Note pour Monsieur Robertson- Repatriement de la Constitution Votre appel a Julien Chouinard
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CONFIDENTIEL
le 22 avril 1975
NOTE POUR MONSIEUR ROBERTSON
c.c. M. Carter
Rapatriement de la Constitution
Votre appel à Julien Chouinard
Au cours de ma brève conversation ce matin
avec Julien, au sujet d’un fonctionnaire dont il est
question dans une note séparée, j’ai pensé m’enquérir
de sa disponibilité cette semaine en prévision de
votre appel une fois que le Premier ministre aura
signé la lettre à M. Bourassa. Julien attend votre
appel. Il m’a avoué qu’il ne se sentait pas prêt en
ce moment d’aborder la question du rapatriement. Je
n’ai pas élaboré sur le but et la nature de votre appel
mais il m’a paru heureux d’en être indirectement informé
à l’avance.
J’ai pu, depuis notre rencontre de ce matin,
prendre connaissance de la version intégrale du discours
de M. Bourassa au dîner-bénéfice du P.L.Q., au Reine-
Elizabeth, le 20 avril. Vous trouverez, à l’annexe « A »,
les extraits se rapportant à la question du rapatriement.
Le passage suivant est particulièrement
important:
« Si dans ces deux domaines (communications
et immigration) le Québec obtient des
pouvoirs additionnels ou des garanties
constitutionnelles qui lui donnent la
pleine sécurité pour le développement de
sa culture, le fédéralisme aux yeux des
Québécois sera renforcé. »
Il ajoute au paragraphe suivant:
« Les Québécois ne sont pas opposés en
principe au rapatriement de la Constitution
au Canada. Cependant, comme nous avons une
situation culturelle tout à fait particulière,
… il est normal que nous exigions des
garanties constitutionnelles pour la protection
de notre culture. »
C’est donc dire que M. Bourassa n’entend pas
poser comme condition sine qua non l’obtention de
pouvoirs additionnels, ce qui dans l’état actuel des
choses est politiquement impensable. De quel ordre
seront les garanties constitutionnelles? Voilà bien
la question fondamentale à élucider lors de votre
rencontre avec lui. Le débat, au Québec gravite
depuis ces dernières années autour du thème de la
« souveraineté culturelle ». Il nous faudra dans les
prochains jours, du moins avant votre visite à Québec,
revoir ce dossier sous tous ses aspects.
Le récent discours inaugural de la 3e session
(18 mars 1975) vient jeter un peu de lumière sur les
intentions du gouvernement québécois dans le domaine
culturel. Vous trouverez, à l’annexe « B », des extraits
pertinents.
Pierre Gravelle
Annexe « A »
Extraits du discours de M. Bourassa
au dîner-bénéfice, à l’hôtel Reine-Elizabeth
le 20 avril 1975
… La direction de l‘Etat québécois exige
que l’on soit bien conscient de notre réalité histori-
que. Nous avons ce problème culturel particulier:
une population de quelques millions de francophones,
moins d’un quarantième de la population nord-américaine,
où il nous faut concilier des intérêts qui souvent
vont en direction opposée, alors qu’il faut bien admettre
qu’il y a un déclin des francophones dans la proportion
canadienne. Il est donc normal que le seul gouvernement
francophone en Amérique du Nord voit a ce que les
principaux centres de décision en matière de culture
reviennent à l’Etat québécois.
Par ailleurs, sur le plan économique, nous
avons tout avantage à collaborer étroitement avec le
régime fédéral qui nous vaut des bénéfices économiques
irremplaçables…
Nous avions parlé en 1970 de fédéralisme
rentable. On voit les résultats. L’an prochain
$1,300,000,000 sous forme de paiements inconditionnels
en péréquation. Dans le domaine du pétrole nous avons
reçu $1 milliard depuis un an; même si nous n’avons pas
de pétrole au Québec, pas de gaz, pas d’oléoduc, nous
recevons du reste du Canada $1 milliard pour protéger
nos consommateurs et nos industries. Ce sont la des
résultats concrets! Seulement avec ces deux item-là
vous avez $2 milliards. Dans son prochain budget, le
budget de l’An 3, le Parti Québécois part avec un déficit
de $2 milliards. Il va être encore obligé de taxer l’aide
sociale, comme dans le dernier, pour pouvoir balancer!…
… There was an explanation of Bill 22. Why,
what were the reasons why we have decided to adopt that
law. It is obvious that in a rational discussion it can
be understood very quickly. When we see our situation
now, when we see the declining proportion of French
Canadians within Canada, when we see the growth of
communications, when we see that we have now a very low
birth rate, when we see that we are a small people of a
few million on the North American continent where there
are more than 200 million people, it is logical, it is
justified and it is normal for the leader of the government
and for that government, which is the only French-speaking
government in North America, it is totally justified to
take some action to protect the cultural security of that
people. We did that with Bill 22…
Dans l’optique de la souveraineté culturelle,
c’était une étape fondamentale. Il nous faut poursuivre
cet objectif dans le domaine des communications et dans
le domaine de l’immigration.
Si dans ces deux domaines le Québec obtient
des pouvoirs additionnels ou des garanties constitutionnelles
qui lui donnent la pleine sécurité pour le developpement
de sa culture, le fédéralisme aux yeux des Québécois sera
renforcé.
Cet aspect, parmi d’autres, est particulièrement
important dans la question du rapatriement de la
Constitution. Les Québécois ne sont pas opposés en
principe au rapatriement de la Constitution au Canada.
Cependant, comme nous avons une situation culturelle tout
à fait particulière, surtout avec l’évolution dont je
parlais tantôt, il est normal que nous exigions des
garanties constitutionnelles pour la protection de notre
culture. Nous avons actuellement à Ottawa un groupe
francophone très fort qui contribue avec toutes les
régions du Canada et avec le Québec en particulier à
promouvoir la culture française. Nous n’avons pas de
garantie que dans 10, 15 ou 20 ans, alors que notre
proportion décline au sein du Canada, nous aurons encore
une représentation francophone aussi forte que celle que
nous avons depuis que M. Pearson a pris le pouvoir il y
a une dizaine d’années, avec près d’un tiers des ministres
qui sont francophones.
Nous n’avons pas de garantie qu’en 1980 ou
1985 nous aurons la même proportion de ministres franco-
phones. Il est donc normal dans le domaine culturel
que nous travaillions à la protection de notre culture
avec des garanties constitutionnelles. Sur le plan
economique il est aussi normal que nous collaborions
étroitement avec le reste du Canada.
Cette souveraineté culturelle dans un
fédéralisme économique, c’est là l’option du Parti
libéral et c’est là le seul choix lorsque l’on veut
concilier les différents objectifs du Québec…
Annexe « B »
Extraits du discours inaugural
de la troisième session — 30ième Législature
le mardi 18 mars 1975
Assemblée nationale
…. Au Québec comme dans l’ensemble de l’Occident,
il est maintenant courant de parler d’une « crise de
civilisation » et d’une remise en question des valeurs
qui ont été le fondement même de notre société…
… Elle est rendue encore plus complexe au
Québec par cette autre dimension de notre vie quotidienne
que constitue notre volonté commune d’être et de
demeurer français sur le continent nord-américain.
… le gouvernement a comme ambition première
celle d’améliorer la qualité de vie des Québécois en
privilégiant la double voie du développement et de la
sécurité culturelle.
L’immense majorité des Québécois est convaincue
que ce développement économique, social et culturel du
Québec ne peut être atteint que dans le cadre du fédéralisme
canadien. Le gouvernement est résolument engagé à
respecter cette volonté clairement exprimée par la
population québécoise…
Avec d’autres gouvernements au pays, le Québec
a déjà identifié les voies dans lesquelles le fédéralisme
canadien devrait s’engager pour mieux répondre aux besoins
du peuple canadien tout en tenant compte des exigences
de notre temps. Ces voies mènent nécessairement à une
plus grande décentralisation, à un meilleur partage des
ressources fiscales et financières, à une clarification
des ordres de compétence et a un renforcement des mécanismes
de coordination des politiques gouvernementales au pays.
Dans cette même perspective, le gouvernement croit que la
révision constitutionnelle, dont la nécessité ne fait pas
de doute, devra reconnaître les aspirations culturelles
des Québécois, que tous les gouvernements du Québec ont
depuis toujours exprimées avec l’entier appui du peuple
du Québec…
Dans le cadre de la souveraineté culturelle,
le gouvernement proposera è cette Assemblée des projets
importants affectant de grands secteurs de la vie culturelle
des Québécois, notamment le cinéma, le livre et les biens
culturels.
Vous serez appelés à adopter une importante
loi-cadre sur le cinéma. Ses objectifs sont: première-
ment, la mise en place de l’infrastructure artistique,
industrielle et commerciale d’un cinéma qui reflète et
développe l’identité culturelle des Québécois; deuxième-
ment, le développement d’un cinéma de qualité et de la
culture cinématographique au Québec; troisièmement,
l’extension de cette culture cinématographique è toutes
les régions du Québec; quatrièmement, la liberté de
création et d’expression et, cinquièmement, le développement
du cinéma pour enfants.
Le gouvernement vous proposera diverses
modifications à la Loi des biens culturels…
Dans le secteur du livre, le gouvernement se
propose de continuer la réforme amorcée en favorisant
l’accessibilité du livre à tous les Québécois…
… vous serez appelés à accorder une attention
particulière à la mise en oeuvre de la Loi sur la langue
officielle et à l’élaboration des politiques et programmes
s’y rapportant.
… Des mesures seront proposées à cette
Assemblée pour doter le Québec d’une politique scientifique
et technique garantissant la mobilisation de toutes les
ressources humaines et financières disponibles en la
matière et fournissant aux scientifiques un cadre juridique
précis et cohérent pour leur permettre d’apporter leur
pleine contribution au progrès de la collectivité…
Le gouvernement entend, par ailleurs, poursuivre
l’élaboration d’une politique dynamique des communications
pour le Québec et amener le gouvernement fédéral à
reconnaître les besoins vitaux de la société québécoise
dans ce domaine particulièrement stratégique de son
développement économique, social et culturel.
Le Gouvernement du Québec a inscrit la question
de l’immigration au chapitre de la souveraineté culturelle,
afin que l’immigration future soit conforme à ses priorités…
L’immigration est cependant un problème qui
dépasse le strict champ culturel. Elle s’inscrit en fait
au coeur de la politique démographique d’une société.
Une intense recherche entreprise a débouché
sur la publication d’un livre blanc sur les ressources
humaines. Ce livre blanc servira de base à une large
consultation populaire dans le cadre d’une commission
parlementaire de cette Assemblée. Vous serez ainsi
appelés à élargir le mandat du ministère de l’Immigration,
le situant dans le cadre plus vaste des ressources
humaines qui relient étroitement les problèmes de
population, de main-d’oeuvre et d’immigration…