Canada, Débats de la Chambre des communes, « Le projet de résolution concernant la loi constitutionnelle de 1981 », 32e parl, 1re sess (20 février 1981)
Informations sur le document
Date: 1981-02-20
Par: Canada (Parlement)
Citation: Canada, Parlement, Débats de la Chambre des communes, 32e parl, 1re sess, 1981 à 7518-7538.
Autres formats: Consulter le document original (PDF).
LA CONSTITUTION
LE PROJET DE RÉSOLUTION CONCERNANT LA LOI
CONSTITUTIONNELLE DE 1981
7518
[Traduction]
La Chambre reprend le débat sur la motion de M. Chrétien, appuyé par M. Roberts, concernant une Adresse à Sa Majesté la Reine relativement à la Constitution du Canada.
Et sur l’amendement de M. Epp, appuyé par M. Baker (Nepean-Carleton):-Qu’on modifie la motion à l’annexe B de la résolution proposée en supprimant l’article 46 et en apportant à l’annexe toutes les modifications qui découlent de cette suppression.
M. Benno Friesen (Surrey-White-Rock Delta-Nord): Madame le Président, j’étais en plein discours quand j’ai été interrompu à 10 heures hier soir. Je disais que le fait même que nous voulons garantir certains droits dans la constitution doit nous obliger à choisir prudemment ceux que nous garantirons. Je faisais remarquer qu’un des principes que nos garantissons- involontairement peut-être, mais cela ne change rien au fait-est le principe de l’injustice, car en vertu de la formule d’amendement que renferme la charte, la Colombie- Britannique devra attendre au moins 140 ans et peut-être même 200 ans avant d’être sur le même pied que deux autres provinces. C’est un principe injuste et on ne peut garantir un principe de ce genre dans une charte des droits et espérer qu’elle durera longtemps.
Des voix: Bravo!
M. Friesen: En deuxième lieu, je tentais de faire comprendre que cette charte est illusoire, car même si elle garantit des droits personnels et des droits civiques, son libellé est contradictoire. A l’examen, on se rend compte qui parle et on constate alors que nous ne garantissons nullement les droits civiques parce que c’est le gouvernement lui-même qui affirme que chaque citoyen aura tel ou tel droit. C’est le gouvernement qui parle. Or, si le gouvernement parle et si les citoyens sont l’auditoire ou les bénéficiaires, c’est dire alors que le gouvernement détient le véritable pouvoir et tous les droits, sauf ceux qu’il énumère ou qu’il accorde, dans sa munificence, aux citoyens. Le gouvernement présente un projet de charte qui accorde, prétend-il, des droits aux citoyens. Rien ne saurait être plus illusoire, plus malhonnête. Il ne sanctionne pas les droits des citoyens, il sanctionne plutôt le pouvoir de l’État.
7519
Faute de temps, je ne pourrai développer le point suivant mais qu’on me permette de signaler le fait que la charte consacre de vieilles ranceurs, d’anciennes querelles. Les ministériels aimeraient nous faire croire qu’il s’agit d’un autre débat analogue à celui du drapeau, que dans 10 ou 15 ans toute l’amertume se sera dissipée et que les gens sauront gré au gouvernement d’avoir présenté cette charte. Je prétends qu’il ne s’agit pas d’un banal débat sur le drapeau. Entre paranthèses, j’ajouterai que des milliers de Canadiens, d’un bout à l’autre du pays, et surtout les anciens combattants des deux guerres mondiales, considèrent toujours le pavillon rouge du Canada; comme leur étendard, même s’ils ont accepté le nouveau drapeau canadien. Toute l’acrimonie qui a entouré ce débat n’a pas encore disparu, mais le drapeau est un symbole; la constitution est la trame de notre pays. Nous ne parlons pas de symbole ici, nous parlons du mécanisme qui permettra de faire fonctionner notre pays. Ce projet, tant par son libellé que par la méthode employée pour le faire adopter suscite et exacerbe des conflits et des dissensions. Il faut donc s’attendre à ce qu’un arrière-goût d’amertume persistera dans cette constitution aussi longtemps qu’elle sera en vigueur; il y est ancré. Je voudrais mentionner un article publié dans l’édition de ce matin du Citizen d’Ottawa. La manchette du journal donne une idée du niveau de l’acrimonie et de la rancune. L’article de M. Iain Hunter est intitulé: «Patriation dividing Canadians, PM admits», et cite un passage d’une déclaration du premier ministre (M. Trudeau) à Vancouver:
Les néo-démocrates, a-t-il déclaré, étaient partagés entre «ceux qui aiment la liberté et la justice davantage qu’ils ne haïssent les libéraux», et «ceux qui haïssent les libéraux davantage qu’ils n’aiment la liberté et la justice». Sur le plan idéologique, je me situe à des années-lumière du NPD. Ceux qui ont entendu mon discours hier soir savent tout ce qui me séparent d’eux et de leur position, mais je n’irai jamais prétendre qu’ils sont moins patriotiques parce qu’ils ont adopté cette position. Le fait que le premier ministre aille aux quatre coins du pays faire le genre de déclaration que rapporte le Citizen risque de consacrer cette attitude dans la constitution; en fait, elle l’est déjà.
Au cours des deux minutes qui me restent, j’aimerais parler du libellé de la constitution. D’après un de mes collègues, le libellé de la charte qu’on nous propose ressemble à celui de la constitution soviétique. C’est exact: la même passivité caractérise les deux et c’est la même énumération des droits des citoyens, alors que le gouvernement détient tous les pouvoirs. La structure des deux chartes est identique. Le député de Northumberland-Miramichi (M. Dionne) a dit qu’elles sont pareilles. Je voudrais que tous les électeurs de Northumberland- Miramichi sachent quelle comparaison idéale leur député a trouvée pour le Canada, et qu’il semble l’interpréter comme l’approbation de notre constitution plutôt qu’une malédiction pour notre pays.
Les quatre gouvernements provinciaux de l’Ouest, 70 p. 100 des députés de ces provinces et 67 p. 100 des Canadiens s’opposent au projet constitutionnel. En l’occurrence, nous pouvons difficilement supposer que le premier ministre détient un mandat pour promouvoir cette charte des droits ou la résolution. Si le public juge sévèrement ceux qui s’amusent à changer les poids et mesures, combien plus dur sera-t-il à notre endroit si nous acceptons l’injustice de cette proposition?
Des voix: Bravo!
L’hon. John C. Munro (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien): Monsieur l’Orateur, j’ai presque souri, je l’avoue, en écartant les propos du député de Surrey-White Rock-Delta-Nord (M. Friesen). Vouloir comparer ici même une chose aussi importante que la constitutionnalisation de la charte des droits et libertés avec quoi que ce soit de similaire qui se déroule actuellement en Union soviétique est exagéré et frise même la démence. Cela prouve la situation désespérée dans laquelle les députés de l’opposition officielle se trouvent actuellement à vouloir combattre le projet de résolution. Selon moi, il n’y a pas de doute possible. A avoir parlé avec nombre de citoyens canadiens, je crois que nous devrions être fiers de participer au processus de rapatriement. C’est une chose qui aurait dû se faire depuis longtemps. Si l’on effectuait un sondage à ce sujet-je sais, certains n’y croient pas-je pense que les résultats indiqueraient qu’une large majorité est en faveur de la constitutionnalisation de la charte des droits et libertés qui garantira l’égalité et la justice pour tous au Canada.
En ma qualité de ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, je tiens à dire au député qu’il devrait prendre conscience de l’importance et des retombées de la charte des droits et libertés pour les peuples autochtones canadiens. La charte constitue la plus importante réforme en matière de garantie de leurs droits depuis un siècle. Il y a de nombreux autochtones dans les quatre provinces de l’Ouest. Je n’hésite pas à dire que lorsque l’on demande à ces Canadiens, les premiers habitants du Canada, ce qu’ils ressentent au sujet de l’importance de la consécration de leurs droits dans la charte, leur réaction est quelque peu différente. Si le député ne me croit pas, qu’il interroge certains des chefs indiens qui ont lutté si longtemps pour obtenir ce que nous leur offrons aujourd’hui.
(1220)
La charte des droits et libertés revêt pour les autochtones une importance bien supérieure à celle qu’elle revêt pour le reste de la population. Elle renforce leur désir de voir consacrer dans la constitution les droits qu’ils détiennent en qualité d’autochtones en vertu des traités qu’ils ont signés. Elle assure leur place dans la société canadienne. Il n’y a plus aucune équivoque possible au sujet de ces droits, qui ne présentent plus aucune ambiguïté pour les peuples autochtones du Canada dont les droits sont enfin reconnus officiellement dans les lois du Canada. Leur spécificité en tant que Canadiens est reconnue. Ils n’auront plus l’impression que les Canadiens ou les institutions canadiennes font preuve de paternalisme à leur égard. C’est pourquoi ce texte a une grande importance à leurs yeux.
7520
En fait, ils viennent de franchir une étape critique. Je suis sûr qu’à l’avenir nos peuples autochtones seront mieux en mesure de comprendre et les Canadiens et le Canada. Ces peuples ont un intérêt très particulier pour le Canada que les Canadiens n’ont pas toujours bien compris. Je répète qu’ils ont lutté pendant 100 ans pour en arriver là. Ils considèrent que le Parlement du Canada prend un engagement ferme en adoptant cette résolution. En retour les autochtones eux-mêmes ont toujours voulu préserver l’intégrité politique du Parlement.
Je voudrais vous faire part d’une expérience personnelle pour illustrer le patriotisme des autochtones. Avant le référendum, je me suis rendu dans le Nouveau-Québec pour m’entretenir avec Charlie Watt, le chef des Inuit, et Billy Diamond, le chef des Cris. Je voulais connaître leur attitude envers le référendum et, au besoin, je voulais les inciter à voter non. Cela était superflu. Ils étaient déjà décidés à le faire à cause de leur profond attachement à leur pays.
Ils comptent maintenant sur le Parlement national pour concrétiser le marché pour lequel ils ont lutté si ardemment. Il faut se rendre compte que le patriotisme des autochtones dépend dans une large mesure de la sympathie que nous manifestons à l’égard de leur culture. Or, le Parlement, sur la recommandation du comité de la constitution, a agi de manière à renforcer le lien de cause à effet qui fait que les peuples autochtones ne peuvent se sentir pleinement intégrés que si nous reconnaissons et respectons leur culture. Cette reconnaissance officielle est sûrement la réalisation d’un de leurs objectifs.
Je félicite le comité pour le travail qu’il a accompli. Comme l’a dit le représentant de l’Arctique de l’est dans son discours que j’ai lu avec grand intérêt, puisque ces principes sont formulés dans la résolution, les peuples autochtones du Canada peuvent désormais collaborer avec nous pour bâtir un grand pays. Il a rappelé que c’était un geste de collaboration. Les Inuit, les peuples indiens et les Métis ont raison d’être satisfaits de ce qu’ils ont obtenu.
Je pense aussi que les membres du comité de la constitution méritent nos éloges, et ils seront sans doute les premiers d’accord. En fait, les membres du comité ont apporté des changements fondamentaux aux relations entre le Canada et les aborigènes. Ils l’ont fait en toute objectivité. Le député de Provencher (M. Epp), mon prédécesseur, a joué un rôle de premier plan. Le député de l’est de l’Arctique …
M. Knowles: De Nunatsiaq.
M. Munro (Hamilton-Est): Le député de Nunatsiaq (M. Ittinuar) a représenté son peuple avec compétence et dévouement. Le chef du Nouveau parti démocratique, le député d’Oshawa (M. Broadbent), a manifesté tout au long du débat sa détermination à défendre les droits des autochtones et son profond désir de les voir parvenir à l’égalité. Le ministre de la Justice (M. Chrétien) n’a cessé de manifester son dévouement à cette même cause. Mon collègue le député de Notre- Dame-de-Grâce (M. Allmand), qui s’est battu avec diligence et vaillance pendant des mois pour atteindre cet objectif, mérite également les éloges de tous.
Des voix: Bravo!
M. Munro (Hamilton-Est): La liste est fort longue. Citons aussi le député de Lincoln (M. Mackasey), le sénateur Austin qui avait les larmes aux yeux quand le comité a enfin accepté de garantir les droits des autochtones et les autres membres du comité constitutionnel, qui étaient fort émus eux aussi, devant ce véritable pas de géant.
Encore une fois, pas un député, je pense, ne songerait à nier que les Inuit et les Métis y ont eux-mêmes largement contribué. Ils ont abattu un énorme travail. Pour eux, cela marque le début d’une ère nouvelle. Depuis 1971, ils n’ont cessé de tenir des réunions. Inlassablement, ils ont exercé des pressions et effectué des recherches. L’atmosphère des assemblées était parfois assez échauffée et il y a eu certains affrontements. Mais peu à peu, nous sommes parvenus à mieux nous comprendre et à nous respecter davantage. Un bon nombre d’entre nous, moi notamment, ont appris à mieux écouter. Par conséquent, nous devons être justes et reconnaître les mérites des autochtones de notre pays.
Il y a quelques mois, en décembre, les Indiens sont venus par centaines à Ottawa. Ils se sont conduits avec une sagesse et une sagacité que pouvaient sans doute leur envier bon nombre d’entre nous. Ils ne sont pas venus chercher un affrontement mais plutôt présenter des arguments raisonnables pour se trouver des alliés. C’est un exploit remarquable qui témoigne de la vigueur de leur culture et de la sagesse de leurs anciens. Certains de leurs chefs sont ici, aux tribunes, et j’aimerais saluer M. Sykes Powderface de la Fraternité nationale des Indiens et M. Saul Sanderson de l’Association des Indiens de la Saskatchewan. Je signale également la présence des Indiens qui travaillent au bureau du ministre et dans son ministère. Nombre d’entre eux doivent être transportés de joie par cette réussite unique. M. George Manuel, l’ex-président de la Fraternité nationale des Indiens qui dirige maintenant l’union des chefs de la Colombie-Britannique, est ici également. Ils sont sans doute très heureux de voir que le Parlement a enfin constitutionnalisé ces droits. M. Charlie Watt de la Communauté indienne et M. Daniels qui représente les Métis méritent toutes nos félicitations. Maintenant, leurs attentes ne risquent plus d’être déçues.
Si, la prédiction de l’opposition officielle se matérialisait, et que cette résolution ne soit pas approuvée, ni ces droits garantis dans la constitution, la constitutionnalisation des droits des autochtones ne serait plus alors qu’un vain mot et tout ce travail n’aurait servi à rien. Ce serait intolérable pour les premiers habitants du pays.
7521
C’est pourquoi, après m’être entretenu avec eux, comme ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, de leur volonté absolue d’atteindre cet objectif, je suis très déçu de la position que le premier ministre Blakeney a adoptée l’autre soir. La vaste majorité des Néo-démocrates fédéraux ont appuyé la constitutionnalisation de ces droits, et compte tenu de la population autochtone importante du Manitoba et du travail accompli en ce sens, l’étonnante décision du premier ministre Blakeney de ne pas appuyer la résolution à cette étape-ci constitue une singulière trahison dans la défense de ces droits si jalousement protégés.
(1230)
On doit toutefois reconnaître que ce sont les premiers citoyens de sa province et qu’il a insisté sur la nécessité de faire protéger leurs droits dans la constitution. Je puis donc m’associer, si je puis dire, à M. Saul Sanderson le président de la Fédération des Indiens de la Saskatchewan qui affirme avec confiance que si certains prétendent que les Indiens n’ont aucun appui dans l’ouest du Canada pour ce qui est de la constitutionnalisation de ces droits, ils ne parlent pas au nom des Indiens de la Saskatchewan, pas plus que le premier ministre Blakeney d’ailleurs, car ce sont plutôt les députés au Parlement fédéral qui ont lutté avec ardeur et tenacité pour que le peuple indien obtienne cette constitutionnalisation.
Traitons plutôt des dispositions générales, et non des dispositions spéciales, relatives aux droits des peuples autochtones. Nous savons que, pour l’ensemble des Canadiens, il s’agit de droits juridiques fondamentaux, de la suppression de toute discrimination fondée sur la race, la regligion et le sexe, mais il ne faut pas oublier pour autant que ces droits revêtent une importance toute spéciale en ce qui concerne les aborigènes, du fait qu’ils protégeront ces derniers de toute discrimination dans les villes et au titre de l’emploi, un peu partout au Canada.
Désormais, les Indiens seront traités sur le même pied que tous les autres citoyens canadiens dans le système judicaire et les Indiennes seront protégées contre toute forme de discrimination, tant en leur qualité d’Indiennes que de femmes. Les dispositions discriminatoires de la loi sur les Indiens, inadmissibles pour les Indiens comme pour tous les autres Canadiens, seront supprimées, et le gouvernement, en collaboration avec les Indiens, prendra le temps nécessaire pour préparer de nouvelles dispositions qui seront à la fois justes, équitables et adaptées aux intérêts culturels des Indiens.
Passons maintenant aux droits spéciaux prévus pour les autochtones. En outre, on reconnaît désormais les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones, lesquels droits sont confirmés dans une partie spéciale de la loi constitutionnelle consacrée uniquement à ce sujet. Quand ces dispositions ont été incluses, tous les participants se sont spontanément déclarés extrêmement satisfaits lors de cette séance du comité. Il a semblé aux membres du comité et aux représentants des peuples autochtones qu’ils étaient enfin arrivés à un tournant pour ce qui est de la situation des autochtones au Canada. C’est certainement un tournant et peut-être même un nouveau point de départ.
En deuxième lieu, les droits ancestraux et issus de traités, les libertés établies dans la Proclamation royale de 1763 et les réclamations territoriales sont désormais garantis dans la charte au titre des droits et libertés. Ce type de protection est unique et fondé sur un héritage culturel également unique.
En troisième lieu, la loi veillera à ce que les questions constitutionnelles intéressant les autochtones, ainsi que la question des droits devant être inclus dans la loi, soient étudiées à la fois par les représentants des autochtones et les premiers ministres provinciaux. Cette garantie symbolise, et je dirai même concrétise, la promesse que le premier ministre (M. Trudeau) a faite aux peuples autochtones en octobre 1980 et selon laquelle à la prochaine étape des négociations constitutionnelles, les droits des peuples autochtones seront clairement définis. Nous discuterons de l’autonomie des autochtones, de leur représentation au sein des institutions politiques et des responsabilités des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en matière de prestation de services et, grâce à la bonne volonté de tous, nous pourrons définir exactement ce que représente à nos yeux la constitutionnalisation de ces droits fondamentaux.
Une voix: Et d’où viendra la bonne volonté?
M. Munro (Hamilton-Est): Je puis dire qu’en ce qui concerne le chef du Nouveau parti démocratique, je crois qu’il va proposer d’inclure à l’article 54 de la loi constitutionnelle une disposition qui confirme les droits des autochtones prévus dans les traités. Le gouvernement appuiera cet amendement. C’est une façon pour lui de reconnaître l’importance des droits des autochtones prévus dans les traités. De ce fait, ces droits auront la même place et la même importance que les autres dispositions fondamentales de la constitution, y compris la charge de la reine. La Charte des droits et libertés et les droits des autochtones prévus par les traités pourront être modifiés grâce à la formule générale d’amendement qui s’applique à toutes les autres dispositions essentielles.
Cet amendement qui servira les intérêts des peuples aborigènes revêt donc un caractère symbolique. Ces derniers ont toujours considéré la reine comme garante de leurs droits et libertés. Le rôle de la reine n’est pas modifié par cette résolution, et l’inclusion des droits des autochtones prévus dans les traités dans le même article prouve l’importance de ce projet d’amendement.
En outre, le gouvernement reconnaît la nécessité de prévoir d’autres moyens surtout pour discuter des besoins spéciaux des Indiens et y répondre. C’est pourquoi il est disposé dans les prochains mois à étudier avec eux la possibilité d’avoir des entretiens plus officiels entre les ministres et les Indiens en vue de favoriser l’instauration à long terme de rapports plus efficaces et plus concrets avec le gouvernement fédéral. Je suis tout disposé à prendre l’initiative pour mettre ce processus en marche. Nous ne devons donc pas sous-estimer l’importance de cette Charte des droits et de la loi constitutionnelle. Elle établit une fois pour toutes le principe fondamental de la reconnaissance et de la confirmation des droits des autochtones prévus dans les traités.
Tous les gouvernements devront tenir compte de ce fait élémentaire à la prochaine étape du renouvellement constitutionnel, dans le débat qui portera sur l’amélioration et l’élaboration de ces principes, c’est extrêmement important. Cette loi fondamentale obligera les gouvernements fédéral et provinciaux à respecter et à appuyer ces droits. En agissant autrement, on favoriserait la possibilité d’injustice et d’actes arbitraires dans nos relations avec les populations autochtones; et en appuyant un principe tel que la formule de Vancouver, avec
7522
son effet de damier, ces droits seraient conférés à certaines provinces mais peut-être pas à d’autres.
Madame le Président, le gouvernement estime donc qu’il est indispensable d’approuver cette charte et la loi constitutionnelle. A l’instar d’autres députés, je suis disposé à renouveler mon engagement envers les autochtones quant à leur participation réelle au processus futur. Je ne saurais trop insister là-dessus. Quel que soit le résultat du présent débat, je crois qu’en raison des dispositions de la charte proposée, aucun gouvernement ni aucun particulier ne sera plus jamais en mesure d’écarter ou de nier les droits de nos autochtones.
(1240)
Pour cette raison entre tant d’autres, j’ai la sincère conviction que la Chambre a l’obligation et même le devoir de voter la résolution. Sinon, nous manquerions à la parole donnée aux Indiens, aux Inuit et aux Métis, qui se sont réunis avec les représentants de la Chambre et du Sénat pour mettre au point les termes qui figurent dans la résolution à l’étude.
Puis-je dire encore une fois aux députés de tous les partis que malgré les élans oratoires de ces derniers jours, leur appui impartial et le très sérieux effort qu’ils ont consenti m’ont vivement touché. Il y a de quoi être très fier de ce que nous avons réalisé. Il est certain que si les autochtones, qui sont les permiers occupants de ce pays ont voix au chapitre, nous ne dénigrerons plus la charte et ce qu’elle représente pour les Canadiens, surtout pour ceux qui ont été Canadiens avant tous les autres.
M. Walter McLean (Waterloo): Madame le Président, c’est un honneur que d’intervenir dans ce débat historique. Je tiens moi aussi à exprimer ma gratitude au comité, à ses membres de tous les partis qui ont su faire oeuvre d’hommes d’État au cours de leurs délibérations. C’est à eux que nous devons d’en être à l’étape présente.
Je n’ai pas de mal à m’associer à ce que disait le ministre au sujet de nos indigènes, de nos autochtones, et de la nécessité de consacrer leurs droits. Je relève que lorsqu’il parle au nom du gouvernement et en sa qualité de ministre il ne dit mot des Indiennes ni des observations faites au gouvernement et à lui-même par la conférence qui s’est tenue à Ottawa la fin de semaine dernière.
M. Munro (Hamilton-Est): Je l’ai fait.
M. McLean: Lors de cette conférence, les dirigeantes des mouvements féministes canadiens ont demandé si nous avions choisi la bonne approche pour cette charte. Comme le ministre, elles ont affirmé l’importance de la charte, elles lui ont donné un appui non équivoque mais nous ont dit: «Faites-la bien». Elles ont déclaré-et nombre d’entre elles sont de brillantes avocates-: «Nous sommes d’avis que dans sa forme actuelle, la charte perpétuera la discrimination contre les Indiennes». Tout en partageant l’engagement du ministre en matière de droits de la personne, je lui signalerai toutefois que je crois fermement qu’un tel geste à la fois symbolique et concret doit permettre d’exprimer dans la charte la volonté de tous les Canadiens.
En guise de préliminaires, j’aimerais, monsieur l’Orateur, revenir un moment sur les observations que faisait en 1948 le premier gouverneur général canadien né au Canada, Vincent Massey, lorsqu’il évoquait son rêve canadien. J’aimerais communiquer à la Chambre et, par l’entremise de celle-ci, aux gens de la circonscription de Waterloo, que j’ai l’honneur de représenter, ainsi qu’à toute la population du Canada, mes préoccupations quant à la situation suscitée au Canada par un empressement excessif à réaliser ce que nous souhaitons tous. Parlant des sentiments qu’il portait à ce pays que nous aimons tous et que nous désirons tous servir à la Chambre et au moyen de ces mesures, Massey déclarait ceci:
J’ai confiance dans le Canada, je suis fier de son passé, je crois en son présent et j’ai foi en son avenir;
J’ai confiance dans la qualité de vie canadienne et dans le caractère des institutions canadiennes;
…. Je crois dans l’unité du Canada, et je crois que si nous nous attachons aux éléments communs à ses différentes parties, nous pourrons promouvoir l’unité de l’ensemble;
Je crois qu’à force de travail bien fait, d’esprit d’équipe et de conscience de ce que nous sommes, nous pourrons réaliser des exploits dont l’ampleur dépasse notre imagination.
Cette conception et cette vénération que Massey a exprimées ne se retrouvent pas dans les parties composantes de notre pays. L’esprit d’équipe et le désir d’association sont de plus en plus menacés par les propositions avancées par le gouvernement pour modifier la nature des éléments composants de la société canadienne, et retirer à ces derniers des droits qui leur ont toujours appartenu en vertu de la constitution.
Le Canada est une fédération qui s’est développée grâce à l’esprit de collaboration et d’entente qui a toujours existé au long de son histoire. Nous sommes présentement saisis d’une proposition constitutionnelle qui compromet cette réalité historique. Cette action unilatérale et ce désir de faire prendre à l’extérieur du Canada des décisions qui engagent les droits de tous les Canadiens comportent, à notre avis, quelque chose de contraire à cet esprit d’équipe et de collaboration.
J’incline de plus en plus à comparer tout cela à l’échec d’un mariage ou à un divorce dans une famille où un des partenaires décide de tout diriger à sa guise. Si nous ne concluons pas les ententes nécessaires, il semble que nous nous dirigions tout droit vers le divorce. Pour communiquer efficacement, les gens ont parfois besoin de conseillers, mais cela demande du temps. Aujourd’hui, nous demandons au gouvernement de nous donner le temps qu’il faut pour faire les choses dans les formes.
Commençons par rapatrier la constitution. Entendons-nous ensuite sur une formule d’amendement et, enfin, ensemble et dans des délais dont tous auront convenu, étudions la charte des droits dont la Chambre est saisie jusqu’à ce que nous parvenions à une entente. Nous voulons apporter notre soutien, mais ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder sur le plan de l’édification de notre pays et de la dynamique humaine. Nous devons en étudier les manifestations aux quatre coins du pays et écouter ce que les groupes ont à en dire. Ne croyons pas qu’il s’agit simplement d’une affaire entre les provinces et le pays; écoutons ce que les gens ont à nous dire, à nous députés, par l’intermédiaire de leurs associations et de leurs institutions.
7523
En tant que pays nous sommes liés par un consensus et nous avons des ententes à respecter. La qualité de vie dont nous jouissons est le résultat de ce consensus. Les provinces participent à d’importantes ententes qui assurent la marche de notre pays. Il suffit de penser à la loi sur les pensions de retraite adoptée en 1927, pendant la dépression et toute la série de lois sociales présentées tous les ans, la loi sur l’assurance-hospitalisation, le Régime d’assistance publique du Canada, le Régime d’assurance-maladie, la loi sur l’assurance-chômage et le Régime de pensions du Canada. Dans tous les cas, le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces sont arrivés à s’entendre et à s’accommoder de leurs différences.
Je représente l’une des circonscriptions les plus exceptionnelles et les plus florissantes du Canada, soit la nouvelle circonscription de Waterloo, qui comprend la ville jumelle de Kitchener- Waterloo. J’ai eu l’occasion de vivre et de travailler dans l’Île-du-Prince-Édouard et dans d’autres provinces de l’Atlantique, et j’ai travaillé comme fonctionnaire au Manitoba. J’ai également travaillé en Saskatchewan et j’ai été élevé en Colombie-Britannique. Lorsque je jette un coup d’oeil d’un océan à l’autre et que j’y vois les ressources et la diversité, je m’en réjouis. Je ressens vivement le besoin d’un mécanisme qui nous permette de nous entendre plus clairement et plus pleinement.
Dans ma propre circonscription, je constate que le consensus est nécessaire à la coexistence de groupes ethniques divers et vigoureux en un même lieu. Ce sont les Mennonites hollandais de la Pennsylvanie qui ont été les premiers à venir s’installer dans la région. Des artisans allemands dont les clubs et les célébrations annuelles de l’Oktoberfest perpétuent les traditions sont venus les rejoindre. Selon le recensement de 1971, les Canadiens d’origine germanique forment 32 p. 100 de la population de Waterloo et 27 p. 100 de celle de Kitchener. Ces dernières années, la région a accueili plus de réfugiés de la mer que toute autre région du Canada. Les collectivités allemande et asiatique qui se côtoient à l’université ou en milieu de travail et y vivent en bonne intelligence, exercent leur activité dans les domaines les plus divers, que ce soit l’agriculture, la petite entreprise, l’électronique, le caoutchouc et les assurances. Leurs intérêts diffèrent, mais ils trouvent quand même le moyen de s’écouter les uns les autres afin de bâtir une collectivité, dans la fierté et le partage. Notre façon de chercher un consensus à l’égard d’une constitution canadienne n’est pas la bonne.
(1250)
Les difficultés sont nombreuses, mais nous devons prendre le temps, comme nous le faisons dans nos collectivités, de comprendre et d’analyser les problèmes. Au fur et à mesure que ce débat se déroule et grâce à la télédiffusion des délibérations du comité, les gens sont témoins d’une attitude de confrontation qui consiste à dire: «Voici le programme. Voici ce que vous devez faire». Une telle attitude suscite plus de mécontentement que d’unanimité.
Des banquettes du gouvernement nous vient de temps à autre l’argument selon lequel notre pays est difficile à gouverner. Quelqu’un a même dit qu’il était impossible à gouverner. Je ne suis pas d’accord. Je crois que le Canada peut être gouverné. Nos points forts sont de loin plus nombreux que nos faiblesses. Le Canada a, aujourd’hui, un excellent réseau de communications et de transport, ce qu’il n’avait pas dans le passé. Nous pouvons nous rejoindre. Nous pouvons nous parler, souvent par des moyens électroniques. Nous pouvons communiquer.
J’ai eu l’occasion d’aller travailler cinq ans au Nigeria pour le Canada. Je songe aux difficultés que ce pays jeune a connues pendant son édification. Je songe aux clivages importants et à l’animosité qui existaient entre les groupes tribaux et les principaux groupes religieux. Ce pays a d’abord essayé un régime unitaire qui a échoué. Mais alors les artisans de la nation ont écouté les habitants de toutes les régions du pays. Ils ont formé une assemblée constituante au sein de laquelle les différentes régions du pays étaient représentées. Quand les gens se sont remis à communiquer après la tragique guerre civile, ils ont commencé à trouver des structures qui tiennent compte de la diversité qui règne dans ce pays. Maintenant, le Nigeria est devenu un pays moderne et dynamique. Il comprend 19 États. Son régime de gouvernement repose sur des bases solides et il se renforce encore du fait qu’il tient compte de la diversité qui règne dans ce pays.
Le problème des droits est un problème essentiellement philosophique que les Canadiens doivent résoudre non seulement à titre purement personnel mais aussi à titre collectif à cause de son incidence sur la vie de la nation. Permettez-moi de dire que le débat sur l’inscription dans notre charte des droits d’une allusion à Dieu va au coeur même de la question. Car par quoi faut-il commencer? Par des droits inaliénables ou des droits qui nous sont en quelque sorte octroyés par le gouvernement?
Au comité, les représentants du parti Progressiste conservateur ont proposé dans une motion que l’on ajoute un préambule à la charte des droits. Le comité l’a rejeté. Pourtant ce préambule aurait affirmé que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu, la dignité et la valeur de l’être humain ainsi que le rôle de la famille dans une société d’individus et d’institutions libres. Les individus et les institutions ne restent libres que dans la mesure où la liberté est fondée sur le respect des valeurs morales et spirituelles ainsi que de la règle du droit.
Ainsi que le démontre le compte rendu, le député de Burnaby (M. Robinson) s’est opposé à cette motion présentée au comité. Il a soutenu que beaucoup de gens ne croient pas en Dieu et que par conséquent on ne devrait pas faire allusion à Dieu, car le faire reviendrait à restreindre leurs droits. Il a été question d’ajouter cet élément au préambule plutôt qu’à l’article 1 de la charte, ce qui aurait pu obtenir l’assentiment des provinces. Nous devons nous rappeler qu’en raison de nos origines judéo-chrétiennes, on a invoqué Dieu tout au cours du processus de formation de la nation et d’établissement de ses valeurs. Bien des immigrants sont venus au Canada en quête de la liberté qui leur permettrait d’exprimer leur notion de Dieu, par exemple, les Mennonites, les Hutterites et les Juifs soviétiques.
La foi en Dieu a joué un rôle important dans l’établissement de la nation canadienne. Songeons par exemple aux hôpitaux, au secteur agricole et aux transports. Ces secteurs d’activité sont fondés sur la notion que Dieu donne la vie et accorde des droits et que les gouvernements agissent sous autorité divine. C’est Dieu et non pas l’État qui accorde des droits. Les gouvernements ne sont chargés que de veiller à leur respect. La
7524
charte à laquelle nous souscrivons vise aussi ce but. Il me semble très arrogant de ne pas parler de Dieu.
Je conseille à ceux qui disent que notre société est en évolution d’examiner la mosaïque multiculturelle qui existe actuellement au Canada. Rappelons-nous que ceux qui suivent la tradition islamique, bouddhiste ou confucianiste ont une notion de Dieu qui fait partie intégrante de leur culture. Il est certain qu’il faut vous pencher sur notre passé, examiner nos racines, et chercher à y ancrer notre détermination à protéger nos droits. Il faut procéder lentement, et nous assurer que le principe sur lequel nous construisons est maintenu dans la charte, dans son préambule, ou ailleurs.
Après la pause, dans le temps qui me restera, je voudrais poursuivre le débat sur nos droits. Je voudrais réfléchir à la réunion de première importance tenue ici dans la capitale nationale la semaine passée, à laquelle au-delà de mille femmes assistaient. Et réfléchir à la charte proposée: servirat- elle leurs intérêts? Réfléchir aussi aux recommandations que les femmes de la nation ont faites au gouvernement. Enfin, à l’inquiétude croissante d’autres groupes de notre pays, et aux questions qu’a soulevées aujourd’hui par la voie des media le Conseil canadien de développement social. Je reprends le conseil et comme certains groupes commencent à le dire: «Pas trop vite: faites les choses convenablement. Faites ce qui vous semble sage.»
Puis-je, monsieur l’Orateur, déclarer qu’il est 1 heure? L’Orateur suppléant (M. Blaker): A l’invitation du député de Waterloo (M. McLean), nous déclarons qu’il est I heure. Comme il est 1 heure, je quitte maintenant le fauteuil jusqu’à 2 heures.
(La séance est suspendue à 12 h 58.)
(1400)
REPRISE DE LA SEANCE
La séance reprend à 2 heures.
M. l’Orateur adjoint: Lorsque nous avons suspendu la séance à 1 heure, le député de Waterloo (M. McLean) avait la parole.
M. McLean: Monsieur l’Orateur, avant la pause, je disais à la Chambre qu’il importe de reconnaître notre tradition, qui est de procéder par consensus plutôt qu’unilatéralement. Nous devons respecter la riche diversité de la nation canadienne dans le processus de rédaction d’une charte des droits. Certains prétendent que le régime fédéral fait du Canada un pays difficile à gouverner et que, pour cette raison, il faut procéder unilatéralement pour changer la nation. Or cela contredit tous les progrès réalisés dans les domaines de la technologie, des communications et des transports. Le Canada est beaucoup plus facile à gouverner que d’autres pays. Les problèmes que nous avons ne sont pas ceux qu’on veut nous faire croire.
(1410)
Je disais également que ce qu’on nous propose vise essentiellement à subordonner à l’Etat non seulement les individus mais leurs droits inaliénables. En outre le fait qu’il ne soit fait aucune mention de Dieu dans ce projet prouve bien que le gouvernement entend décider de lui-même quels droits auront les Canadiens plutôt que de reconnaître les droits qui leur sont dus du seul fait de leur humanité.
Je me suis aussi dit désireux de parler de l’importance de la charte. Tous les députés devraient commencer à se rendre compte qu’au Canada, on tient à ce que les droits de la personne soient protégés. Présentement, le gouvernement est saisi de propositions réfléchies et claires résultant de la conférence tenue à Ottawa les 14 et 15 février par le comité spécial sur la femme au Canada. Nous attendons de voir sa réaction aux propositions et amendements que le comité a recommandé d’inclure dans le projet constitutionnel.
Aujourd’hui, un autre groupe, le Conseil du développement social, a déclaré publiquement que sous sa forme actuelle, la charte pourrait permettre aux pouvoirs publics d’empêcher certains Canadiens de bénéficier des services sociaux. Il faudrait écouter ce que ce groupe a à dire et étudier les préoccupations qu’il soulève afin de parvenir à nous entendre sur les propositions que nous étudions.
Je voudrais dire à ce propos que la charte et les propositions relatives aux droits de la personne doivent accomplir ce que nous exigeons d’elles. Les femmes ont bien fait voir à l’issue de leur réunion de la fin de semaine dernière qu’elles voulaient qu’on constitutionnalise les droits de la personne, à condition toutefois que ce soit fait correctement. Par ailleurs, elles ont précisé que les propositions présentées à la Chambre et à la population n’étaient pas suffisantes.
Il est intéressant que le ministre de la Justice (M. Chrétien) ait confirmé au cours de la période des questions qu’on allait ajouter très peu de propositions supplémentaires. Il a semblé laisser entendre que le gouvernement avait l’intention d’imposer ses propositions quels que soient l’avis de la population et celui des gouvernements provinciaux.
Les femmes ont délégué sur la Colline des représentantes qui devaient s’entretenir avec tous les députés et ce, en dépit des menaces de découragement du ministre de la Justice. Pendant deux jours, plus de mille déléguées se sont employées à faire connaître leur opinion. Elles ont déploré que le comité de la constitution ne se soit pas déplacé et ce, parce que les femmes n’ont pas les moyens financiers dont les hommes disposent et qu’elles ne jouissent donc pas des mêmes avantages et prérogatives pour voyager, exposer et exprimer leurs préoccupations que leurs confrères masculins.
Quatre ou cinq femmes ont adressé des instances au comité soit en leur propre nom, soit au nom d’associations, mais il y a au Canada au moins 1,500 associations féminines qui commencent à peine à se rendre compte, comme le reste de la population, des incidences du projet dont nous sommes saisis. Moi qui, à l’instar de mes collègues le député de Vancouver- Centre (M »‘ Carney), le député de Kingston et les Îles (M »‘ MacDonald) et le député de New Westminster-Coquitlam (M » Jewett), ai pu assister à cette réunion pendant deux jours, je m’étonne que pas un seul député ministériel, voire même pas une seule honorable représentante du Parti libéral, n’ait assisté à toute la réunion.
Ce sont les membres du cabinet, qui ne compte qu’une seule femme, qui ont conçu le projet de charte dont la Chambre et les Canadiens sont saisis. Ce sont des services en grande majorité dirigés par des hommes qui l’ont élaboré. Il n’est donc pas étonnant que les femmes présentes à la réunion se soient dites vivement désireuses de savoir s’il répondrait à leurs aspirations.
7525
M. Corbin: Monsieur l’Orateur, j’invoque le Règlement. Le député qui a maintenant la parole a signalé l’absence de députés et de femmes du côté libéral à la conférence nationale des femmes qui s’est tenue en fin de semaine. Je ferai remarquer au député que notre parti y était représenté, non seulement par un, mais par de nombreux membres du comité constitutionnel qui ont écouté les demandes des femmes provenant de tout le Canada. Le parti d’en face n’était absolument pas représenté.
M. l’Orateur adjoint: Le député de Waterloo a la parole. Cela ressemble à un échange.
M. McLean: On a soulevé à la conférence la question de savoir si la majorité que constituent les hommes à l’heure actuelle imposera sa volonté. Ne tiendra-t-elle pas compte des points de vue de 51 p. 100 de la population canadienne? Les femmes n’ont pas encore décidé si elles iraient, comme d’autres groupes intéressés, faire des pressions outremer. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette conférence, car elle a contribué à nous rappeler qu’on ne peut plus se permettre, au Canada, de prendre des décisions sans consulter les femmes.
Invités expressément à dire si les dispositions du projet de charte des droits de la personne étaient acceptables dans leur forme actuelle, un groupe des femmes juristes a répondu, après réflexion, que rien ne garantissait que le sort des femmes s’en trouverait amélioré. Le libellé de la charte est trop ambigu. L’égalité, on l’a ou on l’a pas. On ne peut parler d’un peu d’égalité. Ces juristes ont ensuite signalé qu’on risquait, entre autre, de consacrer la discrimination d’ordre culturel, et qu’il fallait chercher à apaiser les inquiétudes à cet égard. Il est peu étonnant que les participantes à la conférence se soient déclarées inquiètes à propos de l’échéancier au débat et du peu d’occasion d’y participer.
Les femmes ne savent pas très bien quelle est la position du gouvernement ainsi que le laissait entendre le Citizen d’Ottawa dans cette manchette de son édition du jeudi 19 février: «Women unsure where Axworthy stands». L’ex-présidente du Conseil consultatif de la situation de la femme, Doris Anderson, a trouvé à redire à certains propos que tenait le ministre de la Justice en lançant le présent débat. Elle a protesté parce que le ministre lui faisait dire que les amendements apportés au projet de résolution constituaient un important progrès. Voici ce qu’écrivait le Citizen d’Ottawa:
M »‘ Anderson a déclaré lors d’une conférence de presse que le gouvernement avait beaucoup amélioré son projet de charte des droits pour répondre aux besoins des femmes, mais cela ne veut pas dire qu’il est allé assez loin … pour établir hors de tout doute que les Canadiennes jouissent de l’égalité dans notre pays … il faut encore apporter des amendements.
Le mémoire pondéré dont sont actuellement saisis le gouvernement et le ministre recommande de tels amendements. Les participantes à la conférence ont adopté une résolution exprimant leur appui de principe à la proposition d’inclure dans la constitution une charte des droits conforme aux recommandations énoncées le 14 février 1981, mais stipulent qu’à moins que la charte ne renferme les amendements proposés, on ne devrait pas l’inclure dans la résolution dont on projette de saisir le gouvernement britannique afin de se donner le temps de les y insérer plus tard.
La Chambre et les Canadiennes sont impatients de connaître la réaction du ministre responsable de la condition féminine au mémoire très pondéré qui lui a été adressé.
Dans leur résolution, les femmes ont dit par ailleurs que si ces amendements n’étaient pas adoptés, pour constitutionnaliser la charte des droits, il faudrait passer par une assemblée constituante dont la moitié des membres seraient des femmes. Elles ont dit qu’il faudrait modifier l’article 1 de la charte pour stipuler que les droits et les libertés consacrés par la charte sont garantis également sans réserve aux femmes. En fait, ce qu’elles disent, c’est qu’il faut bien faire le travail.
Dans une autre recommandation intéressante qu’elles ont faite au gouvernement, les femmes proposent de modifier l’article 7 pour y insérer le droit de l’égalité des chances sur le plan économique. Pourquoi les femmes s’intéressent-elles à ce point à ces chances? Il n’en est pas question dans ce document, ce qui prouve qu’il y a bien discrimination dans les faits. Voici un passage d’une brochure publiée par le Conseil consultatif de la situation de la femme:
(1420)
Les femmes représentent 51 p. 100 de la population en âge de travailler. Quelque 47.8 p. 100 des femmes sont en emploi ou cherchent du travail comparativement à 37.1 p. 100 en 1968.
Les femmes représentent 38.9 p. 100 de l’ensemble de la population active, ce qui représente une hausse de plus de 6 p. 100 au cours des dix dernières années. Depuis 1968, 1,635,000 femmes se sont intégrées dans la population active comparativement à 1,296,000 hommes.
Ensuite, c’est dans ces termes que l’on décrit la discrimination dans l’emploi:
Là où un homme gagne $1, une femme gagne seulement 60c…..
Les femmes doivent travailler plus de huit jours pour gagner le salaire que les hommes gagnent en cinq jours.
Et la litanie se continue. On nous rappelle également ceci:
Seulement 4.9 p. 100 des femmes actives occupent des postes de gestionnaires ou d’administrateurs.
De toutes les femmes occupant un emploi rémunéré 62.7 p. 100 remplissent des tâches d’écritures, dans la vente ou les services: 36.9 p. 100 dans les écritures, 9.4
p. 100 dans la vente et 16.4 p. 100 dans les services.
La discrimination est une chose connue et ses réalités nous sont de plus en plus familières, mais comme pour bien d’autres domaines, le processus d’examen de la constitution ne nous a fourni ni le loisir ni le temps nécessaires pour remédier à ces injustices. Non seulement la conférence des femmes a-t-elle mis en lumière les injustices, les préoccupations et la prise de conscience croissante-faut-il s’étonner que le ministre n’était pas enchanté de cette conférence, surtout que les femmes se sont montrées déterminées à agir rapidement en intéressant le plus grand nombre de femmes possible à travers le pays-mais encore à la fin de la conférence, les femmes ont déclaré qu’on allait un peu trop vite dans l’examen d’une nouvelle constitution, que celle-ci ne répondait pas suffisamment à leurs besoins. La résolution affirme que la conférence des femmes sur la constitution réclame un débat complet et équitable devant le Parlement, sans limite de temps.
7526
Or, une nouvelle forme de clôture est en train de naître. De moins en moins de ministériels prennent la parole, leurs discours sont devenus plus courts, on constate une tendance à laisser les députés de l’opposition vider la question aussi vite que possible et ensuite à essayer de faire adopter la mesure avant que le pays n’ait eu le temps de comprendre de quoi il retourne quant au caractère fondamental de la nation et si le gouvernement arrive à ses fins, nous nous retrouverons par surcroît avec une constitution qui ne répond pas du tout à nos besoins.
M. Baker (Nepean-Carleton): Je crois qu’ils commencent à vous comprendre.
M. MeLean: Monsieur l’Orateur, au sujet de cet empressement presque indécent avec lequel le gouvernement semble vouloir rapatrier la constitution, laissez-moi vous dire que dans toutes les discussions que j’ai entendues en mes 44 années d’existence en tant que Canadien, sur les bancs d’école et à l’université ou même dans les cafés du coin, je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu parler de la nature de notre pays. Je dois dire que le débat actuel est sain et qu’il constitue un pas dans la bonne voie, mais il est absolument absurde de chercher à y mettre fin au moment où les gens parlent enfin en connaissance de cause et cherchent à déterminer la nature de leur pays.
Comment apprend-on, monsieur l’Orateur? Nous n.’apprenons pas seulement en lisant des articles ou en écoutant des discours. Les conversations, les amis, les groupes et les organismes constituent pour nous une source abondante de renseignements et nous permettent de mettre à l’épreuve nos valeurs et de revoir nos convictions et notre histoire. Le processus est bien long. Prenons par exemple les groupements féminins au Canada. Dans beaucoup de cas, ils ne font que commencer à se pencher sur ces questions. En effet, il leur faut beaucoup de temps pour voir si ces mesures protégeront bel et bien leurs droits, comme on le prétend. Quand viendra le moment de rédiger une charte sur laquelle nous nous serons tous entendus, je réclamerai le rapatriement de la constitution avec une formule d’amendement. Je voterai en faveur de cette initiative et, plus tard, après avoir pris le temps nécessaire pour obtenir un consensus, après avoir consulté toutes les parties intéressées, et, enfin, après avoir fait reconnaître notre diversité, alors je souscrirai moi aussi à la charte des droits, à l’instar de tous les députés.
Un procédé mauvais fausse au départ notre constitution et, comme nous l’avons vu, engendre de la mauvaise volonté et de la méfiance. Comme le disait mon collègue le député de Rosedale (M. Crombie), chaque fois que le gouvernement décide que la fin justifie les moyens, il lèse les citoyens ordinaires qui finissent par être déçus et désenchantés de leur pays.
Si le député qui hoche la tête passait plus de temps dans les diverses régions du pays, il serait conscient de cette méfiance. Il peut bien dire qu’on ne peut que l’envenimer en parlant, mais il n’en est rien. Comme je suis originaire de l’Ouest tout autant que du centre du Canada, j’ai grandi avec la conscience aiguë et permanente de ce qu’il en coûte d’être originaire de l’Ouest au lieu d’une autre région du Canada. Il a peut-être fallu 54 ans pour discuter de cette question de temps en temps, mais tâchons par tous les moyens de poursuivre la discussion de façon organisée et systématique, sans précipitation indue. Jusqu’ici, nos 22 millions de concitoyens ont eu très peu d’occasions de participer à la discussion et d’exprimer leurs préoccupations.
Cette façon de procéder engendre l’hostilité. On prétend que nous nous soucions trop de la façon de procéder. Si nous nous en soucions tant, c’est qu’elle modifie de façon fondamentale le pays et les valeurs sur lesquelles nous voulons fonder notre sens de la justice et nos droits. Comme le dit un dicton, non seulement faut-il que justice soit faite mais encore qu’on le sache. Pour ce qui est du processus qui se déroule maintenant dans tout le pays, qu’il soit question des femmes, des conseils du bien-être social ou d’autres groupes qui ont comparu devant le comité, la population n’a pas encore réalisé la valeur du travail que nous faisons ici.
Au début de mon discours, j’ai parlé du Canada dont rêvait Vincent Massey qui croyait que nous pouvions édifier un Canada uni en insistant d’abord et avant tout sur ce que nous avons en commun. Il croyait que par un travail sérieux, l’esprit de corps et la conscience de nous-mêmes, nous pouvions espérer des résultats dépassant notre imagination. Je dirais que pour le moment nous manquons d’esprit de corps au Canada. Nous développons l’esprit de corps lorsque nous communiquons, que nous partageons nos croyances, nos convictions, notre histoire, notre passé et nos espoirs pour l’avenir. L’esprit de corps ne se développe pas lorsque le capitaine de l’équipe dit: «Tu cours ici et tu vas là et tu fais ce qu’on te dit. Je me fiche de ce que tu penses.»
J’ai fait allusion tout à l’heure à l’échec d’un mariage. On peut sauver un mariage quand chacun à la sagesse d’écouter, de mettre de l’eau dans son vin et de commencer à tenir compte des aspirations de l’autre. Il y a beaucoup de patriotisme partout au pays, nous sommes riches en bonne volonté.
Or, les droits que nous voulons conserver ne le seront pas. Ceux que nous nous efforçons de servir s’adressent à nous de plus en plus souvent, et c’est pourquoi j’appuie l’amendement tendant à rapatrier la charte, comme le souhaitent tous les partis à la Chambre.
Nous devrions nous entendre sur une formule d’amendement et étudier la question pendant une période de temps déterminée au lieu d’exclure la possibilité d’arriver à un consensus sur l’ensemble de mesures appropriées. Merci, monsieur l’Orateur, et je remercie aussi la Chambre de m’avoir permis de me faire entendre.
M. David Berger (Laurier): Monsieur l’Orateur, le 8 février dernier, le New York Times a publié une étude sur la conjoncture économique internationale. Je l’ai lu comme j’en ai l’habitude pour voir s’il contenait un article sur le Canada et effectivement à la dernière page, à la place qui lui revenait, se trouvait un article intitulé: «Le Canada, des perspectives médiocres et une unité fragile». L’article paru à Calgary commençait ainsi:
(1430)
Au début d’une soirée de courses d’automobiles il n’y a pas si longtemps de cela, le commentateur a demandé aux spectateurs de se lever pour écouter un enregistrement de l’hymne national «O Canada».
A peine l’hymne venait-il d’être joué pendant cinq secondes que l’on entendit alors un grattement déchirant indiquant qu’on venait de soulever l’aiguille du phonographe. «Vous connaissez tous le reste» déclara l’annonceur se dispensant ainsi de la formalité nationale. «Que la course commence» dit-il ensuite. Nous pouvons établir un contraste entre cet incident et la nuit du référendum dans une circonscription de l’est de Mont-
7527
réal dans laquelle j’ai travaillé. C’est une circonscription détenue par un député du Parti Québécois à l’Assemblée nationale. Nous sommes parvenus à l’emporter par 1000 voix soit 52 p. 100 contre 48 p. 100. Un certain nombre de discours furent prononcés et l’on me demanda alors d’ajouter quelques mots. J’eus le sentiment qu’on en avait suffisamment dit et je répondis alors que «je voulais seulement entendre une chose. Je voulais entendre notre hymne national». Vous pouvez vous imaginer une pièce de comité où il faisait chaud et où se trouvaient entassées 200 personnes. Elles ont alors entonné le «O Canada» le plus retentissant et plus empreint de conviction qu’il m’ait été donné d’entendre.
Le référendum nous a fait découvrir deux choses: notre drapeau et notre hymne national. Le contraste entre le soir du référendum et cet incident à la piste de course de Calgary démontre clairement la nécessité de refondre notre constitution sans plus tarder. C’est évident que nous sommes dans une impasse. Le désaccord au sujet de la formule d’amendement en est le signe le plus frappant. Les députés de l’opposition officielle refusent le droit de véto à l’Ontario et au Québec, faisant fi du fait que leurs populations représentent encore plus de 60 p. 100 de tous les Canadiens et que le Québec a des raisons vitales de vouloir garder ce droit. Ils ne veulent pas admettre non plus que la formule était approuvée par toutes les provinces en 1971.
Les députés de l’opposition officielle s’opposent également au référendum. Inmanquablement, ils préfèrent ne pas reconnaître qu’un référendum exigerait une double majorité, d’abord partout au Canada, ensuite dans toutes les régions du pays. Ils préfèrent évoquer les pires circonstances imaginables- comme l’expropriation des ressources et le changement des frontières provinciales-même s’ils savent de toute façon qu’on n’arriverait pas ainsi à obtenir la majorité nécessaire. Ils font semblant de ne pas savoir que des référendums ont donné des résultats très conservateurs dans bon nombre d’États fédéraux qui s’en servent, y compris l’Australie. Dans ce pays, 16 référendums constitutionnels ont été tenus depuis 1900, dont certains portaient sur plusieurs sujets. Des 36 propositions soumises à la population, seulement huit réussirent à remporter la majorité requise.
L’opposition officielle aime à prétendre que le gouvernement fédéral pourrait faire basculer un référendum en sa faveur par une campagne publicitaire intensive. C’est, à mon avis, faire preuve d’un manque de confiance dans le gros bon sens des Canadiens. L’opposition choisit d’oublier qu’en dépit d’une campagne publicitaire intensive, menée par tous les moyens possibles et imaginables sur une période de trois ans et demi, et une question conçue pour attirer un maximum d’approbation, le Parti Québécois a perdu le référendum historique de mai dernier.
Ce à quoi les députés d’en face se sont opposés le plus énergiquement c’est sans doute le caractère unilatéral de notre initiative. C’est sur ce plan que nos divergences de vues sont le plus fondamentales. L’opposition officielle refuse d’admettre que le gouvernement national a peut-être des responsabilités auxquelles il ne saurait déroger.
Nous en avons eu une excellent illustration, je crois, dans l’échange au comité, le 8 janvier, entre le député de Wellington- Dufferin-Simcoe (M. Beatty) et le Pr Maxwell Cohen qui y comparaissait comme témoin-expert. Cet échange a permis d’apprendre qu’en cas de renvoi devant les tribunaux, le gouvernement fédéral peut s’adresser directement à la Cour suprême alors que les gouvernements provinciaux doivent porter la cause devant les cours d’appel. Le député a été outré dans sa conception d’une symétrie et d’un équilibre nécessaires entre les deux paliers de gouvernement. M. Cohen lui a répondu-je cite:
Il est dommage à mon avis de ne rien voir de positif dans le Parlement et les partis fédéraux. Après tout, ils font partie de l’édifice national. Il a posé ensuite une série de questions au député-je cite encore:
Cela ne vous dérange pas que l’on abuse de la théorie de l’égalité entre les deux paliers de gouvernement? Car après tout, sont-ils vraiment égaux? Que faitesvous des provinces? Il est vrai qu’elles ont certaines prérogatives et des droits exclusifs sur un territoire donné, mais parlons-nous véritablement d’égalité du point de vue idéologique, politique et historique? Ne préférez-vous pas voir primer un sentiment d’identité nationale et voir la population s’inquiéter pour le pays dans son ensemble?
Nous libéraux croyons qu’il existe un sentiment d’identité nationale et que la population s’intéresse à son pays. Notre position est d’ailleurs partagée par les néo-démocrates au niveau fédéral; ce qui n’est pas le cas des députés de l’opposition officielle par contre. Les libéraux estiment avoir des responsabilités à assumer maintenant pour le bien du pays dans son ensemble.
[Français]
Comment en sommes-nous arrivés à cette conclusion, monsieur le président? Des députés de l’opposition officielle ainsi que certains journalistes voudraient nous faire croire que nos actions sont dictées par ce qu’ils croient être l’obsession personnelle de notre chef. C’est non seulement insulter notre chef, mais aussi insulter mon intelligence et celle de tous les membres de notre parti.
J’aimerais dire à nos critiques que les membres de ce parti partagent une vision du Canada qui correspond à celle de la vaste majorité des Canadiens. Chacun de nous a ses propres raisons pour arriver à cette conclusion, et pour partager cette vision particulière du Canada. Tous et chacun d’entre nous ont suivi leur propre cheminement.
J’aimerais partager aujourd’hui certaines raisons de ma prise de position. D’abord, j’ai grandi ici dans la ville d’Ottawa, et bien qu’ayant vécu dans un milieu anglophone, je suis du nombre des Canadiens qui ne sont ni d’origine française, ni d’origine anglaise. Lorsque j’ai étudié l’histoire canadienne, je n’avais pas alors de parti pris ni d’opinion préconçue, mais j’ai toujours sympathisé avec les opprimés. Je me rappelle alors une certaine tristesse lorsque j’ai lu la défaite de Montcalm sur les Plaines d’Abraham. Au cours des i1 dernières années, j’ai eu le privilège de vivre au Québec. Je veux croire que je comprends les aspirations des Canadiens français. Combien de fois assis autour d’une table, lors d’un dîner, j’ai entendu raconter les péripéties des Canadiens français qui tentaient de se lancer en affaires il y a 30 ans!
Imaginons, monsieur le président, les difficultés, les hésitations et les doutes de tout jeune homme se lançant en affaires! Mais de plus, les hommes d’affaires francophones devaient exprimer leurs désirs et leurs rêves à des directeurs de banque qui ne parlaient pas un mot de français. Cela explique l’attrait du slogan péquiste «d’égal à égal» durant la campagne référendaire, même pour ceux qui ont voté non. Tout en renouvelant leur croyance dans le Canada, dans leur Canada, les gens qui ont voté non ont exprimé un sentiment qui est à la base de la
7528
dignité humaine, le désir d’être traités en égaux, le vouloir de mener une vie productive dans laquelle leurs chances de succès ne sont pas moindres que celles d’autres Canadiens.
Le temps est venu de remplir nos promesses. Depuis 1963, lorsque Lester Pearson exigea un rapport sur le bilinguisme, le débat constitutionnel a pris de l’ampleur. Ceux qui sont nés en 1963 ont maintenant 18 ans. Plusieurs vont à l’université ou entrent sur le marché du travail. Une génération entière derrière nous et encore aujourd’hui des Canadiens se battent pour leurs droits fondamentaux.
[Traduction]
Le député de l’autre côté qui est intervenu avant moi estime qu’il faut du temps pour s’entendre sur ce que sont nos droits. Je lui renvoie la balle et lui demande combien de temps il faut attendre quand des Canadiens sont privés des droits qui garantissent le principe même de leur dignité humaine? Nous pouvons différer d’avis quant à la méthode, mais je pense que nous pouvons nous entendre sur la charte. Je suis sûr que la grande majorité des Canadiens appuient les droits prévus dans la charte. Je considère cette dernière comme une grande déclaration qui témoigne des valeurs que nous partageons, et je crois qu’elle peut devenir un important facteur d’unité.
(1440)
Le président de la Fondation canadienne des droits de la personne, M. John Humphrey, m’a donné la définition suivante d’une déclaration des droits:
Un bill des droits est, ou devrait être, la formulation juridique concrète du consensus national quant au minimum des droits que possèdent chaque homme et chaque femme en tant qu’être humain, c’est-à-dire parce qu’ils sont des êtres humains et pour aucune autre raison. C’est pour cette raison qu’on les appelle droits de la «personne». Et comme ils sont essentiels à la dignité humaine, ils devraient être les mêmes pour tous les Canadiens, quelle que soit la région du pays où ils habitent.
Il est certain que les droits qui nous permettent de vivre avec dignité sont l’essence même de notre existence comme peuple. C’est certainement ce que les groupes qui ont comparu devant le comité de la constitution voulaient dire quand ils ont fait valoir que les mêmes libertés et les mêmes droits fondamentaux devraient s’appliquer uniformément à tous les Canadiens, que ce soit en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve. Il me semble que c’est à cela que nous travaillons depuis plusieurs mois. Nous sommes en train de définir les droits minimums que nous estimons nécessaires d’un bout à l’autre du pays pour assurer sa survie. Nous avons entendu les instances de groupes et de personnes qui représentaient des millions de Canadiens. Nous avons étudié les représentations des provinces avec l’optique de parlementaires qui représentent tous les coins du pays. C’est un travail qui ne peut se faire dans la perspective d’une capitale provinciale et encore moins dans celle de Westminster.
J’aimerais dire quelques mots des droits que nous avons intégrés à la charte. On qualifie certains droits de «fondamentaux » comme pour laisser entendre que les autres le sont moins. Je refuse pareille distinction. Je crois que tous les droits prévus dans la charte sont des droits fondamentaux d’égale valeur sans lesquels il ne pourrait y avoir de dignité humaine, pour reprendre les termes de M. Humphrey.
Cela dit, il est probable que bien des Canadiens ne pourraient que difficilement concevoir un Canada qui ne permettrait pas la jouissance des droits élémentaires prévus dans l’article 2 de la charte, les droits dits fondamentaux. Ceux qui, comme moi, sont nés après la Seconde Guerre mondiale ont joui d’une plus grande liberté que toute autre génération auparavant. Nous risquons parfois de prendre pour acquis la liberté de pensée, de religion, d’expression, d’assemblée et d’association. On a cependant rappelé au comité qu’il était arrivé à diverses occasions au cours de l’histoire du Canada que l’on porte atteinte à ces droits. Pour éviter que de tels abus de pouvoir se reproduisent et pour nous rappeler l’importance de ces libertés, nous devrions les constitutionnaliser aujourd’hui. D’autres droits de la charte, bien qu’ils soient tout aussi fondamentaux, sont plus difficiles à garantir en pratique.
[Français]
Depuis que je siège au Parlement, monsieur le président, j’ai pu me rendre compte de la nécessité pour tout Canadien d’avoir une charte des droits enchâssée dans la Constitution. Comme tout autre député, j’ai eu l’occasion, au moyen de rencontres avec mes commettants, d’être mis en face de problèmes de personnes dont les droits n’ont pas été respectés, ou qui ne pouvaient pas se trouver un emploi parce qu’elles étaient considérées trop âgées, ou parce qu’elles étaient handicapées, ou simplement parce qu’elles étaient des femmes.
Comme le disait, devant le comité consitutionnel, M. Gordon Fairweather, président de la Commission canadienne des droits de la personne, la charte des droits et libertés vise à protéger les faibles contre les forts, et ceux qui n’ont pas de pouvoir contre ceux qui les détiennent. Et pour citer encore M. Fairweather, son expérience depuis trois ans, parce que cette commission est fondée seulement depuis trois ans, lui démontre que de nombreux Canadiens sont dépourvus de la moindre parcelle de pouvoir.
Monsieur le président, la dignité humaine pour les personnes de ma circonscription de Laurier, c’est le droit de ne pas se faire dire à l’âge de 40 ou de 50 ans: Vous êtes trop âgés pour travailler. La dignité humaine, pour un travailleur du textile, c’est le droit de ne pas se faire payer moins que le salaire minimum, simplement parce que cette personne est une femme. La dignité humaine, pour une personne handicapée, c’est le droit de travailler et de vivre une vie productive. Et, monsieur le président, comme je le défendais déjà dans mon discours inaugural en octobre 1979, la dignité humaine c’est le droit pour tous les Canadiens de travailler partout au Canada. Au cours de tournées de porte à porte dans ma circonscription, j’ai rencontré bon nombre de travailleurs dans le domaine de la construction qui avaient l’habitude de travailler en Ontario lorsque l’industrie ralentissait au Québec. Cette libre circulation de la main-d’oeuvre m’apparaît vitale, et je déplore le fait qu’elle ait été interrompue par la guerre de la construction entre le Québec et l’Ontario. Quand je dis que cela m’apparaît vital, cela apparaît beaucoup plus vital à ces gens-là qui sont privés de moyen de se faire vivre à cause de barrières économiques qui ont été établies au cours des dernières années.
[Traduction]
La constitutionnalisation d’une charte des droits permettra aux tribunaux de protéger beaucoup plus efficacement les droits de la personne. N’importe quel étudiant en droit constitutionnel vous dira que les tribunaux ont toujours considéré la Déclaration canadienne des droits pour ce qu’elle est-une loi ordinaire-et l’ont interprétée de façon à ne pas invalider toute autre mesure contradictoire.
7529
C’est à la suite d’une interprétation du genre qu’une citoyenne canadienne, Sandra Lovelace, a été obligée de chercher appui à l’extérieur du Canada en recourant à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Il est scandaleux qu’elle n’ait pas réussi à trouver justice et égalité au Canada. Imaginez, monsieur l’Orateur, quelle sera la réputation du Canada si la Commission des Nations Unies déclare qu’une disposition de la loi sur les Indiens est injuste à l’égard des femmes indiennes.
Cependant, on pourrait reprocher à la nouvelle charte de désigner les tribunaux, non pas le Parlement, en tant qu’arbitre des conflits relatifs aux droits de la personne. La tradition britannique veut que ce rôle soit dévolu au Parlement. Pourtant, tous les députés savent qu’en pratique, ce sont les tribunaux qui sont mieux en mesure de rendre justice à une personne lésée. Le Parlement a peu de temps à consacrer aux problèmes personnels d’un simple citoyen ou d’une citoyenne. Il est vrai que tout simple député peut, à des moments désignés, soulever à la Chambre une question qui pourrait déboucher sur une enquête voire même sur une nouvelle loi. Mais il n’est pas certain qu’une personne lésée puisse arriver à ce qu’un ministre s’intéresse à son problème. Une personne seule a très peu de pouvoir et elle n’en a pratiquement pas si elle appartient à un groupe minoritaire. Elle aura beaucoup plus de chance de réussir en s’adressant aux tribunaux et si sa cause est bien fondée, elle obtiendra justice non seulement pour elle-même mais pour tous ceux qui sont dans une situation semblable.
Mais la constitutionnalisation d’une charte des droits ne veut pas dire que le gouvernement doit s’abstenir d’intervenir. Le docteur Noel Kinsella, président de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, l’a rappelé au comité. En bref, M. Kinsella a dit que les tribunaux ne représentent qu’un mécanisme de protection des droits de la personne et qu’il en existe bien d’autres. Les deux principaux sont les assemblées législatives et le Parlement national, mais aussi le peuple lui-même, par la voie de l’opinion publique et des organismes privés. Il a déclaré que les Canadiens, en ce qui concerne la protection des droits de la personne, ne doivent pas penser qu’une déclaration des droits dans la constitution offre une garantie absolue simplement parce que les relations raciales se sont sensiblement améliorées au Royaume-Uni depuis l’adoption de la loi sur les relations raciales, qu’elles se sont améliorées également aux États-Unis après l’adoption de la loi sur les droits civils, ou en Europe grâce à la convention européenne.
Les tribunaux, la population, les journaux, le Parlement et les assemblées législatives en fait pour les citoyens, doivent jouer un rôle si nous voulons continuer à protéger les droits de la personne dans la société canadienne contemporaine et répondre aux besoins du Canada d’aujourd’hui. Tel est le message que nous avons entendu au comité et voilà pourquoi je recommande instamment à la Chambre d’adopter le projet de résolution.
(1450)
Des voix: Bravo!
M. Lloyd R. Crouse (South Shore): Monsieur l’Orateur, je suis heureux de pouvoir prendre la parole au sujet de la résolution gouvernementale concernant la constitution du Canada. Je tenais à le faire parce je considère que c’est mon devoir d’exposer le point de vue des plus de 68,000 habitants de ma circonscription qui m’ont élu pour les représenter à la Chambre dix fois dans l’espace de 24 ans.
Une voix: Vous ne serez pas toujours là.
M. Crouse: On ne sait jamais. Je suis très tenace. Depuis la présentation du projet le 15 octobre 1980, j’ai reçu des centaines de lettres de mes électeurs qui me faisaient part de leurs craintes et de leurs préoccupations pour l’avenir du Canada. Je pense comme eux que notre constitution devrait favoriser l’unité et faire en même temps la joie et l’orgueil de tous les Canadiens. Malheureusement, ce n’est pas le cas à l’heure actuelle et bon nombre de Canadiens se rendent maintenant comptç que certaines des propositons mal avisées du gouvernement actuel risquent d’entraîner une réaction qui pourrait causer des torts irréparables à la Confédération. Si le Canada est assez solide pour résister aux coups qui ont déjà été portés contre l’unité nationale, nous risquons quand même de nous retrouver avec des dispositions constitutionnelles qui, si elles ne sont pas modifiées, entraîneront un sentiment permanent d’isolement et de mécontentement dans les régions. Nous sommes tous au courant, monsieur l’Orateur, des efforts fournis au cours des années pour parvenir à une entente sur la réforme constitutionnelle. Nous sommes parvenus au moins deux fois à une telle entente, mais le moment venu de la ratifier, il y a toujours eu quelqu’un qui n’a pas eu l’énergie, l’initiative ou la volonté politique nécessaires pour prendre un engagement définitif.
Cette longue suite d’efforts et d’échecs a culminé à la dernière réunion des premiers ministres provinciaux. Je suis cependant loin d’être certain que cette réunion avait la moindre chance d’être couronnée de succès vu les délais et les objectifs peu réalistes imposés par le très honorable premier ministre (M. Trudeau). Au cours des délibérations du comité avant la conférence et pendant la conférence elle-même, les participants ont essayé de s’entendre sur une série de réformes beaucoup trop vastes et portant sur un trop grand nombre de questions controversées. Selon moi, si le comité et les premiers ministres provinciaux s’étaient efforcés surtout de s’entendre sur une formule d’amendement et sur le rapatriement de la constitution, ils auraient pu y parvenir et, à ce moment-là, on aurait pu rapatrier immédiatement la constitution et régler les autres questions litigieuses dans un esprit de collaboration et de bonne volonté.
A mon avis, le délai imposé au comité et pour la conférence manquait de réalisme. Les négociations de ce genre sont nécessairement lentes et laborieuses et exigent beaucoup de patience, de temps et de persévérance; elles ne peuvent pas s’expédier à la hâte. Si vous plantez un gland aujourd’hui, vous ne pouvez pas espérer vous asseoir à l’ombre d’un chêne demain. Apparemment, c’est une chose que le premier ministre a du mal a comprendre. En insistant pour fixer ce délai irréaliste, il réduit pratiquement à néant les chances de succès. Son rejet pratiquement total du point de vue et des préoccupations des dix premiers ministres provinciaux est également une autre cause d’échec. En présentant sa vision de la nation canadienne, il a soutenu que le Canada était davantage qu’un ensemble de provinces. D’après lui, au lieu d’être le partenaire des gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral est une puissance supérieure, différente des autres, représentant
7530
les intérêts nationaux qui l’emportent sur ceux des 10 provinces réunies.
Tout en attachant beaucoup d’importance à sa «série pour le peuple», qui comprend la charte des droits, le premier ministre n’a pas su répondre aux demandes tout aussi importantes des premiers ministres provinciaux, en ce qui concerne non seulement les intérêts de leur région, mais aussi le bien-être de l’ensemble des Canadiens. Je ne peux pas accepter l’attitude du premier ministre.
Monsieur l’Orateur, les gouvernements provinciaux exercent au nom de la population des provinces les pouvoirs que leur confère la constitution actuelle. Pratiquement toutes les régions du pays font les frais de conflits de compétence non résolus portant sur la gestion des ressources naturelles, notamment sur les ressources sous-marines et les droits de propriété sur ces dernières. Quand le premier ministre de ma province dit qu’à son avis on ne doit pas empêcher les citoyens de Nouvelle-Écosse de mettre la main sur leurs ressources, il ne fait qu’adopter l’attitude que les citoyens attendent de lui comme la constitution les y autorise. Voilà ce qu’il doit faire. S’il ne prenait pas position en ce sens, il manquerait à ses devoirs, il négligerait la mission confiée par ses électeurs. Premiers Canadiens à avoir leur propre drapeau, les habitants de la Nouvelle-Ecosse maintiennent leurs traditions.
Nous sommes un peuple fier, fier de notre patrimoine et fier des origines diverses de nos ancêtres européens: il en est venu entre autres d’Écosse, d’Irlande, d’Angleterre, de France, d’Allemagne, de Norvège, de Suisse et de Suède. Certains de mes ancêtres sont venus de Rhénanie-Palatinat et d’autres de Hanovre en 1753, avant la création de l’Allemagne. Ils sont venus pour toutes sortes de raisons: pour fuir la persécution religieuse, pour s’établir sur une terre à eux où ils pourraient faire souche et mener une vie nouvelle à l’abri des persécutions et des tracasseries.
En Nouvelle-Écosse, nous estimons avoir toujours les droits que nous possédions avant la Confédération. D’ailleurs, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique dit que les droits possédés par les provinces avant la Confédération, en particulier les droits miniers, doivent leur rester après. Cela figure à l’article 109 de cet acte.
Le premier titre de propriété a été la commission donnée en 1605 à De Monts, ce valeureux et audacieux explorateur français. Est venue s’y ajouter ensuite la charte royale octroyée en 1621 à sir William Alexander. Puis il y a eu les traités d’Utrecht en 1713 et de Paris en 1763. Nos droits se sont accrus avec les commissions de Cornwallis et des autres gouverneurs, puis avec la création de l’Assemblée législative en 1758, et avec les lois adoptées par le gouvernement de la Nouvelle-Ecosse entre 1758 et 1867.
Il en découle que nos titres sur la province et sur les droits miniers sont séculaires, et je vous dis, monsieur l’Orateur, que nous ne sommes pas près d’y renoncer parce qu’une décision unilatérale a été prise pour satisfaire l’ambition d’un homme. Les droits sur le sous-sol sous-marin sont en ce moment menacés par le gouvernement, et si je cite cet exemple, c’est pour faire voir que la solution à nos problèmes ne passe pas nécessairement par des modifications constitutionnelles. Ce qu’il faut, c’est la reconnaissance de ce que, dans notre pays, les intérêts nationaux et régionaux sont souvent inséparables. Il faut donc que les gouvernements provinciaux soient traités en partenaires égaux de l’État fédéral dans l’établissement des politiques par lesquelles ces problèmes doivent trouver leur solution. Mais quand les gouvernements provinciaux ont proclamé que la constitution ne saurait être modifiée sans garantie de leurs droits sur les ressources naturelles, sans confirmation constitutionnelle de la primauté des politiques économiques provinciales, le premier ministre a répondu qu’il n’allait pas troquer du poisson contre la liberté et du pétrole contre les droits fondamentaux. Faut-il s’étonner que, dans ces conditions, la Conférence des premiers ministres ait abouti à un échec?
(1500)
A mon avis, ce qu’il y aurait eu de mieux à faire à ce moment-là aurait été de mettre de côté temporairement toutes les questions autres que le rapatriement et la formule d’amendement sur laquelle nous aurions pu sans doute nous entendre tout de même. Toutefois, cette façon de procéder ne convenait pas au très honorable premier ministre, qui a préféré rapatrier et modifier unilatéralement la constitution, même si la plupart des premiers ministres provinciaux l’ont prévenu que pareille initiative aurait des conséquences terribles pour la Confédération. Le rapatriement en soi n’est pas contesté par les Canadiens. Nous reconnaissons pratiquement tous que notre constitution devrait être adoptée et sanctionnée par notre Parlement. Je suis d’accord là-dessus. On affirme également à juste titre que le rapatriement de notre constitution ne préoccupe généralement pas le public, même après que le gouvernement libéral a eu consacré des millions à une publicité télévisée destinée à faire croire aux Canadiens que la vie serait plus difficile si l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’était pas rapatrié.
M. Ouellet: Ce n’est pas vrai. Nous n’avons pas dépensé des millions de dollars à cette fin. C’est tout à fait faux.
M. Crouse: Le député prétend que c’est tout à fait faux. Il fait partie du cabinet et il pourrait donc nous donner des chiffres précis. Il pourra nous les donner s’il prend la parole. J’ai peut-être donné de cette somme une idée inférieure à la réalité et, le cas échéant, le ministre pourra rectifier les faits. Je disais donc que le gouvernement ne s’intéresse pas autant à ces questions que nous l’aurions voulu. Je vous le dis, monsieur l’Orateur, ainsi qu’au gouvernement, car d’après le dernier sondage Gallup, les Canadiens accordent la priorité à d’autres questions. Le rapatriement ne semble pas avoir une très haute priorité à leurs yeux. Nos concitoyens semblent croire que l’inflation, le chômage, l’énergie, la balance des paiements et les déficits budgétaires sont des questions vraiment graves qu’il faut régler de toute urgence. Je dis au gouvernement, par votre entremise, monsieur l’Orateur, qu’il est grand temps qu’il prenne les mesures qui s’imposent pour régler nos difficultés économiques pressantes.
Malheureusement, le très honorable premier ministre semble se désintéresser de ces problèmes. A mon avis, à l’heure actuelle, il est parti en mission, en croisade, pour changer sinon le monde, du moins le Canada, pour contribuer à faire connaître ses préférences idéologiques et doctrinales, sans jamais s’arrêter aux désirs des Canadiens. Cet homme est arrivé au dernier tournant de sa carrière politique. Que cela prenne un an ou d’autres élections ne fait aucune différence. Il vise un objectif qu’il considère comme étant le meilleur pour le
7531
Canada et, avec l’idée fixe du vrai croyant, il est décidé à l’atteindre coûte que coûte. Qu’on l’appelle comme on veut, qu’on le dissimule sous un autre prétexte, l’objectif qu’il vise aujourd’hui pour le Canada m’a tout l’air d’une dictature socialiste. Si vous n’aimez pas ce terme, vous pouvez toujours parler de régime paternaliste centralisé, où le libre choix est restreint et le contrôle étatique excessif. Il propose de remplacer l’individualisme par la volonté collective, toujours au nom du bien commun des Canadiens moyens. Je tiens à dire à la Chambre que ce sont les libertés individuelles de l’homme de la rue qui en feront les frais.
Comme le très honorable premier ministre le signale dans tous ses écrits, ses antécédents et ses penchants ne vont pas en faveur d’une démocratie constitutionnelle ou modelée sur le Parlement britannique. Il sait mieux que le Canadien moyen que s’il réussit à constitutionnaliser les droits humains et linguistiques comme il le propose, la démocratie parlementaire au Canada tombera dans l’oubli, tout comme la monarchie. Inévitablement, le Canada deviendra une république dirigée par un président mais contrôlée par le premier ministre. Ne vous y trompez pas, la proposition constitutionnelle à l’étude émane totalement du premier ministre, et de personne d’autres, et il essaye de l’imposer par tous les moyens à sa disposition.
Quelle est notre impression de ce côté-ci de la Chambre?. Nous voyons un groupe de libéraux amorphes qui suivent aveuglément le joueur de flûte qui les mènent à leur perte, en bas de la falaise. Il arrivera à l’occasion que l’un d’entre eux fasse surface comme Moby Dick et souffle son jet d’écume dans l’air, puis disparaisse à tout jamais dans les flots, pour ne réapparaître un beau jour à sa place que pour voter selon le bon vouloir de son maître.
Cette façon d’agir et cette résolution auront pour résultat, en somme, de permettre au gouvernement fédéral de s’immiscer de plus en plus dans notre vie privée. Certains prétendront que je suis trop sévère à l’endroit du premier ministre, mais je ne fais qu’énoncer des vérités que renferment ses propres déclarations officielles. En fait, quand MM. Trudeau et Pelletier se sont joints au parti libéral en 1965 après avoir faussé compagnie au NPD, ils ont fait une déclaration préparée à l’avance dont voici un passage:
Les soussignés poursuivent toujours le même but et souscrivent toujours aux mêmes théories politiques qu’ils ont pendant de nombreuses années défendues dans «Cité libre». Nous ne renions aucune de nos convictions. Nous avons seulement résolu de poursuivre ailleurs et par d’autres moyens le combat intellectuel et social auquel nous nous sommes toujours livrés.
A l’époque où il était ministre de la Justice, on lui a jeté à la face certains de ces écrits, et il a répliqué qu’il n’en répudiait aucun. Trois ans plus tard-l’avantage de siéger longtemps à la Chambre est qu’on se souvient de toutes ces choses–en défendant une décision politique qu’il avait prise, il a dit: «J’ai agi en fonction de ce que j’ai appris depuis l’âge de trois ans.» Cela m’amène à me demander quels sont les courants, quelles sont les idées qui ont modelé la pensée du très honorable représentant. Il a déclaré avoir puisé son inspiration essentiellement à trois sources. Voici ce qu’il a dit à ce propos en 1971:
Dans ma jeunesse, ce sont les existentialistes chrétiens comme Emmanuel Mounier qui m’ont le plus marqué. Voici ce que Mounier a écrit en substance dans le dernier éditorial qu’il a publié avant sa mort dans la revue Esprit: dIl faut permettre au prolétariat de continuer l’ouvre positive du parti communiste tout en cherchant à éliminer les poisons qui s’y trouvent. C’est là une de nos principales tâches de demain.-
En 1966, M. Trudeau, a dit qu’il avait trouvé dans le Pr Harold Laski de la London School of Economics le maître le plus stimulant et le plus puissant. L’ouvrage de Laski le plus important intitulé «A Grammar of Politics», que le premier ministre a étudié, établit les grands principes suivants:
La nécessité d’une structure fédérale de l’État; l’incompatibilité entre un État souverain et cet ordre économique mondial qui a tant de mal à se mettre en place (communisme); la contradiction entre le droit à la propriété individuelle des principaux moyens de production et la réalisation de l’idéal démocratique; la théorie selon laquelle la liberté est un concept vide de sens si ce n’est dans une société égalitaire; en un mot, démocratie et socialisme sont indissociables. En 1976, le premier ministre Trudeau a déclaré-je cite:
Parlant d’économie politique, vous savez que Schumpeter et Leontief ont été mes professeurs, chacun pendant deux ans. Ainsi, quand on me demande qui est mon maître à penser du point de vue économique, je réponds que c’est Leontief-Schumpeter.
J’ai découvert que Schumpeter avait été le professeur du premier ministre à Harvard. Dans son principal ouvrage, intitulé Capitalism, Socialism and Democracy, Schumpeter dit ceci-je cite:
J’ai tâché de montrer qu’un État socialiste naîtra inévitablement de la décomposition tout aussi inévitable de la société capitaliste.
On peut donc dire que les idées du premier ministre, inspirées des écrits de Schumpeter, Laski et Mounier, n’ont pratiquement pas changé depuis 30 ans. Examinons maintenant quelques écrits du premier ministre et comparons-les avec quelques-unes de ses déclarations et de ses décisions les plus récentes pour voir leurs retombées présentes et futures sur les Canadiens. En 1961, M. Trudeau déclarait par exemple-je cite:
J’aimerais que les socialistes recourent plus librement aux analyses politiques et aux outils constitutionnels qu’ils jugent utiles pour résoudre un problème au moment où il se pose.
N’est-ce pas exactement ce que le premier ministre fait actuellement, à savoir utiliser les outils qui lui conviennent et qui conviennent également au problème qui nous concerne? Que disait M. Trudeau, en 1961, avant de devenir premier ministre?
M. l’Orateur adjoint: Le député de Gatineau (M. Cousineau) a la parole pour un rappel au Règlement.
[Français]
M. Cousineau: Monsieur le président, la semaine dernière j’ai signalé à la Chambre que l’honorable député péchait contre le commentaire 319 de la cinquième édition de l’ouvrage de Beauchesne. Je m’aperçois que ce n’est pas par accident. Je pense que c’est de propos délibéré et que c’est une petite façon bien orchestrée de mentionner le nom de notre premier ministre.
Monsieur le président, je pense qu’il fait fi des coutumes de la Chambre.
7532
[Traduction]
M. l’Orateur adjoint: Le député nous a rappelé que le Règlement de la Chambre veut que nous désignions les députés par leur circonscription, les membres du cabinet par leur ministère et le premier ministre par son titre, et non pas par leurs propres noms.
M. Crouse: Monsieur l’Orateur, ce n’est pas la première fois que le député mentionne cet usage. Je lui signale que s’il veut faire un discours, il devrait demander la parole et s’exécuter.
M. Blais: Le rappel au Règlement était tout à fait légitime et l’Orateur a réglé la question.
M. Crouse: Les propos que je citais ont été tenus par M. Trudeau en 1961. A l’époque, il n’était pas premier ministre, ni même député.
M. l’Orateur adjoint: J’invite le député à respecter la coutume de la Chambre quant à la façon de désigner des personnes qui sont actuellement députés ou membres du cabinet.
M. Crouse: Je respecterai la coutume, monsieur l’Orateur, comme vous me l’avez recommandé.
Une voix: Ne vous en vantez pas.
M. Crouse: Le député aime interrompre les autres. Il ne semble pas savoir sur quoi porte le débat. Je ne me rappelle pas l’avoir entendu dire quoi que ce soit de bien utile. S’il veut bien me permettre de consigner au compte rendu les écrits du très honorable premier ministre, il apprendra peut-être quelque chose à propos de l’homme qui l’entraîne aveuglément vers sa propre perte. Je reprendrai maintenant ce que le très honorable premier ministre disait en 1961 quand il n’était pas encore premier ministre.
M. Baker (Nepean-Carleton): Quand il était M. Trudeau.
M. Crouse: Oui, quand il était M. Trudeau.
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: En 1961, le premier ministre actuel déclarait:
La nationalisation des agents de production est maintenant considérée moins comme une fin et comme un outil qui pourrait dans bien des cas être remplacé par des processus plus souples de contrôle et de redistribution économique. Le faux principe libéral de la propriété a aidé la bourgeoisie à s’émanciper, mais il fait maintenant obstacle au progrès vers la démocratie économique. En 1975, le premier ministre déclarait à la télévision nationale:
Nous n’avons pas réussi à faire fonctionner le système de libre marché-le gouvernement va donc devoir intervenir davantage dans la gestion des institutions. Autrement dit, le gouvernement va peut-être diriger davantage notre vie.
M. Pepin: Citez vos propres ouvrages.
M. Crouse: Je cite les écrits du premier ministre ainsi que ses discours. Si la vérité est dure à entendre, monsieur, vous feriez mieux de défendre les vôtres. Ne cherchez pas à m’interrompre quand je rapporte ce que le très honorable premier ministre a déclaré aux Canadiens.
Une voix: Vous allez avoir une crise cardiaque.
M. Crouse: Je ne vais pas avoir de crise cardiaque. J’y prends beaucoup de plaisir.
En 1976, le premier ministre a déclaré …
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: J’ai dû toucher la corde sensible. Écoutez-les crier. Jamais encore je n’ai entendu ceux qui courent à leur perte, râler et grogner autant. Mes discours n’ont encore jamais déclenché cette réaction. Je suis sans doute tombé sur la vérité.
M. Simmons: Vous la déformez.
M. Crouse: En 1976, le premier ministre a déclaré: Nous n’avons pas réussi à faire fonctionner un système de libre marché, même modifié, de façon à éviter le genre de problèmes que nous connaissons actuellement.
Je pourrais citer bien d’autres déclarations du même genre, monsieur l’Orateur. Vous pourriez peut-être intervenir pour faire taire un peu tout ce tumulte. Je ne les interromps pas quand ils font leurs discours et je leur demande d’avoir la même courtoisie envers moi.
Des voix: Bravo!
M. Simmons: Y a-t-il un médecin à la Chambre?
M. Crouse: Je pourrais continuer de citer les déclarations du premier ministre, mais cela doit certainement suffire pour faire comprendre à tous les députés que c’est un chef qui a autant d’arrogance que d’intelligence. Comme il estime que l’économie de marché ne fonctionne plus, il s’est déjà attaqué avec ses séides à la nationalisation de l’industrie, en achetant Petrofina. «Qu’importe le prix, nous dit-on, les Canadiens paieront bien ce que nous jugerons bon de leur imposer.» Et encore: «Le contribuable paiera!» Le gouvernement ne se fait pas de souci au sujet des gros emprunts contractés par les constructeurs automobiles. S’ils ne remboursent pas, j’imagine que le gouvernement va prendre Chrysler en main, pour que les Canadiens aient leurs propres voitures. Elles changeront peut-être de marque, on les appellera les Canadiennes au lieu des Chrysler: 6 cylindres sous le capot, quatre vitesses au plancher, la main du fisc dans votre poche, vous roulerez les yeux au ciel en vous demandant ce qui va vous tomber dessus.
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: En Italie, Fiat appartient à l’État.
M. Blackburn: Ils se débrouillent bien avec Fiat.
M. Crouse: Le ministre de l’Industrie et du Commerce (M. Gray) nous prépare je pense une OPA sur Chrysler. Alors je dis à tous les Canadiens que s’ils ne veulent pas renoncer à toute liberté, s’ils ne veulent pas tomber sous la coupe du parti unique d’Ottawa, alors qu’ils se réveillent au plus tôt. Voilà ce que je dis aux députés d’en face. Je viens de les réveiller, du moins ils m’écoutent. Voilà 16 ans qu’ils dormaient. Il est temps qu’ils s’éveillent!
7533
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: Il est bien permis de s’amuser un peu le vendredi après-midi.
Je viens d’exposer l’opinion du premier ministre sur le droit à la propriété. Les députés savent maintenant pourquoi le très honorable premier ministre ne veut pas faire figurer votre droit à la propriété dans sa constitution. Au cours de l’étude en comité, les progressistes conservateurs ont présenté un amendement à la résolution qui demandait l’insertion du droit à la propriété dans la charte des droits de la personne.
Le solliciteur général (M. Kaplan) a accepté le principe du droit à la propriété et il a fait une promesse solennelle à cet effet au comité, en l’absence du ministre de la Justice (M. Chrétien). Cependant, le premier ministre ou les autres socialistes de la Chambre d’affiliation néo-démocrate n’ont pas approuvé cette promesse. Étant données les tractations qui se sont déroulées en coulisses, le gouvernement a rompu sa promesse de protéger ce droit important qui de l’avis de millions de Canadiens, devrait figurer dans la constitution. Quiconque comprend le droit commun considère sa maison comme son domaine. Je demande au gouvernement par votre entremise, monsieur l’Orateur pourquoi n’accepterait-il pas de constitutionnaliser le droit à la propriété? Des milliers d’immigrants, notamment mes ancêtres, sont venus dans ce pays pour une seule chose: le droit de posséder leur terre, d’être libres, car cela ne leur était plus possible dans leur propre pays ou parce qu’on leur avait pris leur terre.
Dans la charte qu’on nous propose figure une série de droits, qui pour la plupart sont du ressort des provinces. La plupart des droits inclus dans la Déclaration des droits de M. Diefenbaker figurent également dans celle du premier ministre, mais il y en a un qui manque, et non le moindre: le droit de posséder des biens, des biens que l’on ne peut vous prendre si ce n’est en recourant à des moyens légaux et après vous avoir donné l’occasion de défendre votre cause.
Quelles sont les répercussions de cette loi sur le Canadien moyen? Cela ne veut pas dire que nos maisons, nos entreprises ou nos fermes vont nous être automatiquement confisquées, mais cela signifie qu’elles ne seront pas protégées aux termes de la nouvelle constitution. Et pourtant, je tiens à vous dire, monsieur l’Orateur, avec toute la sincérité possible, que la jouissance des biens constitue la base fondamentale de la liberté en régime démocratique, et c’est là le problème. La perte du droit à la propriété garanti est durement ressentie par nombre de Canadiens. La crainte, comme la haine et l’amour, est une force motrice très positive. C’est la crainte qui a poussé de nombreux marins à refuser de s’embarquer avec Colomb. Non qu’ils aient eu peur de la mer, car je suppose que c’étaient de bons marins. Non qu’ils aient eu peur des navires, car même s’ils étaient petits, ils tenaient bien la mer, mais ils craignaient de s’embarquer avec un capitaine qui refusait de leur dire où ils allaient, la durée du voyage, ce qu’il coûterait ou leur destination finale.
Une voix: Quel voyage!
M. Crouse: Oui, et quel voyage êtes-vous en train d’entreprendre! Si seulement vous pouviez vous réveiller et vous en rendre compte.
Je tiens à dire au gouvernement par votre entremise, monsieur l’Orateur, ainsi qu’aux partisans du gouvernement, que c’est exactement ce qui se passe au Canada à l’heure actuelle. Les politiques du premier ministre ont déjà modifié la composition et l’orientation du Canada. Voyez comment nos traditions ont été violées, sapées, tournées en ridicule et anéanties. Le Canada ne sera jamais plus le même et un seul homme, le premier ministre, en est responsable. Il continue à agir ainsi. Cette série de mesures constitutionnelles accaparent le temps de la Chambre et des Canadiens, mais ce n’est en réalité que la pointe de l’iceberg. A mon avis, notre premier ministre actuel est le plus résolu de tous les premiers ministres que nous ayons jamais eus. Il est également le moins scrupuleux et utilise tous les moyens pour parvenir aux fins qui lui semblent souhaitables.
Après avoir lu une bonne partie de ses écrits, il saute aux yeux qu’il a largement emprunté et plagié les idées de Machiavel, Marx, Richelieu et Lénine.
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: Les députés là-bas s’esclaffent. J’espère qu’ils savent lire. S’ils le peuvent, ils constateront que j’ai cité leur chef ainsi que les ouvrages qu’il trouve les plus intéressants et les plus utiles.
De toute évidence, il a emprunté la plupart de ses idées aux hommes que j’ai mentionnés. Il personnifie un élitisme doctrinaire qui veut amener les gens au niveau de compréhension ou d’acceptation qu’il juge lui-même optimal. C’est un zélateur, peut-être même un fanatique terriblement dangereux, comme tous les fanatiques le sont.
(1520)
C’est un grand malheur pour le Canada d’aujourd’hui qu’il soit profondément convaincu d’être le seul et l’unique à avoir raison. Rendons-nous à l’évidence: les seules personnes qui pourraient encore s’opposer à la folie du premier ministre font partie du Parti libéral, un parti dont les membres ne savent plus qu’obéir aux ordres, même si ces ordres risquent d’entraîner notre pays à sa perte.
Le gouvernement saisit la Chambre de cette résolution et insiste pour y inclure un projet de référendum qui accorderait au gouvernement central le pouvoir de modifier unilatéralement la constitution, sans tenir compte des objections des représentants ou des gouvernements élus des provinces.
Voilà la proposition, et en s’appuyant sur cette prémisse, le gouvernement, après avoir fait fi du droit des gouvernements provinciaux d’être préalablement consultés, pousse l’effronterie jusqu’à demander à la Grande-Bretagne de se prononcer sur les libertés et les droits fondamentaux des Canadiens. Je dis que ce faisant, il fait injure à tous les gouvernements provinciaux et à tous les Canadiens. Le gouvernement brade la souveraineté du Canada et il cherche à se justifier en disant que nous ne saurions jamais nous mettre d’accord sur ces importantes questions. Pour tenter de nous gagner à cette thèse, il nous fait dire par ses nombreux porte-parole que le fédéralisme depuis 54 ans est un échec. Je ne suis pas d’accord.
7534
Avant l’arrivée au pouvoir en 1968 de l’actuel gouvernement libéral, le Canada et les Canadiens n’allaient pas si mal. Nous ne discutons pas de la constitution depuis 54 ans. L’histoire révèle que depuis 1927, cette question a fait l’objet de discussions fédérales-provinciales à 48 reprises, soit pratiquement une fois par année. Cela devrait suffire à prouver que c’est une question ardue qui ne peut être resolue par de belles paroles ni par la volonté d’un seul homme décidé à imposer son point de vue à un pays tout entier.
Sous des gouvernements raisonnables, le régime fédéral canadien a permis d’en arriver à des ententes sur bien des points, par exemple l’assurance-maladie, le Régime de pensions du Canada, les paiements de péréquation et l’assurancehospitalisation pour n’en nommer que quelques-uns. On est parvenu à toutes ces ententes par voie de négociations et d’accords, mais cela ne se verra plus maintenant et les changements se feront à l’avenir unilatéralement par le gouvernement d’Ottawa.
En rompant avec nos traditions fédérales, nous risquons de détruire notre pays. Je dis à ce gouvernement, par votre truchement, monsieur, que les chartes des droits, formules d’amendement et référendums ne sont pas des symboles, mais bien des outils qui serviront à gouverner notre pays, à l’avenir. Toute loi, et surtout une loi aussi fondamentale qu’une constitution, ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite si elle ne représente pas un commun accord auquel on est arrivé par discussion et débat. Vous ne pouvez pas imposer ce bill aux Canadiens sans susciter un climat d’anarchie et de révolte. Nous n’en sommes déjà pas très loin car, jusqu’à ce matin, huit premiers ministres provinciaux ont manifesté aussi vivement qu’ils le pouvaient leur opposition à cette loi, à cette résolution, à ce projet.
Des voix: Oh, oh!
M. l’Orateur adjoint: A l’ordre. Le député de South Shore a la parole.
M. Ouellet: Il en abuse.
M. Crouse: J’étais loin d’imaginer que la vérité pouvait être aussi dure à entendre. Je ne pense pas que ce projet constitutionnel renferme une disposition plus contestable que celle qui consacre de façon permanente le principe de la tenue d’un référendum pour modifier la constitution du Canada. Il ne s’agit pas de n’importe quel référendum. C’est un pouvoir qui doit être accordé au gouvernement fédéral pour lui permettre de sortir d’une impasse, laquelle serait laissée entièrement à l’appréciation du gouvernement fédéral. C’est un référendum dont le gouvernement pourrait se servir pour passer outre aux représentants élus du peuple et aux assemblées législatives provinciales. C’est un référendum dont une majorité pourrait se servir pour fouler aux pieds les droits des minorités, c’est-àdire de ceux-là même que la mesure est censée protéger.
Pour les raisons que j’ai données, je compte voter contre la résolution. A mon avis, si elle est adoptée à la majorité des voix, ce sera le début de la fin de notre pays tel que nous le connaissons et tel que nous l’aimons. J’espère pouvoir continuer à dire que je suis Canadien, un Canadien libre, libre de parler sans crainte, libre d’adorer Dieu à ma façon, libre de défendre le bien, libre de m’opposer au mal, libre de choisir les gouvernants de mon pays. Je m’engage à défendre pour moi et pour l’humanité tout entière la liberté qui nous a été léguée.
Des voix: Oh, oh!
M. Crouse: J’ai parfaitement le droit, il me semble, d’exprimer les opinions que d’aucuns mettent en doute à la Chambre cet après-midi. C’est un premier empiètement lorsqu’il devient impossible de prononcer librement un discours dans lequel on exprime ses opinions personnelles, dans lequel on proteste contre ce qu’on juge mauvais, sans entendre hurler la meute déchaînée qui essaie de nous empêcher d’exprimer vos convictions profondes. Voilà la substantifique moelle de mon discours. On a déjà empiété sur nos droits. Mes propos s’inspirent des principes qui sont exposés à la fin de la Déclaration des droits du très honorable John Diefenbaker. Je conclus en précisant qu’ils sont toujours aussi valables à l’heure actuelle que le jour où le Parlement du Canada les a consacrés. L’hon. Steven E. Paproski (Edmonton-Nord): Monsieur l’Orateur, je tiens à féliciter le député de South Shore (M. Crouse) de son admirable discours que nous, de ce côté-ci de la Chambre, avons su apprécier. Je voudrais également dire quelques mots à propos des discours du député de Surrey- White Rock (M. Friesen) et du député de Waterloo (M. McLean).
Je rends hommage à tous mes collègues des deux côtés de la Chambre qui ont participé au comité constitutionnel. Ils ont fait un travail remarquable et ils méritent des éloges. Je rends tout particulièrement hommage à mon collègue de Provencher (M. Epp) qui a pris la tête de l’opposition officielle au sein du comité de la constitution. Il a fait de l’excellent travail. La population du Canada fait face à la crise constitutionnelle la plus grave depuis la Confédération. Comme l’a souvent dit le chef de l’opposition officielle (M. Clark), cette crise est le résultat d’années de négligence et d’indifférence de la part du parti libéral.
Le premier ministre (M. Trudeau) a adopté une attitude intransigeante sur la question des modifications constitutionnelles. Toutes les provinces ont l’impression d’être comme la cinquième roue du carrosse d’Ottawa. Les provinces sont pourtant réalistes quand elles demandent à être consultées pour déterminer la forme et les tendances du Canada de demain.
L’avenir du Canada doit être décidé conjointement par les provinces et le gouvernement fédéral. Permettez-moi de dire que l’avenir du Canada ne sera pas et ne peut pas être décidé par un seul homme, Pierre Trudeau …
Des voix: A l’ordre.
M. Paproski: . . . pour répondre à sa vision personnelle de ce que doit être la Confédération. L’AANB a été rédigée en 1867 par les provinces qui se sont réunies à cet effet autour d’une table de négociation.
M. Blais: Ce fut l’oeuvre de Sir John A. MacDonald si vous voulez savoir la vérité.
M. Paproski: S’il faut qu’il soit réécrit si tardivement, qu’on procède donc de la même façon que pour l’acte original.
M. Knowles: Le ministre et moi le savons, nous étions là.
7535
M. Paproski: Je sais que Stanley Knowles était là. Vous n’avez qu’à regarder les photos de l’époque et vous pourrez le reconnaître.
M. l’Orateur adjoint: A l’ordre. L’honorable député doit être appelé sous le nom de député de Winnipeg-Nord-Centre.
M. Blais: Eh bien Steve, au moins vous savez être drôle.
(1530)
M. Paproski: Je ne cherche pas à être drôle. J’estime qu’il s’agit d’un sujet très sérieux et je n’y trouve rien de drôle. Le ministre dit que j’essaie d’être amusant. C’est vendredi aprèsmidi; je pense que nous pouvons nous permettre de faire un peu d’humour, mais je parle d’une question sérieuse et je lui saurais gré de prendre mes propos au sérieux.
J’estime pour ma part que la constitution devrait être rapatriée sans modifications, sauf pour une formule d’amendement, et que les amendements devraient être adoptés au Canada en accord avec les provinces. Je suis persuadé que les provinces seraient disposées à céder certains pouvoirs pour peu que le gouvernement fédéral leur accorde plus de considération et les consulte davantage. Permettez-moi de le répéter: je suis persuadé que les provinces seraient disposées à céder certains pouvoirs pour peu que le gouvernement fédéral leur accorde plus de considération et les consulte davantage.
M. Rossi: Vous savez qu’elles ne consentiront jamais à cela.
M. Paproski: Vous seriez étonné.
Le rôle qu’une constitution viable est censée jouer dans la vie d’un État fédératif est assez rigide. Il faut d’abord noter qu’une constitution, et surtout une constitution fédérale comme la nôtre, représente le plan général qui sert à orienter la vie sociale de la population. Elle fait fonction de superviseur de la vie de la société. Mais les citoyens qui vivent sous un régime fédératif ne voient pas tous la vie et l’avenir de la même façon. Ces conceptions ont été enracinées en eux par l’histoire, l’expérience, la profession et l’hérédité. La pire des erreurs dans un régime fédéral est de regretter de ne pas pouvoir vivre comme une famille unie. Si nous vivions ainsi, nous ne serions pas en train de lutter pour maintenir le régime fédéral.
Je crois que cette lutte s’explique en grande partie par une centralisation excessive des pouvoirs à Ottawa. Le mauvais fonctionnement du système des partis au Canada est une des conséquences de cette centralisation excessive. Les mesures appliquées par le parti libéral ont suscité une forte polarisation des votes au pays. Il existait à l’origine–et ce problème n’est pas encore résolu-un conflit entre les collectivités francophone et anglophone du pays.
[Français]
Un conflit qui est dû, en bonne partie, à la personnalité même du premier ministre (M. Trudeau). Et je cite à ce sujet le journaliste Jacques Poisson qui écrit dans le journal Le Devoir du 9 février:
… M. Trudeau associe, à des degrés variables, l’enfant tyrannique, le despote constitutionnel . . . l’empoisonneur du climat politique canadien.
[Traduction]
Des voix: Bravo!
M. Paproski: Mon collègue, le député de Laurier (M. Berger), a lu quelque chose sur le Canada dans la livraison du 8 février du Times de New York. J’ai bien aimé les commentaires du député, mais pourquoi n’a-t-il pas aussi lu l’article du Devoir du 9 février? Je ne tiens pas à m’étendre sur certains des adjectifs si éloquents que M. Poisson a utilisés pour décrire le premier ministre, mais je voudrais vous lire certains passages de cet article.
Tout compte fait, la personnalité publique de M. Trudeau associe, à degrés variables, l’enfant tyrannique, le despote constitutionnel … le manieur éperdu de marionnettes humaines, le démon du paradoxe …
Il y a là des mots que je ne connaissais même pas.
-le professionnel … de l’intimidation, le toxicomane du mépris, l’empoisonneur du climat politique canadien, le Narcisse en quête d’une glace planétaire où se mirer.
La constitution, c’est MOI; la démocratie, c’est MOI; la raison, c’est MOI; le sens commun, c’est MOI.
M. Simmons: Qui a écrit cela?
M. Paproski: C’est un excellent article que M. Jacques Poisson a écrit dans Le Devoir du 9 février. J’ai constaté que la Pravda avait aussi donné raison au premier ministre et aux initiatives qu’il prenait. Celui qui a des amis pareils, n’a que faire d’ennemis.
Aujourd’hui, on voit surgir un conflit entre l’Est et l’Ouest. Le Canada est le pays de la diversité. Il faut donc que notre constitution soit suffisamment souple pour que nous puissions faire les compromis nécessaires et laisser notre diversité s’épanouir.
C’est en 1929 que mon père est venu au Canada avec sa famille de Pologne et d’Ukraine. «Veen-priyeekhav do Kanadi» ce qui veut dire: «Nous sommes venus au Canada». Mon père n’est pas venu dans un endroit en particulier, dans une province en particulier, il est venu au Canada.
M. Simmons: Bravo! Venez vous joindre à nous, Steve!
M. Paproski: Il est venu au Canada, tel que le concevaient les pères de la Confédération, dans ce Canada qui en dépit de toutes les difficultés économiques offrait encore une certaine liberté, certaines perspectives et une certaine prospérité. Tout ce que nous faisons dans le cadre du présent débat, c’est reconnaître la réalité peu réjouissante que la vision et les espoirs qu’ont caressés des hommes comme mon père et les générations avant la sienne, risque de ne plus jamais se retrouver au Canada.
Le gouvernement libéral a présenté un projet de résolution englobant une charte canadienne des droits et libertés qui ne mentionne nullement que «la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu» comme le proclamait la Déclaration canadienne des droits de 1960 qu’avait fait adopter le gouvernement progressiste-conservateur de l’époque. Les chances de réussite et de prospérité qui, outre la liberté chérie, attirent tous ceux qui viennent s’établir chez nous sont gâchées par le gouvernement actuel.
L’amendement qu’a présenté mon collègue, le député de Wellington-Dufferin-Simcoe (M. Beatty) réitérait un droit que reconnaissait aux Canadiens la Déclaration des droits précitée, soit «le droit de l’individu à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi». Ce droit est présentement menacé.
7536
La vision d’un pays qui offrait la chance de réaliser ses idéaux et ses aspirations en toute liberté a durant bien des années attiré chez nous des gens de différents coins de la terre. Le Canada se caractérise par sa population, et c’est cette caractéristique très distinctive des divers éléments de la population canadienne qui nous distingue de nos voisins du Sud et des autres pays anglophones du monde.
Ce qui distingue le Canada, c’est cet amalgame des diversités du Canada anglophone et de l’originalité du Canada francophone, c’est aussi son multiculturalisme, profondément enraciné dans notre histoire et enrichi de traditions diverses, que nous devons protéger et entretenir si nous voulons vraiment respecter les libertés individuelles et collectives. Je dois dire que j’ai téléphoné cet après-midi au ministre d’État (Multiculturalisme) (M. Fleming)-à vrai dire, c’est ma secrétaire qui s’en est chargée pour lui faire savoir que j’allais prendre la parole. J’espérais que le ministre viendrait à la Chambre. Je sais qu’il est très pris, mais en tant qu’ancien ministre chargé du multiculturalisme, je tenais à lui dire certaines choses cet après-midi.
M. Blais: Vous avez le coeur à la bonne place.
M. Paproski: Le gouvernement libéral n’a rien fait pour vraiment favoriser l’épanouissement du multiculturalisme au Canada. Sa politique supposément constante en ce domaine et son ministre actuel sont une fumisterie. Qu’est-ce exactement que le Canada sans l’acceptation de sa diversité culturelle et sans la reconnaissance officielle que l’ascendance de plus du tiers des Canadiens n’est ni française ni anglaise?
Le multiculturalisme est plus qu’un prétexte à la présentation de chants et de danses folkloriques. Il évoque l’histoire, la langue, les us et coutumes des collectivités qui peuplent notre milieu. Ce n’est sûrement pas la carotte que le gouvernement juge opportun de brandir en période électorale ou lorsqu’il cherche à se faire bien voir.
Le ministre actuel du gouvernement libéral est l’exemple parfait de ce que je viens de dire. Voilà pourquoi j’ai dit que j’avais téléphoné à son bureau. Je tenais à ce qu’il sache ce que j’avais à lui dire. Ses priorités ont de quoi étonner. Essaie-t-il vraiment de promouvoir le caractère multiculturel du Canada ou s’efforce-t-il plutôt de faire mousser le gouvernement libéral?
(1540)
Une voix: La première hypothèse est la bonne.
M. Paproski: Il est le ministre de la propagande, le Goebbels du parti libéral.
Le parti progressiste-conservateur du Canada reconnaît la réalité du multiculturalisme canadien et s’efforce de l’imposer. Il ne suffit pas d’accepter ou de simplement tolérer le multiculturalisme canadien. Il faut l’accueillir comme une garantie sans pareille du caractère distinctif de notre nation et de l’évolution de notre peuple dans la diversité et la liberté. Conformément à cette conviction, le cabinet du chef de l’opposition (M. Clark) était représentatif de cette diversité. Pensons simplement aux Hnatyshyn, Mazankowski et Paproski, cette magnifique équipe d’Irlandais. Aucun autre cabinet, dans les 112 ou 113 années d’histoire de la Confédération, n’a puisé à tant de sources ethniques ses talents et compétences. Notre cabinet était sur le point de mettre en valeur le programme de multiculturalisme en proposant son intégration au secrétariat d’État.
Conformément à cet engagement, le chef de l’opposition officielle a institué l’année dernière un nouveau programme et désigné comme adjoint spécial au multiculturalisme Michel Lamoureux. Non seulement il parle français, mais aussi italien, espagnol ainsi que d’autres langues, et si j’ai mon mot à dire l’ukrainien et le polonais. La plupart des Canadiens ignorent à vrai dire qu’il existe une politique de multiculturalisme au Canada, et ceux qui en sont au courant l’interprètent plutôt comme une politique visant à permettre aux immigrants de conserver leurs coutumes et leurs traditions folkloriques. Dans un Canada uni et indépendant, les Canadiens devraient pouvoir jouir effectivement des mêmes droits politiques et socio-économiques, quelle que soit leur origine ethnique, religieuse ou linguistique. Tous les groupes ethno-culturels, à partir des groupes anglo-celtes et français jusqu’aux plus petits contribuent à la mosaïque culturelle canadienne, et leurs activités culturelles devraient bénéficier d’une aide morale et matérielle de l’État proportionnelle à leur désir de survivre en tant que tels.
L’article 27 de la charte des droits et libertés de la résolution constitutionnelle fait allusion en ces termes à notre patrimoine multiculturel:
27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.
Ces quatre lignes constituent une véritable insulte pour les citoyens canadiens qui ne sont ni d’origine anglaise ni d’origine française. Cet article ne fait qu’interpréter et non pas reconnaître le fait que plus d’un tiers de la population canadienne n’est ni anglaise ni française d’origine.
J’espère que le premier ministre du Canada ainsi que le ministre d’Etat chargé du multiculturalisme vont sérieusement remettre à l’étude l’article 27 de la résolution et reconnaîtront comme il se doit dans la constitution canadienne les membres des groupes ethno-culturels du Canada.
Les députés d’en face pensent peut-être que la question n’est pas vraiment importante, et j’espère que le président du Conseil privé (M. Pinard) n’est pas en train de rigoler au sujet de ce que je viens de dire aujourd’hui. J’ai beaucoup de respect pour les francophones de notre pays ainsi que pour les anglophones, et je voudrais que le même genre de respect soit accordé à ce tiers de notre population qui n’est ni anglophone ni francophone. J’espère que nous ne n’oublierons pas et que nous allons y songer très sérieusement.
L’hon. Alvin Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): Monsieur l’Orateur, je me rends compte à l’heure qu’il est qu’il faudra que je scinde mes observations en deux parties. Je vais donc en profiter, dans mon introduction, pour faire des remarques générales sur le débat qui a eu lieu jusqu’ici. J’ai fait exprès, au cours du débat de deuxième lecture, de suivre chaque orateur, d’écouter très attentivement ce que les députés avaient à dire et j’ai essayé de prendre un certain recul. Je pense que le fait saillant de ce débat, fait qui équivaut à la troisième lecture d’un bill ordinaire, a eu lieu à l’extérieur de la Chambre. Le jeune député de Yorkton-Melville (M. Nystrom) qui a été nommé porte-parole de son parti pour les affaires constitutionnelles et qui, à ce titre, a animé le débat au comité, avec brio, modération et sincérité devant les caméras
7537
de la télévision nationale qui filmaient les délibérations, est passé sur le petit écran cette semaine avec trois députés de son parti et a déclaré aux Canadiens que ni lui ni les autres ne pourraient se prononcer en faveur de cette résolution. Cela n’a pas été une chose facile à faire pour ces quatre personnes. Je respecte ce genre d’attitude courageuse, non seulement parce qu’elle émane d’un député d’un parti qui n’est pas le mien mais aussi parce qu’elle revêt une très grande importance.
Elle prouve qu’il faut toujours qu’il y ait dans chaque parti quelqu’un qui ait le courage, quand on a affaire à des questions aussi importantes que celles-ci, de faire passer les principes de son pays avant l’allégeance à son parti. Je pense en particulier au député conservateur d’Edmonton-Est (M. Yurko) qui, après une longue lutte intérieure et après de longs entretiens au caucus a annoncé qu’il allait voter en faveur de la résolution et il a exposé les raisons de sa décision en public. A ma connaissance, pas un conservateur ne lui a refusé ce droit. Aujourd’hui, nous voyons quatre députés néo-démocrates dire publiquement quelque chose que le chef de notre parti a dit le 2 octobre. Je vais citer un extrait d’une déclaration simple, toute simple que le député de Yorkton-Melville (M. Nystrom) a faite et je cite:
Comme je sens très fortement que cette résolution ne tient pas compte du fédéralisme, ne tient pas compte du fait canadien, et va continuer à diviser notre pays, j’ai dit à mon chef de parti, M. Broadbent, et aux membres de mon caucus que je voterais contre cette résolution quand nous serons appelés à nous prononcer à ce sujet à la Chambre.
Une voix: Surprenant, surprenant.
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): J’ai entendu des députés qui reprochaient au parti d’être désuni, et j’ai entendu un député conservateur, farouchement opposé au point de vue néo-démocrate, se porter hier à leur défense. Je rapporte ce que le député de Yorkton-Melville a ajouté ensuite:
. . . si je m’y oppose, c’est essentiellement en raison de l’injustice du procédé.
(1550)
C’est le noeud même de tout ce débat. On ne saurait construire des fondations, ériger une maison, voire élaborer la constitution d’un pays sans pureté d’intention et de pensée. On peut toujours construire quelque chose qui ressemble à des fondations, ériger un simulacre de maison, mais ce ne sera jamais une vraie maison si on ne sait pas lui consacrer le temps, le soin et l’attention qu’elle mérite.
J’aime à croire que les Canadiens sont un peu plus fiers du Parlement qu’ils ne l’étaient il y a deux ou trois semaines. Ils ont entendu un député de notre parti exprimer ses convictions sincères qui sont différentes des nôtres; c’est un député entre cent. En outre, ils ont entendu quatre députés néo-démocrates proclamer leurs convictions profondes. Ils savent qu’ils peuvent faire davantage confiance à un parti qui autorise ses membres à s’exprimer librement sur les principes fondamentaux qu’à un autre qui insiste pour que tous ses membres votent en bloc.
Parmi les 150 ministériels qui nous font face, je suis certain qu’il y en a quelques-uns, étant donné ce qu’ils ont dit à la Chambre, qui craignent de saper la position sincère de Claude Ryan, chef du parti libéral au Québec. En outre, ils sapentpeut- être volontairement cette fois-la position du chef du gouvernement québécois, l’honorable René Lévesque. Ces gens-là sont canadiens. Ce dernier avouait franchement ne pas aimer les anglophones, particulièrement ceux de Montréal ou de Londres, en Angleterre, mais ajoutait ne rien avoir contre le reste d’entre nous.
Une voix: Qui dit cela?
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): Quand il vint en 1961 à Ottawa en qualité de membre du gouvernement Lesage, il accepta à cette occasion la présidence du Conseil canadien des ministres des Ressources naturelles et déclara que le régime fédéral ne pouvait survivre que par la coopération.
Une voix: C’était alors un libéral.
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): Oui, c’était alors un libéral.
Une voix: Aujourd’hui, c’est un séparatiste.
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): Il estimait que le Canada avait du bon, à condition que l’on travaille ensemble et que l’ori fasse preuve de coopération.
Une voix: Qu’est-il devenu aujourd’hui?
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): Si on lui demande aujourd’hui pourquoi il a quitté le parti libéral …
Une voix: C’est parce qu’il était séparatiste.
M. Hamilton (Qu’Appelle-Moose Mountain): … il dira publiquement et franchement, comme il l’a fait bien des fois, que lorsqu’il était membre du gouvernement Lesage, il n’avait aucun mal à obtenir la coopération du gouvernement de l’époque entre 1960 et 1963, mais qu’il dut faire face à un nouveau type de fédéralisme coopératif en 1963.
Sous le gouvernement Diefenbaker, le gouvernement fédéral signa plus d’ententes avec les gouvernements provinciaux qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire de la Confédération. Ces ententes portaient sur des services relevant pour la plupart de la compétence des provinces, mais dans le but de bâtir un pays plus fort, des ententes furent ainsi conclues avec les provinces pour faire progresser ces services.
Nous avons entendu dire au cours du débat que ce genre de résolution ne nous aurait jamais permis de nous entendre sur un régime d’assurance-maladie ou d’assurance-hospitalisation. Mais dans une confédération où l’on se soucie de travailler ensemble et dont la constitution attribue certains droits souverains dans certains domaines aux provinces et certains autres au gouvernement fédéral, quand les deux paliers de gouvernement conviennent à l’avance qu’ils ne divorceront jamais, on peut toujours arriver à des ententes dans un climat de coopération.
7538
J’ai pour ma part réussi à conclure des ententes avec le premier ministre Duplessis. C’était certes un nationaliste. Mon collègue à l’époque, le ministre du Travail Mike Starr, avait conclu avec Duplessis des ententes concernant l’éducation, les routes, les forêts et l’énergie électrique. Si nous avons pu conclure des ententes avec d’ardents nationalistes québécois dont le nationalisme ne le cédait à personne, comment se fait-il que d’autres gouvernements n’y arrivent pas?
Malheureusement, en 1963 nous avons hérité d’un premier ministre pour qui le fédéralisme coopératif consistait à convoquer les premiers ministres provinciaux, à les faire asseoir tous les dix devant son bureau, à écouter les fnctionnaires derrière eux et à dicter aux provinces leur conduite. Malheureusement pour ce premier ministre, décédé depuis, il affrontait six ou sept des premiers ministres provinciaux les plus irréductibles. C’est un peu comme s’il avait été en face d’une bande de meurtriers: Stanfield, Smallwood, Lesage, Robarts, Duff Roblin, Manning et Bennett. Qui voudrait se mesurer à ces dix gaillards et essayer de leur dicter leur conduite? Tout le monde sait que le premier ministre Lesage n’a fait qu’une bouchée du premier ministre Pearson. Pearson a dû sacrifier son propre cabinet pour rétablir la paix entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Au Canada, on arrivait à s’entendre par voie de consensus, mais depuis quelques années c’est de moins en moins le cas. Aujourd’hui nous discutons d’une façon de vivre au Canada. Le député de Rosedale (M. Crosbie) en a donné la meilleure description quand il a dit que c’était vraiment une question de consensus ou d’affrontement. Le député de Provencher (M. Epp) et d’autres ont tenu des propos semblables. La seule façon pour le Canada et le système fédéral de continuer à fonctionner, c’est de placer tout le monde sur un pied d’égalité, peu importe quel niveau gouvernement est en cause, jusqu’à ce que vienne le moment de payer, et alors il peut y avoir quelques tiraillements. Depuis plus de 100 ans, les gouvernements de toutes les couleurs politiques ont eu recours avec succès à la technique du consensus et de l’affrontement, mais les dix dernières années ont été marquées par des échecs. Puis-je signaler qu’il est 4 heures?
M. l’Orateur adjoint: Comme il est 4 heures, la Chambre passe maintenant à l’étude des mesures d’initiative parlementaire inscrites au Feuilleton d’aujourd’hui, soit les bills publics, les avis de motion et les bills privés.