle pas franchement les intentions véritables du gouvernement sur au moins deux des trois sujets en litige qui sont restés à l’issue de la conférence du début de novembre. C’est enfin une motion dont l’examen attentif révèle des différences de vues profondes entre les gens du gouvernement et ceux de ce côté-ci de la Chambre. (17 heures)
Étant donné tous ces facteurs, étant donné l’impossibilité d’améliorer une motion aussi complexe à l’aide d’un ou deux amendements de dernière heure, étant donné que le gouvernement, ayant fait son lit, reste avec la motion qu’il a présentée, alors que nous avons un horizon plus large, plus complet que celui-là, nous ne voulons pas de ces motions au rabais qui visent à sauver la face après qu’on l’a perdue.
Le problème auquel nous faisons face a de nombreuses causes: l’incompréhension du Canada anglais, la difficulté considérable qui existe toujours du côté du Canada anglais quand arrive le moment de comprendre et d’accepter la réalité du Québec. Cette difficulté est un facteur réel dont nous devons tenir compte. Nous ne choisissons pas nos voisins, nous n’avons pas eu le choix de ceux avec qui nous sommes appelés à bâtir ce pays, à faire notre histoire. Mais il y a d’autres sources également. Je pense que l’attitude du gouvernement actuel est également un facteur très important dans cette confusion sur laquelle nous avons tous débouché à la suite de la conférence de novembre.
J’ai constaté, en causant avec des chefs de parti, des hommes politiques de tout le Canada, qu’il existe chez eux une méfiance profonde à l’endroit des intentions véritables du Parti québécois et du gouvernement du Parti québécois. On les entend dire une chose un soir, ensuite, on les écoute à la télévision le lendemain soir, ils tiennent un langage complètement différent, sinon contraire. Les hommes politiques du reste du pays peuvent être compris s’ils ont eu des doutes, des appréhensions ou des méfiances. Ils ne sont pas des anges gardiens de leur côté, mais on comprend que cette méfiance ne soit pas des plus propices quand il s’agit d’arriver à un accord qui soit raisonnable et acceptable à tous.
Je répète, en conclusion, que l’accord du 5 novembre est loin d’être satisfaisant dans sa forme actuelle, et il ne le sera jamais, tant et aussi longtemps que le Québec n’aura pas trouvé les conditions voulues pour y adhérer par la porte d’en avant et non pas par la porte de côté et la porte d’en arrière. Je dis au gouvernement actuel que cet accord comporte suffisamment d’éléments positifs pour que nous essayions ensemble, dans un esprit de bonne volonté et de collaboration, de l’améliorer afin de le rendre acceptable au Québec, afin d’y apporter des changements qui satisfassent les revendications légitimes du Québec et qui soient, en même temps, acceptables pour le reste du pays.
Au chef du gouvernement, je dis qu’il a le devoir de bouger sur cette question. Il est resté immobile sur ses positions depuis le 5 novembre. Il n’a rien fait, sinon de menacer la communauté anglophone du Québec à quelques reprises, de menacer le reste du pays de ne pas tenir compte des conséquences de ce qui sera fait au cours des prochaines semaines. C’est facile de menacer quand on parle entre amis, ça va bien. Mais je dis au premier ministre qu’il a la tâche, la responsabilité, comme porte-parole de toute la communauté québécoise, et non seulement du Parti québécois, d’explorer positivement les avenues de solution qui restent ouvertes.
379
M. Clark lui a tendu la perche à deux reprises ces derniers jours. Je dois reconnaître que le premier ministre a répondu d’une manière civilisée aux deux ouvertures que lui a faites M. Clark. Je l’engage à continuer dans cette voie au moins aussi longtemps que le projet présentement à l’étude au Parlement canadien ne sera pas devenu loi, après être allé à Londres pour nous revenir sous la forme d’un document constitutionnel définitif. Aussi longtemps que la décision n’a pas été prise au Parlement canadien, nous pouvons continuer à travailler afin d’améliorer le projet. Je pense que telle est la responsabilité du gouvernement actuel. Si le premier ministre veut agir dans ce sens, je pense qu’il devra améliorer considérablement, expurger à certains points de vue, améliorer et compléter à d’autres, cette motion qui, dans sa forme actuelle, n’est pas acceptable pour nous de l’Opposition.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Mme la ministre d’État à la Condition féminine.
Mme Pauline Marois
Le Vice-Président (M. Rancourt): Mme la ministre d’État à la Condition féminine.
Mme Marois: Merci, M. le Président. L’égalité entre les Québécoises et les Québécois, le Québec l’a reconnue depuis 1975. L’égalité entre les femmes et les hommes du Canada le sera enfin et j’en suis très heureuse. Mais je suis aussi profondément indignée. Pourquoi suis-je indignée? Indignée à cause du marchandage éhonté auquel a donné lieu la reconnaissance de ces mêmes droits. Je suis aussi indignée de l’indifférence institutionnalisée à l’égard de la voix des femmes; tout s’est fait entre hommes, pour les hommes. Je suis indignée de ces tractations, pour ne pas dire de ces trocs; indignée qu’il faille une mobilisation féminine « coast to coast » pour que les droits de 52% de la population soient enfin reconnus. Non seulement les femmes ont-elles été constamment absentes du débat, des négociations, non seulement Ottawa essaie-t-il de rejouer, presque 115 ans plus tard, la scène des Pères de la Confédération, en oubliant seulement la majorité de sa population, et les femmes auront été la dernière carte d’une mauvaise partie.
Dans ce « bargaining », je ne me sens pas beaucoup plus fière d’être une citoyenne du Québec, doublement minorisée, doublement isolée, doublement marchandée jusgu’au bout. Jusqu’où les femmes devront-elles lutter pour obtenir seulement le droit d’être reconnues, M. le Président? J’avais cru dans ma naïveté – parce que je le suis à l’occasion – que les femmes avaient droit à plus de respect en 1981. Je suis aujourd’hui de tout coeur avec les femmes du Canada qui auront obtenu, de haute lutte, leur droit à l’égalité. Je suis solidaire avec elles parce que, ces derniers jours, c’est la solidarité de toutes les femmes qui l’a emporté au-delà des batailles de pouvoir, des discussions partisanes et du marchandage constitutionnel. Compte tenu du système juridique qui prévaut dans les autres provinces, les femmes canadiennes avaient ultimement besoin de cette reconnaissance.
Au Québec, nous n’avons pas attendu la résolution Trudeau pour reconnaître l’égalité entre les hommes et les femmes et nous n’avons pas eu besoin de marchander non plus, M. le Président. Les droits des femmes sont plus que la simple constatation – ça, c’est important – de l’égalité entre les hommes et les femmes, ils doivent aussi refléter la reconnaissance d’une spécificité de la situation des femmes. Ainsi, au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, prépondérante sur toutes les autres lois, exiqe non seulement la non-discrimination en fonction du sexe, mais prévoit entre autres l’équivalence de traitement au travail, droit que le projet constitutionnel ne reconnaît pas et que la majorité des provinces ne reconnaît pas non plus.
D’autre part, l’Assemblée nationale a adopté un ensemble de lois assurant, par exemple, l’égalité des conjoints dans le mariage, le droit au congé de maternité. La charte québécoise et les autres lois illustrent bien que les principes actuels du droit québécois, à l’égard des femmes, constituent déjà un ensemble de normes qui placent les Québécoises en situation d’avant-garde par rapport à la situation des Canadiennes et elles le reconnaissent à chaque rencontre que nous avons eue par le passé avec d’autres provinces, ou même avec le gouvernement d’Ottawa. (17 h 10)
II existe des caractéristiques communes à la situation des femmes dans le monde occidental. Les femmes, malheureusement, ont un passé commun d’oppression et de dépendance et, à ce passé commun correspondent de grandes revendications qui se ressemblent. C’est à partir de cette communauté d’intérêts que s’est créée une solidarité des femmes au Canada dans le monde occidental. Cependant, dans chacune des sociétés, les rapports de dépendance femmes-hommes ont été vécus différemment et les femmes n’ont pas adopté partout les mêmes formes de luttes ni n’ont établi les mêmes priorités dans leurs revendications. Ainsi, les femmes autochtones, les Québécoises, les Terre-Neuviennes ont des façons spécifiques de vivre leur relation à la famille, au travail, à la santé, à leur corps et le contexte dans lequel chaque groupe vit les conduit à identifier des priorités différentes et à privilégier des solutions
380
originales à leurs problèmes.
La solidarité des femmes repose donc sur de grands objectifs communs d’égalité et d’autonomie et non sur les moyens et solutions à prendre pour atteindre ces objectifs. La solidarité ne peut se confondre avec l’uniformité, le nivellement ou la négation des spécificités.
Tout en étant profondément solidaires des revendications des femmes des autres provinces, je crois que les femmes du Québec – elles l’ont déjà fait – doivent réclamer de vivre dans un cadre constitutionnel qui respecte la spécificité québécoise, aussi bien culturelle que juridique.
Il ne faut surtout pas oublier que deux systèmes juridiques prévalent au Canada. Neuf provinces canadiennes vivent en « common law » alors que le Québec est régi par le droit civil. Or, dans le domaine des droits des femmes, c’est le gouvernement qui est le plus près des citoyens et des citoyennes, qui est le plus susceptible de s’ajuster et de développer une politique globale de la condition féminine qui corresponde étroitement à la situation de la collectivité. Mais le développement d’une telle politique suppose également que cedit gouvernement possède les instruments qui lui permettent d’imprimer les orientations qu’il souhaite et de légiférer sans carcan externe ni chevauchement de juridiction avec d’autres niveaux de gouvernement.
Non seulement prenons-nous souvent des retards importants dans l’application de notre politique d’ensemble en matière de conditions de vie des femmes, faudra-t-il de plus convaincre constamment ces messieurs des autres provinces du bien-fondé des revendications québécoises et, qui plus est, les forcer à aller aussi loin que nous du Québec? Or, en contrepartie, est-ce qu’ils vont se complaire à bloquer nos propres législations?
Notre Assemblée nationale doit tenir compte des femmes d’ici, des hommes d’ici. C’est en cette Assemblée que l’évolution québécoise, l’évolution sociale doit être reconnue. Et si, là comme ailleurs, le gouvernement fédéral nous gruge et compte nous escroquer encore quelques pouvoirs, il faudra lui rappeler que le Québec, lui, n’est pas à marchander et qu’il ne fera, même en matière de condition féminine, aucune concession sur ce qui lui apparaît fondamental.
Motion d’amendement
Pour qu’il soit très clair qu’ici, au Québec, nous avons décidé de redire que l’égalité entre les hommes et les femmes est un principe fondamental, un principe qui va au-delà de toute législation, qu’il me soit permis, M. le Président, de proposer, comme l’a annoncé tout à l’heure le premier ministre, un amendement à la motion déposée. Je suis assurée, M. le Président, que personne, d’un côté ou de l’autre de cette Chambre, n’aura envie de voter contre cet amendement, que je n’aurai rien à marchander en retour, ni de ruban bleu ni de ruban rose à distribuer. Mais, même s’il est des choses comme celle-là qui nous apparaissent évidentes, encore faudra-t-il nous donner à nous-mêmes, comme législateurs, comme membres de cette Assemblée, la responsabilité de faire respecter en tout temps et en toute matière ce droit fondamental. Il en va des droits et du respect des Québécoises et des Québécois. M. le Président, comme l’a annoncé le premier ministre, je propose l’amendement suivant à la motion déposée. À l’alinéa 3, après les mots: « Étant donné l’existence de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne », l’amendement se lirait comme suit: « qui assure l’égalité entre les hommes et les femmes. » Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion d’amendement étant recevable, j’aurais cependant une question à poser au leader de chacun des partis, à savoir si on discute de l’ensemble ou si on discute de l’amendement.
Une voix: Consentement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): II y aurait consentement?
M. Bertrand:M. le Président…
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Bertrand:… quant à nous, il y a effectivement consentement pour que nous discutions de l’ensemble de la motion, considérant que l’amendement qui est soumis par Mme la députée de La Peltrie serait discuté aussi avec le reste de la motion. Si cela vous convient, je pense qu’il y avait entente là-dessus.
M. Levesque (Bonaventure):Un instant!
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, pourriez-vous nous faire parvenir le texte de l’amendement afin que nous puissions être éclairés d’une façon encore plus précise, et nous vous répondrons dans quelques instants?
381
Avis de mini-débat
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela va. Vous avez l’amendement entre les mains. Entre-temps je vais lire une lettre qui est parvenue à la présidence et qui se lit comme suit: » À la séance d’aujourd’hui j’ai posé au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation une question portant sur le sujet suivant: La réduction substantielle de la quantité de lait mise à la disposition des élèves dans le cadre du programme de distribution du lait gratuit dans les écoles primaires. Puisque je ne suis pas satisfait de la réponse donnée, je désire me prévaloir des dispositions de l’article 174 du règlement. Veuillez agréer, M. le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs. » C’est signé du député de Brome-Missisquoi, M. Pierre Paradis.
Donc, avis au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation qu’il soit présent à la fin de la séance. À la suite de la première question déjà déposée, il y aura un deuxième débat à la fin des travaux de ce soir.
Est-ce que vous avez une réponse à donner, M. le leader de l’Opposition?
Reprise du débat sur la motion d’amendement
M. Levesque (Bonaventure): Maintenant que nous avons pris connaissance du texte de l’amendement, étant donné sa teneur très limitée, étant donné qu’elle indique que ce ne serait pas un amendement à la résolution fédérale dont il est question ici, mais simplement un rappel de dispositions contenues dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, nous aimerions pouvoir en discuter dans les meilleurs délais. C’est-à-dire que nous devrons d’abord disposer de cet amendement avant de continuer le débat sur la motion principale.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du gouvernement.
M. Bertrand:En l’absence du leader parlementaire du gouvernement, qui a sans doute quelques responsabilités à assumer dans les minutes où nous discutons, est-ce que le leader de l’Opposition officielle peut m’assurer qu’il n’y avait pas eu entente à savoir que si des amendements étaient apportés en cours de débat, le débat, de toute façon, porterait sur la motion et les amendements qui seraient apportés, puisque je pense qu’il y a une enveloppe de temps qui a été décidée au départ entre les deux partis et que c’est à l’intérieur de cette enveloppe de temps que nous devons faire l’ensemble du débat. Je voudrais simplement avoir sa parole là-dessus.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, la question posée par le leader parlementaire adjoint du gouvernement est complètement superflue. Il sait fort bien, il devrait fort bien savoir que s’il y avait eu entente, je serais le premier à la respecter.
Toute l’information que j’ai reçue du leader parlementaire du gouvernement peut se résumer comme suit: Nous entreprendrons mardi prochain, me disait-il la semaine dernière, nous entreprendrons tout probablement dès mardi l’étude de la motion au nom du premier ministre. (17 h 20)
Nous savons qu’il n’y a pas de limite de temps à ce moment-là, qu’il n’y a pas de partaqe de temps; c’est simplement une motion normale du gouvernement qui pourra, évidemment, être interrompue, selon le règlement, par la motion du député de Jean-Talon mercredi et par la motion de blâme qui sera discutée au cours de la journée de jeudi. Mais je dois, encore une fois, répondre au leader parlementaire du qouvernement qu’à ma connaissance personnelle il n’y a pas eu de telle entente. S’il y avait eu une telle entente, elle aurait été respectée, du moins par celui qui vous parle. Troisièmement, M. le Président, nous voulons immédiatement répliquer à la motion d’amendement présentée par l’honorable ministre il y a quelques instants et en disposer selon les dispositions de notre règlement.
Une voix: Vote!
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du gouvernement.
M. Bertrand:D’abord, je voudrais dire au leader parlementaire de l’Opposition que je lui ai posé la question en toute bonne foi. Je pense que c’était simplement pour donner le sentiment à l’Assemblée que, lorsqu’il donne sa parole, le leader de l’Opposition la respecte, ce qui, effectivement, est vrai; nous le connaissons assez bien à ce point de vue. Je voulais simplement lui poser la question. Je voulais aussi simplement m’enquérir de son opinion sur la question pour savoir s’il n’accepterait pas… Cet amendement, comme le dit lui-même le leader de l’Opposition, n’a pas pour effet d’apporter une modification à la résolution présentée devant la Chambre des communes, mais il veut uniquement indiquer que déjà, dans la Charte des droits et libertés de la personne, qui est un texte voté par l’Assemblée nationale du Québec, il y a des dispositions qui respectent, justement, cet objectif d’égalité entre les hommes et les femmes. J’aurais cru que le leader de l’Opposition nous aurait apporté son concours
382
dans les circonstances pour que nous puissions mener le débat sur l’ensemble de la motion et sur l’ensemble des amendements qui pourraient être apportés en cours de débat.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):Je reprends très brièvement non pas mon argumentation, parce qu’à ce moment-ci je ne pense pas qu’il soit loisible d’argumenter tellement sur le fond, mais une explication pour que le leader parlementaire adjoint du gouvernement et nos collègues comprennent bien notre position. S’il s’agissait d’un amendement qui indiquait la volonté du gouvernement de souscrire à une résolution constitutionnelle, autrement dit, si on voulait enchâsser le droit ou l’égalité des femmes dans la charte constitutionnelle dont on parle dans la résolution, à ce moment-là, nous y aurions sans doute concouru, mais nous ne voulons pas, cependant, que ceci soit mal interprété. Nous voulons immédiatement donner la dimension véritable de l’amendement de Mme la ministre, qui n’est pas un amendement sur le fond, qui n’est pas un amendement à la motion elle-même quant aux intentions du gouvernement de voir l’égalité des femmes proclamée constitutionnellement; c’est simplement un rappel d’une loi statutaire qui n’a rien à voir avec le texte constitutionnel. Nous voulons avoir immédiatement l’occasion d’éclairer la Chambre et d’informer la population sur la portée réelle de l’amendement. C’est simplement un souvenir qu’on rapporte. On veut rappeler quelque chose, mais on ne veut rien apporter de nouveau.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Dans ce contexte, compte tenu des circonstances, je n’ai d’autre choix, à moins qu’on ne m’avise du contraire… M. le leader voudrait-il ajouter quelque chose?
M. Charron: M. le Président, je m’excuse, j’ai fait du millage vite. Je voudrais dire que, à ce qu’on m’informe, la position que le leader adjoint du gouvernement a prise me paraissait, dans les circonstances, bien fondée. Je ne sais pas pourquoi, de l’autre côté – ce sont ces arguments que j’aimerais entendre – la façon traditionnelle de travailler dans ces circonstances, c’est-à-dire de discuter à la fois de l’amendement ou de la motion au cours des interventions, est inacceptable dans le cas actuel. En quoi cela modifierait-il l’opinion d’un député, je me le demande? Il me semble que c’est de tradition. Si un député veut aussi glisser un article, un adjectif quelque part dans la motion, il ne me semble pas que cela doive obliger tout le monde à se confiner à cela. On peut avoir une bonne discussion où, à l’occasion, on aborde le sujet de l’amendement de Mme la ministre d’État. Je voudrais savoir pourquoi vous tenez absolument à discuter uniquement de cet amendement tout à coup.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, je suis encore invité, et ça malgré moi, à répéter au leader parlementaire du gouvernement ce que je viens de dire au leader parlementaire adjoint. C’est simplement parce que cet amendement n’est pas un amendement véritable, n’est pas un amendement de fond, ne touche pas présentement ce qui fait l’objet de notre discussion, c’est-à-dire comment devrait se présenter la résolution d’ordre constitutionnel à Ottawa. Tandis que ce qu’on nous fait présentement dans cet amendement, c’est de nous rappeler qu’il y a quelques années, sous le gouvernement libéral, il y a eu une Charte des droits et libertés de la personne qui proclamait l’égalité des sexes. M. le Président, il s’agit simplement là de quoi? Est-ce qu’on dit un obiter dictum? Qu’est-ce qu’on dit? C’est simplement un rappel. Ce n’est même pas un voeu, c’est un rappel. M. le Président, dans ce cas, je suis prêt à coopérer avec le leader parlementaire du gouvernement. Si madame retire cet amendement et que le dernier orateur chez vous le présente, je n’ai pas d’objection à ce qu’on change les virgules, les points, et qu’on fasse des petits rappels de temps en temps. Même, d’ailleurs, cela nous fait plaisir, nous du Parti libéral du Québec, d’avoir fait partie d’un gouvernement qui a justement apporté cette Charte des droits et libertés de la personne.
À ce moment-ci, si on ne veut pas détourner le cours du débat de la motion principale, je suggère, avec beaucoup de coopération, d’ailleurs, à mes honorables amis, leader et leader parlementaire adjoint; madame de retirer cette motion. Cela ne ferait pas une grande différence qu’elle la retire ou pas parce qu’il n’y a rien dedans. Mais si elle veut la retirer, elle peut bien le faire immédiatement et nous permettrons que cette motion arrive à la fin du débat et qu’on le vote à ce moment. Autrement, nous allons exiger, M. le Président, qu’on suive le règlement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.
M. Charron:II y aurait peut-être quelque chose. Je ne refuse pas cette suggestion, mon Dieu, si ça doit désamorcer une tempête, mais il y a peut-être une autre suggestion. Justement, je suis le premier à en convenir, cela rappelle un acte qui a été commis par un autre gouvernement que le nôtre, ce n’est donc pas du violon qu’on se
383
joue à nous-mêmes. Dans les circonstances, pourquoi ne pas procéder au vote sur cet amendement tout de suite, par un consentement de l’Assemblée, le considérer comme inclus dans la proposition et continuer le débat tout simplement? D’après ce qu’indique le député de Bonaventure, il n’y a pas de débat à y avoir. Cela rappelle tout simplement un geste qui a été fait par le gouvernement libéral de 1975.
Une voix: Vous êtes contre?
M. Charron:On le vote tout de suite, on l’inclut à la proposition et on continue?
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le chef de l’Opposition, j’ai cru comprendre que vous voulez intervenir sur cette partie.
M. Ryan:Si vous introduisez l’amendement maintenant, nous allons le débattre à son mérite, mais nous voulons le débattre formellement, spécifiquement. Si vous le reportez à plus tard, à la fin, comme disait le leader de l’Opposition, cela passera avec le reste. Vous ne me ferez pas avaler celle-là aussi facilement parce qu’elle est trop grosse.
Le Vice-Président (M. Jolivet): S’il vous plaît! Écoutez, quant à moi, au niveau de la présidence, j’ai accepté cet amendement. C’est un amendement qui, à mon avis, est un amendement de fond. Il demeure sur la table. Nous allons donc discuter de l’amendement et ensuite nous procéderons… À moins qu’il y ait autre chose.
M. Charron:M. le Président…
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Charron:M. le Président, je ne comprends pas les intentions, mais peu importe. Pour que le débat demeure à la hauteur où il doit demeurer, je pense que l’amendement de Mme la ministre, selon le règlement elle pourra le retirer. Je conviens de le présenter à la fin parce que nous souhaitons que cet amendement soit inclus à la résolution purement et simplement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Mme la ministre.
Motion de retrait de la motion d’amendement
Mme Marois: M. le Président, je suis prête à faire une motion de retrait, sous réserve évidemment de le représenter plus tard à l’intérieur du débat. Je trouve que c’est effectivement quelque chose de très important que de souligner dans notre motion la présence de 52% de la population du Québec.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président…
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition. (17 h 30)
M. Levesque (Bonaventure):… étant donné ce que vient de dire la ministre, je préférerais, justement parce que c’est une question importante, parce que, justement, elle a été présentée d’une façon qu’on peut vouloir escamoter, comme l’a laissé entendre le leader parlementaire du gouvernement et comme on veut jeter de la confusion, nous n’avons pas l’intention de consentir au retrait, nous avons l’intention de débattre cette question immédiatement et cela, en vertu du règlement.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Charron:Franchement! Je ne vous prendrai même pas à témoin, M. le Président. Je vais prendre n’importe quel enfant de cinq ans qui nous écoute à la télévision actuellement…
Des voix: Oh oui!
M. Charron:… et lui demander ce qu’il pense de l’attitude du leader de l’Opposition en trois minutes. La proposition que j’ai faite émanait de lui. Il l’a acquiescée. J’ai proposé, au contraire, qu’on en dispose immédiatement. Je fais la proposition qu’il me suggère de faire. Quelques génies viennent le conseiller alentour. Il revire son capot de bord et là, il me dit: Je ne veux plus qu’on la retire. M. le Président, quelle sorte…
M. Levesque (Bonaventure):Question de privilège.
Le Président: M. le leader parlementaire de l’Opposition.
M. Charron:… privilège des députés…
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, ce n’est pas exact ce que vient de dire le leader parlementaire du gouvernement. Ce n’est pas à cause de ce qui s’est dit ici, mais c’est la façon dont Mme la ministre a voulu retirer sa motion d’amendement.
M. Lalonde:M. le Président…
Le Président: M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
384
M. Lalonde:… sur l’amendement. Je comprends que maintenant, on parle de l’amendement. Non?
Le Président: Non. Devant moi actuellement, légalement, j’ai une motion de retrait qui a été…
M. Lalonde:Est-ce qu’il faut un consentement?
Le Président: Non, cela prend soit le consentement ou un vote, mais j’ai une motion de retrait devant moi. L’Assemblée a une motion de retrait devant elle et, à ce moment-ci, nous ne pouvons pas discuter de l’amendement sans disposer de la motion de retrait qui a été dûment présentée, qui est recevable en vertu de l’article 45 du règlement. À ce moment-ci, à moins qu’il y ait un débat sur la motion de retrait, parce que notre règlement prévoit certaines dispositions, dont un débat sur la motion de retrait, ou un vote… Que l’on dispose de la motion de retrait, et on ira à l’amendement plus tard.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, je voudrais bien vous aider, faciliter les choses un peu, particulièrement pour le leader parlementaire du gouvernement qui a l’air bien embarrassé. Lisons ensemble l’article 85: « Tant qu’une motion n’a pas été mise en délibération, elle peut être retirée avec la permission du député qui l’a présentée. » Or, M. le Président, d’après ce que vous venez de dire, elle avait déjà été mise en délibération. A-telle déjà été mise en délibération?
Le Président: Je pense qu’on a eu des précédents en cette Assemblée qu’à partir du moment où l’Assemblée est saisie d’une motion de retrait, elle est en délibération devant l’Assemblée et non pas en délibération devant le président, qui peut délibérer sur un point en litige. Or, l’Assemblée est saisie d’une motion de retrait. À partir du moment où la motion de retrait est déclarée recevable et reçue par la présidence…
M. Lalonde:… l’autre ou…
Le Président: Je parle de la motion de retrait.
M. Charron:La motion d’amendement, M. le Président, a été reçue, a été déclarée recevable par vous. Il y a même des députés libéraux qui ont demandé d’intervenir sur cette motion. C’est là que le débat de procédure s’est soulevé, parce qu’à un moment – notez que cela a changé de bord de votre côté – vous souhaitiez intervenir sur cette motion. Après, vous nous avez demandé de la retirer, de la ramener à la fin, ce à quoi nous avons acquiescé. Là, vous revenez, après qu’on ait accompli ce que vous nous demandiez, nous demander de revenir dessus, mais la preuve qu’on l’a demandé et que le député de Marguerite-Bourgeoys se soit levé en disant: Sur l’amendement, M. le Président, c’est que tout simplement, elle est déjà en délibération. Étant en délibération, Mme la ministre a le droit de faire la motion de retrait.
Le Président: Et plus que cela. À partir du moment où la motion de retrait d’une motion d’amendement est présentée, il y a un débat restreint, prévu à l’article 85-2, qui peut se tenir. À moins d’un consentement unanime de la part des membres de l’Assemblée à savoir que ce débat prévu à 85-2 ne se tiendra pas, je me dois de permettre aux deux partis politiques, conformément à 85-2, de débattre la motion de retrait et, par la suite, de demander si la motion de retrait est adoptée ou non. Cela sera fait soit par vote enregistré ou autrement et, par la suite, selon le vote, on reviendra à la motion d’amendement.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, pour faciliter les choses, si Mme la ministre avait simplement mentionné qu’elle voulait retirer sa motion à cause des considérations que nous avons tous entendues, à ce moment-là, il n’y aurait pas eu de problème. Mais puisque Mme la ministre a préféré faire des commentaires qui nous obligent à répliquer, à ce moment-là, nous aurons un débat sur la motion de retrait.
Une voix: Faites votre « show »:
Le Président: M. le député de Saint-Louis.
M. Blank:Je ne sais pas si c’est vraiment réglementaire. Si on lit l’article 85, il faut une motion non annoncée pour faire un retrait. Une motion non annoncée est présentée durant la période des motions non annoncées…
Des voix: Oh, oh!
M. Blank:… une minute, laissez-moi parler – ou bien par une personne qui a le droit de parole; elle n’avait pas le droit de parole à ce moment-ci. Lisez l’article. Après avoir repris son siège, elle n’avait plus le droit de parole sur cette motion. Cette motion doit être présentée par une personne qui a le droit de parole, avec son consentement.
Le Président: Vous avez peut-être raison légalement, M. le député de Saint-Louis, mais la présidence, de par l’attitude
385
des membres de cette Assemblée, a pu présumer du consentement unanime des membres de l’Assemblée pour que Mme la ministre puisse faire sa motion de retrait. Même si vous avez théoriquement raison, je pense que celui qui occupait le banc à ce moment-là pouvait normalement, constatant l’attitude des membres de l’Assemblée, présumer de ce consentement pour que Mme la ministre puisse présenter cette motion de retrait.
Dans les circonstances – à l’impossible nul n’est tenu – nous sommes dans le droit le plus strict. Ou bien nous nous conformons à l’article 85-2 – et la présidence ne veut pas imposer ses préférences puisqu’elle n’en a point – ou bien, tout simplement, nous avons un consentement unanime et nous assistons à l’abandon de la motion de retrait. C’est l’un ou l’autre, il n’y a pas d’autre solution possible.
M. Ryan:Ce ne sera pas long, M. le Président. Le premier ministre, dans son discours, cet après-midi, nous a annoncé sur un ton presque solennel qu’un amendement serait présenté, tenant compte des aspirations des femmes en matière de protection constitutionnelle de leurs droits. La semaine dernière, parlant sur cette motion d’une manière qui frôlait l’irrégularité, il a laissé entendre que son gouvernement était très sympathique à la revendication des femmes voulant que leurs droits soient rétablis dans la charte constitutionnelle fédérale.
Aujourd’hui, la ministre d’État à la Condition féminine dépose un amendement qui est vraiment typique de la montagne qui a accouché d’une souris. Maintenant qu’on se rend compte de l’énormité de l’affaire, on voudrait la cacher, l’amener sous forme d’un amendement pas mal discret vers la fin du débat. Maintenant que l’amendement a été déposé, nous voulons qu’il soit débattu à son mérite et, là, on va connaître les couleurs du gouvernement en matière de protection des droits de la femme.
Le Président: Mme la ministre, sur votre droit de réplique, en vertu de l’article 85-2, je présume?
Mme Marois: Sur la motion de retrait. Évidemment, avec la naïveté qui, parfois, me caractérise, M. le Président – j’en suis fière, d’ailleurs, cela ne me gêne pas – j’ai tenté, en présentant la motion de retrait, de faire en sorte que les choses puissent continuer comme elles étaient parties, que le débat de fond puisse avoir lieu. L’idée de présenter dès maintenant cet amendement était, évidemment, qu’on voie l’ensemble de la motion et qu’on la discute dans son tout, ce qui devenait intéressant, je pense, pour l’Assemblée.
À partir du moment où il y a désaccord de l’autre côté de cette Chambre, je suis prête à collaborer et à proposer la motion de retrait, ce qui semblait, au départ, répondre aux attentes exprimées de l’autre côté. C’est essentiellement ce que je veux dire. Je confirme donc que j’ai fait, ici, une motion de retrait de l’amendement tel que déposé. Merci, M. le Président.
Le Président: L’article 85 a été respecté. En conséquence, je me dois donc de demander à cette Assemblée si la motion de retrait présentée par Mme la ministre sera adoptée ou non.
M. Levesque (Bonaventure):Sur division.
Le Président: Motion de retrait adoptée sur division.
Nous en revenons maintenant à la motion principale présentée par M. le premier ministre.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys. (17 h 40)
M. Fernand Lalonde
M. Lalonde:M. le Président, je voudrai naturellement me soumettre au règlement et à vos directives et évoquer le moins possible la triste période que nous venons de vivre ici, à l’Assemblée nationale. L’indignation exprimée par Mme la ministre d’État à la Condition féminine est partagée de ce côté-ci et j’y ai cru, au départ, lorsqu’elle rappelait que, dans cette nuit où s’est conclue l’entente constitutionnelle du début de novembre, on a fait peu de cas des droits des femmes et des droits des autochtones. Le Parti libéral du Québec, qui est lui-même l’auteur de la Charte des droits et libertés de la personne, où l’on retrouve justement ce principe de l’égalité des sexes, parmi d’autres principes; le Parti libéral du Québec, qui est celui qui a fait adopter la Loi sur le Conseil du statut de la femme, qui a mis sur pied ce Conseil du statut de la femme, était lui aussi scandalisé qu’on ait laissé pour compte des droits aussi importants pour une société que l’on veut égale, que l’on veut civilisée.
C’est donc avec soulagement que nous avons appris il y a quelques heures, qu’enfin les différents gouvernements qui ont signé jusqu’à maintenant l’entente constitutionnelle ont changé d’idée, ont décidé d’inclure dans la charte ce principe, sans clause nonobstant, sans diminution, sans menace possible, d’inscrire dis-je ce principe de l’égalité des femmes et des hommes et nous applaudissons à cette correction importante qui a été apportée par les gouvernements des autres provinces et le gouvernement fédéral.
Il en est de même pour le droit des autochtones. Le Parti libéral du Québec
386
formait le gouvernement qui a négocié avec les autochtones du Québec ce qui est apparu comme une entente des plus modernes, des plus d’avant-garde et nous sommes fiers d’avoir parmi nous, dans notre caucus, le député de Mont-Royal, qui a été celui qui a créé, avec tous les autres négociateurs cette entente qui fait encore l’envie de beaucoup de gouvernements.
Mais, M. le Président, où était le Québec, depuis quelques jours que ces corrections se sont faites? Nulle part. Le Québec n’a même pas été là lorsque les droits des femmes et des autochtones ont été récupérés depuis quelques heures. Ces droits ne sont même pas mentionnés dans la motion.
Or, lorsque Mme la ministre a présenté son amendement, je me suis dit: Bon, voilà, c’est un peu tard, presque ridiculement tard, alors que tous les autres avaient négocié, en l’absence du Québec, qui est revenu chez lui pour bouder depuis trois semaines. Alors que les autres avaient fait les gestes nécessaires, le Québec aurait, à la dernière minute, inclus dans sa motion ce principe auquel il adhérait, cette décision, cette volonté à laquelle il adhérait maintenant, le principe de l’égalité des femmes, de l’inclusion de cette égalité et des droits des autochtones dans la constitution du Canada.
M. le Président, lorsque j’ai lu l’amendement, je me demandais si on devait en rire ou en pleurer. Cet amendement qui, heureusement, a été retiré, parce que le sens du ridicule a des limites, rappelait simplement que dans notre charte, au Québec, on a justement ce principe. Oui, mais à qui l’apprend-on? Aux Québécoises? Ce qu’on se demande, c’est si Mme la ministre préfère être péquiste plutôt que de défendre les droits des femmes.
Des voix: Ah!
M. Lalonde:Comme ce gouvernement, elle n’a pas voulu prendre partie, comme la population le lui a dit le 13 avril dernier et le 20 mai 1980. Ce gouvernement, et Mme la ministre avec le gouvernement, a refusé encore de prendre partie à la véritable discussion constitutionnelle canadienne en présentant un amendement qui disait – parce qu’il est bon que les téléspectateurs comprennent ce dont on parle…
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député.
Une voix: L’amendement a été retiré.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je ne voudrais pas, en aucune façon, utiliser le règlement, mais je me dois de vraiment bien vous faire saisir qu’il y a eu, devant cette Assemblée, une motion de retrait qui a été adoptée sur division. En conséquence, je pense qu’il faudrait quand même, à ce niveau, s’en tenir à la proposition principale qui ne contient pas cet amendement.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, question de règlement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):Vous me permettrez, tout en souscrivant fort bien à vos préoccupations de président, et vous faites très bien cela, vous demandez une chose, M. le Président. Je comprends qu’on n’a pas le droit de discuter d’une motion qui n’est pas devant la Chambre, j’en suis convaincu autant que vous, mais qu’est-ce qui empêche – je pense que vous serez bien d’accord avec nous que rien ne l’empêche -l’honorable député de Marguerite-Bourgeoys de parler d’un événement…
Des voix: Ah!
M. Levesque (Bonaventure):… un événement récent? Dans notre règlement, l’événement peut être lointain, moins lointain ou récent; il n’en est pas question dans le règlement, mais il ne peut pas parler ou évoquer un geste, un événement sans se référer à une motion. Vous avez raison, je crois, mais si le député de Marguerite-Bourgeoys veut se référer à un événement récent, je pense que rien dans le règlement ne l’en empêche.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader, je comprends très bien le problème dans lequel je n’ai pas voulu vous placer ni ceux de votre côté. J’ai cru comprendre, dans les paroles du député de Marguerite-Bourgeoys, qu’il s’apprêtait à lire une motion qui n’existait pas. S’il fait allusion à autre chose, je n’ai pas d’objection, mais j’aurais objection à ce qu’il lise la motion.
M. Lalonde:M. le Président, je vous remercie de vos directives. Cela va m’aider parce que, justement, ce que je m’apprêtais à lire, ce n’était pas la motion d’amendement.
Des voix: Ah!
M. Lalonde:C’était la motion elle-même qui dit, au paragraphe 3: « Étant donné l’existence de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne… » Savez-vous ce qu’il y a dans cette charte, M. le Président? Beaucoup de choses, y compris le principe de l’égalité des sexes, des hommes et des femmes. Alors, qu’est-ce que cela ajouterait qu’on amende cette motion pour y inclure toute la charte? Fort bien, mais
387
qu’est-ce que cela ajoute pour les femmes, pour les Québécoises au Canada? Absolument rien. C’est absolument ridicule. Et voilà encore le gouvernement démasqué dans la confusion, dans la contradiction qui préside à son dossier constitutionnel depuis le 13 avril. Encore une fois, on a vu une ministre, un membre de ce gouvernement, choisir d’être péquiste avant d’être en faveur des droits des femmes ou des Québécois en général.
Mme Marois: M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Mme la ministre.
Mme Marois: Question de privilège, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je suppose, Mme la ministre, que vous voulez intervenir eu égard au discours que vous avez tenu. Je dois vous rappeler que vous aurez…
Des voix: …
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je m’excuse. S’il vous plaît! S’il vous plaît! M. le député. Je veux simplement dire à Mme la ministre qu’il y a deux façons de participer à cette décision qu’elle a à prendre…
Une voix: …
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député! … cette décision qu’elle a à prendre, à savoir si elle utilise son droit de question de privilège au moment où l’on se parle ou si elle veut attendre à la fin du discours de l’intervenant pour utiliser l’article qui lui permet, puisqu’elle a déjà prononcé un discours, d’utiliser son droit de parole comme question de privilège.
Si je le fais, je le fais toujours dans le même but, c’est de préserver le droit de la personne qui intervient en sachant que, Mme la ministre ayant déjà intervenu, elle pourrait le faire à la fin de l’intervention.
Mme la ministre.
Mme Marois: M. le Président…
M. Bertrand:Sur la question de règlement… (17 h 50)
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader.
M. Bertrand:… je pense que vous avez évoqué la possibilité pour Mme la ministre d’État à la Condition féminine de se prévaloir de l’article 96. Je pense qu’il y a aussi l’article 49.2 qui permet à Mme la ministre de soulever une question de privilège à l’Assemblée immédiatement après qu’ont été prononcées les paroles qui y donnent lieu.
Une voix: C’est ça.
M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, sur la question de règlement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Oui, M. le leader de l’Opposition.
M. Levesque (Bonaventure):Merci. Vous avez entendu comme nous les paroles prononcées par le député de Marguerite-Bourqeoys. Or, je vous demande une chose: si on peut permettre une question de privilège, cela implique qu’il y a eu une violation des droits et privilèqes, alors que la seule insulte que le député de Marguerite-Bourgeoys a faite à l’endroit de Mme la ministre, c’est qu’elle était péquiste, et très péquiste.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader de l’Opposition, je devrais vous rappeler les paroles que vous avez prononcées cet après-midi, justement, sur la question de privilège pour préserver un droit d’un de vos collègues. Ce que je disais à Mme la ministre, c’est qu’elle a deux solutions. Je faisais mention, à ce moment-là, de l’article 49 et de l’article 96, dans les deux cas. J’étais sur le point de lui demander lequel de ces articles elle voulait utiliser, 49 ou 96.
Mme la ministre.
Mme Marois: Est-ce que je peux avoir une directive, M. le Président?
Le Vice-Président (M. Jolivet): Oui.
Mme Marois: II me semble que, selon mon jugement actuellement, connaissant nos règles du jeu, c’est davantage sur une question de règlement que je voudrais intervenir. Je vous demande si j’ai raison. Vous pourrez me répondre, je vais le soulever. Je pense que le député de Marguerite-Bourgeoys reprend ce qui a été dit dans une intervention que j’ai faite précédemment, concernant une motion que nous avons retirée sur division.
Est-ce qu’à ce moment-ci, il peut intervenir en se servant d’interventions que j’ai faites précédemment sur une motion retirée?
Le Vice-Président (M. Jolivet): Mme la ministre, je suis dans l’obliqation de vous dire que tout ce que vous avez dit, avant de faire votre motion qui, jusqu’à maintenant, est retirée, avait trait à l’ensemble de la motion principale. Le député de Marquerite-
388
Bourgeoys, à mon avis, a le droit d’intervenir sur l’ensemble de votre argumentation et non pas sur le contenu de votre motion d’amendement.
M. le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde:De toute façon, je vais passer à un autre sujet, étant donné le caractère absolument ridicule du petit effort que ce gouvernement a fait pour tenter de parler des femmes dans cette motion. Je pense que tous les gens, tous les Québécois auront compris qu’il s’agissait simplement d’une manoeuvre politique et que le contenu n’y était pas.
Cette contradiction, cette confusion que le Parti québécois a toujours entretenue, tout d’abord lors du référendum et ensuite lors de l’élection du 13 avril, a eu des conséquences encore plus tragiques. En effet, le Parti québécois a trafiqué notre droit de veto en échange d’un front commun dont la fragilité s’est traduite lors d’une nuit où le Québec a payé cher la trahison du Parti québécois.
On nous dit: Bien non, on a échangé le droit de veto contre un droit de retrait avec compensations. On l’a échangé pour moins fort, pour moins, mais – j’essaierai de le démontrer un peu plus tard – pour plus conforme au Parti québécois et à ses aspirations.
Le droit de veto, il faudrait peut-être s’y arrêter pour le bénéfice de nos concitoyens. C’était le droit que le Québec s’était vu reconnaître, surtout depuis quelques décennies, surtout depuis une vingtaine d’années, en deux occasions que le chef de l’Opposition a décrites, en 1964 et en 1971, un droit qui veut qu’il ne se passe pas de choses importantes dans le régime qui nous régit sans qu’on soit d’accord. C’est un droit qui a permis à M. Lesage, en 1964, d’empêcher que la formule Fulton-Favreau ne soit acceptée simplement parce que le Québec n’était pas d’accord. C’est un droit que M. Bourassa, en 1971, a exercé afin d’empêcher que la Charte de Victoria ne soit acceptée – non pas seulement au Québec, mais partout au Canada – parce que le Québec n’était pas d’accord.
Vous avouerez qu’il s’agit d’un droit extrêmement précieux. Précieux surtout a cause du caractère distinct, du caractère spécial que le Québec représente au Canada. Cette dualité à laquelle la motion fait référence, nous en sommes, mais nous en sommes pour vrai, nous du Parti libéral du Québec. Nous croyons que le Québec, qui représente le foyer de l’une de ces deux communautés fondatrices du Canada, doit avoir ce droit de veto pour exprimer justement cette dualité. Donc, cette dualité n’a aucune valeur, n’a plus aucune expression, n’a plus aucune conséquence si le Québec n’a pas ce droit de veto.
C’est ce que les péquistes n’ont pas compris. Peut-être, M. le Président, qu’ils l’ont compris. Peut-être qu’ils ont compris que, justement, ce veto était l’expression du fédéralisme bien compris par le Parti libéral du Québec tel que nous le comprenons, nous, et c’est exprimé de façon on ne peut plus claire, je pense, dans le livre beige qui est le programme du Parti libéral du Québec en matière constitutionnelle. Cette dualité s’exprime par ce droit de veto que le Québec a – avait, cet ancien droit de veto, comme disait le premier ministre il y a guelques jours – parce que le Québec représente justement l’une de ces deux communautés. Or, le Parti québécois nous a dit le 13 avril: Votez pour nous. « Faut rester forts. » En même temps, pendant tout le temps où les péquistes se promenaient à travers le Québec en disant: « Faut rester forts », il se préparait un document qui n’a pas été soumis à l’Assemblée nationale, qui n’a pas été soumis à la population lors de la campagne électorale par lequel, pas trois mois, pas trois semaines, trois jours après l’élection, le premier ministre du Québec est allé signer l’abandon du droit de veto du Québec.
Des voix: Honte! Honte!
M. Lalonde:C’est une véritable trahison du mandat qu’il avait reçu de la population du Québec, M. le Président. En cachette. Je suis convaincu que, si le Parti québécois avait soumis cette proposition d’abandon du droit de veto à la population, elle aurait été refusée. Nous – enfin, je pense, j’en suis convaincu, le chef de l’Opposition, si le Parti libéral avait été élu, n’aurait jamais signé. Il n’aurait jamais renoncé à ce droit qui fait que le Québec est un des deux partenaires, un des deux associés majeurs dans le Canada que nous voulons construire.
Mais pourquoi le Parti québécois a-t-il laissé échapper ce veto? N’est-il pas le parti qui se dit le plus représentatif des intérêts du Québec? C’est presque impensable que le Parti québécois ait trafiqué un droit essentiel au Québec comme partenaire et associé majeur dans un Canada fondé sur la dualité des deux peuples fondateurs. Et pourtant, le Parti québécois a donné ce droit de veto, et en cachette. Pour la première fois depuis que ce droit a été reconnu, un chef d’État du Québec a accepté de marchander ce droit de veto. Ils disent: On l’a échangé pour quelque chose d’autre et, après cela, on s’est fait jouer et on n’a pas eu ce quelque chose d’autre. En plus du caractère parfaitement ridicule de ces négociateurs, M. le Président, je leur dis ceci: Ce qui est grave, ce n’est pas nécessairement de s’être fait jouer. C’est déjà assez ridicule. Ce qui est grave, c’est qu’un chef d’État québécois, pour la première fois de notre histoire – ce n’est pas facile -ait démontré que ce droit de veto est
389
marchandage, est échangeable. Cela, c’est une trahison du mandat référendaire et du mandat du 13 avril dernier. Pour la première fois, M. le Président, un chef d’État québécois accepte que le Québec n’ait qu’un vote sur onze. Pour la première fois, un chef d’État québécois accepte que le Canada de demain se fasse, se développe sans le Québec. C’est là le véritable sens du geste du Parti québécois. (18 heures)
Les Québécois, le 20 mai 1980, M. le Président, ont choisi de rester au Canada, mais pas dans un Québec affaibli et minorisé. Pourtant, c’est le résultat de l’abandon par le Parti québécois du droit de veto. Nous avons souvent mis en garde le Parti québécois d’accepter de négocier le renouvellement du fédéralisme tout en gardant comme objectif numéro un la défaite du fédéralisme. Il était en plein conflit d’intérêts et ce qui devait arriver est arrivé. C’est évident que, mis entre un choix qui est la raison même de l’existence du Parti québécois, c’est-à-dire l’indépendance du Québec, et la défense du fédéralisme, il a choisi l’indépendance.
Plusieurs se sont dit, le 13 avril dernier: Puisque le Parti québécois est québécois avant tout, il va sûrement défendre nos intérêts dans la négociation avec Ottawa. Plusieurs l’ont espéré et ont voté, en conséquence, pour le Parti québécois le 13 avril dernier. Combien cynique est le fait qu’au moment où le Parti québécois réclamait un deuxième mandat pour rester fort, il s’apprêtait, trois jours après avoir reçu ce mandat, à vendre pour une bouchée de pain notre droit de construire le Canada de demain en fonction des intérêts des Québécois, comme le référendum le lui a ordonné.
Je vais terminer, M. le Président, étant donné qu’on a pris quelques minutes à m’interrompre, avec un consentement.
Et pourtant, il fallait s’y attendre. L’affaiblissement du Québec sert très bien les vues du Parti québécois. Est-ce qu’il s’agit d’une coïncidence? Je ne le crois pas. Un Québec séparé n’a pas besoin d’un veto. À quoi sert un droit de veto à un Québec séparé? Cela ne sert à rien. Alors, le Parti québécois a pensé que ce serait un pas de plus dans le fameux étapisme, un pas de plus vers la séparation. On abandonne le droit de veto, maintenant, on est seulement un sur onze, on va maintenant se plaindre pour vrai. Donc, ça sert les intérêts du Parti québécois. C’est là la véritable trahison que ce geste constitue.
M. le Président, si le Parti québécois n’avait pas trahi le mandat qui lui a été confié le 13 avril dernier et le verdict référendaire, nous n’en serions pas à quêter, à essayer de ramasser les morceaux cassés de la faillite de sa négociation. Il s’agit d’une motion de recul à beaucoup d’autres égards. J’ai voulu surtout démontrer jusqu’à quel point l’abandon du droit de veto sert bien les objectifs du Parti québécois, mais affaiblit les Québécois.
M. le Président, c’est une motion séparatiste, malgré les préambules qui ne sont que ce que les Anglais appellent du « lip service » à la dualité. Les Québécois ont droit à plus que cela. Ils ont le droit de voir leur gouvernement négocier pour vrai et de bonne foi.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Vachon.
M. Payne:M. le Président, je demande la suspension des travaux, s’il vous plaît!
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion de suspension est-elle adoptée? M. le leader du gouvernement.
m. Charron:M. le Président, je demande la suspension de nos travaux jusqu’à 20 heures, s’il vous plaît!
Le Vice-Président (M. Jolivet):
Suspension des travaux jusqu’à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 04)
(Reprise de la séance à 20 h 12)
Le Vice-Président (M. Rancourt): À l’ordre, s’il vous plaît! Vous pouvez prendre vos fauteuils. Reprise du débat sur la motion du premier ministre. M. le député de Vachon.
M. David Payne
M. Payne:Ce n’est pas un discours, mais plutôt une provocation de la part de l’Opposition, touchant certains aspects de notre motion, qui m’a suggéré de prendre la parole ce soir.
Nous avons entendu dire, effectivement, M. le Président, que le Québec a perdu le droit de veto. D’abord, moi, j’aimerais demander au chef de l’Opposition, en ce qui concerne le premier protocole d’entente avec les sept provinces anglophones, si M. Ryan et les libéraux auraient signé cette entente. Parce que le Québec a signé en bonne et due forme un protocole d’entente avec les autres provinces, et c’était le 16 avril dernier. Si les libéraux provinciaux avaient signé, effectivement, ils donneraient raison au Québec et, s’ils n’avaient pas signé, n’auraient-ils pas affaibli le Québec dans ses pouvoirs?
J’ai bien remarqué que le chef de l’Opposition a bien fait attention de ne pas dire s’il aurait signé, oui ou non. Effectivement, le gouvernement du Québec
390
n’a jamais cédé le droit de veto. À moins que je comprenne mal le français, je ne peux que lire la proposition telle que suggérée aux autres provinces anglophones. Je vais effectivement lire la fin en anglais, pour les membres de l’Opposition, parce qu’ils semblent suggérer que je comprends mal le français. L’article 4 dit – c’est en anglais et signé à Ottawa le 16 avril 1981 -: « Any constitutional amendment taking away an existing provincial area of jurisdiction – MM. de l’Opposition – should not be imposed on any province not desiring it ». En français, pour moi, ça voudrait dire que le Québec n’a jamais cédé le droit de veto, mais a effectivement exigé qu’il pourrait avoir le droit de retrait pour n’importe quel programme qui ne ferait pas son affaire, avec plein pouvoirs de compensation. Est-ce que je me trompe, oui ou non?
Des voix: Vous ne vous trompez pas, c’est parfait!
M. Payne:Mais, effectivement, nous avons des propos émanant d’où? De Toronto et aussi de l’Ontario, de M. Bill Davis, qui parle de la charte des droits. Lorsque nous voulons savoir quelle était la suggestion de M. Trudeau, quelle était son obsession, nous voyons très bien où se trouve le pouvoir du Canada. M. Davis, premier ministre conservateur d’Ontario, dit: Nous nous sommes inquiétés, au cours des dernières années, en voyant les gouvernements libéral -c’est vous autres, ça – et séparatiste – c’est nous autres, ça – de la province de Québec prendre des mesures… »
Je peux vous dire quelque chose, en passant, mes chers amis de l’Opposition: Je suis, depuis quelques semaines, anglophone, mais anglophone souverainiste renouvelé.
M. Davis continue:« … pour limiter l’accès à l’éducation en anglais aux niveaux primaire et secondaire au Québec. » C’était lui qui se promenait au Québec pendant la période référendaire pour dire la seule phrase qu’il connaissait en français: « II faut voter non au référendum. » Lui, l’unilingue Davis, sauf une phrase, se promenait partout au Québec exigeant que le Québec dise non. C’était l’image du Canada d’aujourd’hui et de demain.
Je peux vous donner quelques exemples de ce qui existe. En Ontario, depuis quelques années, des luttes très dures ont été menées par les Franco-Ontariens pour la création d’écoles secondaires à Sturgeon Falls souvenez-vous – à Windsor, à Cornwall ou à Penetanguishene. Même si la loi ontarienne est supposée obliger quelque chose, obliger le fait français en Ontario, rien ne se passe depuis quelques années. « Il est très évident, disait M. Davis, que notre forte opposition à l’intention première d’Ottawa de revoir l’article 133 de la constitution pour imposer le bilinguisme institutionnel a porté le gouvernement canadien à laisser tomber cette idée. » Voilà la vraie entente que nous avons eue le 16 avril et qui a tellement fait peur à M. Davis lui-même qu’il a conclu une entente avec M. Blakeney de la Saskatchewan et d’autres pour se dissocier du Québec, lui qui n’avait jamais eu le courage de signer l’entente du 16 avril.
Ce n’est pas surprenant en ce qui concerne M. Blakeney, parce que lui-même, en faisant référence à l’article qui dit « là où le nombre le justifie », a dit le 4 novembre dernier, avant même qu’il y ait une entente avec M. Trudeau, qu’on ne devrait pas laisser le problème linguistique aux juges, car cela devrait être aux politiciens de justifier le nombre. Vous avez le même M. Blakeney qui, quelques jours plus tard, dit, après l’entente de M. Trudeau: Je suis très content parce que, de toute façon, ce n’est pas nous, mais bien les juqes qui vont décider. Voilà la cohérence du gouvernement Blakeney qui ne trouve un parallèle qu’avec l’incohérence du gouvernement fédéral. Nous trouvons la même incohérence avec le parti d’Opposition qui aurait voulu présumément que le Québec signe une entente avec le qouvernement fédéral pour diminuer les pouvoirs. On ne sait même pas encore si M. Ryan aurait signé la première entente, le 16 avril dernier.
Loin de moi de vouloir redresser 115 ans d’injustice du Canada anqlais envers le fait français au Québec et le fait français hors Québec, mais puis-je souligner quelques petits exemples de ce qui s’est passé au Québec et à l’extérieur? Qu’est-ce qu’on peut dire, par exemple, de la situation d’une école française qui vient d’ouvrir ses portes à Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard, non pas pour les Acadiens de la capitale provinciale, mais bien pour accommoder les enfants des francophones fédéraux transférés dans cette province?
Peut-être aussi peut-on parler de la situation de Vonda, en Saskatchewan, où les parents fransaskois ont demandé à la commission scolaire l’enseignement français au niveau de la dixième année. Je me souviens très bien qu’il y avait l’enseignement jusqu’à la neuvième année. Les commissions scolaires ont refusé et, devant la Cour d’appel – on vient tout juste de mentionner le bon vouloir des juqes – les juges ont dit: Le ministre peut désigner un édifice comme école française, mais il ne peut pas désigner le programme qui s’y enseigne, alors, pas d’école. (20 h 20)
Au Manitoba, les parents de la division scolaire La Seine ont dû se battre avec le qouvernement provincial pour obtenir la construction d’une école secondaire, même si le nombre le justifiait.
Au Nouveau-Brunswick, tout
391
dernièrement, en 1969, malgré tous les progrès réalisés depuis 1969, les 10 000 Acadiens de Saint-Jean attendent toujours une nouvelle école offrant les services de la première à la douzième année.
Je reviens pour quelques minutes au Québec. Saviez-vous, M. le Président et honorables membres de l’Opposition, que dans le grand Montréal, au Québec, l’an dernier, on a dénombré 377 écoles anglaises dont 40 comptaient moins de 37 élèves et 20 moins de 20 élèves? Je répète: 20 écoles de moins de 20 élèves au Québec.
On dénote de plus 86 écoles bilingues dont 16 ont moins de 20 élèves. Il existe dans la région de Soulanges une école, dans une classe élémentaire anglaise, de combien au Québec? De neuf élèves. Est-ce que cela est un peu plus fort que les dispositions de la charte de Trudeau là où le nombre le justifie? C’est scandaleux, M. le Président.
Nous avons entendu des discours dernièrement de M. Joyal. La seule chose que je peux dire de lui, c’est que je suis très content qu’il ne soit pas élu au gouvernement québécois. Je ne lui aurais jamais confié le dossier de la question de la langue au Québec. C’est lui qui s’est fait laver – ce n’est pas surprenant – par M. Drapeau aux élections municipales de Montréal, il y a quelques années, si je me souviens bien. Il a dit: Le Québec demeurera libre de refuser les immigrants de langue anglaise. Or, avec la proposition de M. Trudeau, que lui-même est en train de vendre au Québec actuellement comme un commis voyageur, c’est bien expliqué que « les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en français ou en anglais – pour les francophones hors Québec évidemment c’est le français – et qui résident dans une province, disons l’Ontario, où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction, est celle de la minorité francophone, ont le droit d’y faire instruire leurs enfants au niveau primaire et secondaire dans cette langue. ». Évidemment, là où le nombre le justifie.
Mais analysons un peu ce que cela peut vouloir dire. Est-ce que je me trompe, M. le premier ministre du Canada, en disant que c’est une attaque directe contre la loi 101? Si quelqu’un, par exemple, vient d’Italie, de Campobasso, et envoie ses enfants à Toronto pour les faire instruire deux ans, trois ans, à l’école élémentaire, et ensuite veut déménager au Québec, il aurait quels droits? Il aurait le libre choix, contre lequel le gouvernement libéral s’est battu il y a quelques années; qu’est-ce qu’ils sont prêts à accepter maintenant pour le Québec? N’est-ce pas un exemple classique d’incohérence de la part de l’Opposition? De l’injustice du premier ministre du Canada et de la foutaise de M. Joyal qui dit: Le Québec demeurera libre de refuser les immigrants de langue anglaise. Lui qui dit effectivement: Cela ne représente aucun danger pour l’avenir du français au Québec.
Je donne quelques exemples. Il y a un mythe qu’il véhicule avec son marketing fantastique, avec sa façon de vendre son produit, la propagande fédérale. En 1980, il y avait 25 962 nouveaux venus au Québec en provenance des autres provinces. En provenance des autres pays, il y en avait combien? Il y en avait moins. II y en avait 22 500. Donc, effectivement, il y a plus, en termes réels. Évidemment, il y a un « outflow ». Il y a des migrations en dehors du Québec comme en dehors de New York et en dehors de Toronto et des migrations nettes; l’année dernière, il y avait plus d’Ontariens qui avaient quitté pour l’Ouest que ceux qui ont quitté le Québec. J’ai les chiffres à l’appui à savoir que les propositions de M. Joyal n’ont aucun bon sens.
J’aimerais discuter pendant un moment, M. le Président, de ce qui se passe au Québec par rapport aux autres provinces. Cela va faire rougir les membres de l’Opposition dans plus d’un sens. J’aimerais donner un petit bilan des réalisations du gouvernement du Québec sur la Basse-Côte-Nord depuis les trois dernières années. On peut se demander pourquoi, parce qu’il s’agit là d’une communauté anglophone de quatorze villages qui a été négligée par chaque gouvernement du passé, fédéral et provincial, et par le parti de l’Opposition lorsqu’il était au pouvoir. Quatorze villages de pêcheurs riches dans leur culture, de petits villages de pêcheurs comme Harrington Harbour, Brador Bay, Old Fort Bay, La Tabatière, and so on and so forth. Je peux envoyer aux membres de l’Opposition une petite publication faite par le gouvernement du Québec – ce sont les péquistes qui l’ont faite – pour les minorités au Québec. Cette publication, que je vous montre, a été donnée à chaque foyer, à chaque propriétaire de la Basse-Côte-Nord, avec un programme de relance de leur économie, de leurs écoles et de leurs institutions, la radio aussi et les communications par le journal. Combien avons-nous dépensé en 1980 et en 1981? Dans les affaires sociales, le secteur des pêches, le transport, les routes et les affaires municipales, 3 000 000 4. En 1981-1982 – je résume – dans le domaine des loisirs, des pêcheries, le journal que j’ai mentionné tout à l’heure, le Sextant, le transport, la construction de routes et la sauvegarde de leur patrimoine anglophone, combien? 2 200 000 $ pour 1981-1982. Programmation pour 1982-1983, prévisions, 8 700 000 $. Vous qui chicanez aussi trop fort au sujet des coupures, vous n’êtes pas prêts à accorder, dans l’intérêt de la cohérence, le moindre respect pour vos propres minorités anglophones. C’est le gouvernement du Parti québécois que vous
392
appelez séparatiste qui a effectivement sauvegardé le patrimoine de quelques-uns des anglophones.
Dans la même veine, je peux vous dire, si vous voulez une illustration plus claire, que je viens tout juste de parler, aujourd’hui même, avec l’administrateur de la Basse-Côte-Nord. Non seulement nous n’appliquons pas le principe là où le nombre le justifie, mais, sur la Basse-Côte-Nord, nous avons à peu près 250 étudiants du secondaire; non seulement nous leur donnons des hôpitaux et des services, une petite bibliothèque et des services dans leur langue, mais nous construisons aussi des bateaux, comme le disait le ministre de l’Agriculture dernièrement, contre le gré du fédéral qui a refusé de payer sa quote-part.
En ce qui concerne les étudiants, pour y revenir deux secondes, il y avait, jusqu’à tout dernièrement – le dernier chiffre que nous avons cette année – 250 étudiants au secondaire. Nous dépensons 200 000 $ par année pour les transporter à la Eastern Township Regional Schoolboard dans les Cantons de l’Est, pour qu’ils puissent avoir leur enseignement dans la langue anglaise au Québec. C’est le gouvernement du Québec qui paie pour cela. Là où le nombre le justifie ne s’applique pas, M. le Président, au Québec. Nous accordons un droit absolu aux anglophones d’ici. Ils sont transportés par avion, ils vivent avec la communauté des anglophones au Québec là où ils se trouvent en plus grand nombre, pour qu’ils puissent trouver un foyer québécois. C’est le gouvernement du Québec, les contribuables de Vachon et ceux des autres 121 comtés qui défraient ces coûts et on en est fier.
Une voix: Tu essaieras de faire la même chose avec ta charte que tu défends actuellement. (20 h 30)
M. Payne:J’aimerais aussi souligner l’existence de quelque chose qui est appelé « Autant de façons d’être Québécois ». M. le Président, c’est une politique qui décrit quels sont les droits du Québec anglophone aujourd’hui. D’abord, pour deux secondes, avant d’entrer dans les détails, je remarque que ce n’est pas écrit seulement en anglais: « Quebeckers, each and everyone », mais c’est écrit dans une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept langues, au Québec. Là où le nombre le justifie, cela n’existe pas comme critère de perfection au Québec. C’est le gouvernement séparatiste, du Parti québécois, le gouvernement qui a adopté ce projet pour la société, on devrait en être fier.
Je ne sais pas combien de temps il me reste, M. le Président…
Le Vice-Président (M. Rancourt): Deux minutes.
M. Payne:… mais j’aimerais suggérer qu’on prenne comme modèle, pour un Québec de demain, la politique du gouvernement du Québec, là où on a gardé aussi, avec les mesures ponctuelles, le droit à l’enseignement pour le milieu anglophone. On devrait peut-être utiliser ça comme possibilité pour l’avenir, dans un Québec indépendant et souverain, dans une future charte québécoise, dans une future constitution québécoise. On devrait peut-être avoir cette politique comme modèle – c’est bien traduit dans d’autres langues pour le bénéfice des autres provinces – pour que ça puisse être incorporé dans les chartes des droits et libertés de la personne. Je trouve ça extraordinaire comme charte et, comme base, ça pourrait très bien servir à une constitution québécoise, pour l’avenir, avec nos politiques pour les minorités.
C’est bien sûr que nous n’aimons pas les enseiqnes unilingues; comme anglophone, je n’aime pas ça. C’est difficile, mais ce n’est pas un qrand sacrifice. Madame, en face de nous, disait l’autre jour: « Les modérés se fâchent ». Je me dis, à quel prix la modération?
I would suggest, in concluding, Mr. President, in half a second, that it would be a very good idea if the Québec Government should use some of the aspects contained in this policy, « Quebeckers, each and everyone », for a future Constitution of Québec, because we do not use the same criteria as other provinces use, where sufficient numbers warrant it. We have an excellent opportunity in Québec to offer all possible services. I strongly encourage the Government to continue and to include it in any future constitutional amendment for Québec.
En terminant, M. le Président, j’aimerais souligner, encore une fois, que nous en avons plus qu’assez pour les minorités. Je réitère ce que je disais tout à l’heure. C’est bien sûr que c’est difficile pour les minorités anglophones pour ce qui concerne l’affichage, mais nous avons une gamme de services pour ce qui concerne la radio, la télévision, les bibliothèques, les cinémas, nous avons des livres, des librairies. Ce ne sont pas les membres de l’Opposition qui devraient dire au qouvernement du Québec: Voici notre modèle, parce que vous-mêmes, non seulement vous avez fait moins que nous autres dans les quatre dernières années, mais vous étiez prêts aussi, il y a à peine deux semaines, à signer avec Ottawa l’entente qui aurait eu comme effet de diminuer les pouvoirs d’un Québec français dont je suis fier d’être membre comme Québécois anglophone.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de D’Arcy McGee.
393
M. Herbert Marx
M. Marx:M. le Président, le député de Vachon m’a surpris. Il doit bien savoir que le Parti libéral du Québec, qu’un gouvernement libéral n’aurait jamais troqué le veto du Québec sur quoi que ce soit.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît!
M. le député de D’Arcy McGee.
M. Marx:M. le Président, le député de Vachon et les autres députés péquistes doivent savoir que, dans la version de la charte originale, M. Trudeau a mis un veto pour le Québec. C’est le gouvernement péquiste qui a abandonné ce veto et je ne sais pas franchement pourquoi. Le premier ministre a déposé aujourd’hui une motion. Il veut que l’Assemblée nationale l’approuve parce qu’il veut qu’on approuve des clauses qu’il va négocier avec le gouvernement fédéral. C’est la première fois que cela arrive que le gouvernement dépose des clauses qu’il veut négocier avec le gouvernement fédéral.
Examinons l’histoire des négociations constitutionnelles de cette année. Le 16 avril, trois jours après les élections j’imagine que c’était planifié avant, cela n’a jamais été discuté – le premier ministre du Québec a signé un accord avec sept autres provinces. C’est évident que, dans cet accord, le premier ministre a affaibli le Québec, entre autres sur deux points importants: premièrement, comme je viens de le dire, il a troqué le veto du Québec pour un certain étapisme de son ministre des Affaires intergouvernementales; deuxièmement, il a abandonné le principe de la dualité. C’est le premier ministre du Québec, en signant cet accord, qui a abandonné la dualité pour un principe de diversité. Tout cela n’avait jamais été discuté dans cette Assemblée. C’est le premier ministre lui-même qui l’a fait. À la fin de septembre, nous avons eu la décision de la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a bien dit que le projet de charte fédéral était légal, mais inconstitutionnel, à cause des conventions. Certains porte-parole du gouvernement fédéral ont dit que le gouvernement fédéral était prêt à aller tout de suite à Londres. Ici, dans cette Assemblée, le gouvernement a proposé une motion qui a été modifiée par l’Opposition et dont un des éléments les plus importants a été ajouté par l’Opposition. Je cite cet élément important: « Que l’Assemblée nationale demande au gouvernement fédéral et à ceux des provinces qu’ils reprennent sans délai les négociations. » J’ai dit, M. le Président, et je le répète, que c’était notre contribution ou une de nos contributions à la motion. C’est-à-dire qu’on a voulu qu’il y ait des négociations. Le gouvernement péquiste est bien sûr allé à Ottawa, il est revenu quelques jours plus tard les mains vides. Apparemment, il y a trois points qui séparent le gouvernement du Québec du gouvernement fédéral: le problème de l’amendement, la mobilité et les droits linguistiques des minorités.
Mais l’accord qui a été signé entre le gouvernement et neuf autres gouvernements, les gouvernements provinciaux, a laissé la porte ouverte pour le Québec; c’est-à-dire qu’ils ont signé pour eux-mêmes, qu’ils ont laissé la possibilité pour le premier ministre du Canada de s’entendre avec le Québec sur les trois points qui séparent le Québec du gouvernement fédéral.
Quel est le but de cette motion qui est devant la Chambre aujourd’hui? Elle n’a pas été déposée ici au début; elle a été, premièrement, déposée à la veille ou le jour même d’un conseil général du Parti québécois. Normalement, une motion est déposée, premièrement, à l’Assemblée nationale. Mais M. le premier ministre, en tant que président du Parti québécois, a trouvé bien de déposer la motion devant ses militants. C’était fait, j’imagine, pour calmer les troupes. Je vois quelques-unes de ces troupes dans cette Chambre; c’était pour calmer les plus indépendantistes, les plus séparatistes parmi eux. Parce que les militants dans son parti supportent mal que le premier ministre porte, le matin, son chapeau séparatiste et, l’après-midi, son chapeau fédéraliste. Ses militants veulent qu’il porte toujours son chapeau séparatiste, parce que des militants indépendantistes comme des députés qu’on trouve de l’autre côté ne comprennent pas comment le premier ministre peut aller renouveler le système fédéraliste au Canada si le programme du Parti québécois prévoit la séparation du Québec du Canada. C’est difficile à expliquer, difficile à comprendre. (20 h 40)
Je souligne que la motion devant nous est restée au feuilleton pendant plus d’une semaine. Elle n’était pas débattue. Pourquoi n’avons-nous pas eu ce débat la semaine passée? Si c’était si urgent, pourquoi est-ce resté au feuilleton pendant plus d’une semaine? La réponse, vous l’avez deviné, c’est que le Parti québécois va avoir un congrès la semaine prochaine. Une autre fois ce sera nécessaire pour le premier ministre de sécuriser ses militants, de sécuriser ses troupes, de les assurer qu’il n’est pas prêt à poser des gestes pour renouveler le système fédéral. C’est ça le débat qu’on a ici. Cest que le premier ministre veut sécuriser ses militants.
L’ordre du jour de cette Assemblée n’est pas l’ordre du jour d’un gouvernement. C’est plutôt l’ordre du jour d’un parti politique. On suit ici l’ordre du jour du Parti québécois.
Le chef de l’Opposition a déjà analysé
394
la motion en détail. Je ne vais donc m’arrêter que sur un seul point. Le premier ministre, député de Taillon, a dit: Nous voulons garder tous nos droits et tous nos pouvoirs. Mais je vous suggère, M. le Président que, si tel est le cas, ce sera impossible d’accepter une charte des droits. Il est impossible d’accepter une charte des droits comme, par exemple, le « Bill of rights » aux États-Unis parce que avoir une charte veut dire qu’on va mettre ensemble, avec les autres provinces et avec le gouvernement fédéral, toutes nos valeurs communes dans une charte des droits fondamentaux. Par exemple, on peut mettre dans une charte, comme c’est le cas aux États-Unis, la liberté de religion, la liberté d’expression et d’autres libertés.
Le gouvernement péquiste est contre une charte enchâssée dans la constitution. Ils sont contre le fait d’enchâsser une charte dans la constitution comme c’est le cas aux États-Unis.
Une voix: C’est faux.
Le Vice-Président (M. Rancourt): À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît!
M. le député de D’Arcy McGee.
M. Marx:Je vois que la vérité rend certains députés péquistes nerveux. Même les ministres. Il y a quelques ministres, qui sont un peu nerveux aussi.
Le Parti québécois est pour une charte enchâssée dans un Québec indépendant seulement, pas dans un Québec qui fait partie du Canada. C’est ça, le programme du Parti québécois.
Le gouvernement nous dit dans la motion: Étant donné la Charte des droits et libertés du Québec, il n’est pas nécessaire d’avoir tous les droits inscrits dans la charte canadienne. Franchement, je trouve impossible de suivre ce raisonnement ou peut-être cette excuse. Par exemple, le gouvernement péquiste ne veut pas être lié par les garanties juridiques dans la charte canadienne.
Une voix: On ne veut pas se faire fourrer.
M. Marx:Voici quelques-unes de ces garanties juridiques qu’on ne trouve pas dans la charte québécoise; je lis l’article 7: « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. » Ils sont contre ça, les péquistes!
Prenons l’article 8: « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. » Ce n’est pas dans la charte québécoise. Sont-ils contre ça?
L’article 9: « Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement….
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît, à l’ordre! Laissez continuer le député de D’Arcy McGee. S’il vous plaît!
M. Marx:Je n’accepte pas que le whip du gouvernement crie de l’autre côté de la Chambre qu’on va m’interrompre parce que j’ai dérangé le premier ministre aujourd’hui.
M. Chevrette:M. le Président, ce n’est pas du chantage, j’ai simplement dit que ce monsieur à l’épiderme sensible n’avait pas à s’offusquer puisqu’il avait dérangé lui-même le premier ministre.
M. Marx:Question de privilège. Je n’ai pas dérangé le premier ministre, il m’a dérangé…
Le Vice-Président (M. Rancourt): À l’ordre, s’il vous plait! M. le député de D’Arcy McGee, vous aviez la parole.
M. Marx:Je continue avec les articles de la charte canadienne proposée qui ne sont pas dans la charte québécoise. Voici l’article no 12: « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » Est-ce que les péquistes sont contre cela? Est-ce que le premier ministre du Québec est contre un tel article dans la charte canadienne pour que se lie le Québec?
La charte québécoise est excellente, mais il y a deux failles. La première faille, c’est que tous les droits et les libertés ne sont pas protégés dans la charte québécoise, et je viens de vous donner deux exemples.
La deuxième faille, c’est qu’il y a une clause de dérogation dans la charte québécoise. Une clause de dérogation veut dire que le gouvernement peut passer outre aux garanties de la charte à son gré. Il s’agit simplement d’inclure une clause dérogatoire à la charte dans la loi.
Le gouvernement actuel, le gouvernement péguiste n’a pas hésité à violer la charte de cette façon. Je ne veux pas vous lire la liste, mais le gouvernement péquiste a violé la charte québécoise neuf fois, de 1976 à 1981. Ce gouvernement devant nous a souvent violé cette charte québécoise malgré l’avis contraire fortement étayé de la Commission des droits de la personne, voir par exemple, le mémoire de la commission, rendu public il y a quelques mois, sur le Code de la sécurité routière où elle a écrit que la dérogation à la charte, à l’article 523 de ce code, n’est pas justifiée. Même si la Commission des droits de la personne du Québec a dit que ce n’est pas justifié, le gouvernement a violé la charte
395
une autre fois. C’est cela notre gouvernement péquiste qui protège les droits et les libertés de la personne.
La charte canadienne a aussi une clause dérogatoire pour certains articles seulement. Mais pour passer outre à la charte canadienne, cela prendrait une loi qui doit être renouvelée tous les cinq ans. Donc, la dérogation à la charte sera portée devant le peuple au moins une fois par cinq ans. Ce sera débattu par le Parlement et le gouvernement, qui aimerait passer outre à la charte, aurait l’odieux de le faire au moins une fois par cinq ans. (20 h 50)
En terminant, M. le Président, je suis prêt à renouveler le mandat que nous avons donné à ce gouvernement le 2 octobre 1981. Je suis prêt à donner le mandat à ce gouvernement de retourner négocier de bonne foi, si c’est possible de sa part. Il y a seulement trois points qui séparent le gouvernement du Québec du gouvernement fédéral. Je pense que ce serait possible pour le gouvernement du Québec de trouver une façon de combler ces différends. Je suis prêt à renouveler le mandat du 2 octobre 1981, mais je ne suis pas prêt à donner un autre mandat à ce gouvernement. Le mandat du 2 octobre est assez précis. Celui-ci doit retourner à la table des négociations, à Ottawa, pour terminer le travail qu’il a si mal commencé.
M. le Président, j’ai un post-scriptum. J’aimerais faire une suggestion à la ministre d’État à la Condition féminine. J’ai travaillé à la commission de la justice avec cette ministre. Je sais qu’elle est de bonne foi et qu’elle veut faire tout ce qui est possible pour protéger les droits de la femme. Peut-être, peut-elle proposer un autre amendement – je suis sûr qu’elle aurait le consentement de la Chambre même si elle a déjà parlé une fois à ce sujet – pour que le Québec donne son consentement pour une adhésion formelle à la charte canadienne, pour que les droits des femmes soient garantis au Québec et qu’il soit hors de la possibilité du gouvernement de passer outre aux droits de la femme. C’est une suggestion que je fais à la ministre d’État à la Condition féminime.
Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le ministre des Communications.
M. Jean-François Bertrand
M. Bertrand:M. le Président, en ce moment, à Ottawa, les parlementaires de différentes formations politiques décident de l’avenir du Canada et du Québec. Et ce que nous sommes obligés de constater, c’est qu’ils le font comme si le Québec n’existait pas.
Je me suis longtemps demandé, M. le Président, quel était le sens de cette expression qu’on a quelquefois utilisée, il y a quelques mois, on veut « enchâsser » ceci, « enchâsser » cela dans la charte des droits ou dans la constitution. J’ai compris que ce qui se passe en ce moment; c’est qu’à Ottawa, on est en train de rédiger une constitution et on est en train d’en chasser le Québec.
On trouve le moyen progressivement de régler le problème des autochtones. Tant mieux. On aurait, semble-t-il, trouvé une solution pour assurer l’égalité dans cette charte des droits des hommes et des femmes. Je m’en réjouis, M. le Président.
Le premier ministre du Canada fait une grande déclaration devant la télévision, il s’adresse à la population et dit: Enfin, nous avons une constitution qui nous permet de dire que le Canada est devenu un pays indépendant. Et la succursale d’applaudir, la succursale de se réjouir de ce nouveau statut d’indépendance qui s’en vient, alors qu’il y a au moins une chose dont on est certain, c’est que cette indépendance continuera d’être coiffée du sceau de la monarchie. Le Canada indépendant est un Canada qui va mieux protéger la monarchie qu’il ne protégera le Québec. Et on va continuer, sans que le public le sache, à huis clos, entre les quatre murs de la Chambre des communes, sans que les citoyens ne puissent l’entendre, le voir à la télévision, de réciter une prière.
M. le Président, je veux être bien compris à ce moment-ci parce qu’on sait combien toutes sortes de procès d’intention peuvent être faits, surtout par les temps qui courent, combien tout le monde s’accroche à n’importe quoi pour tenter de faire dire aux parlementaires des choses qu’ils n’ont pas dites. Loin de moi l’idée qu’on ne puisse pas, à la Chambre des communes, avoir la prière qu’il y a là-bas. Loin de moi, d’ailleurs, l’idée de dire que ces moments de recueillement auxquels vous nous invitez en début de travail, chaque jour, sont des moments qui ne doivent pas être respectés.
Quand on lit la prière qui prévaut à la Chambre des communes, on sait que, dans ce grand pays indépendant que M. Trudeau nous prépare, on aura protégé les autochtones, assuré l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, mais, bien sûr, on aura laissé de côté le Québec parce que, plus important que cela, il y a la monarchie à protéger et à sauvegarder. On continuera de dire: « Ô Seigneur! Notre Père céleste, haut et puissant. Roi des rois, Seigneur des seigneurs, le seul souverain des princes qui contemplez de votre trône tous les habitants de la terre; nous vous supplions du fond de nos coeurs de regarder avec faveur Notre très gracieuse dame souveraine, la reine Élizabeth, et de la remplir tellement de la grâce de votre Saint-Esprit qu’elle fasse toujours votre volonté et qu’elle marche dans
396
vos voies; donnez-lui la santé et le bonheur d’une longue vie; fortifiez-la afin qu’elle triomphe de tous ses ennemis et, finalement, après cette vie, qu’elle jouisse de la joie et de la félicité éternelles. « Dieu tout-puissant, source de toute bonté, nous vous prions humblement de bénir la reine mère, le prince Philip, duc d’Edimbourg, Charles, prince de Galles, et toute la famille royale. Ainsi soit-il. »
M. le Président, vive le Canada libre! Même le député de Frontenac, pendant de nombreuses années, au Parlement fédéral, se faisait lui aussi un ardent défenseur de la monarchie et, aujourd’hui, il est obligé, en cette enceinte, de défendre les droits du Québec. Pourquoi, aux yeux du gouvernement fédéral, le Québec n’existe-t-il pas? C’est parce que, avant même que le Parti québécois ne prenne le pouvoir, avant même que le gouvernement Bourassa n’exerce les responsabilités qui sont celles du Conseil exécutif, déjà, en 1967, sous un gouvernement de l’Union Nationale, il se trouvait, dans ce gouvernement libéral-fédéral, des gens qui considéraient le Québec comme un pays hostile et étranger. C’est celui même qui témoignait comme ex-directeur de la Gendarmerie royale du Canada qui admettait, le 19 novembre de cette année – il n’y a pas longtemps, à peine cinq jours – qu’en 1967 M. Lalonde voulait que la GRC espionne le Québec comme une puissance étrangère hostile. Marc Lalonde! Imaginez-vous, en 1967. (21 heures)
Rappelons-nous le contexte: l’Expo, la période où l’Union Nationale était au pouvoir, la période où les gens, au Québec, étaient encore vraiment dans le système fédéral et n’en contestaient pas les principes fondamentaux, à cette époque. 1967, Marc Lalonde, ministre fédéral du présent gouvernement, qui est à Ottawa, disait qu’il voulait que la GRC espionne le Québec comme une puissance étrangère hostile. Voilà ce que nous étions en 1967, voilà ce que vous étiez, vous les libéraux, à l’Assemblée nationale du Québec, lorsque vous siégiez de ce côté-ci de la Chambre, entre 1970 et 1976, et que vous faisiez l’objet d’écoute électronique par les gens de la Gendarmerie royale du Canada, au moment même où le député de Jean-Talon n’était pas très loin du premier ministre de l’époque, lequel premier ministre, aujourd’hui, se voit renvoyer la casquette de la Gendarmerie royale du Canada entre les deux jambes et essaie de se refaire une virginité politique. On apprend des choses, c’est qu’il y avait, même à cette époque, un gouvernement libéral du Québec qui était considéré par le grand frère fédéral comme le gouvernement d’une puissance étrangère hostile.
Je n’ai pas besoin de vous dire, M. le Président, que, lorsgu’il s’agit de nous, les gens du Parti québécois, s’il fallait que Marc Lalonde reprenne aujourd’hui ses phrases et les applique à ce gouvernement méchamment séparatiste qui veut briser son pays, qu’est-ce qu’il dirait de nous, aujourd’hui, en 1981?
M. le Président, ça fait déjà des années que, dans ce Parlement d’Ottawa, à partir des ténors d’un gouvernement libéral, on a décidé que le Québec – c’est-à-dire cette patrie, cette nation, ce peuple, qui veut d’année en année s’affirmer, se développer, se donner des instruments qui lui permettent de s’assumer, de se prendre en main, de devenir davantage maître chez lui – il fallait, pour une fois, lui dire clairement ce qu’on pense et, une fois pour toutes, s’assurer qu’il n’y aurait pas ici de velléité de former véritablement un État moderne, un État contemporain, un État en pleine possession de ses moyens, un État capable de s’assumer, de se prendre en charge et d’assurer lui-même son développement culturel, social et économique. C’est ce qu’on a décidé, il y a plusieurs années à Ottawa, et tout ce qui s’est passé depuis un an et demi, depuis le référendum du 20 mai 1980, dans le fond, tout cela a été préparé, orchestré, programmé par des gens à l’esprit essentiellement machiavéligue qui, depuis la fin des années soixante, ont décidé de mettre le Québec à sa place.
Je me rappellerai toujours une entrevue donnée par Pierre Elliott Trudeau à une émission qui s’appelait, à l’époque, les Couche-tard; les Couche-tard était animée par Jacques Normand et Roger Baulu – pour ceux qui s’en souviennent – et M. Trudeau, un soir, était à cette émission. On lui pose tout à coup la guestion: Quel est l’auteur que vous préférez, de tous ceux dont vous vous rappelez? Il a répondu – et ça m’est resté dans l’esprit parce que je me suis dit: On verra dans les années qui viendront si, effectivement, il n’a pas été profondément marqué par cet homme – que Machiavel était son auteur préféré, et le prince de Machiavel, il siège à Ottawa, avec l’appui de la royauté. Et ce prince de Machiavel, il est dans la situation des gens…
Des voix: …
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je m’excuse, M. le ministre, je ne voulais pas vous interrompre, j’ai essayé d’être patient, mais je pense que, malgré votre turbulence d’un mardi soir, il serait peut-être intéressant d’écouter ce que les gens ont à dire et j’inviterais les gens que j’entends le plus fort, mais que je ne nommerai pas pour le moment, à permettre au ministre de terminer son intervention. M. le ministre.
M. Bertrand: M. le Président, ce prince de Machiavel a décidé, depuis qu’il occupe les responsabilités de premier ministre du
397
Canada, de faire en sorte que le Québec ne soit pas cette nation, ce peuple, cette société distincte, cette communauté nationale qui a des droits et qui veut les affirmer. Il a fait en sorte, depuis plus de treize ans, que toute la dynamique qui s’est développée chez nous soit tout à coup stoppée, que la volonté des Québécois d’assumer leur destin soit tout à coup mise de côté et qu’on fasse en sorte, par ce coup de force qui remonte maintenant à plus d’un an, que le Québec reprenne tranquillement le statut que les libéraux fédéraux voudraient lui voir prendre, c’est-à-dire d’être une province comme les autres, une sur dix, M. le Président.
Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que non seulement on est en train, à Ottawa, de faire des choses sans le consentement du Québec, mais que ce consentement du Québec n’est même plus considéré comme ce que nous considérions qu’il devait être, c’est-à-dire le consentement d’une des deux nations, d’un des deux peuples qui ont fondé le Canada et qui est en droit de s’attendre, chaque fois qu’on fait des changements constitutionnels, que notre voix porte au moins aussi haut et aussi fort que celle de tout le reste du Canada, qu’il soit représenté par quatre, six, huit ou neuf provinces.
Il y a toujours eu cette dualité qui est inscrite dans l’essence même du pacte confédératif et qu’aujourd’hui nous nous devons de réaffirmer, parce que c’est sur cette base seulement que peuvent s’effectuer les changements constitutionnels. L’Île-du-Prince-Édouard est à peine plus grande et plus nombreuse en population que Montréal-Nord et à peine plus petite que la ville de Longueuil. Cette Île-du-Prince-Édouard que nous respectons est une province, mais quand il s’agit de parler de changement constitutionnel qui engage non seulement l’avenir de chaque province prise individuellement, mais l’avenir de deux peuples, de deux nations, de deux sociétés distinctes, j’ai l’impression qu’il faut ramener les gens d’Ottawa à la raison et leur faire comprendre que nous, de l’Assemblée nationale, ne sommes pas capables de signer un accord ou une entente qui ne tienne pas compte du caractère distinctif du Québec et qui ne tienne pas compte de nos obligations particulières dans ce régime fédéral pour protéger les droits et les pouvoirs de la communauté francophone, qui est la seule à avoir un État pour la représenter dans l’ensemble de l’Amérique du Nord.
À cause de cela, je me rappelle les propos que Daniel Johnson tenait autour des années 1966-1967, participant à des conférences fédérales-provinciales: « Ce qu’il faut construire, ce n’est pas un Canada à dix, c’est un Canada à deux. » Je comprends donc M. Lalonde, à partir de ce moment-là, d’avoir considéré que le Québec était un pays hostile et étranger. Imaginez-vous qu’au Québec il y a des hommes d’État qui se sont levés et qui ont dit: Ce Canada, s’il doit avoir un avenir, il faut qu’il fasse reposer tous les changements constitutionnels sur cette notion de l’existence de deux peuples différents, distincts, mais qui ont besoin, l’un et l’autre, d’avoir les instruments pour se développer.
Dans ce contexte, la question que je pose aux gens d’en face, c’est: À travers les pirouettes dont ils ont été capables jusqu’à maintenant, à travers le langage sinueux qu’ils nous tiennent, à travers ces discours qui patinent sur une très mince glace, est-ce que, oui ou non, ils signeraient l’entente qui est devant nous en ce moment? Est-ce que le député de D’Arcy McGee mettrait son nom, Herbert Marx, sous l’entente qui est devant la Chambre des communes actuellement?
Est-ce que Mme la députée de L’Acadie inscrirait son nom, Thérèse Lavoie-Roux, au bas de l’entente qui est devant la Chambre des communes et à laquelle le Québec n’est pas associé, à laquelle l’Assemblée nationale du Québec n’est pas associée? (21 h 10)
Est-ce que le député de Maskinongé inscrirait son nom au bas de l’entente? Est-ce que le député de Mont-Royal inscrirait son nom au bas de l’entente?
Des voix: Oui, oui, oui!
M. Bertrand: Dans son cas, je n’en doute pas, parce qu’ils faisaient partie des neuf dissidents du 2 octobre dernier qui ont voté contre la résolution, contre leur chef, contre leur parti politique.
Une voix: Contre le Québec.
Le Vice-Président (M. Jolivet): S’il vous plaît!
M. Bertrand: Ces gens-là, aujourd’hui, se frottent les mains de joie et d’aise parce que leur chef aura été nationaliste pendant deux semaines, parce que leur parti aura été nationaliste pendant deux semaines, parce que leur parti aura été du côté de l’Assemblée nationale, du côté du Québec, du côté des Québécoises et des Québécois pendant deux semaines, mais il n’en pouvait plus. Cela vous a été difficile de retourner dans vos comtés; plusieurs l’ont raconté par l’intermédiaire des médias d’information ou qui l’ont dit dans des conversations privées. Cela a été très difficile. Je reconnais, pour certains, qui ont eu du courage le 2 octobre dernier, que ça n’a pas dû être facile. Les neuf autres, ils ont passé pour des héros. Le député de Gatineau a passé pour un héros dans son comté, un grand homme, un homme
398
qui a vraiment parlé au nom des Québécois et des Québécoises, mais Dieu sait qu’il faudrait aller voir de qui lui venait cet appui.
Au moment où, aujourd’hui, ce 24 novembre, nous sommes à discuter des mêmes enjeux que ceux dont nous discutions le 2 octobre dernier, on ne sait pas si ces gens-là signeraient ou ne signeraient pas. La signature, c’est ici que nous allons, d’une certaine façon symbolique, l’apposer ou pas au bas de cette entente qui est devant la Chambre des communes. Lorsque nous prendrons le vote, quand les gens se lèveront pour dire qu’ils appuient la motion présentée par le premier ministre, ils diront: Nous ne signons pas parce que, pour signer, il faut que ces choses-là nous soient garanties et assurées. Ceux qui se lèveront, au contraire, pour dire qu’ils votent contre cette motion diront au peuple du Québec: Nous sommes prêts à signer cette entente. C’est là que nous verrons qui sont ceux qui croient dans les droits et les pouvoirs de l’Assemblée nationale et quels sont ceux qui n’y croient pas.
Vous auriez avantage et intérêt à vous rappeler qu’aux yeux du fédéral, en ce moment, ils sont à la fois l’Opposition à l’Assemblée nationale et le gouvernement à l’Assemblée nationale. Ils vous ont dit, après le 2 octobre: Nous ne croyons plus aux libéraux provinciaux pour être la véritable Opposition au Québec; dorénavant, nous serons l’Opposition officielle du gouvernement québécois. Ils vous ont dit cela et ils nous ont dit un peu plus tard, il y a à peine quelques jours de cela, quand M. Trudeau est venu à Québec: Nous ne négocions plus avec le gouvernement du Québec, il est illégitime à nos yeux, nous allons négocier avec nos députés fédéraux du Québec. Ils sont à la fois l’Opposition et le gouvernement à l’Assemblée nationale; si ce n’est pas de l’usurpation d’opposition et de l’usurpation de pouvoir, je ne sais pas ce que c’est!
Une voix: De l’anticipation.
M. Bertrand: Dans un contexte comme celui-là, nous ramenant 90 ans en arrière, jamais les propos d’un premier ministre n’auront été aussi vrais que ceux que prononçait Honoré Mercier le 9 juin 1891. Simplement à écouter ce texte, on pourrait se reporter 90 ans après, en 1981, et avoir l’impression d’être dans la continuité.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre…
M. Bertrand: Quand les premiers ministres du Québec se tiennent debout, ils tiennent à peu près le langage suivant.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre…
M. Bertrand: Encore quinze secondes, M. le Président, si vous me le permettez.
Des voix: Consentement!
M. Bertrand: Voici ce que disait Honoré Mercier et je conclus là-dessus: « II est bien permis de dire, d’après ce qui s’est passé depuis quelques années à Ottawa, que nous n’obtiendrons rien de ce côté. Tous les gouvernements qui s’y sont succédé depuis les premiers jours de la Confédération ne se sont guère occupés de notre province. Pourquoi? C’est bien simple. La majorité est anglaise dans la Puissance et elle est canadienne-française dans la province de Québec. Nous sommes la minorité et il nous faut subir le sort du plus fort. Nous avons fait une union désavantageuse, nous devons la subir en silence et tout ce que nous avons à faire, c’est de tâcher de l’améliorer nous-mêmes, par nos propres ressources, avec intelligence et patriotisme et sans compter sur les autres ».
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Nelligan.
M. Clifford Lincoln
M. Lincoln: M. le Président, j’ai été très édifié par la prière du ministre à la reine et je la comprends très bien parce que c’est bien son premier ministre qui a changé le veto du Québec contre un veto préservant la monarchie. Je comprends la nouvelle allégeance du Parti québécois à la reine. Ici on ne se tracasse pas plus que cela. Je trouve bien triste, tandis que les indigents au Québec voient le coût de la vie monter de jour en jour, tandis que les lignes de chômeurs deviennent de plus en plus longues, tandis que les citoyens, beaucoup de citoyens, trop nombreux sans doute, tâchent de jour en jour de sauver le seul grand bien qu’ils possèdent, la maison familiale, tandis que l’économie flanche, que les coupures budgétaires les plus sérieuses affectent les services de santé, les services sociaux, les services d’éducation aux citoyens, tandis que les impôts directs et surtout indirects continuent de monter de jour en jour, je trouve bien triste, dis-je, dans des circonstances si sérieuses pour tous les citoyens, que nous passions plusieurs heures si précieuses au cours d’une session déjà si courte pour discuter, plutôt rediscuter, répéter ad vitam aeternam les mêmes arguments constitutionnels qu’on se répétait d’un côté et de l’autre seulement la semaine dernière.
Nous nous sommes dit et redit les mêmes arguments toute lasemaine durant. Est-ce que nous ne nous sommes pas tout dit
399
et redit pendant les nombreuses semaines qui ont précédé ce débat-ci? Une fois encore, heure après heure, il faudra parler de ce gouvernement-ci et de ses pouvoirs, de l’autre gouvernement et de ses pouvoirs. Il faudra parler du gouvernement qui a négocié de bonne foi, du gouvernement qui anégocié de mauvaise foi, de la nuit des longs couteaux et des petits couteaux.
M. Bertrand: M. le Président…
M. Lincoln: Mais je suis certain, M. le Président, que le peuple du Québec en a marre. Il a marre de ces discussions interminables qu’il entend de jour en jour depuis des semaines déjà. Il n’y a rien de nouveau dans la motion d’aujourd’hui du Parti québécois qui va ajouter quoi que ce soit au processus des négociations entre le Québec et le Canada. Et c’est ça que le peuple cherche. Si au moins cette motion pouvait avoir cet objectif, le peuple serait d’accord. En fait, le peuple réalise que toutes ces discussions que nous faisons sont des discussions qui sont devenues inutiles et stériles. Elles sont inutiles et stériles car l’enjeu du débat est fort simple. Le gouvernement du Québec croit-il, oui ou non, dans le principe du fédéralisme canadien confirmé par une forte majorité de Québécois en mai 1980? Si oui, s’il y croit, qu’il saisisse les ouvertures, les occasions qui sont maintenant disponibles et ouvertes de façon honorable à toutes les parties pour discuter des trois points en litige dont le premier ministre parlait lui-même à la fin de la dernière conférence fédérale-provinciale sur la constitution.
Sinon, s’il ne croit pas au principe même du fédéralisme canadien – c’est bien son droit, c’est sûr – qu’il le dise sans ambiguïté aucune, sans artifice, sans passer par quatre chemins. Qu’il ne se serve pas de motions pour essayer de rendre le débat plus douteux ou essayer de le mettre dans un décor qui cache la vérité même; qu’il ne se serve pas de diversions, qu’il dise aux citoyens en toute franchise: Le fédéralisme, pour nous, cela ne compte plus, c’est mort, on n’y croit plus. Seule l’indépendance va faire l’affaire. Qu’il ait le courage, le gouvernement, de le dire sans ambiguïté, sans artifices, qu’il ait le courage de sortir de derrière les rideaux, d’en appeler au peuple, de faire une élection référendaire et de laisser le peuple juger. (21 h 20)
Tôt ou tard, le peuple va demander des comptes au gouvernement. Il va demander des comptes sur tout le temps que le gouvernement a perdu de jour en jour à jouer à Don Quichotte et à attaquer les moulins à vent constitutionnels tandis que l’économie périclite, que les chômeurs et les lignes de chômeurs continuent à grandir. Les gens en ont assez de cette ritournelle, de ces débats stériles quand le peuple sait fort bien que le gouvernement n’entend pas une seule minute négocier avec le fédéral. L’enjeu est bien simple: Est-ce que ce sera un Québec renfermé sur lui-même, méfiant de ceux qui ne pensent pas ou ne parlent pas comme nous, un Québec contestataire, un Québec de petites étiquettes, de petits règlements, de classifications sans fin, un Québec de majorité et de minorité, de statistiques et de pourcentages où les individus ou les humains comptent de moins en moins, le Québec de la collectivité et de la minorité ou bien est-ce que ce sera un Québec confiant en lui-même qui saura profiter des ouvertures et de l’essor que lui offre l’appartenance à un grand pays qu’est le Canada, un Québec de libertés individuelles, un Québec de tolérance, un Québec fort au sein du Canada? Eh bien, c’est ce Québec, moi, que je cherche et je ne vois aucune contradiction en étant un fier Québécois et un fier Canadien. C’est ce que je souhaite ardemment.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci. M. le député de Taschereau.
M. Richard Guay
M. Guay: Merci, M. le Président. Au risque de déplaire au député qui m’a précédé, nous allons effectivement continuer à parler de constitution parce que cela a une importance fondamentale pour l’avenir du peuple québécois.
Cela fait, en effet, des années que les gouvernements successifs du Québec, reflétant en cela la volonté réelle du peuple québécois, ont cherché à obtenir un nouvel accord constitutionnel qui donnerait au Québec davantage de pouvoirs et d’autonomie que les autres provinces n’en ont ou n’en veulent, d’ailleurs. Il s’est agi là d’une démarche tout à fait naturelle. Elle provient de la perception qu’ont les Québécois de constituer un peuple et de la nécessité pour le seul gouvernement contrôlé par ce peuple et tout entièrement voué à la défense de ses intérêts de jouir du maximum de ressources financières et légales pour la protection de notre personnalité française en Amérique et la croissance de notre économie.
La confiance qu’une majorité de Québécois ont eue en la possibilité de trouver à l’intérieur du Canada fédéral un statut particulier respectant notre situation particulière a été définitivement compromise, toutefois, par les récents événements d’Ottawa. C’est le Québec – faut-il le rappeler – qui provoqua il y a une vingtaine d’années la ronde contemporaine des pourparlers constitutionnels. Dès son élection à la tête du gouvernement du Québec en 1960, le premier ministre Jean Lesage
400
présentait à une conférence fédérale-provinciale une proposition de rapatriement de la constitution impliquant le retrait du gouvernement fédéral des plans conjoints, ainsi que des pouvoirs accrus pour le Québec. Inutile de vous dire, M. le Président, que cette proposition n’a pas eu de suite.
Mais tout comme son prédécesseur, Maurice Duplessis, les initiatives de M. Lesage visaient un but précis, Écoutons-le à Sainte-Foy le 14 décembre 1965: « Pour répondre aux voeux de notre population, déclare M. Lesage, nous chercherons à obtenir tous les pouvoirs nécessaires à notre affirmation économique, sociale et politique. C’est là un objectif logique, sain et positif. Dans la mesure où d’autres provinces, pour des raisons tout à fait acceptables, n’ont pas besoin de se fixer le même objectif – et il semble bien que ce sera le cas – le Québec verra, par rapport à lui, son statut se différencier davantage. »
Daniel Johnson continue dans la même veine, fcoutons-le, dans le mémoire qu’il dépose à la conférence sur la fiscalité, en septembre 1966, quelques mois, lui aussi, après avoir été élu premier ministre du Québec, lorsqu’il affirme son intention: « De faire reconnaître juridiquement et politiquement la nation canadienne-française, entre autres moyens, par l’élaboration d’une nouvelle constitution qui reconnaisse dans notre pays les droits collectifs égaux aux Canadiens de langue française et aux Canadiens de langue anglaise et qui confie au Québec toutes les compétences nécessaires à la sauvegarde de l’identité québécoise. »
M. Bourassa a continué dans la même veine avec ses batailles, notamment dans le domaine des communications, se heurtant, comme le présent gouvernement d’ailleurs, à ce même mur de béton qui, depuis 20 ans, bloque les aspirations du Québec et tout particulièrement depuis l’avènement au pouvoir, à Ottawa, de Pierre Trudeau.
Or, ce qui s’est passé le 5 novembre dernier – lorsque le Canada anglais et les dix gouvernements se sont entendus, l’entente qui a été signée à l’exclusion du Québec – est très claire. Un journaliste de The Gazette, Graham Fraser, un excellent observateur de la scène politique québécoise, ne s’y est pas trompé lorsqu’il écrivait, deux jours plus tard: « On that date – le 5 novembre -Canada’s ten other Governments, nine provincial and the federal, made it clear that from now on, constitutionally, there is no special deal for Québec. Québec, they said with one voice, is and will remain a province like the others. »
Je traduis, M. le Président: « Ce jour-là, le 5 novembre dernier, les dix autres gouvernements du Canada, neuf provinces et le fédéral, établirent clairement que dorénavant, il n’est pas question d’une entente particulière pour le Québec. Le Québec, ont-ils affirmé d’une seule voix, est et demeurera une province comme les autres. »
Une voix: Jamais.
M. Guay:Le même journaliste ajoute, et je traduis: « Les énergies qui ont été consacrées afin de réclamer plus de pouvoirs pour le Québec à l’intérieur de la Confédération, les diverses politiques et slogans qui en ont découlé et les études proposant la reconnaissance constitutionnelle du dualisme canadien, un statut spécial pour le Québec, la souveraineté culturelle, le fédéralisme renouvelé, le rapport Pepin-Robarts, le livre beige du Parti libéral du Québec, tout cela est devenu soudainement, brutalement sans aucune importance. »
Bref, le Québec, qui a provoqué ce débat il y a 20 ans pour accroître ses pouvoirs, se retrouve, 20 ans et cinq gouvernements plus tard, face à un accord du Canada anglais pour diminuer ces pouvoirs. Aucun gouvernement du Québec, je dirais même aucun membre de cette Assemblée nationale n’a de mandat pour accepter une telle diminution et nous ne l’accepterons pas. L’accord conclu par le Canada anglais dans le dos du Québec met, en tout cas, un terme, un point final aux espoirs de tous ceux qui, à un moment ou à un autre – et ils sont nombreux de ce côté-ci de la Chambre autant que de l’autre – ont cru possible que le fédéralisme canadien soit suffisamment souple pour y accueillir un Québec distinct, ayant des besoins et des aspirations qui lui soient propres et auxquels le système puisse répondre généreusement.
Après l’entente conclue par le Canada anglais, écrit toujours Graham Fraser dans The Gazette: « Le Québec a perdu, dit-il, un rêve d’une spécificité constitutionnellement reconnue; le rêve d’un Québec plus fort à l’intérieur de la Confédération, le rêve d’un Canada à deux. Si le Canada anglais peut désormais se passer d’une manière aussi cavalière de l’opinion et de l’accord du peuple québécois, celui-ci devra donc en tirer les conséquences. Pour ceux et celles, nombreux et nombreuses, qui ont honnêtement cru à la dualité canadienne et à la possibilité pour le Québec de s’épanouir pleinement, en toute liberté et en toute égalité, à l’intérieur du régime fédéral canadien, le comportement du Canada anglais constitue une gifle à leur bonne foi. Il illustre de manière dramatique que cette dualité n’existe pas et qu’à moins de prendre nos affaires en main, notre avenir est désormais à la merci de gens qui se moquent de nous. D’autant qu’il devient plus clair, à chaque jour, que l’entente conclue constitue un marchandage odieux, de la part de Pierre Trudeau et de Bill Davis, premier ministre
401
de l’Ontario, « premier of Ontario », pour mettre le Québec au pas, en ce sens que si le Québec n’a pas réussi à obtenir un statut particulier qui lui donnerait plus de pouvoir, il jouit néanmoins d’un statut très spécial a l’intérieur du Canada. » (21 h 30)
On savait déjà que M. Davis avait mis comme condition à son appui au projet d’Ottawa, que l’Ontario ne soit pas astreint à l’article 133 de la constitution qui impose le bilinguisme au Québec, malgré le fait que la plus importante minorité française au Canada soit en Ontario. Mais dans une lettre dont les journaux font état aujourd’hui, et qui n’était pas destinée, on s’en doute, à être rendue publique, M. Davis n’essaie même pas de camoufler le véritable fond de la manoeuvre canadienne anqlaise.
Je cite la lettre du premier ministre de l’Ontario, M. Bill Davis, qui écrit à une de ses commettantes: « Je tiens à vous assurer que nous sommes opposés à l’imposition du bilinguisme dans les institutions provinciales de l’Ontario, telles les législatures, les tribunaux et les autres institutions. » Il ajoute: « Par contre, en ce qui a trait à la loi 101 du Québec, si l’article 23 de la charte fédérale devient loi, les sections LXXII et LXXIII de la loi 101 seront inconstitutionnelles. » Note, en passant, au député de D’Arcy McGee qui semble prétendre le contraire. « De ce fait, poursuit M. Davis, les anglophones de l’Ontario qui seront citoyens canadiens et qui déménageront au Québec pourront faire éduquer leurs enfants en anglais s’ils demeurent dans une région où le nombre le justifie. » M. Davis ajoute: « Nous nous sommes inquiétés – pauvre lui, à Toronto – au cours des dernières années, en voyant les gouvernements libéral et séparatiste de la province de Québec, prendre des mesures pour limiter l’accès à l’éducation en anglais aux niveaux primaire et secondaire aux citoyens anglophones qui déménageaient dans cette province. » Ils se sont inquiétés. « Mais, poursuit M. Davis, nous avons aussi pris une position ferme pour faire valoir que cela serait nuisible si la nouvelle constitution contenait des clauses imposant le bilinguisme institutionnel à l’Ontario ou à toute autre partie du Canada. »
En d’autres mots, pour ceux qui, parmi les Québécois, ont cru au Canada à deux, voilà la version ontarienne, la vision ontarienne du Canada. Un Canada, « a British country », avec une province bilingue, mais attention, pas trop bilingue, pourvu que les droits des anglophones soient reconnus. Là, le Québec a un statut particulier, un statut très particulier, et il est seul à l’avoir, dans l’esprit de M. Davis. C’est très édifiant de voir ce que M. Trudeau a conclu avec M. Davis, dans le dos du Québec. Et voilà le Canada anglais, dévoilé dans toute sa tristesse.
Il est curieux de voir quand même que le gouvernement d’Ottawa ne s’est jamais préoccupé du sort des minorités françaises depuis le début de la Confédération, malgré les règlements et les lois des autres provinces carrément racistes qui ont assimilé ces minorités. Jamais le gouvernement d’Ottawa ne s’est préoccupé de cela. Sauf le jour où la majorité française du Québec a levé la tête pour affirmer ses droits, ici au Québec, et chercher à préciser, en toute équité, les droits de notre minorité anglaise. Ce jour-là, avec la loi 22, puis avec la loi 101, Ottawa s’est préoccupé, comme par hasard. Cela a conduit à l’accord du 5 novembre dernier qui non seulement attaque la loi 101, mais rendrait désormais le Québec à la merci de tout changement constitutionnel décidé par le Canada anglais. S’il y en a qui pensent que le Canada anglais ne s’entendait pas sur le dos du Québec, le 5 novembre dernier, cela constitue un cinglant démenti. Ils se sont entendus ce jour-là, ils peuvent s’entendre de nouveau sur le dos du Québec.
En ce sens, M. le Président, le Québec a là aussi un statut très particulier aux yeux du reste du Canada, le statut d’une société qu’il faut mettre au pas, parce qu’elle dérange.
Mon collègue de Vanier, tout à l’heure, a évoqué l’autre statut particulier dont jouit le Québec et dont Marc Lalonde a été l’instigateur. Là encore, le Québec jouit d’un statut très particulier à l’intérieur du Canada, au point qu’on dit à la RCMP: Considérez le Québec comme un pays étranger et hostile au Canada. En effet, dans tout cela, le plus désolant, c’est sans doute le fait que ce sont des francophones à Ottawa qui cherchent à se faire valoir aux yeux du Canada anglais en faisant sa sale besogne. C’est Pierre Trudeau, Jean Chrétien et Marc Lalonde qui cherchent ainsi à livrer le Québec pieds et poings liés et à le tromper perfidement. « Livrer, tromper perfidement », c’est la définition que le dictionnaire Larousse donne au verbe « trahir ». En ce sens, parce qu’il est la seule province à être représentée à Ottawa par des gens qui le trahissent plutôt que de défendre ses intérêts, Québec a un statut combien particulier, mais dont il se passerait bien volontiers.
Il y a plus. Avez-vous déjà entendu le premier ministre d’Ottawa aller dans une capitale provinciale et prononcer un discours tournant en ridicule le premier ministre de cette province, même s’il n’était pas de son parti politique? La chose aurait été absolument impensable, un manquement grossier aux règles les plus élémentaires de la civilité. Pourtant, l’ancien premier ministre du Québec, M. Bourassa, a dû subir une telle humiliation de Pierre Trudeau qui
402
vint à Québec le traiter publiquement de « mangeur de hot dogs » ou quelque chose du genre. Pourtant, M. Bourassa était du même parti que M. Trudeau. Là encore, le Québec a un statut bien particulier. Aurait-il été pensable une seule seconde que les députés ontariens à Ottawa annoncent qu’ils allaient supplanter désormais leurs collègues libéraux à l’Assemblée législative de Toronto et s’occuper de l’Opposition au gouvernement ontarien? La chose aurait fait scandale. Pourtant, sans doute parce qu’ils ne réussissent pas à s’acquitter de leur tâche qui est celle de défendre les intérêts du Québec à Ottawa, c’est ce que les 73 libéraux que le Québec élit automatiquement là-bas ont décidé de faire récemment pour remplacer l’Opposition officielle à Québec, un désaveu, une mise en tutelle, un mépris qui ne se fait qu’au Québec grâce à son statut très particulier.
Imagine-t-on le premier ministre d’Ottawa se rendre à Toronto pour dire que désormais, six mois à peine après l’élection d’un nouveau gouvernement ontarien, il ne reconnaissait plus aucune légitimité à ce gouvernement et qu’en ce qui a trait à l’Ontario il n’écouterait plus désormais que ses propres députés élus à Ottawa? On aurait conclu que M. Trudeau était atteint gravement, que son hospitalisation était urgente, bref, que le pauvre homme divaguait. Pourtant, M. Trudeau a décidé avec un mépris invraisemblable qu’il ne reconnaissait plus le gouvernement élu par les Québécois, il y a à peine six mois, parce qu’il n’aime pas ce gouvernement et que désormais, en ce qui a trait au Québec, il n’écouterait que ses 73 libéraux élus automatiquement à Ottawa.
Disons tout de suite que M. Trudeau ne sera pas dérangé très souvent, si on se fie à la triste performance des 73 anonymes à Ottawa. D’ailleurs, M. Trudeau a conçu mentalement un beau système. Le ministre des Communications en faisait mention tantôt: D’une part, ses 73 collègues parlent à la place du gouvernement du Québec; d’autre part, les mêmes 73 parlent à la place de l’Opposition officielle élue à Québec. Or, comme ils ne parlent pas de toute façon, lorsqu’il s’agit de défendre nos droits, M. Trudeau peut dormir tranquille. Il ne vient plus aucun bruit du Québec. Cela lui permet de se reposer sans remords de conscience de la trahison qu’il cherche à perpétrer avec le reste du Canada anglais.
Beau statut particulier que nous avons. Il nous assure à coup sûr de toujours sortir perdants. Mais le mépris n’a qu’un temps et, face à l’arrogance, au mépris de Pierre Trudeau à l’endroit des Québécois et du choix qu’ils ont fait le 13 avril dernier, je veux, en leur nom, si vous me le permettez, soulever en quelque sorte une question collective de privilège. Nous sommes toujours en régime fédéral que M. Trudeau chérit. Ce régime implique deux niveaux de gouvernement; que cela plaise ou non à M. Trudeau, il y a à Québec une Assemblée nationale et un gouvernement élu plus récemment que le sien. Pour citer l’éditorialiste du Soleil, Marcel Pépin: « Personne, y compris M. Trudeau, n’a le mandat de se substituer au gouvernement légitime et légal du Québec. » M. Pépin, du Soleil, poursuit: « II est permis de contester ses décisions – celles du gouvernement du Québec – de blâmer son option, de s’opposer à ses objectifs, mais il est inadmissible de ne point reconnaître la légitimité de ses actes. Une telle attitude entraîne forcément, dit M. Pépin, une contrepartie. S’il devient légal et légitime d’ignorer les objections du gouvernement du Québec en matière constitutionnelle, sous prétexte que les seuls véritables Québécois siègent à Ottawa, il faudrait qu’il soit aussi légal et légitime d’ignorer certaines décisions fédérales en matière de relations internationales, par exemple, sous prétexte que l’opinion véritable des Québécois s’exprime à Québec plutôt qu’à Ottawa. » (21 h 40)
Quoi qu’il en soit, M. le Président, on a vu qu’avec l’entente négociée par le Canada anglais le 5 novembre dernier, tout espoir de statut particulier pour le Québec est définitivement chose du passé. Il devient de la première importance que l’autre statut particulier du Québec devienne également chose du passé, ce statut de société surveillée, de société exploitée, de société humiliée. La motion du premier ministre affirme les conditions suivant lesquelles le Québec pourrait accepter une entente avec le reste du Canada dans le contexte actuel. Il doit être bien clair qu’en deçà de ces conditions, nous trahirions à notre tour le Québec, son passé, son présent et son avenir si nous consentions à une diminution des pouvoirs de ce Parlement-ci et à une situation où le Québec serait désormais à la merci de la majorité anqlaise.
Il y a suffisamment des nôtres qui, hélas, trahissent le Québec ailleurs; nous ne trahirons pas l’héritage que des générations de nos prédécesseurs nous ont légué et qu’il est de notre devoir de transmettre intact aux générations à venir.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Pierre-J. Paradis
M. Paradis:M. le Président, c’est la deuxième fois, en moins d’une semaine, que je me lève en cette Chambre et qu’il me faut parler de constitution. Je crains que mes électeurs, tout comme les vôtres, M. le Président, qui nous écoutent et qui sont aux
403
prises avec des problèmes économiques qui s’aggravent de jour en jour et qui deviennent insupportables à la suite de chacune des interventions du ministre des Finances, ne nous blâment pour le sujet que nous choisissons. Je tiens à indiquer à l’ensemble de la population que le menu de cette Chambre, l’ordre du jour, est préparé par le gouvernement et que ce dernier préfère parler de constitution plutôt que de parler d’administration publique, ou plutôt, devrais-je dire, de mauvaise administration publique.
C’est ce gouvernement qui préfère nous parler de constitution et ça le sert bien pour cacher ses dossiers de la SHQ, des fêtes nationales, de limousines et d’avions et même de cinéma québécois. Il préfère parler de constitution plutôt que de parler des coupures qui affectent les plus démunis de notre société, dans le domaine des services sociaux, dans les domaines de l’éducation, de l’agriculture, des transports, il s’agirait d’énumérer chacun des ministères, ce sont ces coupures qui font mal aux plus démunis de notre société. Ce gouvernement préfère parler de constitution plutôt que de parler de trous dans le budget, trous qu’il transfère à chacun des contribuables québécois par le biais de taxes directes, mais plus souvent indirectes. C’est un autre signe de transparence! Des taxes indirectes sur le chèque de paie de chacun des travailleurs québécois, des taxes indirectes sur les compteurs d’électricité, des taxes indirectes sur la pompe à essence, des taxes indirectes sur la boisson, dans tous les domaines.
Je sais que notre règlement m’oblige présentement à parler sur la motion qui est devant nous, donc à parler de constitution. Je m’y conforme, M. le Président, mais je profite de l’occasion pour dire à chacun des citoyens du Québec que, pour le Parti libéral, un Québec fort, ça commence par des citoyens et des citoyennes économiquement forts; pour le Parti libéral du Québec, un Québec économiquement fort, ça conduit à un Québec constitutionnellement fort.
Mais ce n’est pas ce que nous avons vécu au cours du dernier mandat du Parti québécois. Ce que nous avons vécu, c’est l’affaiblissement économique. Ce qu’on a semé au Parti québécois, durant ce premier mandat, c’est du chômage, ce sont des coupures, ce sont des trous. Que récolte-t-on aujourd’hui après avoir semé cette moisson économique si faible? On a une récolte constitutionnelle qui est la plus faible de l’histoire du Québec, un Québec qui est aujourd’hui isolé, comme se plaisent à nous le rappeler nos amis d’en face, à dix contre un. C’était la semaine dernière, dix contre un. Aujourd’hui, on retrouve le Québec à dix contre un, plus les femmes, plus les autochtones qui sont passés dans le camp de celui qu’on a qualifié de négociateur intransigeant, inflexible, intraitable.
Mais qu’est-il arrivé depuis que le Québec a plié bagage, est revenu en larmoyant et a rompu à tout jamais, s’il faut se fier aux porte-parole d’en face, les négociations constitutionnelles? Qu’ont fait les autres partis qui se sentaient lésés par cette négociation? Qu’ont fait les femmes canadiennes? Qu’ont fait les autochtones? Au lieu de se replier dans des sentiments négatifs, au lieu de larmoyer sur leur sort, ils sont demeurés à Ottawa et ils ont eux aussi, après les neuf premiers ministres des autres provinces, réussi à obtenir, à se bâtir une place qu’ils méritent, une place qui leur revient et une place où ils se sentent confortables dans cette nouvelle constitution canadienne que tous les Canadiens et Canadiennes, tous les Québécois et Québécoises, tous les hommes, toutes les femmes, tous les autochtones de ce pays sont à construire.
Aujourd’hui, on retrouve un Québec isolé; ce n’est plus un Québec que l’on retrouve, c’est un Québec qui a soif de retourner négocier. Cela, nos amis d’en face le savent, mais l’heure de la vérité approche. L’heure de la vérité approche et s’ils refusent à l’ensemble des Québécois cette démarche tellement souhaitée, quel choix ont-ils? Continuer à gouverner dans un nouveau Canada sous une nouvelle constitution qu’ils auront refusé de négocier ou déclencher des élections? Des élections référendaires? Est-ce qu’ils en auront le courage? Auront-ils suffisamment de transparence pour finalement dire au peuple Québécois: Nous, notre option, ce n’est pas une nouvelle constitution canadienne négociée de bonne foi. Nous, notre option, c’est purement et strictement l’indépendance du Québec, et il n’est pas question pour nous, malgré que vous nous l’ayez énoncé clairement à l’occasion du référendum de mai 1980, que nous retournions négocier à Ottawa.
M. le Président, les électeurs de Brome-Missisquoi, comme vos électeurs, comme les électeurs de mes amis d’en face, nous ont tous envoyés ici pour contribuer à bâtir un Québec plus fort dans un Canada uni. J’entends des raillleries de l’autre côté de la Chambre. Ces qens-là viennent d’être élus, démocratiquement élus…
M. Tremblay: Question de privilège.
M. le Président, j’étais présent et nous écoutions tous sans dire un mot, sans railler, je me demande ce que cela vient faire.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît!
M. le député de Brome-Missisquoi. (21 h 50)
M. Paradis: Je vais changer mon terme. Je n’aurais pas dû utiliser railler, mais
404
brailler, M. le Président.
M. Dussault:Question de privilège.
M. le Président, je pense que le député libéral qui vient de faire la dernière remarque n’a aucun respect des membres de cette Assemblée, nous ne l’avons dérangé d’aucune façon, il ne peut pas se permettre cela.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît!
M. Paradis:M. le Président, vous l’avez entendu comme moi, ce sont des députés qui peut-être avaient raison de se lever parce qu’eux n’avaient pas raillé; je visais strictement le député de Rosemont.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Rosemont.
M. Paquette:M. le Président, les propos du député m’intéressent tellement que je suis en train de signer mes cartes de Noël.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît, à l’ordre! S’il vous plaît! S’il vous plaît, à l’ordre!
M. le député de Brome-Missisquoi.
M. Paradis:M. le Président, il y en avait certainement onze dans le Parti québécois qui devaient être en train de signer des cartes de Noël lorsqu’ils ont voté pour le dernier budget qu’ils ont ensuite dénoncé. J’ose croire que, lorsque le vote sur leur prochain budget arrivera, ils auront fini de signer les cartes de Noël et qu’ils voteront contre.
Une voix: Ils en seront aux oeufs de Pâques!
M. Paradis:De toute façon, il faut en revenir à notre sujet, et je vous disais que les électeurs de Brome-Missisquoi comme vos électeurs, comme les électeurs de mes collègues d’en face, nous ont envoyés ici pour construire un Québec fort dans un Canada uni. Ceux qui n’ont pas cette conviction auraient dû au moins avoir le courage, à l’occasion de l’élection du 13 avril 1981, de ne pas mettre leur option en veilleuse, leur option constitutionnelle, et de solliciter strictement un mandat pour administrer la province de Québec. Ce qu’ils ont fait ces gens-là, M. le Président, c’est qu’ils ont dit aux Québécois et aux Québécoises qui les ont élus ici: Au niveau de l’option constitutionnelle de notre parti qui est la séparation, nous mettons cela de côté. Nous avons bel et bien compris, en enfants sages, le message que vous nous avez si fortement exprimé à l’occasion du référendum et nous nous engageons a gouverner le Québec dans le cadre d’un régime fédéral canadien.
Aujourd’hui… je ne devrais pas dire aujourd’hui… À peine trois jours après cette élection où il fallait rester fort, le premier ministre du Québec, le 16 avril 1981, a abondonné le droit de veto dans le but -comme l’a indiqué mon collègue de Marguerite-Bourgeoys – de franchir un pas de plus dans cet étapisme de la séparation.
Mais mes électeurs, vos électeurs, M. le Président, l’ensemble des électeurs du Québec en ont soupé de cet étapisme. Les électeurs de l’ensemble du Québec ne nous ont pas envoyés ici strictement pour que l’on se répète, année après année, mois après mois, jour après jour, les mêmes arguments qui, sur le plan constitutionnel, opposent les formations politigues que l’on représente. Les gens connaissent ces arguments. Les gens nous ont tous envoyés ici pour aller négocier une place enviable pour le Québec dans le cadre de la nouvelle constitution canadienne. C’est la raison pour laquelle ils nous ont envoyés ici. Ils seraient fiers de nous si nous déléguions présentement à Ottawa une équipe bipartite, une équipe composée de représentants des deux partis qui s’assureraient que le Québec ait sa place dans cette nouvelle constitution canadienne et que, pendant ce temps, les autres députés resteraient dans cette Assemblée nationale du Québec pour défendre les intérêts économiques de chacun de nos commettants, pour défendre ce qui reste de l’économie québécoise, pour défendre au ministre des Finances de les surtaxer d’une façon directe et indirecte.
Lorsque vous retournez dans votre comté – je sais que vous le faites toutes les fins de semaine comme plusieurs d’entre nous – et que vous rencontrez les gens à vos bureaux de comté, n’avez-vous pas l’impression de vous retrouver dans un tout autre monde que celui de cette Assemblée nationale qui, finalement, est supposée représenter les aspirations des Québécois? Combien de personnes à votre bureau de comté, en fin de semaine, vous ont-elles parlé de problèmes constitutionnels? Combien de personnes sont-elles allées vous dire de venir en Chambre ici, cette semaine, et de vous opposer au rapatriement de la constitution?
M. le Président, je vous soumets respectueusement que les Québécois et les Québécoises francophones, anglophones ou d’origine ethnique qui nous parlent de constitution nous disent: Renvoyez donc le gouvernement négocier et, pendant ce temps, restez en Chambre pour discuter de nos problèmes économiques et pour apporter des solutions à ces problèmes. C’est ce que les gens nous disent dans nos bureaux de comté. Est-ce qu’on a conscience de bien
405
représenter ces gens, de l’autre côté de la Chambre, lorsqu’on donne son accord à la préparation du genre de menu que l’on retrouve année après année, mois après mois, jour après jour, et qui nous force, nous de l’Opposition, à parler strictement de constitution? Est-ce qu’on a l’impression de représenter fidèlement ceux qui nous ont élus ici? À combien de vos concitoyens, avez-vous demandé de l’autre côté de la Chambre, à l’occasion de la dernière élection, un mandat pour parler, 100% du temps, strictement de la séparation du Québec? Combien d’entre vous ont eu cette franchise-là?
N’avez-vous pas plutôt été auprès de vos électeurs pour leur offrir votre collaboration pour régler des problèmes économiques, des problèmes sociaux et, également, pour faire valoir les droits du Québec au point de vue constitutionnel? Pourquoi occuper 98% du précieux temps de cette Assemblée à nous faire répéter et rerépéter et rererépéter les mêmes arguments que la population qui nous écoute connaît déjà? La sauce varie un peu, elle varie légèrement…
Une voix: Tu n’as qu’à t’asseoir.
Le Vice-Président (M. Jolivet): À l’ordre, s’il vous plaît!
M. Paradis:M. le Président, le député de Rosemont braille encore. Si on nous force à parler de ça, on en profite en même temps pour rappeler ces gens à l’ordre. Et si ces gens ne sont pas encore prêts à discuter des problèmes économiques et des problèmes sociaux de la population, c’est parce qu’on ne leur a pas répété encore assez souvent. Je n’ai pas l’intention de m’asseoir, mais j’ai l’intention de leur en parler jusqu’à ce qu’ils comprennent ce que leurs électeurs veulent et ce qu’on veut, nous, du Parti libéral du Québec.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Brome-Missiquoi, je ne voulais pas vous interrompre, mais comme on approche 22 heures et que nous avons des obligations qui sont prévues par le règlement, je voudrais savoir si vous allez avoir terminé pour 22 heures.
M. Paradis:Oui, M. le Président. J’ose croire, que de l’autre côté ce la Chambre, pour ceux qui auraient encore des doutes, ils retourneront dans leur comté en fin de semaine et y vérifieront la véracité des propos tenus par le député de Brome-Missisquoi. On pourra revenir dans cette Chambre, pour le mois de décembre, qui est une période de travail intensive et on pourra finalement s’attaquer tous ensemble aux véritables problèmes des Québécois, pendant que – s’il a compris également le message de l’ensemble de la population – notre premier ministre retournera à Ottawa pour négocier -cette fois-ci, on l’espère – de bonne foi, une place enviable pour le Québec dans la nouvelle constitution canadienne.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du gouvernement.
M. Bertrand:M. le Président, je voudrais d’abord, dans un premier temps, demander l’ajournement du débat au nom du ministre d’État au Développement culturel, le député de Sauvé. (22 heures)
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion d’ajournement du débat est-elle adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.
M. Bertrand:Et, M. le Président, je crois que nous avons ce soir deux minidébats. Je voudrais tout de suite indiquer que le ministre des Finances, de retour de la conférence fédérale-provinciale d’Halifax sur les accords fiscaux, sera en mesure ce soir de participer au mini-débat, en remplacement du ministre d’État au Développement économique puis que, de toute façon, la question lui était adressée. Nous attendons toujours l’arrivée du ministre de l’Agriculture et député de Lévis qui aura grand plaisir à participer au mini-débat sur la question soulevée par le député de Brome-Missisquoi.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du gouvernement, simplement pour les besoins de la cause, compte tenu que vous avez déjà fait une intervention sur le débat, malheureusement il faudrait qu’une autre personne, au nom du ministre, fasse la demande.
M. Chevrette:Je vais le faire. Je vais vous demander l’ajournement au nom de M. Jacques-Yvan Morin, ministre d’État au Développement culturel et député de Sauvé.
De plus, j’ai reçu une communication du député de Lévis et ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. Si jamais le mini-débat entre le député de Gatineau et le ministre des Finances devait s’achever avant son arrivée, je pense qu’on peut avoir le consentement pour suspendre les travaux quelques minutes avant l’arrivée du député de Lévis. Il est en route directement de Sainte-Marie-de-Beauce, non pas en avion, mais en auto.