Province du Canada, Assemblée Législative, Discours de George-Étienne Cartier (13 juillet 1866)
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Date: 1866-08-13
Par: Province du Canada (Parlement), George-Étienne Cartier, Joseph Tassé
Citation: Joseph Tassé, Discours de Sir Georges Cartier, Baronnet, Accompagnés de Notices (Montréal: Eusébe Senécal & Fils, 1893), p. 493-498.
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DISCOURS
SUR LES
INSTITUTIONS PROVINCIALES
PRONONCÉ LE 13 JUILLET 1866
A L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE
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Les constitutions des législatures locales furent soumises à l’Assemblée législative, le 13 juillet, et de suite une discussion très vive s’engagea sur les différentes dispositions qui concernaient le Bas-Canada. M. Cartier exposa toutes les raison qui l’avaient dirigé, ainsi que ses collègues, dans l’élaboration de cette mesure, et fit l’histoire des anciennes constitutions du Bas-Canada. Ses observations furent vivement relevées par M. Dorion, qui s’opposait à l’établissement d’un Conseil législatif nommé par la couronne. M. Cauchon, qui était très versé dans les matières politiques et constitutionnelles, répondit à M. Dorion dans un langage fort énergique. Le système a soulevé depuis bien des critiques, mais il eût été beaucoup plus acceptable et aurait donné des résultats autrement avantageux comme chambre de révision, si libéraux et conservateurs avaient apporté plus de soin dans beaucoup de nominations qui ont été faites.
M. L’Orateur,
En prenant la parole, je déclare tout d’abord, que j’ai un grand désir, comme membre de la législature, d’établir des institutions sages et durables. Mon collègue (l’honorable M. Macdonald) a exposé les principales différences entre les deux systèmes de gouvernement que nous proposons pour le Haut et pour le Bas-Canada, respectivement. Le Haut-Canada n’aura qu’une seule Chambre, tandis que le Bas-Canada en possédera deux : un Conseil législatif, dont les membres seront nommés à vie par le gouvernement, et une Assemblée nommée par les libres suffrages du peuple. Nous ne soumettons ce projet, mes collègues et moi, qu’après de longues délibérations. Le Bas-Canada a son histoire et ses traditions politiques; le Haut-Canada aussi, et aujourd’hui, à la veille d’inaugurer un nouveau système, nous ne pouvons nous empêcher de jeter un regard sur le passé, afin d’y rechercher les raisons du présent et des présages pour l’avenir. En 1791, le Bas-Canada fut de même que le Haut-Canada, doté d’une législature, composée des deux Chambres : Conseil législatif à vie, et Assemblée élective. Quel résultat eut cette constitution? En ce qui concerne la formation des Chambres, il n’y eut rien ou que peu de chose à désirer ; mais il manquait au système ce cachet de perfection qui caractérise la constitution britannique, je veux dire la responsabilité ministérielle. Si, avant 1837, le gouvernement impérial avait concédé au Bas-Canada le régime de la responsabilité, il aurait évité les troubles malheureux de cette époque ; mais après avoir ainsi fait la part de reproches qui doit revenir au gouvernement impérial, sachons dire aussi qu’il n’était pas seul blâmable.
Les hommes politiques du temps avaient certes raison de demander le redressement de leurs griefs ; seulement les remèdes réclamés par eux n’étaient pas les meilleurs. Tandis que dans le Haut-Canada, le Dr Baldwin, père de l’honorable Robert Baldwin, et les autres, qui avaient senti tout de suit qu’il manquait un élément essentiel au bon fonctionnement des institutions déjà établies, ne cessaient point de réclamer un gouvernement responsable, le Bas-Canada s’en tenait à demander l’élection du Conseil législatif! Les demandes du Haut-Canada étaient tout à fair conformes à l’esprit de la constitution britannique ; les amélioration qu’on voulait apporter au régime du Bas-Canada, étaient plutôt approchantes du système de la responsabilité gouvernementale n’ait pas été établi dans le Haut-Canada, avant l’Acte d’Union, dès 1841, on y vit l’honorable Robert Baldwin soumettre à l’Assemblée les célèbres résolutions, qui, après avoir été modifiées par M. Harrison, ont formé la base des institutions politiques dont nous jouissons aujourd’hui.
D’autre part, en lisant les quatre vingt-douze résolutions proposées par M. Elzéar Bédard,—mais qui avaient été rédigées par M. Morin – nous y verrons énumérés tous les maux dont le Bas-Canada se plaignait avec beaucoup de raison. Que demandait-on? Une chose seulement : que le Conseil législatif fût nommé par élection.
Les hommes politiques d’alors ne paraissent pas avoir compris l’importance du système de la responsabilité. Quand, en 1830, M. Panet fut appelé au Conseil exécutif du Bas-Canada, on y fit peu d’attention, bien qu’il fût déjà membre de l’Assemblée législative. Mais il en fut autrement pour M. Dominique Mondelet. C’était un avocat distingué fort versé dans les lois, à la tête d’une clientèle considérable. Il représentait, à l’Assemblée, la comté de Montréal et les comtés de Jacques-Cartier et d’Hochelaga. Cette nomination était l’introduction du gouvernement responsable dans le Bas-Canada; M. Mondelet, ayant un siège à l’Assemblée, y aurait défendu les mesures du gouvernement, mais y aurait lui aussi subi l’influence de la Chambre, qui l’eût obligé d’insister auprès de ses collègues, pur obtenir les réformes demandées. La Chambre, toutefois, n’eut pas cette vue juste des choses. Elle considéra M. Mondelet comme un espion, et, dans un moment malheureux, elle résolut de l’expulser. Tous ces faits ont leur importance, et je ne crois pas inutile de les rappeler maintenant que nous jetons les fondements d’un gouvernement provincial.
En se rapportant maintenant à nos institutions politiques sous le système responsable, on voit que les vives réclamations qui se faisaient entendre au sujet du Conseil législatif s’apaisèrent insensiblement. Mais les germes de haine laissés par l’ancien régime s’étaient conservés chez ceux qui avaient servi sous ce régime, et ils crurent devoir fair cette concession aux souvenirs d’une autre époque. Après dix ans d’expérience, on a pu se convaincre que, avec la responsabilité ministérielle, cela était inutile. Ce point a été discuté par les trente-deux délégués, à la convention de Québec.
Les délégués canadiens avaient deux systèmes à soumettre à la convention. Dans le Bas-Canada, les conseillers avaient tour à tour été nommés à vue et élus par le peuple. En examinant à résultats, nous somme arrivés à cette conclusion, que, le Conseil élu, a réussi, non pas par l’effet du principe électif, mais parce qu’il y a toujours eu dans ce corps, un certain nombre de membres nommés à vie, ce qui a contribué à le maintenir dans son indépendance et lui a permis de mieux surveiller les opérations de l’autre branche de la législature.
Cela nous a engagés, mes collègues bas-canadiens et moi, à remettre en usage le système des deux Chambres, nommées l’une par la Couronne et l’autre par le peuple. Si l’on me demande pourquoi nous n’aurions pas une seule Chambre, comme le Haut-Canada, je répondrai que les résolutions de Québec ont sagement prescrit que chaque province pourrait régler sa forme propre de gouvernement comme elle l’entendrait. L’article 41 de ces résolutions est ainsi conçu: “Les gouvernements et les législatures des diverses provinces seront continués comme leurs législatures actuelles respectives le jugeront à propos.” Ainsi chaque province est libre d’établir le gouvernement particulier qui lui conviendra. Le difficile était de trouver le système convenable pour chaque province. Le Haut-Canada n’est habité que par une seule race, il en est autrement du Bas-Canada. Je ne crois pas que la dualité de races soit un désavantage pour nous, mais il nous faut un système que trouvent acceptable les populations de races et de religions différentes qui habitent le Bas-Canada. Le Haut-Canada, en ne voulant avoir qu’une seule Chambre, a été mû par un désir d’économie. Quant à nous, nous n’avons pas cru ce motif suffisant. Ce n’est pas pour une épargne de ₤15,000 à ₤20,000 que nous refuserions de donner plus de dignité à nos institutions législatives. En pareille matière, l’économie ne doit pas être la principale chose à rechercher, et j’espère que mes amis partageront cette opinion.
Les populations du Bas-Canada sont beaucoup plus monarchistes que celles du Haut-Canada; elles apprécient davantages les institutions monarchiques, hormis, toutefois, les démocrates avancés, comme il s’en trouve quelques-uns dans cette Chambre. Ceux-là vont me désapprouver; mais je n’y ai pas regret. Pour avoir leur approbation, il me faudrait favoriser beaucoup trop leurs idées et manquer par là même au premier de mes devoirs.
Quoique l’on ne puisse en Canada, établir une aristocratie fondée sur la naissance on sur la propriété, on ne doit pas oublier, cependant, que la Constitution de 1791 avait posé les bases d’une institution aristocratique établie sur le droit de naissance; mais on n’y a pas donné suite. Le Haut-Canada veut tenter une expérience; sans nous permettre de lui offrir un avis, nous pouvons bien dire que l’on a déjà essayé ailleurs plusieurs fois, de gouverner avec une seule Chambre, notamment aux Etats-Unis, où la doctrine démocratique est poussée très loin, essai malheureux, l’on est bientôt revenu de cette erreur. Aussi a été encore consacrée l’utilité d’une seconde Chambre. Dans ces Etats, il est vrai, les membre du Sénat ne sont pas nommés à vie; mais leur élection diffère de celle de la Chambre basse. On doit aussi remarquer que les sénateurs y sont élus pour un plus grand nombre d’années que les représentants.
Avec la responsabilité ministérielle, un Conseil électif est une anomalie; au lieu d’apporter plus de force à la constitution, il est une cause d’embarras. Si, dans le Bas-Canada, on avait eu tout de suite le système de la responsabilité, jamais la constitution de 1791 n’aurait été renversée.
Voilà ce qui nous a engagés, mes collègues et moi, à avoir une seconde Chambre. Les membres en seront nommés à vie, pour les circonscriptions territoriales prescrites par le statut. Il pourra se produire des conflits entre les deux Chambres. Le fait est que, dans l’histoire de tous les peuples soumis à un gouvernement constitutionnel, on voit ces deux corps politiques s’entre-choquer, quelquefois la situation devient grave, il faut alors user d’une extrême prudence; il faut aussi être attentif à l’opinion publique.
Mais l’opinion publique que j’ai en vue n’est pas ce produit d’une tempête populaire, qui ne cherche qu’à tout renverser. Le mieux, sera toujours d’éviter, et à tout prix, le choc des corps politiques.
Dans le Bas-Canada, je le répète, nous sommes monarchistes conservateurs; et nous voulons prendre les moyens d’empêcher la tourmente populaire de jamais bouleverser l’Etat.
Par les résolutions l’on propose de donner au Bas-Canada soixante-cinq députés, en conservant les circonscriptions électorales de maintenant. Dans le plan fédéral, le Bas-Canada aura toujours ce même nombre de représentants. Il a, en quelque sorte, la position d’honneur, il sert comme de pivot à tout le rouage constitutionnel. Il est important de ne pas nous départir à la légère de cette position, d’un pareil rôle. C’est pourquoi, les circonscriptions électorales ne pourront être changées que du consentement des trois quarts des membres de l’Assemblée législative.
On a cherché à effrayer la population anglaise du Bas-Canada à ce propos. Mais elle n’a rien à craindre. Il y a aujourd’hui dans le Bas-Canada seize circonscriptions électorales, qui fournissent à la population anglaise ou protestante sa bonne part de représentation: Ottawa (comté), Argenteuil, Shefford, Richmond et Wolfe, Compton, Stanstead, Missisquoi, Brome, Huntingdon, Sherbrooke, Mégantic, Châteauguay, Montréal-Ouest, Montréal-Centre, Québec-Ouest et Gaspé. A la vérité, ce n’est qu’un quart de la représentation totale; mais comment ce quart pourrait-il être opprimé? Supposons qu’on veuille donner un nouveau membre à tel district, les autres districts, jaloux de leur influence, s’y opposeront naturellement. En outre, dans plusieurs autres comtés, il existe une minorité anglaise assez importante pour pouvoir y exercer une influence très sensible: Pontiac, Bonaventure, Québec-Centre, Montréal-Est, Montcalm, etc. Voilà assurément qui doit rassurer ceux de nos concitoyens anglais et protestants qui désirent comme moi, que l’harmonie règne toujours entre nous. Les anciennes luttes ne sauraient renaître, soyons-en bien convaincus.
On propose d’appliquer au gouvernement du Bas-Canada le système de la responsabilité ministérielle. Il y faudra un commissaire des Terres de la Couronne, un procureur général, un ministre des finances, un secrétaire provincial et un président du conseil. Mais cela ne sera pas bien coûteux. D’ailleurs, encore une fois, nous ne devons pas trop regarder à la dépense, quand il s’agit d’avoir un bon gouvernement. Aux Etats-Unis, il y a ce qu’ils appellent la responsabilité, dans le gouvernement provincial, la durée des législatures serait forcément plus courte, et il nous faudrait nous résigner à vivre au milieu d’une continuelle agitation électorale, comme on fait aux Etats-Unis, où les honnêtes dégoûtés. Le régime démocratique poussé aux dernières limites en est à présent au règne de la populace.
En adoptant la responsabilité ministérielle et donnant à la législature une durée de quatre ans, nous évitons l’inconvénient des trop fréquentes élections. Les honnêtes gens n’auront alors aucune répugnance à s’occuper de la chose publique, et ils pourront combattre avec avantages les extravagances de la démocratie turbulente.
M. Fortier—Quel inconvénient y aurait-il done à n’avoir qu’une Chambre?
M.Cartier.—Conservateur d’éducation monarchique, notre devoir est d’entourer nos institutions politiques de tout ce qui peut contribuer à leur stabilité