« La sécurité culturelle », Le Soleil [de Québec] (26 août 1975)


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Date: 1975-08-26
Par: Le Soleil
Citation: « La sécurité culturelle », Le Soleil [de Québec] (26 août 1975).
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LE SOLEIL

Date
Aug 26 1975

la sécurité culturelle

Le premier ministre Bourassa a tenté, au
colloque de son parti au Mont Gabriel, de
définir avec plus de précision le thème de la
souveraineté culturelle invoqué depuis quelque
temps. Dans le concret cette « souveraineté
culturelle » devrait, selon lui, s’inscrire dans
une sécurité culturelle accrue confiée par la
Constitution au Québec. C’est par le biais du
rapatriement de la Constitution que M. Bourassa
compte ainsi en arriver à ses objectifs. Mais
vouloir à la fois s’entendre sur une formule de
rapatriement de la Constitution, c’est-à-dire sur
un processus « technique », et sur des amende-
ments précis, c’est-à-dire sur le fonds de la
Constitution, représente une gageure. Elle est
loin d’être facile à surmonter comme le démon-
tre l’expérience des conférences infructueuses
depuis 1927.

En grande partie à cause du Québec, la
Constitution actuelle accorde aux provinces, à
toutes les provinces, de vastes pouvoirs dans le
domaine culturel dont l’enseignement. vital à
cet égard. Les gouvernements provinciaux ont
donc des pouvoirs très étendus en matière
culturelle, ce qui ne signifie pas qu’ils détien-
nent la souveraineté culturelle, terme ici très
équivoque. D’abord parce qu’on entend généra-
lement par souveraineté lepouvoir de traiter
avec l’étranger, pouvoir qui dans les Etats
fédératifs appartient à l’Etat central. On doit en
second lieu reconnaître que le gouvernement
fédéral a autant le devoir, à son niveau, de
protéger l’identité nationale que les deux
grandes cultures qui en sont ici la composante.

Si les provinces ont en matière de culture de
vastes pouvoirs, ceux-ci ne sont ni exclusifs, ni
souverains. Il appartient au contraire au pou-
voir central d’assumer aussi ses responsabilités
à l’endroit de nos deux langues officielles, de
nos deux grandes cultures historiques. L’élimi-
ner de ces secteurs équivaudrait à affaiblir
grandement l’identité nationale et par ricochet
les deuxcultures qui la soutiennent. D’où le
danger d’insister sur un terme aussi ambigu que
celui de la souveraineté culturelle.

Ce qui n’empêche pas le Québec de considé-
rer avec la plus grande attention les responsabi-
lités particulières qui lui incombent en vue de
vivifier la culture française, qui est celle de la
majorité de sa population tout en étant large-
ment minoritaire en Amérique du Nord. Rien de
plus légitime que le Québec veuille assurer la
sécurité culturelle mentionnée par M. Bourassa.
Mais cette sécurité doit être également assurée
par l’Etat central; c’est meme son devoir de le
faire.

De plus, on ne saurait au Québec envisager
cette sécurité culturelle en termes trop étroite-
ment constitutionnels. Les seuls textes de loi
sont moins importants que le dynamisme in-
terne d’une société; ils équivalent même parfois
à donner une fausse sécurité. En outre, un trop
grand repliement culturel du Québec sur lui-
même risque d’entraîner unrepliement dans les
autres secteurs également, ce qui risque d’abou-
tir à un affaiblissement plutôt qu’à un renforce-
ment de laculture française au Canada.

Le premier ministre du Québec a désigné
certains secteurs où seraient aptes à s’exercer
les garanties constitutionnelles claires en ma-
tière de sécurité culturelle. notamment les
communications, l’immigration. Dans le premier
cas. il faut noter qu’au Canada, au même titre
que dans les autres régimes fédératifs. les
communications sont confiées à l’Etat central, à
cause notamment des réglementations entre
Etats sur les longueurs d’ondes. Le Canada, en
plus, se doit d’avoir une seule politique nationa-
le de radio-diffusion pour résister aux pressions
constantes, en ce domaine comme en d’autres,
du grand voisin américain. A l’intérieur de cette
politique reste à voir les responsabilités ac-
crues que pourraient détenir les provinces.

Quant à l’immigration. il s’agit là de
pouvoirs conjoints des deux ordres de gouverne-
ment. Il n’est pas exclu que le Québec comme
toute autre province, en arrive à réglementer le
débit de son immigration selon ses besoins
propres. En tant que province à majorité de
langue française, le Québec a intérêt à recher-
cher chez les immigrants des qualités culturel-
lesfqui correspondent à ses objectifs. Si la
circulation des personnes doit être libre entre
les provinces, rien n’interdit de penser, en
revanche, que le Québec possède des pouvoirs
accrus dans les critères de choix de ses
immigrants. La Constitution pourrait être plus
explicite à cet égard.

Mais lier au départ le rapatriement de la
Constitution à des modifications de celle-ci dans
des secteurs particuliers équivaut à atteindre
deux objertifs simultanément, alors qu’il s’est
révélé dans le passé que chacun d’eux demeure
difficile à atteindre séparément. On sait par:
exemple qu’on discute depuis près de cinquante
ans d’une formule de rapatriement de la‘
Constitution au Canada. Or. celle qui avait été
soumise à Victoria, en 1971. ne rencontrait pas
dbbjections de principe de M. Bourassa. les
propositions voulaient entre autres que les deux
provinces les plus populeuses, le Québec et
l’Ontario, possèdent individuellement un droit
de veto à propos des amendements, tandis que
les autres provinces devraient‘ obtenir une
majorité régionale.

La conférence de Victoria a cependant buté
sur la volonté du Québec d’associer les amende-
ments à un transfert de responsabilités en
matière de sécurité sociale. Dans ce contexte.
remplacer la sécurité sociale par la sécurité
culturelle ne facilitera aucunement une enten-
te, pourtant en vue. On peut donc penser que le
rapatriement de la Consititution est remis aux
calendes grecques, tant qu’on voudra associer
processusdamendement ‘et amendements eux-
mêmes.

Gilles BOYER

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