Province du Canada, Assemblée Législative [Le Journal de Québec, Discours de Cartier] (7 février 1865)
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Date: 1865-02-07
Par: Province du Canada (Parlement), Journal de Québec
Citation: « Assemblée Législative, » Journal de Québec (10 février 1865).
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ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE
Séance du 7 février, 1865
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est] continue le débat sur la confédération comme suit:—
J’aborde ce sujet avec une certaine défiance, car je sens que, dans ce moment critique, je serai responsable devant mes constituants et devant le pays de tout ce que je vais dire sur cette grave question. Il a été dit que le gouvernement Taché-Macdonald s’était chargé de la solution d’un problème qui n’était pas devant le pays, et qui n’avait pas même été discuté, lorsque ce gouvernement s’est formé. Ceux qui ont fait cette assertion ignoraient l’histoire parlementaire des dernières années. Je référai brièvement à l’histoire de cette grande question en tant qu’elle a été devant le parlement et le pays.
Lorsque le gouvernement Cartier-Macdonald a été formé, après la chute du gouvernement Brown-Dorion, un programme politique a été mis devant le parlement. Parmi les sujets contenus dans le programme du 7 août, 1858, s’en trouvait un conçu en ces termes:
« Le gouvernement s’est cru tenu de donner cours à la loi du pays au sujet du siège du gouvernement, mais, en face du récent vote sur ce sujet, l’administration n’a pas cru devoir faire aucune dépense pour les édifices publics, avant que le parlement ait eu une occasion de considérer la question entière et tout ce qui s’y rapporte; et la convenance d’une Union fédérale des provinces de l’Amérique Britannique du Nord sera sérieusement examinée et l’on communiquera avec le gouvernement impérial et les provinces inférieures sur le sujet; et le résultat de cette communication sera soumis au parlement à sa session subséquent. Le gouvernement, durant la vacance, fera un examen de l’organisation et du fonctionnement des départements publics et y introduira les réformes administratives qui pourront produire l’économie et l’efficacité. »
Comme on le voit, le projet d’une union des provinces se trouve dans le programme du gouvernement Cartier-Macdonald, en 1858. Je cite ce passage simplement pour faire voir que ni le parlement, ni le pays, ne sont pris par surprise, en ce qui concerne ce projet.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Nous avons eu des élections générales, depuis 1858, et prétendre que ce sujet dont il a été question si souvent, est maintenant un sujet nouveau, est affirmer une fausseté. Conformément à cet article du programme, une députation composée des hons. Messieurs Galt, Ross et de moi-même, fut envoyée en Angleterre. Nous avons mis le sujet devant le gouvernement impérial à qui nous avons demandé autorité pour convoquer une assemblée de délégués des différents gouvernements de l’Amérique Britannique du Nord, pour prendre en considération ce sujet et faire un rapport qui devait être communiqué au secrétaire des Colonies. Comme de raison, nous avions besoin d’agir avec la sanction et l’approbation du gouvernement impérial. De toutes les provinces, Terre-Neuve, je crois, est la seule qui ait déclaré qu’elle était prête à nommer des délégués.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Le gouvernement canadien a fait rapport des résultats de sa démarche en Angleterre, à la session subséquente du Parlement.
L’hon. monsieur lit ici une dépêche, datée d’octobre, 1858, qui fut transmise au gouvernement impérial, exposant les difficultés sectionnaires qui s’étaient élevées entre le Haut et le Bas Canada, à l’occasion de la demande d’une augmentation de représentation de la part de ce premier.—J’ai été opposé à ce principe, continue ce Monsieur et je ne regrette pas cette opposition. Si une telle mesure avait été adoptée, quelle en aurait été la conséquence? Il y aurait eu un conflit politique constant entre le Haut et le Bas-Canada, et une section aurait été gouvernée par l’autre. J’ai été accusé d’être opposé aux droits du Haut-Canada, parce que durant 15 à 20 ans, j’ai fait opposition à mon hon. ami, le président du Conseil, (M. Brown,) qui insistait à ce que la représentation fut basée sur la population dans chaque section de la province. Je combattais cette prétention parce que je croyais que ce principe aurait donné lieu à un conflit entre les deux sections de la province. Je ne veux pas dire que la majorité du Haut-Canada aurait exercé une tyrannie sur le Bas-Canada; mais l’idée que le Haut-Canada, comme territoire, avait la prépondérance dans le gouvernement, aurait suffi pour créer ces querelles sectionnaires auxquelles j’ai fait allusion.
En 1858, j’ai vu tout de suite que le principe de la représentation d’après la population qui ne convenait pas comme principe gouvernant, pour les deux provinces, n’aurait pas le même inconvénient si plusieurs provinces s’unissaient par une fédération. Dans une lutte entre deux parties, l’un fort et l’autre faible, le plus faible ne peut qu’être subjugué. Mais s’il y a trois partis, le plus fort n’a pas le même avantage, car quand deux de ces partis voient que le troisième a trop de force, ils s’allient ensemble pour le combattre. (Applaudissements.)
Je ne combattais pas ce principe avec l’intention de refuser justice au Haut-Canada, mais c’était pour empêcher l’injustice vis-à-vis du Bas-Canada.
Je n’entretiens pas la plus légère crainte que les droits du Bas-Canada se trouvent en danger par cette disposition qui règle que dans la législature générale, les Canadiens-Français du Bas Canada auront un nombre de représentants moindre que celui de toutes les autres origines combinées. L’on ne voit pas les résolutions que dans les questions qui seront soumises au parlement général, il ne pourra y avoir de danger pour les droits et privilèges, ni des Canadiens Français, ni des Écossais, ni des Anglais, ni des Irlandais. Les questions de commerce, de communication intercoloniale, et toutes les matières d’un intérêt général seront discutées et déterminées dans la législature générale; mais dans l’exercice des fonctions du gouvernement général, il n’y aura nullement à craindre qu’il soit adopté quelque chose qui puisse nuire aux intérêts de n’importe quelle nationalité.
Je n’ai pas intention d’entrer dans les détails de la question de confédération, mais je veux simplement mettre devant la Chambre les principales raisons qui peuvent induire les membres à accepter les résolutions soumises par le gouvernement. La confédération est, pour ainsi dire, une nécessité pour nous, en ce moment. Nous ne pouvons fermer les yeux sur ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Nous y voyons qu’un gouvernement établi depuis 80 ans seulement, n’a pas pu maintenir unie la famille des états qui faisaient partie de ce vaste pays. Nous ne pouvons-nous dissimuler que la lutte terrible, dont nous suivons avec anxiété les progrès, doit nécessairement influencer notre existence politique. Nous ne savons pas quels seront les résultats de cette grande guerre; si elle finira par l’établissement de deux confédérations, ou bien par une seule, comme auparavant. Nous avons à faire en sorte que cinq colonies, habitées par des hommes dont les intérêts et les sympathies sont les mêmes, forment une seule et grande nation. Pour cela il ne faut que les soumettre à un même gouvernement général. La question se résout comme ceci: il nous faut ou avoir une confédération de l’Amérique Britannique du Nord, ou bien être absorbes par la confédération américaine.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Quelques-uns entretiennent l’opinion qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une telle confédération pour empêcher notre absorption par la république voisine. Mails ils se trompent. Nous savons que l’Angleterre est déterminée à nous aider et à nous appuyer dans toute lutte avec nos voisins. Les provinces anglaises, séparées comme elles sont à présent, ne pourraient pas se défendre seules. Nous avons des devoirs vis-à-vis de l’Angleterre. Pour obtenir son appui pour notre défense, nous devons nous aider nous-mêmes, et nous ne pouvons-nous aider nous-mêmes, et nous ne pouvons obtenir ce but sans une confédération. Quand nous serons unis, l’ennemi saura que s’il attaque quelque partie de ces provinces, soit l’Île du Prince-Édouard, soit le Canada, il aura à rencontrer les forces combinées de l’empire. Le Canada, en demeurant séparé, serait dans une position dangereuse si une guerre se déclarait. Quand nous aurons organisé une bonne force défensive pour notre protection mutuelle, l’Angleterre nous enverra librement ses soldats et nous ouvrira son trésor, pour notre défense. (Applaudissements.)
J’ai déjà dit ailleurs qu’en autant que le territoire, la population et la richesse y étaient concernés, le Canada était supérieur à chacune des autres provinces, mais qu’en même temps il manquait d’un élément nécessaire à sa grandeur nationale,—l’élément maritime. Le commerce du Canada est si étendue, que des communications avec l’Angleterre, pendant toutes les saisons de l’année, lui sont absolument nécessaires. Il y a vingt ans, les mois d’été suffisaient pour les besoins de notre commerce. A présent, ce système serait insuffisant, et pour nos communications durant l’hiver, nous sommes laissés à la merci du caprice de nos voisins sur le territoire desquels nous sommes obligés de passer.
C’est maintenant le temps pour nous de former une grande nation. Je maintiens que la confédération est nécessaire à nos propres intérêts commerciaux, à notre prospérité et à notre défense. C’est ce que nous avons maintenant à discuter; les détails le seront lorsque le projet sera soumis à la confédération. A présent, la question est ceci: « La confédération des provinces de l’Amérique britannique du Nord est-elle nécessaire pour augmenter notre puissance et pour nous assurer la connexion britannique? Je n’ai pas de doute que la mesure soit nécessaire pour atteindre ces objets. Les personnes d’origine britannique qui s’opposent au projet, dans le Bas-Canada, semblent crainte que l’élément anglais soit absorbé par l’élément canadien-français; pendant que les opposants canadiens-français disent qu’ils craignent l’extinction de la nationalité canadienne-française, dans la grande confédération. Le parti annexionniste de Montréal s’oppose au plan, sous le prétexte d’un danger pour les Anglais du Bas-Canada. Son désir est de jeter le Canada dans l’Union Américaine. L’absorption du Canada par l’Union Américaine a déjà été longtemps en contemplation, comme on peut le voir par un article du projet primitif de la constitution américaine, qui fait des dispositions pour la séparation du Canada, de la Grande-Bretagne, et son Union avec les autres états américains.
Les journaux ont donné dernièrement un rapport d’une assemblée de l’« Institut canadien, » ou il fut résolu qu’il était de l’intérêt du Bas-Canada et des Canadiens-Français, que la province fit partie de l’union américaine.
Antoine-Aimé Dorion [Hochelaga]—Ceci n’est pas le cas.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Si des résolutions n’ont pas été passées, des sentiments ont été exprimés en ce sens. Ensuite, l’Ordre, organe de cette institution a déclaré que les intérêts du Bas Canada seraient mieux sauvegardés par une annexion aux États-Unis que par une confédération des provinces. En effet, il n’est pas étonnant que les annexionnistes canadiens-français laissent percer le but qu’ils ont, en s’opposant à la confédération et que leurs collègues d’origine anglaise affectent de craindre que leurs droits soient en danger sous la confédération. Ils savent qu’aussitôt que ce projet sera adopté, personne ne demandera plus à faire partie de l’union américaine.
Des Voix—Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—On s’est beaucoup plaint de ce que les délibérations des délégués aient eu lieu à huis clos. Cela était d’absolue nécessité. Chacun comprendra que si toutes les difficultés qui ont été soulevées entre les délégués, durant la conférence, avaient été mises devant le public, chaque matin, il eut été impossible pour eux de continuer la discussion et d’en venir à des compromis pour toutes les difficultés qui surgissaient. Les délibérations du congrès, en 1782, ont eu lieu à huis clos, et leurs résultats n’ont été publiés qu’après que tout a été réglé. Le secret est une précaution nécessaire pour éviter les malentendus et l’erreur, et comme il y a une grande différence entre des sujets discutés à leurs premières phases et lorsqu’ils ont été convenablement mûris, il n’aurait pas été désirable de les laisser aller devant le public avant qu’ils eussent été modifiés, ou adoptés définitivement par la conférence.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Nous sommes d’opinion que la confédération est nécessaire; cependant, nous sommes prêts à entendre les hons. députés de la gauche qui paraissent devoir s’y opposer.
Je sais que quelques membres de cette Chambre et que nombre de personnes du Haut-Canada et des provinces maritimes sont d’opinion qu’une union législative serait plus avantageuse qu’une union fédérale. Je crois qu’il eut été impossible à un seul gouvernement de s’occuper efficacement des intérêts privés et locaux des diverses sections, ou des diverses provinces.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Nul autre projet n’a été présenté que le système fédéral.
Quelques-uns ont prétendu qu’il était impossible de mettre à effet la confédération, par suite des différences de races et de religions. Ceux qui partagent cette opinion sont dans l’erreur; c’est tout le contraire. C’est précisément par suite de cette variété de races, d’intérêts locaux, que le système de fédéral doit être établi et qu’il fonctionnera bien.
Des Voix—Écoutez, écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Nous avons souvent lu dans quelques journaux (et des hommes publics le prétendent aussi,) que c’est un grand malheur qu’il y ait différence de races dans cette colonie, et qu’on voit une des différences notables entre les Canadiens français et les Canadiens Anglais. Je désire, sur ce point, venger les droits et les mérites de ceux qui appartiennent à la race française.
Des Voix—Écoutez, écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Pour cela il suffit de faire allusion aux efforts qu’ils ont faits pour soutenir la puissance anglaise, sur ce continent et de signaler leur attachement à la couronne anglaise, dans des temps d’épreuve.
Nous connaissons tous l’histoire des circonstances qui ont amené des difficultés entre l’Angleterre et ses colonies américaines, en 1775. Le Bas-Canada contenait la population la plus dense de toutes les colonies de l’Amérique du Nord, à cette époque. Le Bas-Canada, comme de raison, était un objet d’envie pour les autres colonies américaines et de grands efforts furent faite par ceux qui avaient résolu de renverser le pouvoir britannique sur ce continent, pour induire le Canada à s’allier à leur cause. Le général Washington adressa une proclamation aux Canadiens-français, les invitent à abandonner le drapeau de leurs maîtres, en autant qu’ils n’avaient rien à espérer de ceux qui différaient avec eux de langage, de religion, de race et de sympathie. Mais qu’elle a été la conduite des Canadiens-français sous ces circonstances? Quelle attitude prirent le clergé et les seigneurs? Il est bon de rappeler ce chapitre de notre histoire pour rendre justice à qui elle est due. Les Canadiens refusèrent de se rendre à cet appel, qui avait pour but le renversement complet du système monarchique en Amérique.
Des Voix—Écoutez! Écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Il ne s’était encore écoulé que quelques années depuis que la France avait cédé le pays à l’Angleterre; mais durant ce court intervalle, les Canadiens avaient pu apprécier leur nouvelle position. Le peuple avait compris qu’il était mieux de démurer sous la couronne de l’Angleterre protestante, que de devenir républicaine.
Des Voix—Écoutez, écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Mais ce n’est pas tout: lorsque les Américains ont envahi le pays, les Canadiens ont combattu contre les forces d’Arnold, de Montgomery et d’autres encore. (Applaudissements.)
On a essayé de déprécier la confédération sous le prétexte que, sous le régime d’une législature locale, la minorité protestante anglaise serait maltraitée.
Ici, l’hon. monsieur fait plusieurs citations historiques pour démontrer que les protestants anglais, alors même qu’ils ne comptaient que quelques centaines, dans le Bas-Canada, n’ont jamais eu à se plaindre de la conduite des Canadiens français, puis il continue:
Nous en sommes aujourd’hui à discuter la question de la fédération des provinces de l’Amérique Britannique du Nord, pendant que la grande fédération des États-Unis s’est rompue d’elle-même. Il y a une différence importante dans la conduite des deux peuples. Les Américains ont établi une fédération dans le but de perpétuer la démocratie, sur ce continent; mais nous, qui avons ou l’avantage de voir le républicanisme en action, durant une période de 80 ans, de voir ses défectuosités, nous avons pu nous convaincre que les institutions purement démocratiques ne peuvent produire la paix et la prospérité des nations, nous voulons former une fédération pour perpétuer l’élément monarchique. La différence, entre nos voisins et nous, est celle-ci: dans notre fédération le principe monarchique en sera le principal caractère, pendant que, de l’autre côté de la frontière, le pouvoir qui domine est la volonté de la foule, de la populace enfin.
Toute personne qui a pu converser avec quelques hommes d’état ou écrivains des États, a invariablement vu de suite qu’ils admettent que le pouvoir gouvernemental est inefficace, par suite de l’introduction du suffrage universel, et que le pouvoir de la populace a conséquemment supplanté l’autorité légitime. Et nous y voyons maintenant le triste spectacle d’un pays déchiré par la guerre civile et de frères combattant contre des frères.
La question que nous devons nous faire est celle-ci:—Désirons-nous demeurer séparés—désirons-nous conserver une existence simplement provinciale, lorsque, unis ensemble, nous pourrions devenir une grande nation? Aucune réunion de petits peuples n’a encore eu la bonne fortune de pouvoir aspirer à la grandeur nationale avec tant de facilité. Dans les âges écoulés, des guerriers ont lutté pendant de longues années pour ajouter à leur pays, une simple province. De nos jours, nous avons, pour exemple, Napoléon III qui, après une grande dépense d’argent et de sang, dans la guerre d’Italie, a acquis la Savoie et Nice,—ce qui a donné une addition de près d’un million d’habitants à la France. Et si quelqu’un faisait, en ce moment, le calcul de la valeur de l’acquisition d’un côté, et celui du coût énorme, de l’autre, nous verrions de suite la grande disproportion qui se trouve entre l’un et l’autre et nous demeurerions convaincus, que le territoire acquis ne compense pas le déboursé.
Dans l’Amérique britannique du Nord, nous sommes cinq peuples différents, habitant cinq provinces séparées. Nous avons les mêmes intérêts commerciaux. Il n’est d’aucune utilité pour nous que le Nouveau-Brunswick, le Nouvel Écosse et Terre-Neuve conservent leurs divers droits de douanes contre notre commerce, de même que nous conservions les nôtres contre le commerce de ces provinces. Dans les temps anciens, la manière dont une nation grandissait n’était pas la même qu’aujourd’hui. Alors, un faible établissement se transformait en un village: ce village devenait une ville, ou une cité; et là se trouvait le noyau d’une nation. Il n’en est pas ainsi dans les temps modernes. Les nations sont formées maintenant par l’agglomération de divers peuples rassemblés par les intérêts et les sympathies. Telle est notre position, dans le moment actuel.
Une objection a été formulée contre le projet maintenant sous considération, à cause des mots « nouvelle nationalité. » Lorsque nous serons unis, si toutefois nous les devenons, nous formerons une nationalité politique qui n’affectera ni l’origine nationale, ni la religion d’aucun individu. Quelques-uns ont regretté qu’il y eut diversité de races et ont exprimé l’espoir que ce caractère distinctif disparaîtrait. L’idée d’unité de races est une utopie; c’est une impossibilité. Une distinction de cette nature existera toujours, de même que la dissemblance paraît être dans l’ordre du monde physique. Pour ce qui est de l’objection basée sur ce fait, qu’une grande nation ne peut pas être formé parce que le Bas-Canada est en grande partie français et catholique et que le Haut-Canada est anglais et protestant, et que les provinces inférieures sont mixtes, cela est futile et sans valeur à l’extrême. Regardons, par exemple, le royaume uni, habité comme il l’est par trois grandes races.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—La diversité de races a-t-elle pas dûment contribué à la grandeur de l’empire? Les trois races réunies n’ont-elles pas contribué, par leurs talents combinés, leur énergie et leur courage, aux gloires de l’empire, dans la législature, sur terre, sur mer, et dans le commerce? (Applaudissements.)
Dans notre propre fédération, nous aurons des catholiques et des protestants, des Anglais, des Français, des Irlandais et des Écossais, et chacun, par ses efforts et ses succès, ajoutera à la prospérité et à la gloire de la nouvelle confédération.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Nous sommes de races différentes, non pas pour nous faire la guerre, mais afin de travailler conjointement à notre propre bien-être. (Applaudissements.)
Nous ne pouvons pas législater pour faire disparaître les différences de races, mais les canadiens anglais et français, comprendrons leur position, vis-à-vis des uns et des autres. Ils sont placés les uns à côté des autres, comme de grandes familles, et leur contact produira un esprit d’émulation salutaire. C’est plutôt avantageux que nuisible, qu’il y ait diversité de races. La difficulté se trouvera dans la manière de rendre justice aux minorités. Dans le Haut-Canada, les catholiques se trouveront en minorité; dans le Bas-Canada, les protestants seront en minorité, pendant que les provinces maritimes sont divisées. Sous de telles circonstances, quelqu’un pourrait-il prétendre que le gouvernement général, ou les gouvernements locaux sanctionneraient une injustice. Quelle en serait la conséquence, même en supposant qu’un des gouvernements locaux tenterait une telle chose? Un tel procédé serait censuré par tous. Il n’y a donc à craindre aucune tentative pour priver la minorité de ses droits. Sous le système de fédération, mettant sous le contrôle du gouvernement général, les grandes questions d’intérêt général dans lesquelles les différences de races n’ont rien à faire, les droits de races ou de religion ne pourront pas être méconnus. Nous aurons un parlement général pour régler les matières de défense, de tarif, d’accise, de travaux publics, et tous les sujets qui absorbent tous les intérêts individuels. Maintenant, je demanderai à ces défenseurs de nationalités qui m’ont accusé de troquer 58 comtés du Bas-Canada, avec mon collègue près de moi, comment ils peuvent croire que des injustices seraient faites aux Canadiens-français par, le gouvernement général?
Je dois aborder maintenant la question des gouvernements locaux. Il ne saurait exister aucune grave raison de craindre que la minorité soufre par suite de l’adoption de quelques lois qui affecteraient la propriété. En supposant même que cela arriverait la constitution projetée nous offre un remède. C’est peut-être parce que le projet actuel est grand que ceux qui ne l’ont pas étudié minutieusement conçoivent des craintes en le contemplant; mois quand nous en viendrons à le discuter clause par clause je serai prêt à affirmer qu’aucun intérêt ne souffrira en aucune manière, si la confédération est adoptée. Il est une chose à remarquer, c’est l’étrange manière avec laquelle les partis extrêmes s’unissent et travaillent à l’unisson pour faire avorter la confédération. (Rires.)
Par exemple, le parti qui composait jadis ce qu’on appelait la queue de M. Papineau, s’est joint à la queue de M. John Dougall, du Witness de Montréal.
Des Voix—Écoutez! Écoutez! Acclamation et rires.
Joseph Perrault [Richelieu]—Et les membres du clergé sont opposés au projet.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—L’hon. député pourra prendre la parole après moi, s’il le désire. Je le répète, ce projet est approuvé par tous les hommes modérés. Les hommes des partis extrêmes, les socialistes, les démocrates et les annexionnistes lui font la guerre. Les adversaires canadiens-français de la confédération craignent, en apparence, que leurs droits religieux ne soient en souffrance sous la nouvelle constitution. Il est curieux de voir le célèbre Institut-Canadien de Montréal qui a pour chef le citoyen Blanchet, prendre la religion sous sa protection. (Rires.)
M. Dougall a proclamé bien haut que la minorité des Anglais protestants serait à la merci des Canadiens-français. Je pense pourtant que les craintes exprimées par les jeunes gens du parti démocratique sur les dangers que courront leur religion et leur nationalité devraient faire cesser les scrupules et calmer les frayeurs de M. Dougall.
Le True Witness qui est aussi un des adversaires du projet a dit que s’il était adopté les Canadiens français seraient anéantis pendant que son confrère en violence, le Witness, a dit que ce seraient les protestants qui seraient anéantis.
Des Voix—Écoutez! Et rires.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Je remarque qu’à une assemblée récente qui a eu lieu à Montréal, M. Cherrier s’est enrôlé sous la bannière des adversaires de la confédération. Ce respectable et tranquille vieillard a dit qu’il était sorti de son isolement politique pour opposer la confédération. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai jamais connu M. Cherrier pour un homme politique d’une grande force. Cependant, il paraît qu’il a laissé sa retraite pour s’oppose à ce projet vilain qui tend à détruire la nationalité et la religion des Canadiens-français, projet qui a été proposé par ce Cartier, que Dieu confonde! (Rires et acclamations.)
On a fait allusion à l’opinion du clergé. Eh! Bien, je dirai que l’opinion du clergé est favorable à la confédération.
Des Voix—Écoutez! Écoutez!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Ceux qui sont élevés en dignité, comme ceux qui occupent des positions humbles sont en faveur de la confédération, non-seulement parce qu’ils voient dans ce projet toute la sécurité possible pour tout ce qu’ils chérissent, mais aussi parce que leurs concitoyens protestants y trouveront des garanties comme eux. Le clergé en général est ennemi de toute dissension politique, et s’il est favorable au projet c’est parce qu’il voit dans la confédération une solution des difficultés qui ont existé pendant quelque temps. L’alliance d’adversaires aussi opposés d’opinions que le True Witness, M. Dougall du Witness, et les jeunes gens de l’Institut Canadien, pour résister à la nouvelle constitution, parce que chaque parti prétend qu’elle produira des résultats diamétralement opposés les uns aux autres, doit être regardée comme l’un des plus solides arguments que l’on puisse produire en faveur de la confédération.
Des Voix—Écoutez! Écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—De l’autre côté, nous avons tous les hommes modérés, tous les hommes respectables et intelligents, y compris les membres du clergé qui sont favorables à la confédération.
Des Voix—Écoutez! Écoutez, et oh! oh!
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Je ne veux pas dire, assurément, que le projet n’ait pas d’adversaires respectables; ce que je veux dire, c’est que la nouvelle constitution rencontra l’approbation générale de toutes les classes que j’ai énumérées plus haut.
Je suis opposé au système démocratique qui prévaut aux États-Unis. En ce pays, il nous faut une forme distincte de gouvernement qui soit caractérisé par l’élément monarchique. Quand nous serons confédérés, il n’y a pas de doute que notre gouvernement sera plus important, qu’il aura plus de prestige et commandera plus le respect de nos voisins.
Des Voix—Écoutez, écoutez.
George-Étienne Cartier [Montréal Est, Procureur-Général Est]—Le grand défaut aux États-Unis c’est l’absence de quel qu’élément exécutif respectable. Comment le chef du gouvernement des États-Unis est-il choisi? Des candidats se mettent sur les rangs et chacun d’eux est vilipendé, conspué par le parti opposé. L’un deux triomphes et arrive au fauteuil présidentiel; mais même alors, il n’est pas respecté par ceux qui ont opposé son élection et qui ont essayé de le faire passer pour l’homme le plus corrompu et le plus méprisable qui existe au monde. Sous le système anglais, les ministres peuvent être censurés et insultés, mais les insultes n’atteignent jamais la souveraine. Que nous devenions royaume ou vice royauté quel que soit le nom qu’on nous donne—nous aurons, sans aucun doute, un nouveau prestige.
C’est mon plus grand désir que la confédération soit adoptée par la Chambre. L’occasion est favorable, comme l’ai bien dit mon honorable collègue, M. J.A. Macdonald, pour examiner ce projet. Nous savons que l’approbation du gouvernement impérial nous est assurée. Ainsi si le Canada adopte ces résolutions, comme je n’en ai aucun doute, et si les autres colonies en font autant, le gouvernement impérial va être appelé à passer une mesure qui aura pour effet de donner un gouvernement central ou général fort et des gouvernements locaux qui auront la garde des personnes, des propriétés et des droits civils et religieux appartenant à la population de chaque section. (Acclamations prolongées.)