Jacques Keable, « Les libéraux au festival de la futurologie », Le Jour [de Saint-Laurent] (23 août 1975)
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Date: 1975-08-23
Par: Jacques Keable (Le Jour)
Citation: Jacques Keable, « Les libéraux au festival de la futurologie », Le Jour [de Saint-Laurent] (23 août 1975).
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Name of Publication Nom de la publication
LE JOUR
Date
AUG 23 1975
Les libéraux au festival
de la futurologie
par Jacques Keable
notre envoyé spécial
MONT-GABRIEL
Ici, on peut réfléchir en
paix, confortablement, loin
du monde et de ses problè-
mes perturbateurs et épou-
vantablement quotidiens!
Loins des quartiers popu-
leux, loin de la United Air-
craft. Le clame souverain.
Le Mont-Gabriel Lodge est
un hôtel bourgeoisement
campagnard, discret et
soyeux, à cinquante milles
au nord de Montréal, avec
« tout ce qui’il faut »: pis-
cine d’eau claire, tables
avec parasol, bar à côté,
jeux de tennis en retrait.
Et des arbres, sous un ciel
bleu où se promènent tran-
quillement quelques ronds
nuages légers…
C’est ici que le Parti
libéral du Québec tient son
colloque portant sur « les
années 80 ». On attend 450
personnes. Des libéraux
surtout, ministres et dépu-
tés, militants et représen-
tants de « corps sociaux ».
Le président du parti, Me
Claude Desrosiers, affirme:
« Aucune étiquette idéolo-
gique ou politique n’a sa
place ici ». Et un peu plus
avant dans son texte de pré-
sentation: « Nous avons vou-
lu que ce colloque soit un
événement provocateur ».
Côté provocation, de
fait, on doit présenter pat-
tes blanches, un demi-mil-
le avant d’arriver, dans la
petite forêt civilisée, jus-
qu’à l’hôtel Mont-Gabriel
Lodge. Deux agents de sé-
curité de l’hôtel exigent
une preuve d’identité. Tout
à côté, des collègues re-
connaissent, assis dans une
voiture non identifiée, un
agent de la Sûreté du Qué-
bec.
La futurologie
L’avenir est à l’or-
dre du jour. Dans une peti-
te salle de passage, on
peut voir une sorte de dia-
porama: téléviseurs, arti-
cles de journaux agrandis.
Et le long du garde-fou de
la terrasse qui se déploie
face au terrain aménagé de
l’hôtel, des tableux noirs,
avec craies et effaces. Les
participants peuvent, ici,
inscrire leurs pensées. U-
ne manière de rue de Pékin
transportée au Mont-Ga-
briel Lodge, moins les Chi-
nois, moins le maoisme,
stylisée. Quelques phrases
y apparaissaient, peu a-
vant l’ouverture du collo-
que: « Allo le monde… »
par exemple.
L’avenir donc, sans
idéologie, suivant le mot du
président du parti. On par-
lera des « années 80 ». Avec
entre autres, le champion
mondial de la futurologie,
M. Herman Kahn, fondateur
de la Hudson Institute, dé-
fenseur de l’impérialisme
américain sous le couvert
d’un modernisme flam-
boyant et de l’efficacité.
Pas de Jean Daniel
La start la plus at-
tendue était sans doute le
directeur du Nouvel Obser-
vateur, M. Jean Daniel. A-
près avoir accepté l’invi-
tation de venir conseiller
les libéraux québécois, il
s’est décommandé à la
dernière minute à cause
de la situation au Portugal,
a-t-il expliqué dans un té-
légramme reçu il y a deux
jours. Ce flambeau de la
« gauche » française ne ve-
nant pas brûler au Québec,
la France ne sera toutefois
pas absente de cette réfle-
xion collective puisque M.
Maurice Guernier, mem-
bre fondateur du Club de
Rome, sera du colloque.
De même que M. Michel
Crozier, professeur en so-
ciologie à la Sorbonne et
Philippe Aries, professeur
en sciences sociales, éga-
lement de la Sorbonne.
Les nôtres
Le Parti libéral du
Québec, qui va puiser aux
sources de la réflexion a-
méricaine et française, ne
néglige pas pour autant les
étoiles locales. On y trouve
le recteur de l’Université
Laval, M. Larkin Kevin, le
président de la Bourse de
Montréal, M. Michel Bélan-
ger, M. Louis-Marie Trem-
blay, professeur de rela-
tions industrielles à l’Uni-
versité de Montréal, Mme
Evelyne Lapierre-Adamcyk
de la même université, pro-
fesseur de démographie, un
professeir de sociologie de
l’Université Concordia, M.
Hubert Guindon, de même
qu’une des grandes vedet-
tes canadiennes, M. Hans
Selye, l’inventeur de la no-
tion de stress.
Les thèmes
Trois grands thèmes:
les relations humaines, le
travail et la famille. Les
relations humaines, privi-
légiées, font l’objet de deux
ateliers, le premier, celui
d’hier soir, et le dernier,
celui de dimanche matin.
Le clou du colloque
sera sans doute la clôtu-
re, qui sera faite par le
premier ministre Bouras-
sa, chef du Parti libéral.
Entretemps, une mi-
ni-librairie a pris place en
ce lieu de réflexion. On
peut y acheter notamment
les ouvrages publiés par
les participants au collo-
que. De même que ceux
de Toffler, bien sûr. Mais
aussi de René Dumont. On
y trouve aussi Carl Bate.
Et des Québécois comme
le docteur Lazure, auteur
d’un ouvrage sur la jeunes-
se québécoise. Si Marx, Lé-
nine et autres papes n’y
sont pas, ce n’est certai-
nement pas le fait de la
censure: la littérature ne
fait décidément pas très
peur, au moins ici.
Ce colloque est le
troisième organisé par le
Parti libéral: en 1968, à
Montmorency, et en 1973,
à Mont-Orford. Ces deux
colloques ont accordé beau-
coup de publicité au parti,
mais peu de retombées
concrètes. On peut donc
s’interroger sur les len-
demains de ce festival de
la futurologie, science re-
lativement nouvelle qui
tient en horreur les « idéo-
logies ». Il faut dire que le
lieu s’y prête peu…