Québec, Assemblée nationale, « Débat sur le message inaugural M. Claude Ryan, » 32nd Lég., 3rd Sess (10 novembre) 1981
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Date: 1980-11-10
Par: Québec, Assemblée Nationale (Québec)
Citation: Québec, Assemblée nationale, Journal de Débats, 32nd Lég., 3rd Sess, 1981, pp. 21-63.
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M. Ryan:Deuxième aspect: les libertés fondamentales, les grandes libertés d’expression, de pensée, d’association, de réunion, d’assemblée, de presse. Je n’ai pas peur de la constitutionnalisation de ces grandes libertés. Il me semble que c’est digne d’un pays civilisé et mûr de se doter de dispositions constitutionnelles prévoyant que ces libertés fondamentales viendront avant les prérogatives des Parlements et des gouvernements. Je n’ai pas peur de cela. Je place le citoyen avant les gouvernements, avant ceux qui voudraient s’ériger en anges gardiens de toutes ces valeurs. Je le place au premier plan. Je n’ai pas peur de cela et, au cas où on aurait peur, l’entente qui a été conclue la semaine dernière prévoit ce qu’on appelle une clause « nonobstant », c’est-à-dire une clause en vertu de laquelle une Législature provinciale qui voudrait intervenir par voie de législation dans ce domaine pourrait le faire en déclarant explicitement que cette loi qu’elle voudrait adopter ne serait pas assujettie à la charte des droits. Par conséquent, il n’y a pas de péril en la demeure de ce côté non plus. Je pense que le principe du pouvoir législatif d’une province est préservé par une clause comme celle-là. D’ailleurs, – M. le premier ministre me confirmera là-dessus – le gouvernement avait consenti dans le « package » dont nous parlions tantôt à ce que certains chapitres de la charte soient assortis d’une clause comme celle-là. Très bien.
Les droits légaux. Quels sont les droits qui pourraient être très utiles pour des témoins en vue de la future enquête sur la Société d’habitation du Québec? Les droits léqaux, c’est le droit à la protection d’un avocat, le droit de ne pas être soumis à des perquisitions, à des fouilles ou à des visites de policiers dans votre domicile sans des motifs sérieux et des autorisations émises par des personnages autorisés, etc. Là-dessus, on peut discuter beaucoup. Je trouve personnellement que l’énumération qui est faite dans la charte à ce sujet est peut-être un peu trop détaillée. Je ne suis pas un expert de ces questions, mais ce que je sais, c’est qu’on a assorti ce chapitre aussi d’une clause « nonobstant ». Par conséquent, tout est préservé de ce côté, le principe est préservé. Évidemment, il y a un engagement moral. Quand on accepte qu’une charte comme celle-là soit dans la constitution, il y a un engagement moral, mais le principe du pouvoir législatif de l’Assemblée nationale est préservé par cette clause.
Il y en a une autre, très importante, les droits à l’égalité. C’est le droit d’un citoyen de ne pas être victime de discrimination ou de traitement injuste à cause de sa langue, d’une infirmité dont il pourrait souffrir, de son origine raciale, de son âge et de divers autres facteurs. Encore ici, je pense que, dans un souci de civilisation, on doit accueillir avec énormément d’intérêt les clauses qui veulent garantir des droits comme ceux-ci.
Dans le texte de l’entente de la semaine dernière, ce chapitre aussi est assorti d’une clause « nonobstant ». Par conséquent, il n’y a pas de violation absolument condamnable de l’autorité législative du Québec dans ce domaine. Me
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suivez-vous jusqu’à maintenant, M. le premier ministre? Sommes-nous d’accord sur l’interprétation?
Une voix: II n’a pas le choix.
M. Ryan: II y en a qui ne sont pas intéressés à lire les textes.
M. Lévesque (Taillon): Pas de problème jusque là.
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Je vous dis, M. le Président, qu’il y a trois articles dans cette partie de l’entente relative aux droits linguistiques. Je ne veux pas être trop technique, je ne veux endormir personne, il y a un paragraphe qui traite du critère de la lanque maternelle. Nous disons que nous connaissons les difficultés que cela a posées au Québec. Je les ai vécues moi-même, j’ai dû admettre, après avoir défendu moi-même ce critère pendant plusieurs années, que c’était difficile d’en proposer une interprétation opérationnelle. Je me suis rendu devant les faits qu’on me soumettait, très bien. Nous disons qu’il devrait être possible d’assortir ce critère de la clause « nonobstant ». Il y a peut-être d’autres gouvernements qui éprouveront moins de difficultés, laissons-les s’occuper de leurs affaires, mais ici, la cause « nonobstant » pourrait très bien être envisagée, selon nous.
Il y a un autre article qui ouvre la porte de l’école anglaise au Québec aux enfants de parents qui ne seraient pas allés à l’école anglaise, mais dont un enfant serait déjà inscrit à l’école anglaise ailleurs. Cela pose aussi des problèmes que nous connaissons tous. On dit qu’il faudrait que cet article soit également assorti d’une clause « nonobstant ».
Alors, il reste, M. le Président, ce qu’on appelle la clause Canada, au sens que lui donne le projet de loi fédéral, c’est-à-dire l’accès de l’école française ou anqlaise, selon la province, à l’enfant de parents ayant eux-mêmes reçu l’enseignement en français
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ou en anglais, selon le cas, au niveau élémentaire ou primaire, dans cette langue.
M. le ministre de l’Éducation m’écoute. Il a fait faire une étude par ses services sur les effets possibles d’une clause comme celle-là. J’ai le rapport de l’étude devant moi, les effets démolinguistigues de l’article 23 du projet fédéral de charte. Je suis sûr que le ministre de l’Éducation l’a lu, nous avons un ministre de l’Éducation qui a l’habitude de lire ces documents et je l’en félicite. (17 heures)
Les auteurs de cette étude nous disent que s’il ne s’agit que de ce critère, les effets seraient minimaux: À notre avis, ils seraient, de toute façon, inférieurs au millier d’élèves – au singulier. Pardon? C’est ce que j’avais compris. Je vois ici « au millier d’élèves », disons que c’est entre 1000 et 5000, de toute manière. Vous savez que l’effectif dans les écoles de langue anglaise au Québec, aux dernières statistiques, était à peu près de 185 000. Mettons le maximum, 5000 sur 185 000, c’est quelque chose comme entre 2% et 3%.
Je sais que le ministre de l’Éducation est capable de nous faire croire qu’il y a un danger d’apocalypse même là-dedans, mais pas moi. Je vous dis que la proposition que nous faisons va dans ce sens-là et je voudrais qu’on l’examine attentivement. Le gouvernement avait déjà indiqué, à l’occasion de conférences antérieures avec des provinces, son intérêt pour des accords de réciprocité. Il l’a inscrit, d’ailleurs, dans la loi 101. Le ministre de l’Éducation l’a rappelé récemment. Il n’y a pas encore de carcan dans le texte de l’entente, comme je l’ai lu tantôt, il me semble qu’il y a un vacuum, qu’il y a un espace qu’un gouvernement de bonne foi n’a pas le droit de rejeter du revers de la main parce qu’il s’est passé des choses au sujet desquelles je suis prêt à comprendre sa réaction dans une bonne mesure.
Maintenant, je fais l’examen comme un citoyen de bonne foi essaie de le faire en tenant compte, évidemment, des principes que je défends moi-même et des valeurs que mes collègues et moi-même voulons mettre de l’avant là-dedans. C’est cela le bilan. Il n’y a pas d’autre chose. J’essaie de voir l’épouvantail. J’essaie de voir où serait la corneille qui circulerait quelque part, qui menacerait d’enlever la chevelure de l’un ou l’autre d’entre nous, la chauve-souris, je n’en vois nulle part. Peut-être que ma lecture n’est pas bonne, peut-être que j’aurai besoin d’être guidé, éclairé, mais j’ai fait le tour du document et c’est ce qu’il dit. Je l’aurais négocié tout à fait autrement.
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