Memorandum pour M.R.G.Robertson- « Souverainete culturelle »
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CONFIDENTIEL
le 14 août 1975
MEMORANDUM POUR M. R.G. ROBERTSON
« Souveraineté culturelle »
Le Devoir, dans un article publié mardi le 12
août 1975 et signé Gérald LeBlanc, prétend que M. Bourassa,
par l’entremise de son « ami intime et fidèle collaborateur »,
Mr. Fernand Lalonde, Solliciteur général, définira la
souveraineté culturelle jeudi le 14 août à l’occasion de la
Biennale de la francophonie canadienne à Chicoutimi.
M. LeBlanc prononcera un « important et substantiel discours »
d’environ 35 minutes. Claude Brouillard a déjà commandé
un exemplaire du texte qui devrait nous parvenir en fin
de semaine.
D’après M. LeBlanc, le discours sera axé sur des
documents préparatoires d’au moins quatre ministères:
Education, Communications, Affaires culturelles et Immigration.
Toujours d’après M. LeBlanc, si M. Lalonde fait
siens ces documents, on devrait retrouver les éléments suivants:
1. Définition de souveraineté culturelle: « La maîtrise et
la responsabilité ultimes en tout ce qui touche à
l’épanouissement et l’évolution de notre identité collec-
tive. » « Culture » sera définie dans un sens moderne
élargi. (Si c’est le cas, je soupçonne que la « définition »
sera plutôt une déclaration de principe, mais qu’on ne
définira pas avec trop de précision les conséquences
pratiques.)
2. Francophonie canadienne: Le Québec reconnait un principe
de « complémentarité et de coordination » des actions de
son gouvernement avec celles des autres gouvernements
intéressées, mais avec responsabilité première sur son
propre territoire. En principe, M. Lalonde devrait
dénoncé le cadre de multiculturalisme dans lequel le
gouvernement fédéral a décidé d’insérer son appui
aux minorités francophones des provinces anglaises.
3. Les maîtres-outils: « Langue, immigration et communica-
tions, telles sont trois des clés indispensables au
Québec pour qu’il puisse exercer sa souveraineté
culturelle ».
Je vous enverrai une analyse du texte dès
réception de celui-ci. Il est intéressant à noter que le
discours sera présenté lors de la Biennale de la francophonie
canadienne.
J.R. Hurley
LE DEVOIR, Mardi le 12 août 1975
Bourassa profitera de la
Biennale pour définir la
notion de souveraineté
culturelle
par Gérald LeBIanc
QUÉBEC — Sollicité de toutes parts, y
compris les militants et même certains
ministres de son parti. M. Robert Bou-
rassa prolitera de la biennale de la fran-
cophonie canadienne, à Chicoutimi pour
amorcer un début de définition de son fa-
meux slogan de la « souveraineté culturel-
le ».
C’est le nouveau Solliciteur général du
Quebec, M. Fernand Lalonde, qui repré-
senterale gouvernement à cette manifes-
tation pan-canadienne de la francophonie,
à Chicoutiml jusqu’au 17 août.
D’après les proches collaborateurs de
M. Lalonde, le ministre y prononcera un
« important et substantiel discours » d’en-
viron 35 minutes, jeudi après-midi. Dans
le mot de bienvenue qu’il renoncera au-
jourd’hui, M. Denis Hardy, récemment
muté des Affaires culturelles au Commu-
nications, pourrait donner une certaine
indication de la teneur du discours de M.
Lalonde.
On ne sait pas encore ce que M. La-
londe et ses conseillers politiques, notam-
ment Me Sylvie Boivin, son aviseur juridi-
que pour l’application de la loi 22, re-
tiendront des ébauches fournies par les
hauts fonctionnaires des divers ministères
impliqués dans la souveraineté culturelle.
Au moins quatre ministères (Educa-
tion, Communications, Affaires culturel-
les et Immigration) ont en effet présenté
des documents préparatoires à la redac-
tion de ce discours. Fondus en un seul
texte, au ministère des Affaires inter-
gouvernementales semble-t-il, ces docu-
ments ont été fondus en un rojet de dis-
cours sur la souveraineté culturelle et sur
le rôle du Québec dans la francophonie
canadienne.
Ami intime et fidèle collaborateur du
premier ministre, M. Lalonde ne pronon-
cera ce discours que si M. Bourassa le
veut bien, et dans les termes qu’il aura
choisis, pour ne pas nuire aux futures né-
gociations avec le fédéral dans le domaine
culturel.
La récente déconfiture de M. L’Allier
en matière de communications, et la dé-
nonciation du concept meme dela souve-
raineté culturelle ar les tenors du
« french power » à Ottawa, notamment M,
Gérard Pelletier, présage en effet une vie
plutôt mouvementée pour ce slogan in-
venté par M. Bourassa pour couper
l’herbe sous le pied au Parti québécois.
Après le fédéralisme rentable, c’est
maintenant la « souveraineté culturelle et
le fédéralisme » économique dans un
marché commun canadien que propose
M. Robert Bourassa pour le Québec, en se
gardant bien de définir l’un ou l’autre de
ces termes empruntés directement au
programme du Parti québécois.
Devant les appels repétés de l’opposi-
tion, des éditorialistes, des ministres
fédéraux, des jeunes militants libéraux,
du président du Parti et d’un ministre
du gouvernement Bourassa, le premier
ministre du Québec semble maintenant
décidé à préciser le contenu de cette
formule magique de la « souveraineté
culturelle ».
Si M. Lalonde fait siens les documents
émanant des ministères, la souveraineté
culturelle sera définie dans les termes sui-
vants: « La maîtrise et la responsabilité
ultimes en tout ce qui touche épanouis-
sement et révolution de noire identité
collective. »
Toujours d’après ces documents, cette
identité collective des Québécois et des
Canadiens-français, le Québec en revendi-
que la responsabilité première sur son
territoire d’abord et même sur l’en-
semble du pays.
Concernant l’ensemble de la fran-
cophonie canadienne, le Québec recon-
nait un principe de « complémentarité et
de coordination » des actions de son gou-
vernement avec celles des autres gouver-
nements intéressés. Sur son territoire, le
gouvernement du Québec réclame la res-
ponsabilité première. C’est cela la souve-
raineté.
Quant à la culture, on aimerait la défi-
nir dans un sens moderne élargi, englo-
bant non seulement l’ensemble des ma-
nifestations de la vie du peuple québécois
mais également les structures sous-
jacentes.
On, propose à M. Lalonde d’affir-
mer qu’une telle identité ou personnalité
culturelle du « peuple québécois et de
l’ensemble de la francophonie canadien-
ne » existe et qu’il faut le reconnaître sans
plus, surtout sans la soumettre à un débat
juridique.
Fidele à la position du gouvernement
actuel, une telle souveraineté culturelle
est definie comme compatible avec la
constitution et l’unité canadiennes.
Une telle souveraineté culturelle n’e-
xige pas la rupture du pacte confédératif,
toujours selon les documents ministé-
riels, mais uniquement la possibilité our
le Québec de refuser les éléments étran-
gers à sa personnalité, la possibilité de
déterminer le contenu de sa « carte d’i-
dentité ».
S’ajustant à la conjoncture, les docu-
ments mentionnent comme outils néces-
saires à l’obtention de cette souveraineté,
une politique de la langue, le contrôle des
communications et de l’immigration.
« Langue, immigration et communica-
tions, telles sont trois des clés indispen-
sables au Québec pour qu’il puisse exer-
cer sa souveraineté culturelle; trois
maitres-outils nécessaires pour construire
un Québec capable d’orienter son avenir
et d’agir sur son environnement social et
culturel, pour construire un Québec assez
fort, pour insuffier au reste de la fran-
cophonie canadienne l’énergie et l’élan
qui lui permettront d’amorcer son
propre développement », affirme un des
documents préparatoires au discours de
M. Lalonde.
Selon ces documents, M. Lalonde pour-
rait également dénoncer le cadre de mul-
ticulturalisme dans lequel le gouverne-
ment fédéral a décidé insérer son appui
aux minorités francophones des provin-
ces anglaises.
Toutes ces belles idées et toutes ces
ébauches ne rejoindront les quelque 1,500
participants de la Biennale que dans la
mesure où M. Lalonde les aura intégrées
au discours qu’il y prononcera jeudi.
Il est cependant intéressant de sou-
ligner le soin mis a la préparation de ce
texte et la conscience nouvelle du gouver-
nement de la nécessité de définir le slo-
gan central du parti, au risque de le voir
se retourner contre son auteur, M. Ro-
bert Bourassa.
LE DEVOIR, le vendredi le 15 août 1975
La « souveraineté » laissera le
fédéralisme intact
par Lise Bissonnette
CHICOUTIMI — Bien sûr ce n’est pas
à l’indépendance que songe M. Bourassa
quand il parle de « souveraineté culturel-
le ».Mais, plus précisément, comme on
l a enfin appris, hier, dans la nef de
l . Anse Saint-Jean, au Sague-
nay. Il s’agit « d’interdépendance ». La
souveraineté ne serait pas une notion « ab-
solue » et c’est en faisant la preuve de la
souplesse du système politique canadien
que le gouvernement du Québec pense at-
teindre « la responsabilité ultime des déci-
sions majeures touchant l’affirmation de
notre identité collective. »
Tel semblant être les termes de la défi-
nition que tous attendaient et que le
porte-parople du premier ministre, M. Fer-
nand Lalonde, responsable du dossier de
la langue, est venu livrer, hier, comme
convenu, au biennalistes de la francopho-
nie canadienne. Tendu et certes agacé par
le début de chahut qui accueillit son
entrée en matière, le nouveau solliciteur
general a cependant refusé de reconnaitre
qu’il donnait ainsi « une réponse claire à
M. L’Allier ».
« Ce n’est rien d’autre qu’une élabora-
tion de définitions déjà fournies par M.
Bourassa, devait-il déclarer par la suite,
une explication des politiques du Qué-
bec à l’égard de la francophonie canadien-
ne ».
N’empêche que devant les biennalistes
de la francophonie, M. Lalonde a bel et
bien défini et la souveraineté et la cul-
ture, tout en faisant sa claire profession
de foi à l’égard du fédéralisme canadien
ou le Québec se veut le « point d’ancrage
majeur du fait français ».
Concrètement, le Québec n’entend pas
réclamer de changements constitution-
nels, dit M. Lalonde, mais continuer à tra-
vailler les mêmes dossiers langue, com-
munication, immigration, la où ils en
sont rendus.
Ce n’est donc pas demain qu’on appo-
sera une plaque commémorative à la
façade de la petite église de l’Anse,
proprette mais desacralisée par ses
bruyants envahisseurs, qui aurait bien
mérité par sa beauté très saguenéenne de
passer a l’histoire. Le president de
l’ACELF a bien tenté de presenter M. La-
londe un peu comme le grand réparateur,
en ces lieux benis, de la déportation des
acadiens commencée autrefois à l’église
de Grandpré, mais le charme était
rompu, les micros obstinément mauvais et
le principal intéressé, moins solennel que
pressé d’en finir, après avoir subi quel-
ques huées.
Si on compare le texte lu hier par M.
Lalonde à celui dont LE DEVOIR a déjà
publié des extraits, mardi dernier, on
trouve une version expurgée de certains
éléments un peu explosifs. La notion de
souveraineté y est redéfinie de façon
beaucoup moins radicale que dans le
texte initial, les références au fédéral sont
arrondies et parfois supprimées, les ac-
cents autonomistes adoucis. Chose cu-
rieuse, on a fait disparaitre la précision
suivante: « Disons enfin que ce n’est pas
un slogan vide de sens, confus, ou indéfi-
nissable. »
Au cours d’une brève conférence de
presse suivant son allocution, M. Lalonde
a cependant nié avoir jamais vu ce pre-
mier texte qui presque en totalité était le
sien hier, et a donc refusé de commenter
les coupures, ajouts et transformations
qu’on y avait apportés. « Et je fais moi-
même mes discours », a-t-il précisé.
La définition de la souveraineté cultu-
relle qui, la semaine dernière, a failli être
« la maitrise et la responsabilité ultime en
tout ce qui touche l’épanouissement et
l’évolution de notre identité collective »
est donc devenue plus modestement « la
nécessité d’une responsabilité ultime »
touchant l’affirmation de notre identité
collective ».
Et parmi les principes sur lesquels se
fonde la politique du Québec à l’égard de
la francophonie canadienne, celui de la
« responsabilité première du Québec »
est disparue.
Par contre, la notion de souveraineté a
fait l’objet de soins tout particuliers. Au
début, elle ne faisait pas de problèmes, et
se définissait d’elle-même. Maintenant,
même si on reconnait qu’elle réfère au
pouvoir de décision ultime d’une ques-
tion » on invite à penser que la souverai-
neté des Etats « n’est pas une notion im-
muable » et qu’elle se transforme « pour
faire place aux exigences d’ouverture, de
coopération et de collaboration qui carac-
térisent notre époque ».
Et la souveraineté culturelle du Québec
« s’inscrit donc dans cette évolution des
choses ».
« Nous ne sommes plus au temps de
Louis XIV, de déclarer plus tard M. La-
londe, et la souveraineté est désormais
nécessairement limitée par un certain
nombre d’intérêts, par exemple ceux du
marché et des échanges commerciaux.
Elle a subi une dilution. »
Quant au mot culture, c’est « cet en-
semble complexe et organisé de caractè-
res qui (…) rassemble étroitement les
membres d’une collectivité en un groupe
solidaire et distinctif ».
Et le groupe qui possède cette « person-
nalite culturelle « comprend non seule-
ment le peuple québécois mais l’an-
semble des francophones canadiens.
Le Québec n’exige pas d’être le premier
définisseur de politique en matière de
francophonie, comme il semblait tenter
de le faire dans le « brouillon » du texte de
M. Lalonde. Sur son territoire, il veut évi-
demment exercer sa responsabilité ultime
en matière de culture « qui est prélable
et au-dessus de toute discussions politi-
que ».
Mais à l’égard des autres provinces, il
souhaite tout simplement « la complé-
mentarité, la coordination, et l’intégra-
tion des actions du Québec avec celles des
autres instances intéressées » et la recon-
naissance de son rôle de « point d’appui
du fait français au Canada ».
Du gouvernement fédéral, le Québec
espère, cependant, qu’il aura le bon sens
de le consulter avant d’établir le contenu
de ses interventions à l’égard de la culture
française dans les autres provinces.
Mais que fera donc le gouvernement du
Québec pour assurer la souveraineté cul-
turelle sur son propre territoire? Rien de
plus ni de moins que ce qu’il fait déjà, ré-
pond M. Lalonde, en mentionnant les
trois dossiers déjà connus: langue, im-
migration, communication.
En matière de langue la loi sur la lan-
gue officielle tient lieu d’instrument « ca-
pable d’assurer l’avenir de la langue et la
gestion des institutions ».
M. Lalonde se réjouit du refus de M.
Trudeau de désavouer la Loi 22, à la de-
mande récente des Commissions scolaires
protestantes du Québec. Il y voit la
preuve que ce que le Québec a fait « était
conforme à ses attributions ».
Pour rassurer les francophones de l’ex-
térieur du Québec, qui pourraient
craindre d’avoir à payer chez eux les ac-
tions linguistiques du gouvernement du
Québec. M. Lalonde a ce mot: « Bâtir un
Etat français au Québec, c’est faire la
preuve de la souplesse du système politi-
que canadien. »
Au ministère de l’Immigration, M.
Bienvenue serait en voie de réussir à né-
gocier avec son collègue du fédéral la
mise au point « d’une politique volonta-
riste et sélective » que les agents d’im-
migration à l’étranger seront incités à res-
pecter.
Quand au dossier des communications,
« cet échec », selon le solliciteur général, il
fait l’objet de quelques lignes, au passe
sur les actions du gouvernement du Qué-
bec, et d’une inquiétude, au présent sur
ce problème qui « compromet gravement
et chaque jour davantage notre bataille
trois fois séculaire, en vue et de survivre
et de nous développer sur ce continent ».
Même si l’intervention de M. Lalonde
s’est gardée de toute impolitesse à l’égard
du gouvernement central, celui-ci a tout
de même reconnu, devant la presse, que
Québec ne trouve pas « désirable » l’inter-
vention croissante du fédéral dans le do-
maine de l’éducation apparente dans un
récent document du Secrétariat d’Etat à
Ottawa.
Mais il s’est refusé de commenter plus
avant « n’étant ni le ministre de l’Educa-
tion ni celui des Affaires intergouverne-
mentales » et n’étant venu à la Biennale
que pour traiter « de la francophonie et de
la souveraineté culturelle ».
Les biennalistes ont donc pu retourner
à Chicoutimi, après leur excursion à une
cinquantaine de milles au sud, enfin sou-
lagés par la fin d’un suspense « inter-
québécois » qui les laissaient pour la plu-
part assez froids, comme plusieurs
d’entre eux le soulignaient depuis l’ouver-
ture de cette vaste manifestation pan-
canadienne à Chicoutimi, mardi dernier.
Ils s’amusent d’ailleurs beaucoup au
Royaume du Saguenay. La population de
l’Anse Saint-Jean, non contente de leur
prêter son église au risque de donner au
Québec sa bataille d’Hernani, les a reçus
en sa polyvalente où les artisans du coin
exposaient leurs oeuvres. On a pique-
niqué sous un ciel un peu chagrin, sans
doute terrorisé par les passages en rase-
notte des réactes de la base militaire de
Bagotville qui, qu’on le croise ou non, se
déployaient dans l’intention expresse d’é-
pater la francophonie.
Mais le chien du quai, un vrai gardien
placide et accordé au rythme dolent du
village, a attendu vainement La Marjo-
laine, le bateau qui devait débarquer une
certaine de biennalistes. La Marjolaine a
perdu son permis d’opérer, mercredi,
faute de répondre aux normes de sécurité
et sans doute par crainte de voir sombrer
une partie de la francophonie canadienne
dans les eaux violentes du Saguenay.