Lettre de Louis Duclos, dép. au Premier Ministre [Pierre Trudeau] re art. 23 (17 novembre 1981)
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Date: 1981-11-17
Par: Louis Duclos
Citation: Lettre de Louis Duclos au Premier Ministre Pierre Trudeau (17 novembre 1981).
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Ottawa, le 17 novembre 1981.
K1A OA6
Le Très Honorable Pierre E. Trudeau,
Premier Ministre du Canada,
Ottawa.
Monsieur le Premier Ministre,
Dans la foulée de l’accord en matière constitutionnelle que vous avez conclu le 5 novembre dernier avec les Premiers Ministres des neuf (9) provinces anglophones de notre pays, je me permets de vous soumettre respectueusement quelques propositions qui pourraient conduire à un compromis honorable avec le gouvernement du Québec ou à tout le moins nous gagner l’appui d’une majorité substantielle de Québécois.
A mon avis, le gouvernement du Québec était complètement justifié de rejeter cet, accord en raison des garanties insuffisantes que lui offre la version modifiée de la formule d’amendement dite de Vancouver et des contraintes que l’article 23 du projet de résolution impose à son pouvoir constitutionnel de légiférer dans le domaine de l’éducation. Quant à la liberté de circulation et d’établissement partout au pays à laquelle s’oppose le Québec, il me semble qu’il s’agit là d’une objection qui n’est pas sérieusement fondée.
D’ailleurs, si vous deviez proposer au Québec des accommodements raisonnables au chapitre de la formule d’amendement et de l’article 23 sur les droits a
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l’instruction dans la langue de la minorité, le gouvernement du Parti Québécois n’aurait d’autre choix que de se rallier au reste du Canada ou de faire ouvertement la démonstration de sa mauvaise foi en maintenant sa dissidence pour des raisons tenant davantage de ses velléités séparatistes que de la défense des intérêts légitimes du Québec. Il est en effet paradoxal, pour dire le moins, qu’il y ait présentement plus d’obstacles à la mobilité des travailleurs d’une province canadienne a l’autre que ce n’est le cas sur le territoire de la Communauté économique européenne ou les travailleurs se déplacent librement d’un état souverain a l’autre. Si le contentieux Québec-Ottawa ne devait plus porter que sur cette seule question, je suis convaincu, monsieur le Premier Ministre, que la majorité des Québécois appuierait la position fédérale.
Ceci dit, voyons donc ce qu’il y aurait lieu de faire relativement à la formule d’amendement et a l’article 23:
La formule d’amendement
En vertu de la formule d’amendement qui a fait l’objet de l’accord du 5 novembre, le Québec ne possède plus qu’un droit de veto bien théorique puisque, en l’absence de compensation financière garantie dans la constitution, il aura continuellement à choisir entre le respect de ses champs de compétence et le portefeuille de ses contribuables. Chaque fois qu’il se prévaudra de son droit à « l’opting out » pour empêcher une intrusion du gouvernement fédéral dans un domaine relevant de sa juridiction en vertu de la constitution, le Québec risquera en effet de pénaliser financièrement ses contribuables. Non seulement ceux-ci ne bénéficieront pas de tout programme fédéral pouvant résulter d’un amendement constitutionnel que le Québec aurait refusé, mais encore ils devront quand même contribuer de leurs impôts,
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au même titre que les autres Canadiens, a son financement au seul profit des résidents des autres provinces. Et rien n’obligera en droit le gouvernement fédéral à verser à leur gouvernement l’équivalent de ce qu’il aurait dû dépenser au Québec si son nouveau programme y avait été en vigueur.
Quelle formule d’amendement pourrait à la fois accorder un véritable droit de veto au Québec et répondre adéquatement aux objections que certaines provinces avaient à l’égard de la formule de Victoria, et ce sans qu’il soit question de compensation financière? Pour répondre à cette question, il s’agit de s’inspirer en grande partie de l’article 43 du projet de résolution qui prévoit à quelles conditions les provinces auraient pu présenter une proposition de formule d’amendement de remplacement qui aurait été opposée a celle du gouvernement fédéral (présumément la formule de Victoria) dans un referendum national en cas d’impasse entre les gouvernements à ce sujet. En somme, un amendement à notre constitution devrait nécessiter l’approbation du Parlement fédéral et d’au moins sept provinces totalisant au mains 80% de la population du Canada au dernier recensement décennal. En outre, cette formule devrait être assortie d’un droit à « l’opting out » sans compensation financière.
Que permettrait en fait une telle formule?
1) elle confèrerait un droit de veto au Québec et a l’Ontario comme le prévoyait d’ailleurs la formule d’amendement préférée du gouvernement fédéral, soit celle de Victoria.
2) elle accorderait un droit de retrait a ces provinces, singulièrement celles de l’Ouest, qui craignaient en vertu de la formule d’amendement de Victoria de se faire imposer des changements constitutionnels néfastes
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à leurs intérêts, plus particulièrement en matière de ressources naturelles.
3) elle rendrait non pertinente la demande de compensation financière du Québec puisqu’il récupèrerait le droit de veto qui lui était garanti par la formule d’amendement de Victoria.
Une telle formule pourrait, il me semble, obtenir l’assentiment de toutes les parties concernées puisqu’ elle donnerait au Québec et à l’Ontario un droit de veto et aux autres provinces la possibilité de recourir à « l’opting out » pour se soustraire à tout amendement constitutionnel juge inacceptable. Quant au gouvernement fédéral, il n’aurait aucune raison sérieuse de s’y opposer puis que d’une part elle ne comporte aucune prime financière a la dissidence et que d’autre part elle ne contient rien qu’on ne retrouve déjà dans la formule de Victoria ou dans la formule agréée dans l’accord des Dix.
Monsieur le Premier Ministre, il n’est pas suffisant d’imputer au gouvernement du Parti Québécois la perte par le Québec de son droit de veto et de s’en laver ensuite les mains. Je crois que les Québécois œuvrant sur la scène fédérale ont la responsabilité de corriger cette erreur de parcours dont tous leurs compatriotes risquent de faire les frais. C’est précisément à cette fin que je vous transmets cette proposition que je vous demande instamment d’examiner avec grand soin.
L’article 23
Dans le cours des négociations devant conduire à l’accord des Dix, vous avez accepté, a contrecœur je présume, de limiter considérablement la portée de la charte des droits et libertés par l’inclusion d’une clause « nonobstant » s’appliquant aux dispositions de celle-ci ayant trait aux libertées fondamentales, aux garanties juridiques et aux droits à l’égalité en vue de rassurer certaines provinces anglophones et d’obtenir ainsi leur approbation.
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En faisant une telle concession, vous avez soustrait à la suprématie des tribunaux des libertés aussi fondamentales que la liberté de conscience et de religion, de même que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Ce sont pourtant là des droits et libertés qui constituent les fondements mêmes de toute société démocratique et qu’on retrouve généralement au cœur des diverses chartes des droits et libertés que de nombreux pays se sont données.
Ceci dit, il me semble qu’il serait tout à fait naturel que les droits linguistiques qui de toute évidence ne sous-tendent pas notre régime démocratique au même titre que les autres droits fondamentaux soient également assujettis à la clause dérogatoire. Sinon, on pourrait croire que les droits linguistiques, entièrement soumis à la suprématie des tribunaux revêtent dans notre pays plus d’importance que les libertés fondamentales, les garanties juridiques et les droits à l’égalité qui peuvent échapper à cette suprématie en raison de la clause « nonobstant » dont ils sont l’objet.
Si vous deviez accepter d’étendre la clause dérogatoire a l’article 23 de la charte, il faudrait qu’en retour le gouvernement du Québec s’engage à amender prochainement la loi 101 en substituant la clause Canada a la clause Québec. Un tel compromis mettrait les droits linguistiques sur le même pied que les autres droits fondamentaux, réaffirmerait la compétence exclusive du Québec en matière d’éducation et rassurerait la minorité anglophone du Québec. Il s’agit-là, monsieur le Premier Ministre, d’un compromis honorable que le gouvernement du Québec ne saurait rejeter sans s’exposer à perdre toute crédibilité aux yeux de l’opinion publique québécoise.
Par ailleurs, une autre voie s’offre en vue d’une solution aux difficultés que l’article 23 cause au Québec et vous l’avez vous-même ouverte dans votre
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discours de samedi dernier a Québec lorsque vous avez proposé d’amender l’article 23 en y incorporant uniquement la clause Canada. Monsieur le Premier Ministre, je serais dispose à accepter cette contrainte au pouvoir de légiférer de l’Assemblée nationale du Québec en matière d’éducation si l’article 23 était par ailleurs plus spécifique quant aux droits des minorités francophones. En d’autres mots, si les chefs des gouvernements provinciaux sont vraiment sérieux et sincères quand ils préconisent la reconnaissance de droits égaux pour les anglophones du Québec et les francophones d’ailleurs au Canada, il me semble qu’il serait raisonnable que les droits scolaires traditionnellement reconnus à la minorité anglophone du Québec constituent la nonne pour la définition des droits scolaires des minorités francophones hors Québec. C’est dans cette perspective que je vous suggère le libelle suivant de l’article 23:
1) Les citoyens canadiens qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province ou la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont dans l’un ou l’autre cas le droit d’y faire instruire leurs enfants aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.
2) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par le paragraphe 1) de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province s’exerce, dans des limites qui soient raisonnables, conformément aux conditions dans lesquelles la minorité de langue officielle a traditionnellement pu exercer un tel droit au Québec.
Monsieur le Premier Ministre, je désire en fait que cette question soit examinée en termes de couts I bénéfices pour les francophones de ce pays. Comme le remplacement de la clause Québec par la clause Canada
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dans la loi 101 représenterai un certain cout pour les francophones du Québec, il ne serait que normal qu’en contrepartie les minorités francophones en retirent certains bénéfices.
Il est, en effet, évident que l’article 23, tel que rédige présentement, n’offre pas de garanties constitutionnelles suffisamment précises pour rassurer les francophones hors Québec. Ceux-ci ont d’autant plus raison d’être inquiets qu’au lendemain de l’accord des Dix le Premier Ministre Bennett de la Colombie-Britannique donnait l’interprétation suivante a l’article 23: « Ce que nous faisons déjà a été constitutionnalise », disait-il. Or, que fait-on déjà en Colombie-Britannique si ce n’est que de permettre des classes en français dans des écoles élémentaires anglophones!
Monsieur le Premier Ministre, je souhaite ardemment pouvoir appuyer votre résolution et je formule le voeu que les changements que j’y retrouverai au moment du vote final en Chambre me permettront de le faire. Puis-je vous souligner que je ne me fais aucune illusion quant aux possibilités d’entente avec le gouvernement du Québec. Sans mettre en doute la bonne foi du Premier Ministre Levesque et de ses principaux lieutenants, je serais étonné que leurs militants leur pernettes de conclure un accord avec vous, et ce même si vous deviez accepter mes propositions. Aussi si j’en arrive à la conclusion que votre résolution représente un compromis honorable pour la majorité des Québécois, il va sans dire que je l’appuierai avec plaisir, que le gouvernement du Québec soit d’accord ou pas. Monsieur le Premier Ministre, je vous de me permettre de vous étonner!
Veuillez recevoir, monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Le députe de Montmorency-Orleans
LOUIS DUCLOS
c.c.: Caucus du Québec
M. Jean-Robert Gauthier