« S’il faut rouvrir la canne à vers », Le Devoir [de Montréal] (26 juillet 1975)
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Date: 1975-07-26
Par: Le Devoir
Citation: « S’il faut rouvrir la canne à vers », Le Devoir [de Montréal] (26 juillet 1975).
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Le Devoir, samedi 26 juillet 1975
éditorial
S’il faut rouvrir la canne à vers
Selon des bruits que n’a fait qu’accréditer
le dénouement peu satisfaisant de la dernière
rencontre des ministres des Communications,
le déplaisir exprimé par le représentant du
Québec à cette réunion aurait, à certains
égards, un côté commode qui s’inscrirait as-
sez bien dans la stratégie du gouvernement fé-
déral. Celui-ci songerait en effet à saisir l’oc-
casion que lui offre le désaccord persistant
entre MM. Gérard Pelletier et Jean-Paul
L’Allier pour rouvrir le dossier plus large de
la reforme constitutionnelle, relégué aux ou-
bliettes depuis l’échec retentissant de la con-
férence de Victoria en 1971.
Suite au refus que lui avait signifié à la
veille de la Saint-Jean de 1971, le premier mi-
nistre du Québec, M. Trudeau avait déclaré
sur un ton de dépit qu’il refermait la canne à
vers de la révision constitutionnelle et ne la
rouvrirait que moyennant une démarche
prélable du Québec. Mais en fait, M. Tru-
deau si le dépit l’emporte un moment chez
lui, n’a jamais renoncé à son rêve de rapatrier
la constitution au Canada. Aussi ne créa-t-il
aucune surprise lorsque, intervenant le 2 octo-
bre dernier dans le débat sur le discours du
trône, il s’engagea à reprendre la poursuite de
l’objectif raté à Victoria.
« Je suis d’accord avec le chef de l’Opposi-
tion », déclarait alors M. Trudeau, « et je me
réjouis d’avoir l’appui de son parti à cet
égard, pour dire qu’il est temps de décider
que ce rapatriement se fera et que nous nous
entendrons sur la procédure de modification
d’ici quatre ans. Je compte sur l’appui des
vis-à-vis et je chercherai à obtenir des gouver-
nements provincaux qu’ils constentent à la
poursuite active de cet objectif. Si nous ne
trouvons pas de meilleure formule, nous pro-
poserons alors l’adoption de celle qui a été ac-
ceptée à Victoria ».
A ses collègues du Québec que pourvait in-
quiéter cette perspective, et par-dessus leur
tête, à M. Bourassa et au gouvernement qué-
bécois, M. Trudeau adressait cette exhorta-
tion typique de l’homme qui a toujours regar-
dé assez haut les querelles d’école dans sa
province. « Il me semble que nous réussirons
sans grand peine à faire comprendre aux
Québécois qu’ils n’ont plus besoin de crier
« au secours » à la Grande-Bretagne lorsqu’il s’agit
de débattre entre nous des questions politi-
ques qui nous concernent ».
Le projet de rapatriement de la constitution
sourit davantage aux Canadiens de langue an-
glaise par l’espèce de consécration qu’il ap-
porte au mouvement d’affirmation de l’iden-
tité canadienne qui se manifeste chez eux de-
puis quelques années. Mais il ne saurait, pour
autant, laisser indifferents les Québécois qui
prétendent conserver le moindre intérêt pour
le maintien de l’ensemble fédéral canadien.
Même les Québécois d’allégeance séparatiste
reconnaissent volontiers le caractère absurde
d’une situation en vertu en maitre de sa cons-
titution. Aussi, en principe, M. Trudeau a-t-il
parfaitement raison de supposer que, placés
devant une proposition simple qui les invite-
rait à devenir propriétaires à part entière de
la constitution qui les régit, les citoyens du
Québec seraient naturellement enclins à l’ap-
prouver.
Si M. Trudeau veut, par contre, tirer quel-
que leçon de l’expérience de Victoria, il se
souviendra que le rejet par le Québec de la
charte soumise à l’approbation des provinces
ne fut pas le fruit d’un caprice isolé et passa-
ger. Il tenait, au contraire, à des raisons pro-
fondes dont il serait imprudent de s’imaginer
qu’elles ont pu disparaitre depuis 1971. Celles-
ci tenaient en partie au contenu même de la
Charte de victoria, mais elles tenaient encore
davantage à ce que le Québec eût souhaité
trouver dans ce document mais qui n’y était
point.
Sur le contenu général de la charte de Vic-
toria, le Québec, dans un contexte normal, au-
rait eu maintes raisons d’exprimer une réac-
tion positive. Au chapitre des droits linguisti-
ques, M. Bourassa avait alors fait valoir avec
raison que le document risquait d’emprison-
ner prématurément, et pour longtemps, le
Québec dans une politique de bilinguisme qui
eût pu restreindre dangereusement sa liberté
législative. Le texte contenait par ailleurs une
reconnaissance si ferme des droits du français
au plan constitutionnel que le Québec eût été
mal placé pour lui opposer une fin de non-
recevoir pure et simple. A propos de la Cour
suprême, la charte de Victoria continuait cer-
tes de soulever maintes objections, vu qu’elle
restait bien en deçà des propositions soumises
par le Québec: par contre, elle introduisait
certaines améliorations notables que le Qué-
bec n’avait guère intérêt à rejeter du revers
de la main. Dans la charte, le chapitre consa-
cré à la procédure d’amendement constitu-
tionnel était évidemment l’un des plus impor-
tants: même si le Québec n’en était pas plei-
nement satisfait, il constituait néanmoins une
telle amélioration par rapport aux formules
antérieurement mises de l’avant que le Qué-
bec eût été mal venu de le rejeter catégori-
quement.
La charte de Victoria ne contenait aucune
allusion aux deux peuples fondateurs, encore
moins aux « deux nations » qui donnent au Ca-
nada sa personnalité propre. Elle énumérait
les provinces et les territoires qui forment le
Canada, mais sans rien préciser des condi-
tions dans lesquelles une province peut être
admise dans le tout ou s’en retirer. Elle ne
pouvait guère, dans ces conditions, enthou-
siasmer le Québec. Elle vint néanmoins à un
pas d’être adoptée, car elle représentait un
net progrès sur tout ce qui s’était fait dans le
passé.
Si le Québec di NON à la charte de Victo-
ria, ce ne fut, par conséquent, pas d’abord au
nom d’objections précises et insurmontables
qu’il aurait nourries à l’endroit de la formule
d’amendement constitutionnel alors propo-
sée. Ce fut plutôt au nom de raisons plus gé-
nérales tenant à deux facteurs très impor-
tants.
La première raison s’inscrivait dans la
logique de la démarche constitutionnelle du
Québec. Celui-ci fut à l’origine de la réforme
entreprise vers 1968 sous M. Pearson. Mais
quand il demanda une refonte de la constitu-
tion, il pensait d’abord à un nouveau partage
des pouvoirs, non aux choses qui restent en
définitive de l’ordre des symboles. Or, on lui
présentait à Victoria un texte qui répondait
plutôt aux aspirations du Canada anglais
qu’aux motifs que lui-même avait en déclen-
chant toute l’opération. Le Québec jugea,
dans ces circonstances, devoir exiger un gage
de la bonne foi de ses partenaires en relation
avec le partage des pouvoirs qui devait, à l-o-
rigine, être la pierre d’assise de la démarche
de révision. D’où la proposition d’amende-
ment à l’article 94-A de l’AANB que la déléga-
tion québécoise soumit à la conférence de
Victoria. Cette proposition fut malheureuse-
ment rejetée par la conférence. Accepter la
charte, alors qu’on lui opposait un refus non-
équivoque quant à sa demande majeure, c’eût
été, pour le Québec, induire le reste du pays
en erreur et se tromper lui-même.
La seconde raison, plus difficile à définir,
joua un rôle tout aussi important dans la déci-
sion du Québec. Celui-ci a tooujours éprouvé la
nécessité de rappeler au reste, du pays qu’il
est différent à maints égards des autres pro-
vinces. Il a toujours souffert de voir avec
quelle facilité on pouvait oublier cette évi-
dence. La révision constitutionnelle amorcée
à Victoria lui paraissait l’occasion par excel-
lence pour poser enfin un geste net dans cette
voie. Or, la charte de Victoria, tout en com-
prenant plusieurs passages qui traiaient de la
réalité distincte du Québec, demeurait, pour
ainsi dire, à la frange du problème. Elle n’of-
frait aucunement au Québec la garantie que,
dans une éventuelle refonte des pouvoirs, il
serait tenu compte de sa situation particu-
lière.
Dans le refus du Québec, le partage des
pouvoirs en matière de politique social joua
un rôle capital. Mais ce n’était là qu’un exem-
ple. Il eût tout aussi bien pu être question de
communications ou d’immigration, ou encore
du pouvoir de dépenser.
Depuis 1971, le Québec a réffirmé à plu-
sieurs reprises son désir de rester dans l’en-
semble canadien et d’y jouer un rôle dynami-
que. Cela renforce le dessein que poursuit M.
Trudeau de consolider et d’affirmer davan-
tage l’identité propre du Canada.
Mais les obstacles qui empêcherent en 1971
l’adoption de la charte de Victoria sont tou-
jours là. Si M. Trudeau veut rouvrir le dos-
sier, il n’en tient qu’à lui de faire au prélable
des ouvertures qui rejoindront les attentes
fondamentales du Québec au plan du partage
des pouvoirs et qui permettront au moins
d’entrevoir ce que permettront au moins
d’entrevoir ce que pourrait être un jour un or-
dre constitutionnel canadien vraiment accep-
table pour le Québec.
Claude RYAN