Québec, Assemblée Nationale, « Reprise du débat sur la motion déterminant les conditions sans lesquelles le Québec ne peut accepter le rapatriement de la constitution » (30 novembre 1981)


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Date: 1980-11-30
Par: Québec, Assemblée Nationale (Québec)
Citation: Québec, Assemblée nationale, Journal de Débats, 32nd Lég., 3rd Sess, 1981, pp. 556-591.
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Reprise du débat sur la motion déterminant les conditions sans lesquelles le Québec ne peut accepter le rapatriement de la constitution

Le Vice-Président (M. Rancourt): Reprise du débat sur la motion de M. Lévesque, premier ministre, député de Taillon. M. Chevrette, au nom du ministre de la Justice avait demandé l’ajournement. Donc, M. le ministre de la Justice.

M. Marc-André Bédard

M. Bédard:M. le Président, face aux événements constitutionnels que nous vivons, je ne voudrais pas aujourd’hui écrire ce que sera le jugement définitif de l’histoire, mais je sais que la population du Québec se trouve devant une situation qu’elle n’avait jamais cru possible. Alors que les partis d’Opposition, à Ottawa, sont disposés à donner suite à une revendication

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fondamentale du Québec, à savoir le droit de retrait avec compensation financière obligatoire, ceux qui résistent et qui refusent d’accepter cette revendication du Québec, ce sont les députés du Québec à Ottawa, c’est-à-dire ceux et celles qui prétendent représenter les intérêts du Québec. Autrement dit, au Parlement fédéral, les exigences du Québec, les droits du Québec sont mieux défendus par les partis d’Opposition que par les soi-disant représentants du Québec à Ottawa. (17 h 10)

Pendant ce temps, ici, à l’Assemblée nationale, l’Opposition libérale, aveuglée par la partisanerie et la haine de l’adversaire politique, l’Opposition libérale, dis-je, s’apprête à voter contre une résolution du gouvernement qui exprime les exigences minimales, mais fondamentales, dont le peuple du Québec est en droit d’exiger le respect. Plus que cela, l’Opposition officielle du Québec, l’Opposition libérale, fait savoir à Ottawa qu’elle se contenterait de moins que ce qui est exigé par le gouvernement du Québec. Qui aurait cru possible que le Parti libéral en soit rendu là, après l’engagement de son chef d’effectuer un virage nationaliste proquébécois après le résultat du 13 avril dernier? Qui aurait cru possible, M. le Président, puisque c’est le cas, que les vrais droits de veto contre les intérêts du Québec, ce sont des hommes comme Pierre Elliott Trudeau, Jean Chrétien et tous les députés du Québec, libéraux serviles, que la population a élus à Ottawa pour défendre les intérêts du Québec? Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce sont des francophones qui sont les adversaires les plus agressifs à l’endroit des demandes minimales, mais fondamentales, du Québec au point de vue constitutionnel.

Je crois, M. le Président, qu’on peut dire que les masques tombent véritablement et qu’enfin la population est à même de voir les vrais visages de tout ce beau monde, les vrais visages et les vraies intentions des dirigeants du Parti libéral, tant fédéral que provincial, lorsqu’il s’agit de la défense des intérêts du Québec. Malgré les efforts de l’Opposition officielle pour faire croire le contraire, la motion que nous étudions aujourd’hui s’inscrit dans la lignée de celle qu’adoptait l’Assemblée nationale il y a quelques semaines à peine. Elle reprend les principes de base que l’on retrouve dans l’entente que le premier ministre du Québec, qui a respecté sa parole, signait avec sept autres premiers ministres provinciaux le 16 avril dernier. C’est cette entente, M. le Président, que les premiers ministres des provinces anglophones ont déchirée dans le dos du Québec.

Au cours de ce débat, l’Opposition libérale s’est bien gardée de rappeler ces signatures qui ont été reniées. Au contraire, les libéraux provinciaux se sont acharnés à minimiser les efforts de bonne foi qui ont été faits par le premier ministre du Québec pour en arriver à une entente; pas n’importe quelle sorte d’entente, une entente dans la dignité et le respect des droits du Québec.

Tout au long de ce débat, l’Opposition officielle a employé toutes ses énergies à décortiquer et à essayer de dévaloriser les moindres gestes posés par le gouvernement du Québec au cours de ces négociations. Mais je crois sincèrement que l’Opposition officielle n’a trompé personne avec cette attitude qui lui était dictée uniquement, encore une fois, par la partisanerie et la haine de l’adversaire politique.

Lors du référendum, M. le Président, plusieurs de ces premiers ministres qui ont signé sont venus visiter le Québec et déjà, à ce moment-là, lors du référendum, un fort pourcentage des Québécois et des Québécoises savaient que leur parole donnée, leurs promesses, ne valaient rien. Ils ont voté en conséquence. Aujourd’hui – c’était le temps qu’on le sache – toute la population du Québec sait que même les signatures de ces premiers ministres ne valent rien.

Au-delà de cette trahison, M. le Président, et avec quelques semaines de recul, il me semble maintenant que ce qui s’est passé illustre bien la réalité canadienne. C’est l’aboutissement de l’histoire du Québec et la répétition, avec de légères variantes, d’épisodes où d’autres gouvernements qui nous ont précédés se sont retrouvés isolés face au Canada anglais, que ce soit les gouvernements de MM. Lesage, Johnson ou Bourassa.

Cette motion sur laquelle nous aurons à voter demande la reconnaissance de l’égalité des deux peuples fondateurs. Cet ajout était nécessaire puisgue auparavant nous prenions cette dualité comme étant une chose acguise alors que le dénouement de la conférence a clairement illustré la négation de cette réalité fondamentale pour le peuple québécois. Ayant été ignorée, il est maintenant nécessaire que cette égalité soit clairement exprimée.

Cette motion réaffirme ensuite notre désir de protéger les pouvoirs de l’Assemblée nationale dans les domaines de sa compétence face à l’intention du fédéral d’inclure dans son projet des éléments qui auront des conséquences certaines et importantes sur la compétence du Québec d’adopter ses propres lois. Je rappellerai simplement que la Cour suprême a confirmé l’opinion qu’émettaient les juristes experts du gouvernement du Québec concernant l’effet du projet fédéral sur la validité de nos lois, de nos règlements et de nos directives. De plus, il ne fait aucun doute que le projet fédéral ampute les droits du Québec non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans le secteur économigue. C’est bien beau

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de dire qu’on veut une charte constitutionnelle généreuse, comme le dit souvent le chef de l’Opposition, sauf qu’on oublie de dire aux Québécois que nous avons déjà une Charte des droits et libertés qui est une des plus évoluées dans l’ensemble canadien. Cette charte fédérale doit être analysée avec beaucoup de soin de manière qu’elle n’ait pas comme effet de restreindre les pouvoirs de l’Assemblée nationale. C’est ce que fait cette charte avec plusieurs des dispositions qui y sont contenues.

Enfin, la motion reprend la pierre angulaire de l’entente signée par le premier ministre du Québec et sept autres premiers ministres en avril dernier, c’est-à-dire le droit de retrait avec compensation financière obligatoire. Depuis quelque temps, j’ai entendu, comme bien d’autres, le chef du Parti libéral du Québec déclarer que le Québec avait laissé tomber son droit de veto. Sur ce point, l’Opposition répète servilement l’affirmation faite par MM. Trudeau et Chrétien qui sont manifestement heureux d’avoir trouvé un allié et un complice chez les libéraux provinciaux qui savent très bien qu’à partir du moment où un accord n’est pas respecté le droit de veto reste entier. L’Opposition devrait savoir qu’en endossant cette fausseté et bien d’autres faussetés qui sont véhiculées par les libéraux fédéraux elle contribue à diminuer la force de négociation du gouvernement du Québec. D’ailleurs – cela, l’Opposition le sait même si elle affirme le contraire – non seulement le Québec n’a pas laissé tomber son droit de veto; au contraire, il l’a renforcé en exigeant un droit de retrait avec compensation obligatoire. Cela, nos représentants du Québec, les libéraux fédéraux à Ottawa, l’ont vu rapidement. La meilleure preuve en est l’acharnement de Pierre Elliott Trudeau, et de Jean Chrétien à triturer, justement, ce droit de retrait avec compensation financière obligatoire, qui est un des éléments essentiels, de manière à lui enlever tout le sens qu’il avait au moment où nous avons signé cette entente. (17 h 20)

II faut bien comprendre que le droit de veto traditionnel du Québec est essentiellement un droit de s’opposer à ce que nos pouvoirs soient modifiés sans notre consentement. Ce droit de veto a constamment placé les gouvernements du Québec dans la difficile position de s’opposer à des changements dans la répartition des pouvoirs faits aux provinces anglophones qui désiraient légitimement centraliser davantage la constitution canadienne, alors que le Québec a constamment recherché un accroissement de ses pouvoirs.

L’observateur le moindrement attentif des conférences fédérales-provinciales sait que les autres provinces du Canada partagent toutes, à des degrés divers, une conception beaucoup plus centralisatrice du gouvernement fédéral que celle des Québécois. Pour ces provinces anglophones, le véritable gouvernement national est à Ottawa et c’est normal. Quant à nous, Québécois, le seul gouvernement que nous contrôlons est ici à Québec et notre situation en Amérique du Nord nous oblige à poursuivre son renforcement, indépendamment de nos options politiques.

Ce droit de veto pur et simple du Québec a donc empêché non seulement le système fédéral d’évoluer, mais il a aussi empêché le Québec de voir ses propres pouvoirs augmenter. Il fallait donc trouver une solution pour sortir du cercle vicieux qui nous enfermait constamment dans l’éternelle et difficile position d’empêcheurs de tourner en rond.

Nous avons donc exigé un droit de retrait avec compensation financière qui, s’il avait été accepté, aurait renforcé la notion de droit de veto traditionnel du Québec en permettant au reste du Canada de se doter d’un État fédéral selon sa conception, tout en donnant au Québec la possibilité de mettre sur pied ses propres programmes, selon ses intérêts et de conserver l’intégrité des pouvoirs qui lui sont conférés par la constitution.

Après sa visite à Ottawa, le chef de l’Opposition a semblé réaliser mieux l’importance capitale de ce droit de veto ou de ce droit de retrait avec compensation financière obligatoire qui est, en fait, un droit de veto qui s’applique aux seuls pouvoirs du Québec.

Je me permettrai, M. le Président, de donner un exemple. Au Québec, on connaît bien le secteur de la justice et les conséquences de l’application d’une forme de droit de retrait sans clause compensatoire. En effet, le Québec, qui a la responsabilité exclusive de l’administration de la justice, a décidé, comme vous le savez, de mettre sur pied son propre corps de police, la Sûreté du Québec. Par contre, les provinces anglophones, sauf l’Ontario, ont préféré s’en remettre au fédéral et utiliser chez elles les services de la Gendarmerie royale du Canada. C’est ainsi qu’à même les impôts que nous payons à Ottawa, nous les Québécois, les services policiers offerts dans ces huit provinces par la Gendarmerie royale du Canada sont financés en partie par les Québécois. Ce fait, dénoncé d’abord par Jérôme Choquette, l’ancien ministre libéral de la Justice, a privé le Québec de plus de 1 000 000 000 $, depuis 1966. La réclamation que nous adressons chaque année aux autorités fédérales est de plus de 150 000 000 $, par année. M. le Président, en 1966, si nous avions eu le droit de retrait avec compensation financière obligatoire, ce n’est pas moins de 1 000 000 000 $ de plus qu’il y aurait dans les coffres du

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gouvernement depuis 1966.

D’ailleurs, cette décision du Québec n’a jamais été mise en question par les gouvernements qui se sont succédé. La constitution, ce n’est pas seulement du papier, c’est aussi de l’économie. Un des meilleurs exemples est celui que je viens de vous donner. Si, en 1966, nous avions eu ce droit de retrait avec compensation financière obligatoire, ce n’est pas moins de 1 000 000 000 $ qu’il y aurait de plus dans les coffres du Québec et nous n’aurions pas été obligés, comme c’est le cas présentement, de continuellement nous mettre à genoux pour réclamer notre dû, une partie des impôts des Québécois, et nous aurions à ce moment-là obtenu ces sommes qui nous auraient peut-être permis, aujourd’hui, de ne pas être obligés de procéder aux restrictions budgétaires que toute la population connaît.

M. le Président, le retrait ou l' »opting-out » avec compensation financière n’est pas nouveau dans le système de relations fédérales-provinciales. En fait, des accords de cette nature ont été conclus à plusieurs reprises entre MM. Lesage et Pearson dans les années soixante, mais c’était avant l’arrivée au pouvoir de Pierre Elliott Trudeau, dont le gouvernement a refusé, par la suite, de continuer dans cette voie qui avait permis au Québec de se doter de plusieurs outils importants pour son développement social et économique.

Il faut toutefois noter que ces ententes n’ont pas permis au Québec d’acquérir des responsabilités nouvelles en termes de pouvoirs, puisqu’elles furent toutes conclues dans des domaines de juridiction provinciale. En fait, elles ont permis d’éviter un plus grand envahissement du fédéral dans des secteurs que la constitution reconnaît aux provinces. C’est en utilisant justement ce droit de retrait que fut créé notre régime de rentes, plus avantageux pour les Québécois que le régime canadien qui s’applique au reste du Canada. Cette formule permet aussi de faire évoluer notre régime de rentes à notre rythme et selon nos intérêts et nos conceptions.

Il y a quelques années, l’Assemblée nationale du Québec adoptait une loi qui permettait de diminuer le nombre d’années de cotisation des femmes qui se retirent du marché du travail pour élever leur famille de façon que leurs rentes ne soient pas diminuées lorsque viendra le temps de la retraite. Tout cela a été possible en fonction d’un droit de retrait, même si l’Ontario n’était pas d’accord. On le sait, notre régime de rentes est plus avantageux au chapitre des rentes versées aux invalides et aux veuves. Ces rentes sont effectivement plus élevées au Québec que dans le reste du Canada.

De plus, l’établissement de notre propre régime de rentes a permis de créer un outil économique important, la Caisse de dépôt et placement, qui contribue au développement économique du Québec. Plusieurs ententes semblables ont été signées à cette époque entre le Québec et le gouvernement du Canada dans le secteur social, mais jamais aucune autre entente n’a été possible depuis que Pierre Elliott Trudeau, un francophone, est premier ministre du Canada.

M. le Président, c’est là qu’on voit qu’une constitution, ce ne sont pas seulement des mots qu’on écrit, ça représente également une réalité économique. Souvent, on entend, soit le chef de l’Opposition, ici à l’Assemblée nationale, ou nos représentants du Québec à Ottawa, dire: Finissons-en avec la constitution, ensuite, on va parler d’économie. Sauf qu’ils oublient de dire à la population qu’une constitution, justement, une fois qu’elle est écrite, représente des dollars au bout du compte. Je viens de vous en donner un exemple concernant simplement un petit secteur de la justice, à savoir la Sûreté du Québec. Cela représente plus d’un milliard de dollars que les Québécois auraient en caisse au moment où je vous parle sans être obligés de se mettre à genoux. Nous avons également un autre exemple avec le régime de rentes.

Maintenant, M. le Président, si on regarde un tout petit peu en avant et sans fabuler sur les conséquences de ce que M. Trudeau veut imposer au Québec, il est fort plausible que les provinces anglophones veuillent se départir de certains pouvoirs ou programmes qu’elles administrent actuellement, particulièrement ceux où il y a un coûteux dédoublement de fonctions avec des organismes provinciaux. On serait alors dans la position où le fédéral se verrait confier une responsabilité par les provinces anglophones, et le Québec, qui voudrait conserver la sienne, serait doublement pénalisé. Comme dans le cas de la police, les Québécois devraient défrayer le coût de leurs propres services et financer ceux des autres provinces à même les impôts qu’ils paient à Ottawa.

Ainsi, par exemple, un transfert de juridiction sur les cours criminelles peut facilement coûter au Québec 50 000 000 $ s’il veut garder sa responsabilité. Un transfert concernant les prisons, si nous voulons garder notre responsabilité dans ce secteur, peut facilement représenter pour le Québec un coût de 70 000 000 $ (17 h 30)

Une constitution ce n’est pas seulement des écrits, ce sont des réalités économiques. En résumé, et je termine là-dessus, M. le Président, les avantages du droit de retrait avec compensations financières sont les suivants. Il permet au fédéralisme canadien d’évoluer en tenant compte des deux peuples fondateurs. Il permet au Québec, en exerçant

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ses pouvoirs, de mettre sur pied des programmes mieux adaptés à ses besoins spécifiques. Le droit de retrait avec compensations financières est enfin un droit de veto du Québec pour ses propres pouvoirs puisqu’il nous permet de nous opposer à un transfert vers le fédéral, tout en exigeant une compensation financière. Il est infiniment plus avantageux pour le Québec, puisqu’il nous permet d’évoluer selon nos besoins et non de nous placer dans la position de l’empêcheur de tourner en rond. Ceci est très important, vous le savez, au moment où on en discute, M. le Président.

Je terminerai en redisant qu’il est incroyable de penser, de réaliser qu’alors que le droit de retrait avec compensations financières obligatoires représente une des demandes fondamentales du Québec dans ce débat constitutionnel, ceux qui s’y opposent, ceux qui, effectivement, je le dis encore une fois, sont les vrais droits de veto contre les intérêts du Québec, ce sont nos francophones de service à Ottawa et l’Opposition libérale officielle, ici, dans cette Assemblée nationale.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Mont-Royal.

M. Rocheleau:Question de règlement, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Question de règlement, M. le député de Hull.

M. Rocheleau: Cela semble être une question très importante que nous traitons actuellement et je me rends compte que du côté ministériel on n’a pas quorum dans cette Assemblée. Je demanderais que les gens soient rappelés, s’il vous plaît.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Je vais vérifier, M. le député de Hull.

Mme Lavoie-Roux: Ils entrent. Ils ne sont pas à leur place.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Nous avons quorum.

M. le député de Mont-Royal.

M. John Ciaccia

M. Ciaccia:L’occasion de la discussion de cette motion est très bienvenue, quant à moi, dans la mesure où, une fois de plus, elle met en lumière les vraies intentions et la vraie philosophie du gouvernement en ce qui concerne non seulement ce pays et son avenir, mais aussi le Québec et ceux qui en font partie.

Je dis cela, M. le Président, parce que subitement le gouvernement redécouvre dans le débat constitutionnel, pour les besoins de sa cause séparatiste, le concept des deux peuples fondateurs.

Je dis « redécouvre » parce que alors deux questions me viennent à l’esprit, auxquelles je demanderais une réponse du gouvernement. La première question: Pourquoi le gouvernement, le premier ministre a-t-il oublié ce concept dans l’entente du 16 avril? Est-ce que les deux peuples fondateurs n’existaient pas à cette date? Qu’est-ce qui obligeait le gouvernement à signer une entente avec les sept autres provinces sans l’inclusion de ce concept des deux peuples fondateurs? Le gouvernement n’a pas donné de véritable réponse.

La deuxième question, le deuxième point sur la motion est qu’à mon sens la formulation même de ce concept, telle que contenue dans la motion, est incomplète, insatisfaisante et ne reflète nullement la réalité sociale et ethnique de ce pays.

Où sont donc les autochtones dans cette motion? Est-ce un moyen de nier à l’avance l’existence de leurs droits, comme cela s’est traduit à l’occasion des événements de Restigouche? Est-ce parce que le gouvernement n’a pas l’intention de respecter les droits des autochtones dans l’entente de la Baie-James, tel que les autochtones et leurs représentants s’en sont plaints? Il manque un élément essentiel quant à la composition de ce pays dans la motion telle que formulée par le gouvernement. À part l’absence des autochtones, dont nous parlerons plus longuement bientôt, où sont les Québécois et les Canadiens d’origine autre que française ou anglo-saxonne dans votre motion? Ne sont-ils pas des Canadiens, eux aussi? Ne sont-ils pas des Québécois? Ne travaillent-ils pas au développement et à l’enrichissement du Québec? En un mot, sont-ils de si mauvais citoyens que le gouvernement ne signale même pas leur présence dans la motion?

Enfin, la formulation de cette motion nous en dit très long sur l’estime et la considération dans lesquelles ce gouvernement tient tous nos concitoyens qui n’ont peut-être pas eu la chance d’être d’origine française ou d’origine anglo-saxonne. Dès lors, il est ironique de vouloir demander justice et équité quand il s’agit de deux catégories de citoyens et d’agir, en fait, de sorte que cette égalité ne soit pas accessible à d’autres catégories.

Ce que cette motion sous-entend par ce concept, c’est que nous avons au Québec, d’après le gouvernement, une société de privilèges et non une société de droits. C’est ce même gouvernement, qui veut supposément intégrer les communautés minoritaires au Québec qui, pour montrer sa reconnaissance, continue de les mettre à part de la population en créant spécialement pour elles un ministère des Communautés

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culturelles. Les communautés minoritaires au Québec ne veulent pas de ministère spécialisé à leur endroit; elles veulent, comme les autres citoyens du Québec, bénéficier des services de tous les ministères.

C’est à ce niveau qu’on peut voir la philosophie d’approche qui nous différencie, nous, les libéraux, des membres du gouvernement du Parti québécois. Le programme constitutionnel du Parti libéral prévoit que la nouvelle constitution affirmera l’égalité foncière des deux peuples fondateurs, oui, et des deux communautés linguistiques qui ont donné et confèrent encore à ce pays sa place originale dans la famille des peuples. Cela comprend les peuples fondateurs, mais cela comprend aussi les membres des communautés linguistiques d’autre origine que française ou anglaise.

On prévoit aussi que la constitution reconnaîtra les droits fondamentaux des peuples qui ont été les premiers habitants de ce pays et on prévoit que la constitution affirmera la richesse de l’apport culturel, économique et social fourni par les groupes ethniques et affirmera le droit de ceux-ci à la préservation et à l’épanouissement de leur héritage propre, ainsi qu’à une pleine participation à la vie et aux institutions publiques. Plus particulièrement, les institutions publiques et parapubliques des provinces et de l’État fédéral devront favoriser, dans le respect de la dualité linguistique du pays, la pleine participation des communautés ethniques et de leurs membres. Voilà l’approche ouverte du Parti libéral envers la constitution, envers ce pays et envers tous les citoyens qui font partie du pays, du Québec et du Canada.

Je voudrais qu’on me comprenne bien. Je suis absolument d’accord pour la reconnaissance, dans la constitution canadienne, de l’existence et de l’égalité des deux communautés linguistiques au pays et je crois qu’il appartenait au Québec, par l’exercice de son veto, de continuer de manière positive à accréditer cette notion sur tous les forums où était discutée la constitution. La dualité canadienne ne peut être garantie par une déclaration incomplète et inadéquate qui exclut des centaines de milliers de personnes au Québec et des millions de personnes au Canada qui ne font pas partie des soi-disant deux peuples fondateurs, mais elle est garantie par le droit de veto du Québec sur tout changement important à la constitution, même ceux qui n’impliquent pas des questions de compensations financière. (17 h 40)

M. le Président, j’entendais le ministre de la Justice dire que la formule de Vancouver, qui a été signée par le gouvernement du Parti québécois et sept autres provinces, donnait un droit de veto.

Absolument pas, M. le Président. Je vais vous donner un exemple parfait. Si, dans la province d’Alberta, il y a des écoles pour des francophones, M. le ministre de la Justice, et si, dans l’avenir, on veut enlever ce droit par un changement à la constitution, un droit de veto protégerait les francophones d’Alberta, les francophones dans les autres provinces, mais quelle compensation financière le gouvernement du Québec peut-il demander parce qu’on a enlevé des droits aux francophones au Manitoba, par exemple? L’article 133 qui s’applique au Manitoba, sans le droit de veto du Québec, comment allez-vous protéger ces gens dans ces provinces? Allez-vous dire: Les francophones au Manitoba, ça vaut 10 000 000 $, ça vaut 1 000 000 000 $? M. le Président…

M. Bédard: Question de privilège.

M. Ciaccia:II ne veut pas me laisser parler.

Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît; Question de privilège, M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: J’ai bien dit, M. le Président, que c’était un droit de veto sur tous les pouvoirs du Québec. Concernant l’exemple que donne le député, la protection des minorités, il sait très bien que le gouvernement fédéral avait toute latitude pour les protéger dans le passé et qu’il n’a jamais voulu exercer sa responsabilité.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Vous avez droit de parole, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, le ministre répète les bêtises qu’il a dites dans son discours. Il répète ces bêtises en essayant de faire croire à la population qu’une compensation financière va protéger l’article 133 au Manitoba ou va protéger les droits des francophones en d’autres provinces. Dans le nouveau projet fédéral, il y a des protections pour les francophones. À l’avenir, M. le Président, le droit de veto du Québec aurait protégé ces personnes, mais pas une compensation financière. N’essayez donc pas de faire croire à la population… Dites donc la vérité.

M. Bédard: Le gouvernement fédéral aprotégé les francophones!

M. Ciaccia: Au lieu de blâmer le gouvernement fédéral pour ce qui s’est passé dans le passé, on vit aujourd’hui, essayons donc de bâtir une nouvelle constitution pour tout le monde, aujourd’hui, en tenant compte de la réalité d’aujourd’hui. Arrêtez donc d’essayer de faire passer votre séparatisme

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sur ce qui s’est produit en 1890 au Manitoba. Vous faites de la démagogie. M. le Président, il y a une ironie assez tragique à constater que c’est l’actuel gouvernement du Québec qui n’a pas insisté sur le concept du dualisme canadien, qui a abandonné le rôle de protecteur de la dualité canadienne, qui l’a même mise en jeu en abandonnant le droit de veto. Et c’est ce même gouvernement qui, aujourd’hui, fait semblant de se réclamer du dualisme qu’il a torpillé par ses politiques, par sa philosophie et par son style de négociation.

Ce n’est pas la dualité canadienne, M. le Président, que ce gouvernement veut. C’est l’indépendance du Québec. Il va prendre tous les moyens pour y arriver. Rappelons-nous leur philosophie: la fin justifie les moyens. S’il faut abandonner le veto du Québec, le 16 avril, et s’il faut abandonner le concept des deux peuples fondateurs, le 16 avril, ça serait mieux pour revenir et essayer de convaincre la population qu’il faut faire la séparation. C’est ça leur jeu, M. le Président, et la population voit ce jeu. La supercherie de ce gouvernement est devenue encore plus grossière lorsqu’il revendique tardivement l’imposition de l’article 133 à la province d’Ontario. Nous savons tous que jamais le gouvernement du Québec n’en a fait un élément de négociation. Il aurait pu l’inclure dans l’entente du 16 avril, il ne l’a pas fait.

Pourtant, plusieurs groupes issus des communautés minoritaires – on oublie de les mentionner dans la résolution actuelle du gouvernement – ont fait campagne pour que l’Ontario soit précisément assujetti à l’article 133. À cet égard, vous me permettrez, M. le Président, de souligner la présentation faite devant le comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat, sur la constitution, par le Congrès des Italo-Canadiens du Québec. Ces derniers ont non seulement apporté leur appui au fait français au Québec et au Canada, mais ils ont réclamé que l’article 133 soit étendu à l’Ontario, au Nouveau-Brunswick et, éventuellement, au reste du Canada.

Nous croyons vraiment à la dualité canadienne, parce que nous sommes Québécois et qu’il nous importe que le fait français s’affirme et se développe dans l’ensemble du pays. D’autres groupes ont aussi eu la même attitude. Mais comment voulez-vous que cette action puisse avoir quelque effet, si notre propre gouvernement du Québec n’a jamais levé le petit doigt pour soutenir cette action, trop préoccupé qu’il était à former le front du refus que l’on sait pour aboutir au résultat que chacun connaît.

M. le Président, est-ce là l’attitude sincère et honnête d’un gouvernement qui recherche vraiment la reconnaissance de la dualité canadienne? Ce n’est pas la dualité canadienne que le gouvernement recherche, mais l’indépendance du Québec. La dualité canadienne, il aurait pu la protéger, l’inclure dans son entente du 16 avril.

J’ai toujours affirmé ma méfiance profonde à l’égard de la volonté de négocier le fédéralisme par ce gouvernement. Je ne crois pas et je n’ai jamais cru que ce gouvernement avait l’intention, pas plus hier qu’aujourd’hui, de négocier le renouvellement du fédéralisme canadien. Je demeure convaincu que ni hier, ni aujourd’hui, le gouvernement du PQ ne peut ni ne veut construire un Canada uni et fraternel. Le but caché des négociations du Parti québécois a toujours été de prouver qu’il était impossible d’en venir à un accord avec le reste du Canada, afin de pouvoir revenir devant le peuple du Québec pour l’amener, par réaction, à accepter à contrecoeur la solution de l’indépendance du Québec.

À ce propos, quand on parle d’un Canada uni et fraternel, je voudrais m’adresser au premier ministre, au Québécois qu’il est et à l’homme de coeur qu’il prétend être. Je voudrais lui demander s’il est raisonnable de construire un pays, même si on est indépendantiste, sur la base de la discorde, de la haine entre communautés, de la méfiance qu’on établit entre francophones et anglophones, entre francophones et communautés ethniques. Est-il vraiment nécessaire d’enflammer les passions et de désigner nommément, dans un discours inaugural et dans tout ce débat constitutionnel, une section de la population, de notre société, à la vindicte publique? Personne, M. le Président, n’aime être montré du doigt. Tout citoyen, quelles que soient sa langue, sa religion, ses origines, doit pouvoir compter sur le respect du gouvernement qu’il a élu et de l’État auquel il contribue. Si on s’en prend aux collectivités, aux anglophones, c’est étrange… Je demanderais au premier ministre de donner le bon exemple, d’arrêter de semer la discorde entre communautés et d’arrêter d’enflammer les passions des Québécois pour essayer d’arriver à ses objectifs.

M. le Président, nous devons tous vivre ensemble au Québec, quelle que soit l’option politique définitive que nous aurons choisie, parce que, au-delà des différences d’opinions, il y a un attachement et un enracinement au Québec pour tous ceux qui l’habitent, quelle que soit leur origine ethnique, quelle que soit leur langue.

M. le Président, peut-on arriver à la reconnaissance des droits du Québec? Comment cette reconnaissance peut-elle nuire aux droits de l’Assemblée nationale? Si l’Assemblée nationale est l’expression de la souveraineté de la population du Québec, en quoi le fait pour cette Assemblée de garantir l’expression des droits individuels des citoyens du Québec constitue-t-elle une

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insulte à l’Assemblée nationale? On ne pourra jamais me faire croire que donner le droit d’accès aux écoles à moins de 5000 petits enfants, selon la clause Canada, sur une population dans les écoles anglophones de 150 000 personnes qui diminue tous les ans de 9%, on ne pourra jamais me faire croire, dis-je, que c’est là la raison pour laquelle on ne veut pas renouveler la constitution et que cela va faire tellement de nuisances. L’article 23, même au complet, cela ne ferait pas de tort. Ce n’est pas seulement cet aspect de la clause Canada. Quand on essaie d’enflammer les passions des Québécois, parce que quelqu’un propose la clause Canada, je pense que la population va voir clair et jugera ce gouvernement en conséquence. (17 h 50)

M. le Président, il y a un autre aspect de la résolution que j’ai déjà signalé au début de mon intervention: c’est le manque de références aux autochtones et à la reconnaissance de leurs droits. Nous l’avons délogé, ce peuple, et nous lui avons causé des problèmes trop nombreux pour même les énumérer. Reconnaître les droits des autochtones, cela ne veut pas dire qu’il faut leur remettre le pays. Ce n’est pas cela du tout. Cela ne veut pas dire non plus qu’on peut s’en acquitter seulement en payant des sommes d’argent. Ces peuples ont le même droit à la survivance, à la survivance culturelle et à leur survivance comme peuple que tous les autres peuples au Canada. La reconnaissance des droits implique la reconnaissance d’un mode de vie différent du nôtre, la reconnaissance de leur culture, de leurs traditions et les moyens de les sauvegarder; la reconnaissance des besoins qu’ils ont de ressources financières qui doivent leur permettre non seulement de survivre, mais aussi de s’épanouir. Il est clair que dans la mesure où l’on reconnaît les droits des gens, leur condition économique ou culturelle s’améliore très sensiblement. C’est pour cela qu’il est essentiel de reconnaître les droits des autochtones dans la constitution. Je suis heureux que le gouvernement fédéral et les autres provinces l’aient fait, mais je demande encore où se situe le Québec. Est-ce que, encore une fois, au nom des droits de l’Assemblée nationale, on va refuser de reconnaître d’autres droits des citoyens, cette fois-ci, le droit des autochtones? Je pense que c’est une très mauvaise excuse à donner pour refuser de reconnaître les droits des premiers habitants de ce pays.

En conclusion, M. le Président, je ne voterai pas en faveur de cette résolution, car elle ne correspond pas à la réalité, ni ne répond à aucune des préoccupations immédiates de la population du Québec. Cette résolution ne fera pas que le gouvernement du Québec aille négocier raisonnablement avec nos autres partenaires canadiens et, à ce stade-ci, elle n’est qu’un paravent dérisoire derrière lequel se cache le gouvernement pour son manque de cohérence à l’endroit du Québec et pour la promotion insidieuse de sa thèse indépendantiste. C’est une stratégie du Parti québécois qui ne veut pas de nouvelle constitution et qui veut prendre toutes les excuses possibles pour faire de l’obstruction pour promouvoir ses objectifs.

Quant à la réalité de ce pays, cette motion l’ignore totalement, puisqu’à toutes fins utiles, elle relègue au rang de citoyens de deuxième classe plus d’un tiers de la population canadienne, en plus d’iqnorer totalement les autochtones de ce pays.

M. Président, à cause de cet irréalisme, il est clair que cette motion ne peut être considérée comme une contribution positive visant à véritablement contribuer au renouvellement de la constitution canadienne. Comme le ministre des Finances l’a dit une fois au cours de l’une de ses envolées, le gouvernement nous convie à être comme le boeuf qui regarde passer le train de la constitution. C’est malheureux, mais c’est là le seul rôle que s’est donné ce gouvernement. Je sais que la population du Québec s’en souviendra, parce que, dans les mots d’Ernest Renan, « ce qui fait que des hommes forment un peuple, c’est le souvenir des grandes choses qu’ils ont faites ensemble et la volonté d’en accomplir de nouvelles. » M. le Président, ce n’est pas ce que le Parti québécois nous offre.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Châteauguay.

M. Dussault:M. le Président, je demande la suspension du débat.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Nos travaux sont suspendus jusqu’à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 55) (Reprise de la séance à 20 heures)

Le Vice-Président (M. Jolivet): À l’ordre, s’il vous plaît;

Veuillez vous asseoir.

M. Chevrette: M. le Président…

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le whip.

M. Chevrette:Avec le consentement du whip de l’Opposition, j’aimerais inverser l’ordre des orateurs et demander au député de Frontenac de parler avant le député de Châteauguay. D’accord?

M. Pagé:Aucun problème, M. le

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Président, quant à moi.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Cela va. Donc, M. le député de Frontenac, vous avez maintenant la parole.

M. Gilles Grégoire

M. Grégoire:M. le Président, je ne serai pas très long sur cette motion, mais je voudrais au moins appuyer la motion du premier ministre qui est présentement devant cette Assemblée nationale.

Au mois de mai 1980, il y a eu un référendum au Québec. Certains citoyens québécois ont voté oui à la proposition d’alors, à savoir: oui à des négociations pour une nouvelle entente entre le Québec et le Canada sur la base de la souveraineté-association. D’autres ont voté non, mais il était évident, également, que ces gens admettaient qu’il fallait des changements dans la constitution canadienne, qu’il fallait des changements quant au partage des pouvoirs parce qu’il y avait énormément de chevauchements entre les pouvoirs du gouvernement fédéral et ceux du gouvernement québécois. Dans trop de domaines, il y avait ce chevauchement qui nuisait au progrès, qui l’empêchait, qui le retardait. Ce n’est qu’après maintes discussions et après des compromis qu’on en arrivait à des ententes et, souvent, cela ne faisait que retarder le progrès que tout le monde voulait.

Il y en a qui ont voté non au référendum, mais ils voulaient également des changements. Le chef de l’Opposition a dit qu’il espérait aussi voir des changements. Et, surtout, le premier ministre du Canada est venu au Québec et a dit: II y aura des changements dans la constitution canadienne, on met notre tête en jeu. Mais il n’a pas dit quels changements. La majorité des gens qui ont voté non au référendum espérait bien, ou du moins, n’aurait jamais cru que les changements proposés constitueraient un recul pour le Québec, mais, au contraire, que cela constituerait un avancement.

Aujourd’hui, le premier ministre du Canada arrive avec des amendements constitutionnels, avec une charte, avec un rapatriement de la constitution assorti d’amendements. Or, ce n’est pas un proqrès pour les citoyens québécois ou pour le Québec, c’est un recul.

On nous a dit: Les francophones dans tout le Canada seront protégés avec la nouvelle charte qui sera enchâssée dans la constitution canadienne. Dès la semaine dernière, l’argumentation du premier ministre était démolie puisque le premier ministre de l’Ontario, l’allié numéro un du premier ministre du Canada, disait, dans une lettre qu’il signait, que la charte des droits du gouvernement Trudeau ne changera rien à la situation des franco-ontariens, mais qu’elle était devenue nécessaire pour contrer les législations adoptées par les gouvernements Bourassa et Lévesque en matière linguistique au Québec, les législations adoptées par l’ancien gouvernement libéral aussi bien que l’actuel gouvernement du Parti québécois.

Tous les députés en cette Chambre, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre, sont donc impliqués, puisque ce sont les législations sur la langue, qu’elles aient été adoptées par l’ancien gouvernement ou par le gouvernement actuel, qui seront contrées par la charte des droits que veut faire adopter le premier ministre du Canada.

M. Davis, le premier ministre de l’Ontario, ajoute: Je tiens à vous assurer que nous sommes opposés à l’imposition du bilinguisme aux institutions provinciales, tels les Législatures, les tribunaux et les autres institutions.

Nous ne nous y sommes pas opposés, M. le Président. Ici, le bilinguisme est reconnu à la Législature de l’Assemblée nationale, c’est reconnu devant nos tribunaux québécois. L’école publique anglophone est subventionnée au même titre que l’école publique francophone, mais en Ontario, par exemple, on ne veut pas accepter cela. Si la charte des droits du premier ministre du Canada est adoptée, ce n’est pas pour donner plus de droits aux francophones de l’Ontario, mais pour essayer d’enlever des droits au Québec.

Le premier ministre de l’Ontario continue sa lettre en disant: « II est très évident que notre forte opposition – c’est le premier ministre de l’Ontario qui l’écrit – à l’intention première d’Ottawa de revoir l’article 133 de la constitution pour imposer le bilinguisme institutionnel a porté le gouvernement canadien à laisser tomber cette idée. » Donc, on admet que le premier ministre du Canada a cédé, a plié devant le premier ministre de l’Ontario.

Le premier ministre de l’Ontario ajoute: « En ce qui a trait à la loi 101, si l’article 23 de la charte devient loi, les sections 72 et 73 de la loi 101, une loi québécoise, seront inconstitutionnelles. » Cela veut donc dire, en bon français, que les franco-ontariens ou les francophones hors Québec n’auront rien de plus tandis que les Québécois, eux, perdront dans cette nouvelle charte fédérale.

Ce n’est pas pour rien que le Québec cherche à protéger les droits qu’il possède à l’heure actuelle dans le domaine linguistique et en matière d’éducation. Nous avons appris au cours de l’histoire que nos droits avaient souvent été foulés aux pieds un peu partout au Canada. On se rappelle que c’est en Nouvelle-Écosse que cela a commencé, en 1864, même avant la Confédération, alors qu’on y a fait perdre aux francophones leur droit à des écoles françaises. En 1864. À ce moment-là, la population francophone de la

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Nouvelle-Écosse était de 33%. On leur a enlevé leurs écoles françaises; il n’en reste à peine que 4% ou 5%.

En 1871, quatre ans après la Confédération, c’était au tour du Nouveau-Brunswick; après l’acte des écoles communes, c’est-à-dire des écoles publiques et non confessionnelles, on n’enseignait plus le français dans les écoles.

Six ans plus tard, c’était l’Île-du-Prince-Édouard. Même scénario qu’en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.

Au Manitoba, quelques années plus tard, on a procédé par deux lois: celle de 1890 et celle de 1916. On a, à toutes fins utiles, aboli les écoles francophones, les écoles françaises dans cette province.

Et puis, cela a été l’Ontario; 1912, le fameux règlement 17 pour la restriction de l’enseignement du français, menaçant la survie du français en Ontario. Au Manitoba, en 1916, quand on a adopté cette loi, il y avait près de 40% de francophones. Aujourd’hui, il n’y en a plus que 5%. Partout dans les autres provinces, on a adopté des lois et jamais le gouvernement d’Ottawa n’a réagi. Jamais! Et s’il y a une province pendant ce temps-là qui traitait bien ses minorités anglophones, et elles peuvent le dire, c’est bien le Québec. Malgré tout cela, aujourd’hui on cherche à restreindre les droits, les juridictions, les pouvoirs du Québec dans le domaine de l’enseignement, dans le domaine de la langue. (20 h 10)

M. le Président, quand on songe qu’il a fallu à peu près 30 ans de lutte – quand je regarde le travail de nos députés québécois à Ottawa, à l’heure actuelle, je réalise qu’ils continuent dans la même tradition depuis 75 ans – à nos députés québécois d’Ottawa pour obtenir que les chèques envoyés par le gouvernement d’Ottawa au Québec soient bilingues, que les chèques de pensions de vieillesse ou d’allocations familiales soient non pas seulement en français, mais bilingues. Le chiffre lui-même pouvait se comprendre, mais tout ce qu’il y avait en lettres, c’était en anglais seulement.

Quand on pense qu’il a fallu près de 25 ans de lutte pour que la monnaie canadienne soit bilingue. Quand on pense qu’il a fallu 40 ans de lutte pour avoir un drapeau typiquement canadien. Quand on pense qu’il a fallu près de 35 ans de lutte pour avoir un hymne national typiquement canadien et, encore, seulement la musique a été adoptée officiellement. Les mots de l’hymne national du Canada n’ont pas encore été adoptés officiellement. Cela fait 15 ans que la musique a été adoptée, mais pas les mots. Quand on pense à tout le nombre d’années où il a fallu que les députés québécois à Ottawa se battent régulièrement pour obtenir cela à la graine et à la pièce, M. le Président, à ce moment-là, on se dit ceci:

Le Québec a des droits, des privilèges, des obligations et, si la nouvelle constitution du premier ministre du Canada veut nous enlever cela, c’est toute l’Assemblée nationale ici qui doit s’y opposer.

M. le Président, je pense bien que l’ensemble de la population du Québec aujourd’hui comprend qu’on ne peut pas enlever au Québec ses droits et privilèges, qu’on doit lui laisser toute sa juridiction, qu’on doit lui laisser tout ce qui lui a été accordé il y a 114 ans par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Nous l’avons accepté à ce moment. Ceux qui siégeaient à Québec l’ont accepté. On a demandé au gouvernement de Londres de garder le document en dépôt, mais s’il nous le retourne, on voudrait bien qu’il le retourne comme on l’a envoyé, pas en le changeant, qu’il nous retourne le même document. M. le Président, je crois qu’au Québec nous devons rester encore avec l’ancien document. Nous continuerons à respecter celui qui est à Londres, mais celui qu’on nous retournera et qui aura été tronqué en cours de route, nous ne l’accepterons pas.

M. le Président, je crois que l’immense majorité de la population du Québec sait fort bien que les grands problèmes de l’heure sont des problèmes économiques, mais le premier ministre du Canada nous est arrivé avec ce problème constitutionnel, il y a un an ou un an et demi, nous devons y faire face, nous devons le combattre et c’est ce que nous allons faire par cette résolution.

Le Président: Mme la députée de Chomedey.

Mme Lise Bacon

Mme Bacon: M. le Président, dans le cas des discussions constitutionnelles, on aurait pu croire qu’une démarche québécoise ne se serait pas limitée à l’adoption d’une stratégie essentiellement négative de désaccord permanent, mais serait plutôt basée sur le souci d’ouvrir des voies de solution en vue d’en arriver à un consensus raisonnable. Cette démarche négative du gouvernement s’est manifestée à deux niveaux. Dans les dossiers sectoriels, les ministres ont fait preuve de gourmandise, à maintes reprises voisines de témérité. C’est ainsi que, progressivement, le Parti québécois a déployé son arsenal en fermant les portes à toute discussion touchant le contentieux fédéral-provincial. À chaque rencontre sectorielle, ou, si on préfère, ministère par ministère, le scénario fut inlassablement basé sur une volonté de gruger une partie de souveraineté additionnelle.

En fait, le seul dossier où le gouvernement s’est montré satisfait depuis cinq ans concerne l’accord Cullen-Couture, où le Québec aura réussi, avec succès,

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disons-le, à mener à bien l’objectif visant à s’assurer un contrôle sur la question de la sélection des candidats immigrants désirant s’installer au Québec. Encore que, dernièrement, le Québec voudrait un contrôle accru en ce qui trait à la question des réfugiés. Mais, à ma connaissance, aucun autre dossier n’a satisfait le Québec. Et lorsque, à certaines occasions, la délégation québécoise sentait le tapis glisser sous ses pieds, on préférait claquer la porte plutôt que de chercher un terrain d’entente et de jouer les règles du fédéralisme, comme l’ont fait les gouvernements du Québec antérieurement.

Pas surprenant alors que les discussions menées par le Québec entourant le rapatriement, se soient soldées par un échec complet. Conséquence directe des discussions sectorielles, la démarche québécoise est, depuis le 20 mai 1980, maquillée d’une pseudo-bonne foi à défendre les droits du Québec.

M. le Président, je tiens à souligner avec force que la défense des droits du Québec ne sera jamais assurée si le Québec est absent lors des discussions avec les autres gouvernements. C’est une question de bon sens d’abord et de leadership ensuite.

Concernant ce droit de veto, nous ne disons pas que le Québec n’a pas raison aujourd’hui de demander aux tribunaux de déterminer si le Québec possède effectivement un droit en matière constitutionnelle. Voilà un point qui aurait dû être éclairci plus tôt. Pourquoi ne pas avoir demandé une telle précision à la Cour suprême en même temps que l’avis sur la démarche unilatérale du gouvernement fédéral? Sans doute une autre stratégie se cache-t-elle en dessous de cette attitude, celle de déstabiliser la tenue des discussions constitutionnelles ou à faire croire que le Parti québécois est constamment présent et attentif à la défense des droits du Québec. C’est ainsi qu’une forte majorité de Québécois a clairement exprimé le désir de voir se poursuivre les discussions constitutionnelles fédérales-provinciales.

Aujourd’hui, on nous demande d’appuyer une motion qui, une fois de plus, aurait comme effet d’associer le Parti libéral du Québec à une autre étape de l’inlassable démarche du Parti québécois vers l’indépendance du Québec. Si telle était son intention, il ne me resterait qu’à aller travailler en atelier lors du prochain congrès du Parti québécois, sachant bien que la tenue du congrès du Parti québécois n’est fondée qu’en fonction de stratégies en fonction du pouvoir. Je préfère travailler pour le progrès du Québec.

Aujourd’hui, le Parti québécois est contraint de pénaliser les groupes les plus vulnérables aux crises économiques en taxant des biens essentiels, en augmentant de façon indue les taxes indirectes, contribuant à la dégradation d’un consensus basé sur un contrat social déjà fragile. C’est ainsi que les incohérences de ce gouvernement auront contribué à miner la crédibilité de nos institutions censées faire converger les pressions politiques, économiques et sociales en vue d’un objectif commun.

M. le Président, il est un autre point sur lequel il m’apparaît important de dissiper une fausse impression que tente de répandre le gouvernement au nom sans doute de cette stratégie de fermer une autre voie d’entente constitutionnelle. J’avoue être étonnée d’une déclaration récente du ministre de la Justice, la semaine dernière, à savoir que s’il fallait que la charte fédérale ait prépondérance sur les chartes provinciales, cela voudrait dire qu’on enlèverait des droits aux femmes du Québec. Sur ce point, la position de notre parti maintes fois répétée demeure claire. Notre parti favorise une charte généreuse.

Premièrement, les femmes se sont révoltées, et avec raison, de la clause « nonobstant », laquelle aurait permis à notre Législature d’adopter des mesures à l’encontre des droits accordés en vertu de la future charte incluse dans la constitution, car, faut-il le répéter, la présente charte québécoise est une loi statutaire en vertu de laquelle le gouvernement pourrait y faire adopter des amendements comme bon lui semble. La solution d’enchâsser les droits des femmes dans une constitution me semble une des meilleures garanties qui aient été données aux femmes du Québec, comme à celle des autres provinces, pour faire face aux défis de demain.

Cette charte des droits, M. le Président, permettra au Québec de se doter des instruments, lois et programmes nécessaires à son développement.

Bien sûr que cette charte limitera jusqu’à un certain point les Assemblées législatives au Canada, mais elle empêchera quelque pouvoir fédéral ou provincial de brimer les droits acquis en vertu de cette dernière. En ce sens l’inclusion sans clause « nonobstant » de la charte dans la constitution doit être vue comme un acquis essentiel pour les Québécoises.

De plus, cette charte constitutionnelle ne constitue pas un plafond, mais plutôt un plancher sur lequel les provinces auront tout le loisir d’ajouter des éléments que les gouvernements estiment nécessaires dans l’intérêt de leurs populations respectives.

D’ailleurs, M. le Président, les Québécoises, au cours des années, se sont habituées à composer, telles des négociatrices en quête d’une justice profondément humaine, en croyant légitime d’espérer une place qui leur est due dans tous les secteurs d’activité d’une société normalement respectueuse des droits.

De plus, les bévues administratives du

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présent gouvernement contraignent celui-ci à passer sous silence la mise en place d’un réseau de services de garde complet permettant aux femmes d’avoir accès au marché du travail. (20 h 20)

Enfin, parmi les attentes du Conseil du statut de la femme sur cette charte des droits, on précise que les amendements les plus séduisants devront être suivis de mesures administratives concrètes pour la réalisation de politiques adéquates, car il ne faut jamais oublier une dimension importante, lorsqu’on aborde la question des femmes au Québec. Charte ou non, lois et règlements ou non, celles-ci ne verront leur sort amélioré que si l’État favorise la création d’un climat propice aux changements sociaux et économiques aussi bien que politiques.

À cet égard, je vous avoue douter des capacités du gouvernement à respecter des ententes et conventions en vigueur ou en voie de l’être avec des groupes cibles de notre société, mais je me console à l’idée que, quelques semaines avant le référendum, le présent gouvernement ait compris de quelle façon une majorité de Québécoises avaient clairement manifesté leur intention de ne pas se laisser influencer par des préjugés dangereusement faux qu’on a tenté de répandre à la grandeur du Québec en dévalorisant le rôle de la femme au foyer.

J’aimerais faire une mise en garde aux femmes contre une confiance excessive qu’elles seraient tentées d’accorder à tout gouvernement. Je les inviterais, d’abord, à continuer leur lutte en vue de faire connaître et reconnaître leurs droits, mais aussi à tenir compte des réalités de notre société et à relever les défis du marché du travail à partir d’une démarche tant individuelle que collective. Plus exactement, les femmes ont dû, à un moment donné, s’associer aux différents partis politiques et mouvements sociaux les plus aptes à répondre à leurs revendications. Quelquefois, une telle stratégie a pu faire en sorte que des correctifs soient apportés. Mais elle aura aussi forcé certains mouvements féministes à politiser des problèmes qui relèvent d’une situation de femmes d’abord et avant tout.

Inévitablement, les femmes ont dû, elles aussi, négocier, peut-être même échanger des espoirs contre un appui conditionnel à un parti politique ou à un syndicat. Phénomène normal, me direz-vous, où les mutations profondes d’une société découlent avant tout de la nature des rapports de force existants, mais dangereux aussi, car un tel contexte laisse place à des compromis où les questions de fond font l’objet de promesses électorales qui, bien souvent, ne verront jamais le jour à une époque de restrictions auxquelles tous les groupes sont soumis.

Je préconise plutôt une action individuelle qui tienne compte de nos possibilités, de nos goûts et aspirations et de la réalité avec ses contraintes et ses ouvertures. La charte des droits proposée, bien qu’essentielle, n’est qu’un outil de plus pour les femmes du Québec. Elle ne transforme rien du jour au lendemain, mais ne fait que traduire certaines revendications en principes légitimement reconnus.

En ce sens, la venue au pouvoir du Parti québécois aura créé beaucoup d’illusions. La ministre d’État à la Condition féminine devait récemment déplorer les mêmes problèmes vécus par les femmes à accéder aux postes de cadres dans la fonction publique, ainsi que le taux de pauvreté élevé que l’on retrouve chez les femmes. Dans le secteur privé, d’autres situations sont dénoncées, par exemple dans l’industrie du vêtement où les rapports de force entre syndicats ne semblent pas aider les femmes pour que des correctifs soient apportés. Ces défis doivent être relevés en sachant bien que les mutations et les changements en cours au sein de notre société continueront d’évoluer dans le temps.

Des luttes nombreuses menées par les femmes au cours des dernières années s’ensuivit un éveil de l’ensemble de la société sur ce que ses membres omettent de considérer dans la planification de politiques sociales et économiques. Vous avez remarqué, M. le Président, que les femmes ont dû politiser systématiquement les revendications adressées à nos dirigeants. Quand on est rendu à un tel point, c’est que quelque chose ne va plus dans cette société. C’est aussi parce que l’État n’accomplit plus cette tâche de veiller à l’émancipation aussi bien des groupes que des individus qui forment cette société. C’est, enfin, attribuable aux agents même du pouvoir, pour la plupart des hommes, qui ont refusé dans le passé de considérer sérieusement les misères vécues d’une façon inhumaine par certaines femmes victimes de brutalités tant physiques que psychologiques, des milliers de femmes potentiellement aptes à s’acquitter d’emplois élevés dans la hiérarchie du travail, mais incapables de franchir les étapes en raison de discrimination.

Je connais bien des hommes qui se seraient refusés à vivre ces misères ou frustrations aussi longtemps sans faire appel à la révolte. Faut-il croire que les femmes ont une capacité d’endurance plus élevée à supporter les injustices? Au risque de faire de la discrimination, j’affirme que oui, M. le Président.

En second lieu, vous aurez remarqué que les quelques victoires acquises à partir du simple droit de vote, par exemple, furent bien menées en raison de la cohérence des analyses avancées de la détermination avec laquelle les mouvements féministes d’inspiration européenne ont su faire avancer

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leur cause.

J’aimerais voir cette même détermination à faire progresser la cause du Québec au sein du Canada de la part du présent gouvernement, mais, hélas, ni la cohérence de son argumentation non plus que sa stratégie d’action ne sont comparables aux nombreuses luttes des femmes pour obtenir justice et égalité. Bien plus, je vous parie que les femmes obtiendront gain de cause bien avant que le Parti québécois fasse avaler aux Québécois l’indépendance du Québec.

En somme, les femmes du Québec doivent obligatoirement se faire à l’idée que les emplois regroupés dans le secteur des services administratifs et de bureau, bien que des possibilités subsistent, appartiennent aux décennies de 1960 et 1962.

Voilà, à mon avis, les véritables données sur lesquelles doivent s’appuyer les Québécoises pour relever les défis de demain. D’ailleurs, nombre d’entre elles ont fignolé un sens de pragmatisme qui leur aura permis d’accéder à des postes clés enviés par bien des hommes. Donc, revanche, j’en conviens, mais ce n’est pas suffisant, puisque les femmes qui vivent les véritables souffrances inhérentes à notre système s’affichent rarement, tandis que, d’autre part, certains groupes féministes ont peut-être oublié, en cours de route, de situer les vrais problèmes, se contentant trop souvent de s’identifier à une démarche essentiellement politisée, éloignée en cela des préoccupations de milliers de Québécoises.

De ces propos rassurants à l’égard des femmes du Québec, j’ai toute raison de croire que l’optimisme est la voie de l’avenir. Les pas franchis depuis une vingtaine d’années, d’abord sur les bancs de l’école, ensuite sur le marché du travail, sont énormes si l’on compare à l’espace restreint qu’occupaient les Québécoises dans une société où, naguère, le rôle familial de dévouement, souvent sans compensation, l’emportait sur les immenses avantages que procurent les possibilités d’avancement d’une société dite postindustrielle.

On ne peut affirmer par ailleurs que nos mères et grand-mères n’ont vécu que frustration et dévalorisation, depuis le début du dernier siècle. La nature des rapports humains était différente, le concept de la famille aussi. En fait, la société industrielle a façonné un modèle de comportement qui ne sied plus aujourd’hui. À cet égard, Roger Lemelin aura, de façon plus qu’honnête, ressuscité des épisodes de la vie des Québécoises qui, comme on l’a vu, engendraient aussi l’émancipation de façon différente, si l’on veut, jugé aujourd’hui, et avec raison, insuffisante.

L’époque où les communautés religieuses assuraient l’éducation de nos ministres actuels, par exemple, n’est plus si loin. L’époque où les hôpitaux, non sujets aux coupures budgétaires, étaient sous juridiction cléricale, n’est pas si loin non plus. Le secteur public a pris la relève avec les avantages et les désavantages que l’on connaît aujourd’hui.

Plus récemment, la production littéraire et artistique aura contribué à découvrir des talents issus du monde féminin. Sur le marché du travail, les Québécoises ont aussi profité de plusieurs options ouvertes dans le secteur professionnel et au même titre que tous les Québécois ont profité des avantages reliés à un taux de scolarisation élevé.

Nous convenons tous que la démarche entreprise par les Québécoises est loin d’être un aboutissement, mais que les étapes doivent s’effectuer dans cette détermination d’une hausse de qualité de vie pour celles qui n’ont pas encore bénéficié de telle mutation, mais en ne perdant pas de vue des années difficiles, tant sur le plan social qu’économique. Mais un fait demeure, M. le Président, ce présent gouvernement, à force de ramer à contre-courant, n’engendre d’aucune façon le progrès des Québécoises et Québécois.

La situation financière est telle qu’une planification visant à venir en aide aux personnes les plus démunies est rendue illusoire.

Sur le plan constitutionnel, au lieu de s’acharner à dénouer l’inclusion d’une charte des droits dans la constitution, j’inviterais ce présent gouvernement à procéder à un sérieux examen de conscience, surtout lorsqu’on en vient à céder un droit de veto en faveur d’une sympathie éphémère des autres gouvernements.

À la lumière d’un tel bilan, force est de constater qu’un appel au peuple devient chaque jour plus pressant. (20 h 30)

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Sainte-Anne.

M. Maximilien Polak

M. Polak: Merci, M. le Président. En fin de semaine, j’étais dans mon comté de Sainte-Anne et quand j’ai dit à mes électeurs que je parlerais, ce soir, sur la motion constitutionnelle, ils m’ont dit: On ne comprend plus rien de ce que fait le Parti québécois, ses zigzags, ses manoeuvres, ses décisions; voulez-vous nous expliquer un peu de quoi il s’agit afin qu’on comprenne, une fois pour toutes. Comme je suis un homme objectif, je vais d’abord faire un petit historique de ce qui s’est passé depuis le mois d’avril 1981. Je suis d’ailleurs très content de voir que le ministre de l’Éducation du gouvernement péguiste est venu pour m’écouter; peut-être va-t-il retenir quelque chose de ce que je vais dire.

La première date importante est le 16

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avril 1981. À ce moment-là, M. Lévesque faisait encore parti du front uni des huit. Vous rappelez-vous? Les huit premiers ministres des provinces, y inclus le Québec, ont signé un accord constitutionnel sur le projet canadien de rapatriement de la constitution. C’était le 16 avril 1981, quelque trois jours seulement après la réélection du gouvernement péquiste. La question de souveraineté était à ce moment-là mise en veilleuse, comme toujours, selon sa stratégie, et c’était sans doute la raison pour laquelle M. Lévesque a signé ledit accord. Il y a une chose intéressante dans cet accord. L’accord que M. Lévesque a signé le 16 avril disait: « Attendu que le Canada est un pays développé et indépendant, doté d’un système fédéral de gouvernement – il est important, le mot « fédéral », il croyait en cela, apparemment, à ce moment-là – de plus, attendu que le plein exercice de la souveraineté au Canada exige une procédure canadienne de modification de la constitution qui respecte le caractère fédéral du Canada… » C’était carrément dans l’accord constitutionnel qui a été signé par M. Lévesque. Il est à noter qu’à ce moment-là, on n’avait pas encore eu le jugement de la Cour suprême et les huit provinces, y inclus M. Lévesque du Québec, espéraient évidemment que la Cour suprême donnerait raison aux provinces.

Dans le communiqué de presse de la même date, de ces huit premiers ministres y inclus M. Lévesque, on peut lire: « Les huit premiers ministres – y inclus M. Lévesque, ne l’oublions pas – ont souligné que leur accord sur la constitution canadienne démontre de façon claire et positive – j’aime le mot « positive » parce qu’ils parlent encore de manière positive – qu’il est possible de faire avancer sensiblement la question constitutionnelle si toutes les parties intéressées l’abordent avec sincérité et bonne volonté. » Ils sont très importants, les mots « sincérité et bonne volonté ». M. Lévesque était alors dans l’équipe des huit.

Il est à noter également que dans cet accord constitutionnel, M. Lévesque a renoncé au droit de veto du Québec, si jamais tel veto a existé.

Des voix: Ah! Ah!

M. Polak: La prochaine date importante est le 28 septembre 1981, à peu près quatre mois plus tard, quand la Cour suprême a rendu son jugement. On oublie cela maintenant, mais le jugement avait dit carrément que sur le plan légal, M. Trudeau pourrait aller à Londres unilatéralement, qu’il pourrait procéder sans l’assentiment des provinces. Mais, en même temps, le jugement avait dit que sur le plan constitutionnel et selon les conventions, il ne devrait pas le faire.

On a eu alors la réaction des huit provinces; le NPD sur le plan fédéral et notre Assemblée nationale ici, au Québec, avons demandé tous ensemble à M. Trudeau de négocier, ce qui a été consigné dans notre fameuse résolution du 2 octobre 1981. Ce n’était pas facile pour notre parti de voter pour une telle résolution, non pas parce que nous ne croyions pas aux négociations, mais parce qu’elle émanait du gouvernement péquiste. Comme je l’ai dit dans le temps devant l’Assemblée nationale, cette résolution n’était qu’un moyen de tordre le bras de M. Trudeau pour qu’il négocie et d’exiger de la flexibilité de la part du gouvernement fédéral. En toute honnêteté, M. le Président, on a eu cette flexibilité parce qu’on a eu la conférence fédérale-provinciale du 3 au 5 novembre suivant à Ottawa. M. Trudeau n’était pas obligé de la faire sur le plan légal. Mais, selon les conventions et selon les demandes des provinces, y compris l’Assemblée nationale, il a négocié. Nous connaissons tous les résultats de cette conférence, c’est-à-dire que le fédéral et toutes les provinces canadiennes étaient d’accord sur un pacte constitutionnel, sauf le Québec. On voit le changement d’attitude, savez-vous? Le 16 avril, trois jours après les élections, M. Lévesque a souscrit à l’accord des huit provinces, mais là, on est rendu dans le mois de novembre et l’histoire change.

Le prochain événement important au point de vue des dates était le discours inaugural de M. Lévesque, le 9 novembre. J’étais ici quand il était là et qu’il a fait son discours où il a dit qu’il avait été trahi, que le Québec était violé, qu’il s’agissait d’un groupe de bandits – il parlait de premiers ministres d’autres provinces – que le premier ministre l’avait trahi pendant cette nuit des longs couteaux, que, de toute façon c’était le sommaire de son discours à ce moment – il n’y avait plus rien à négocier, qu’on ne parlait plus avec eux autres. Il a même dit: On n’assistera plus aux conférences fédérale-provinciales, sauf évidemment là où il y a des sous à aller chercher.

Il est évident, M. le Président, que pendant cette conférence à Ottawa, entre toutes les provinces et le fédéral, M. Lévesque n’a jamais voulu négocier de bonne foi, parce que comment est-ce que M. Lévesque aurait pu retourner dans la province de Québec comme père d’un fédéralisme renouvelé alors qu’il ne croit vraiment que dans une seule chose, soit: la rupture de notre pays, la séparation? Dans les jours qui suivirent le discours inaugural de M. Lévesque, où il a dit: II n’y a plus rien à négocier, c’est fini – il était très militant à ce moment – on a vu la réaction de l’opinion publique qui demandait, qui réclamait la négociation. C’était clair dans

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la presse francophone, anglophone, partout. En fait, le chef de l’Opposition de notre équipe, M. Ryan, réclamait aussi des négociations et il suggérait des solutions aux trois problèmes qui existaient, aux trois problèmes majeurs, c’est-à-dire la formule d’amendement, la clause de mobilité et les droits linguistiques des minorités.

N’oublions pas que depuis cette conférence du 3 au 5 novembre, à Ottawa, M. Lévesque n’a jamais parlé ou voulu négocier avec M. Trudeau. Pas du tout. Il ne veut rien savoir. Mais après les pressions de l’opinion publique, il commence à changer graduellement et là il nous présente – on est rendu au 17 novembre – la fameuse motion qu’on a devant nous maintenant. M. le Président, dans cette résolution, cette motion du gouvernement de M. Lévesque, on demande carrément, au paragraphe 2a, de maintenir au Québec son droit de veto. On demande cela, sans même attendre les résultats du débat de cette résolution, cette motion qui est devant nous aujourd’hui. On la discute, on ne sait pas comment on votera, peut-être qu’il y a des péquistes qui voteront contre, je ne le sais pas, mais on n’attend même pas ça parce que le 25 novembre, dans la motion encore devant nous, on demande: S’il vous plaît, redonnez-nous le droit de veto. Mais le 25 novembre, M. Lévesque a exercé son droit de veto! Le 17 novembre il demande, dans la résolution: Voulez-vous me donner mon droit de veto? Je l’avais perdu, je veux l’avoir. Et le 25 novembre il dit: Je l’exerce, ce droit de veto.

Voilà une contradiction qui ne s’explique pas, que la population ne comprend pas, que moi je ne comprends pas non plus et que même les péquistes ici ne comprennent pas s’ils pensent sérieusement à leur affaire. Pas seulement ça! Avant même d’avoir une réponse de M. Trudeau, il annonce déjà: Voici, on va devant la Cour d’appel de la province de Québec pour demander si on a ce droit de veto et, selon le résultat, le jugement de la Cour d’appel, on va même à la Cour suprême. On débat ce soir une résolution, une motion où on demande le droit de veto. Entre-temps, on a déjà exercé le droit de veto et maintenant on demande à la Cour de confirmer si on a droit au droit de veto, oui ou non. Comprenez-vous ça? Il y a une expression, dans le pays natal d’où je viens, M. le Président, la Hollande, qui dit – je vais le dire d’abord en hollandais et, ensuite, traduire pour vous autres – Lévesque heeft gesproken als een kip zonder kop. M. Lévesque a parlé et agi comme un poulet sans tête. Depuis le mois d’avril jusqu’à aujourd’hui, on peut dire qu’il s’agit de zigzaguer en réagissant aux demandes de l’opinion publique; on va à gauche, on va à droite, on va en arrière, on va en avant, on est mêlé, on ne sait plus quoi faire. (20 h 40)

M. le Président, analysons rapidement quelques paragraphes de cette fameuse motion qui est devant nous. La motion commence – c’est supposé être la manière de négocier du gouvernement du Parti québécois. – par dire: « Rappelant le droit du peuple québécois à disposer de lui-même. » C’est bien beau de le dire, mais quand vous voulez négocier un fédéralisme renouvelé, pourquoi insérer ce paragraphe là-dedans, qui me fait penser à l’étapisme du Parti québécois? Parce que, quand on dit « le droit du peuple québécois à disposer de lui-même », on ne pense qu’à une chose, la séparation, la souveraineté. Cela ne devrait peut-être pas se trouver dans un texte, si on est sérieux pour négocier un fédéralisme renouvelé. Ensuite, on est prêt à négocier, disent les péquistes.

Dans le paragraphe 3, on déclare qu’on « ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution, sauf si celui-ci rencontre les conditions suivantes. » Avez-vous jamais vu ça, M. le Président? Même le député de Prévost, qui connaît bien le droit ouvrier, doit savoir que, quand on parle avec quelqu’un pour négocier, on ne dit pas: Je négocie, mais je veux les choses suivantes; autrement, je ne parle pas. Est-ce que c’est cela se parler?

Une voix: Négocier debout.

M. Polak: Ce n’est pas une façon de négocier. M. le Président, cette résolution a été préparée juste pour un but, pour le congrès qui aura lieu en fin de semaine à Montréal, avec les 2000 militants. Savez-vous ce que la Gazette disait en fin de semaine: « The radicals at Rene’s heel ». Pour ceux qui ne comprennent pas, je vais traduire: Les radicaux aux talons de René. Les radicaux parlent, MM. les députés de Maisonneuve et de Rosemont. C’est ça, la vraie raison. On veut acheter la paix.

M. le Président, je ne veux pas continuer, parce que je veux donner à mes confrères une chance de continuer. Je voulais parler de la clause de mobilité, mais je laisse cet honneur au député de Hull qui connaît très bien ça. Mais je voudrais dire une chose… J’espère que les applaudissements sont pour le député de Sainte-Anne. Merci.

M. le Président, en terminant, vous vous rappelez le petit livre qu’on a eu, intitulé Minute Ottawa!, que j’ai critiqué dans le temps et avec raison. J’ai un petit slogan pour les péquistes et pour M. Lévesque, parce qu’il n’est pas encore trop tard. Malheureusement, M. Lévesque n’est pas ici, il ne peut pas entendre ce que j’ai à dire, mais il devrait dire: Minute Ottawa, j’arrive, je suis en retard, il faut se parler,

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c’est encore le temps.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député de Laurier.

M. Christos Sirros

M. Sirros: Merci, M. le Président, à mon tour, je me lève pour me prononcer sur la motion que nous avons devant nous, mais, avant d’aborder le contenu de la motion, j’aimerais prendre quelques instants pour partager avec mes concitoyens du Québec mes vues sur la situation actuelle, dresser, en quelque sorte, ce que je vois comme toile de fond sur laquelle arrive cette motion. Il y a près de deux mois, comme on se le rappelle tous, le 2 octobre, la presque totalité des députés de cette Chambre se trouvait unie dans un des rares moments d’absence de partisanerie. Si nous avons voté, M. le Président, le 2 octobre, de la manière dont nous l’avons fait, c’est parce que nous étions dans une tout autre situation que celle que nous connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, les événements changent tellement vite dans ce dossier depuis un certain temps l’ensemble du dossier évolue de façon très rapide et il y a un mouvement continuel -qu’il est très compréhensible que la grande majorité de nos concitoyens se sente perdue, sinon fatiguée d’entendre parler de constitution.

Le 2 octobre, nous étions devant un projet fédéral contre lequel s’élevaient les voix des huit provinces canadiennes. Nous étions éqalement devant une intransigeance apparente du premier ministre du Canada, M. Trudeau. Nous avons voté à ce moment une motion qui, d’une part, déclarait que l’Assemblée nationale s’opposait à une action unilatérale qui réduirait ses pouvoirs, et d’autre part, on exigeait la reprise des négociations. Ces négociations ont eu lieu. M. Trudeau a ouvert la porte à ces négociations, et quelques jours plus tard, elles ont eu lieu.

Nous avons donc, en partie, ici à l’Assemblée nationale, réussi à faire bouger le gouvernement fédéral, à le sortir de son intransigeance et à l’asseoir à la table pour reprendre les discussions. Le tout s’est terminé le 5 novembre dernier par une entente signée par neuf provinces canadiennes et le gouvernement fédéral. M. Lévesque, à la suite de cette entente, est revenu à Québec tout bouleversé, agité, en proférant ce qu’on pourrait qualifier des discours vitrioliques, assaisonnés un peu de menaces et d’appels à la résistance.

Quelque part dans cette agitation, il a réussi quand même à trouver quelques moments de lucidité pour nous faire part que son gouvernement s’opposait finalement à trois points précis dans l’accord: premièrement, la clause de la mobilité; deuxièmement, la compensation financière en cas d’amendements constitutionnels et en cas de retrait du Québec de ces amendements; troisièmement, la fameuse clause 23, soit le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité. Quelques jours plus tard, M. Trudeau a encore une fois laissé entrevoir la possibilité qu’il pourrait y avoir d’autres pourparlers, d’autres négociations avec le Québec.

M. Lévesque, pour sa part, nous a répété continuellement qu’il ne voulait rien savoir. Nous lui avons rappelé le sens d’un des paragraphes de la motion du 2 octobre qui demandait qu’on trouve une solution négociée à cette question constitutionnelle. Rien à faire, pourtant. La situation avait changé, disait le gouvernement. Il ne se sentait plus lié par cette motion ou, tout au moins, par cette partie de la motion. On avait commencé, à ce moment, à la suite du discours inaugural, de l’autre côté de cette Chambre, à nous parler continuellement de la nuit des longs couteaux, des mauvais Anglais, sinon des maudits Anglais, de la guerre des plaines d’Abraham, même, pour fouetter l’ardeur des militants péquistes qui commençaient à manifester une certaine inquiétude face à la possibilité que leur gouvernement signe un accord pour une nouvelle constitution canadienne. D’ailleurs, convoqués en congrès national spécial pour essayer de voler la vedette à M. Trudeau qui parlait le même jour – petit jeu qui se jouait à côté – les membres du Parti québécois ont durci leur position. Ils ont laissé tomber le trait d’union entre la souveraineté et l’association et ont commencé à parler d’indépendance pure et simple.

Le vendredi 13 avril, dans un exercice que je qualifie de publicité, le gouvernement a dévoilé aux journalistes une motion qu’il entendait soumettre à l’Assemblée nationale quatre jours plus tard. C’est un geste en soi qui indique un peu le style de ce gouvernement. Le respect de l’institution qu’est l’Assemblée nationale aurait exigé que celle-ci soit saisie de la motion avant les journalistes. On respecte peut-être les conventions quand cela nous convient, mais on les bafoue quand on peut en tirer profit. La consistance qui est là, cherchez là!

La semaine passée, la motion a finalement été appelée pour discussion, dix jours après son dépôt devant les journalistes, tandis qu’on disait que la situation pressait, qu’il y avait une crise, que c’était urgent. Devinez pourquoi cela a pris tant de temps? Entre-temps, entre le moment où le premier ministre a dévoilé sa motion et le moment où on a commencé à la discuter, ce gouvernement qui se dit le défenseur des intérêts des Québécois est venu déposer un deuxième budget à l’Assemblée nationale, un budget des plus régressifs qui met l’incompétence économique de ce

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gouvernement sur le dos des Québécois, et non seulement il ne défend pas leurs intérêts, mais il les met quasiment à genoux.

Voilà donc qu’après le dépôt de ce budget, on a sorti cette motion du tiroir et on a commencé à la discuter, un geste qu’on qualifie de tactique de diversion. Voilà en gros comment nous en sommes rendus là. (20 h 50)

Regardons un instant la motion elle-même en se rappelant les trois points de désaccord, mentionnés par le premier ministre, M. Lévesque, et les raisons pour lesquelles il n’a pas signé l’accord des neuf. Quand on lit la motion et qu’on pense à ces trois points, on se rend compte très rapidement que cette motion ne vise absolument pas à résoudre le problème. Si on voulait vraiment arriver à une entente, le gouvernement aurait accepté de parler de l’accord avec le gouvernement fédéral au lieu de présenter des motions qui essaient simplement de sauver la face devant les militants péquistes se préparant à un congrès national.

Que dit la motion quant à la clause de mobilité dans le projet constitutionnel? Absolument rien de constructif, étant donné que ce gouvernement ne veut pas entendre parler de mobilité dans la motion et dans la charte des droits où la clause se retrouve. Il exige dans sa motion la disparition de cette clause de la charte des droits.

De quelle menace pourrait-il s’agir quant aux intérêts des Québécois? Que dit cette clause qui pourrait causer d’irréparables torts au Québec, comme on nous en a fait part de l’autre côté de la Chambre de façon continuelle? Elle dit principalement deux choses. J’aimerais profiter de l’occasion pour les citer pour tout le monde. La première dit simplement ceci: Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

La deuxième: Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit de se déplacer dans tout le pays, d’établir leur résidence dans toute province et de gagner leur vie dans toute province.

Il y a un troisième paragraphe qui dit ceci: Ces droits mentionnés au paragraphe 2 sont subordonnés, a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle; b), ils sont subordonnés également aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

Le gouvernement pourtant ne veut pas entendre parler de mobilité, un point, c’est tout. Pourtant, il me semble qu’une des choses les plus logiques, quand on sait qu’on fait encore partie du Canada, une des choses les plus normales, c’est qu’un citoyen d’un pays ait le droit de se déplacer à travers ce pays et de travailler où il peut dans ce pays. Les temps qui courent sont déjà assez difficiles pour gagner sa vie, venir empêcher ce genre de chose rendrait peut-être la vie encore plus difficile aux gens.

Encore plus, si jamais on craignait que ces étrangers de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick viennent ici voler nos jobs, le projet constitutionnel donne le droit à une province ayant un taux de chômage plus élevé que la moyenne de prendre des actions pour protéger les personnes les plus défavorisées par cette situation. Il est donc à mon point de vue inacceptable que le gouvernement s’oppose au droit d’un citoyen de vivre là où il veut et de travailler là où il veut dans le pays, d’autant plus que tous les règlements quant à l’exercice de profession resteront intacts ici au Québec.

Le deuxième point de désaccord: la compensation financière. De quoi s’agit-il finalement? Après avoir signé, le 16 avril, une entente avec sept autres provinces où le Québec a laissé aller son droit de veto, le marchandait, le gouvernement le réclame de nouveau aujourd’hui. C’est une position finalement peu sérieuse, compte tenu que c’est ce même gouvernement qui a effectivement marchandé quelque chose qui ne devrait pas être marchandable. La solution se trouve finalement dans la voie des discussions par rapport à une compensation financière en cas de retrait du Québec des programmes découlant d’amendements constitutionnels.

Le chef de mon parti, M. Ryan, a déjà proposé que cette question soit examinée de nouveau. Le premier ministre Trudeau a déjà consenti à reconnaître une compensation financière dans deux domaines, l’éducation et la culture, en laissant entrevoir qu’il est peut-être prêt à aller plus loin, mais personne ne donne quoi que ce soit sans qu’on ne le demande. Ce n’est pas en criant ici sur tous les toits que le Québec ne négociera jamais qu’on en arrivera à un accord acceptable sur ce point. Tout ce que l’on fait dans cette motion à cet égard, c’est de reculer à la position du Québec du 16 avril dernier ou avant sans démontrer la moindre bonne volonté à discuter de façon responsable et sérieuse.

Nous arrivons finalement à la question des droits linguistiques. Le gouvernement voudrait nous faire croire qu’il y a ici matière à lancer une croisade de défense du caractère francophone du Québec, comme si nous étions envahis par des petits anglophones qui viendraient de l’Ontario pour angliciser le Québec. Rien de plus faux, de plus xénophobe et de plus aveugle au commun bon sens.

Le premier ministre Trudeau, à la suite

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de suggestions de M. Ryan, a accepté que la portée de la clause linguistique soit limitée à la fameuse clause Canada. Cela veut dire exactement la même clause que celle qui existe actuellement dans la loi 101, sauf que ceux qui auraient fait leurs études en langue anglaise au primaire partout au Canada, au lieu de simplement au Québec comme le dit la loi 101 actuellement, auraient le droit d’envoyer leurs enfants aux écoles anglaises. Il s’agirait, selon les chiffres d’une étude de l’Office de la langue française, en collaboration, je crois, avec le ministère de l’Éducation, d’une augmentation de clientèle dans les écoles anglophones de l’ordre de 1000 à 5000 élèves.

M. Laurin:

M. Sirros:Vous avez accepté, M. le ministre, la dernière fois, l’exactitude de ces chiffres, et on parlait de 5000 personnes. C’est une augmentation de 1% de la clientèle, au maximum, dans les commissions scolaires anglaises. C’est ça, M. le Président, l’immense menace! Sommes-nous, finalement, nous, les Québécois qui demeurent ici, d’un esprit si étroit que nous craignions cela? Je crois que non. Il se peut que d’autres, de l’autre côté, souffrent de cette étroitesse d’esprit. Je suis convaincu que la grande majorité des Québécois accepterait ce fait avec dignité et générosité.

C’est le Parti québécois qui veut agir de cette manière, comme si le Québec était déjà indépendant. C’est ça, la pierre d’achoppement. Il n’y a rien de plus normal, dans un pays où, aujourd’hui, on demande de reconnaître la dualité, que les enfants dont les parents ont été instruits dans une langue puissent fréquenter les écoles de la même langue. Que dit la motion sur ce point? Elle dit simplement que le Québec ne devrait pas avoir à accepter cette partie de la nouvelle constitution canadienne. Comme si une constitution d’un pays pouvait s’appliquer en morceaux ici et là.

En terminant, cette motion n’est rien d’autre qu’un geste partisan. Son intention est de recevoir l’appui des militants au congrès qui se tiendra la fin de semaine prochaine, et cela démontre une étroitesse d’esprit qui n’est pas représentative de la population québécoise. La grande majorité de nos concitoyens exige de ce gouvernement de mener à terme cette négociation constitutionnelle et d’agir de bonne foi.

Nous, de ce côté-ci de la Chambre, après la façon catastrophique dont le gouvernement a mené les négociations jusqu’à présent, nous mettons en doute la compétence de ce gouvernement dans ce domaine et, évidemment, dans beaucoup d’autres. Non pas parce que les membres de ce gouvernement ne sont pas intelligents ou très habiles, mais simplement parce qu’ils participent à contrecoeur à un processus en lequel ils ne croient pas. Ils ont cherché la première occasion pour crier au viol et ils se contentent aujourd’hui de jouer les vierges offensées. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Vachon, sur une question de privilège.

M. Payne:M. le Président, je n’aimerais pas croire que le député de Laurier a induit cette Chambre en erreur. Peut-être faisait-il référence à quelques allusions que je faisais la semaine dernière concernant ceux qui viennent de l’extérieur du Québec. Effectivement, nous avons, au Québec, à peu près 24 000 personnes qui viennent d’autres provinces chaque année. Cela représente effectivement plus de gens, plus d’immigrants…

Des voix: Ce n’est pas une question de privilège.

M. Payne:C’est pour rectifier des faits.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Vachon, vous avez utilisé l’article 89 pour signaler ce que vous croyez être une rectification à vos paroles. Vous avez terminé? (21 heures)

M. Payne:Je voulais brièvement terminer, M. le Président, en disant…

Le Vice-Président (M. Rancourt): S’il vous plaît!

M. Payne:… qu’effectivement le député de Laurier induisait cette Chambre en erreur en suggérant qu’il y a très peu d’immigrants qui viennent des provinces, de l’extérieur. Merci.

M. Blank: Question de règlement.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Question de règlement.

M. Blank: :Si le député soulève une question de privilège, il doit poser une question de privilège. Qu’il n’ait pas la même opinion que le député de Laurier ne constitue pas une question de privilège. S’il veut rectifier ce qu’il a dit dans son discours, c’est l’article 96. M. le député de Laurier n’a pas discuté le discours du député de Vachon du tout. Ce n’est ni une question selon l’article 96, ni une question de privilège ici.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Richelieu.

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M. Maurice Martel

M. Martel: M. le Président, j’écoutais tout à l’heure mon savant collègue, le député de Sainte-Anne, faire allusion à ce que ses commettants lui avaient dit en fin de semaine ne pas comprendre très bien que, devant une situation économique comme celle que nous connaissons en Amérique du Nord, ici, à l’Assemblée nationale, on discute de problèmes de constitution. Malheureusement, je constate que son histoire du Québec est très limitée puisqu’elle se limite à avril 1981.

Nous ne pouvons pas dissocier à ce moment-ci ce qui est économique de ce qui est constitutionnel.

Une voix: Les deux vont de pair.

M. Martel: Le Québec est une des nations fondatrices du Canada. Le Québec a une culture, des traditions qui ont fait que ce peuple fondateur du pays a besoin d’avoir tous les outils nécessaires afin d’assurer son plein épanouissement. Nous avons vu qu’au tout début de notre histoire on a reconnu, lorsque, par exemple, Cartier et Macdonald ont jeté les bases de cette Confédération, qu’il y avait deux cultures, deux peuples à l’intérieur de ce Canada.

Nous avons vu par la suite que nous avions, comme peuple francophone en Amérique du Nord, des droits, des privilèges que nous devons conserver. Et, pour ce faire, l’histoire nous rappelle que, depuis 1960, les premiers ministres qui se sont succédé dans cette Chambre, tels Duplessis, Johnson, Bertrand, Lesage, Bourassa et Lévesque, ont tous essayé de faire respecter ces droits et ces privilèges fondamentaux pour l’avenir de notre peuple. Nous avons vu ce que cela a donné en 1947, 1952, 1957, lorsque Duplessis était ici, lorsqu’il essayait de renégocier cette entente entre les deux peuples fondateurs. Il est arrivé ce qui arrive aujourd’hui, que toutes les provinces avec le fédéral ont décidé d’accords fiscaux à ce moment-là, et qu’elles ont isolé encore une fois le Québec. Cela se passait avant 1960.

Par la suite, en 1960, 1964, lors des conférences fédérale-provinciales, le premier ministre libéral du temps, M. Lesage, est allé à Ottawa défendre ses positions, et a réclamé du gouvernement fédéral cette fameuse formule d »‘opting out » permettant de se retirer avec compensation financière de programmes. Vous avez vu ce que cela a donné. Encore là, un front commun des autres provinces du Canada et l’isolement du Québec.

Par la suite, en 1967, j’ai vécu dans le gouvernement de l’Union Nationale avec Daniel Johnson qui défendait la thèse de l’égalité des deux peuples à l’intérieur de ce Canada ou d’en arriver à son indépendance.

Il fondait ses arguments sur la reconnaissance de ces deux nations comme fondatrices du Canada. Qu’est-ce que cela a donné, encore une fois? Le refus également de cette formule d' »opting out » nécessaire à la survie du peuple québécois.

De 1968 à 1970 Jean-Jacques Bertrand a repris exactement les mêmes arguments pour faire reconnaître que cette association de provinces était basée strictement sur l’identité de ces deux grandes cultures que sont la culture française et la culture anglophone. Encore là, front commun des provinces anglaises pour isoler encore le Québec.

Nous avons vu un autre premier ministre, celui-là libéral, qui a vu, à Victoria, sa proposition rejetée carrément alors qu’il demandait des pouvoirs accrus pour le Québec dans le domaine des affaires sociales. Il a refusé avec raison de signer cette entente de Victoria. Encore une fois, le Québec a essuyé un autre échec.

Nous avons vu, par la suite, en 1981, ce qui est arrivé dernièrement lorsque notre premier ministre actuel est allé à Ottawa pour négocier une nouvelle constitution du Canada. Après avoir obtenu le consentement de cette province concernant le privilège de garder ses droits, de garder ses acquis tant pour les provinces anglophones que pour la province francophone, qu’est-ce que cela adonné? Quelques jours après, ce front commun se reformait à nouveau; le même front commun qui s’est formé dans le temps de Duplessis s’est formé encore une fois en 1981, de la même façon, en isolant le Québec.

Cette histoire se continue encore aujourd’hui. Que fait-on de cette dualité canadienne, de ces deux peuples fondateurs? Nier ce qui existe depuis 1867, que ces Québécois forment cette société distincte d’expression française. La formule d’amendement de la constitution: Ou bien on devra maintenir au Québec son droit de veto ou bien ce sera celui qui a été convenu dans l’accord constitutionnel signé le 16 avril dernier et confirmant le droit du Québec à ne pas être assujetti à une modification qui diminuerait ses pouvoirs ou ses droits, ou bien on devra recevoir, le cas échéant, une compensation financière raisonnable et obligatoire. Et cela ne s’applique pas; ça devient du chantage, ça devient un dilemme permanent, que nous connaissons depuis le début de la Confédération.

En effet, si le Québec veut continuer d’appliquer ses droits, privilèges et compétences, il devra continuellement choisir entre le respect de ses privilèges et le portefeuille des contribuables. Sans compensation financière, le peuple du Québec aura constamment à choisir entre garder ses compétences et payer le double prix ou bien, pour éviter de payer le double, abandonner

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ses compétences, droits et privilèges.

En 1968-1969, comme membre du gouvernement de l’Union Nationale, j’ai connu ces pénitences imposées par Ottawa lorsque, par exemple, il était question d’avoir, au Québec, cette assurance-maladie. Dans le temps, comme gouvernement, nous n’avions pas les moyens d’appliquer ce régime au Québec et nous avons refusé d’appliquer ce que le fédéral voulait appliquer avec le consentement de six provinces; maintenant, ça prend sept provinces pour appliquer un programme. Qu’est-ce qui est arrivé au Québec? Nous avons perdu 200 000 000 $, de l’argent des Québécois qui va à Ottawa et qui revient ici. Parce que nous ne voulions pas du programme, on nous a refusé cette somme.

C’est devant des dilemmes semblables que le peuple québécois sera systématiquement placé chaque fois que le fédéral décidera dorénavant, avec l’accord des sept, de mettre sur pied un nouveau programme. En tant que Québécois, nous ne pouvons choisir entre nos principes et 200 000 000 $. Donc, l’entente Ottawa-Canada anglais signifie que le Québec devra laisser aller à la pièce ses compétences, ses droits et ses privilèges et toute la définition que le Québec veut obtenir s’en va par le fait même à Ottawa. L’entente constitutionnelle Ottawa-Canada anglais est à la fois inadmissible et inacceptable pour le peuple québécois.

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Hull. (21 h 10)

M. Gilles Rocheleau

M. Rocheleau:Le 20 mai 1980, on nous parlait de référendum. Le peuple québécois a répondu qu’il voulait demeurer dans le Canada. Le 13 avril dernier, une élection provinciale: la veilleuse! Le parti séparatiste a plongé dans l’obscurité la séparation du Québec du Canada. Le 2 octobre dernier, M. le Président, on était appelé en cette Chambre en toute vitesse pour discuter d’une motion d’urgence, c’est-à-dire qu’à la suite des amendements que déposait l’Opposition dans la résolution qui devait être présentée, nous demandions la négociation, nous étions contre un rapatriement unilatéral et nous étions pour les droits de l’Assemblée nationale. Le 5 novembre, une fois les discussions terminées, neuf provinces canadiennes et le fédéral s’entendent. Le Québec passe à côté. Le 24 novembre, on nous déposait une nouvelle motion, une motion qui ne traitait plus uniquement des points en litige, comme la compensation pécuniaire en cas d »‘opting out », la langue, la mobilité. Le 25 novembre, quelques heures à peine après la motion qui contenait seize nouveaux problèmes que le Québec soulevait, déclaration ministérielle que nous faisait le premier ministre du Québec pour aller rechercher le droit de veto qu’il avait laissé sur la table, le 16 avril dernier.

M. le Président, les Québécois et les Québécoises en ont soupe de parler de constitution. Ils souhaiteraient que nous parlions d’autre chose. J’ose espérer que, demain, nous allons pouvoir commencer à parler d’autre chose. Vous savez, quand on parle de la langue, et qu’on regarde les nouveaux menus, quand on se présente dans un restaurant, il faut maintenant demander un hambourgeois. Si on veut boire quelque chose, on demande une racinette. Ouais, en québécois c’est un « hamburger » et une « rootbeer ». Il ne faudrait pas commencer à faire honte à notre mère patrie, la France, qui emploie quand même encore au coin des rues des « stop » et qui mange encore des « hot dogs ».

M. le Président, un des points les plus importants que je retiens actuellement, c’est la question de liberté de circulation et d’établissement. Nous en avons appris quelque chose dans l’Outaouais québécois quand le ministre du Travail du temps, M. Pierre-Marc Johnson, nous a passé sa loi sur le placement, une loi qui, à toutes fins utiles, empêche les Québécois, aujourd’hui, de travailler. La Loi sur la mobilité, on en a souligné tantôt quelques points. Mais de l’avis de motion donné par le ministre de la Justice, l’honorable Jean Chrétien, personne intègre, compétente, qui veut faire du Canada l’unité de demain, je tiens à vous souligner l’article 6, qui dit: Que tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir. Est-ce que cela est assez fort? De se déplacer dans tout le pays et d’établir sa résidence dans toute province. Est-ce que cela est assez fort? De gagner sa vie dans toute province.

M. le Président, je ne peux accepter là où nous sommes rendus actuellement au Québec. Il y a le gouvernement qui s’oppose au fait de permettre à tous les citoyens québécois de gagner leur vie partout au Canada. Il ne faudrait quand même pas s’inquiéter, mesdames et messieurs. Il ne faut pas s’inquiéter parce que tant et aussi longtemps que vous allez être au pouvoir, ne vous en faites pas, les Canadiens des autres provinces ne viendront pas prendre les jobs ici, il n’y en a pas de jobs. Ne vous en faites pas. Je trouve malheureux que nous charriions actuellement sur l’aspect constitutionnel alors qu’Ottawa est en train de régler nos problèmes pour nous. Pourquoi? Parce que le gouvernement actuel du Québec ne veut pas aller négocier. J’ose souhaiter qu’il leur reste un peu d’honnêteté, M. le Président, dans le sens qu’ils nous reviennent avec une vraie question.

Vous voulez, messieurs et mesdames, la

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séparation du Québec du Canada? Arrêtez donc de fricoter, comme le dit si bien votre premier ministre, et posez donc la question aux Québécois et aux Québécoises, pour qu’on en finisse, une fois pour toutes, pour qu’on puisse réellement bâtir au Québec ce que les Québécois et les Québécoises s’attendent de vivre, dans le Canada, avec une nouvelle fédération, avec une nouvelle constitution qui soit propre à nous tous. Je pense que c’est important, M. le Président.

Quand on parle de mobilité, j’examine un peu les problèmes que nous crée actuellement le gouvernement du Québec. Dernier budget Parizeau: catastrophe, 0,30 $ d’augmentation par gallon d’essence. On ne peut sûrement pas empêcher la mobilité, parce que les gens de Hull, de l’Outaouais traversent les ponts pour aller faire le plein d’essence du côté de l’Ontario. C’est ça qu’on voudrait empêcher, la mobilité, empêcher nos Québécois de sortir du Québec un jour? C’est ça que vous voulez construire messieurs et mesdames, une muraille? Une muraille pour empêcher nos Québécois de traverser et d’aller gagner leur vie de l’autre côté.

M. le Président, on s’aperçoit de plus en plus de la faiblesse et de l’irresponsabilité du gouvernement. Nous avons eu la visite de l’honorable premier ministre du Québec, M. René Lévesque, dans l’Outaouais, vendredi passé, et quand le premier ministre commence à utiliser les portes arrière, c’est qu’il a peur de faire face à ses responsabilités, c’est qu’il a peur de faire face aux gens qui ont des problèmes chez nous.

Non, M. le Président, je n’accepterai jamais d’appuyer de nouveau le gouvernement qui s’en va vers son but ultime qui est la séparation. Jamais plus! J’ose souhaiter et j’espère que nous sommes en train d’en convaincre le gouvernement; je m’aperçois de l’essoufflement du gouvernement actuel et, du côté ministériel, sur les quatre derniers orateurs, nous en avons gagné trois de notre côté. Vous êtes essoufflés, messieurs, vous n’avez plus d’argument. Je pense qu’il est temps, aujourd’hui, d’aller au peuple. Allez-y, au peuple, je vous l’ai demandé l’autre jour, je vous le demande encore ce soir. Allez au peuple, messieurs!

Le Vice-Président (M. Rancourt): À l’ordre, s’il vous plaît! S’il vous plaît! M. le député de Hull.

M. Rocheleau: M. le Président, je vous remercie de m’avoir donné la parole. Il faudrait peut-être penser à sortir votre règlement un de ces jours et lire l’article 100 pour que nos collègues d’en face puissent être un peu plus dociles dans cette Chambre. Je m’aperçois que dès la minute où on commence à chatouiller nos adversaires, ça s’excite. On parlait la semaine passée du poulailler qui commençait à picosser un peu. Je pense qu’on a raison quand on dit ça. Je pense qu’on ne peut sûrement pas accuser le député de Hull d’un langage antiparlementaire quand on entend la façon dont le premier ministre du Québec, traite les neuf premiers ministres des provinces voisines et le premier ministre du Canada.

Je trouve que c’est multiplier la haine. On n’est pas en train de se faire un Québec fort, on est en train de s’essouffler ensemble. Je trouve malheureux que nous parlions encore et continuellement de cette constitution et qu’on n’offre pas aux Québécois et aux Québécoises un menu plus judicieux. Merci. (21 h 20)

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Châteauguay. S’il y a eu entente, je reconnaîtrai le député d’Outremont.

M. Fortier: Merci beaucoup.

M. Dussault: M. le Président, ce n’est pas tout à fait ce que…

Le Vice-Président (M. Rancourt): Je m’excuse. M. le député d’Outremont.

M. Pierre-C. Fortier

M. Fortier: Merci beaucoup, M. le Président. Nous voici de nouveau dans cette Chambre pour discuter d’une autre motion traitant de la constitution. Notons que c’est la deuxième en deux mois et la troisième depuis l’an dernier. Je crois que la population qui nous écoute a bien du mal à se retrouver dans tout ce dédale des négociations fédérales-provinciales et se demande bien pour quelle raison nous en sommes encore à discuter de la constitution.

Je vais tenter de vous expliquer et d’expliquer à la population pourquoi nous en sommes encore là et pourquoi je crois que la motion présentée par le Parti québécois n’est d’aucune utilité, et pourquoi je voterai contre cette motion. Je vous ferai part de mes commentaires tout simplement, quoique je vous avouerai que je me sentirais bien plus à l’aise si j’avais à vous parler de développement économique, du chômage accru qui sévit dans les régions et de la nécessité pour le gouvernement de changer radicalement ses attitudes et ses politiques face à ces problèmes, s’il veut vraiment les résoudre.

En effet, toute personne qui parcourt le Québec en ce moment se rend bien compte qu’une très grande majorité de la population n’admet pas que ses députés et surtout que son gouvernement prennent tant de temps et d’énergie pour débattre de la question constitutionnelle alors que les besoins des travailleurs, surtout chez les plus jeunes,

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sont si aigus. La population du Québec connaît bien la conjoncture actuelle. Elle sait bien que, depuis que le Parti québécois est au pouvoir, le taux de chômage a augmenté de quelque 30% si on compare le taux de chômage moyen du Canada pour la période de quatre ans, allant de 1977 à 1980 avec la période antérieure de quatre ans de 1973 à 1976. Elle sait bien que les immobilisations dans le domaine de la fabrication ont diminué de 20% en comparant ces mêmes périodes. Comme tous le savent, ce sont ces investissements qui normalement créent le plus grand nombre d’emplois permanents. Elle sait bien que les tarifs d’électricité dans cette province ont augmenté de plus de 100% depuis 1977, alors que l’inflation n’aura augmenté, à la fin de 1982, que de 62%. Elle sait bien également que les Québécois sont ceux qui paient leur essence le plus cher au Canada.

M. le Président, la population sait ces choses. Les Québécois et les Québécoises savent que c’est difficile pour plusieurs de trouver un emploi et ils savent également que, lorsqu’ils en ont un, ils doivent payer les impôts et les taxes indirectes les plus élevés au Canada. Ce que la population sait aussi, c’est que cette Chambre a voté une résolution au début d’octobre, demandant au gouvernement du Québec de négocier et de défendre les intérêts du Québec de façon à permettre au Québec de jouer pleinement son rôle au sein de la fédération canadienne. C’est ce que la population a compris du débat sur la motion que nous avons eu au début du mois d’octobre.

M. le Président, certains de nos sympathisants nous ont reproché l’appui que nous avions donné au gouvernement à cette occasion parce qu’ils ne croyaient pas que le gouvernement puisse utiliser cet appui à bonne fin. Malgré tout, il semble bien qu’à cette occasion, soit au début d’octobre, une majorité de citoyens de cette province a compris que le Parti libéral du Québec avait vraiment à coeur les intérêts des Québécois et des Québécoises, ainsi que les intérêts de tous les Canadiens d’un océan à l’autre. Une majorité des citoyens de cette province a approuvé à ce moment le geste posé par l’Assemblée nationale parce qu’elle savait d’instinct qu’il était important pour le Québec de faire valoir son point de vue, qu’il était important pour le Québec de contribuer positivement à la négociation d’une nouvelle entente constitutionnelle et d’être partie prenante à toute modification substantielle de la constitution.

M. le Président, c’est ce que la population a compris des intentions exprimées par cette Assemblée au début d’octobre. Mais où en sommes-nous maintenant? Je suis convaincu qu’une très grande majorité de citoyens de cette province sont déçus. Ils sont déçus non seulement parce qu’ils voudraient nous voir passer à des choses qui, d’après eux, seraient plus importantes comme la lutte au chômage et le développement de notre économie, deux actions très importantes qui pourraient réduire d’ailleurs le fardeau de nos impôts. On ne peut les en blâmer, mais ils sont déçus, parce qu’ils se rendent compte que notre gouvernement a mal négocié, qu’il a mal défendu les intérêts du Québec et que les brillants stratèges de notre gouvernement ont amené le Québec dans un cul-de-sac.

M. le Président, il faut le dire et le redire, le gouvernement avait établi dans ce dossier constitutionnel une très mauvaise stratégie. Le gouvernement s’est fourvoyé dans son approche et il a perdu. Oui, M. le Président, en signant l’entente du 16 avril dernier, notre gouvernement lui-même a signé sa perte, puisqu’il acceptait officiellement de cette entente deux principes extrêmement importants. D’une part, il ne reconnaissait pas le Québec comme une province comme les autres, puisque le texte de l’entente du 16 avril ne fait aucune allusion à la dualité culturelle du Canada et, d’autre part, il acceptait de troquer notre droit de veto séculaire contre un droit de retrait avec compensation financière, comme si on pouvait négocier pécuniairement un droit de veto qui a eu dans le passé et qui aura encore dans l’avenir une importance primordiale. Ce droit de veto avait toujours été défendu avec acharnement par tous les premiers ministres du Québec jusqu’au 16 avril dernier.

Tous les Québécois ont compris récemment que le gouvernement du Québec avait déjà laissé tomber, en avril dernier, ses meilleurs atouts et que l’affaiblissement du Québec à la dernière conférence constitutionnelle n’était que le résultat des positions du gouvernement prises il y a quelque neuf mois. J’aimerais rappeler que cette entente du 16 avril, qui nous place maintenant dans une situation si difficile, ne fut jamais discutée publiquement et ne fut jamais soumise à cette Assemblée qui est censée nous représenter tous, surtout dans les moments difficiles.

M. le Président, le 16 avril dernier, non seulement le gouvernement a-t-il trahi les positions constitutionnelles les plus fondamentales du Québec, mais il l’a fait en cachette, sans chercher à obtenir l’approbation de cette Chambre, probablement parce qu’il savait fort bien qu’il ne l’aurait jamais obtenue.

Je veux souligner, pour que cela soit très bien compris, que le Parti libéral du Québec n’était pas partie prenante à cette entente du 16 avril et qu’il ne l’aurait jamais été, puisque l’entente que le premier ministre du Québec a signée est en contradiction flagrante avec le livre beige de notre parti.

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Le peuple du Québec a également compris autre chose, ces jours derniers. C’est que notre gouvernement est continuellement ballotté entre deux options fondamentales. Certains jours, notre premier ministre, tant bien que mal, tente d’honorer les promesses faites au peuple québécois lors des dernières élections, c’est-à-dire de défendre les intérêts du Québec à l’intérieur de la fédération canadienne, mais d’autres jours, plus nombreux malheureusement, il élabore des stratégies étapistes devant mener le Parti québécois, lentement mais sûrement, vers l’indépendance du Québec. C’est cet enchevêtrement d’objectifs contradictoires qui a mené notre gouvernement dans le cul-de-sac où il se trouve présentement.

M. le Président, les Québécois et les Québécoises ne sont pas dupes. Sans s’attarder à lire tous les textes constitutionnels, ils ont compris ce qui se passe présentement. Ils ont compris, premièrement, que le Québec est affaibli par les mauvaises stratégies du gouvernement. Ils ont compris qu’il était important pour le gouvernement, malheureusement, de répondre aux propositions positives qui lui ont été faites, tant par le gouvernement d’Ottawa que par les partis d’Opposition ainsi que celles qui ont été faites par notre chef de façon à rendre l’entente constitutionnelle compatible avec les vrais intérêts du Québec, mais, malheureusement, le gouvernement n’a pas voulu donner suite à toutes ces ouvertures.

Ils ont compris que notre premier ministre n’a pas cherché à tirer avantage de ces ouvertures, parce qu’il est prisonnier des vues indépendantistes de son parti, surtout à la vieille d’un conseil général du week-end prochain. Ils ont compris que la dernière motion présentement débattue en cette Chambre a bien peu d’importance et qu’elle n’a été amenée que pour cacher les bévues commises par le gouvernement dans ce dossier depuis neuf mois.

M. le Président, les citoyens de cette province ne sont pas dupes et ils ont compris quelle est la situation devant eux présentement. Je vous remercie. (21 h 30)

Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le député de Châteauguay.

M. Roland Dussault

M. Dussault: Merci, M. le Président. Je dois vous dire en commençant, et bien sincèrement, combien j’admire l’habileté de nos amis d’en face quand le tapis leur glisse sous les pieds dans les débats comme celui qu’on connaît présentement. Surtout, j’admire leur habileté à ne pas dire s’ils auraient, eux, voté pour la motion, signé oui ou non l’entente des dix. C’est ça, je pense, qui est le plus significatif dans ce débat depuis que nous entendons l’Opposition se prononcer sur la question.

Les événements constitutionnels depuis le référendum de mai 1980 ont largement permis aux Québécois de saisir toute la performance dont est capable la manufacture à illusions des fédéraux et de leurs nouveaux alliés provinciaux. Le non voulant dire un oui au référendum, la négociation estivale devant mener à l’échec, selon le document Kirby, la négociation de la dernière chance démasquée en une nuit, voilà autant de scénarios dont l’objectif, maintenant évident, était d’entretenir l’illusion chez les Québécois.

Les Québécois, cependant, ne sont pas les seules victimes de cette illusion manufacturée. C’est aussi le cas de nos frères de sang qui vivent en dehors du Québec. Depuis qu’il est question d’introduire une charte des droits dans la constitution canadienne, pour eux aussi la grande illusion continue. M. Jean Chrétien leur a dit: Ce sont les minorités francophones qui doivent en premier lieu profiter de la révision constitutionnelle. Qu’en est-il de la réalité? C’est de ça que je veux parler maintenant.

Lors des négociations de la dernière chance, de tous les premiers ministres des provinces où il y a des minorités francophones, seul le premier ministre du Nouveau-Brunswick a fait preuve d’une certaine ouverture à l’égard des francophones hors Québec, mais pour sa province seulement. Les autres ont pratiqué la politique de la porte fermée. Que représentent ces francophones hors Québec sur le plan du nombre et où se situent-ils?

Globalement, en 1971, les francophones hors Québec se déclarant de langue maternelle française étaient au nombre de 924 790, alors qu’en 1976, ils ont diminué, on n’en comptait plus que 896 350. Cependant, en 1971, sur les 924 790 qui se déclaraient de langue maternelle française, seulement 675 200 personnes déclaraient avoir toujours le français comme langue d’usage. Ces francophones hors Québec constituent, en Ontario, 5,6% de la population; au Nouveau-Brunswick, 33%; en Nouvelle-Écosse, 4,5%; à l’Île-du-Prince-Édouard, 5,5%; à Terre-Neuve, 0,5%; au Manitoba, 5,4%; en Saskatchewan, 2,9%; en Alberta, 2,4% et en Colombie britannique, 1,6%. Un jour, au Canada, nous formions la majorité.

D’ici 20 ans, selon une étude récente des démographes Réjean Lachapelle et Jacques Henripin, les francophones hors Québec ne représenteront plus que 2,2% à 3,5% de la population canadienne, alors qu’en 1976, ils étaient de 4,4%. De toute évidence, quand il s’agit de la langue maternelle, les francophones hors Québec sont en nette régression et la situation est pire lorsqu’il s’agit de leur langue d’usage.

Ce n’est qu’en 1968 que des lois sur

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l’enseignement en français ont été adoptées en Ontario; en 1969 pour le Nouveau-Brunswick, encore que celles-ci furent promulguées dans leur totalité seulement en 1977, et en 1970 pour ce qui est du Manitoba. Selon le document Deux poids deux mesures, produit par la Fédération des francophones hors Québec: « Si ces lois avaient toujours existé, on n’aurait pas, aujourd’hui, un taux aussi effarant d’assimilation. Il ne faut pas oublier que si plusieurs communautés anglophones ont pu étudier en français, elles ont dû le faire dans l’illégalité et la clandestinité. Les lois sur l’enseignement en français dans ces trois provinces n’établissent aucunement un statut d’égalité et ne permettent pas d’instaurer un système d’éducation autonome. Elles permettent tout simplement aux commissions scolaires d’ouvrir des écoles françaises pourvu qu’un nombre minimum d’élèves soient inscrits. » Je le répète: « pourvu qu’un nombre minimum d’élèves soient inscrits. »

Cela ne ressemble-t-il pas à quelques petits mots de la charte des droits inscrits dans la résolution d’Ottawa présentement à l’étude à la Chambre des communes? En Saskatchewan, selon les francophones hors Québec, l’État peut agir au gré de sa fantaisie en déterminant les règles du jeu. Les écoles désignées, écoles où l’on tolère l’enseignement du français, n’ont aucune garantie de survie et existent selon le bon vouloir du cabinet.

En Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, comptez-vous chanceux, dit le document. Il ajoute: « Dans ces deux provinces il existe quelques écoles où on enseigne en français, mais l’existence même de ces écoles relève entièrement du pouvoir discrétionnaire des ministères de l’Éducation. Il n’existe aucune loi provinciale à ce sujet. »

À Terre-Neuve, maintenant, on dit dans le document: « Les quelques écoles qui dispensent un enseignement en français sont des projets pilotes, par conséquent elles peuvent tout aussi bien disparaître sans que les communautés n’aient le moindre recours. » C’est ça la réalité, M. le Président. Des générations de revendications n’ont rien donné de plus. Sauf au Nouveau-Brunswick, où des changements récents permettent de l’espérer, les francophones hors Québec ne peuvent encore voir comment ils pourront un jour avoir un contrôle réel sur leurs écoles.

Est-ce que la charte incluse dans la résolution fédérale y changera quelque chose? Est-ce que l’article 23 de cette résolution deviendra le rempart souhaité contre l’assimilation galopante des francophones hors Québec? Je dis non. Les francophones hors Québec disent non aussi. Il n’y aura que les marchands d’illusions pour tenter de faire croire qu’il y aura des changements après cela.

Dois-je rappeler que le contenu de la résolution actuelle relatif aux francophones hors Québec n’est pas fondamentalement différent de ce qu’il était lorsque M. Trudeau voulait l’imposer unilatéralement, ce qui permet de penser que toutes les critiques faites avant demeurent vraies aujourd’hui? Pour les francophones hors Québec, le sort est toujours réservé aux quelques petits mots: « là où le nombre le justifie ».

Voyons ce qu’en pensent les francophones hors Québec eux-mêmes. Mme Jeannine Séguin, porte-parole officiel des francophones hors Québec, disait, dans une lettre du 28 octobre, adressée au coprésident de la conférence constitutionnelle devant se tenir le 2 novembre suivant: « Dans sa version actuelle, le projet de charte des droits linguistiques est beaucoup trop limitatif pour qu’il serve à améliorer de façon tangible la situation des francophones hors Québec, en particulier dans le domaine de l’éducation. La Fédération des francophones hors Québec ne peut souscrire à une charte qui assujettit le droit à l’enseignement en langue française à des considérations de nombre suffisant qui ne garantit pas aux francophones hors Québec l’accès à des classes et à des écoles homogènes, de même que le droit à la gestion de leurs institutions scolaires. » Un peu plus tard Mme Séguin ajoute:  » En définitive, la seule chose que nous accorde la charte est le droit de revendiquer devant les tribunaux pour la reconnaissance de nos droits linguistiques dans le domaine de l’enseignement. »

De plus, la Fédération des francophones hors Québec a émis l’opinion qu’aucun tribunal ne pourrait forcer un gouvernement provincial à ouvrir une école française en dehors du Québec si le contenu de la résolution reste ce qu’il est présentement. Pour la fédération, la présente reconnaissance des droits linguistiques n’est qu’un voeu pieux si elle ne prévoit pas aussi que les bénéficiaires de ces droits auront le pouvoir d’exiger qu’ils soient respectés par le pouvoir exécutif autant que par le pouvoir législatif, ce qui n’est pas prévu.

On peut penser que la Fédération des francophones hors Québec dit ce qu’elle pense à la limite de ce que la diplomatie exige. Aussi, pour avoir une idée plus juste des sentiments des francophones hors Québec, il y a lieu d’évoquer ici ce qu’en disait un Franco-Manitobain maintenant installé au Québec, anciennement directeur général de la Société franco-manitobaine. Parlant de l’article 23 de la résolution fédérale à la commission parlementaire de la présidence et de la constitution, le 4 février dernier, M. Hubert Gauthier disait: « Pour mes frères, pour mes soeurs, mes amis, mes parents du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta, tout ce que ce même article leur concède et consacre, c’est le droit de se battre. J’aimerais vous signaler que le droit de se

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battre, moi je n’en ai pas eu besoin; mon père non plus n’a pas eu besoin du droit de se battre, mon grand-père non plus et Louis Riel non plus. Le droit de se battre on en portait l’enseigne, et, là-bas, cela faisait partie intrinsèque de la vie de tous les jours. Il est donc complètement superflu, pour ne pas dire aberrant, de nous dire qu’il faut enchâsser le droit de se battre dans la constitution canadienne. C’est cela, à mon avis – disait toujours M. Gauthier – la pire des inégalités, les deux poids deux mesures dont on faisait tant état. Il faisait allusion à ce moment-là au droit qu’ont les anglophones québécois. Plus loin, M. Gauthier ajoutait: « L’illusion, c’est que tout est centré sur l’aspect juridique, sur une soi-disant charte des droits qui donne bonne conscience à certains, et je sais très bien que tout ce débat ne représente qu’une petite fraction de la réalité quotidienne chez nous. » Il ajoutait: « Pourtant, on nous laisse croire que tous les problèmes des francophones hors Québec seront résolus une fois pour toutes lorsque ces droits seront enchâssés dans la constitution. Voilà l’autre illusion, disait-il. Il est à se demander si le projet de constitution qu’on nous propose n’est pas l’oeuvre de marchands d’illusions. » (21 h 40)

II ajoutait, évoquant la situation délicate dans laquelle se situent les francophones hors Québec face à leurs revendications et face au pouvoir: « Ils vont jusqu’à dire aux francophones hors Québec qu’ils doivent accepter cette situation sinon ils se retrouveront les mains vides, ils perdront toutes ces subventions qui ont été arrachées au prix de tant de luttes. » Il terminait en disant: « Les nombreux contacts que je maintiens encore aujourd’hui avec mes amis hors Québec me confirment que ce chantage éhonté se poursuit toujours. Les faits sont là, » disait-il.

À la question qu’on lui posait après son exposé, à savoir si le résultat du référendum était susceptible d’aider les francophones hors Québec et les Franco-Manitobains particulièrement, il avait répondu: « Non. Les francophones hors Québec commencent déjà à payer le prix du non que les Québécois ont offert à leur gouvernement. » Les francophones hors Québec ne peuvent pas se contenter de la reconnaissance d’un droit individuel; ils veulent des droits collectifs. Mme Séguin, la porte-parole officielle, s’est dite d’avis que toute modification constitutionnelle doit se faire dans le respect des conventions et des principes fondamentaux qui ont présidé à la fondation de ce pays, donc des deux peuples fondateurs, et c’est ce que nous revendiquons dans la motion que nous débattons présentement.

De plus, ce serait l’illusion consommée s’ils ne revendiquaient pas les droits essentiels – et ils les revendiquent – suivants: le droit à l’éducation en français de la maternelle à l’université inclusivement dans des classes, des écoles et des conseils scolaires qui sont sous le contrôle des francophones eux-mêmes, le droit à des services sociaux et communautaires en langue française, le droit à un appareil judiciaire offrant plusieurs services en langue française; le droit à un réseau de radio et de télévision en langue française, reflétant la réalité des besoins des communautés francophones hors Québec; le droit à l’usage du français dans les Législatures provinciales et dans les services qui en découlent.

Ce qu’ils veulent, au fond, ce sont les mêmes avantages qu’on offre à la minorité anglophone du Québec, et pourquoi pas? Mais cela, le Canada anglais ne veut pas le leur donner et il ne le leur donnera jamais. À part le Nouveau-Brunswick, les francophones hors Québec n’auront que ce que l’Ontario accepte bien de donner aux Franco-Ontariens et c’est peu de chose. On en a maintenant la certitude grâce à une lettre du premier ministre de l’Ontario adressée à une Ontarienne, Mme Sallmen, le 29 janvier dernier, et dont des extraits ont été publiés dans la Presse.

Selon M. Davis, la charte ne vise qu’à contrer la loi 101 et ne comporte rien de plus pour les Franco-Ontariens. Dans sa lettre, M. Davis disait: « Cela ne créera aucune obligation supplémentaire à l’Ontario qui a déjà, depuis plusieurs années, sa propre législation assurant que des programmes éducatifs dans la langue française sont offerts là où le nombre le justifie. » Toujours ces mots: « là où le nombre le justifie ». Pour bien faire comprendre sa pensée et bien situer sa conviction, M. Davis ajoutait: « Je tiens à vous assurer que nous sommes opposés à l’imposition du bilinguisme sur les institutions provinciales telles les Législatures, les tribunaux et autres institutions. » Comme si ce n’était pas suffisant, il ajoutait: « II est très évident que notre forte opposition à l’intention première d’Ottawa de revoir l’article 133 de la constitution pour imposer le bilinguisme institutionnel a porté le gouvernement canadien à laisser tomber cette idée ».

De toute évidence, non seulement le premier ministre de l’Ontario ne veut pas faciliter les choses aux Franco-Ontariens, mais encore il veut détruire ce qui existe dans les lois québécoises qui protègent les droits des francophones du Québec et c’est inacceptable. C’est dans ces cinq petits mots: « où le nombre le justifie », que l’on peut mesurer toute la générosité dont est capable le système fédéral et la population anglo-saxonne qui le contrôle, de même que le premier ministre de l’Ontario et les auteurs de la résolution fédérale débattue en Chambre des communes présentement. A-t-on

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compris, M. le Président, les pertes considérables pour les anglophones du Québec que constituerait au Québec l’application d’une mesure constitutionnelle aussi restrictive? Si notre générosité s’était laissée enfermer dans un tel carcan, connaîtrait-on la situation suivante au Québec? En 1980-1981, sur 377 écoles de langue anglaise, 40 avaient moins de 37 élèves. 21 avaient moins de 20 élèves. Sur 86 écoles bilingues où, pour la plupart, il y a cohabitation linguistique, 39 avaient moins de 37 élèves et 16 avaient moins de 20 élèves.

Plus précisément, sur le territoire même du Conseil scolaire de l’île de Montréal, dans l’appendice protestant du comté de Soulanges, en 1980-1981, le Soulanges Protestant School, à Saint-Télesphore, une école primaire avait neuf élèves, pas une classe de neuf élèves, M. le Président, une école de neuf élèves, une école régulière. Notre générosité n’a jamais eu de limites à leur égard, pas seulement dans le domaine scolaire de niveau élémentaire ou secondaire. La minorité anglophone du Québec a droit à trois universités, à plusieurs collèges, à plusieurs institutions de santé à caractère social, à plusieurs postes de radio et de télévision et même à des journaux dans sa langue où il est même possible d’y colporter toute la propagande entretenant chez cette minorité la conviction qu’elle n’a pas et qu’elle n’a jamais eu droit à une telle générosité.

M. le Président, si on enlevait de la résolution fédérale les mots « où le nombre le justifie », l’accord des dix n’existerait plus. Ces cinq petits mots garantissent, à toutes fins utiles, aux provinces de ne pas devoir appliquer les droits reconnus à l’article 23 de la résolution fédérale. C’est ça, la réalité. C’est de la fumisterie en mots clairs. C’est la garantie de l’assimilation. En terminant, M. Chrétien – je le rappelle – a dit aux francophones – et il leur a menti – qu’ils seraient les premiers à profiter de la révision constitutionnelle. C’était un autre des nombreux produits de la manufacture à illusions entretenues par le régime fédéral.

Vous me permettrez, M. le Président, puisqu’il en a été convenu ainsi, de changer de sujet pour aborder un amendement que je voudrais soumettre à la motion. Avant de soumettre cet amendement que j’annonce, M. le Président, je voudrais dire ceci: La semaine dernière, dans cette Assemblée, nous avions l’impression que l’égalité entre les femmes et les hommes du Canada était enfin reconnue. On sait maintenant que cette reconnaissance n’est pas aussi claire qu’on le croyait et que si l’article 28 assure que toutes les dispositions de la charte fédérale doivent respecter ce principe d’égalité, l’article 33, lui, permet des dérogations. Quel article prévaut sur l’autre? Nul ne le sait et les juristes sont divisés là-dessus. C’est donc la Cour suprême qui devra en décider un jour. Ce n’est donc pas la grande victoire que les femmes avaient pressentie et leurs commentaires reflètent la déception générale. Plusieurs Canadiennes croient que l’article 33 constitue une menace dont il est difficile de mesurer la portée. D’autres n’ont pas le sentiment que les femmes ont gagné quoi que ce soit par la seule modification de l’article 28. Et nous, Québécois et Québécoises, comment pouvons-nous nous situer face à cela?

Au Québec, l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne depuis 1975. Non seulement la charte reconnaît-elle le principe de l’éqalité, elle reconnaît certains droits qui donnent une consistance à ce principe. Par exemple, le droit à un salaire égal pour un travail équivalent. À plus ou moins long terme, la charte va reconnaître l’action positive, etc.

Motion d’amendement

Ce qui m’amène, M. le Président, à une constatation qui explique l’amendement proposé. Le système de droit civil qui est le nôtre est différent de celui du reste du Canada, il en est un où la loi écrite a une importance fondamentale, où seule l’Assemblée nationale peut adopter et modifier des lois. Ce système donne des ouvertures aux femmes. Ces instruments que nous donne notre système juridique, nous y tenons. Ce serait un recul que de se soumettre à une charte fédérale opaque, pour ne pas dire douteuse, sur la question d’égalité, la légitimité de ce que les femmes ont gagné ici au cours des années.

En conséquence, je propose l’amendement suivant, tel qu’entendu, à la motion déposée. À l’alinéa 3, je propose un nouveau paragraphe, entre b) et c), qui se lirait comme suit: « L’égalité entre les hommes et les femmes, pourvu que l’Assemblée nationale conserve le pouvoir de faire prévaloir ses lois dans les domaines de sa compétence. »

Merci, M. le Président.

Le Président: Je déclare l’amendement recevable et je cède la parole au leader de l’Opposition officielle. (21 h 50)

M. le leader.

M.Gérard D. Levesque

M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, il est réellement inconcevable qu’à ce moment-ci du débat, les ministériels déposent une motion d’amendement comme celle que nous avons devant nous. Vous me permettrez de rappeler à cette Chambre qu’en ce qui concerne l’égalité des hommes

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et des femmes, j’ai cru comprendre que des deux côtés de l’Assemblée, on voulait laisser entendre à la population qu’on appuyait ce concept. Or, à deux reprises, le gouvernement actuel a fait en sorte de vouloir jeter de la confusion, laisser entendre qu’on appuyait ce concept, mais à ces deux reprises, on présente des motions d’amendement qui n’ont pas pour effet de protéger, dans une charte constitutionnelle, cette égalité des sexes.

On se rappelle du raté de Mme la ministre à la Condition féminine, lorsqu’elle a présenté une motion d’amendement, qu’elle a, par la suite, retirée lorsqu’elle s’est sans doute aperçu de sa valeur intrinsèque, ou plutôt de son absence de valeur. Parce que tout ce que cette motion disait, en deux mots, c’est que nous avons ici une loi que nous appelons la Charte des droits et libertés de la personne et dans cette loi, on proclame l’égalité des sexes. Cette loi est une loi que nous connaissons bien, d’autant plus que c’est un gouvernement du Parti libéral, le dernier gouvernement du Parti libéral d’ailleurs… Est-ce qu’on met en doute qu’il s’agit bien de la Charte des droits et libertés de la personne, proclamée, déposée, votée par cette Assemblée sous un gouvernement libéral? Lorsque je parle du dernier, je ne parle pas dans le même sens que mes honorables amis d’en face, parce que ceux-ci savent fort bien que si on ne va pas aux urnes présentement, de l’autre côté, c’est simplement parce qu’on a peur que ce dernier devienne le prochain, et rapidement!

Je ne voudrais pas, à ce moment-ci, devant une question aussi sérieuse, me laisser entraîner par ces gens qui sont des spécialistes dans les procédures de diversion. Vous me permettrez de rappeler à cette Chambre justement que cette première motion d’amendement présentée encore une fois par les ministériels, et plus précisément par Mme la ministre d’État à la Condition féminine, avait simplement pour effet de rappeler qu’il existait ici une loi statutaire que l’on appelle la Charte des droits et libertés de la personne. Il s’agit bien d’une loi statutaire que tout gouvernement peut changer. On peut la changer chaque jour si l’on veut. Elle n’est pas enchâssée dans une constitution. Ce que les femmes du Canada, du Québec, de toutes les provinces canadiennes demandent, c’est que cette égalité des sexes se retrouve dans la constitution. Non pas une constitution fédérale, une constitution provinciale, mais la constitution du pays, c’est-à-dire une charte constitutionnelle qui, elle, ne peut être changée que par le truchement de la formule d’amendement dont on a tellement parlé. Cela veut dire une majorité de sept provinces, cela veut dire une possibilité de retrait, cela veut dire un vote dans les Chambres provinciales et au Parlement fédéral. C’est donc dire l’importance que ce droit, que ce concept de l’égalité des sexes se retrouve dans une constitution, dans une charte constitutionnelle. Le premier amendement n’avait pas pour effet de donner cette protection aux femmes du Québec et du Canada. Présentement, alors qu’on a retiré la première motion d’amendement parce qu’on savait fort bien qu’elle ne ferait pas grand chemin, on apporte un nouvel amendement à la fin de ce débat sur la motion principale du premier ministre. Et qu’est-ce que l’on dit? On dit: Oui, « l’égalité entre les hommes et les femmes, » on retrouve cela, mais on ajoute immédiatement: « pourvu que l’Assemblée nationale conserve le pouvoir de faire prévaloir ses lois dans les domaines de sa compétence. » Mais c’est justement cela qui affecte toutes les femmes du Québec et du Canada. Toutes les organisations féminines ont protesté justement contre cela. C’est cela que l’on retrouvait dans la résolution fédérale au début. C’est cela qui a fait qu’il y a eu mobilisation des femmes au Québec et au Canada qui ont dit: Non, nous n’en voulons pas, parce que, justement, ce que proposait le gouvernement fédéral, à la suite de la conférence fédérale-provinciale, de la conférence constitutionnelle, parce qu’il ne pouvait pas avoir l’accord des province, c’était d’avoir l’égalité entre les hommes et les femmes, mais assortie d’une formule, d’une clause qu’on appelle la clause « nonobstant ». Cela veut dire qu’une province ou le gouvernement fédéral pouvait encore légiférer à l’encontre de la charte constitutionnelle, à l’encontre de l’égalité des sexes, à condition que, dans cette loi, on dise que c’était « nonobstant la charte constitutionnelle ». C’est justement cela que les femmes ne veulent pas et – ils n’ont rien compris encore – ils reviennent encore ce soir avec le même amendement autrement présenté, mais qui n’a pas pour effet, justement, de consacrer l’égalité des sexes dans la constitution. On n’en veut pas, M. le Président.

Pourtant, regardons ce que la résolution fédérale dit. Au début, à l’article 28 – je le répète – elle proclamait l’égalité des deux sexes, mais conditionnellement à l’application de l’article 33, lequel article 33 décrivait ce qu’on appelle la clause « nonobstant ». Protestations à travers le pays! Finalement, les provinces les unes après les autres ont consenti à ce que demandaient les femmes du pays. Toutes les provinces, finalement, ont accepté, le gouvernement fédéral était bien d’accord et il a accepté. On nous disait encore récemment: Le Québec va accepter, il accepte, il est bien d’accord, mais lorsqu’on voit en blanc sur noir ou en noir sur blanc, comme vous le voulez, cet amendement qu’on nous apporte ce soir, on s’aperçoit que le gouvernement du Québec, le

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gouvernement du Parti québécois s’oppose par cet amendement au concept de l’égalité des sexes enchâssé dans la constitution canadienne.

Une voix: Honte! C’est une honte.

M. Levesque (Bonaventure):On aura beau dire, M. le Président: Mais voyez-vous, nous autres, on a une charte ici. On a une loi statutaire, qu’on l’appelle charte ou non. Ce n’est pas une charte constitutionnelle. Évidemment, nous avons une loi ici, au Québec, c’est vrai. D’ailleurs, nous l’avons adoptée ensemble et elle a été parrainée par un gouvernement libéral. Nous avons cela, c’est vrai, mais ce n’est pas une charte constitutionnelle, elle peut être changée n’importe quand.

Je les entends déjà dire: Mais il y a des fois où on voudrait légiférer, ici à l’Assemblée nationale, pour donner plus de pouvoirs aux femmes. Autrement dit, on ferait peut-être une infraction à la charte constitutionnelle parce que ce ne serait pas l’égalité, on voudrait donner plus aux femmes. Je rappelle à cette honorable Assemblée que l’article 15 de la résolution fédérale prévoit la discrimination positive. C’est-à-dire qu’on pourra adopter des lois ici pour rendre justice aux femmes et même aller plus loin que l’égalité. C’est déjà permis dans l’article 15 de la résolution fédérale.

Alors pourquoi ne pas l’accepter ce soir? Pourquoi se cacher derrière un autre amendement? Pourquoi essayer de faire croire à la population qu’on est en faveur de l’égalité des deux sexes alors qu’on apporte un amendement limitant et mettant de côté ce concept qu’on voudrait voir et que les femmes du pays voudraient voir enchâssé dans la charte constitutionnelle canadienne?

Motion de sous-amendement

Je termine ici ces quelques remarques que je voulais faire sur cet amendement, mais non sans vous dire tout de suite que notre formation politique votera contre cet amendement du député de Châteauguay. De plus, qu’il me soit permis de présenter un sous-amendement afin que notre position soit très bien comprise et que celle des ministériels soit également comprise parce que nos amis d’en face auront à se prononcer sur le sous-amendement que je propose immédiatement. (22 heures)

M. le Président, je propose que, dans la motion d’amendement du député de Châteauguay, tous les mots après le mot « femmes » soient retranchés et que cette motion se lise maintenant comme suit: « … l’égalité entre les hommes et les femmes. » Point. Merci, M. le Président.

Des voix: Bravo! Très bien!

Le Président: À l’ordre, s’il vous plaît! Je déclare recevable le sous-amendement et je donne la parole à Mme la ministre d’État à la Condition féminine.

Mme Pauline Marois

Mme Marois: Merci, M. le Président. Il est bien évident que je voterai pour l’amendement déposé par mon collègue de Châteauguay. J’aimerais dire immédiatement au député de Bonaventure que je suis essentiellement, sinon je ne serais pas là, en faveur de l’égalité entre les sexes, entre les hommes et les femmes, évidemment, cependant, dans le respect des différences.

Le député de Bonaventure semble dire qu’il y a unanimité chez toutes les femmes et tous les groupes de femmes du Canada, disant qu’enfin l’égalité entre les femmes et les hommes sera reconnue par l’enchâssement dans la constitution.

J’aimerais bien lui répondre maintenant, parce que je pense qu’effectivement il n’y a pas unanimité chez l’ensemble des femmes du Canada. D’autre part, j’aimerais bien dès maintenant dire aussi au député de Bonaventure qu’au contraire il m’apparaît extrêmement courageux de la part de notre gouvernement et je dirais aussi de ma part, comme ministre d’État à la Condition féminine, de soutenir ce qui est présenté maintenant ici comme amendement, parce que justement on reconnaît chez nous, au Québec, l’égalité entre les hommes et les femmes, mais dans le respect de notre différence.

J’aimerais parler des réactions des femmes à travers le Canada et des réactions d’un certain nombre de groupes. Mardi dernier, pour satisfaire le lobby des femmes – je pense qu’elles ont raison de le faire – la Chambre des communes a approuvé une nouvelle version de l’article 28 de la charte. Cet amendement vient corriger l’article 33, celui de la clause « nonobstant ». On y a retranché les mots qui exprimaient clairement que le législateur pouvait ignorer l’article 28 en passant des lois qui discriminaient sur la base du sexe. Le problème est donc maintenant de savoir quelle section a priorité sur l’autre. La section 28 qui comprend la clause d’égalité ou la section 33 qui permet le passage de lois discriminatoires?

Il y a plusieurs avis conflictuels qui ont été donnés à ce sujet-là. Je me permets de présenter quelques-uns de ces avis qui sont, évidemment, dans une traduction « ad lib ». Par exemple: Camara Thompson, qui est conseillère légale pour le Comité canadien des femmes et la constitution, s’inquiète à cause de la formulation qui n’est pas claire et croit que le verdict final repose sur

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l’interprétation ultérieure par la Cour suprême du Canada. Elle ajoute gu’étant donné l’histoire des cours canadiennes, de la façon dont elles ont négocié les droits des femmes, je ne suis pas sûre qu’elles jugeraient en notre faveur sur cette question. Graham Eglinton, qui est conseiller du comité conjoint Sénat-Communes sur les mesures législatives, se refusait de donner immédiatement une opinion, mais admettait que la formulation représentait clairement un problème, du moins en apparence.

Du côté des groupes de femmes, effectivement, l’enthousiasme n’est pas particulièrement délirant au sujet de cette entente. Plusieurs ont exprimé la crainte que l’article 33 – ne nous trompons surtout pas -constitue une menace dont on peut difficilement mesurer la portée. Lucie Pépin, présidente du Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, prétend que le nouvel article 28 est bienvenu, mais elle émet effectivement des doutes sur l’interprétation qu’on fera relativement à la clause « nonobstant » qui demeure encore.

Lynne Gordon, qui dirige le Conseil ontarien du statut de la femme, commente: « Je ne pense pas qu’il y ait matière à jubilation. Cela met en évidence le problème que nous sommes tous et toutes conduits en bateau. » Une autre femme de Regina nous dit qu’elle n’a pas le sentiment que les femmes ont gagné quoi que ce soit par la seule modification de l’article 28. Tous ces commentaires témoignent, c’est le moins qu’on puisse dire, que sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, la charte constitutionnelle est complexe, pour ne pas parler de complexité douteuse.

La confusion durera, évidemment, tant que ne sera pas établi clairement lequel des articles – 28 ou 33 – a priorité sur l’autre. Il est exclu que cela soit précisé dans la constitution; il est donc probable que la réponse appartient à la Cour suprême du Canada et que ce n’est pas demain qu’on saura exactement ce qui en est.

Je me permettrai aussi d’intervenir en ce qui a trait au fait que la charte québécoise des droits contient une clause « nonobstant ». Il est vrai que la charte québécoise contient une clause « nonobstant ». On la doit d’ailleurs à un gouvernement libéral, le député de Bonaventure l’a reconnu tout à l’heure et je l’ai même applaudi. Mais dans la mesure où la charte donne forme au principe d’égalité, dans la mesure où elle précise certains droits, elle interdit certains comportements pour définir de plus près le principe d’égalité. Je pense que c’est un instrument précieux pour les femmes du Québec.

Comme l’a souligné d’ailleurs mon collègue de Châteauguay, vous savez sans doute – et ce n’est pas à vous, M. le Président, que je vais l’apprendre – que notre système de droit civil, où la loi écrite, a une importance fondamentale, où seule l’Assemblée nationale peut faire et modifier des lois, ce système, M. le Président, donne des ouvertures aux femmes. Les femmes prennent la parole dans les commissions parlementaires. Les pressions de la base se répercutent sur l’Assemblée nationale. Cela nous a permis, entre autres, les femmes du Québec, de faire reconnaître l’égalité des conjoints dans le mariage, dans notre Code civil que nous venons à peine d’adopter, le droit à un salaire égal pour un travail équivalent. La charte des droits sera encore amendée prochainement au cours de cette session, sans doute en grande partie en réponse aux pressions des groupes de femmes, à leur participation, finalement, au processus d’élaboration des lois. Je le répète: Dans le domaine des droits des femmes, c’est le gouvernement qui est le plus près des citoyens et citoyennes qui est le plus susceptible de s’ajuster et de développer une politique globale de la condition féminine qui corresponde étroitement à la situation de la collectivité.

Ne nous y trompons pas, M. le Président, à Ottawa, les femmes ont eu beaucoup de difficultés à gagner, si on peut le dire, la reconnaissance du principe. À vrai dire, les femmes ne sont même pas sûres d’avoir gagné quoi que ce soit. Ce qui est beaucoup plus important, c’est comment on va interpréter ce principe d’égalité. Nous, les femmes, savons bien que, pour être égales, il faut arriver à faire reconnaître notre différence. La charte québécoise va dans ce sens et ira encore plus loin, comme l’a déjà annoncé mon collègue le ministre de la Justice. Pourquoi faudrait-il se reposer sur l’interprétation que les tribunaux anglophones donneront à la charte, eux qui ne reconnaissent pas encore le droit… M. le Président, je les ai écoutés tout à l’heure, je pense que j’ai droit au même respect.

Le Vice-Président (M. Rancourt): A l’ordre, s’il vous plaît! Mme la ministre. (22 h 10)

Mme Marois: Merci, M. le Président. On sait qu’effectivement, et j’y reviens, c’est un principe important, on ne reconnaît pas à beaucoup d’endroits – on est sûrement très particulier au Québec – le droit à un salaire égal pour un travail équivalent. Mon temps se termine, M. le Président. Je me permettrai de citer la présidente du Conseil consultatif canadien du statut de la femme: Je pense qu’on ne peut pas la taxer d’être péquiste. Lucie Pépin parlait de la conférence de Vancouver et elle déplorait l’absence du Québec à cette conférence. Elle a dit: « Mais nous continuons nos relations officieuses qui sont d’ailleurs excellentes. Le Québec est toujours très important dans ce type de rencontre car il a depuis longtemps

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le leadership sur ces questions. Il ne faut pas oublier que c’est la seule province à avoir un ministère d’État à la Condition féminine. » Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Rancourt): Mme la députée de L’Acadie.

Mme Thérèse Lavoie-Roux

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Il semble que de ce côté-ci de la Chambre comme de l’autre, du moins d’après les paroles de la ministre d’État à la Condition féminine, on veuille tous, je pense, avec beaucoup de sincérité assurer l’égalité des sexes. Mais j’ai écouté attentivement la députée de La Peltrie et il me semble y avoir une confusion. Elle a présenté son argumentation en voulant s.’opposer au sous-amendement – même si elle ne l’a pas mentionné, je pense que c’était sous-entendu – fait par le député de Bonaventure, voulant que l’article 28 qui, au départ, reconnaissait l’égalité des sexes, mais exception faite de l’article 33, c’est-à-dire l’article « nonobstant », créait une confusion, compte tenu que maintenant l’article 33 demeure et on pourrait avoir des difficultés à interpréter si, dans cette question d’égalité des sexes, c’était l’article 28 ou l’article 33 qui avait prédominance.

Il m’apparaît hors de tout doute, M. le Président, qu’à l’article 28, il est clair qu’on a barré, depuis une semaine ou lorsque la décision s’est prise au gouvernement fédéral, exception faite de l’article 33, c’est-à-dire indépendamment des autres dispositions de la présente charte… Les droits et libertés qui y sont mentionnés sont également garantis aux personnes des deux sexes. Le fameux article « nonobstant » n’existe plus, eu égard aux femmes; il subsiste eu égard à d’autres dispositions de la charte.

Une voix: C’est ça.

Mme Lavoie-Roux: II n’existe plus, eu égard aux femmes, mais, quand le gouvernement présente sa motion d’amendement, il veut reconnaître l’égalité des sexes, ce avec quoi tout le monde s’entend, mais pourvu que les lois du Québec, en l’occurrence, aient priorité sur l’égalité des sexes qui est prévue dans la charte. Ce que le gouvernement du Québec fait, je pense que mon collègue, leader de l’Opposition et député de Bonaventure, qui est un juriste averti l’a fait avec encore plus d’éloquence que je ne saurais le faire, mais, en termes plus simples, je pense que c’est évident qu’en réintroduisant ces mots: « pourvu que les lois du Québec aient prédominance », on rétablit cette notion de « nonobstant » pour laquelle on s’est battu et qu’on avait obtenu de faire disparaître.

Une voix: Exactement. Cela réintroduit la clause, vous venez de le dire.

Mme Lavoie-Roux: Ceci ne met pas en doute le fait – et c’est fort heureux – que, dans certains cas, la Charte des droits et libertés de la personne soit à l’avant-garde et que, pour certaines lois du Québec, dont ce côté-ci de la Chambre a été l’instigateur, l’Opposition du temps, j’en suis sûre, y a concouru et inversement, depuis que le Parti québécois est au pouvoir, dans les lois touchant les droits des femmes et introduisant des dispositions nouvelles pour les protéger, nous y avons souscrit.

Alors, ce n’est pas une question de ne pas être d’accord avec le fait qu’il y a peut-être des dispositions touchant les femmes qui sont à l’avant-garde au Québec par rapport à d’autres provinces, mais encore faudrait-il examiner toutes les dispositions ou toutes les lois des autres provinces avant d’établir un bilan final pour savoir quelle province ou quelle autre donne le plus d’avantages aux femmes.

Tout ceci pour dire qu’il m’est est difficile, pour ma part – même si je pense que j’ai les mêmes préoccupations touchant les droits des femmes que la députée de La Peltrie – à ce moment de venir restreindre par une clause « nonobstant », contre laquelle les femmes du Canada se sont battues, et la réintroduire sous forme d’amendement en disant: Nous voulons bien l’égalité des femmes, mais pourvu que nos lois qui, elles, sont statutaires – je reviens sur cette notion de loi statutaire – peuvent être changées selon le bon vouloir des gouvernements. Avec les changements de gouvernement, on sait fort bien que les lois sont amendées. On peut, par la volonté des gouvernements, les modifier, alors que quand ces droits sont inscrits dans une charte constitutionnelle -mon collègue de Bonaventure l’a bien indiqué – on peut très difficilement jouer avec une charte qui est inscrite dans la constitution.

Je sais que c’est un argument que le ministre de la Justice avait développé au moment de la fameuse motion du 2 octobre, où il avait dit: La charte fédérale va venir court-circuiter notre Charte des droits et libertés de la personne, qui est une charte d’avant-garde et qui – d’ailleurs, on l’a mentionné tout à l’heure – dont presque tous les éléments, à l’exception d’un seul qui a été ajouté depuis que le Parti québécois est au pouvoir, soit l’orientation sexuelle, avaient été votés par le gouvernement libéral. Le ministre de la Justice disait: On va venir court-circuiter notre Charte des droits et libertés de la personne. Je pense qu’il a admis par la suite que rien n’empêchait qu’on ait dans la constitution une charte des droits fondamentaux et que, si les provinces voulaient venir enrichir ou ajouter à ces droits par des lois ou par leur propre charte,

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rien ne s’y opposait. La condition fondamentale, c’était que dans chacune de ces lois ultérieures on respecte l’égalité des sexes.

M. le Président, je suis certainement favorable au sous-amendement, puisqu’il vient corriger l’amendement du gouvernement qui veut réintroduire une charte de « nonobstant » qui, justement, veut faire passer en premier lieu des lois statutaires, alors que nous croyons qu’une charte enchâssée dans la constitution doit demeurer fondamentale et la plus importante pour vraiment assurer le respect des droits et, en l’occurrence, l’égalité des deux sexes. Merci, M. le Président.

Le Président: M. le premier ministre. M. le leader de l’Opposition.

M. Levesque (Bonaventure):Sur le plan de la procédure, je vois même que le secrétaire général a ses doutes, vous devriez en avoir vous-même, M. le Président, sauf le respect que je vous dois.

Le Président: J’avais compris qu’il y avait entente entre les partis politiques, mais si ce n’est pas le cas, vous avez raison, M. le leader de l’Opposition.

M. Levesque (Bonaventure):Disons que cette entente devrait être consacrée à ce moment-ci, je le pense bien, parce que nous ne pouvons pas laisser un amendement du député de Châteauguay et le sous-amendement de notre côté de la Chambre sans s’entendre au moins pour qu’il y ait un vote là-dessus, à moins que le sous-amendement ne soit accepté de part et d’autre. À ce moment, je ne demanderais même pas le vote pour ne gêner personne, si c’est le voeu de la Chambre.

Le Président: Voici, M. le leader de l’Opposition, j’avais compris que par entente entre les leaders le vote sur la motion principale aurait lieu demain. J’ai déduit personnellement, peut-être à tort, que le vote sur l’amendement et le sous-amendement aurait lieu également demain. À moins que je ne me trompe, je suis prêt à procéder au vote.

M. Charron:M. le Président, vous avez été bien conseillé.

M. Levesque (Bonaventure):M. le Président, je ne veux pas prolonger cette période-ci. Je sais que le premier ministre a son droit de réplique que je ne veux pas lui enlever, ni retarder, mais je voudrais simplement me permettre d’insister là-dessus, parce qu’il n’y avait pas eu effectivement d’entente sur le vote relativement à un sous-amendement, je ne savais pas même à ce moment-là qu’il y avait un sous-amendement. Je pense bien qu’il aurait été difficile d’avoir entente là-dessus.

Maintenant – je pense que tout le monde est d’accord – que vous dites que nous procéderions dès demain matin, aux premières heures, au vote sur le sous-amendement, l’amendement et la motion principale, je suis d’accord, M. le Président.

Le Président: Trois votes demain matin. M. Levesque (Bonaventure): D’accord.

Le Président: M. le premier ministre. (22 h 20)

M. René Lévesque (réplique)

M. Lévesque (Taillon):M. le Président, je pense bien qu’à peu près tout a été dit, y compris même sur l’amendement et le sous-amendement dont nous venons de prendre connaissance. Quant à nous, le débat se résume facilement. Autant nous sommes évidemment d’accord pour faire avancer ces droits des femmes du Canada anglais – on n’est pas toujours très pressé de faire avancer ces droits féminins, on l’a vu depuis quelques semaines – autant on est d’accord pour qu’un maximum d’appui soit apporté à ceux qui veulent les appliquer là-bas sans trop de restrictions et autant on croit que notre charte québécoise, qui, à notre avis, reflète une société distincte, une société qui a non seulement son identité, mais qui a une évolution accélérée aussi, qui est de plus en plus progressiste sur ce sujet comme sur d’autres, devrait garder cette prédominance, qu’elle ne puisse pas être exposée à être ralentie. C’est à cela que cela pourrait mener, quand on étudie un peu plus profondément ce qui est impliqué dans cette charte fédérale ou enfin ce qu’on appelle une charte fédérale des droits. On votera là-dessus, comme sur tout le reste demain matin.

Je pense qu’au moment où se termine ce troisième débat sur le même sujet ici dans cette Chambre depuis un an, il faut d’abord souligner que nous attendons toujours une réponse. J’ai vérifié encore à 20 heures; les bureaux ferment à Ottawa aussi, je pense, à des heures qui ne sont pas tellement tardives, et, à 20 heures, il n’y avait toujours pas la réponse plus étoffée que le premier ministre fédéral nous promettait dans son télex, le vendredi dernier 27 novembre, et dont je rappelle la phrase essentielle: « Des fonctionnaires et des ministres du gouvernement fédéral procèdent actuellement à une lecture attentive de votre lettre – celle dans laquelle on annonçait l’opposition formelle du Québec à ce projet de rapatriement tel qu’il est constitué – et je vous adresserai une réponse

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détaillée au début de la semaine prochaine. » On est au début de la semaine, bien sûr c’est seulement lundi, mais, encore une fois, à 20 heures, il n’était rien arrivé.

Quoi qu’il en soit, la loi qui implique une référence à la Cour suprême le cas échéant doit être inscrite dès ce soir au feuilleton de la Chambre et, compte tenu de l’insistance répétée de l’Opposition et de son chef sur l’emploi de tous les recours judiciaires disponibles, j’ai confiance qu’au moins là-dessus, le cas échéant, on tombera facilement d’accord sans éterniser les débats sur l’urgence de la question. Enfin, on verra ça en temps et lieu et, encore une fois, le cas échéant.

Cela dit, nous voici 25 jours après le 5 novembre, 25 jours après un accord signé, avec la plus grande solennité et aussi avec une espèce de grosse bonne humeur et beaucoup de tapes dans le dos, à Ottawa, par neuf provinces anglophones et par le gouvernement libéral d’Ottawa. 25 jours pendant lesquels cet accord soi-disant définitif a été amendé, sous-amendé, réamendé pour donner suite à une foule de revendications que je n’ai pas, ici, à discuter en détail ni, entre autres choses, à contester. C’est une foule de revendications qui paraissaient, soit régionalement, soit d’intérêt national au sens « canadian », anglais du terme, absolument essentielles. Tout cela a été fait pendant des jours et des jours.

Pendant cette même période qui a permis tous ces ravaudages sont restés absolument en dehors du processus, un peu comme suspendus en dehors de la réalité fédérale et canadienne anglaise, en dehors de toute cette frénésie, depuis 25 jours, deux problèmes d’une certaine importance. Ce sont, en fait, les deux composantes d’un même problème, c’est-à-dire l’isolement et la spoliation très précise du Québec et, en particulier, bien sûr, fondamentalement, du Québec français, et aussi l’insatisfaction de plus en plus évidente et de plus en plus marquée et, Dieu sait, justifiée des minorités francophones hors Québec qui se rendent compte encore une fois, pour la énième fois depuis 100 ans et plus, qu’elles sont les victimes d’une manoeuvre absolument odieuse.

M. Jean Chrétien, le fidèle exécutant des volontés de son maître, sauf quand, parfois, il leur arrive de se contredire, n’a cessé de jouer avec cet accord, avec le texte de cette entente du 5 novembre. Il paraît que c’est une activité folle, il paraît que M. Chrétien a passé des heures – j’ai vu ça en fin de semaine – et des nuits, même, à essayer de rafistoler tout ça au téléphone et autrement. Mais depuis 25 jours, dès qu’il s’agit de quoi que ce soit qui puisse introduire là-dedans l’une ou l’autre des demandes, en fait des exigences fondamentales du Québec, alors là, aussitôt, le même M. Chrétien québécois parle de Timpossibilité de ce qui serait le bris absolu de l’accord que nous avons conclu avec les neufs provinces ». Là, c’est sacré. Tout à coup, les signatures deviennent intangibles et le texte aussi, sur le dos du Québec.

Après avoir déchiré d’autres signatures tout aussi solennelles à nos dépens au début de novembre, celles qui ont succédé le 5 novembre, ces signatures-là sont absolument taboues, mais, encore une fois, aux dépens du Québec.

Bien sûr, donner suite aux exigences québécoises, ce serait enlever tout son sens -je cite un homme aussi au fait de ce qui se passe que M. Davis, premier ministre de l’Ontario – à un projet qui a été calculé et fabriqué « in the canadian way » comme on dit en anglais, en cachette, en l’absence des représentants légitimes du Québec et sur le dos de notre peuple. Pourtant, chacun à sa façon, les chefs de deux partis totalement anglo-canadiens, M. Joe Clark, le premier, avec un courage qu’il faut souligner, parce que Dieu sait qu’on ne voit pas très bien ce que cela peut lui rapporter électoralement, à court terme, en tout cas, dans la situation présente de I’électorat, M. Clark, chef de l’Opposition, à deux reprises, et enfin M. Broadbent lui-même, enchaînant avec un amendement qu’il a proposé aujourd’hui dans le style d’un statut particulier pour le Québec, donc, deux partis totalement anglophones, chacun pour ses motifs que je n’ai pas à évaluer, ont tenu compte au moins partiellement des exigences du Québec et ont eu aussi la courtoisie de nous en parler.

De la part de nos élus libéraux québécois à Ottawa, en immense majorité francophones, qui doivent tout l’essentiel de leur arrivée, de leur maintien et de leur retour au pouvoir à I’électorat québécois, MM. Trudeau, Chrétien, Lalonde et, cet après-midi, ceux qui ont vu les nouvelles à la télévision ont vu un député conservateur, M. Epp, parler – Dieu sait qu’il n’est pas particulièrement proche de la longueur d’onde québécoise – M. Broadbent, NPD, faisant un effort même pour essayer de dire l’essentiel de ce qu’il avait à dire en français et ensuite ce M. Joyal que je mentionnais, disant, avec cette espèce de sincérité absolument indiscutable – parce que ça se sent, à la télévision, la sincérité, en général – en arrivant ensuite, comme représentant québécois, pour dire: C’est malheureux, mais on ne peut tenir compte de rien de tout cela. Donc, ces élus francophones, en immense majorité, du Québec, MM. Trudeau, Chrétien, Lalonde, Joyal et au moins 69 autres, sur les 74 que nous faisons trôner là-bas, de ce côté-là, qu’est-ce qu’il est venu pour le Québec? Ponctués souvent par des farces plates, les quelques discours qu’on a entendus seraient une espèce de honte impérissable, s’ils devaient passer à l’histoire.

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Ce qu’on a eu, c’est un lourd et assez affreux silence.

Là, on touche du doigt, comme jamais auparavant, cette décomposition terrible du sens des racines et même du minimum vital de loyauté à l’égard des siens qui semble, pour ce vieux Parti libéral, être toujours fatalement la conséquence du pouvoir à la Chambre des communes. C’est toujours au Québec et au peuple québécois que ces gens-là font payer la rançon de leur gloire et de leur carrière éminemment passagère, même si elle dure trop longtemps parfois, pour garder un appui suffisant au Canada anglais. Pour cela, il faut qu’on soit quelque peu « mange-Canayen », pour parler notre vieux langage, mais jamais ils n’en ont mangé autant et jamais ils n’ont osé attaquer la substance même du Québec français comme sous cette présente caricature de « French power » qui s’éternise ou qui se reperpétue à Ottawa.

Le dernier épisode a été l’entrée solennelle de M. Trudeau lui-même, vendredi dernier, à la Chambre des communes, pour annoncer, avec l’air toujours éminemment sincère d’un homme qui vient d’apprendre une nouvelle historique et inattendue, qu’un télégramme d’un de ses complices occasionnels, un premier ministre provincial du Canada anglais, l’enjoignait sans réplique de ne plus accepter aucun amendement, de ne plus faire aucun changement et que, par conséquent, il fallait que ce soit réglé, voté, expédié aux Communes dans deux jours, c’est-à-dire mercredi de cette semaine. (22 h 30)

Si on a bien compris, même si cela impliquait la parfaite indécence, assez incroyable dans une société démocratique qui respecte les pouvoirs établis des institutions qu’elle s’est elle-même données, de ne pas même attendre l’ultime jugement des tribunaux sur un aspect essentiel de toute l’opération.

Quant aux francophones hors Québec, eux aussi, ils y ont goûté, à cette solidité et à cette vigilance exemplaire du caucus libéral québécois d’Ottawa touchant les droits des nôtres. C’était dans la Presse de vendredi aussi, mais il s’agissait d’une rencontre de jeudi. Quand on pense à tout le branle-bas, à toute l’effervescence qu’on pouvait suivre dans les journaux anglais ou à la télévision anglo-canadienne sur tel ou tel amendement, sous-amendement, rafistolage, etc., de ce projet de charte, qui est en train de devenir une caricature historique, quand on voit tout ça et qu’on voit ceci, qui est arrivé jeudi dernier, que c’est en vain que les représentants des francophones hors Québec ont rencontré hier soir l’exécutif du caucus des libéraux fédéraux du Québec à Ottawa pour obtenir une modification à la charte des droits assurant des droits supplémentaires aux minorités de langue française du pays, un de leurs représentants, M. Yves Saint-Denis, a déclaré à l’issue de la rencontre que les libéraux s’étaient déclarés peinés de la situation, mais qu’il leur avait été impossible de s’engager à obtenir des amendements au chapitre au projet fédéral.

Tout au plus – écoutez bien – a-t-on évoqué la possibilité d’un budget supplémentaire du Secrétariat d’État afin d’aider les minorités francophones du Canada à défendre leurs droits devant les tribunaux. Ce n’est même pas sûr qu’il y aurait ce budget supplémentaire. On sait, depuis la lettre de M. Davis, qui est sortie accidentellement, une lettre d’un cynisme absolument parfait, que cela ne changera rien – c’est entendu – en Ontario, ailleurs aussi, sauf peut-être un peu formellement au Nouveau-Brunswick, cela ne changera rien pour la majorité francophone. M. Davis en a assuré une de ses électrices. Ne vous inquiétez pas, dit-il, j’ai marchandé ce qu’il fallait pour que ça ne change rien, c’est le Québec qui est visé par cette opération.

Vendredi, on recevait un télégramme -je pense que si la Chambre n’est pas au courant, c’est intéressant, c’est très court -du Conseil des parents français de Prince-Albert, Saskatchewan, dont je cite tout l’essentiel, en fait, la seule phrase: « La commission scolaire anglophone vient de fermer les portes de la première et de la seule école primaire française de Prince-Albert, Saskatchewan. » « Equal treatment ».

Maintenant, avant de terminer, revenons exclusivement au Québec, si vous me permettez, M. le Président. Demain matin, nous voterons le sous-amendement, l’amendement et la motion elle-même sur ces textes qui sont devant nous. Ce que contient cette motion, les exigences qu’elle définit, sont celles que, dans les mêmes circonstances, à supposer qu’il ait eu à traverser des circonstances pareilles, n’importe quel gouvernement du Québec, avant nous, aurait considérées lui aussi comme un minimum vital. Le chef de l’Opposition – qui sera ici demain, j’en suis sûr, qui n’est pas devant nous ce soir, mais enfin, je dois évoquer quand même l’attitude de nos amis d’en face – évoque tout ça. Quand on en parle, il a employé l’autre jour l’expression « éloquence creuse. » Des droits, certains pouvoirs qui ont été inaliénables depuis 114 ans, ce serait de l’éloquence creuse que d’en parler, de parler du pouvoir exclusif sur l’accès à nos écoles, sur lequel on n’a de leçon à recevoir de personne, surtout dans ce pays, ailleurs au Canada? Par rapport à la comparaison si terriblement facile entre ce qui arrive ici à une minorité anglophone et ce qui achève d’arriver aux minorités francophones, c’est de l’éloquence creuse que de l’évoquer? Il y a le droit à un statut particulier, qui nous a été promis en

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plein référendum par certains des hommes qui, aujourd’hui, déchirent leur signature pour signer le contraire, c’est-à-dire ce qui est inclus dans cette formule de compensation, ce qui est inclus aussi en grande partie dans tout ce qui touche, camouflé derrière le mot « mobilité », cette opération de rattrapage plus nécessaire que jamais pour nos entreprises, c’est-à-dire pour le développement économique par les nôtres. On a maintenant près de la moitié de nos gens qui étudient l’administration, la gestion des entreprises, ici au Québec, la moitié de tous ceux et celles qui étudient au Canada et, tout à coup, on mettrait le couvercle là-dessus? On serait obligé, constitutionnellement, de mettre le couvercle là-dessus? Autrement dit, sur la promotion économique d’une société, seule de son espèce en Amérique du Nord et qui finalement, tardivement, s’est mise à évoluer dans le sens de la modernisation et dans le sens, en conséquence, de l’initiative, ça, c’est de l’éloquence creuse?

Demander la reconnaissance d’une société distincte et d’une société nationale qui a une égalité foncière avec l’autre, à l’intérieur de ce pays, ça ne peut sûrement pas être de l’éloquence creuse, pour le député d’Argenteuil, puisque, mot à mot, ou à peu près, ce sont des énoncés de principe qui étaient dans son propre livre beige. Pas toujours dans l’application de ces principes, c’est ce qu’on critiquait, mais les principes étaient là, mot à mot. Est-ce que c’est de l’éloquence creuse?

Ce qui est attristant, c’est que cette façon de réagir rejoint certains propos tout récents du chef de l’Opposition libérale, et ceux du mois dernier et ceux de ces derniers jours. Le mois dernier, je me souviens avec quelle éloquence, que je ne croyais pas creuse, lui et la plupart de ceux qui sont en face de nous dans cette Chambre disaient à peu près ceci, que nos votes à tous sur la motion – fondamentalement la même, les circonstances ont changé, le fond n’a pas changé…

Vous serez jugés comme les autres. On sera tous jugés. Je me souviens que le député d’Argenteuil disait que, sur ces questions fondamentales, nous serons tous jugés, non seulement en fonction du vote qu’on donnait en octobre, mais en fonction de l’espèce de fidélité essentielle qu’on aura à partir de ce vote, parce que cela va nous suivre longtemps, notre conduite, les uns et les autres. M. le chef de l’Opposition disait: « II ne peut pas être question ni de perdre ni de laisser entamer si peu que ce soit aucune prérogative que ce Parlement détient en fiducie au nom de tout un peuple et dont il est censé être le rempart. » C’était le mois dernier. Ces « si », c’est plus vrai que là; nous sommes non seulement devant une éloquence creuse, mais quelque chose qui est bien pire.

Or, il semble que, comme tout ce qui est creux, cela se soit effondré depuis quelques semaines. Je croyais, en octobre -je le dis comme je le pense – en voyant le député d’Argenteuil tenir tête jusqu’à admettre neuf dissidences que je n’ai pas à juger – on sait à quel point c’est dur sur les tripes quand on est obligé de diriger ou d’essayer de diriger le mieux possible un parti politique – et que le chef de l’Opposition tenait tête, avec le député de Saint-Laurent qui n’est plus avec nous – c’est peut-être un peu pour cela qu’il n’est plus avec nous – je me disais que le chef de l’Opposition était redevenu le chef réformiste foncièrement québécois, d’une façon instransigeante sur les principes, comme tant de chefs québécois, qui étaient fédéralistes aussi, s’en sont montrés capables depuis Honoré Mercier et tous les autres, j’en passe.

Encore une fois, tout semble s’effilocher, s’en aller tout à coup, ces jours derniers. La stupéfaction, ce n’est pas moi seul qui l’ai sentie, quand j’ai appris ces jours-ci, dans une entrevue de la Presse, que le député d’Argenteuil savait déjà, en plein référendum 1980 – c’est la première fois qu’on entend dire cela – quelles étaient les vraies intentions du premier ministre fédéral.

Il faut citer: « Quand, durant la campagne référendaire – dans la Presse ces jours-ci – Pierre Trudeau promettait solennellement aux Québécois de modifier la constitution, Claude Ryan savait très bien qu’il n’avait aucunement l’intention de revoir le partage des pouvoirs pour satisfaire aux demandes séculaires du Québec, qu’il n’avait en tête que la charte des droits. C’est au cours d’une entrevue accordée à la Presse cette semaine que le chef du Parti libéral du Québec a fait cette étonnante déclaration, c’est le moins qu’on puisse dire. M. Ryan a dit se souvenir qu’au cours de la campagne référendaire, M. Trudeau lui avait déclaré: « Moi, mon objectif, c’est de faire le solage de la maison, poser les bases au point de vue des droits qui seront garantis; ensuite, d’autres s’arrangeront avec le reste. » (22 h 40)

Je me rappelle – poursuit M. Ryan -qu’il m’avait dit cela clairement. Moi, je lui ai dit que je n’étais pas d’accord avec son approche et je l’ai dit aux Québécois dès qu’il a lancé sa réforme constitutionnelle -après – et s’il n’a pas jugé bon d’avertir immédiatement, pendant la campagne référendaire, les Québécois du sens véritable des propos du premier ministre canadien, c’est que « ce n’était pas le sujet de la discussion ». Je n’ai pas de commentaires à faire, je pense que cela se tient.

Dans cette même interview à la presse – c’est là que je me demande où se trouve l’éloquence creuse – il s’agit pour M. le chef de l’Opposition libérale d’étayer la demande

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d’élections hâtives à laquelle il aboutit. Ah! tout de suite, cela presse. Après sept mois, il faut un autre scrutin pour qu’une sorte de légitimité s’établisse, celle qui n’a pas réussi à s’établir à la satisfaction de nos amis, il y a sept mois, au mois d’avril, comme s’il ne savait pas au fond – je pense qu’on fait des sondages maintenant et il y a aussi d’autres perceptions qui complètent les sondages, si on veut – que le Parti libéral serait liquidé au Canada français en tout cas, je veux dire au Québec français, et liquidé d’une façon qu’il mériterait, non pas que nous soyons très fiers de l’état des choses en ce moment, c’est sûr. Cela fait mal et cela ferait mal, de toute façon, à n’importe quel gouvernement et il faut patauger jusqu’à un certain point pour passer à travers, comme c’est vrai…

Mais toutes les perceptions et tous les sondages disent que, malgré tout, ce n’est surtout pas avec cette succursale disloquée et en partie déracinée que cela irait mieux. Quand je les entends parler d’élection en ce moment, ils me font penser à ce qu’on faisait quand on était petit gars. On passait devant le cimetière et on sifflait pour montrer qu’on n’avait pas peur.

Est-ce qu’on me permet deux minutes, M. le Président, ou à peu près? J’ai presque fini. Merci.

Ce qu’il y a de plus frappant, c’est que pour étayer cette demande un peu artificielle d’élections précipitées, le leader libéral provincial parle de choses comme ceci: S’il avait pris le pouvoir le 13 avril dernier – je cite toujours l’article de la Presse – il n’aurait pas dramatisé la crise constitutionnelle – il n’a plus d’éloquence du tout – comme le Parti québécois le fait en ce moment. « Nous aurions mis la pédale douce et nous aurions obtenu de bien meilleurs résultats. » Essayez d’expliquer cela.

Une voix: Come back to the bargaining table.

Une voix: Vous avez raison.

M. Lévesque (Taillon): Je n’irai pas plus loin. Ces applaudissements, comme tout le reste, ça révèle des choses. Je vous ferais remarquer que la pédale douce et cette espèce de résignation tranquille forment un curieux contraste avec l’homme qui avait des propos vibrants, il y a dix ans cette année, alors qu’il s’agissait, à Victoria, du non du gouvernement de M. Bourassa, dont certains, en face, devraient se souvenir. En 1981, ce non est encore au moins deux ou trois fois plus fondé qu’en 1971.

En 1971, il y a dix ans, on a dit non, au nom du Québec, pour refuser un projet dans lequel il n’y avait aucune augmentation des pouvoirs du Québec. Donc, c’était inacceptable. Après tout ce temps, il s’agit cette fois d’une tentative de réduction des pouvoirs du Québec, dix ans après. Si le non de 1971 a fait ranger sur les tablettes cet autre projet fédéral, je ne sais pas quelle logique suicidaire peut pousser les Canadiens anglais et, à Ottawa, les mêmes hommes, si fatigués ou obsédés soient-ils, à passer outre aux objections et au veto si terriblement justifiés du Québec et de tous les francophones du Canada, d’ailleurs, dix ans plus tard, avec la charge qui n’est pas seulement émotive, cette fois-ci, mais qui, au point de vue politique, a quelque chose d’un détonateur, si on ne prend pas garde. Dix ans après, il s’agit quand même du non d’un gouvernement qui représente une société en évolution accélérée.

En terminant, je voudrais citer rapidement un passage d’un ouvrage remarquable du successeur du député d’Argenteuil au Devoir, M. Jean-Louis Roy, sur le débat constitutionnel Québec-Canada pendant les seize ans de 1960 à 1976. Je cite ce passage, à la page 323: « Le fait le plus décisif intervenu depuis 1960 dans les relations du Québec et du Canada est constitué par l’acceptation générale par une majorité de Québécois du statut de nation pour leur collectivité. Le refus du Canada anglais, tout au moins de ses porte-parole au niveau fédéral et à celui des provinces anglophones, de reconnaître ce fait a précipité la rupture psychologique du Canada. Ce refus explique sans doute qu’aucun projet de nouvelle constitution susceptible de susciter l’adhésion au Québec n’est venu du Canada anglais. » Il explique de plus l’exceptionnelle marge de manoeuvre du gouvernement fédéral qui peut compter sur l’appui indéfectible des provinces anglophones quant aux questions fondamentales. Il explique enfin l’inacceptable situation qui est encore faite en 1978 – on est en 1981, on sait à quel point cela a changé, mais pas en mieux – aux minorités francophones à travers le pays après plus de quinze années de recherches, de pressions et de discussions bilatérales ou multilatérales. Le refus du Canada anglais de reconnaître le statut de nation à la collectivité québécoise après plus de dix années de négociations constitutionnelles demeure le motif essentiel de la fragmentation du Canada.

Ce que le gouvernement Trudeau prépare, ce qu’il essaie, à toute force, de compléter avant un certain abandon de la vie publique du genre « après moi le déluge », ce qu’il prépare activement et aussi avec la complicité, parfois par servilité, parfois sincèrement – ce sont les plus à plaindre -de tant de gens, ce n’est pas l’écrasement, cela n’est pas possible, c’est fini d’être possible, mais l’affaiblissement, l’abaissement maximum d’une des deux nations du Canada par l’autre et, hélas, par des gens de chez nous qui s’aplatissent dans ces cas-là pour se

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prolonger eux-mêmes.

Mais comment peut-on s’imaginer qu’une société nationale…

Le Président: À l’ordre! A l’ordre, s’il vous plaît!

Effectivement, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, vous avez raison, le premier ministre a dépassé son temps, sauf que deux minutes après ses vingt minutes j’ai entendu le mot « consentement ». Il y a également une tradition dans cette Chambre qui est de longue date, lorsque le chef de l’Opposition officielle et le premier ministre ont la parole, il y a une sorte de tolérance d’un côté et de l’autre de la Chambre pour faire en sorte que ces deux chefs puissent parler. En vous demandant de conclure, M. le premier ministre, s’il vous plaît!

M. Lévesque (Taillon): C’était ma dernière phrase, M. le Président, que le député de Marguerite-Bourgeoys ponctuait avec la courtoisie qui le caractérise. Je disais donc simplement que l’écrasement, même si on le voulait de l’autre côté, ce n’est pas possible, mais l’affaiblissement, l’abaissement maximum d’une des deux nations du Canada par l’autre, avec, hélas, ceux de chez nous qui s’aplatissent dans ces cas-là pour se prolonger eux-mêmes, comment peut-on s’imaginer qu’une société nationale qui a un minimum de dignité, qui a tout l’élan d’une évolution tardive, mais aussi de plus en plus rapide et accélérée, va se laisser faire? Non seulement, ce n’est pas possible, non seulement, ça n’arrivera pas, mais je crois – sans préciser davantage, c’est simplement un sentiment qu’on ne peut pas s’empêcher d’avoir – que cette tentative va se payer cher. C’est un très modeste début, très partiel aussi, de la réponse à cette question qui sera marquée au moins, comme on dit en anglais, comme une « note de pied » dans la petite histoire que constituera le vote des uns et des autres, demain matin, sur la motion. (22 h 50)

Des voix: Bravo! Bravo! Bravo!

Le Président: Les travaux de l’Assemblée sont ajournés à demain… M. le leader de l’Opposition.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, seulement un mot sur une question de règlement, avant que vous ne déclariez la séance levée. Tout à l’heure, vous avez mentionné qu’il y avait une certaine tolérance pour le premier ministre et pour le chef de l’Opposition, et j’en suis; cependant, M. le Président, je ne voudrais pas que vos paroles soient de nature à être interprétées dans l’avenir comme laissant entendre que le règlement n’existe plus. Ceci simplement pour vous dire, M. le Président, que, dans le cas que nous venons de vivre, le dépassement dépassait, si on veut, 50% du temps alloué au premier ministre. Nous n’avons pas eu d’objection à l’écouter, nous ne voulons pas en faire un plat, mais, tout en respectant les propos que vous avez tenus quant à une tolérance vis-à-vis du premier ministre et du chef de l’Opposition, à ce moment-ci, il ne faudrait pas que ce que nous avons vécu ce soir constitue un précédent ou que vos paroles soient de nature à consacrer une tolérance de 50% et plus.

Le Président: M. le leader de l’Opposition, avant d’ajourner les travaux et puisque vous m’ouvrez la porte, j’aimerais quand même dire que la présidence, trois minutes après l’expiration du temps normal accordé au discours du premier ministre en vertu du règlement, a entendu à sa gauche le mot « consentement ». Aucune question de règlement n’a été soulevée entre-temps, de telle sorte que j’ai présumé que le consentement continuait toujours.

Là-dessus, les travaux sont ajournés à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 22 h 52)

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