Claude Ryan, « Une perspective plutôt incofortable pour M. Bourassa », Le Devoir [de Montréal] (28 juillet 1975)


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Date: 1975-07-28
Par: Claude Ryan (Le Devoir)
Citation: Claude Ryan, « Une perspective plutôt incofortable pour M. Bourassa », Le Devoir [de Montréal] (28 juillet 1975).
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PRESS CLIPPINGS COUPURES DE JOURNAUX

Name of Publication Nom de la publication
Le Devoir

Date
JUL 28 1975

La reprise du débat constitutionnel

Une perspective plutôt inconfortable pour
M. Bourassa

par Claude RYAN

Interrogé dimanche au réseau Télé-
média. M. Robert Bourassa a implici-
tement confirmé les rumeurs voulant
qu’il suit question de rouvrir au cours
es prochaines semaines le dossier de
la révision constitutionnelle, fermé
depuis l’echec de la conférence de
Victoria on juin 1971. Au journaliste
Jean Pelletier qui l’interrogeait à ce
sujet. M. Bourassa n’a pas voulu dire
qu’il y aurait effectivement reprise
des négociations. La manière dont il a
accueilli la question et reporté la ré-
ponse à plus tard laissait néanmoins
entendre qu’il se prépare quelque
chose et que l’échéance pourrait être
plus rapprochée qu’on ne le pense.

Dans l’hypothèse où l’on rouvrirait
le dossier constitutionnel. Ottawa in-
sisterait sans doute pour qu’on re-
prenne la discussion au point où la
laissa la conférence de Victoria. Il se-
rait donc de nouveau question des
droits politiques, des droits linguisti-
ques, de la Cour suprême et surtout
de la formule d’amendement et du ra-
patriement de la constitution. Autant
de questions sur lesquelles il faudra
faire le point bientôt si l’actualité con-
firme les rumeurs que n’a fait que
multiplier l’échec des conversations
entre MM. Pelletier et L’Aliier au su-
jet des communications.

Mais il ne suffira pas de tenter d’en-
trevoir ce que devrait idéalement être
la position du Québec sur chacun des
grands thèmes de la prochaine négo-
ciation. Il faut aussi chercher à entre-
voir quel sera le rapport réel des for-
ces au moment ou les onze partenaires
se retrouveront ensemble. Or, à pre-
mière vue, M. Bourassa ne semble pas
devoir être en position de force. D’ou
l’extrême prudence avec laquelle il
devra manoeuvrer dès maintenant.

La situation idéale
pour le Québec

Si bizarre que cela puisse sembler,
le Québec, dans la mesure où il veut
obtenir des concessions fondamenta-
les, est mieux placé pour négocier
lorsqu’il doit transiger à Ottawa avec
un gouvernement dirigé par un pre-
mier ministre originaire d’une pro-
vince autre que le Québec.

Depuis un quart de siècle, le Québec
a du transiger avec quatre prennent
ministres canadiens: Louis Saint-
Laurent, John Diefenbaker, Lester
Pearson et Pierre Elliot Trudeau.
Pour des raisons diverses, MM. Saint-
Laurent et Trudeau adopterent gené-
ralement une ligne assez intransi-
geante avec le Québec, tandis qu’il fut
possible d’obtenir de MM. Diefenba-
ker et Pearson des concessions impor-
tantes qui permirent, dans un certain
nombre de secteurs, de déboucher sur
des solutions acceptables au Québec.

Il serait ridicule de soutenir que
MM. Pearson et Diefenbaker compre-
naient mieux le Québec que MM.
Saint-Laurent et Trudeau: c’est évi-
demment le contraire qui est vrai. Il
est permis de penser, néanmoins,
qu’ils purent aborder certains dossiers
ouverts par le Québec avec plus de li-
berté, et cela pour deux raisons princi-
pales. D’abord, ni M. Pearson, ni M.
Diefenbaker ne venaient eux-mêmes
de la province de Québec: ils ne pou-
vaient, par conséquent, être suspects
de complaisance héréditaire envers la
province qu’une bonne partie de l’opi-
nion anglophone considère encore
comme « l’enfant gâté » de la Confédé-
ration. De plus, MM. Pesrson et Die-
fenbaker étaient tous deux anglopho-
nes unilingues; aucun n’avait, en de-
hors des milieux partisans, de contacts
directs au Québec. On eut en consé-
quence, l’impression que MM. Pear-
son et Diefenbaker (celui-ci du moins
au début de son règne), se sentant in-
certains vis-à-vis du Québec et voyant
la gravité des défis qui montaient en
provenance de cette province, éprou-
vèrent le besoin de se mettre a l’é-
coute et de chercher des compromis là
où le mécontentement se manifestait
le plus fort.

Le premier geste significatif en di-
rection de l' »opting out » remonte à
M. Diefenbaker: ce fut l’accord sur les
subventions aux universités, signé par
MM. Paul Sauvé et Donald Fleming.
Ce précédent devait servir de point
d’appui à maints autres arrangements
qui, sous M. Pearson, vinrent élargir
la portée de de l' »opting out » En ma-
tière de régime d’assurance-
hospitalisation, d’assistance sociale,
de régime de retraite, un début de sta-
tut particulier ne comportant aucun
privilège indû commença à prendre
forme pour le Québec. La decennie
qui alla de 1958 à 1968 fut ainsi, du
point de vue des aspirations constitu-
tionnelles et politiques du Québec, la
plus fructueuse depuis la dernière
guerre mondiale.

Le Québec n’avait, par contre, rien
obtenu de significatif sous la longue
(neuf ans) administration de M. Saint-
Laurent, si ce n’est le célèbre anange-
ment au suet de la double taxation
des profils e sociétés, que M. Duples-
sis arracha à Ottawa à la pointe du re-
volver. Il en aura été de même, du
moins jusqu’à ce jour, du règne de M.
Trudeau. Peu après son arrivée au
pouvoir, celui-ci confirma que le gou-
vernement central était résolu à ne
pas élargir davantage le recours au
droit de retrait facultatif. Autant il
s’est évertué depuis sept ans à obtenir
que les francophones jouissent d’une
égalité au plan fédéral, au-
tant il s’est montré ombrageux et in-
traitable cha ue fois qu’il a été ques-
tion de la moindre revendication qué-
bécoise qui pouvait avoir l’air de mo-
difier à l avantage du Québec l’équili-
bre constitutionnel.

Cette attitude répond sans doute
chez M. Trudeau à une conviction pro-
fonde qui va de pair avec l’idée très
symétrique qu’il se faisait au début de
la nécessaire egalite des parties dans
la fédération canadienne. A tort ou à
raison, on a l’impression que, lors-
qu’elle est défendue par un premier
ministre fédéral originaire du Québec,
elle s’accompagne d’une raideur doc-
trinale plus grande.

On notera aussi que, pendant la pé-
riode qui s’avera la plus fructueuse
pour l’avancement des thèses québe-
coises, des partis opposes se trouvè-
rent généralement au pouvoir à Ot-
tawa et à Québec: M. Saint-Laurent
était « rouge » tandis que M. Dupiessis
était « bleu », M. Lesage était
« rouge » tandis que M. Diefenba-
ker était « bleu ». Il ne faut pas exagè-
rer ce trait: des gains importants fu-
rent obtenus pendant que régnaient
en même temps à Québec et à Ottawa
des « bleus » (Diefenbaker et Duples-
sis ou des « rouges » (Pearson et Lesa-
ge). C’est néanmoins un fait histori-
que assez net que, depuis le deuxième
conflit mondial, le Québec a semblé
moins bien placé pour faire prévaloir
ses points de vue quand il devait faire
face à Ottawa à un interlocuteur prin-
cipal originaire du Québec.

La position de
M. Bourassa

Lorsque le premier ministre fédéral
vient du Québec, il peut soutenir à
juste titre que lui aussi parle au nom
du Québec, puisqu’il y a reçu son
mandat et y trouve ses appuis les plus
solides. Lorsqu’au surplus, il milite
dans le même parti que le premier mi-
nistre du Québec, il peut penser avec
beaucoup de justification que le pre-
mier porte-parole du Québec, c’est lui
et non son homologue québécois dans
toutes les grandes questions qui em-
brassent le bien général de la fédéra-
tion et les aspirations les plus profon-
des de ses concitoyens. Lorsqu’enfin,
à plusieurs égards, le premier minis-
tre fédéral a une personnalité politi-
que plus complète, plus forte, plus im-
posante pour tout dire, que son collè-
gue québécois, cela ne saurait être ou-
blié dans la perspective d’un affronte-
ment possible entre les deux hommes
ou, si l’on préfère, entre les deux fonc-
tions et les deux pouvoirs.

M. Jacques-Yvan Morin affirmait
hier matin au réseau Télémédia que,
s’il doit y avoir négociation constitu-
tionnelle en bonne et due forme, le
Québec, vu les circonstances actuelles,
risquerait de se retrouver dans la posi-
tion de faiblesse où se vit coince M.
Godbout pendant la dernière guerre
mondiale. Il faut faire la part de la
partisanerie dans ces propos. A la lu-
mière des éléments évoqués plus
haut, ils contiennent toutefois une
bonne part de vérité.

Si l’on ajoute à cela que, personnel-
lement, M. Bourassa n’a jamais mani-
festé une sollicitude particulière pour
les questions constitutionnelles et est
plutôt porte aux conversations privées
qu’aux affrontements publics, il y a
risque évident qu’au strade privé des
entretiens, il ne se laisse entrainer à
faire des concessions qui pourraient
si elles devaient être poussés jus-
qu’au bout, coûter cher au Québec ou
encore, sil elles étaient reniées par la
suite (comme certains de ses collè-
gues des autres provinces crurent que
cela se produisit à Victoria en 1971)
entacher gravement sa crédibilité et
celle de sa province.

L’impossible négativisme

Devant l’intérêt évident que déploie
M. Trudeau pour l’adoption sous son
règne d’une formule de modification
et le rapatriement de la constitution
canadienne, M. Bourassa ne saurait se
cantonner dans une attitude purement
négative. Il le pourrait d’autant moins
que, tout compte fait, la formule d’a-
mendement mise au point à Victoria
en 1971 était la moins insatisfaisante
de toutes celle qui ont été mises au
jour jusqu’à maintenant.

Mais les avantages que le Québec
retirera d’un rapatriement de l’AANB
sont si limités tout compte fait, et
l’impression de confirmation qui se de-
gagera de pareille démarché à l’appui
du régime constitutionnel actuel sera
si forte par ailleurs, que le Québec a
tout intérêt à faire pauer d’un certain
prix son acquiescement à une mesure
qui vise surtout à flatter l’orgueil na-
tional du Canada anglais et la fierté du
gouvernement central. Ce prix ne sau-
rait être illimité. Il devra rester nai-
sonnable et réaliste. Il sera néanmoins
essentiel, si l’on fournisse en même
temps au Québec la preuve qu’il n’a
pas parlé pour rien quand il deman-
da une révision constitutionnelle en
1967.

Chaque fois que le Quebec à rem-
porté dans le passé des gains significa-
tifs au plan constitutionnel ou fiscal,
ceux-ci furent obtenus grâce à une
opinion quasi unanime qui s’était for-
mée au sein de l’Assemblée nationale
et, par-dela l’enceinte parlementaire
parmi les corps intermédiares. Vu les
clivages d’opinion qui se sont produits
ces dernières années et la radicalisa-
tion accrue des options dont nous
sommes témoins, il sera plus difficile
aujourd’hui de réaliser cet accord qui
fit naguère la force des premiers mi-
nistres québécois aux conférences
constitutionnelles. Il incombera néan-
moins à M. Bourassam dont la sensi-
bilité à cet égard demeure plus vive
que celle de son homologue fédéral,
de faire en sorte que la prochaine
ronde de négociations ne se déroule
pas seulement entre libéraux fédé-
raux et provincaux mais entre le
gouvernement central et un gouver-
nement québécois résolu à parler
et agir au nom de tout un peuple. Il
incombera de même aux forces
d’opposition de s’élever au-dessus
de leurs intérêts partisans pour
appuyer dans cette perspective toute
demande du gouvernement qui, sans
nécessairement rejoindre leur pro-
gramme respectif, tendra versa un ren-
forcement raisonnable de la situation
du Québec à l’intérieur du tout cana-
dien.

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